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ENTRE LES MURS ET L’EXCLUSION : L’ÉCHEC DU SYSTÈME ÉDUCATIF FRANÇAIS

By MANON M. ZOUAI

SUBMITTED TO SCRIPPS COLLEGE IN PARTIAL FULFILLMENT

OF THE DEGREE OF BACHELOR OF ARTS

FAZIA AITEL ANDREW AISENBERG NATHALIE RACHLIN

APRIL 26, 2013

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REMERCIEMENTS

Je voudrais d’abord remercier ma première lectrice, Fazia Aïtel pour sa patience,

et pour tout le travail de lecture et de relecture qu’elle a fait depuis octobre dernier, quand

j’ai commencé ce travail. Puis, j’aimerais remercier mon deuxième lecteur, Andrew

Aisenberg pour son cours ‘France/Algeria’, qui m’a beaucoup aidé avec la

conceptualisation de ma thèse. Ensuite, j’aimerais remercier ma troisième lectrice,

Nathalie Rachlin, pour sa lecture de mon travail, ainsi que pour son cours, ‘France in the

Hood’ dans lequel j’ai vu Entre les murs pour la première fois. J’aimerais aussi remercier

mes amis, surtout Morgan Halley et Calyx Gaston, qui m’ont soutenue moralement quand

je ne pensais pas pouvoir m’en sortir. Finalement, j’aimerais bien sûr remercier mes

parents : ma mère, pour le soutien qu’elle m’a toujours accordé dans ma vie et mes

études ; mon père pour le courage qu’il a eu quand il a quitté l’Algérie pour la France à

l’âge de 20 ans et puis, plus tard, quand lui et ma mère ont décidé de quitter la France

pour les Etats-Unis. J’avais quatre ans à ce moment là. Je pense que grâce à cette histoire

particulière j’ai la chance unique de pouvoir discuter de la richesse culturelle de la France

et de l’Algérie à travers les richesses intellectuelles et théoriques qui forment le système

universitaire américain, puisque je suis personnellement impliquée dans chacune de ces

‘cultures’.

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TABLES DE MATIÈRES

INTRODUCTION.............................................................................................................9

CHAPITRE 1 : L’ECOLE ET LA NATION FRANÇAISE........................................15 L’école à la veille de la République.......................................................................18 La ‘modernisation’ du peuple français..................................................................21 Jules Ferry et la troisième république ....................................................................23 La langue française à l’école..................................................................................27 Mai ’68 et la révolte des étudiants.........................................................................35 Conclusion.............................................................................................................38

CHAPITRE 2 : L’ECHEC DU PARTAGE..................................................................41

Les droits culturels et le modèle classique de la citoyenneté.................................42 Multiculturalisme ou communautarisme ?.............................................................43 La fracture coloniale..............................................................................................48 Le colonialisme républicain...................................................................................50 La guerre d’Algérie et la décolonisation................................................................52 Les inégalités enracinées dans le système.............................................................54 L’immigration et le discours du ‘problème social’................................................57 L’école, l’intégration et la laïcité...........................................................................60 Des dialogues figés mènent à une démocratie inopérante.....................................64 Conclusion.............................................................................................................67

CHAPITRE 3 : L’EXCLUSION – UNE ETUDE DE CAS.........................................69

Le foot et l’appartenance.......................................................................................69 Comment être pétasse ?.........................................................................................78

La révolte de la cour .............................................................................................82 Le jour de jugement...............................................................................................85

Conclusion.............................................................................................................86 CONCLUSION................................................................................................................91

BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................................99

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« C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l'important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. » La Haine (1995)

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INTRODUCTION

Sorti en 2008, Entre Les Murs est un film réalisé par Laurent Cantet qui

documente une année scolaire dans un collège à Paris. Le film est une adaptation du

roman du même titre de François Bégaudeau, qui a ensuite écrit le scénario et a apparu

lui-même dans le film. Publié en 2006, le livre reçoit le Prix France Culture-Télérama et

est vendu à plus de 170.000 exemplaires. Le film, lui aussi, est bien reçu par les critiques,

remportant non-seulement la Palme d’Or à Cannes en 2008, mais aussi la nomination

pour un Oscar en 2009.

Entre les murs traite d’un collège dans le 19ième arrondissement de Paris. François

Marin, joué par l’auteur du roman, est professeur de français et entame sa quatrième

année dans un collège. Bien que l’action du film soit centrée sur une classe de 4ième, nous

voyons aussi l’espace des professeurs à travers les yeux de M. Marin. Tous ont des

difficultés à maintenir la discipline dans leur cours, et chacun a sa propre manière de

gérer la situation. La classe de M. Marin est composée de plusieurs élèves de différentes

origines, tous avec leur propres histoires et caractères. Khoumba et Esméralda sont

meilleures amies et les deux bavardent en cours. Wei, qui est d’origine chinoise, ne

maitrise pas encore la langue française. Louise, première de sa classe, essaie de gérer le

regard des autres. Carl, qui entre dans la classe mi-semestre parce qu’il a été exclu d’un

autre collège, gère sa nouvelle situation avec prudence. Au cours du film, nous voyons

des tensions entre ces élèves et leur professeur de français, M. Marin.

Bien que le film développe plusieurs personnages, l’action se centre autour de

Souleymane, un élève d’origine malienne. Dès le premier jour des cours, Souleymane ne

semble pas du tout intéressé par l’école : Il arrive en cours avec un bonnet, s’assoit à

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l’arrière de la classe, oublie ses affaires à plusieurs reprises et refuse de participer en

cours. Par contre, c’est son comportement envers les autres qui lui cause le plus de

problèmes. Souleymane insulte souvent ses camarades et finit par répondre à son

professeur. Ceci mène à sa première expulsion du cours, où il est envoyé au bureau du

principal. Le deuxième incident est encore plus grave. Après avoir échangé des insultes

avec ses camarades, Souleymane essaie de quitter la classe de M. Marin. Celui-ci essaie

d’arrêter son élève, menant Souleymane à se débattre et à blesser un autre élève. A cause

cette violence, Souleymane est suspendue pendant quelques jours. Les professeurs

décident ensuite de réunir un conseil de discipline pour discuter des actions de

Souleymane et l’élève est éventuellement renvoyé de l’école par le vote du conseil.

L’objectif de François Bégaudeau en écrivant son livre était de transmettre, sous

forme fictionnelle, l’expérience vraisemblable d’élèves d’origines diverses et de leurs

professeurs dans un collège français. Dans un entretien pour le dossier de presse du film,

M. Bégaudeau explique que le livre :

voulait documenter une année scolaire, au ras des expériences quotidiennes. Il n’y avait donc pas de ligne narrative claire, pas de fiction nouée autour d’une affaire particulière : il y avait bien des conseils de discipline, mais c’était tout au plus des faits parmi d’autres, qui suivaient chacun leur cours (Ricci et Arnoux, 7).

Par ailleurs, en faisant en sorte que M. Marin soit le narrateur du livre et que l’action soit

décrite à la première personne, l’auteur transmet non-seulement les expériences des

élèves dans leur cours, mais aussi les réactions et réflexions du professeur, qui représente

l’établissement scolaire.

Cette vision crée un style presque documentaire dans le film, qui est surement la

cause de son succès. Dans une interview pour Evene.fr en septembre 2008, M. Cantet

décrit son objectif pour le film : « ce qui m’intéressait c’était de réaliser une fiction

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documentée qui écoute, regarde réellement ce qui se passe au sein de l’école et qui

s’appuie sur l’expérience de ceux qui la vivent » (Carpentier, 2008). Pour produire cet

effet, M. Cantet a choisi de tourner le film dans un véritable collège à Paris, le collège

Françoise Dolto dans le 20e arrondissement, et a sélectionné ses acteurs au sein de

l’établissement. À quelques exceptions près, les élèves, les professeurs et les parents des

élèves proviennent tous du collège. Pendant une année, tous les mercredis, M. Cantet a

tenu un atelier pour le film avec les élèves. Au lieu d’avoir un scénario fixe, le metteur en

scène voulait que l’action soit réelle ; l’atelier permettait aux élèves de se mettre en

personnage et d’apporter leurs propres touches à leur rôle en improvisant le texte. Par

ailleurs, ayant placé trois caméras différentes dans la salle de classe – une sur le

professeur, une sur l’élève qui parlait et une sur l’élève qui allait parler – M. Cantet a pu

filmer certaines scènes en une prise et garder l’aspect documentaire du film.

Grâce à ce style particulier, le film est un bon point de départ pour mieux

comprendre les tensions qui existent dans le système éducatif français. M. Cantet note

lui-même que l’école est « un microcosme où se jouent très concrètement les questions

d’égalité ou d’inégalité des chances, de travail et de pouvoir, d’intégration culturelle et

sociale, d’exclusion » (Ricci et Amoux, 7). Le film, au contraire du livre, suit une intrigue

très définie, se concentrant sur le trajet de Souleymane. En illustrant cette situation

particulière et extrême, le film peint le système comme étant non-inclusif.

Effectivement, le film est le sujet de plusieurs analyses critiques dans le monde

littéraire, dont celle de James S. Williams, professeur de film et de littérature française à

l’Université de Londres, intitulé “Framing Exclusion: The Politics of Space in Laurent

Cantet's Entre les murs.” Dans son analyse du film, Williams affirme que la façon dont le

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metteur en scène gère l’espace expose les relations de pouvoir entre les élèves et leurs

professeurs, un pouvoir inégalement distribué. Williams examine la première scène du

film pour illustrer son argument. Dans cette scène, la caméra suit M. Marin au café. Selon

Williams, la prise nous fait croire brièvement, à cause de la proximité de la caméra à

l’acteur, que le film traitera d’histoires intimes et artistiques. Mais le metteur en scène

nous montre aussitôt que ceci ne sera pas le cas dès que M. Marin quitte le café pour

entrer à l’école. C’est là que nous entrons à l’école (avec M. Marin) pour ne plus quitter

le lieu du collège durant l’intégralité du film, et très rarement la classe elle-même. La

classe et la cours de récréation sont deux lieux clos. Dans le cas de la classe, le ciel n’est

jamais visible à travers les fenêtres, remarque Williams. Quant à la cour, elle est entourée

de quatre murs gris. Dès le début, l’école est donc présentée comme un espace clos où

nulle influence extérieure ne semble pouvoir pénétrer les cours. Néanmoins, à la fin du

film, un élève est expulsé de ce lieu.

À travers une analyse du film en conjonction avec une analyse socio-historique et

politique, j’espère exposer les problèmes qui existent dans le système éducatif français

aujourd’hui. Dans mon premier chapitre, ‘L’école et la nation française’, je montre

comment est née l’école républicaine, quel est son lien avec la nation française, et quelle

est la place de la langue et de l’autorité à l’école. Dans mon deuxième chapitre, ‘L’échec

du partage’, je remets en question la construction de l’histoire nationale et les débats

contemporains sur le multiculturalisme en France. Dans mon troisième chapitre,

‘L’exclusion : une étude de cas’, je m’appuie sur les analyses de mes deux premiers

chapitres pour mieux comprendre l’histoire de Souleymane. En tout, mes chapitres

montrent que le système éducatif français exclu en fait une grande partie des élèves qu’il

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espère intégrer dans la société française. Dans la conclusion de mon travail, je résume ce

que je vois comme étant les problèmes importants qui mènent à cette exclusion et je

propose des solutions pour que le système puisse réellement incarner les valeurs

républicaines françaises.

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CHAPITRE 1 : L’ECOLE ET LA NATION FRANÇAISE

Après la Révolution française, qui a mené à la création de la République,

plusieurs académiciens français ont essayé de définir certaines notions qui semblent aller

de soi, en analysant leur histoire et leur sociologie. Le 11 mars 1882, écrivain, philologue,

philosophe et historien français Ernest Renan organise une conférence en Sorbonne sur la

question « Qu’est-ce qu’une nation ? » Son analyse, qui est ensuite publiée cinq ans plus

tard, est une des premières tentatives de définir ce qu’est la Nation.

Renan commence d’abord par une analyse de la formation des nations. La nation,

selon Renan, est « quelque chose d’assez nouveau dans l’histoire » (Renan, 38).

Néanmoins, à travers l’analyse de l’empire Romain et de nations contemporaines

européennes, Renan trouve des points de support. À travers ces exemples, Renan constate

que la violence et l’oubli de cette violence est à l’origine de toute nation :

L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. L’investigation historique, en effet, remet, en lumière les faits de violence qui se sont passés à l’origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les conséquences ont été les plus bienfaisantes. L’unité se fait toujours brutalement… Or l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses. (Renan, 41-42)

Mais quelles sont ces choses que l’on oublie et que l’on a en commun? Selon Renan, il y

a trois marqueurs de différence qui ne font pas une nation : la race, la religion, la langue.

En ce qui concerne la race, Renan nous rappelle très tôt que déjà, en 1882, la France

est un mélange de race et d’origine, notant qu’ « aucun citoyen français ne sait s’il est

burgonde, alain, taïfale, visigoth... Il n’y a pas en France dix familles qui puissent fournir

la preuve d’une origine franque, et encore une telle preuve serait-elle essentiellement

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défectueuse, par suite de mille croisements inconnus qui peuvent déranger tous les

systèmes des généalogistes» (Renan, 42). L’idée de créer une nation autour d’une race

serait une « erreur grave » (Renan, 37) puisque la race est « quelque chose qui se fait et se

défait » (Renan, 48). La notion de la langue invite les mêmes propos. Il prend les Etats

Unis et l’Angleterre, l’Amérique Espagnol et l’Espagne pour exemple où l’on parle la

même langue sans constituer une même nation. Pareillement, il prend la Suisse comme

exemple d’un pays où plusieurs langues sont parlées à la fois. Puis, il y a la religion.

Selon Renan, la religion est devenue chose individuelle: « chacun croit et pratique à sa

guise, ce qu’il peut, comme il veut…[la religion] regarde la conscience de chacun »

(Renan, 52). Renan perçoit donc que l’appartenance à une langue, race, ou religion serait

dangereuse à concevoir en tant que nation. Que reste-t-il donc pour former une nation ?

Sont-ce les montagnes et les fleuves qui divisent nos frontières ? D’après Renan, ceci

n’est pas viable. La géographie ne peut non plus servir comme point commun pour une

nation. Sur ce point, Renan affirme que « je ne connais pas de doctrine plus arbitraire ni

plus funeste [que la géographie]. Avec cela, on justifie toutes les violences » (Renan, 53).

Par ailleurs, il déni les intérêts qui lient les hommes comme étant assez forts pour faire

une nation.

Selon Renan, la nation n’est pas quelque-chose de matériel mais de spirituel. Ce

« principe spirituel » est constitué de deux choses, l’une « dans le passé, l’autre dans le

présent » (Renan, 53). La nation est la possession de souvenirs en commun. Comme nous

l’avons déjà vu, ces souvenirs collectifs sont en parallèle avec les oublis collectifs

mentionnés au début de sa thèse. Puis, au présent, la nation représente un désir collectif

de vivre ensemble, « le consentement actuel… la volonté de continuer à faire valoir

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l’héritage qu’on a reçu indivis » (Renan, 54). Sans ce désir, la nation n’est rien. En effet,

Renan dit même que la nation n’a « jamais un véritable intérêt à s’annexer ou à retenir un

pays malgré lui » (Renan, 55). La nation est alors « une grande solidarité, constituée par

le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé a faire encore »

(Renan, 54). La nation ne s’occupe donc ni de particularités humaines ou de faits

matériels mais d’un concensus collectif sur le passé, le présent et le futur.

Mais comment employer un principe spirituel dans la réalité ? Dans Qu’est-ce

qu’un Français, l’historien et politologue français Patrick Weil trace l’histoire et la

politique de la nationalité et de la citoyenneté en France. Bien que l’intention française

soit d’éviter de se concentrer sur les particularités humaines (la langue, la race, la religion,

etc.), l’analyse de Weil montre que ceci n’est pas toujours le cas. Dans la première partie

de son livre, Weil écrit l’histoire des lois françaises sur la citoyenneté. Avant la

Révolution française, il n’existait aucune définition explicite du Français, et les lois

étaient réglementées par le Roi, dans ses intérêts. Celui-ci se concentrait sur les domaines

de la propriété et sur l’allégeance au Roi. Le Roi, par exemple, prenait possession des

biens de tout étranger vivant en France qui mourait sans héritier.

Après la Révolution, le citoyen français a été intégré dans la loi. Ensuite, les

politiques françaises concernant la citoyenneté ont « changé… comme aucune autre

nation » (Weil, 11). En règle générale, ces lois se centraient sur de deux méthodes de

naturalisation : jus soli (le droit du sol, qui accorde la nationalité à une personne née sur

un territoire national) et jus sanguini (le droit du sang, qui accorde aux enfants la

nationalité de leur parents). Il y a plusieurs déterminants dans la création de ces lois.

D’abord, la situation politique de la France a eu beaucoup d’influence sur ces lois ;

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pendant les crises économiques, on naturalisait moins d’étrangers en France tandis

qu’après la guerre, on acceptait plus facilement les demandes de naturalisation. La

propriété était toujours aussi importante : le métier des étrangers jouait un rôle important

dans le processus de naturalisation ; certaines naturalisations suivaient les codes

internationaux pour faire en sorte que les étrangers puissent garder leurs biens à

l’étranger ; et la naturalisation des femmes dans le cas du mariage était souvent aussi

motivée par des questions de droit de biens. Puis, le devoir civique, en particulier le

service militaire, menait à des lois plus strictes en ce qui concernait les étrangers en

France qui refusaient la nationalité française pour pouvoir échapper à leurs

responsabilités civiques. Mais tout n’était pas aussi facilement défini. Vers la fin du

19ième siècle, beaucoup de lois essayaient de mesurer l’allégeance à la France en prenant

en compte le temps de résidence en France et de l’éducation. On pensait que ceux qui

avaient grandi en France avec l’école française avaient développé « l’esprit français, les

habitudes françaises … l’attachement que chacun a naturellement pour le pays qui l’a vu

naître” (Weil, 29-30), ils étaient “sociologiquement des Français… de fait et d’intention,

par les affections, les mœurs et les habitudes” (Weil, 51), et « s’impregn[ait] de notre

civilisation” (Weil, 60). En effet, selon Weil, beaucoup de lois françaises se concentraient

sur la seconde-génération puisque qu’elle avait eu contact avec l’école française. L’école

française est donc une institution importante à la nation puisqu’elle est inextricablement

liée à la création du citoyen français.

L’école à la veille de la République

Dans L’histoire de l’enseignement en France, Félix Ponteil écrit l’histoire

détaillée du système éducatif français. Son but est non-seulement de nous illuminer sur

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les faits – c'est-à-dire, comment se concevaient les cours eux-mêmes – mais aussi la

rhétorique, la raison d’être et les luttes de pouvoirs qui entoure ce lieu si politisé. Sous

l’ancien régime, l’école française, comme le territoire français lui-même, est dirigée par

l’Église et la Monarchie selon leurs intérêts. En réalité, selon Ponteil, ce pouvoir n’est pas

également distribué, et l’éducation est en plus soumise à des particularités géographiques,

socio-économiques et religieuses, ainsi que des différences de sexe.

Avant la Révolution, la religion joue alors un rôle important à l’école. Où qu’elles

soient, « toutes [les écoles] sont inspirées par le même but à atteindre : Dieu et le prince,

dans la mesure où le prince est le lieutenant de Dieu et son représentant sur la terre »

(Ponteil, 10). La plupart des maîtres sont ecclésiastiques, sinon ils doivent être approuvés

par une autorité religieuse suivant leurs connaissances religieuses (Ponteil, 17). Leur but

est donc de former de bon Chrétiens. Le pouvoir de cette Église catholique se voit à

travers sa lutte contre l’enseignement protestant. L’école devient « l’un des moyens

essentiels » pour le développement du protestantisme grâce à l’Édit de Nantes, qui

reconnait la liberté de culte aux protestants (Ponteil, 11). Pour protester ce fait, l’Église

décide au concile de Trente que dans chaque église, ville ou campagne, il y aurait une

école où le maître serait choisi par l’évêque. En réponse, plusieurs congrégations

protestantes féminines et masculines se sont formées. Mais avec la révocation de l’Édit

de Nantes, « les écoles catholiques remplacent les écoles protestantes dont la fermeture a

été décidée » (Ponteil, 11). L’Église reconnait donc le rôle important de l’école dans la

formation et la propagation de certaines idéologies aux enfants français.

À travers cette école se reflètent les systèmes de pouvoir. Une déclaration royale

le 13 décembre 1698 fait entendre la fréquentation obligatoire de tout élève en France

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(Ponteil, 12). En 1724, une autre déclaration rend obligatoire l’instruction de dimanche et

des jours de fêtes aux élèves entre 14 et 20 ans, et elle met en place un système pour

assurer la fréquentation des élèves à l’école : « Les procureurs du roi et les seigneurs

hauts justiciers devraient se faire remettre chaque mois l’état exact des enfants qui

n’iraient pas à l’école afin d’engager des poursuites contre les parents » (Ponteil, 12).

L’Église et la Monarchie sont donc mutuellement impliquées dans l’enseignement des

sujets français. Ce contrôle se fait à travers la communauté et les parents d’élèves, qui

doivent chacun certaines obligations à l’Église. Les communautés sont chargées de créer

les écoles et de les financer. Les parents, de leur coté, « n’ont pas le droit de se dérober à

la présence de leurs enfants dans les dites écoles » (Ponteil, 18). Ces systèmes

d’obligations assurent le pouvoir de l’Église dans toutes les régions.

Cependant, en réalité, il y a beaucoup de variances, et les écoles reflètent souvent

le niveau socio-économique des communautés. La géographie, par exemple, joue un rôle

important, et les grandes différences de concentration de population entre la ville et la

campagne créent des discordances assez fortes. Dans les régions à forte densité scolaire,

comme les provinces du nord, la Normandie, l’Alsace, la Lorraine, la Champagne, la

Bourgogne et la Franche-Comté, il y a un plus grand nombre d’écoles et le niveau

académique est plus élevé, tandis que l’analphabétisme est très répandu dans le reste du

pays, « trop souvent, seul le curé sait lire et écrire » (Ponteil, 10). De plus, la

fréquentation scolaire diffère aussi en fonction de la géographie. En ville, la fréquentation

est constante, tandis qu’en campagne, elle suit les saisons et la récolte prend le dessus sur

l’éducation. Par ailleurs, il existe des différences entre le niveau et la qualité de

l’éducation des classes aisés et du tiers-états. Les élèves pauvres sont souvent retirés de

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l’école pour apporter des revenus à leurs parents. Puis, certaines communautés ne

peuvent pas toujours se permettre de maître de qualité. Il existe, pendant ce temps,

certaines aides financières pour ces élèves. Mais il est sous-entendu que l’enfant de

bourgeois reçoit une meilleure éducation que l’enfant pauvre :

Il est admis que le fils du peuple ne doit pas voir s’ouvrir trop largement la voie de la connaissance. L’instruction ne risque-t-elle pas de tarir la classe des paysans et celle des laquais et de répandre les idées révolutionnaires ? Diderot traduisait ce point de vue paraphrase : ‘Le grief de la noblesse se réduit peut-être à dire qu’un paysan qui sait lire est plus malaisé à opprimer qu’un autre.’ (Ponteil, 37).

L’éducation d’un élève dépend donc de son statut social.

Finalement, il n’y a évidemment pas d’égalité des sexes. Les filles et les garçons

sont éduqués séparément puisque « l’Église interdit la coéducation des garçons et des

filles » (Ponteil, 13). Les filles souffrent beaucoup plus des divisions socio-économiques.

Le collège secondaire est réservé aux garçons, tandis que le couvent reste une des seules

options pour les « filles de qualité ». La mentalité du temps repose sur l’idée que la

femme existe pour réaliser son rôle de femme et de mère, donc la scolarité pour les filles

est souvent orientée vers les connaissances et les aptitudes de ces rôles. À la veille de la

Révolution, l’école française reflétait donc le pouvoir que l’Eglise et la Monarchie

avaient, ainsi que la hiérarchisation de la société et les inégalités que celle-ci créait.

La ‘modernisation’ du peuple français

Ce n’est pas avant la Troisième République que l’État commence à réellement

réformer l’école. Dans Peasants into Frenchmen, l’historien américain Eugene Weber se

concentre sur la démocratisation du peuple rural en France au 19ième siècle. À travers son

analyse de cette population, Weber soutient que malgré la Révolution, la plupart des

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Français, c’est-à-dire les paysans vivant en compagne, n’étaient pas réellement français

au 19ième. Ancré dans son contexte local et régional, le paysan n’avait aucun intérêt à être

français. Weber illustre ceci à travers des analyses des conditions socio-économiques,

politiques, ainsi que linguistiques de ces paysans.

Selon Weber, la condition socio-économique des paysans du 19ième siècle créait

des communautés insulaires qui ne s’identifiaient pas avec la nation. Le paysan du 19ième

siècle vivait dans des conditions de misère (logement modeste, mauvaises conditions

sanitaires, malnutrition, etc.) dû au fait que les méthodes et technologies agricoles

manquaient de développement. Par ailleurs, les structures nécessaires dans ces endroits

(les hôpitaux, les routes et les écoles) étaient rares ou absentes. La vie du paysan était

donc courte et difficile. Par conséquent, la famille et la communauté proche étaient les

piliers de la société. Les coutumes et les traditions de ses populations étaient donc

conçues pour assurer que leurs biens restent près d’eux, comme par exemple avec le

mariage endogame. Par ailleurs, les conditions de travail couplées avec le pauvre état des

écoles pendant ce temps voulait dire que beaucoup de ces paysans étaient analphabètes et

parlaient en fait une langue régionale. Le paysan français, qui menait une vie très

localisée, ne se sentait alors pas ‘français’ comme nous le concevons de nos jours puisque

il n’avait pas d’intérêt national dans sa vie quotidienne. En fait, la participation politique

des français était stratifiée par la classe-économique. Exceptant les impôts et le service

militaire, le paysan se mêlait rarement de la politique : “Politics were for nobles and for

the bourgeois… social divisions were marked between those who had and those who had

not, between those who owned land and those who rented it… Inevitably, wealth affected

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political alignments” (Weber, 243-245). Peu avait donc changé depuis la Révolution, qui

avait justement eu l’intention de déstabiliser ces iniquités.

Jules Ferry et la troisième république

À la vielle de la Troisième République, d’après Weber, tout cela a commencé à

changer grâce à une modernisation en deux parties. D’abord, il y eu le côté matériel avec

l’arrivée du chemin de fer et l’avancement technologique. Grâce à l’électricité et aux

nouvelles techniques agricoles, le paysan est devenu moins victime des cycles agricoles,

et son travail est devenu plus faisable. Puis, l’amélioration des routes et la création de

nouveaux chemins de fer ont formé une nouvelle classe d’artisans qui pouvaient se

déplacer pour vendre leurs produits. Par conséquent, “roads, markets, goods, and jobs

became part of the national whole and dependent on national developments” (Weber,

242). La modernisation technologique a créée une économie plus nationale au niveau

agriculturel.

La deuxième partie de cette modernisation n’était pas économique, mais politique.

Dans son ouvrage sur L’École, l’Église et la République, l’écrivaine Mona Ozouf

contextualise la situation politique de 1871 à 1914. Vers la fin du 19ième siècle, presque

cent ans après la Révolution, il existe encore des tensions entre l’Église et l’État. Ozouf

contextualise ce climat en examinant non seulement les actions politiques du

gouvernement français, mais aussi le débat lui-même, qui était mené par de nombreux

journalistes, hommes politiques et hommes religieux. À ce moment, « les dangers d’une

restauration monarchique, soutenue par l’Eglise, sont encore trop proches pour ne pas

hanter les républicains [qui parviennent] au pouvoir » (Ozouf, 55). Par conséquent, il

existe parmi ces républicains français « la terreur du suffrage universel mal éduqué »

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(Ozouf, 32). Sous la monarchie, le peuple français avait été gardé ignorant pour « souffrir

et obéir » (Ozouf, 35) tandis que les nobles et le clergé avaient été instruits. Cette

ignorance est donc devenue « l’adversaire à réduire » (Ozouf, 35) et le parti républicain a

très vite lancé une « campagne contre l’ignorance » (Ozouf, 34). Dès lors, l’école devient

très vite l’outil premier de la propagation de la République puisque « les bons lecteurs

feront les bons électeurs » (Ozouf, 104). Le 19ième siècle avait vu des réformes

importantes par rapport à cette institution – la loi Guizot en 1833 avait assuré la liberté de

l'enseignement primaire, et la loi Falloux en 1850 celle de l'enseignement secondaire –

mais comme nous l’avions vu à travers l’analyse de Weber, les conditions faisaient en

sorte que tout le monde ne bénéficiaient pas de l’école.

C’est alors que le parti républicain s’unit autour de trois idées : « gratuité,

obligation, laïcité » (Ozouf, 35). Entre en scène Jules Ferry, homme politique français qui

est souvent nommé le « père de la laïcité» (Ozouf, 150). Au cours d’une dizaine d’années,

les lois de Jules Ferry rendent l’école gratuite et obligatoire à tout le peuple français et

mandatent la construction de plus d’écoles pour réaliser ce but. Au même moment se

déroule la guerre franco-allemande de 1870, qui se conclut en 1871 avec la perte du

territoire français l’Alsace-Lorraine. Cette défaite est profondément ressentie par l’État et

le peuple français. La France, déjà sous attaque intérieurement par la droite catholique

absolutiste, est maintenant en danger internationalement. Selon Ozouf, ceci mène à une

résurgence de nationalisme et de patriotisme. Le patriotisme devient alors une partie

intégrale du programme français. En plus des études sur la science et le raisonnement

(qui s’opposent à la religion), on propose « plus de géographie, langue et littérature

française, langues vivantes" (Ozouf, 25). D’après Ozouf, « c’est donc le patriotisme qui

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donne à l’enseignement laïque sa véritable unité… Avec l’amour de la patrie, les

républicains espèrent qu’il réconciliera les générations et unifiera la France. En attendant,

il unifie tous les enseignements donnés à l’école » (Ozouf, 112-113). Le programme

français scolaire, qui est maintenant obligatoire et gratuit, s’unifie donc autour de la

nation républicaine et se standardise partout en France.

Le rôle de l’instituteur devient alors imprégné de symboles. En effet, comme

l’illustre Ozouf à travers son travail, le portrait de l’instituteur parfait est la fixation de la

presse française à la fin du 19ième siècle. À cause de la grandeur du projet de Ferry, les

instituteurs « sont devenus les chefs et les porte-drapeau de la libre-pensée ; ils ne mettent

plus le pied à l’Eglise ; ils affectent de travailler le dimanche » (Ozouf, 129). L’instituteur

prend donc un rang beaucoup plus important et l’État essaie « d’anoblir » sa position en

lui donnant un plus haut salaire. Mais cette importance a un prix, et l’instituteur est

surveillé de très près. Il devient un personnage « irréprochable que rêve la presse

modérée, que tente de forger la presse spécialisée… conseiller irremplaçable, ce sage, en

même temps qu’un pédagogue averti, un modèle de vie frugale et modeste » (Ozouf, 128).

L’instituteur est au centre des débats sur l’école, la République et la France, ce qui cause

une sorte d’arme à double tranchant : d’un côté, son rang élevé, de l’autre son énorme

responsabilité.

Cette problématique se retrouve bien plus tard dans quelques scènes d’Entre les

Murs. D’abord, à travers les interactions entre Souleymane, M. Marin et le directeur de

l’école, nous voyons que le respect dû aux professeurs est toujours présent de nos jours,

M. Marin réprimande Souleymane à plusieurs reprises pour ne pas l’avoir vouvoyé, puis,

plus tard, le directeur admoneste Souleymane parce qu’il s’est assis sans en avoir eu

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permission. Plus d’un siècle après les débats journaliers sur l’école de Ferry, les règles à

l’école inculquent un certain respect de l’autorité et de l’importance de l’instituteur, qui

continue à représenter la République et l’État français. Puis, le poids de la responsabilité

que ressentent les professeurs français peut se voir à travers les scènes dans la salle des

professeurs. À plusieurs reprises, le film montre des professeurs exaspérés, frustrés de ne

pas pouvoir atteindre les élèves. Ce n’est pas surprenant quand on prend en compte le

poids de leur tâche.

Certains se méfiaient bien de la nature militante de ce républicanisme. La presse

de droite questionnait d’abord à la base l’idée d’une morale sans Dieu. Puis, plus

profondément, elle se méfiait de « l’enseignement laïc, suspect à son libéralisme

d’étroitesse et de dogmatisme. » (Ozouf, 179). Mais, cette droite, en se plaçant du côté de

l’Eglise catholique s’est, selon la presse, « imprudemment liée au dernier assaut contre la

République » (Ozouf, 53). Deux évènements majeurs ont envoyé la France

irrémédiablement du côté de la laïcité. L’Affaire Dreyfus a grandement capté le pays.

L’affaire s’est déroulée autour de la fausse accusation du Capitaine Alfred Dreyfus qui

était de confession juive, sous prétexte de trahison. Cette affaire commence en 1894 mais

s’expose très vite au public français avec la publication de l’article fameux de l’écrivain

Émile Zola, « J’accuse… ! », qui accuse la République d’antisémitisme et de

déraillement de la justice. L’Affaire « révèle la solidarité des professeurs, des instituteurs,

des écrivains, de tous ceux qu’ [on] baptise alors ‘les intellectuels’, avec la cause de la

justice, et par-delà, de la République » (Ozouf, 174). L’antisémitisme et le manque de

justice de l’Affaire récolte donc plus de soutien pour un gouvernement laïc et

Républicain. En même temps, l’année 1889 voit la naissance du Boulangisme, un

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mouvement mené par le général Boulanger, d’un parti républicain radical et de l’autre

monarchiste, qui menace la troisième République. Ceci mène à un déplacement important

des opinions publiques en ce qui concerne la laïcité. Le 12 Novembre 1890, le Cardinal

Lavigerie, archevêque d’Alger tient le ‘Toast d’Alger’ où il fait « une condamnation du

boulangisme, et une exhortation à accepter patriotiquement la République, même si le

cœur n’y est guère, puisqu’aussi bien la volonté du peuple s’est nettement prononcée »

(Ozouf, 153). Suivant cette déclaration, en 1892 un des partis catholiques se rallie,

suivant les conseils du pape Léon XIII, à la République. La République, ayant récolté le

soutien d’une partie de son opposition, adopte donc en 1905 la loi de la séparation de

l'Eglise et de l’Etat. La Troisième République a donc pu réaliser ses trois idéaux à

l’école : la gratuité, l’obligation et la laïcité.

La langue française à l’école

Mais la formation des bons citoyens français à l’école ne s’est pas faite aussi

facilement que ces deux ouvrages le suggèrent. Dans Parler Croquant, Claude Duneton

analyse l’enseignement de la langue française à travers ses propres expériences en tant

que locuteur de l’occitan. Son analyse révèle de grands manques de cohérence dans

l’esprit des réformes éducatives du 19ième et 20ième siècle en France et la façon dont elles

ont été exécutées. Il soutient, comme l’a noté Weber, que la majorité des Français ne

parlaient pas le français mais des langues régionales. Avec la Troisième République et la

nouvelle importance de l’école est venu l’enseignement standard de la langue française.

Selon Duneton, ceci a eu de grandes conséquences.

Duneton commence son analyse en dénonçant la catégorisation de l’occitan en

tant que patois. Le fait de le dénoter de cette manière a des connotations fortes: « une

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langue est un dialecte qui a réussi, un patois est un dialecte qui s’est dégradée » et puis «

un patois est une forme abâtardie ou non évoluée d’une langue » (Duneton, 14-15). Mais,

l’année où Duneton écrit son livre, l’occitan est parlé par plus de 15 millions de Français.

Ce ‘patois’ est en fait une langue d’une tradition littéraire riche qui a des règles de

grammaire à l’oral et à l’écrit. Et l’occitan n’est pas seul dans son infériorisation, toute

langue régionale, (le breton, le catalan, le corse par exemple) étaient mis dans la même

catégorie. Bref, l’Etat reconnaissait seul le français comme langue légitime, au détriment

de la majorité de la population française qui parlait une autre langue.

Mais si la plupart des français ne parlaient pas la langue à la fin du 19ième siècle,

d’où vient la langue que nous reconnaissons aujourd’hui comme le français ? Le français,

depuis plusieurs siècles, était en fait la langue de la cour Royale. Toutes les affaires du

Roi étaient conduites en français. Avec la création de l’Académie française en 1635, qui a

été fondée par le Cardinal Richelieu, le français était lié aux beaux arts et loisirs de la

monarchie. Pendant ce temps, il y avait un mouvement de ‘puristes’ qui insistaient sur la

pureté de la langue françaises et la perpétuité de la langue et la culture française. Duneton

se méfie de ce purisme, notant que « Hitler aussi aimait sincèrement les arts il n’y a pas si

longtemps ! Lui aussi voulait faire de la littérature allemande la première d’Europe… et

qu’elle soit pure ! » (Duneton, 55). Mais avant la fin du 19ième siècle, les affaires du

peuple, bien qu’elles soient officiellement documentées en français, étaient conduites de

façon bilingue pour prendre en compte les différences régionales. C’est avec la

Révolution que la rhétorique a changée de ton:

Il faut rappeler, en effet, que la Révolution a été faite dans un esprit de centralisation à outrance, dirigée de Paris, dans le but d’unifier le pays et de rallier l’ensemble des Français aux idées humanitaires de la Déclaration des droits de l’homme. Il faut comprendre également que pour les gens de

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1789, loin d’apparaître comme un héritage de l’Ancien Régime, la langue française était avant tout celle des philosophes du XVIIIème, et des encyclopédistes en particulier. Elle portait donc l’esprit de la Révolution et il convenait de la protéger à tout prix contre toute dégradation possible (Duneton, 75).

Le français était la langue de Rousseau, Voltaire et de Montesquieu, et elle portait la

vision humanitaire et égalitaire de la Révolution. À la veille de la Troisième République,

le français contenait symboliquement l’héritage de la Révolution et de la République, et

non pas celui des nobles et du Roi.

Mais, à travers une analyse linguistique, Duneton soutient que la langue

française serait restée essentiellement une langue aristocratique. Pour ancrer cette analyse,

il cherche à déconstruire le « génie » de la langue française, c’est-à-dire les règles sous-

entendues d’une langue. Duneton fait ceci en la comparant avec l’anglais, puisque il a lui-

même été professeur d’anglais. À travers ces analyses, il trouve que la langue française

favorise les longs mots et les notions abstraites (‘se promener’ contre ‘to take a walk, ride,

drive’). Mais cette abstraction ne s’applique qu’en ce qui concerne la vie quotidienne ; il

y a par exemple plus de 40 mots pour désigner des bijoux tandis que le vocabulaire pour

désigner le travail dans le jardin est moins varié. Le ‘génie’ de la langue française est

donc celui d’une « formation aristocratique… la langue française a été faite par des

bourgeois, elle est bourgeoise – elle a tendance à nous obliger à penser bourgeois »

(Duneton, 81). Cet aspect fixe de la langue est soutenu par l’académie française, qui se

charge de normaliser la langue et de respecter son génie. La langue n’a donc pas

beaucoup changé depuis le temps de la cour royale.

Malgré l’objectif égalitaire et républicain de la francisation, l’enseignement du

français a donc en fait légiféré une sorte d’aristocratisation du peuple, soutient Duneton.

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C’est en 1832 que « l’orthographe de l’Académie [soit devenue] orthographe d’État »

(Ozouf, 77), mais ce sont « les lois de 1881, avec la création de l’enseignement

obligatoire, qui ont apporté le français chez [les paysans] » (Ozouf, 18). En enseignant le

français aux millions de paysans qui vivaient en France mais qui ne parlaient pas la

langue, « il fallait transformer profondément nos habitudes de penser, notre façon de

sentir, de devenir légers, ouvrir la bouche, tendre le mollet, apprendre l’art du baise-main

dialectique, rouler la métaphore, crisper les orteils, bref, nous franciser ! » (Duneton, 194)

Toute langue autre que le français était bannie à l’école. L’occitan et toute langue non-

française était laissés « au portail, on le reprenait à la grille en sortant, c’était la règle »

(Duneton, 22). Le programme de français a été standardisé – tous les Français partout en

France apprenaient la même chose. L’instituteur, comme on l’a déjà noté, « représentait

la France, tout simplement : la culture, le pouvoir, en un mot la civilisation. » Le français

pendant la troisième République était donc devenu le signe ultime du programme

républicain en dépit de son origine aristocratique.

Ceci a des conséquences énormes, soutient Duneton. Ce français aristocratique

contredisait les expériences des citoyens français qui l’apprenaient dès son arrivée à

l’école au 19ième siècle. À cause de sa nature fixe et bourgeoise, elle ne pouvait pas servir

les besoins de l’expérience quotidienne du peuple. Duneton donne pour exemple le fait

que le ‘e muet’ ne pouvait pas se faire entendre de l’autre côté d’une ferme. Par

conséquent, pendant plusieurs années, le peuple a continué à parler sa propre langue à la

maison. Mais les instituteurs du temps de Jules Ferry étaient strictes et sévères. En

utilisant des méthodes de punition corporelle ainsi que des tactiques d’humiliation, la

première génération a très vite dû s’adapter à la langue française. Par la suite, ceci a mené

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à la création d’un français parlé, par opposition au français appris à l’école. Mais, comme

le souligne Duneton, le fossé entre ce français parlé par le peuple et celui appris à l’école

n’a pas cessé de s’agrandir.

Effectivement, dans Entre Les Murs nous voyons ces problématiques très

clairement dans la classe de M. Marin. Dans une scène particulière du film, M. Marin fait

une leçon de conjugaison à la classe :

M. MARIN – Est-ce que quelqu’un peut me donner un exemple de l’imparfait du subjonctif. [Khoumba lève la main et la classe éclate de rire]. J’y crois pas Khoumba, je t’écoute. KHOUMBA – Attendez, je crois que je vais me tromper. M. MARIN – Bah oui je crois aussi. KHOUMBA – Je fusse. M. MARIN – Je fusse ? Bien sur, du verbe ‘fusser’. Je fusse, tu fusse. ESMERALDA – fûmes ! KHOUMBA – Non ! Je fusse, nous fussions, vous fussiez, ils fussent… [rire] M. MARIN – Bon alors… c’est pas si bête, c’est pas si bête. Tu as retenu une vague des terminaisons de l’imparfait du subjonctif. M. Marin explique l’imparfait du subjonctif ESMERALDA – Mais vous croyez vraiment que je vais aller voir ma mère et lui dire ‘il fallait que je sois fusse…’ qu’est-ce qu’elle va comprendre ? M. MARIN – attends, d’abord apprends la phrase, ce n’est pas ‘il fallu que je sois fusse…’ mais ‘il fallait que je fusse’ ESMERALDA – Oui mais ça se dit pas dans la vie, je sais pas…

La réaction des élèves révèle un fossé très clair entre la langue parlée chez eux et la

langue écrite. Le fait qu’Esmeralda fasse référence à sa mère est important. Dans son

analyse, Duneton souligne les fortes charges affectives de la langue maternelle. Selon des

études de l’apprentissage des langues, la deuxième langue « sera toujours perçue, ne

serait-ce même qu’inconsciemment, plus ou moins comme une langue étrangère »

(Duneton, 28). Si la langue apprise à l’école diffère aussi fortement de celle parlée à la

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maison, le français a été pour cette première et deuxième génération une langue étrangère.

Et comme cette langue française ne s’adaptait pas à la vie quotidienne de la plupart des

français, elle est restée deuxième langue pendant plusieurs générations. La scène

continue :

M. MARIN – attendez, si je peu me permettre de répondre… [la classe est en chahut] Est-ce que je peu répondre à la question qui m’est posée !... La première chose que je constate c’est qu’avant même de maitriser un savoir, en l’occurrence l’imparfait du subjonctif, vous êtes déjà en train de me dire que ça sert à rien. Commencez par le maitriser et après vous pourriez remettre en cause le fait que l’on l’utilise. ANGELICA – C’est que, ils ont raison parce que c’est pas pareil que le langage de maintenant. Excusez moi mais ça c’était avant, même ma grand-mère elle parlait pas comme ça. BOUBACAR – Même ton arrière-grand-père il disait pas ça. Et voila ! C’est dans le Moyen Age ça ! M. MARIN – Mais non c’est pas dans le Moyen Age BOUBACAR – Mais si, bien sur que si.

Dans cet extrait, nous pouvons retrouver certains éléments de l’analyse de Duneton. En

effet, si nous prenons en compte les statistiques que Duneton nous donne à propos des

locuteurs de la langue française, il est probable que les arrières grands-parents d’Angélica

ne parlaient pas le français. Par ailleurs, au Moyen Age, il était encore moins probable

qu’un Français parle français. Mais ces déclarations ironiques révèlent plus fortement le

fait que les élèves se sentent déconnectés de la langue qui est valorisée à l’école. En effet,

Duneton note lui même que « les enfants d’aujourd’hui tendent à éprouver notre chère et

vieille culture comme transmise dans un idiome tellement lointain qu’il leur devient

inaccessible » (Duneton, 257). De plus, le conseil que donne M. Marin (« Commencez

par maîtriser [le français] et après vous pourriez remettre en cause le fait que l’on

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utilise ») est futile, puisque l’académie française fixe la langue selon son génie. La nature

de ce génie est claire aux yeux des élèves :

KHOUMBA – C’est les bourgeois ! ANGELICA – Dites moi c’est quand la dernière fois que vous avez entendu parler quelqu’un comme ça. M. MARIN – Hier, hier avec des amis on utilisait bien l’imparfait du subjonctif. BOUBACAR – Mais quelqu’un de normal ? On va pas se mettre à dire ça, des gens de la rue, on va pas se mettre à dire ça. M. MARIN – D’accord… [il essaie de calmer la classe] Est-ce que je peux répondre ?... Effectivement, bon, c’est vrai que tout le monde ne parle pas de cette façon là et même ils sont assez rares les gens qui parlent comme ça, là je te l’accorde, c’est même plutôt je dirai des gens, des gens snobs qui utilisent l’imparfait du subjonctif, plutôt. ANGELICA – Euh, ça veut dire quoi snob ? M. MARIN – snob c’est les gens souvent un peu, tu sais un peu maniérés, un peu précieux, qui parlent avec des manières, comme ça… BOUBACAR – les homosexuels ? [La classe éclate de rire] M. MARIN – non, pas les homosexuels… on peut être maniéré et avoir le sens du raffinement sans être pour autant homosexuel. En tout cas moi ce que je retiens, on peu trouver le registre soutenu, un peu maniéré, que ce soit un truc de bourgeois, c’est bien…

Au 21ième siècle, l’aspect bourgeois de la langue française reste transparent, mêmes aux

yeux des élèves d’une classe de 4ième. Même M. Marin, qui est sensé être le « porte-

drapeau » de la République, doit admettre que « tout le monde ne parle pas de cette façon

là et même ils sont assez rares les gens qui parlent comme ça ». Mais il se rattrape en

expliquant qu’il existe différents registres de la langue :

M. MARIN – L’importance c’est de mesurer le fait qu’il y a plusieurs registres, comme je vous le répète et vous le dit toujours, et que je vous le répèterai souvent et savoir alterner entre différents registre entre le familier, le courant, le soutenu, entre l’oral et l’écrit… et tout maitriser… [Lucie lève la main] Oui, Lucie. LUCIE – Mais comment on sait si c’est à l’écrit, si c’est à l’oral.

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M. MARIN – Comment on sait quand il faut utiliser un mot plutôt à l’oral ou à l’écrit ? Bon bah ça c’est des choses normalement qui, bah, qui s’apprennent comme ça sur le tas, j’ai envie de dire. Uhh, pour ça il faut se servir un petit peu de l’intuition. ANGELICA – C’est quoi l’intuition ? M. MARIN – C’est quoi l’intuition… ben l’intuition c’est quand on peut pas vraiment se servir de la raison, quand on peu pas vraiment, c’est pas une histoire de savoir ou pas savoir, c’est une question de sentir les choses, ça se sent. Voilà, l’intuition c’est une question de sentir les choses. ANGELICA – Et si on le sent pas ? M. MARIN – Si on sent pas, eh bien on, comment dire, l’intuition ça peut s’acquérir en pratiquant beaucoup la langue, c’est à ce moment là qu’on apprend à distinguer bien mécaniquement ou naturellement entre l’oral et l’écrit.

Cet échange peu rassurant révèle les subtilités profondes de la langue française. Ces

‘registres’ sont nombreux ; Duneton en nomme au moins cinq : le soutenu, le familier, le

populaire, l’argotique et le vulgaire (Duneton, 159). Ceci a des conséquences majeures,

soutient-il. D’abord, le fait d’avoir plusieurs registres qui sont difficiles à gerer, comme

nous le voyons dans cette scène, divise le peuple français : « [La langue française] est

clivée ; il faut choisir : ou bien le récit du général, ou bien celui du sous-lieutenant. Alors,

pour éviter de choisir et à cause d’une tradition vieille de trois siècles, on utilise la langue

du général – la langue française écrite » (Duneton, 177). Cette citation illustre l’autre

aspect important de ce problème, c’est-à-dire la hiérarchisation de la langue. Comme la

maitrise du français soutenu est le marqueur d’une classe supérieure, la langue française,

langue soi-disant républicaine et égalitaire, reflète en fait des différences de classe. « Les

statistiques de l’Unesco faisaient ressortir, il y a quelques années, que notre pays venait

en réalité à l’avant-dernier rang en Europe pour la lecture, loin derrière l’Italie, et juste

avant le Portugal où l’alphabétisation n’est pas complète pour les raisons politiques que

chacun connaît » (Duneton, 259). L’hiérarchisation de la langue française a donc des

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conséquences graves sur les taux d’alphabétisation des Français. À travers son analyse de

l’enseignement de la langue française, Duneton met alors en avant une crise

de l’enseignement français qui ne fonctionne pas comme il le devrait, comme nous le

voyons dans notre analyse du film, Entre Les Murs.

Mai 68’ : la révolte des étudiants

Source: BnF: Bibliothèque Nationale De France. May 1968.

La crise de l’enseignement français n’est pas nouvelle. En Mai 1968, la situation

est devenue critique avec la révolte des étudiants des universités parisiennes qui a mené à

la plus grande grève générale en France. Ces événements avaient bien-sûr un contexte.

Cette décennie avait vu la guerre au Vietnam, la Révolution en Chine, le mouvement des

droits civils aux E.U., etc. La population globale vivait tous les jours les grandes idées de

l’anti-impérialisme, de l’anticapitalisme, de l’anticolonialisme et du tiers-mondisme.

C’est à travers ce contexte que la révolution de Mai 1968 a pu naître. Pour mieux

comprendre ces évènements en relation avec l’école et l’Etat, nous allons nous concentrer

sur les révoltes des étudiants, qui étaient la première partie du mouvement. En 1968, le

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journal Esprit publie un numéro à plusieurs voix sur les évènements de Mai 68, écrit par

des étudiants d’Universités françaises. Selon cet ouvrage, ce serait l’élan des

mouvements globaux qui s’est « brusquement converti sur des problèmes français »

(Vidal-Naquet, 1049). Ces analyses font remonter à la surface les problèmes profonds de

la République. Le fait que cette Révolution commence à l’école en dit long sur

l’importance et la centralité de cette institution à la nation française. À travers ce texte,

nous pouvons voir plusieurs aspects du système qui, selon les étudiants du mouvement,

ne fonctionnent pas.

À la base, le mouvement de Mai 68 voulait remettre en cause un système qui avait

été fait par le haut et qui ne semblait pas représenter les intérêts du peuple. Ce système,

qui se voulait républicain et égalitaire était en fait « autoritaire et paternaliste » (Esprit,

962) et avait crée une bureaucratie qui était « lourde et inefficace ». Il mettait « les

hommes en position d’esclaves à l’égard de l’ensemble des pouvoirs, des structures et des

rapports hiérarchiques qui leur sont devenu étrangers » (Ricoeur, 987). En entreprenant

« de refaire par le bas tout ce qui avait été fait par le haut » (Esprit, 962), les étudiants

espéraient que le système passe « d’une politique abstraite et récriminant à l’articulation

de besoins réels » (Esprit, 965). En tout, le système ne marchait pas parce que ceux qu’il

servait n’avaient pas de voix et de façon d’articuler ce dont ils avaient besoin.

Pour les étudiants universitaires de Paris, ces problèmes se ressentaient très

clairement à l’école. À travers leurs révoltes et manifestations, les élèves luttaient contre

l’idée de l’Université en tant qu’ « instrument de conformité. L’Université ne doit pas

devenir une usine à produire des producteurs » (Esprit, 965). Ces étudiants critiquaient la

façon dont le système avait été conçu. Jusqu'à présent, le professeur transmettait un

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savoir fixe à l’élève, qui devait s’adapter à l’enseignement sans pouvoir lui-même y

participer. Comme l’a montré Duneton dans son analyse, ceci avait de graves

conséquences, puisque ce savoir ne pouvait pas s’adapter aux besoins réels du peuple. Si

l’école avait été créée pour faire de bons citoyens capable de penser et de voter selon leur

propre volonté grâce à cette éducation, comment un élève pouvait-il développer sa voix ?

Selon les étudiants de Mai 68, au lieu de cet idéal, l’école avait contribué à une société

hiérarchisée et cloisonnée qui se trouvait à tous les niveaux :

dans les rapports globaux entre les étudiants et leurs enseignants, dans les rapports à l’intérieur de l’Université entre les assistants et leurs patrons, et ce qui est vraiment extraordinaire, c’est que cela a fait exploser d’une certaine manière les rapports entre les ouvriers, surtout les jeunes ouvriers, et les directions syndicales (Vidal-Naquet, 1052)

En créent une hiérarchisation de pouvoir à l’école, la République avait reproduit une

société qui était elle aussi hiérarchisée.

À travers ce mouvement est né un nouvel idéal de l’enseignement. Au lieu d’un

système vertical et hiérarchisé, les élèves de Mai 68 demandaient des relations plus

horizontales. Ceci pouvait se faire à travers ‘l’auto-enseignement’:

Cette utopie ne doit pas être traitée à la légère ; elle exprime une exigence profonde et même une vérité importante : que l’enseignement n’est pas fait pour les professeurs mais pour les étudiants ; qu’être enseigné est un acte positif, une initiative à laquelle s’ordonne l’enseignement lui-même…La relation d’enseignement est plus véritablement un duel ; un affrontement est essentiel à l’acte commun de l’enseignant et de l’enseigné…L’enseignent fournit plus qu’un savoir (Ricoeur, 990).

Pour créer des relations égales, les universitaires demandaient des relations plus égales à

l’école. Mais ce mouvement n’était pas limité aux universités, les lycéens eux aussi ont

joint le mouvement, selon un article intitulé ‘La révolte des lycéens’ dans ce même

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numéro. En tout, la popularité du mouvement chez les étudiants partout en France a

révélé l’uniformité des problèmes à l’école.

Conclusion

En fin de compte, les analyses de ce chapitre révèlent que les méthodes du

système éducatif français ne prêtent pas aux valeurs républicaines. Les problèmes

contemporains de l’école française exposés par Entre Les Murs sont en fait présents

depuis la conception de l’école gratuite et obligatoire. À travers une analyse de la

Troisième République nous voyons comment l’école est au centre de la création de la

nation française républicaine. À cette époque, l’école est jugée nécessaire pour la création

du bon citoyen français. Le fait d’exiger l’éducation de tout Français est vu comme

central au programme républicain et à la mise en œuvre des valeurs de la Révolution

française.

Par extension, la langue française est mise en avant comme étant la gardienne de

cette tradition des Lumières et des philosophes. Mais, avant la Troisième République, la

plupart des français ne parlaient pas français, ne faisaient pas partie de l’économie

nationale et ne se sentaient donc pas français. L’école a eu pour mission de franciser la

France rurale. Selon Duneton, cette langue était non pas héritière d’une tradition

républicaine, mais d’une tradition bourgeoise qui a été assurée par la surveillance de

l’Académie française. Le français soutenu ne pouvait alors pas refléter la vie quotidienne

de la majorité des français aux 19ième et 20ième siècles, puisque elle était ancrée dans une

réalité bourgeoise qui n’était pas la réalité du peuple. Ceci a crée un fossé entre la langue

parlée du peuple et celle écrite à l’école. En favorisant cette langue au détriment des

autres langues et du français courant, l’école a donc éloigné une grande partie du peuple.

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En Mai 68, les inefficacités de l’école sont arrivées au centre des politiques

françaises avec la plus grande grève générale de la France moderne. Cette révolution a

commencé à l’école qui, selon les étudiants, était l’une des causes d’une société qu’ils

considéraient hiérarchisée et cloisonnée. Les étudiants ont remis en question d’abord les

relations inégales entre l’enseignant et l’enseigné, puis les modes de transmissions du

savoir qui n’était pas réciproques. En tout, l’école française reproduisait des relations

hiérarchiques qui ne pouvaient pas mener à une société égalitaire. La façon dont le

système éducatif français pense l’enseignement de la langue française et la construction

des relations de pouvoir à l’école actuellement ne sont donc pas propices aux valeurs

républicaines.

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CHAPITRE 2 : L’ECHEC DU PARTAGE

En 1789 la Révolution française choque le monde avec l’abolition de l’Ancien

Régime et la revendication des droits humains universels. À ce moment est née la

déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui affirme l’égalité de tous les citoyens

devant la loi. Cette déclaration résonne dans le monde entier et informera plus tard les

constitutions de plusieurs pays, y inclus les Etats-Unis. Mais, comme nous le savons bien,

les revendications de la Révolution ne se concrétisent pas immédiatement, et la France

subit plusieurs années de violence et de changements de régime. Dans notre premier

chapitre, nous nous sommes concentrées sur la Troisième République pour voir comment

s’est créée l’école républicaine. Pendant la Troisième République, l’école devient gratuite

et obligatoire pour mieux concorder avec les valeurs de la République et créer des

citoyens capables de participer au processus démocratique. Dans cette optique,

l’alphabétisation des français est essentielle pour que le citoyen français puisse

comprendre ses droits. L’apprentissage de la langue française et l’autorité du professeur

en classe deviennent alors les premiers vecteurs des valeurs de la République. Cependant,

notre analyse révèle l’aspect idéologique de cette instruction, qui est liée à la construction

de la nation. À ce moment, il existait déjà des tensions entre l’idéal que construisait la

République française et la réalité des expériences des élèves français. Malgré la devise de

la République (liberté, égalité, fraternité), la favorisation de la langue française écrite et

les modes d’instructions verticaux avaient tendance à encourager une société déjà

cloisonnée et inégale. À travers l’étude du film Entre les murs, nous avons vu que ces

tensions existent encore de nos jours. Cependant, aujourd’hui les enjeux ont changé ; la

France est en crise.

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Les droits culturels et le modèle classique de la citoyenneté

Selon les médias et la politique, à la fin du 20e siècle, cette crise est identitaire.

D’un côté, un grand nombre de citoyens français issus de l’immigration revendiquent des

droits de reconnaissance qui, selon eux, sont fondamentaux à la démocratie. De l’autre,

des médias et des politiciens sentent que ces réclamations sont contraires à l’esprit

républicain. Pour mieux comprendre les enjeux de ce débat, tournons nous vers l’ouvrage

de la sociologue et politologue française Dominique Schnapper, Qu’est-ce que la

citoyenneté ? Dans cet ouvrage, Schnapper explore les liens entre la citoyenneté et la

nation, et adresse la revendication de ce qu’elle nomme ‘les droits culturels’. Elle

commence son analyse en précisant d’abord les termes de la discussion: « Toute société

est par définition multiculturelle. Elle est formée de populations diverses par leur sexe,

leur milieu social, leur religion de pratique ou de référence, leur origine régionale ou

nationale » (Schnapper, 233). La citoyenneté, selon Schnapper, est un moyen de gérer

ces diversités culturelles. Cette citoyenneté est basée sur le principe de la liberté, ce qui

fait référence au premier article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui

stipule que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions

sociales ne peuvent être fondés que sur l’utilité commune ». En France, soutient

Schnapper, ces droits sont préservés à travers une séparation du public et du privé qui

serait liée d’un coté à l’importance d’une vie commune et de l’autre la liberté de

l’individu. Ces divisions se forment ainsi :

Au privé, la liberté des attachements ou des fidélités particulières, religieuses, ou historiques… Au public, l’unité des pratiques et des instruments de la vie commune, politiquement organisé autour de la citoyenneté… Par cette distinction entre le public et le privé, ‘républicains’ français et ‘libéraux’ américains s’efforcent de conjuguer l’égalité civile et politique des citoyens avec le respect de leurs attachements historiques ou

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religieux particuliers, d’assurer en même temps l’unité de la société par la citoyenneté commune et la liberté des individus dans leurs choix existentiels.

De cette façon, le citoyen peut vivre en commun avec les autres en gardant ce qui le rend

individuel. Selon les principes de la citoyenneté, « le multiculturalisme est donc un droit,

puisque la séparation du domaine public et du domaine privé est fondatrice de l’ordre

politique » (Schnapper, 233-234). À travers cette explication, nous voyons donc l’idéal

de l’État français pour gérer les différences, ce que Schnapper nomme la gestion

‘classique’ de la diversité.

Multiculturalisme ou communautarisme ?

Aux partisans de cette gestion classique de la diversité s’opposent les avocats du

multiculturalisme. Dans son ouvrage, Schnapper fait un sommaire bref des idées du grand

multiculturaliste américain, Charles Taylor. Selon lui, la notion classique de la

citoyenneté serait trop abstraite pour assurer une véritable démocratie puisque les

hommes ont un « besoin de voir connaître leur dignité non pas seulement en tant que

citoyens abstraits mais aussi en tant qu’individus concrets, porteurs d’une histoire et

d’une culture singulière » (Schnapper, 236). De plus, il critique la politique de

l’assimilation, qui aurait mené à des « abus… au nom des valeurs modernes » (Schnapper,

236). De même, il remet en question la soi-disant neutralité de l’Etat et les politiques

d’assimilations, notant le fait que l’État privilégie certaines modes culturels au dépit

d’autres, comme par exemple les fêtes nationales ou la langue officielle.

Néanmoins, Schnapper s’oppose à ces idées en exposant ce qu’elle voit comme

étant leurs dangers. Selon Schnapper, la reconnaissance officielle de la particularité des

individus mènerait à la reconnaissance des communautés particulières, comme c’est le

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cas aux Etats-Unis avec les communautés noires et indiennes. Elle résume ce processus

par le terme ‘communautarisme’ et souligne que ceci aurait plusieurs risques.

Premièrement, le communautarisme risque d’être contradictoire à la liberté des individus

(Schnapper, 237). Elle affirme :

l’existence de droits particuliers, [le communautarisme] risque d’enfermer les individus dans leur particularisme, de les assigner à un groupe à l’encontre de leur liberté personnelle et de leur possibilité d’échanges avec les autres…La société moderne n’est pas formée de groups juxtaposés auxquels ‘appartiendraient’ les individus, mais de personnes dont les rôles sociaux sont multiples. (Schnapper, 237)

Reconnaître des groupes particuliers risquerait d’empiéter sur la liberté d’association de

l’individu, qui a la possibilité de s’associer à plusieurs groupes selon ses désirs. De plus,

soutient Schnapper, la formation des groupes déséquilibrerait la société 'moderne’, qui est

conçue en deux parties : la nation et le citoyen. Deuxièmement, le communautarisme

risque d’empêcher l’intégration sociale et de mener aux « replis des individus sur leur

communauté d’origine au lieu de leur donner les moyens de la dépasser et d’entrer en

relation avec les autres » (Schnapper, 238). Les groupes culturels, selon Schnapper,

seraient les produits d’une « construction historique », et de les reconnaître servirait à les

faire exister de manière « permanente » (Schnapper, 238). Idéologiquement, le

communautarisme semble donc déséquilibrer la relation entre les droits de l’homme et la

vie commune.

Ce n’est pas la première fois que l’on emploie le terme du ‘communautarisme’.

Le 5 février 2004, l'Institut d'études politiques de Paris (Sciences Po) tient un colloque

intitulé « Le Communautarisme : vrai concept et faux problème ». Pendant ce colloque,

sociologue, philosophe et professeur français, Shmuel Trigano, présente ‘Les non-dit du

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débat français sur le communautarisme’. Selon Trigano, le terme de ‘communautarisme’

apparaît dans le débat politique français vers le milieu des années 1980 (Trigano, 61).

Mais tout de suite, Trigano dénonce son emploi, disant que son usage est avant tout

« polémique ». Cette notion, selon Trigano,

s’inscrit dans la logique binaire si typique du discours idéologique, qui fait que le terme de communautarisme ne se voit jamais défini en soi mais du point de vue de son autre… Il désigne toujours l’envers du bien sur un axe bipolaire opposant universel à particularisme, égalité à différencialiste, unité à multiplicité, devoir à droit, loi à privilège, public à privé, nation à corporatisme, Lumières à intégrisme, modernité à tradition, citoyenneté à ethnicité… (Trigano, 61)

Le communautarisme ne se définit donc pas par lui-même, mais par son opposition à la

notion classique de la citoyenneté et aux valeurs républicaines. Par conséquent, le

communautarisme reste un terme figé dans sa connotation péjorative. Il est alors employé

avant tout, soutient Trigano « par ses contradicteurs », mais « jamais par ceux qui sont

censés en être les adeptes qui se définiraient plutôt par le terme de ‘multiculturalistes’ »

(Trigado, 64). Le communautarisme est donc un terme idéologique plutôt que pratique.

En effet, nous voyons ces idéologies en jeu dans les solutions que propose

Schnapper. Elle se tourne alors vers un auteur qu’elle juge ‘modéré’, Will Kymlicka, un

multiculturaliste canadien. Celui-ci présente deux conditions pour que les droits culturels

fassent leur place dans la société française. La première condition est que l’individu soit

libre d’entrer ou de sortir d’un groupe particulier sans être « autoritairement assigné » à

en faire partie (Schnapper, 239). Ceci répond à la peur de Schnapper en ce qui concerne

la possibilité d’enfermer un individu dans son particularisme. La deuxième condition est

qu’on :

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ne doit reconnaître que des cultures qui ne comportent pas de traits incompatibles avec les droits de l’homme. Les normes internes au groupe ne doivent pas être contradictoires avec les valeurs globales de la société… On ne doit pas admettre, au nom d’un relativisme culturel absolu que prônent certains multiculuralistes américains extrêmes, que la tradition culturelle soit invoquée pour justifier l’inégalité statutaire des hommes et des femmes, l’excision des fillettes ou le droit des maris à battre leur femme. (Schnapper, 239-240).

Pour Kymlicka, l’adhérence des droits humains serait donc intrinsèquement liée à la

culture et il serait inopportun d’accepter des traditions qui enfreindraient les droits de

l’homme simplement sous prétexte d’être multiculuraliste. Kymlicka se permet donc de

faire des jugements de valeurs sur d’autres cultures. Enfin, Kymlicka souligne

l’importance de l’égalité des groupes divers, sans laquelle « on risque de retrouver la

situation de l’apartheid » (Schnapper, 240). À condition de respecter ces critères, résume

Schnapper, on pourra, selon Kymlicka, « instaurer cette ‘citoyenneté différenciée’ »

(Schnapper, 241).

Après ce résumé, Schnapper note qu’elle ne peut que souscrire à ces analyses

« directement inspirées par les valeurs de l’individualisme démocratique » (Schnapper,

241) mais elle y ajoute une autre dimension. Selon Schnapper, la seule manière de traiter

de ces problèmes est de le faire institutionnellement. C’est ici que Schnapper cède un

point important aux critiques communautariens. Elle admet le fait que l’État n’est jamais

véritablement neutre et que « la culture commune, instituée et garantie par les institutions

publiques, s’impose aux cultures particulières », mais insiste que c’est « le prix à payer

pour que tous les citoyens participent pleinement à la société nationale » (Schnapper,

242). Dans la relation précaire entre l’État et le citoyen, le citoyen doit mettre de côté sa

propre culture dans les institutions publiques, en faveur d’une culture commune, celle de

l’État. Ce commentaire, en conjonction avec l’analyse de Kymlicka, révèle alors une

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tendance dans la pensée de certains académiciens et politologue français, le fait de penser

qu’il existe une seule et unique culture française acceptable.

Une analyse d’une scène de notre film servira bien à voir comment ces débats se

jouent en réalité, puisque l’école est un des lieux primaires pour l’intégration. Dans cette

scène, M. Marin enseigne le vocabulaire ; en particulier, il enseigne le mot ‘succulent’. Il

écrit au tableau ‘Bill déguste un succulent cheeseburger. À ce moment là, Khoumba

s’exclame :

KHOUMBA – Mais pourquoi vous arrêtez pas de mettre des ‘Bill’ là ? Toujours des noms bizarres…

M. MARIN – C’est pas du tout un nom bizarre, c’est un nom de président Américain récent, j’te rappelle, Bill.

KHOUMBA – Oui mais pourquoi vous mettez pas ‘Aïssata’ ou ‘Rachid’ ou ‘Mohammed’

ESMERALDA – Ouais vous mettez tout le temps des noms de patos aussi M. MARIN – c’est quoi ? des nom de…

ESMERALDA – de babtou.. M. MARIN – c’est quoi babtou quoi ?

ESMERALDA – c’est à dire de…. babtou, de Français, des çais-Franc ? M. MARIN – Mais t’es pas française toi Esméralda ?

ESMERALDA – Non, moi j’suis pas française moi. [elle hoche la tête] M. MARIN – ah bon, je n’étais pas au courant.

ESMERALDA – Bah ouais. En fait je suis française mais je suis pas fière de l’être.

M. MARIN – Ah, très bien ! Moi non plus en fait, moi non plus je suis pas fier d’être français.

Bien que le problème posé semble être relativement mineur, il symbolise un plus grand

drame, celui de la présence d’une culture dominante (Bill ou Bob) qui n’inclut pas la

culture des élèves (Aïssata et Rachid). La revendication de Khoumba serait surement vue

comme une demande de reconnaissance d’un droit culturel par Schnapper. Mais ensuite,

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un moment intéressant ce produit ; Esmeralda, qui est d’origine nord africaine refuse

d’abord de s’identifier comme étant française et admet plus tard qu’elle l’est, mais qu’elle

n’est pas fière de l’être. Il semble à première vue que le rejet de sa francité pourrait être

vu, selon Schnapper, comme une conséquence d’une influence du communautarisme.

Cependant, chose étonnante, M. Marin exprime des sentiments pareils, alors qu’il est lui

même français de souche. Mais, si la culture française, comme le note Schnapper, est

porteuse de la démocratie et les droits de l’homme, pourquoi ne pas en être fier ?

La fracture coloniale

Selon l’ouvrage de Pascal Blanchard, Nicolas Blancel et Sandrine leMaire, La

Fracture Coloniale, la façon dont la France a géré la colonisation et les années qui l’ont

suivi serait à la source de ce manque de fierté. Il y aurait une ‘fracture coloniale’ liée à la

création d’une mémoire collective de la nation qui, d’après les auteurs du livre, aurait

dissimulé les faits du passé de l’Ex-empire colonial français. Ecrit en 2005, La Fracture

Coloniale rassemble plusieurs essais visant à déstabiliser cette disjonction en retraçant le

passé colonial français avec un nouvel œil critique. Au centre de l’histoire de l’Ex-empire

colonial français est la colonisation de l’Algérie de 1830 à 1962. Cette période a été

marquée par de graves violences à travers d’abord la conquête de l’Algérie, puis avec la

colonisation elle-même et finalement avec la guerre d’indépendance. Malgré ces faits

violents, la République ne cesse de tenir à l’idée que la France a agit dans l’optique des

droits de l’homme et de la démocratie, en peignant son rôle en Algérie comme une œuvre

positive alors que la plupart des français pensent autrement. La preuve de ce fait est la loi

du 23 février 2005, qui stipule que l’on mette l’emphase sur « le rôle positif de la

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présence française outremer, notamment en Afrique du Nord » dans les manuels scolaires.

Une fois de plus, l’idéal républicain ne s’harmonise pas avec la réalité des faits.

En surface, on pourrait lier l’occultation du passé colonial à un traumatisme, le

refoulement d’un passé trop violent. Dans ‘La colonisation française : une histoire

inaudible’, un des essais contenu dans La Fracture Coloniale, Marc Ferro, un historien

français, écrit sur ce traumatisme en analysant la façon dont l’histoire de l’Algérie et de la

France est construite, surtout à l’école. Au début du XXIe siècle, soutient-il, la France ne

semble pas vouloir « accepter et intégrer que ‘La République a trahi ses valeurs’… Les

peuples coloniaux n’ont jamais pu accéder au statut de citoyens à part entière. Sans parler

du travail forcé » et des violences du système colonial (Ferro, 129-130). En traitant

comme inégaux des peuples soi-disant français, la République avait trahi ses valeurs des

droits de l’homme. Selon cette construction, il semblerait donc qu’il y aurait un

refoulement du rapport des faits violents dans la mémoire collective d’un pays qui

ressortirait en forme de ‘tabou’. Mais Ferro soutient avec véhémence que ces ‘tabous’ ne

s’appliquent pas à toutes les violences et servent en fait à construire une certaine histoire

de la France. Dans l’histoire de la guerre d’Algérie, la torture commise par les français

n’est pas un ‘tabou’ et se trouve bel et bien dans les manuels scolaires. Elle sert en fait

à « occult[er] les autres faits dramatiques » de la colonisation (Ferro, 132). L’importance

placée sur la violence de la guerre, par opposition à celle de la colonisation « ne rend pas

compte de la complexité de la colonisation » (Ferro, 132). Selon Ferro :

La place de l’histoire coloniale dans l’enseignement est conçue de façon aberrante, parce qu’elle décompose toujours l’histoire coloniale en deux périodes : ‘Conquête et colonisation’ et, ensuite, ‘Mouvements d’indépendance’. On ne cherche pas à montrer les continuités. Par ailleurs, on veut ‘déraciner’ l’idée que la colonisation ait pu être critiquée dès l’origine. » (132)

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L’importance donnée à certains événements au dépend d’autres événements montre que

l’État à des enjeux liés à la construction de son histoire. Loin d’être traumatisée par le

simple fait violent de son passé, la France reconnaît ouvertement certaines violences

passées. L’occultation de l’histoire de la colonisation n’est donc non pas psycho-sociale

mais intentionnelle.

Le colonialisme républicain

Ce phénomène est lié à la construction de la nation française. Dans ‘Les origines

républicaines de la fracture coloniale’ Nicolas Bancel et Pascal Blanchard postulent que

la colonisation, fait qui nous semble aujourd’hui contraire aux droits de l’homme, était en

fait promue dans une idéologie républicaine. Selon ces auteurs, pendant que la France se

créait et s’affirmait au niveau national, « l’épopée coloniale sur les cinq continents au

nom des valeurs universalistes et des droits de l’homme va permettre, en métropole, de

raffermir le régime républicain – et donc le pouvoir de l’État » (Bancel et Blanchard, 35).

En renforçant son pouvoir à l’étranger, la Troisième République renforçait son pouvoir et

sa légitimité au niveau national. Ce pouvoir n’était pas limité au pouvoir physique ou

économique de l’État, mais était aussi une puissance idéologique qui affirmait :

les valeurs portées par les républicains, valeurs qui doivent contribuer à assurer le sentiment national. La dynamique de la ‘Plus grande France ‘ est dès lors clairement républicaine et postrévolutionnaire… le modèle français – par définition unique, universel, supérieur. C’est parce que la France postule l’égalité des hommes qu’elle a, plus que d’autres, le droit de coloniser le monde. (Bancel et Blanchard, 35)

La France a donc exercé son pouvoir hégémonique à travers une idéologie républicaine.

Ainsi est née la mission civilisatrice, où le colonisateur apportait le progrès aux colonisés,

qui étaient souvent dépeints comme étant arriérés et ignorants. Le projet colonial était

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donc conçu et légitimé dans l’optique du progrès lié à l’universalisme de la République

Française.

Pour en revenir à Entre les murs et à notre thèse, il est crucial de noter qu’un des

véhicules premiers de ce projet était l’éducation en France métropole et outre-mer.

Idéologiquement, la mission civilisatrice est une mission éducatrice qui « se forge dans la

représentation d’une unicité de la France et dans la croyance en un lien particulier entre la

France et le monde » (Bancel et Blanchard, 38). Selon Bancel et Blanchard, la mission

civilisatrice est l’extension de la scolarisation entreprise en métropole, comme nous

l’avions vu dans notre dernier chapitre. D’ailleurs, le contenu de l’éducation en métropole

reflétait bien la mission de la colonisation française. Dans ‘Colonisation et immigration :

des ‘points aveugles’ de l’histoire à l’école ?’, Sandrine LeMaire, historienne française,

note que les auteurs des manuels scolaires, jusqu’à la fin des années 1950, étaient « de

véritables promoteurs » de la colonisation et insistaient sur l’idée que la France « était

une grande nation parce qu’elle possédait des colonies et valorisaient, à cet effet, ses

victoires et acquisitions territoriales » (LeMaire, 95). L’histoire de la colonisation qui

paraissait donc dans les manuels scolaires disait:

certes sous une forme euphémisée, la vérité : les enfumades de la conquête de l’Algérie, les incendies de villages par Bugeaud. Mais ces violences atroces ne posaient pas de problème, elles étaient légitimées par la fonction de la colonisation, qui apparaissait comme émancipatrice… dans l’idéologie dominante de l’État-nation, l’acte colonial était pleinement légitime. (Ferro, 133)

À l’école avant 1960, l’instruction justifiait la mission civilisatrice française avec une

idéologie républicaine.

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La guerre d’Algérie et la décolonisation

Selon plusieurs auteurs, bien que les enjeux aient changé de forme avec la

décolonisation, la nation française a continué à justifier ses actions à travers une idéologie

républicaine. Dans The Invention of Decolonization, Todd Shepard, historien Américain

de la France et la décolonisation, soutient que l’idée de la décolonisation s’invente

pendant cette période de façon non-historique, c’est-à-dire, sans prendre en compte le

passé, pour convenir avec cette idéologie. Pendant la colonisation, l’Algérie faisait partie

de France, selon une articulation des droits de l’homme, puisque tout homme avait le

même droit à la liberté, l’égalité et la fraternité. En réalité, bien sûr, à cause des

complications économiques et juridiques, les Algériens n’étaient pas de facto français et

ne jouissaient pas de ces droits.

Vers la fin de la guerre d’Algérie, cependant, l’État est forcé de changer

drastiquement sa rhétorique. C’est à ce moment que l’histoire, selon Shepard, se réécrit

(Shepard, 11). La décolonisation devient un phénomène inévitable, “wholly consistent

with a narrative of progress… during the during the French fight against the FLN,

officials had reframed their civilizing mission as a ‘modernizing mission’” (Shepard, 6).

En concordance avec les tendances politiques de ce temps du tiers-mondisme, la

décolonisation de l’Algérie est soudainement vue comme signe de progrès et de liberté.

En effet, ceux qui s’étaient opposés à la décolonisation en faveur d’une intégration

républicaine étaient jugés ‘fascistes’ (Shepard, 41), alors que, pendant les quatre

dernières années de la Guerre, la République avait mis en œuvre une série de réformes

qui semblait plus précisément refléter les valeurs républicaines, soutient Shepard. En

Algérie, la Constitution de 1958 a accordé la citoyenneté française à tout homme et

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femme Algérien adulte tandis qu’en France, on a vu un nombre important de français

d’origine étrangère dans le gouvernement (Shepard, 46). Malgré ceci, l’État décide de

complètement changer d’idéologie de la colonisation en faveur d’un récit de progrès et de

modernisation lié à la décolonisation.

Ceci a pour résultat que l’histoire à l’école est elle aussi réécrite. De 1960 à 1980,

la colonisation disparaît des manuels scolaires puisque son exploration signalerait une

discontinuité dans l’idéologie de la République entre les justifications de la colonisation

et celles de la décolonisation (Lemaire, 96). En 1980, « la césure semble s’ancrer » quand

la guerre d’Algérie et ses violences sont inscrites dans l’histoire et, comme nous l’avions

vu, servent à éclipser l’histoire de la colonisation (Lemaire, 96). Il est important de noter

ici que le terme ‘guerre’ est employé pour le conflit en 1980 alors que « jusqu’au 10 août

1999, [le conflit] n’avait pas été reconnu officiellement » (Lemaire, 99). L’histoire de la

colonisation française et des évènements subséquents est donc construite d’une façon

incomplète et décousue pour détourner du fait que la France n’était pas justifiée dans ses

actions. Plus signifiant, par contre, est le rôle que joue l’université française dans ce débat.

Dans ‘L’histoire difficile : esquisse d’une historiographie du fait colonial et postcolonial’,

Nicolas Bancel note que même dans le système de recherches universitaires françaises,

« l’histoire coloniale et surtout postcoloniale est marginale », malgré le fait qu’elle soit

profondément explorée aux Etats-Unis et en Angleterre dans le domaine des postcolonial

studies. Les académiciens et politologue français se seraient donc eux-mêmes fait piéger

par l’idéologie nationale.

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Les inégalités enracinées dans le système

La relation qu’a la nation française à son histoire est extrêmement importante

puisque elle influe sur le débat de la gestion de la diversité en France. Dans ‘La

République et l’impensé de la race’, Achille Mbembe critique la façon dont la

République et ses universitaires ont encadré les problèmes contemporains qu’affronte la

nation française. Selon Mbembe :

Il s’agit non point de l’opposition entre universalisme et communautarisme (comme tend généralement à le penser l’orthodoxie), mais entre universalisme et cosmopolitisme (l’idée d’un monde commun, d’une commune humanité, d’une histoire et d’un avenir que l’on peut s’offrir en partage. Et c’est le refus du passage au cosmopolitisme – infirmité fondée sur une excision de sa propre histoire – qui explique l’impuissance de la France à penser la postcolonie et à proposer au monde une politique de l’humain conforme à la promesse inscrite dans sa propre devise. (Mbembe, 140)

Il n’est pas question d’accorder des droits culturels à certains individus ou certains

groupes, souligne Mbembe, mais de repenser la soi-disant ‘universalité’ de la culture que

promeut le modèle contemporain. En liant l’universalisme intrinsèquement à une seule

articulation de la culture française, la République se construit de façon paradoxale,

puisque cet universalisme qui se réalise à travers des particularités culturelles. Cependant,

en fin de compte, comme nous l’avons vu dans notre dernier chapitre, la culture

française :

ne serait porteuse que de valeurs locales… Dans le contexte de la globalisation, ce paradoxe entre ‘universalisme’ et ‘exception’ tend à grossir les aspects les plus galliques de la culture française et finit par lui octroyer, aux yeux du reste du monde, les traits d’une culture somme toute provinciale (Mbembe, 148).

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La valorisation de cette culture locale à travers sa liaison paradoxale à l’universalisme

mène à un phénomène dangereux propre aux pouvoirs hégémoniques: la notion de la

supériorité de la culture française par rapport aux autres. En effet, comme nous avons vu

dans l’article de Dominique Schnapper, la gestion ‘classique’ de la citoyenneté, c’est-à-

dire celle souscrite par l’État, fait des jugements de valeurs sur d’autres cultures qui

seraient essentiellement incompatibles avec les valeurs de la République soi-disant

puisque qu’elles tolèreraient certaines violations des droits de l’homme. Paradoxalement,

c’est cette même idée qui a mené à la mission civilisatrice responsable des abus commis

sur trois continents différents et sur les populations de plus d’une trentaine de pays.

Puisque ce phénomène de hiérarchisation des cultures se produit au niveau

national, il est inévitable qu’il se produise aussi au niveau individuel. Dans son fameux

essai, Peau noire, masques blancs, Frantz Fanon, écrivain martiniquais francophone qui a

grandement influencé les domaines des postcolonial studies et critical theory, explore ces

problématiques. Il déconstruit le rapport Noir-Blanc dans le contexte de la colonisation

Antillaise pour aboutir à un rapport plus équitable entre ces populations. Bien que l’essai

soit connu pour son analyse psychologique de la situation de l’homme noir en France, ce

sont ses analyses sociologiques et philosophiques à propos de la réalisation du vrai

potentiel de l’homme qui nous seront utiles ici. Fanon s’appuie fondamentalement sur la

thèse de Hegel, qui dicte que « la conscience de soi est en soi et pour soi quand et parce

qu’elle est en soi et pour soi pour une autre conscience de soi : c’est-à-dire qu’elle n’est

qu’en tant qu’être reconnu » (Fanon, 175). La reconnaissance de l’autre est donc

essentielle à la construction de soi. Ce rapport, selon Fanon et Hegel, doit impérativement

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être réciproque : les deux ‘moi’ « se reconnaissent comme se reconnaissant

réciproquement » (Fanon, 176).

Malheureusement, dans la relation coloniale, l’homme blanc et l’homme noir sont

coincés dans la relation ‘moi-autre’, où l’homme blanc est supérieur à l’homme noir et se

définit par rapport à cette opposition. Dans cette relation inégale, l’homme noir tombe

forcément victime de stéréotypes négatifs et essentialisant. Ces stéréotypes le relèguent à

un statut non-humain auquel il essaie d’échapper en adoptant la culture et les attitudes de

l’homme blanc, en vain. Mais, selon Fanon, pendant que l’homme noir est « [enfermé]

dans sa noirceur », l’homme blanc est lui aussi « enfermé dans sa blancheur » (Fanon, 7).

Ceci s’explique par l’adhérence de Fanon à une conception Sartrienne de l’action de

l’individu. À cause de sa position inférieure en tant qu’autre, les actions de l’homme noir

ne peuvent qu’être réactionnelles puisqu’il sera en position d’indignité (Fanon, 180).

Néanmoins, selon un autre aspect de la philosophie Sartrienne, l’homme est responsable

de ses actions, qui sont les seules façonneuses de l’humanité. Tout homme français serait

donc impliqué dans le racisme. Selon Fanon « le racisme colonial ne diffère pas des

autres racismes » (Fanon, 71) et « il est utopique de rechercher en quoi un comportement

inhumain se différencie d’un autre comportement inhumain » (Fanon, 69). Cependant, en

fin de compte, le but de Fanon n’est pas de dénoncer certains acteurs pour le fait de

dénoncer en soi, mais d’exposer les effets négatifs du système colonial et d’autres

systèmes racistes sur les populations opprimées et les populations qui les oppriment. Sans

une relation réellement égale et réciproque, nul individu ne peut s’exprimer et vivre

pleinement et librement.

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En refusant de penser de manière critique son passé colonial et la postcolonie, la

France recrée des relations inégales de la colonisation, conditions qui évidemment ne

pourraient pas mener à une démocratie opérable. En articulant le discours du

multiculturalisme à travers l’idée de la réclamation des ‘droits culturels’, la France

échappe au fait que l’histoire culturelle qu’elle refuse de reconnaître dans ces citoyens

n’est pas la leur, mais la sienne. En faisant ceci, elle échappe à la responsabilité des abus

qu’elle a commis au nom de ses valeurs « basée[s] sur les mythes : progrès, civilisation,

libéralisme, éducation, lumière, finesse » (Fanon, 157). Cette culpabilité collective, selon

Fanon, a inévitablement besoin d’un « bouc émissaire » pour expliquer l’échec de ces

idéologies (Fanon, 157). Ce bouc-émissaire crée un racisme français qui devient établi

dans le système. Malgré les années qui séparent les penseurs Achille Mbembe et Frantz

Fanon, le constat est le même : la démocratie est inopérable en France à cause d’un

racisme systémique. Au lieu de mener le peuple français à trouver des solutions à des

problèmes sociétaux ensemble, ce système rend responsables certains groupes par raison

d’une qualité soi-disant ‘essentielle’, leur culture.

L’immigration et le discours du ‘problème social’

En plus des trois phénomènes dont nous avons discuté auparavant (la colonisation,

la guerre d’Algérie et la décolonisation), ce racisme systémique est lié à un quatrième

phénomène historique français. Tout comme ces trois prédécesseurs, bien que le fait

migratoire soit un évènement majeur, il «n’est pourtant abordé dans aucun des

programmes d’histoire et n’est que survolé dans les enseignements de sciences

économiques et sociales pour la classe de première, dans le cadre du chapitre sur les

politiques d’intégration culturelle » (Lemaire, 103). Néanmoins, l’immigration est visible

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dans le discours français courant. Actuellement, selon l’essai de Pascal Blanchard, ‘La

France, entre deux immigrations,’ il existe deux types d’immigrations dans ce discours.

L’une est celle des Européens qui se produit depuis le début de la nation française, et qui

« est aujourd’hui considérée comme ‘exemplaire’ du ‘cas français’ », tandis que l’autre,

celle des immigrés des ex-colonies françaises, est considérée comme un « problème ».

Pourquoi est-ce le cas ?

Dans un recueil de ses meilleurs essais, L’immigration ou les paradoxes de

l’altérité, le grand sociologue français d’origine algérienne Abdelmalek Sayad expose en

termes concrets la place réelle de cette deuxième immigration en France. Il souligne tout

d’abord l’importance de la dualité de l’immigration :

Ce qu’on appelle immigration, et dont on traite comme telle en un lieu et en une société, s’appelle ailleurs, en une autre société ou pour une autre société, émigration… L’émigré en tant que tel peut être oublié par la société d’émigration plus facilement et avant même qu’il ait cessé d’être appelé du nom d’immigré (Sayad, 15).

En soulignant que l’immigration en France est aussi une émigration autre part, Sayad

rappelle au lecteur que ce phénomène est le résultat d’une dualité née de la relation de la

France à ses ex-colonies. Pour qu’une émigration se produise, il faut que ce pays soit

« ‘pauvre’ en travail » tandis que le pays d’immigration est « ‘pauvre’ en main-d’œuvre

et donc relativement ‘riche’ en emploi » (Sayad, 134). Selon Sayad :

ce phénomène constitue sans doute l’indice le plus sûr de l’inégal développement qui sépare les pays d’immigration et les pays d’émigration ainsi que de la dissymétrie flagrante des rapports de force (des forces matérielles, et en gros, économiques ainsi que des forces symboliques, c’est-à-dire de prestige) qui opposent les deux catégories de pays, pays dominants et pays dominés (Sayad, 134).

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Le phénomène de l’immigration est donc fondé sur l’inégalité des deux pays en jeu,

c’est-à-dire le pays d’immigration et le pays d’émigration. Pendant que les économies des

colonies et des ex-colonies n’étaient pas en bon état, la France jouissait de « l’expansion

économique » qui était en effet, une « grande consommatrice d’immigration » (Sayad,

52). Ces inégalités étaient bien sur facilitées par la colonisation révélant que la

construction de la nation française était d’abord économique.

Par conséquent, l’immigré est pour l’Etat français avant tout un travailleur. Ce fait

place l’immigré dans une situation paradoxale. D’un coté, la situation de l’immigré est

provisoire puisque il répond à un besoin économique cyclique de la France. Cette vision

était partagée non-seulement par la République, mais aussi par les immigrés eux-mêmes,

qui espéraient retourner à leur lieu d’émigration avec leur gain financier. De l’autre,

l’expansion économique de la France jusqu’à la fin du 20ième siècle faisait en sorte que la

France « avait besoin d’une main-d’œuvre immigrée permanente et toujours plus

nombreuse » (Sayad, 52). Le séjour de la plupart de ces immigrés n’était pas provisoire,

et a en fait mené à la diversité que nous voyons aujourd’hui en France. Par conséquent,

malgré la durée de son séjour, l’immigré « reste toujours un travailleur qu’on définit et

qu’on traite comme provisoire, donc révocable à tout moment…. sa qualité d’homme

étant subordonnée à sa condition d’immigré » (Sayad, 61). L’immigré se trouve alors

privé de droits fondamentaux comme le droit de résidence et d’aide sociale alors qu’il se

retrouve souvent au dernier rang socio-économique. Bien que la présence croissante des

familles et des enfants d’immigré ait mené à l’amélioration de leur logement, l’enfant

reste désormais héritier de ces circonstances. Il est chargé lui aussi, selon Sayad, « de

reproduire ainsi sur place la force de travail que [ses] parents avaient apporté avec eux en

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émigrant » (Sayad, 65). La situation de l’immigré et de ses descendants est donc un autre

exemple d’un phénomène qui sert les intérêts de la nation française en contredisant son

idéologie des droits universels de l’homme, contribuant à un racisme systémique.

Mais quand l’économie de la France n’est plus en mode d’expansion, la

République est mise-en face de ses contradictions. Puisque l’immigré est avant tout un

travailleur, « être immigré [ou enfant d’immigré] et chômeur est impensable » (Sayad,

61). Par conséquent, la France occulte l’histoire de l’immigration en faveur d’un autre

discours, celui de l’immigration en tant que problème social. L’immigré devient donc le

bouc émissaire pour les problèmes structurels du fait migratoire construit par la nation

française.

L’école, l’intégration et la laïcité

Mais, en tant que lieu premier de l’intégration des enfants issus de l’immigration,

l’école est censée effacer ces problèmes sociaux et remettre les compteurs à zéro. Ceci

explique donc l’importance de la laïcité à l’école. En tant que lieu public, cette institution

oblige ces participants à mettre leur particularité de coté pour apprendre la citoyenneté.

Dans ce lieu soi-disant démocratique, tous les élèves sont censés avoir les mêmes chances.

Mais à travers une analyse de quelques scènes de notre film, nous verrons que chacune

des problématiques discutées jusqu’à présent dans ce chapitre font en sorte que ceci n’est

pas le cas. Loin d’être un lieu neutre et démocratique, l’école recrée le discours

polémique des ‘problème sociaux’ français contemporains.

Dans une première scène, M. Marin demande à ses élèves de parler d’un moment

où ils auraient eu honte de quelque-chose. Rabah, un élève d’origine algérienne, offre une

anecdote personnelle :

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RABAH – Une fois je suis partie dans une fête, il y avait que des gens jambon-beurre.

M. MARIN – Il y avait que des jambon-beurs, rappelle nous ce que c’est des jambon-beurre.

RABAH – c’est des gens qui puent le fromage. M. MARIN – c’était une fête où tous les gens puaient le fromage.

RABAH – Ils étaient tous habillés en costard, cravates, tout ça. Moi je suis venu avec mon baggy et tout le monde me regardait bizarrement.

M. MARIN – Et c’est toi qui avait honte ? RABAH – Ouais, parce qu’ils me regardaient tous bizarrement.

M. MARIN – Et donc en fait, oui, eux ils étaient embarrassés devant toi et toi du coup t’était embarrassé devant eux.

RABAH – Mais non, eux ils étaient pas embarrassés, ils me regardaient comme si j’étais un extra-terrestre, genre, ‘C’est quoi ce petit arabe là qui rentre.’

M. MARIN – Ah, d’accord, c’était une histoire de race ou de… RABAH – Ah je sais pas, je sais pas…

M. MARIN – … RABAH – En tout cas les chips il y avait que du bacon. Alors je me suis abstenu.

M. MARIN – Ah d’accord y’avait, du bacon, du jambon, d’accord. Je comprends.

Cette scène est un exemple parfait du racisme systémique de la société française et de

l’incapacité de l’école française à le gérer. À cause des différences socio-économiques,

d’âge, de culture et de religion, Rabah ressent un sentiment d’aliénation. La façon dont M.

Marin et Rabah gèrent ces ressentis révèlent deux choses. D’abord, le commentaire de

Rabah (« ces des gens qui puent le fromage ») illustre la revendication de Fanon que tout

le monde est impliqué dans le racisme. Puis, la façon dont M. Marin répond aux ressentis

de Rabah montre l’inefficacité de l’école à gérer les différences. En essayant de

comprendre la honte que ressent Rabah, M. Marin l’attribue d’abord à « une histoire de

race », effectivement fermant les yeux aux différences socio-économiques qu’a ressenti

Rabah. Ceci illicite la réaction immédiate de Rabah : « je sais pas, je sais pas », illustrant

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que Rabah est donc conscient du tabou qui existe sur toutes discussions du racisme en

cours. Le fait qu’il ne pousse pas la conversation plus loin montre aussi que Rabah, qui

est un produit du système éducatif français, n’a pas les outils pour discuter de la

complexité de ses sentiments. Par conséquent, M. Marin perd l’occasion de comprendre

et de résoudre des problèmes extrêmement pertinents à la vie de Rabah et à son

intégration dans la société.

Dans une deuxième scène, nous voyons un malentendu similaire. Esméralda et

Khoumba travaillent sur leur autoportrait quand M. Marin leurs pose des questions :

ESMERALDA – Monsieur, ça s’écrit comment ‘Lafayette’ ? M. MARIN – ‘Lafayette’ c’est à dire ?

ESMERALDA – Comme, ‘Gallérie Lafayette’ ? M. MARIN – Pourquoi tu veux parler de ça ?

ESMERALDA – Et bah, comme j’y vais souvent je veux le rajouter dans mon texte.

M. MARIN – C’est bizarre parce que c’est quand-même à quatre station de métro, et vous qui sortez jamais du quartier c’est quand même un grand saut là d’un seul coup. KHOUMBA – Style de, on n’est pas des paysans, ça va…

ESMERALDA – On sort de la ville quand même. M. MARIN – Ah ouais ? Vous allez dans les arrondissements du centre de Paris ? KHOUMBA – 5ieme, 20ieme, 12ieme, 19ieme,

M. MARIN – Qu’est-ce que tu vas faire dans le 5ieme ? KHOUMBA – Dans le 5ieme ? Bah moins je vais aller voir les copains les copines au lycée à Luxembourg plus précisément. M. MARIN – Ah ouais, tu vas au Jardin du Luxembourg ?

KHOUMBA – Mais non, pas au jardin j’ai dis Luxembourg. M. MARIN – Ah, tu vas dans le pays du Luxembourg ?

KHOUMBA – Non ! La station de métro Luxembourg. Le RER là je sais pas. M. MARIN – En fait vous sortez quoi finalement.

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Dans cette scène, M. Marin semble se moquer de Khoumba et Esméralda. Bien qu’elles

habitent à quelques arrêts des endroits les plus aisés de Paris, M. Marin suppose qu’elles

ne les fréquentent pas. Cette supposition montre que M. Marin n’associe pas les aspects

les plus ‘français’ de la culture française (le Luxembourg et Lafayette) aux filles. Il se

permet alors de faire des suppositions basées sur la différence de Khoumba et Esméralda,

alors que l’école est sensée ne pas prendre en compte ces particularités.

Dans une troisième scène, nous voyons jouer les politiques de la laïcité à l’école.

M. Marin demande à plusieurs reprises à Souleymane de lui présenter son autoportrait :

M. MARIN – Et Souleymane, tu arrête de te balancer et tu nous lis ton autoportrait, je suis très curieux de voir ça.

… SOULEYMANE – Je m’appelle Souleymane et j’ai rien à dire sur moi car personne ne me connaît sauf moi. [la classe applaudit]

M. MARIN – ça va, ça va. C’est très très bien, peut être un tout petit peu long mais très bien. Comment ça se fait que les autres font l’effort d’écrire des lignes et toi une ligne suffit. SOULEYMANE – Moi j’aime pas raconter ma vie c’est tout.

M. MARIN – Et pourquoi les autres font l’effort de raconter leur vie et toi… SOULEYMANE – Si ils veulent raconter leur vie c’est leur problème, moi je raconte pas ma vie à tout le monde. Vous croyez quoi. ESMERALDA – C’est pas il veut pas, c’est il sait pas écrire.

SOULEYMANE – Qu’est-ce qu’elle ouvre sa gueule la keuf. Tu va être keuf et tu parles avec moi, sale keuf va.

ESMERALDA – J’assume. ….

[Il montre son tatouage] ESMERALDA – Ah ouai vas-y soule nous avec ton Coran.

SOULEYMANE – Mais bien sur mon Coran. M. MARIN – Qu’est-ce que c’est que ce tatouage Souleymane, pourquoi tu nous montres ça.

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ESMERALDA – Soi-disant c’est du Coran. M. MARIN – Dis-nous ce que ça veut dire. Vas-y dit le nous.

SOULEYMANE – Et j’ai pas envie de vous dire. M. MARIN – C’est toi qui le montre dans mon cours. Tu vas nous dire ce que ça veut dire. SOULEYMANE – Y’a marqué là, regardé bien ce qu’il y a marqué. ‘Si ce que tu as a dire n’est pas plus important que le silence, alors tais toi.’ M. MARIN – Souleymane, si seulement tu pouvais écrire des choses aussi intéressantes que ça, ça serait extraordinaire. SOULEYMANE – ouais, ouais

Dans cette scène, en refusant de raconter sa vie, Souleymane semble ironiquement

essayer de bien marquer la séparation entre le public et privé. Mais, comme nous l’avons

vu auparavant, cette séparation n’est pas claire puisque la démocratie demande

l’articulation de soi-même aux autres. Mais surtout, c’est la revendication de M. Marin

qui est encore plus révélatrice. En exigeant que Souleymane raconte la signification de

son tatouage coranique (« c’est toi qui le montre dans mon cours, tu vas nous dire ce que

ça veut dire » ), M. Marin revendique son autorité en tant que maitre de la laïcité. Sa

demande révèle les ambigüités dans la loi, qui interdit le port des objets religieux

‘ostensibles’ sans réellement expliquer ce que cela veut dire. Dans une tournure

paradoxale des événements, le dernier commentaire de M. Marin semble demander à

Souleymane de remettre ses particularités religieuses dans ses travails scolaires, ce qui est

contraire à l’esprit de la laïcité.

Des dialogues figés mènent à une démocratie inopérante

Dans chacune de ces scènes, les élèves sont coincés dans des stéréotypes

essentialisants et négatifs, symptomatiques des problèmes sociaux contemporains.

Comme le souligne Fanon, ces stéréotypes servent comme boucs-émissaires, puisqu’ils

détournent des vrais problèmes socio-économiques qui tourmentent la France. En

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utilisant comme cadre la relation blanc-noir chez Fanon, nous voyons que ces stéréotypes

empêchent les élèves de se faire reconnaître et de pleinement s’épanouir en classe.

Comme ces élèves ne cessent de rencontrer les stéréotypes essentialistes, ils ne peuvent

qu’être réactionnels. Néanmoins, selon Mbembe, cela a des conséquences au-delà de la

classe : « ‘se faire entendre’, ‘se connaître soi-même’, ‘se faire connaître’, ‘parler de soi’

constituent des aspects centraux de toute pratique démocratique » (Mbembe, 152).

L’école française n’est donc pas actuellement un vrai lieu démocratique.

À la fin de son essai, Fanon articule la vision qu’il souhaite d’une humanité où

tout homme peut être égal et se faire reconnaître. Pour Fanon, le dialogue est la clé de

cette vision. Dans une ultime prière, Fanon s’exclame : « O mon corps, fais de moi

toujours un homme qui interroge ! » (Fanon, 188). En s’interrogeant, on donne à l’autre

la place d’articuler sa vision de lui-même, au-lieu de formuler nos propres suppositions

qui pourraient l’enfermer dans une conception de soi non-authentique. Dans le film, une

scène en particulier parait le plus montrer cette dynamique. Cette scène est une

continuation de la scène de honte de Rabah, que nous avons vue plus tôt. Boubacar offre

sa propre anecdote d’un moment où il a senti une honte particulière :

BOUBACAR – On peut avoir honte de la mère d’un copain. M. MARIN – Avoir honte de la mère d’un copain ? Pourquoi parce qu’on la trouve moche ? BOUBACAR – Mais non, parce que par exemple, moi je suis parti chez Rabah et sa mère m’a dit de venir manger et moi j’ai dit non, parce que j’avais honte. M. MARIN – T’avais honte de manger avec la mère de Rabah ? Parce que tu la trouve indigne de toi ? Explique-moi ça Boubacar. BOUBACAR – J’ai honte de manger devant elle parce que je la respecte.

M. MARIN – Et donc toi tu ne manges jamais devant des gens que tu respectes. BOUBACAR – Non, c’est pas ça, c’est pas ma copine quand même.

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M. MARIN – Donc tu peux manger devant ta copine, ou une copine. Explique moi ça Boubacar. Ca m’intéresse.

BOUBACAR – Je ne sais pas comment vous expliquez, en tout cas, moi j’ai honte de manger, par exemple Rabah c’est mon ami, je traine tout le temps avec lui, donc je respecte sa mère, j’ai pas envie de manger devant elle, c’est tout. M. MARIN – Donc maintenant quand Boubacar accepte de manger devant nous on sait qu’il nous respecte pas. BOUBACAR – Mais non c’est pas ça, peut pas comprendre, tu peux pas comprendre. M. MARIN – Je peux pas comprendre. Je suis pas assez intelligent.

BOUBACAR – Tu peux pas comprendre.

Dans cette scène, il est clair que Boubacar essaie honnêtement d’expliquer une tradition

culturelle importante chez lui et chez son meilleur ami. Mais M. Marin, qui est coincé par

ses propres préjugés, ne peut pas faire la place à la conception différente de la honte qu’a

Boubacar. En fin de compte, M. Marin n’écoute pas. En s’exprimant ainsi (« je peux pas

comprendre, je suis pas assez intelligent »), M. Marin montre qu’il ne valorise qu’une

forme d’intelligence, alors que cette situation mériterait de l’empathie pour réellement

comprendre un autre, qui est la caractéristique d’une intelligence non-pas académique,

mais émotionnelle. Avant de faire sa déclaration finale, Fanon fait une autre supplie, cette

fois à l’humanité elle-même, et emploie ce langage d’empathie : « Supériorité ?

Infériorité ? Pourquoi tout simplement ne pas essayer de toucher l’autre, de sentir l’autre,

de me révéler l’autre ? » (Fanon, 188). Face à des articulations abstraites de l’humanité,

sa revendication est un simple appel au cœur et à la compréhension de l’autre. La

valorisation de l’intelligence académique ne permet donc pas aux élèves d’accéder à

l’intelligence émotionnelle, qui les aiderait à proprement s’épanouir en vie commune.

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Conclusion

Dans une dernière scène du film, nous voyons toutes les problématiques de ces

débats exposées. Un des professeurs à une dépression nerveuse au milieu de la journée

devant les regards concernés des autres :

PROFESSEUR Vincent – Putain ! J’en ai marre de ces bouffons. J’peux plus les voir, j’veux plus les voir. Mais ça ressemble à rien là, ça sait rien du tout, puis ça te regarde comme si t’étais une chaise. T’essaie vaguement de leur apprendre un tout petit truc quelque chose… et bien qu’il reste dans leur merde ! Qu’ils y restent, voilà, j’irai pas les chercher, c’est bon. Non mais ils sont d’une bassesse mais d’une mauvaise foi toujours à chercher l’embrouille là. Bah allez restez bien dans vos quartier pourris ! Et puis toute votre vie vous allez y rester dans votre quartier puis ça sera bien fait pour votre gueule. Moi je vais aller voir le principal je vais lui dire les troisième 2 c’est clair, je ne les prend plus jusqu'à la fin de l’année, c’est bon. Ils auront plus de techno jusqu’à la fin de l’année, la belle affaire. Ça va… La techno ça fait trois mois qu’ils y sont, ils ont pas fait une seconde. Pas une seconde ils ont fait de la téchno… Non mais vous les avez vu dans la cour ? On dirait qu’ils sont en rut. Ils se sautent dessus en poussant des cris d’animaux sauvages mais c’est n’importe quoi ! Mais même en cours ! Même en cours j’ai Kevin qui passe une heure de cours à me faire [il pousse des cris intelligibles] non mais j’ai jamais vu ça ! Ça fait cinq ans que j’enseigne j’te jure j’ai jamais vu ça quoi. C’est bon. On n’est pas des chiens non plus. Excusez-moi… [il sort]

Au-delà de tous les stéréotypes essentialistes qu’il emploie, et que nous avons déjà

explorés, cette scène est un commentaire sur la responsabilité souvent pesante mise sur

l’école et ses professeurs pour résoudre des problèmes qui vont au-delà de l’école, mais

qui sont symptomatiques d’une société qui ne semble plus fonctionner. En se

positionnant par opposition à d’autres cultures, la France se fige dans son expression

nationale et s’empêche de bénéficier de la richesse de ses membres, tous porteurs d’une

culture différente mais tous aussi porteurs d’une humanité commune.

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CHAPITRE 3 : L’EXCLUSION : UNE ETUDE DE CAS

Dans les deux derniers chapitres, nos analyses du film Entre les murs et son

contexte historique, politique et sociologique ont révélé que les méthodes et les

idéologies de l’école française contemporaine sont en fait contraires aux valeurs

démocratiques de la République. Au lieu d’atténuer les inégalités systématiques présentes

dans la société française, l’école les recrée. À cause des relations inégales entre

l’enseignant et l’enseigné, l’éducation française est figée dans une seule forme de la

francité, excluant tous qui n’entrent pas dans la moule. L’institution ne peut donc pas

remettre en cause les obstacles à l’égalité que vivent ces élèves, comme le racisme ou les

inégalités socio-économiques. Ces élèves ne peuvent alors pas librement se former en

temps qu’individus et futurs citoyens, et sont finalement exclus de la société française.

Dans ce chapitre, nous allons revenir sur la thématique de cette exclusion, qui est au cœur

du film. Cette thématique se joue à travers l’élève central du film, Souleymane. Au cours

du film, Souleymane est impliqué dans deux incidents majeurs, qui mèneront à son

éventuelle expulsion du collège. Mais, comme nous le verrons, ces incidents sont liés à

un contexte particulier. Dans chacune de ces instances, Souleymane et ses camarades

réagissent aux inefficacités de l’école, jusqu’à ce que Souleymane soit finalement expulsé

de l’école. Armé de nos analyses, nous pouvons déconstruire ces réactions pour voir que

le système éducatif français ne peut que exclure les élèves qui ne rentrent pas dans la

‘moule’.

Le foot et l’appartenance

La scène qui précède le premier incident de Souleymane se déroule autour du foot

et implique presque tous les garçon de la classe. Cette scène est extrêmement

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significative parce qu’elle révèle comment les garçon gèrent les inefficacités du système

éducatif français. Selon un article récent dans Le Monde sur l’éducation et l’emploi écrit

par Éric Charbonnier, un expert de l’éducation à L’organisation de coopération et de

développement économiques (OCDE), les filles de l’âge de 15 ans « surpassent les

garçons dans bien des domaines » (Charpentier, 2013). Comme nous l’avions vue à

travers l’autoportrait de Rabah dans notre deuxième chapitre (« je n’aime pas l’école »),

les garçons ne se sentent souvent pas à l’aise à l’école. Pour ces garçons, le foot est donc

une voie alternatif à l’école. Ceci est dû à plusieurs phénomènes liés au contexte

particulier du foot en France.

Depuis la victoire de la Coupe du Monde en 1998 et la victoire subséquente, le

foot est une partie importante de la culture française. Ceci s’est vu d’abord à travers le

rôle important de l’Etat dans le financement de la Coupe. Effectivement, la France est

l’état européen où le financement du sport est le plus généreux (Dauncy and O’Hare,

335). Avec les Fonds nationaux pour le développement du sport (FNDS), qui est financé

par la taxe de la loterie, la France a financé la construction des stades et la publicité pour

la Coupe, ainsi que la réduction des prix des places pour que tous les Français puissent y

aller. Tous les gains de la Coupe ont été réapproprié pour le développement du sport pour

les femmes et du sport amateur, ainsi que le recrutement des entraineurs et du sport

comme forme « d’insertion sociale » (Dauncy and Hare, 335). À travers ce financement,

nous voyons donc que l’Etat reconnaît l’importance du foot dans la vie sociale française.

La victoire de la Coupe du Monde en 1998 en France, la première victoire des

Bleus dans cette compétition, était un moment historique pour les Français. Cette victoire

a unifié la France, une petite équipe qui n’avait jamais gagné un titre, en servant

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d’affirmation idéologique des valeurs du modèle républicain, qui favorise la méritocratie

et l’esprit d’équipe. Aimé Jaquet, l’entraineur des bleus, étaient pour les français un héro

ordinaire qui incarnait ces valeurs :

[Jaquet] stood for virtues of hard work, modesty, humility, respect, honesty, rigour, simplicity, authenticity, competitence, professionalism, all that was good in French tradition. His approach to football had worked: methodical, protecting his players, building teamwork, generosity, valuing character, willingness to work meaning more than natural talent, getting a result rather than being flashy. (Dauncy and O’Hare)

Jaquet était dans un sens, ‘l’éducateur français’ (Dauncy and Hare, 341) qui

transmettaient les valeurs républicaines à ses joueurs. Les français pouvaient donc

s’identifier aux joueurs en tant que compatriotes croyants en ces mêmes valeurs.

Mais, surtout, la victoire des Bleus semblait représenter une réussite de

l’intégration en France. L’équipe française de 1998 était la plus ethniquement diverse de

tous les pays participants (Marks, 52). Plusieurs joueurs français étaient d’origine

africaine ou antillaise. Quand la France a gagné, cela était sous le slogan de « black,

blanc, beur », signifiant la diversité de l’équipe et du pays. Capitaine de l’équipe et

marqueur de deux des trois buts du match final, Zinedine Zidane, un joueur d’origine

Algérienne, était le héro de la Coupe et le modèle pour cette intégration. Né à Marseille

dans un quartier modeste d’une famille d’immigré Kabyle, Zidane avait grimpé les rangs

avec son talent et son éthique du travail. En effet, un journaliste a même été cité en disant

que « Zidane a fait plus par ses dribbles et ses déhanchements que dix ou quinze ans de

politique d’intégration » (Gasparini, 10). La victoire d’une France diverse et unifiée

signalait pour beaucoup de français que le modèle d’intégration avait réussi.

Pour les jeunes dans les banlieues, Zidane et les joueurs français étaient des héros

et ces jeunes aspiraient eux aussi à réussir au foot. En plus des appartenances d’équipes

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régionales (le PSG et l’Olympique de Marseille, par exemple), le foot faisait partie de la

culture populaire des jeunes (Gaspardi, 6). Avant la victoire des bleus, l’état français

reconnaissait déjà l’importance du sport avec la FNDS, mais, avec la victoire de 1998,

elle s’est engagée à construire de plus en plus d’endroits pour que ces jeunes puissent

jouer (Gaspardi, 7). Les médias eux aussi ont capitalisé sur cette victoire et la popularité

du foot en France. En 1995, suivant les débats sur le foulard, Nike a lancé une publicité

visant les jeunes des cités, l’affiche disant qu’« aucune loi ne vous empêche de porter un

maillot PSG à l’école » (Silverstein, 35). Ceci évoque donc une connexion entre le foot et

son rôle en tant qu’outil d’insertion sociale pour les français d’origine maghrébine,

africaine ou antillaise. Pareillement, plusieurs organisations, notamment SOS Racisme,

ont utilisé le sport comme vecteur pour combattre le racisme à travers une campagne

intitulé « touche pas à mon foot » qui promouvait l’égalité de tous, peu importe

l’ethnicité.

Mais la liaison entre le sport et l’intégration est problématique, selon plusieurs

intellectuels. Dans « Sport et cités : analyse critique d’un couplage idéologique »,

Dominique Bodin, Luc Robène et Damien Phillippe constatent que le sport est perçu en

France comme « contrôle de la violence et… apprentissage de l’auto control des

pulsions » (Bodin, Robène, Phillipe, 122). Cette notion essentialise les banlieues en tant

qu’endroits violents et non-civilisés. Ceci suit aussi plusieurs autre stéréotypes : d’abord,

dans l’optique de l’orientalisme, celui qui suppose que tout homme d’origines étrangères

est violent ; ensuite, dans le discours qui est déjà répandu aux Etats-Unis où les minorités

ne pourraient réussir qu’à travers le sport. En outre, il y a aussi ceux qui s’opposent

entièrement à l’intégration supposée de l’équipe nationale, notamment Alain Finkelkraut

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qui dit dans un interview que l’équipe n’est pas « black, blanc, beur » mais « black, black,

black », et puis Jean-Marie Le Pen qui dit que l’équipe « ne représente pas les Français ».

Tout ceci pour dire que la victoire de 1998, bien qu’elle ait unifié la France, a créé des

discours problématiques en en cachant d’autres. A travers le foot ce joue donc les débats

sur le multiculturalisme et la différence. Le fait d’utiliser le sport pour discuter de la

différence était donc un choix réfléchi par le metteur en scène de notre film. Ce sport

reste, pour les garçons de la classe, un des seuls endroits pour discuter de la différence et

des problèmes propres à la société française.

Retournons nous donc au film. Au début de cette scène, les garçons de la classe de

M. Marin jouent au foot dans la cour. Il y a Wei, qui est Chinois ; Carl, Antillais ; Nassim,

Marocain ; Souleymane, Malien ; Boubacar, Ivoirien ; et Chérif, Maghrébin (nous ne

savons pas précisément de quel pays). Suivant une moquerie raciste dirigée vers Wei

("Ooh, Jackie Chan!") le ballon est en jeu, et Carl se fait trébucher par Souleymane.

Souleymane répond rapidement en mettant ses mains en l'air: "J'ai rien fait, j'ai rien fait.

[Carl] est tombé tout seul." Celui-ci se relève et le jeu recommence jusqu'à ce que Carl

marque un but et commence à railler Souleymane:

CARL – Alors le Mali qu'est-ce qu'il a le Mali ? Souleymane le pousse. SOULEYMANE – Antillais de merde! CARL – Eh, casse-toi sale Malien. Les autres élèves interviennent, séparant Carl et Souleymane. CARL – Et qu'est-ce qu'il y a, t'es malade ou quoi. Des groupes se forment pour éviter une dispute. Boubacar prend Souleymane d'un côté et Chérif et Nassim prennent Carl de l'autre. Souleymane arrive à échapper à la prise de Boubacar et lance quelques insultes de plus envers Carl. SOULEYMANE – Vas sucer Thierry Henry, sale pédé !

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Bien que l’introduction de cette scène soit courte, elle est très révélatrice. D’abord, les

insultes successives des garçons envers l’un l’autre montrent, encore une fois, que le

racisme implique tout le monde. Les insultes par rapport aux origines des élèves (« Ooh,

Jackie Chan ! » et « sale Malien ! ») font preuve de racisme et de xénophobie, tandis que

la remarque de Souleymane (« sale pédé ! ») fait preuve de homophobie. Puis, la scène

illustre combien le foot est une partie importante des vies des garçons au collège. Alors

qu’ils n’aient pas le droit de proprement discuter de leur culture respective en cours, ils

peuvent, à travers le foot, s’identifier fièrement à leur pays d’origine.

La scène du foot continue en cours lorsque M. Marin demande aux élèves de se

mettre devant la classe et d'essayer de convaincre les autres élèves d'un point de leur

choix pour s’exercer à l’argumentation. Après que Nassim, le premier élève à parler,

défend l’équipe marocaine, c'est au tour d'Arthur, un élève blanc qui est l'autoproclamé

gothique de la classe, qui choisit plutôt de défendre son 'look'. Le fait de placer cette

scène entre le débat sur le foot et les pays d’origines (qui continuera plus tard) est très

significatif. Pour Arthur, qui ne s’identifie pas avec un pays en particulier, la marque de

sa différence est dans ses affaires. En s’habillant en tant que gothique, Arthur espère se

différencier du reste de sa classe et « ne pas être un mouton qui suit tout le monde. » M.

Marin, par contre, problématise son argument :

M. MARIN – Arthur je trouve qu’il y a une petite contradiction dans ce que tu dis. Tu dis ‘je veux êtes moi’ mais est-ce que ces fringues correspondent à toi alors qu’en fait ces fringues sont portées par énormément de gens. ARTHUR – D’abord ce look il est porté par les gens qui sont sombres à l’intérieur donc on est tous un peu pareil quoi. M. MARIN – Donc, tu vois, vous êtes tous un peu pareil, vous êtes tous un peu sombres pareils… donc est ce que c’est toi vraiment ? Vous êtes différents pareils quoi. Ok.

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Dans cette sélection, M. Marin semble revendiquer la notion classique de la citoyenneté ;

son explication révèle un mépris de l’idée de se différencier en s’identifiant avec un

groupe par souci que ce groupe atteigne l’individualité d’une personne. Mais si

l’appartenance à une culture ou un niveau socio-économique, par opposition au choix de

nos affaires, est quelque chose que l’on ne choisit pas, comment gérer cette espace ?

Il existe néanmoins certains élèves qui essaient d’échapper à leur appartenance.

Carl, dans cette même scène, interrompt la conversation :

CARL – Moi je voudrais dire que voila, ils arrêtent pas de nous souler avec leur Coupe d'Afrique là. On en a déjà marre, déjà à la récréation vous êtes là vous êtes en train de souler les gens avec votre coupe d'Afrique et elle n'a même pas encore commencé. BOUBACAR - Carl, là je vais être très poli avec toi. CARL – Vas-y, j't’écoute. BOUBACAR Excuse-moi de t'interrompre, mais tu peux me dire c'est quoi votre équipe nationale. CARL – La France. ESMÉRALDA – casse de Brice... Boubacar retient son rire. BOUBACAR – Et pourquoi vous dites pas que vous êtes des Français, pourquoi vous dites que vous êtes des Antillais alors? CARL – On est des Français, qu'est-ce qui y'a. C'est un département français. BOUBACAR – Mais pourquoi vous dites pas on est des français, au lieu de dire on est des Antillais. CARL – Et alors c'est la même chose. BOUBACAR – non. Je pense pas non. CARL – Regarde les joueurs qu'on a y'a Thierry Henry, Wiltord, Abidal, Thuram.

Dans ce cas, ce n’est pas le professeur qui fait des suppositions stéréotypées, mais les

autres élèves. Comme Carl ne s’intéresse pas à la Coupe du Monde d’Afrique, Boubacar

saute rapidement sur sa couleur de peau. Il n’accepte pas que Carl s’identifie comme

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étant français alors qu’il est noir, sachant que la France elle aussi refuse de l’accepter.

Bien que Carl soit proprement français en tant qu’Antillais, il ne peut pas échapper à

certaines marques de différence.

Ensuite, la scène change de ton quand nous voyons la première instance de

désaccord de la part de Souleymane :

SOULEYMANE – Et t'as oublié Diarra, il joue où Diarra? CARL – Et Diarra déjà, mon frère, il va jamais aller au Mali, il est pas assez fou. SOULEYMANE – Déjà ferme ta gueule déjà mon gars, j'te dis déjà j'suis pas ton frère, mon gars. Ferme ta gueule. Il vient d'arriver et il commence déjà à faire...

La réplique de Carl est une atteinte à l’honneur à Souleymane et il la prend comme une

injure à sa personne, puisque son attachement à ses origines est très fort. Par ailleurs, plus

profondément, la rejection de l’offre de fraternité de la part de Carl envers Souleymane

montre qu’il n’est pas d’accord avec la façon dont Carl nie sa différence. Par conséquent,

Souleymane répond méchamment à Carl. M. Marin se rend vite compte de ce qu’il se

passe et intervient :

M. MARIN – Est-ce qu'on peut discuter calmement. CARL (envers Souleymane) – Ferme ta bouche. M. MARIN – C'est pas un concours d'insulte. Souleymane met sa jambe sur la table. M. MARIN – C'est de l'argumentation. Souleymane ça va maintenant, arrête d'avoir ce langage-là. SOULEYMANE – Sale pédé ESMÉRALDA – Ah, il est vexé... SOULEYMANE – Mais toi ferme ta gueule. Met ça dans ton cul. Il lui montre le doigt. M. MARIN – Arrête avec ces vulgarités! Ca suffit maintenant. SOULEYMANE – Toi, je te parle pas s'il te plait.

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M. MARIN – Non, non, moi j'te parle ! Comment tu parles avec ton prof ? Tu prends tes affaires ! Tu ne peux pas parler normalement? M. Marin fait sortir Souleymane du cours. Il vient à contre cœur. M. MARIN – Tu te dépêches? Les élèves regardent tous par la fenêtre. M. MARIN – Tu te dépêches! Il essaie de tirer Souleymane. Souleymane répond en poussant ses mains. SOULEYMANE – Vas y touche moi pas ! Il marche très lentement et s'arrête soudainement pour faire ses lacets. M. MARIN – T'en a pas marre de jouer au con? Il entre dans le bureau du principal avec Souleymane. M. MARIN – Je vous apporte un élément perturbateur qui s'est permis de me tutoyer en cours. Souleymane s’assoie. LE PRINCIPAL – J't’ai pas demandé de t'asseoir Souleymane. Il se lève. M. MARIN – Je pars retrouver ma classe. Désolé. Il quitte la salle. LE PRINCIPAL – Je m’en occupe. Allez, assieds-toi maintenant. Souleymane s’assoit. Alors, j't’écoute. Tu vas m'expliquer ce qui s'est passé. Tu trouves ça normal qu'un professeur interrompe son cours pour amener un élève dans le bureau du principal? Souleymane ne répond pas.

Dans cette scène, il est clair que Souleymane est en mode réactionnel. Coincé dans un

système raciste, Souleymane n’a pas les outils pour discuter de la différence d’une façon

productive et recours encore une fois à des insultes racistes et homophobes. Au lieu

d’adresser et de déconstruire ces insultes, M. Marin fait une démonstration d’autorité.

Cette démonstration est bien sur sans effet avec Souleymane. Celui-ci répond en tutoyant

son professeur, rejetant le vouvoiement obligatoire des élèves envers leur professeur. En

faisant ceci, Souleymane remet en question l’autorité de son professeur et le système

hiérarchique de l’école – bien que les élèves soient obligés de vouvoyer leurs professeurs

et le principal, l’inverse n’est pas le cas. Puis, le refus d’inclure M. Marin dans sa

confrontation avec Carl indique que Souleymane croit que son professeur n’ait pas de

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place dans la discussion. Bien que les discussions sur le foot soit un endroit qui

accommode la différence, l’école ne l’est pas. Peu importe, M. Marin ne reconnaît aucun

de ces problèmes et refuse d’écouter Souleymane. En ce concentrant sur le tutoiement de

Souleymane, qui est une atteinte à son autorité, M. Marin perd encore une fois

l’opportunité de discuter des éléments pertinents à la vie de Souleymane et des garçon de

la classe. Finalement, en caractérisant Souleymane d’ « élément perturbateur » M. Marin

responsabilise Souleymane pour ces problèmes, alors qu’ils font partie d’un problème

plus large dans la société, présageant l’expulsion éventuelle de Souleymane du collège.

Comment être pétasse ?

Plus tard, Souleymane est impliqué dans un deuxième incident. À la veille de

cette scène, Louise et Esméralda, en tant que déléguées de classes, ont assisté à une

réunion de professeurs. Cette réunion périodique a lieu pour que les professeurs et le

proviseur du collège puissent discuter du progrès des élèves, ainsi que des problèmes de

discipline et les méthodes pour la gérer. Ils évaluent les élèves par rapport à leurs notes et

à leur comportement. Les filles, qui prenaient des notes silencieusement, ont

soudainement interrompu la réunion et commencé à rire sans pouvoir se contrôler jusqu'à

ce qu’Esméralda s’excuse et sorte de la salle. Le lendemain, M. Marin enseigne son cours

comme d’habitude, quand plusieurs élèves commencent à discuter de leurs notes. C’est là

que M. Marin se rend compte du fait qu’Esméralda et Louise ont rapporté ce qui s’était

dit à la réunion. Il essaie donc de retourner l’attention sur la leçon jusqu'à ce que Louise

dise à Souleymane que M. Marin l’avait décrit comme ayant « atteint ses limites ». Cette

remarque vexe clairement Souleymane, qui devient silencieux. C’est là que les autres

élèves interviennent, et la tension dans le cours monte rapidement jusqu'à ce que M.

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Marin contre-attaque les filles en les traitant de pétasse, en raison de leur comportement à

la réunion de la veille:

M. MARIN – Excusez moi mais rire comme ça au conseil de classe c’est ce que j’appelle une attitude de pétasse. LES ÉLÈVES – Quoi ?? ESMÉRALDA – Vous pétez un câble ou quoi, grave LOUISE – mais monsieur ça ne se fait pas de traiter les élèves M. MARIN – On dit pas traiter, on dit insulter ESMÉRALDA – Ouais, mais, vous pétez un câble de nous insulter de pétasse M. MARIN – Non non, on dit traité de ou insulter, je vous ai traité de pétasse ou je vous ai insulté mais pas les deux à la fois ESMÉRALDA – ouais, ouais, vas-y. M. MARIN – Et d’ailleurs, j’ai insulté personne ici, j’ai pas dit que vous étiez des pétasses, j’ai dit qu’a un moment donné du conseil de classe précisément vous avez une attitude de pétasse CARL – Monsieur, arrêtez d’embrouiller les gens, vous avez dit pétasse c’est tout, c’est trop facile M. MARIN – Je ne suis pas en train de vous embrouillez, je suis en train de posez une nuance.

Dans cette scène, nous voyons clairement se jouer les politiques de la langue que nous

avons analysé dans notre premier chapitre. Il semble y avoir deux conversations

différentes. Pour les filles, le mot pétasse est un mot péjoratif et le fait que M. Marin l’ait

utilisé est un immense manque de respect. Cependant, au lieu de se concentrer sur le fait

que les élèves se sentent injuriées, M. Marin décide de se concentrer plutôt sur une leçon

de grammaire et corrige les protestations de la classe. Cette attitude dénigre les élèves.

Au lieu d’essayer de comprendre le langage et les expériences des élèves, M. Marin

s’impose en tant qu’autorité avec des corrections arbitraires, ce qui nie les émotions des

élèves. Souleymane retrouve ensuite la parole quand il décide de défendre ses

camarades :

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SOULEYMANE – Eh monsieur, on parle pas comme ça aux filles, monsieur, ah ouais vous croyez quoi ? M. MARIN – Attends, toi tu vas nous expliquer comment on parle aux filles, alors que t’insulte tout le monde en permanence ? SOULEYMANE – Il se venge, mon gars, regarde le vieux prof qui sert à rien qui se venge sur les filles. M. MARIN – Attend, eh, ton numéro de ‘je viens au secours des deux filles en grand seigneur, on y croit pas du tout Souleymane. SOULEYMANE – Tu me parles pas comme ça, attends, tu me parles pas comme ça. M. MARIN – Et je t’ai déjà dit, arrête de tutoyer tes profs ! SOULEYMANE – J’te tutoie quand je veux, si je veux M. MARIN – Tu sais très bien que si tu continues à me tutoyer tu auras de graves ennuis SOULEYMANE – Tu te crois fort là ? M. MARIN – C’est pas une question de force, c’est une question de discipline. SOULEYMANE – J’te prends la gueule quand je veux ! Ici, les autres élèves interviennent et essaient de calmer Souleymane. M. Marin quitte la conversation pour se repositionner près du tableau de classe. SOULEYMANE (aux élèves) – allez, allez, fermez tous vos gueules, j’vous encule. Encore plus d’élèves essaient de calmer Souleymane. KHOUMBA – Ne réponds pas, c’est tout ! Finalement, Souleymane n’en peut plus et se lève pour partir. M. MARIN – Attends, attends, où-est-ce que tu vas là ? Tu crois qu’tu peux partir comme ça ? De mon cours ? Il se met devant Souleymane pour l’empêcher de sortir. Souleymane répond en essayant de le pousser. M. Marin essaie de le retenir. Carl intervient et essaie de lui aussi retenir Souleymane. M. MARIN – Eh ! Ça va pas non ? Carl réussi à retenir Souleymane. SOULEYMANE – Calme toi là, calme toi. M. MARIN – Arrêtez maintenant, ça va ! SOULEYMANE – Lâche-moi ! Souleymane échappe à Carl. Par conséquent, son cartable heurte Khoumba, qui crie et commence à saigner. Souleymane quitte la salle.

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M. MARIN – N’importe quoi.

Dans ce qui est sans doute le point culminant du film nous voyons très clairement se

jouer les problématiques de notre thèse. En répliquant que M. Marin a traité les filles de

pétasse, Souleymane demande à ce que M. Marin reconnaisse sa faute. Le fait qu’il

vouvoie son professeur indique qu’il essaie de rester dans le cadre du respect et de

l’autorité. Par contre, la réponse de M. Marin ne respecte pas ces règles. En reprochant à

Souleymane de ne pas, lui non-plus, respecter les autres, M. Marin nie la responsabilité

de ses actions et ne se conduit en temps que figure qu’autorité, mais comme s’il était lui

même dans la cour de récréation. Souleymane capte vite son refus de s’engager en tant

qu’égal avec lui et abandonne le vouvoiement, reprochant à M. Marin de se venger sur

ses élèves. Cette fois c’est M. Marin qui insulte Souleymane (« attend, eh, ton numéro de

‘je viens au secours des deux filles en grand seigneur, on y croit pas du tout

Souleymane ») et les rôles changent. Souleymane répond en exigeant que M. Marin n’a

pas le droit de lui parler de cette manière. Puis, l’avertissement de M. Marin (« tu auras

de graves ennuis ») est pris comme une menace pour Souleymane qui répond

astucieusement, « tu te crois fort là? ». À ce moment, il est clair que la soi-disant

‘discipline’ de M. Marin est en fait un concours de force.

Ensuite, la conversation change de direction. Ayant employé tous les outils qu’il

puisse évoquer – c’est à dire, le vouvoiement, le reproche de vengeance, la demande de

respect, la problématisation de la discipline – Souleymane recourt au langage vulgaire, un

langage qu’il connaît bien, par opposition au langage de M. Marin, pour s’éloigner de son

professeur. Quand les autres élèves interviennent à ce moment et essaient de le calmer,

Souleymane se sent complètement mis à part et exaspéré, et il décide de quitter le cours.

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Celui-ci avait voulu affronter le système disciplinaire et le manque de respect qui lui

paraissait injuste, mais n’avait pas eu la maitrise complète de la langue pour se faire

entendre. Le fait que M. Marin essaie de garder Souleymane dans son cours montre un

dernier essai pour le maitriser. Mais cette forme d’autorité ne fonctionne pas sur les

élèves, puisque elle est une relation de force et non de respect mutuelle. La façon dont M.

Marin gère cette situation ne mène donc pas à la possibilité de réellement vivre ensemble,

forçant Souleymane à essayer de quitter la classe par lui-même.

La révolte de la cour

Suite à cet incident, nous retrouvons M. Marin et la conseillère principale de

l’éducation (CPE) dans les escaliers de l’école :

LA CPE– J’voulais te parler d’un truc… voila y’a un peu des bruits qui courent. M. MARIN – Des bruits? LA CPE – Ouais, y’a des élèves qui sont venues me voir, qui m’ont dit que, voilà que… que tu les avais insultés pendant le cours. M. MARIN – Qui t’as dit ça, c’est Louise et Esméralda, c’est ça ? LA CPE – Ils m’ont dit que… que tu les avais traitées de pétasses et puis qu’ensuite, ça aurait tout déclenché avec Souleymane. M. MARIN – Et toi on te dit ça et tu le crois ? LA CPE – Oui, non, je viens te voir… En même temps tu l’as pas marqué dans ton record d’incident, donc voilà M. MARIN – Si je l’ai pas marqué c’est que je l’ai pas marqué, qu’est ce que tu veux que je te dise. LA CPE – Bah… tu… tu l’as fais ou pas ? M. MARIN – Quoi ? LA CPE – Est-ce que tu les as…(interruption) est-ce que tu les as traité de pétasses ? M. MARIN – Mais oui ! Mais ça à rien avoir avec Souleymane. LA CPE – Je sais que ça à rien avoir avec Souleymane, je sais. Mais bon ça commence à remonter ça commence à se savoir, j’voulais…. J’voulais juste te prévenir.

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M. MARIN – Et bien merci d’me prévenir.

Il est important de noter la façon dont ces deux se parlent. Ils se tutoient, comme tous les

professeurs du collège, marquant un sens de collégialité et d’intimité. Pareillement, le

langage parlé est un langage courant. Evidemment, il existe alors un respect mutuel chez

les professeurs du collège. En ce qui concerne le contenu de la conversation, M. Marin

nie encore une fois la responsabilité pour son insulte, ne l’ayant pas marqué dans son

record d’incident et ne le présentant pas à la CPE comme étant de grande importance. Par

ailleurs, en insistant que ceci n’a rien avoir avec l’incident de Souleymane, il met toute la

responsabilité sur Souleymane alors que, comme nous l’avons vu, le professeur avait joué

un rôle crucial dans les événements en question. Après la conversation, sa seule

préoccupation vient du fait qu’Esméralda et Louise aient passé au dessus de lui pour

parler à la CPE, une violation des règles de l’hiérarchie à l’école. Par conséquent, M.

Marin part avec fracas retrouver Esméralda et Louise, qui sont dans la cour avec les

autres élèves de la classe :

M. MARIN – Vous vous êtes plaint au CPE bravo, merci pour tout. ESMERLDA – De rien ! M. MARIN – Vous auriez pu passer par moi quand-même, non ? ESMERALDA – Quand un prof il se plaint d’un élève, il va voir le CPE, on a le droit de faire pareil non ? ESMERALDA – bien sur que si ! M. MARIN – Et vous attendez quoi en faisant ça ? ESMERALDA – Que vous soyez puni ! Comme nous ! M. MARIN – Que je sois puni. ESMERALDA – Bah oui M. MARIN – Toi tu va me faire punir, toi. ESMERALDA – Bah ouais, vous avez incité, vous êtes puni M. MARIN – Ça avancerai à quoi que je sois puni ?

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ESMERALDA – Au moins je l’aurais dit. M. MARIN – C’est très bien, ça sert à quelque chose.

Dans cette scène, Esméralda revendique un respect réciproque et demande que M. Marin

soit tenu responsable pour ses actions. C’est là que M. Marin affirme le contraire, que

l’élève n’a pas le même droit que l’enseignant. Le fait que M. Marin nie la responsabilité

de ses actions et interroge les élèves en ce qui concerne l’utilité d’une punition remet en

question le système de punition lui-même. L’interrogation continue et nous voyons un

renversement de situation :

ESMERALDA – D’abord vous savez ça veut dire quoi pétasse avant de parler là ? M. MARIN – C’est pas le problème, parce que je ne vous ai pas traité de pétasse. ESMERALDA – Bah si vous nous avez traités de pétasse, déjà pour moi pétasse ça veut dire prostitué. M. MARIN – C’est pas du tout ça. TOUT LE MONDE – Si si si, c’est ça M. MARIN – Dans mon sens à moi, ce n’est pas du tout ça. C’est vraiment pas grave du tout, c’est juste une fille qui ricane bêtement, voilà. Ça va pas plus loin que ça. Esméralda se tourne vers les filles autour d’elle. ESMERALDA – Eh ! Pétasse ça veut dire prostituée non ? M. MARIN – Bah bien sur.

Le langage qui domine n’est plus le français soutenu, mais celui des élèves. En

expliquant à M. Marin ce que ‘pétasse’ veut dire, les élèves affirment la légitimité de leur

langue face aux déclarations de leur professeur. Par ailleurs, ils revendiquent la futilité

des conseils de discipline en expliquant que « tout le monde pète les plombs ». En

rappelant leur côté humain au professeur et le fait que les passions peuvent emporter

n’importe qui, les élèves parviennent à se faire reconnaître. Néanmoins, les élèves

rentrent en opposition directe avec les règles. C’est là que M. Marin essaie de prouver

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l’efficacité du système de punition en invoquant Carl comme un bon exemple. Mais Carl

répond en parlant négativement de sa propre expérience (« quoi, vous croyez que vous

m’avez adouci ?... J’ai rien compris de vos conneries. Pour moi les professeurs qui

excluent les élèves ce sont des enculés ! »). Finalement, le renversement de situation se

complète; c’est M. Marin lui-même qui ‘pète les plombs’ et décide de quitter la cour.

Celui-ci se retrouve dans la cantine tout seul, où il décide de fumer une cigarette malgré

la règle qui l’interdit. La conclusion de cette scène est un commentaire très fort sur les

contradictions et les inefficacités du système d’autorité et de discipline en place dans

cette école. Dans cette classe, au lieu d’un respect mutuelle, c’est le règne du plus fort.

Le jour de jugement

Dans une des dernières scènes, nous voyons la conclusion de l’affaire de

Souleymane. Les professeurs ont décidé de tenir un conseil de discipline pour déterminer

si Souleymane devrait être exclu du collège. Le conseil est composé de plusieurs

professeurs, y compris M. Marin, ainsi que le directeur du collège, la mère de

Souleymane et Souleymane lui-même. L’ambiance de la salle est sombre. Le directeur

explique dans un langage soutenu ce qui s’est passé avec Souleymane. C’est là que l’on

se rend compte que la mère de Souleymane ne parle pas français. C’est donc à

Souleymane de traduire à sa mère ce que les professeurs ont à dire à propos de sa

conduite. Celle-ci revendique le fait que son fils a un comportement exemplaire à la

maison. Mais, pour les professeurs, ce qui se passe à la maison n’a rien à voir avec

l’école. Il s’agit donc de deux perceptions complètement différentes qui ne peuvent pas

être réconciliées à cause de la barrière de la langue presque insurmontable. D’un côté, il y

a l’école, le français soutenu et l’autorité que Souleymane a du mal à intégrer, représenté

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par le principal et M. Marin. De l’autre, à travers la mère de Souleymane, nous voyons la

maison, le langage familial et la différence culturelle, éléments qui n’ont pas de place

dans cette école. Il est important aussi de noter les aspects visuels de cette scène. La mère

de Souleymane est habillée en robe traditionnelle Malienne, Souleymane est en

vêtements de sport et les autres personnes présentes sont habillées professionnellement.

Par ailleurs, comme le dit un des professeurs, il est bizarre que M. Marin soit au

conseil quand il est lui-même impliqué dans l’affaire. Encore une fois nous voyons que

l’école n’est pas un lieu neutre. L’exception qui est faite pour les professeurs et non pour

les élèves démontre un manque de réciprocité et de responsabilité. Le même professeur

qui dénonce la présence de M. Marin remarque aussi le fait que M. Marin avait traité ses

élèves de pétasses et que ceci aurait pu déclencher l’affaire avec Souleymane. Mais,

encore une fois, on ferme les yeux à ce fait et le conseil continue. En fin de compte,

Souleymane est exclu. Cette scène, bien qu’elle n’apporte pas beaucoup de nouveau à la

problématique, illustre très clairement les incompréhensions du système des vies

personnelles des élèves.

Conclusion

En regardant le contexte dans lequel Souleymane a agi de plus près, nous avons

pu voir que ses actions étaient en fait des réactions à un système inefficace. Dans la

première scène de notre analyse, le foot sert comme mode à travers lequel les garçons du

collège peuvent discuter de la différence. Dans cette scène, nous voyons que le racisme

implique tout le monde et n’est pas seulement perpétuer par ceux en pouvoir. Quand

Souleymane réagi à cause de ces problèmes, M. Marin ne relève pas sur ce qui se passe

réellement. Il recourt à une autorité de force au lieu d’une qui valorise le respect. Ce

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respect est nécessaire pour vivre ensemble parce qu’il facilite l’éradication du racisme et

la compréhension de l’autre. Dans la scène qui précède le deuxième incident de

Souleymane, les enjeux sont clairs. La remarque de M. Marin fait grande preuve de

sexisme de sa part. Mais, à cause de sa position d’autorité, il refuse d’admettre sa faute.

Dans la scène prochaine, les élèves de la classe demande que M. Marin soit tenu

responsable, revendiquant non-seulement l’importance du respect mutuelle, mais aussi de

la valorisation de leur culture et leur langue. Finalement, la scène du conseil de discipline

montre à quel point le système ne peut pas gérer la différence. D’abord, le fait que M.

Marin soit inclus dans le conseil terni la soi-disant neutralité de l’école. Puis, bien que la

mère de Souleymane exige que son fils soit bien élevé à la maison, les personnes dans le

se concentrent sur les actions de Souleymane, fermant les yeux aux contexte de ses

actions. Souleymane, qui avait était jugé comme ‘élément perturbateur’ est finalement

expulsé du collège parce qu’il incarne un problème que l’école ne peut pas gérer.

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« Je suis Français. Je suis intéressé à la culture française, à la civilisation française, au peuple français. Nous refusons de nous considérer comme ‘à-côté’, nous sommes en plein dans le drame français… Je suis intéressé personnellement au destin français, aux valeurs françaises, à la nation française. » Frantz Fanon

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CONCLUSION

À travers nos analyses nous avons vu que le système éducatif français ne

fonctionne pas. Au lieu d’intégrer les élèves dans la société française, l’école exclu une

partie importante de ces participants. Déjà pendant la Troisième République, bien que

cette institution soit construite dans l’optique de la démocratisation des français, les

méthodes pédagogiques employées à l’école n’encourageaient pas un environnement

égalitaire. En favorisant la forme écrite de la langue française à l’exclusion de la langue

parlée et des langues régionales en France, l’école a effectivement marginalisé les

langues de la majorité du peuple français. Ce favoritisme c’est transformé en racisme

systémique à travers l’Empire Colonial français, la décolonisation, et l’arrivée de

l’immigration. Mais, comme la France refuse de revisiter ce passé et de l’inclure dans son

histoire officielle, le racisme continue, et on valorise une seule forme de la culture

française. À l’école, les relations entre l’enseigné et l’enseignant ne sont pas égales mais

hiérarchiques, et sont renforcées à travers des modes de transmission de savoir verticaux

et le vouvoiement non-mutuel. À cause de cette relation, le système ne prend pas en

compte la voix de ses élèves et ne peut pas déstabiliser les inégalités dans la société

française. En fin de compte, ceci ne permet pas aux élèves qui ne rentrent pas dans la

moule de se reconnaître dans le système.

Une lueur d’espoir

Néanmoins, il y a une scène dans le film qui semble montrer une lueur d’espoir

dans le cas de Souleymane. Cette scène suit l’achèvement de son autoportrait.

Contrairement aux autres élèves, Souleymane a choisi de faire son travail en photos

plutôt qu’à l’écrit :

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SOULEYMANE: Eh mais non monsieur, vous faites quoi là ? M. MARIN: J’affiche tes photos pour qu’on ait une vision d’ensemble. SOULEYMANE: [il sourit] putain… M. MARIN: les autres ont bien lu leur autoportrait en public, donc toi tu vas afficher publiquement ton autoportrait Souleymane : Elles sont nuls mes photos en plus vous le savez M. Marin : mais non, mais non, elles sont très très bien. Souleymane : ouais, vas-y… M. Marin : et moi, quand il y a quelque chose de bien qui a été fais par un élève, j’ai envie que tout le monde en profite dans la classe. Souleymane : Si vous faites ça c’est pour me charrier non ? M. Marin : mais non, moi je charrie quand j’ai des réserves sur quelque-chose, et là j’ai aucune réserve. Souleymane : [il sourit] vous dites n’importe quoi. M. Marin : [se tournant vers la classe] ceux qui ont fini là peuvent venir contempler le chef-d’œuvre de Souleymane. M. Marin : mais non mais non c’est rien… [Toute la classe vient voir le travail de Souleymane. Souleymane sourit timidement, content d’être reconnu par son professeur, mais pas sûr de la réaction des élèves. Quand les élèves réagissent positivement, Souleymane peut enfin être fier de son travail et sourit plus grandement.]

Dans cette scène nous voyons une version réussite du traitement de la différence. Bien

que Souleymane utilise une méthode différente que les autres, il reçoit quand même

l’estimation de M. Marin pour son travail. Le fait que Souleymane soit incrédule à cette

louange à plusieurs reprise (« si vous faites ça c’est pour me charrier non ? », « vous dites

n’importe quoi ») montre qu’il n’a pas l’habitude d’être félicité pour son travail. Quand

Souleymane accepte finalement son succès, il est évident que ceci l’affecte grandement.

Le fait que le travail soit un autoportrait fait en sorte que la félicitation de M. Marin aille

de long. Le grand sourire de Souleymane à la fin de la scène est la première et seule fois

que l’on le voit aussi heureux. Ceci affirme que Souleymane aimerait être bon élève s’il

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le pouvait. Ça soi-disant ‘délinquance’ n’est donc pas actionnelle, venant d’une

caractéristique essentielle, mais réactionnelle, répondant aux iniquités du système.

Des solutions pour un système qui fonctionne

Avec cette scène et les analyses de notre thèse en tête, nous pouvons maintenant

proposer des solutions aux problèmes du système éducatif français. Suivant les valeurs

françaises, l’école est censée être un lieu conforme à la démocratie, et le fondement

principal de toute démocratie est ces participants. Mais si certains de ces participants sont

exclus, le système devient alors inopérable. Selon le raisonnement démocratique et

républicain, tout homme (et femme) a le droit de s’épanouir et de se faire reconnaître,

surtout à l’école. Les solutions que je propose sont donc toutes conçues avec l’idée

d’inclure ceux qui ont été exclu. Dans cette optique j’aimerais alors proposer les

solutions suivantes :

1) Etablir un respect mutuel entre l’enseignant et l’enseigné

Le premier grand obstacle à la démocratie à l’école est les relations inégales entre

l’enseignant et l’enseigné. Si l’école est le lieu de la création des futurs citoyens,

pourquoi commenceraient-ils dans une position inégale aux autres ? Je propose que le

vouvoiement en cour soit réciproque dès le collège. À cet âge, les enfants commencent

déjà à vouloir se connaître, et il est crucial qu’ils se voient respectés par leur professeur

pour se sentir inclus.

2) Valoriser la culture des élèves

Mais le respect va au-delà des signes de politesse. Pour que les élèves se sentent respectés,

il faut que leur culture et leurs valeurs soient respectées aussi. Au lieu d’être vu comme

un fardeau, le fait d’être porteur d’une autre culture devrait être vu comme une richesse.

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Dans la scène que nous avons dernièrement analysée, il était clair que le fait de valoriser

la culture et la vie de Souleymane a fait de très bon résultat. Une approche similaire

devrait être prise dans les cours français, quelque soit la culture de l’élève (étrangère ou

non), car nous avons vu qu’il y a plusieurs façons d’être français.

3) Repenser l’histoire enseignée à l’école

Mais pour intégrer ces cultures avec succès, il faut repenser la façon dont l’histoire est

enseignée. Aujourd’hui, l’histoire à l’école française est incomplète. Elle n’inclut ni la

colonisation, ni l’immigration. L’histoire de la guerre d’Algérie et de la décolonisation

est limitée, voir abrégée. Plus grave encore, l’université française refuse-elle même de

penser la postcolonie. Pour inclure les élèves issus de l’immigration et de la colonisation,

il faut inclure cette histoire à l’école et faire en sorte que l’on développe une histoire

commune qui implique tout le monde.

4) Adapter le programme scolaire aux vies quotidiennes des élèves

Mais pour une grande partie de ces élèves, la culture n’est pas tout. Pour que les élèves

s’intéressent à ce qu’ils apprennent, il faut qu’ils se sentent partie-prenante dans le

contenue de l’éducation. Je propose donc que l’on incorpore la vie quotidienne des élèves

dans le programme scolaire. Nous avons vu, par exemple, combien le foot est important

dans la vie des garçons de la classe de M. Marin. On pourrait alors enseigner les valeurs

républicaines à travers le foot, en comparant par exemple l’équipe de 1998 à celle de

2010. Il ne serait pas nécessairement question d’éradiquer le programme actuel en faveur

de ce mode d’enseignement, mais de mettre les valeurs républicaines dans un contexte

plus abordables pour les élèves. Dans la scène de l’imparfait du subjonctif, par exemple,

M. Marin aurait pu demander aux élèves qu’ils apportent des exemples de registres

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différents dans leur vie quotidienne pour qu’ils voient que bien qu’ils soient différents, ils

aient tous leur propre place. Encore une fois, au lieu de valoriser une forme de culture ou

de mode de vivre au dépit de tout autre, il faudrait penser la différence d’une façon non-

hiérarchiser. En effet, si même Dominic Schnapper admet que toute société est

multiculturaliste comment peut ont réellement faire des jugements de valeurs sur une

différence au-dessus d’une autre?

5) Valoriser toutes formes d’intelligence

Tout ceci est vite-dit. Il faut des modes d’enseignement concrets pour mieux gérer la

différence. Pour ceci je propose la valorisation de l’intelligence émotionnelle. Dans nos

analyses nous avons vu que l’école française semble valoriser qu’une forme

d’intelligence: celle qui se développe à travers l’abstraction des pensées et la maitrise

correcte de la langue française. Mais cette intelligence ne peut pas faciliter la coexistence.

L’intelligence émotionnelle, par contre, mène à la compréhension de soi et, par extension,

à la compréhension de l’autre. Pour faire ceci il faudrait repenser la discipline. Au lieu

d’une leçon de force, le professeur français devrait utiliser les incidents de ses élèves

comme opportunité pour discuter de leurs émotions. Dans le premier incident de

Souleymane, par exemple, au lieu de sauter sur le fait que Souleymane ait insulté Carl, il

aurait été mieux de voir pourquoi Souleymane a réagi de cette façon et qu’est-ce qu’il

ressentait.

6) Ouvrir la discussion sur les sujets interdits

Mais pour pouvoir effectivement comprendre ses émotions, il faut qu’on puisse parler des

sujets difficiles. Jugeant par nos analyses du film, il semble y avoir un tabou sur toute

discussion portant sur la race, le gendre et la religion. Mais ces sujets imprègnent la vie

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quotidienne de chacun des élèves dans la classe de M. Marin. Par exemple, l’histoire de

Rabah et sa rencontre avec les gens qui « puaient le fromage » mériteraient plus de

discussion. Il est clair que Rabah s’est senti exclu à cause d’un racisme voilé. Le fait que

M. Marin ne puisse pas gérer cette conversation a fait en sorte que Rabah se sentent

encore plus mal à l’aise. Si ces deux avaient pu discuter de ce phénomène, Rabah aurait

pu voir que tout le monde est impliqué dans ce système et il se serait peut-être senti

moins seul.

7) Inviter la critique à l’intérieur du système

Mais ce n’est pas assez de simplement pouvoir discuter des problèmes de la société

française, il faut aussi pouvoir commencer à les résoudre. Je propose en solution finale

que le système invite l’autocritique. Les élèves français sont extrêmement bien placés

pour faire cette critique. En tant qu’enfants, ils sont à la fois hérités des problèmes

sociétaux et représentants d’un nouvel espoir. Dans la réunion de professeur, il aurait

fallu inclure Esméralda et Louise dans la discussion, surtout quand la première s’est mise

à rire. L’idée d’une école qui ne prend pas en compte les opinions de ces participants est

en effet une notion assez ridicule.

En fin de compte, comme le titre de notre film suggère, l’école française s’est

construite comme si elle était un lieu clos où pouvait fraichement se crée le citoyen

français. Mais l’élève français n’est pas une page blanche. Tout élève est porteur de la

culture française, quelque soit ses origines. Chez chaque élève, il y a la possibilité d’un

Souleymane, qui n’arrive pas à se faire reconnaitre, ou d’un M. Marin, qui est coincé

dans ses préjugés. Pour pouvoir gérer ce fardeau, il faudrait donner aux élèves et aux

professeurs les outils nécessaires pour pouvoir réécrire leur histoire et en faire un chef-

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d’œuvre. Pour pouvoir vivre ensemble, il faut reconnaitre la possibilité de la beauté dans

toutes les histoires. Il faut aller au-delà des quatre murs de la salle de classe et bénéficier

de la fraicheur du monde extérieur. Il ne serait alors plus question d’avoir « atteint ses

limites » mais de voir à quel point l’on peut dépasser les murs qui nous retient.

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