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École Nationale Supérieure d’Architecture de la Ville et des Territoires à Marne-la-Vallée

Janvier 2012

Alexis Hagard & Domitille Michard

Master théorie et projet

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Se poser la question de la matérialité d’un projet ar-chitectural, c’est en approcher sa réalité tangible. Ce moment majeur dans la conception constitue l’iden-tité d’une réalisation en nourrissant le dialogue avec son contexte et en se confrontant avec l’héritage/l’actualité des matériaux de construction employés. Dans son livre Penser l’architecture, Peter Zumthor formule en quelques phrases l’ensemble des enjeux soulevés par la question de la matérialité :

« Le sens qu’il s’agit d’instituer au cœur de la matérialité se situe au-delà des règles de composition, et de même la tactilité, l’odeur et l’expression acoustique des matériaux ne sont que des éléments de la langue dans laquelle nous devons parler. Le sens apparaît lorsqu’on réussit à produire dans l’objet archi-tectural des significations propres pour certains matériaux de

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construction qui ne deviennent perceptibles de cette manière que dans cet objet.Lorsque nous tendons à ce but, nous devons constamment nous demander ce que peut signifier un matériau donné dans un contexte architectural donné. Des réponses justes à cette ques-tion peuvent laisser apparaître sous un jour nouveau aussi bien la manière dont ce matériau est utilisé habituellement que ses qualités sensuelles et sa capacité à produire du sens. Par-venus au but, nous pouvons donner résonance et rayonnement aux matériaux. »1

Au regard d’une forme de production architecturale contemporaine, il semble que certains acteurs de la discipline partagent l’expression théorique exprimée par Zumthor. La matérialité est alors réinterprétée. Elle, qui renvoie à des contextes et des cultures constructives connus, devient l’objet de manipu-lations variées. Pour Peter Zumthor, comme pour d’autres architectes qui seront cités par la suite, il ne s’agit pas d’inventer une matérialité, mais de manipu-ler une substance connue et d’énoncer de nouveaux rapports avec elle.Ainsi, ce qui est de l’ordre de l’habitude, soumis à un détournement et aux lois de la perception provoque une sensation intrigante. Dans certaines réalisations, bien que l’on puisse le ressentir, l’acte ordinaire est déstabilisé et peut aller jusqu’à susciter un sentiment inquiétant.Bien qu’elles ne révèlent pas systématiquement la « capacité à produire du sens », les matérialités des projets analysés sont réunies pour leurs aptitudes à engendrer une inquiétante matérialité.

1 Peter Zumthor, Penser l’architecture, Bâle, Birkhaüser, 2008, p. 10.

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Cette formulation se réfère à ce que Sigmund Freud nomme « Unheimliche » en 1919, et qui peut être tra-duit par « L’inquiétante étrangeté », ou, de façon plus appropriée ici, par « L’inquiétante familiarité ».Au début de son essai, le psychanalyste définit som-mairement cette expression ainsi :

« À proprement parlé, l’étrangement inquiétant serait tou-jours quelque chose dans quoi, pour ainsi dire, on se trouve tout désorienté. »2

L’architecture, par son expression matérielle, possède cette capacité à désorienter. Mais cette démarche qui ne se veut pas gratuite, prend son sens en offrant un regard nouveau à partir de référents familiers. Dans ses dernières pages, Freud formule le résultat de son essai ainsi :

« L’inquiétante étrangeté vécue se constitue lorsque des com-plexes infantiles refoulés sont ranimés par une impression, ou lorsque des convictions primitives dépassées paraissent à nou-veau confirmées. »3

L’inquiétante matérialité vécue se constitue-t-elle, dans ce cas, lorsqu’un matériau maitrisé par la conscience collective fait ressurgir une image ou un sentiment oublié du subconscient?

2 Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais (Das Unheilmliche, 1919), Paris, Éditions Gallimard, 1985, p. 216.3 Ibid., p. 258.

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PROLOGUE

TRANSPOSITION _Emprunt« Ready-made » de Marcel Duchamp

_Du prêt-à-porter au sur-mesure _Du Brutalisme à l’ornement _De la duplication au réemploi

De l’emprunt à l’empreinte

EMPREINTE _Contact« Infra-mince » de Marcel Duchamp

_Comme mémoire d’un procédé technique _Comme mécanisme reproductible _Comme expérience

Bibliographie

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13Les formes de production architecturale dont la matérialité révèle une capacité à susciter ce que Freud appelle l’inquiétante étrangeté sont nom-breuses mais classifiables en fonction du degré d’« incommodité » qu’elles imposent. Deux démarches principales se distinguent alors. La première est plus instinctive, et du point de vue de l’observateur plus facilement accessible donc moins étrange. La seconde modifie plus d’éléments fa-miliers afin, justement, d’exacerber le caractère étrange de la réalisation.

. La première procède directement sur la matière par métamorphose. Ainsi, un matériau ordinaire peut devenir inquiétant parce qu’il a été manipu-lé par l’architecte pour en modifier sa perception. Ce dernier joue sur les qualités intrinsèques et habituelles du matériaux : ses dimensions, sa texture, sa mise en œuvre, pour ne citer que quelques exemples. Les bâtiments suivants illustrent de façon concrète les enjeux de la première démarche - la métamorphose - et la manière d’y parvenir.

Pour la réalisation des églises St Marc à Björkhagen (1956-63) et St Pierre

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Sigurd Lewerentz, Église St Mark, Björkhagen, Suède, 1956-63

Claus en Kaan, Musée Kamp Vught, Vught, Pays-Bas, 2002Ecole

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à Klippan (1963-66) - qui ont fait la réputation de l’architecte suédois dans le mouvement Brutaliste -, Sigurd Lewerentz intervient sur les pro-portions entre briques et joints. En effet, dans ces deux édifices, seules des briques standards ont été utilisées, sans jamais être coupées, pour réaliser murs, sols et plafonds. Cela explique l’importance que prend le mortier - en regard des proportions habituelles de murs en briques - afin d’absorber toutes les variations de ces constructions. Finalement, le mortier assume une valeur similaire à celui des briques, modifiant ainsi les rôles qui sont habituellement attribués à ces deux éléments en un rôle ambiguë. Adam Caruso - un des deux fondateurs de l’agence Caruso St John - consacre un article à l’œuvre de Sigurd Lewerentz dans son ouvrage The feeling of things. Il écrit à propos de l’usage de la brique chez l’architecte suédois qu’« en utilisant un matériau ordinaire, Lewerentz réussit à obtenir de la meilleure façon qu’il soit une réalité matérielle re-nouvelée. Rendre spécial un matériau extraordinaire, est banal. Sensibili-ser du caractère humble d’un matériau, comme la brique, est poétique »1. La production d’Adam Caruso et Peter St John illustre, par ailleurs, une certaine fascination pour les matériaux et principalement la brique.Claus en Kaan, une agence hollandaise contemporaine à celle de Caruso St John, réalise en 2002 le Musée Kamp Vught qui traite, en façade, des mêmes problématiques que les églises de Lewerentz. Ce bâtiment d’ex-position - un parallélépipède simple - forme l’entrée de la partie restante d’un camp de concentration datant de la Seconde guerre mondiale. La façade est constituée d’un mur en briques, dans lequel de fines bandes de terre cuite alternent avec des bandes plus épaisses de briques cachées derrière ce qui ressemble à un « joint épais »2. Ce bâtiment utilise donc de façon insolite un matériau banal en renversant les proportions par rapport à un mur de briques conventionnels.D’un point de vue perceptif, les exemples cités ci-dessus sont également

1 Traduction d’un extrait de l’article « Sigurd Lewerentz and a Material Basis for Form », dans Adam Caruso, The Feeling of Things, Barcelone, Ediciones Poligrafa, 2008, p. 77.2 Dominique Boudet, « Mussée Kamp Vught, Vught, Pays-Bas, Claus en Kaan », AMC Terre cuite, 3e semestre 2007, p. 93.

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

EMBT, Rectorat de l’Université de Vigo, Vigo, Espagne, 2006

Fernand Pouillon, Résidence Buffalo, Montrouge, 1955-58

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analogues. De loin, le visiteur ne pressent que vaguement l’inquiétante matérialité de l’édifice qu’il voit dans son ensemble. La vibration inha-bituelle des briques devient plus évidente en se rapprochant. De près, l’étrangeté est explicite : le matériau est connu, sa mise en œuvre non.

La métamorphose qu’opère Fernand Pouillon pour la réalisation des murs des garages de la Résidence Buffalo à Montrouge (1955-58) s’applique également sur la brique. Celle-ci est ici retournée et montrée de profil. Les cavités de la brique, habituellement cachées, sont dévoilées et four-rées de mortier de ciment, ce qui procure aux murs cette étonnante tex-ture. La technique a déjà été employée par l’architecte pour la réalisation du CREPS à Aix-en-Provence (1948-51). La « brique fourrée » mais aussi « bien d’autres éléments et matériaux contribuent au sentiment de fami-liarité dégagé par cette architecture, qui résulte de l’habileté de Fernand Pouillon à jouer à la fois des registres régionalistes et décoratifs »3.Un exemple contemporain de ce principe de retournement du maté-riau pourrait être le nouveau siège du rectorat de l’université de Vigo, construit en 2006 par l’agence EMBT. Ce bâtiment témoigne tant par sa structure que par sa façade, d’une superposition complexe de plans et de matériaux. Ainsi, sur les surfaces extérieures alternent différentes textures de béton, des cadres de fenêtres de formes variées et des pierres grises de Mondariz marquées par des stries verticales. Pour rajouter à l’ensemble un degré de complexité, ces pierres sont tantôt montrées de face tantôt montrées de profil, tantôt rugueuses tantôt lisses. L’empi-lement et le retournement de ces éléments de façades créent un motif discontinu qui dévoile la réalité constructive du bâtiment. Alors que d’ordinaire la pierre est mise en œuvre de façon continue et homogène pour imposer une densité, une masse à l’édifice, elle est ici révélatrice de l’épaisseur fine et uniquement ornementale de l’enveloppe.

Révéler le fonctionnement, la structure de la façade de la Maison Jaune

3 Jean-Lucien Bonillo, Fernand Pouillon, architecte méditerranéen, Imbernon, Mar-seille, 2001, p. 142.

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Valerio Olgiati, La Maison Jaune - Centre culturel, Flims, Suisse, 1999

La Maison Jaune, Flims, Suisse, XIXe s.

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- maison bourgeoise traditionnelle datant du XIXe siècle - est également l’intention de Valerio Olgiati lorsqu’il procède à la métamorphose brutale de ce bâtiment en un espace culturel destiné à abriter les collections de son père, Rudolf Olgiati. Pour ce faire, l’architecte a « évidé la maison jusqu’à la peau »4 en grattant les enduits et peintures au plus profond, en détrui-sant tous les éléments de modénature et finalement en badigeonnant ce cube rugueux de peinture blanche. « De tout cet ordonnancement méti-culeusement effacé, il naît une sorte de palimpseste sur lequel, en trans-parence, la structure originelle vient apparaître [notamment les struc-tures de pans de bois dans la partie supérieure] et ce qui jusqu’alors avait été dissimulé, devient ici, sous le fard révélateur de la peinture blanche, une nouvelle modénature »5. Ce palimpseste - cette coexistence d’éléments anciens et nouveaux, concrets et abstraits - est, d’après Juan Antonio Cortés, la majeure contri-bution au caractère étrange du bâtiment6. Ainsi, lorsqu’il tente de classer par thème les productions de Valerio Olgiati dans son article « Harmo-nized Discordances », l’auteur inscrit la Maison Jaune sous l’intitulé : « Disquieting Presences ». Il conclut d’ailleurs la description de ce bâtiment par la phrase : « Ce bâtiment ressemble à un fantôme dans le contexte calme de Flims »7. Cela rejoint une nouvelle fois les propos de Sigmund Freud, qui, parmi ses exemples pour expliciter le concept d’inquiétante étrangeté, cite celui d’Ernst Jentsch. Les écrits de ce dernier ont précédé ceux de Freud. Il « a mis en avant comme cas privilégié la situation où l’on doute qu’un être apparemment vivant ait une âme, ou bien à l’inverse, si un objet non vivant n’aurait pas par hasard une âme »8. L’explication purement cognitive donnée par Jentsch à la « psychologie » de cette inquiétante

4 Heinrich Helfenstein, « Un arsenal culturel. La Maison Jaune à Flims. Archi-tecte : Valerio Olgiati », Faces, n°49, printemps 2001, p. 49.5 Jean-François Caille, «Détails modénature, Centre Culturel, Flims, Suisse », AMC, n°120, novembre 2001, p. 112.6 Juan Antonio Cortés, « Harmonized Discordances. Valerio Olgiati’s object architecture », El Croquis Valerio Olgiati 1996-2011, n°156, 2011, p. 43.7 Ibid., p. 43.

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étrangeté - en termes « d’incertitude intellectuelle » à juger si l’objet est animé ou inanimé - se rapproche de la perception fantomatique que l’on pourrait avoir face à ce bâtiment d’Olgiati - l’architecte offrant comme une deuxième vie au bâtiment.

Cependant, le mémoire qui suit ne traitera pas de métamorphose - que ce soit une modification des proportions, du profil ou une altération comme dans les exemples précédents -, mais traitera d’une seconde démarche.

. La seconde démarche consiste à emprunter un objet ou une matéria-lité, toujours dans le but d’obtenir une perception à la fois inquiétante et étrange. Ces prélèvements directs sur la réalité sont de deux sortes - transposition d’une matière dans un contexte étranger et empreinte d’une matière sur une autre matière-. Le résultat de cette démarche est d’autant plus « incommode » qu’il provient d’une origine disparue et sollicite ainsi le subconscient du spectateur. Il s’agit d’un contexte disparu dans la transposition et d’une matière disparue dans l’empreinte, tandis que dans la première démarche, contexte et matériau d’origine restent inchangés et donc le sentiment d’inquiétante matérialité est moins fort.Comme souvent en architecture, ces procédés à l’allure inédite trouvent en fait leur inspiration dans le domaine de l’art. La production artistique, ne devant souvent rendre des comptes qu’à elle-même, exploite cette grande liberté au service de l’avant-garde. Apparait alors un ensemble d’œuvres et d’importantes figures du XXème siècle qui se sont essayées ou sont clairement à l’initiative de ces procédés de transposition et d’em-preinte. Marcel Duchamp, en particulier, est évoqué dans la plupart des ouvrages traitant de ce thème. L’artiste, dont l’œuvre exerce, en effet, une influence majeure sur les différents courants de l’art contemporain, a formulé des concepts – le « ready-made » et « l’infra-mince » - qui sont

8 Ernst Jentsch, Zur Psychologie des Unheimlichen, 1906 [trad. Sur la psychologie de l’étrange], cité dans Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais (Das Unheil-mliche, 1919), Paris, Éditions Gallimard, 1985, p. 224.

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ici associés respectivement aux procédés de transposition et d’empreinte.

Les deux parties - transposition et empreinte - sont donc précédées d’une brève énonciation des deux concepts de Duchamp. En résonance di-recte avec la démarche architecturale, ces outils conceptuels permettent d’établir un discours théorique sur les deux procédés étudiés, ainsi que d’ordonner et d’interprêter des édifices concrets. D’autres références artistiques sont directement intégrées au texte. Ces pages consacrées à l’ « art » se distinguent par leur couleur.

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25Cinquante ans après la réalisation de son premier ready-made - Roue de bicyclette en 1913 -, Marcel Duchamp fournit sans doute la définition la plus simple et la plus explicite de cette nouvelle démarche artistique, qui marque le début de l’art conceptuel. Dorénavant, l’art n’est plus une question de forme mais de fonction, ce n’est plus une question d’esthé-tique mais de conception. En effet, Marcel Duchamp revendique un style d’élaboration mécanique de l’art qui ne procède plus d’un travail manuel mais de stratégies d’appropriation et de duplication. Celles-ci sont dé-crites dans l’ouvrage de Francis M.Naumann - Marcel Duchamp, l’art à l’ère de la reproduction mécanisée, 1999 - où l’auteur offre une définition complète du terme « ready-made » :

« Objet courant, préfabriqué, que l’on isole - avec ou sans altération - de son contexte fonctionnnel pour l’élever au statut d’œuvre d’art par la seule vertu de son choix. »2

Le ready-made de Duchamp le plus célèbre est sans aucun doute la Fon-

« Ready-made » de Marcel Duchamp

« Un ready-made est une œuvre d’art sans artiste pour la faire. »Marcel Duchamp, 1963 1

1 Francis M.Naumann, Marcel Duchamp, l’art à l’ère de la reproduction mécanisée, Paris, Éditions Hazan, 1999, p. 299.2 Ibid., p. 299.

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taine, réalisée en 1919 et reproduite, sous la direction de l’artiste, en 1964. L’objet courant, préfabriqué - dans cet exemple, un urinoir ordinaire - est élevé au statut d’œuvre d’art par le simple fait de lui donner un titre - la Fontaine - et un auteur - Richard Mutt -. L’artiste s’explique sur le choix de ses ready-mades qui « n’était jamais dicté par une délectation esthétique. Ce choix était fondé sur une réaction d’indifférence visuelle avec, dans le même temps, une absence totale de bon ou de mauvais goût... en fait une anesthésie complète »3. C’est ce rejet de la définition traditionnelle de l’art, cet abandon de toutes conventions formelles - à la fois l’indiffé-rence esthétique et l’effacement de l’auteur - qui vaut aux ready-mades de Duchamp la qualification d’anti-art, ou, pour employer une expression que l’artiste affectionnait, d’art à propos d’art.L’acte sélectif est acte créatif essentiel comme le propose Duchamp pour qui le ready-made reflète cette attitude :

« Pourquoi « faire »? Qu’est-ce que c’est que « faire »? Faire quelque chose, c’est choisir […]. C’est toujours choisir. Alors, pour choisir, on peut se servir de tubes de couleurs, on peut se servir de pinceaux, mais on peut se servir aussi d’une chose toute faite, qui a été faite ou mécaniquement ou par la main d’un autre homme, si vous voulez, et se l’approprier. »4

Une œuvre en particulier illustre la pleine appropriation d’objets dé-tournés par l’artiste. Il s’agit de la reproduction de La Joconde, en 1919, auquel Duchamp ajoute des moustaches et attribut un nouveau titre : L.H.O.O.Q.. En 1965, Duchamp signe un nouveau ready-made avec une autre reproduction de cette œuvre de De Vinci mais cette fois non « recti-fiée » : L.H.O.O.Q. rasée. L’artiste restaure simplement cette image en son état initial mais se réfère davantage à son geste précédent qu’à l’œuvre de De Vinci. En iconoclaste dadaïste, Duchamp désacralise l’œuvre et, en

3 Marcel Duchamp, « A propos of ‘’Ready-mades’’ », conférences au Museum of Modern Art, New-York, 19 octobre 1961, dans Éric Lapierre, « Inquiétant ready-made », Matières, n°7, 2004, p. 21.4 Marcel Duchamp interviewé par Georges Charbonnier, Entretiens avec Marcel Duchamp, Marseille, André Dimanche Éditeur, 1994, p. 61.

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READY-MADE _DUCHAMP

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redoublant subtilement cette proposition, se réfère à un autre original - le sien - et se substitue en partie à l’auteur.Choisir un objet ready-made et se l’approprier pour qu’il devienne œuvre d’art peut amener à le rectifier - comme dans l’exemple de l’œuvre L.H.O.O.Q. citée précédemment - en corrigeant ou en introduisant de légers ajustements sur l’objet d’origine. Le ready-made s’accompagne donc souvent d’un qualificatif : en plus du ready-made « rectifié », il existe le ready-made « aidé » - c’est-à-dire légèrement altéré ou combiné avec un autre ready-made comme pour la Roue de bicyclette ou la Fontaine -, ou encore l’« imité » ou l’« imprimé »5.

Cependant, Duchamp est rapidement conscient du danger du concept de ready-made dont la limite est inscrite dans sa définition même : puisque l’œuvre d’art est réduite à sa fonction énonciative6 - « ceci est de l’art » -, qu’empêche l’artiste de nommer ready-made n’importe quel ob-jet courant? Pour éviter de trahir l’idée propre au ready-made, Duchamp a immédiatement fait intervenir la sobriété et l’économie, c’est-à-dire : « Doucement. Un ready-made de temps en temps, mais pas dix par jour. »7. Mais si une pelle à neige, par exemple, est reçue comme œuvre d’art, il est logique de se demander si toutes les pelles à neige – non seulement celle qui a été sélectionnée, mais aussi toutes celles qui ont été laissées dans la quincaillerie – doivent être rangées dans la même catégorie.Finalement, la question de la distinction existant entre un original et une réplique est inévitable dans le concept de ready-made de Duchamp. Dans son ouvrage consacré à l’artiste, Thierry de Duve tache d’y ré-pondre en définissant le ready-made comme une sorte de rendez-vous entre un objet et un auteur8 qui doit répondre à trois conditions, dans le but de dissocier l’objet-œuvre d’art et l’objet-courant de référence : celle

5 Voir glossaire dans Francis M.Naumann, op. cit. (note 1), p. 299.6 Expression empruntée par Thierry de Duve à Michel Foucault dans L’archéo-logie du savoir, dans Thierry de Duve, Résonances du readymade, Duchamp entre avant-garde et tradition, Paris, Hachette Littératures, Collection Pluriel Arts, 2006, p. 13.7 Marcel Duchamp, op.cit. (note 4), p. 63.8 Thierry de Duve, op.cit. (note 6), p. 22.

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

de préciser les ready-mades, autrement dit de choisir, celle d’inscrire un readymade et celle de le signer. L’idée de fabrication n’existant plus, l’acte de nommer l’objet devient une condition pertinente à spécifier cette ren-contre, comme le jeu de mots tridimensionnel utilisé pour le ready-made Trébuchet, réalisé à partir d’un porte-manteau fixé au plancher ou l’inscrip-tion In advance of the broken arm sur la pelle à neige. Duchamp multiplie les mécanismes linguistiques - anagrammes, acrostiches, contrepèteries, paronymies... - pour intituler ses œuvres ready-mades. Cette forme humoristique nécessaire est à la base du concept ready-made que Duchamp lui-même considère « comme une sorte d’ironie »9. Thierry de Duve parle, lui, d’un « n’importe quoi »10 - expression avancée positivement et analytiquement - que les critiques agressifs du ready-made reprennent de façon négative. Pour eux, ce jugement est lié à une intention gratuite et à l’absence de tout objet d’art qui se respecte.Finalement, l’antagonisme de ces positions démontre les avis divisés quant au positionnement de l’œuvre de Duchamp dans le domaine de l’art et quant à sa singularité - revendiquée ou détestée -. Pourtant, comme le souligne Didi-Hubermann, c’est cette « singularité des objets eux-mêmes […] et la structure des contextes où ils se transforment, mais qu’ils transforment aussi »11 qui établissent deux ordres de nécessité em-pêchant le ready-made d’être « n’importe quoi ».

9 Entretien avec George Heard Hamilton, New York, 19 janvier 1959, publié dans The Art Newspaper, Londres, t. III, n°15 (février 1992), p. 13., dans Francis M.Naumann, op. cit. (note 1), p. 64.10 Thierry de Duve, op.cit. (note 6), pp. 118-144.11 Francis M.Naumann, op. cit. (note 1), pp. 110-111.

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Marcel Duchamp, Roue de bicyclette, 1913, Neuilly / 1964, Paris - Ready-made aidé, hauteur : 126,5 cm - Original perdu

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Marcel Duchamp, In Advance of the Broken Arm, 1915, New-York / 1964, Milan - Ready-made, hauteur : 132 cm - Original perdu

Marcel Duchamp, Porte-bouteilles, 1914, New York - Ready-made, hauteur : 64,2 cm - Original perdu

* Marcel Duchamp, Fontaine, 1917, New-York / 1964, Milan - Ready-made aidé, hauteur : 62,5 cm - Original perdu

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Marcel Duchamp, Porte-chapeaux, 1917, New York - Ready-made aidé, hauteur : 23,5 cm, diamètre à la base : 14 cm - Original perdu

Marcel Duchamp, Trébuchet, 1917, New York / 1964, Milan - Ready-made aidé, dimension : 11,7 x 100 cm - Original perdu

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Marcel Duchamp, L.H.O.O.Q. 1919, Paris - Ready-made rectifié, dimension : 19,7 x 12,4 cm - Collection Mary Sisler, New York

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Marcel Duchamp, La bagarre d’Austerlitz, 1921, Paris - Assemblage, dimension : 62,8 x 28,7 x 6,3 cm - Collection William N. Copley, New-York

Le Woolworth Building vers 1915, New York

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35En janvier 1916, Marcel Duchamp écrit dans ses notes ce pense-bête : « Trouver [une] inscription pour [le] Woolworth building / comme ready-made »12. Ce témoi-gnage est la preuve que l’artiste souhaite étendre la notion de ready-made pour y inclure non seulement les objets familiers et portatifs - telle que la pelle à neige - mais aussi des objets de dimensions beau-coup plus importantes, voir des édifices. En fait, Duchamp a parfaitement conscience que la nouvelle définition de l’art instaurée par le concept du ready-made le pousse à défier sans cesse les révisions qu’il avait lui-même établies, jusqu’à se questionner sur la notion de l’architecture « ready-made ».Ce que l’on nomme, dans cette première partie, transposition se réfère d’une certaine façon à l’archi-tecture « ready-made » car, comme cette dernière,

12 Arturo Schwarz, Notes and Projects for the Large Glass, London, Thames & Hudson, 1969, p. 92., dans Francis M.Naumann, op. cit. (note 1), p. 64.

TRANSPOSITION _EMPRUNTIntroduction

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elle consiste à s’approprier un objet - associé à un contexte, une culture constructive et une percep-tion habituelle - et à le transposer dans une situation étrangère. Ce thème rassemble ainsi un ensemble de projets autour d’une démarche commune : celle de mettre en œuvre des matériaux là où l’on ne les attend pas.

La démarche de transposition serait - si l’on reprend trois caractéristiques originelles du ready-made - à la fois : un prêt-à-porter, un objet d’une esthétique directe, voir brutale et une duplication. Cependant, la traduction de l’art à l’architecture n’est pas aussi radicale. Pour des raisons principalement d’usage, de contexte et d’économie, l’architecture de transpo-sition est souvent plus complexe que le ready-made et s’éloigne de la définition de Duchamp selon diffé-rents degrés qui vont du prêt-à-porter au sur-me-sure, du brutalisme à l’ornement et enfin, de la duplication au réemploi.

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TRANSPOSITION _EMPRUNTDu prêt-à-porter au sur-mesure

ready-made adj. [clothes] de confection, prêt-à-porter.13

prêt-à-porter n.m. Ensemble de vêtements exécutés selon des me-sures normalisées, par oppos. aux vêtements sur-mesure.14

Le regard des artistes et des intellectuels sur les objets ready-made de Duchamp a induit une nouvelle conception dans l’architecture contem-poraine, dont l’archétype même est la maison à Coutras de Lacaton et Vassal. Pour cette réalisation, les architectes ont procédé à une si forte réduction des éléments architecturaux qu’elle constitue un ready-made architectural résultant de l’implantation sur le site de deux objets manu-facturés - des serres horticoles en polycarbonate ondulé transparent - dont la forme n’a pas été modifiée. La serre « programmée », qui accueille les fonctions vitales de la maison - séjour, cuisine, chambres à coucher, salle de bains, toilettes -, est « aidée » : elle est isolée et doublée de bois en contre-plaqué. Au contraire, la serre « jardin d’hiver », qui constitue une surface sans affectation précise ouverte aux sollicitations des habitants, est laissée brute.Alors que Marcel Duchamp dissocie clairement le ready-made - choisi dans la plus parfaite indifférence esthétique - de l’objet trouvé - décou-vert fortuitement et conservé en raison de sa valeur esthétique15-, les

13 Dictionnaire Le Robert & Collins Senior, Français-Anglais, Anglais-Français, 2002.14 Dictionnaire Le Petit Larousse illustré, 1999.15 Francis M.Naumann, op. cit. (note 1), p. 298.

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Lacaton & Vassal, Maison individuelle, Coutras, 2000

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TRANSPOSITION

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architectes Lacaton et Vassal se positionne difficilement quant au statut esthétique de leur architecture. En effet, l’un affirme « on se fiche de l’aspect extérieur de nos bâtiments »16 tandis que l’autre souligne que leur démarche « […] est une façon totalement directe de mettre en œuvre les choses, d’assumer les matériaux, d’assumer les assemblages : cette per-formance, devient aussi une qualité esthétique »17. Cette formule d’Anne Lacaton renvoie à la définition psychanalyste de l’esthétique qui ne se limite à la théorie du beau mais qui est décrite comme la théorie des qualités de notre sensibilité18. Cette ambiguïté n’est pas sans rapport avec le fait que la logique de mise en forme de ces architectes est « non-dé-cisionnelle », due à une rigoureuse économie de moyens. Pour Lacaton et Vassal, l’économie comme processus de travail offre la possibilité de déplacer les limites de certaines catégories architecturales admises, jus-tifiant dans le même temps, la perception inconfortable et étrange qui émane de ce type d’architecture.Les deux serres juxtaposées de la maison à Coutras, à l’instar des dix-sept containers superposés du magasin Freitag à Zurich, évoquent la dupli-cation, qui avec l’appropriation, constitue l’autre thème du ready-made : « Un […] aspect important du ready-made est son manque d’unicité... la réplique d’un ready-made délivrant le même message »19. Ce magasin, tout comme le produit vendu - des sacs réalisés à partir de bâches récupérées sur des camions - illustre une démarche de décontextualisation et de change-ment de fonction d’un objet industriel. Constructions à la fois modu-laires, résistantes, isolantes et économiques, les containers sont passés d’un statut itinérant à un statut mobile, d’un statut de contenants pour le transport de marchandises à celui de magasin.

16 Conversation avec Jean-Philippe Vassal, Pais, 22 juillet 2003, dans Éric Lapierre, op.cit. (note 3), p. 21.17 Conversation avec Anne Lacaton, Paris, 2 juin 2004, dans Éric Lapierre, op.cit. (note 3), p. 24.18 Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais (Das Unheilmliche, 1919), Paris, Éditions Gallimard, 1985, p. 213.19 Marcel Duchamp, op.cit. (note 3).

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

En inventant le concept de ready-made, Marcel Duchamp s’approprie un terme de l’industrie du vêtement : le « prêt-à-porter », par opposition au « sur-mesure ». La maison à Coutras ainsi que le magasin Freitag à Zurich - et l’architecture container, en général - constituent des exemples de « prêt-à-porter » mais ces derniers sont plutôt rares dans le domaine architectural.Le « sur-mesure », en revanche, est plus courant car il implique un assem-blage d’objets trouvés qui peut s’adapter à la nouvelle surface souhaitée. « Cette manière de sélectionner un objet auquel on ne prête généralement pas d’attention et de le changer de contexte préoccupe les architectes Herzog et De Meuron [...] »20 qui, pour la réalisation de l’immeuble rési-dentiel et commercial Schützenmattstrasse à Bâle, utilisent cette stratégie du « sur-mesure ». Pour couvrir la totalité de la façade de l’immeuble, les architectes ont recours à un agencement répétitif d’un motif existant - celui de grille d’égout - qui, grâce à un transfert associé à un changement d’échelle, a pu être transformé en éléments de façade. Cette fascination pour la littéralité d’un objet trouvé ne concerne pas seulement les aspects formels du motif, mais aussi le mode de fabrication adopté21. Comme pour la fabrication de la grille d’égout - produit industriel de l’entreprise Von Roll -, Herzog et de Meuron ont d’abord modélisé une forme posi-tive en bois qui a permis de créer un négatif en sable dans lequel furent coulés les volets en fonte. Les architectes ne se contentent pas de repro-duire l’objet de référence mais s’en servent comme moyen de susciter plusieurs niveaux de signification, de perception. Par exemple, la grille d’égout habituellement disposée au sol est ici présentée verticalement, générant le caractère ondulant de la façade « qui ne rappelle pas seule-ment celui d’un tissu, mais il évoque aussi celui d’un rideau de théâtre ou des grilles d’ornement dans l’architecture islamique »22.

20 Adrien Besson, « Analogie et littéralité : sur le transfert en architecture », Faces, n°68, Hiver 2010-2011, p. 16.21 Ibid., p. 16.22 Gerthard Mack, Herzog & De Meuron 1978-1988 The Complete Works Volume 1, Bâle, Birkhäuser Verlag, 1995, pp. 85-93, dans Adrien Besson, op.cit. (note 20), p.16.

* Herzog & De Meuron, Immeuble résidentiel et commercial, Bâle, 1993

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Jean Nouvel, Hotel du restaurant Saint-James, Bouliac-Bourdeaux, 1989

Office, After the party, Venise, 2008

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Pour la réalisation de la façade de l’hôtel-restaurant Saint-James à Bou-liac-Bordeaux en 1989, Jean Nouvel a également recours à un objet de type industriel, habituellement disposé au sol - des grilles de caillebotis en acier corten -. L’utilisation de cet objet sorti de son contexte et l’ambi-guïté de l’apparence rustique du bâtiment, qui fait référence aux séchoirs à tabac de la région, renversent les idées formelles préconçues des hôtels-restaurants de luxe. Alors que l’architecture contemporaine « dérange » parfois en introdui-sant des matériaux industriels connotés, les pavillons, au contraire, - car ils sont éphémères et n’ont pas à respecter toutes les contraintes pro-grammatiques - sont plus aptes à recevoir sans apriori les matériaux de transposition. L’agence Office réalise, pour la Biennale de Venise en 2008 : After the party, un pavillon construit à partir de planchers d’échafau-dages. Ces murs métalliques isolent le pavillon existant de son entourage immédiat et crée un nouvel espace en transformant le jardin en patio clos. Comme le pavillon, ces objets transposés de l’ordre urbain sont eux-mêmes éphémères - car, dans leur contexte usuel, démontés après la construction de l’édifice qu’ils couvrent -. Ici, le matériau informe donc sur le statut et la temporalité de la construction.

Puisque l’échelle d’intervention diffère entre l’objet ready-made et l’ar-chitecture de transposition, le procédé mis en œuvre est lui aussi distinct. Même s’il est possible d’adapter un programme dans un objet ready-made « prêt-à-porter », il est souvent plus facile d’adapter un objet ou un matériau transposé sur une forme pensée pour un programme précis. « La forme suit la fonction », serait ici l’étape précédent « le matériau suit la forme » expliquant pourquoi l’architecture de transposition s’oriente plus vers une technique d’assemblage « sur-mesure ».

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TRANSPOSITION _EMPRUNTDu Brutalisme à l’ornement

« Thus the «As Found» was a new seeing of the ordinary, an openness as to how prosaic «things» could re-energized our inven-tive activity. »10

L’esthétique « directe », proche de celle du ready-made, traverse le XXe siècle, mise en œuvre par certains artistes à la recherche d’immédiateté et de sauvagerie, comme ceux de l’art brut ou de l’Arte Povera - Jean Dubuffet, Giuseppe Penone ... -, comme Jackson Pollock, Joseph Beuys, ou encore Eduardo Paolozzi et Nigel Henderson. C’est avec ces deux derniers que les architectes britanniques, Alison et Peter Smithson, in-troduisent, en 1953, le concept d’ « As Found », lors de l’exposition « Parallel of life and art » à l’Institut d’art contemporain de Londres. Celle-ci offre l’occasion de reconsidérer un monde à la fois habituel et ambi-guë. Animé par l’idée modeste de prendre en photo le contexte banal autour de sa maison, le photographe Nigel Henderson met en scène une sorte d’esthétique du réel aussi familière qu’étrange. Ainsi, une poi-gnée de brouettes déposées à la verticale pour être probablement séchées peut être perçue instinctivement comme un champs de pierres tombales. L’usage habituel de l’objet, ainsi modifié par une intervention naturelle,

23 Alison & Peter Smithson, « The ‘As found’ and the ‘Found’ », dans David Robbins, The Independent Group : Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, Cam-bridge, MIT Press, 1990, pp. 201-202.

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Nigel Henderson, Construction site in Hunstanton, 1953

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Alison & Peter Smithson, Ecole à Hunstanton, 1949-54

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devient l’évènement d’une perception inhabituelle. Cette « découverte de l’ordinaire »24 est mise au service d’une autre exposition majeure « This is Tomorrow » à la Whitechapel Art Galery en 1956.Le nombre des réalisations architecturales des Smithsons peut sembler faible au regard de leur abondante production théorique mais leur in-fluence est si effective qu’il est encore possible d’en trouver les stigmates dans la production actuelle. Ils sont notamment membres du Team X et protagonistes du mouvement du New Brutalism, théorisé par Reyner Banham en 1955, qui déclare en se référant à l’école d’Hunstanton (1949-54) :

« Les qualités de cet objet peuvent être résumées comme suit : 1. Régularité visible [formal legibility] du plan ; 2. Exhibition claire de la structure ; 3. Mise en valeur des matériaux pour leurs qualités propres, montrées « telles quelles » [as found]. »25

Dans AS Found - The Discovery of the Ordinary, Claude Lichtenstein insiste également sur l’importance des qualités intrinsèques des matériaux « As Found » dans l’architecture néo-brutaliste : « […]open exposure of the construction, and the choice of materials for their inherent As Found qualities were the most important criteria of New Brutalism in archi-tecture »26. La transposition « As Found » est donc le déplacement d’un matériau pour révéler des qualités physiques et esthétiques propres mais jusqu’alors inexploitées.Il est intéressant de souligner que ce même ouvrage présente la Domi-nus Winery d’Herzog & De Meuron comme l’archétype de l’« As Found Today » : « The Dominus Winery in the Napa Valley, by Jacques Herzog et Pierre

24 Formulation inspirée du titre de l’ouvrage de Claude Lichenstein et Thomas Schregenberger, As found, The Discovery of the Ordinary, Zurich, Lars Müller Publishers, 2001, 319 p.25 Reyner Banham, « Le nouveau brutalisme », Marnes, documents d’architecture, Volume 1, Paris, Éditions de la Villette / Ecole d’architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée, Janvier 2011, p. 58. (trad. Reyner Banham « The New Brutalism », The Architectural Review, n°708, 1955)26 Claude Lichenstein et Thomas Schregenberger, op. cit. (note 24), p. 125.

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De Meuron, represents an approach to design that arises from a skeptical attitude and conceives architecture as a kind of instrument for the perception of reality. »27 Comme souvent dans la production architecturale des deux architectes bâlois, l’enveloppe de ce bâtiment se présente comme la surface d’un discours théorique. Le volume lourd du Dominus Winery, domaine viticole posé au cœur d’un panorama rural, est constitué de murs en gabions. Ces cages de fer enfermant des pierres brutes et irrégulières sont d’ordinaire exploi-tées dans la pratique de l’aménagement paysagé ou de l’ingénierie flu-viale pour servir de murs de soutènement ou de digues. Si Herzog & De Meuron placent « la réalité de l’architecture » dans les matériaux, c’est qu’ « ils trouvent leur plus haute expression une fois arrachés à leur contexte naturel »28. Au-delà de leurs rôles structuraux évidents, les ga-bions démontrent des qualités d’inertie thermique favorables à l’usage du bâtiment et servent de filtres de lumière. Ainsi, dans la partie inférieure de l’enveloppe en gabions, dite « technique », sont disposées les pierres de petites dimensions - la densité et la compacité protège la production viticole des températures fluctuantes de la région -, alors que dans la partie supérieure, dite « esthétique », sont disposées les pierres de plus grandes dimensions - la porosité laisse passer la lumière de façon subtile et poétique. Cette transposition confirme les préoccupations d’Herzog et de Meu-ron quant à « la présence matérielle, physique, de l’architecture, […] les limites de la relativité matérielle. […] Qu’est-ce qui incarne la pesanteur? De quoi le clair se compose-t-il? Qu’est-ce qu’un mur, la lumière, etc.? En tout cas, toutes ces notions parlent de la perception humaine du monde physique sur un plan intellectuel, spirituel. »29

La transposition dans un contexte autre s’effectue parfois à l’échelle

27 Ibid., p. 14.28 (Trad.) Jacques Herzog, « Die verborgene Geometrie der Natur », p. 209., dans Philip Ursprung, Herzog & De Meuron : Histoire Naturelle, Montréal,- Baden, Centre canadien d’architecture,- Lars Muller Publisher, 2002, p. 55.29 (Trad.) Wilfried Wang, Herzog & De Meuron, Bâle, Birkhäuser, 1992, p.185, dans Philip Ursprung, op. cit. (note 28), p. 291.

* As Found today : Herzog & De Meuron, Dominus Winery , Napa Valley, Cali-fornie, 1993

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Éric Lapierre, Le Point du Jour, Cherbourg-Octeville, 2008

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même d’un bâtiment. Il s’agit par exemple de prendre un matériau qui se situe normalement sur une face, comme le toit, et de l’appliquer sur une autre face - ou sur l’ensemble de l’enveloppe -. Le centre d’art de Cher-bourg-Octeville, Le Point du Jour, d’Eric Lapierre se présente comme un exemple concret pour illustrer ce geste. Cet objet architectural aux façades homogènes et peu percées affirme une texture continue sur tous ses plans. Au-delà d’une matérialité intrigante, au regard d’un tissu urbain traditionnelle, cette réalisation de 2008 se veut être l’application directe d’une étrangeté raisonnée. Le Point du Jour est une enveloppe lisse en Paxaluminium. Ce film gaufré au reflet argenté est généralement utilisé pour ses qualités d’étanchéité sur les toitures terrasses. Ainsi caché sur les hauteurs, à l’abri des regards derrière des acrotères, ce matériau est destiné à ne pas être montré. L’architecte fait ici le choix volontaire de le révéler et de le transposer sur l’ensemble de l’édifice. L’instinct et la réalité constructive justifie ce choix pour ses potentialités techniques. La qualité intrinsèque de ce matériau industrialisé étant d’être imperméable, en recouvrir pleinement l’édifice permet de lui assurer une grande pro-tection aux facteurs naturels. En lui assurant une parfaite continuité, il n’est plus nécessaire d’avoir recours à des éléments techniques de façades souvent trop expressifs. Cette forme forte s’expose ainsi sans aucune perturbation.

Dans son ouvrage précisément intitulé Forme forte, Martin Steinmann écrit à ce propos un article « Les dessous de Madonna. Du fait de mon-trer des matériaux qui ne sont pas destinés à l’être » où l’auteur soulève la question des codes et conventions dans la perception des matériaux en façade :

« Les significations ne sont pas fixées une fois pour toutes. Si les choses acquièrent une signification particulière du fait qu’elles sont « différentes » de ce que nous connaissons - une nouvelle signification est déterminée par sa différence avec une signification plus ancienne -, cet effet s’atténue avec le temps. Nous nous habituons aux choses, leur

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Gigon et Guyer, Musée Suisse des transports, Lucerne, 2009

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modification se modifie du fait de l’habitude. »30.

Martin Steinmann ajoute en citant Lucius Burckhardt que « […] ces nouvelles significations sont issues d’une tension qui se produit par rap-port aux anciennes »31. L’inquiétante étrangeté du Point du Jour naît donc de la perception brutale due à une tension entre la signification d’un matériau originellement caché - le Paxalu - et sa nouvelle signification, son nouvel usage comme matériau exposé, dévoilé aux yeux de tous en façade. Cette intention plastique est l’interprétation d’un véritable dis-cours théorique dans lequel Éric Lapierre se réfère effectivement à Sig-mund Freud - notamment lorsqu’il met en parallèle « le connu devenu méconnaissable de par sa mise en situation inédite »32 et le « quelque chose de refoulé [qui n’est pas forcément angoissant au départ et] qui fait retour »33.

Le bâtiment du Point du Jour – qui peut être considéré comme une forme d’héritage du mouvement brutaliste - soulève donc la question du rôle esthétique de la démarche. Là-dessus, le discours d’Éric Lapierre :

« le détachement par rapport à une esthétique et à une beauté préconçues permet à l’architecture de dépasser le cadre des solutions convenues de tous »34

se rapproche une nouvelle fois de celui de Martin Steinmann :

« une mise en œuvre appropriée [d’un matériau transposé] révèle paradoxalement

30 Martin Steinmann, « Les dessous de Madonna : du fait de montrer des matériaux qui ne sont pas destinés à l’être », Forme forte : écrits 1972-2002, Basel, Birkhäuser, 2003, p. 210.31 Lucius Burckhardt, « Der gute Geschmack », in Stilwandel, Berlin, 1986, p. 32., dans Martin Steinmann, op.cit. (note 30), p. 210.32 Éric Lapierre, Le Point du Jour : une architecture concrète, Cherbourg-Octeville, Point du Jour, 2011, Chapitre : Inquiétante étrangeté.33 Sigmund Freud, op. cit. (note 18), p. 246.34 Eric Lapierre, op.cit. (note 32), Chapitre : Temps.

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Gigon et Guyer, Musée Suisse des transports, Lucerne, 2005

Alison & Peter Smithson, Exposition, This is Tomorrow, Whitechapel Art Gallery,1956

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la beauté de sa banalité, une beauté qui résulte précisément de la tension entre signi-fication et effet »35.

L’interrogation sur l’esthétique induite en façade par le recours de maté-riaux transposés se poursuit avec l’exemple du musée Suisse des trans-ports à Lucerne réalisé par l’agence Gigon & Guyer en 2005 et de son extension en 2009. Cette dernière se définit comme un volume simple, un cube dont les façades sont recouvertes de larges panneaux autorou-tiers. Trois d’entre elles sont marquées par une couleur dominante - le fond vert, blanc ou bleu des panneaux - tandis que la quatrième façade, celle à l’arrière, se caractérise par le retournement du « matériau ». Ainsi, les visiteurs, comme les automobilistes, ne perçoivent que les faces im-primées des panneaux et non pas les faces non traitées, métalliques des panneaux retournés à l’arrière. Cela souligne le caractère symbolique et purement ornemental de ces éléments qui ne sont transposés en façade que dans le but de faire référence aux villes de provenance des visiteurs et au contenu du musée. Les architectes s’expriment sur ce thème de la façon suivante : « Both building [le musée et son extension] are ‘decorated’ - a ‘shed’ and a ‘duck’ - and both deal with the subject of trafic which has fundamentally changed our perception of architecture, as we learnt from the Venturis »36. En effet, Gigon & Guyer avaient déjà eu recours à ce type d’intervention pour la première partie du musée Suisse des transports qui se caractérise par une longue façade « vitrine ». Celle-ci exhibe une grande variété de roues derrière une surface transparente. Ces objets de l’ordinaire qui sont ici sacralisés rappellent étrangement une petite installation pour l’exposi-tion « This is Tomorrow » à la Whitechapel Art Galery de 1956 : une ca-bane assez pauvre y est recouverte d’une toiture transparente sur laquelle sont ponctuellement déposés quelques éléments trouvés tels quels, dont une roue. L’exemple de ce musée Suisse des transports, plus théorique

35 Martin Steinmann, op.cit. (note 30), p. 217.36 Anette Gigon, « [shifting between extremes] A Conversation with Annette Gigon and Mike Guyer », El Croquis Gigon/Guyer 2001-2008, 2008, p. 23.

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

que réellement constructif, se rapproche donc de l’origine même de la définition du « As Found » par les Smithson.Ainsi, derrière l’acte exagéré37 des architectes suisses qui peut être consi-déré comme grossier ou brutal, le rôle originel des objets transposés - panneaux et roues - est ici détourné pour en extraire uniquement le substrat de la signification. Ce canard et ce hangar décorés, comme les nomment Gigon & Guyer, font respectivement références à « l’héroïque et l’original » et « au laid et à l’ordinaire »38 de Robert Venturi dans son traité d’architecture L’enseignement de Las Vegas publié en 1977. Finale-ment, les deux bâtiments traitent à la fois du banal - du familier - et du spectaculaire - de cette capacité passagère à surprendre, voir à inquiéter.

L’architecture de transposition montrée telle quelle, brute, et celle orne-mentale déstabilisent donc par leur esthétique « directe ». En se déta-chant des clichés - pauvreté et beauté du matériaux, finitions... -, elles provoquent un changement de sens radical et ainsi offre une nouvelle noblesse à un matériau transposé. Dans le premier cas, ses qualités constructives sont soulignées tandis que dans le second cas, il s’agit de ses qualités décoratives.

37 Ibid. p. 22. : « Precisely though this exaggeration, the question is also raised as to its shortcomings. » 38 Robert Venturi, Denise Scott Brown, Steven Izenour, L’enseignement de Las Vegas, Bruxelles, Mardaga, 2007, p. 139.

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TRANSPOSITION _EMPRUNTDe la duplication au réemploi

« Et, de nos jours, le bricoleur reste celui qui œuvre de ses mains, en utilisant des moyens détournés par comparaison avec ceux de l’homme de l’art. »39

Dans son ouvrage La pensée sauvage, publié en 1962, Claude Lévi-Strauss oppose la nature à la culture, la figure du bricoleur à celle de l’ingénieur. Ceux sont les représentants de deux types de connaissances scientifiques, inégaux dans leurs procédures et résultats. Alors que le premier a une « démarche pratique rétrospective » qui le pousse à « se retourner vers un ensemble déjà constitué, formé d’outils et de matériaux »40, le second raisonne son projet à l’aide de concepts. Alors que le premier agence des « évènements », le second « crée, sous forme d’évènements, ses moyens et ses résultats ».41

En ce sens, l’artiste - dont l’œuvre est simultanément objet matériel et objet de connaissance - tiendrait à la fois du bricoleur et du savant. Mais l’artiste ready-made comme Marcel Duchamp, ou ses successeurs de l’art brut ou de l’Arte Povera, ne se rapprochent-ils pas plus de la figure du bricoleur? Car dans les deux cas, il s’agit souvent de s’arranger avec les « moyens du bord ». Ainsi, les choix que l’auteur opère entre des pos-sibles limités et la nouvelle signification ou usage qu’il associe à l’œuvre

39 Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 26.40 Ibid., p. 28.41 Ibid., pp. 32-33.

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Shigeru Ban, Paper Log House, Rwanda, 1994

Shigeru Ban, Exposition Alvar Aalto, Tokyo, 1986

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sont bien plus importantes que l’objet final et transcrivent de sa person-nalité : « le bricoleur y met toujours quelque chose de soi »42. Les ready-mades pressentent donc et synthétisent par une métaphore sur la matière les raisons de développer aujourd’hui en architecture le réemploi d’objets existants et tombés en désuétude.

Dans l’ensemble des exemples cités précédemment, seule l’extension du musée Suisse des transports de Gigon & Guyer réemploie effectivement des matériaux - certains panneaux de signalétique - ayant déjà réellement été utilisés. Hormis ce dernier exemple, les autres transpositions vues jusqu’à présent peuvent être considérées comme des duplications parce que l’objet ou matériau exposé en façade est acheté neuf mais non récu-péré.L’œuvre de Shigeru Ban - centrée sur l’architecture de papier et de carton - est particulièrement intéressante pour illustrer ce propos. Cet intérêt de l’architecte pour les structures tubulaires en carton naît lors de l’instal-lation de l’exposition consacré à Alvar Aalto, à Tokyo, en 1986. À cette époque, Shigeru Ban n’a pas encore construit. Il a seulement travaillé sur l’exposition Emilio Ambasz pour laquelle il a conçu des cloisons en tissu. Celui-ci était livré en rouleaux sur des mandrins cylindriques en carton que l’architecte a rapporté à son agence, en vertu du principe propre au bricoleur que « ça peut toujours servir »43. Parce qu’il n’a pas les moyens économiques d’utiliser du bois pour l’exposition d’Alvar Aalto, il doit penser à un matériau alternatif et se remémore ces tubes en carton qu’il avait glané : « I thought of them as a recycle material in 1986, when nobody was talking about recycling material as an environmental issue. Then I found out that they were strong and very difficult to break. I started testing material and making temporary structures of them ».44 Ce matériau s’avère très avantageux pour plusieurs raisons. D’abord, il permet de choisir entre une large variété de

42 Ibid., p. 32.43 Ibid., p. 27.44 Shigeru Ban, « From temporary to permanent structure », Voluntary Architects’ Network, Making Architecture, Nurturing People : From Rwanda to Haiti, Tokyo, INAX Publishing, 2010, p. 143.

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diamètres, d’épaisseurs et de longueurs. Ensuite, il est possible de sculpter des espaces aux caractéristiques convexes ou concaves. Enfin et surtout, ces tubes en carton sont produits de façon standardisée, et facilement ac-cessibles depuis n’importe où. L’ensemble de ces caractéristiques pousse Shigeru Ban a utilisé le carton comme matériau de construction à part entière, notamment pour des habitats d’urgence après des catastrophes naturelles, qui doivent tenir compte des contraintes économiques et de celles liées à la disponibilité des matériaux.

Cette « stratégie du disponible »45 est évoquée par Jacques Ferrier qui, après un bilan technique du XXe siècle et non pour un quelconque en-gouement écologique, souhaite redonner un sens et une profondeur aux techniques et matériaux ordinaires en investissant l’univers du quotidien. Cette démarche est, pour lui, « une sorte de re-exploration du ready-made, qui permettra de capter les qualités des objets ordinaires. Travailler sur ces « stratégies du disponible » permet de porter un nouveau regard sur le réel : assemblage, collage, tissage de matériaux sans qualités, dans un but non pas ironique mais révélateur de matérialité »46.Les techniques d’assemblages sont, en effet, propres au bricoleur car elles permettent d’associer des matériaux déjà existants, uniquement en les organisant, donc sans les modifier. Jean-Marc Huygen énonce trois postures ou familles d’assemblage, du plus au moins réversibles : l’as-semblage par continuité - liaison d’éléments ininterrompue, composée de parties non séparées et perçues comme un tout -, l’assemblage par conjonction - liaison d’éléments par des intérêts communs - et l’assem-blage par combinaison - liaison d’éléments dans un but précis, consti-tuant un nouvel ensemble47.

Pour la réalisation des murs de la maison de Lucy, à Mason’s Bend en

45 Terme emprunté à J. Ferrier et qui constitue un chapitre de son livre, Jacques Ferrier, Jacques Ferrier architecte, Paris, Passages Piétons Édition, 2000, p. 63.46 Ibid. p. 66.47 Jean-Marc Huygen, La poubelle et l’architecte, Vers le réemploi des matériaux, Arles, Actes Sud, 2008, pp. 124-126.

* Rural Studio, Lucy house, Mason’s Bend, Alabama, 2002

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Aleksandr Brodsky, Pavillon pour les cérémonies de la Vodka, Art-Kliazma, Moscow, 2003

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Alabama, Rural Studio – mené par Samuel Mockbee - récupère de la moquette en surplus d’une industrie voisine. Les 72,000 morceaux - de dimension 15 x 15 inches, soit un peu moins de 40 cm – sont individuelle-ment empilés, stabilisés par des poteaux en acier, recouverts d’une poutre en bois massif, et compressés dans une masse dense. Les matériaux sont donc ici assemblés par continuité, sous forme de multicouches. Le prin-cipe de la multicouche, comme assemblage des matériaux de réemploi, apporte stabilité, étanchéité, protection thermique et humaine48. Rural Studio a ainsi réalisé de 1990 à aujourd’hui une cinquantaine de projets essentiellement en matériaux de réemploi, pour apporter à une commu-nauté de déshérités une architecture de la « décence »49.Le risque des constructions faisant appel au réemploi est d’obtenir un résultat final chaotique, ou désordonné, de part la multiplicité des élé-ments utilisés :

« Dans un environnement sémiotique, si la densité des messages s’accroît trop, l’infor-mation se transforme en non-information, c’est-à-dire en bruit. […] Les signaux émis ne sont plus interprétables, tant leur accumulation les rend indistincts, donc inintelligibles. À leur tour, les codes de lecture se multiplient, voir se superposent en se contredisant. »50

Il est nécessaire alors de chercher un certaine esthétique, plus qu’une invention technique ou structurelle, permettant un changement de sens qui rende visible la pleine acceptation des deux points fondamentaux du réemploi que sont l’économie et la conservation de la mémoire.Ce sens esthétique ou encore poétique de la pratique du réemploi peut être illustré par le pavillon pour les cérémonies de la Vodka à Moscou, par Aleksandr Brodsky. Cette installation, à mi chemin entre art et ar-chitecture, a été réalisée à partir d’une trentaine de cadres de fenêtres

48 Ibid., pp. 137-145.49 D’après le titre de l’ouvrage : Andrea Oppenheimer Dean, Rural Studio : Samuel Mockbee and an architecture of decency, New-York, MIT Press, 2002, 185 p.50 Enzo Manzini, Artefacts – Vers une écologie de l’environnement artificiel, 1991, pp. 36-41., dans Jean-Marc Huygen, op. cit. (note 47), p. 147.

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Richard Greaves, La Cabane à sucre, Beauce, Quebec, 1985

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récupérés après la démolition d’une vieille fabrique. Ces cadres ont été fixés sur une structure en bois et peints en blanc afin d’homogénéiser l’ensemble et d’éviter de laisser à lire trop d’informations, ce qui rejoint le précédent propos. En effet, les coloris originaux des fenêtres auraient détournés notre perception du message que veut véhiculer ce pavillon - celui de l’héritage et de l’identité culturelle dont les matériaux réem-ployés, donc marqués par le temps, sont porteurs. Richard Greaves - qui, au contraire, ne se préoccupe pas du tout du caractère désordonné de son anarchitecture - se confie sur ce sujet :

« J’ai beaucoup aimé, observé les vieux objets. Les objets utilisés, les objets rongés par la force du temps et les histoires inhumaines. Je ne me considère pas différent : une chose qui a beaucoup servi, qui a vécu, que l’emploi et l’abus ont usée et polie, une chose intense quand je pense à toutes les rencontres qu’elle a eues, à toutes les expé-riences ou à toutes ces rencontres heureuses, amoureuses ou haineuses. Je suis un être qui a servi, un être transformé, un objet qui désire être compris, éclairé, et qui aime qu’on l’utilise »51.

Comme le pavillon d’Aleksandr Brodsky, les sculptures et constructions de cet artiste « indiscipliné »52 sont faites d’une multitude d’objets glanés au rebut dont l’irrégularité est assumée.

Finalement, l’architecture de transposition ne serait-elle pas une archi-tecture indisciplinée? Contrairement à l’architecture hors discipline, elle exprime une volonté consciente de s’écarter de la discipline architectu-rale communément admise, à la manière des ready-mades de Duchamp qui s’éloignent littéralement des conventions de l’art classique. En ce sens, l’architecture de transposition, qui utilise des matériaux – dupliqués

51 Richard Greaves cité dans l’article « Récupération et sauvegarde » par Sarah Lombardi et Valérie Rousseau, Richard Greaves, anarchitecte/anarchitect, Milan, 5 Continents Edition, 2005, p. 59.52 En référence à un article de Lucienne Peiry, « Richard Greaves, bricoleur indis-cipliné », dans Sarah Lombardi et Valérie Rousseau, ibid., p. 70.

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

ou réemployés - dans un contexte inhabituel, s’écarte des conventions. L’étrange matérialité qui naît de cette transposition du familier est d’au-tant plus forte lorsque le matériau garde physiquement les traces de sa vie passée, de sa précédente banalité.

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DE L’EMPRUNT À L’EMPREINTE

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71Le ready-made de Duchamp, ce geste en apparence si simple, s’impose comme une influence majeure jusqu’à qualifier une forme de production archi-tecturale contemporaine. Là où le ready-made - la transposition - génère une inquiétante richesse, en pro-voquant de nouveaux rapports entre une présence matérielle et son contexte, il est également possible de fabriquer ce même sentiment angoissant sans l’objet, mais par un signifiant immatériel - l’infra-mince. Au-delà du phénomène tactile, l’imaginaire est provoqué par une action antérieure, un contact maitrisé, que l’on nomme l’empreinte. Dans son ou-vrage qui porte ce nom, Didi-Huberman écrit ainsi :

« […] empreinte, en tant que prélèvement direct sur la réalité, il n’est pas sans rapport avec ce qui fascine tant, avec ce qui exaspère tant chez Duchamp, je veux dire le ready-made. »1

1 Georges Didi-Huberman, L’empreinte, Paris, Centre Georges Pompidou, 1997, p. 20.

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Comme dans le ready-made, il n’y a pas pure inven-tion dans l’infra-mince.

« […] il n’y a rien à regarder parce qu’il n’y a pas d’inven-tion formelle, et il n’y a pas d’invention formelle parce que l’objet n’est qu’un prélèvement, une reproduction, une simple empreinte de la réalité. Il n’y a rien à regarder parce qu’il n’y a pas de métier, pas de travail artistique, et il n’y a pas de travail artistique parce qu’il n’y a qu’un simple moulage, une empreinte mécaniquement reproductible de la réalité. »2

Comme dans la transposition, il y a l’intention de dé-tourner les conventions dans l’empreinte.

« Précisons un peu : la forme obtenue par empreinte fait obs-tacle à la notion, à l’idéal de l’art, en ce qu’elle procède trop directement d’une matière déjà existante, et pas assez de cette idea si chère à la théorie classique de l’art. A la fois « emprun-tée » (prélevée) et « empreintée » (physiquement marquée), elle passe directement de matière en matière. Pour exister, elle n’a nul besoin de se « former » dans l’esprit de l’artiste. »3

Comme l’architecture de l’emprunt, l’architecture de l’empreinte engendre une inquiétante matérialité.

2 Ibid., p. 20.3 Ibid., p. 76.

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77Dans l’ombre de la stature et des conséquences d’un concept artistique tel que le ready-made, Marcel Duchamp développe simultanément ce qu’il nomme l’infra-mince. Cette appellation aux aspirations esthétiques caractérise grossièrement ce qui est de l’ordre de l’invisible. L’artiste s’intéresse ainsi à une distance ou une différence que l’on ne peut pas percevoir, mais qu’il est simplement possible d’imaginer.

Au cours d’un entretien avec Denis Rougemont en 1945, Duchamp dé-fini cette théorie de l’infra-mince comme quelque chose « qui échappe à nos définitions scientifiques. J’ai pris à dessein le mot « mince » qui est un mot humain, affectif, et non pas une mesure précise de laboratoire. Le bruit ou la musique que fait un pantalon de velours côtelé comme celui-ci, quand on bouge, relève de l’infra-mince. Le creux dans le papier, entre le recto et le verso d’une feuille mince…À étudié ! C’est une catégorie qui m’a beaucoup occupée depuis dix ans. Je crois que dans l’infra-mince on peut passer de la deuxième à la troisième dimension. »2

« Infra-mince » de Marcel Duchamp

« Le possible impliquant le devenir – le passage de l’un à l’autre a lieu dans l’infra mince. » 1

1 Marcel Duchamp, Notes, Paris, Flammarion, 2008, p. 21.2 Jean Clair évoque l’entretien de Duchamp avec Denis de Rougemont dans Jean Clair, Sur Marcel Duchamp et la fin de l’art, Paris, Gallimard, 2000, pp. 270-272.

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Au-delà de cette quête de la troisième dimension, sur laquelle beaucoup ont médité, il faut retenir la réalité tangible et peu spéculative d’un tel concept. Pour Frédéric Guerrin, auteur de Duchamp ou le destin des choses, « l’infra-mince assurerait donc, selon Duchamp, l’articulation entre des états profonds mais indécidables et des faits de surface dont le signe ne peut nous échapper »3. Il ne peut être qu’en lien étroit avec les sens et les lois de la cognition. « La dimension d’expression de l’infra-mince sera donc qualitative »4.

En quelques mots, Duchamp illustre son propos par des exemples concrets. L’un des plus explicites est la « séparation infra mince entre le bruit de détonation d’un fusil (très proche) et l’apparition de la balle sur la cible (distance maximum 3 à 4 mètres. - Tir de foire) ».5 L’artiste évoque également dans ses notes « Quand la fumée de tabac sent aussi de la bouche qui l’exhale, les deux odeurs s’épousent par infra-mince (infra-mince olfactif) »6. Tous ces modèles révèlent l’un des caractères fondamentaux du concept, la notion de temporalité, et plus précisément, de l’instant. Quelque soit leur matière ou leur représentation physique, toute démonstration de l’infra-mince parle d’un moment précis, et le plus souvent, très bref.Dans cette épaisseur à la limite du perceptible, Duchamp sublime un intervalle temporelle qui, dans le monde réel et matériel ne peut être le résultat que d’un contact. L’infra-mince est le phénomène brut mais soudain de la confrontation entre les choses. Comme porté par le désir de synthétiser, l’artiste écrit « « Contact et infra-mince » sur un petit bout de papier soigneusement mis à part »7.

Ce phénomène de contact est justement révélé dans l’ouvrage L’empreinte

3 Frédéric Guerrin, Duchamp ou le destin des choses, Paris, L’Harmattan, Collection Ouverture philosophique, 2008, p. 71.4 Ibid., p.72.5 Marcel Duchamp, op. cit. (note 1), p. 24.6 Ibid., p. 24.7 Georges Didi-Huberman, L’empreinte, Paris, Centre Georges Pompidou, 1997, p. 167.

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de Georges Didi-Huberman. Ce philosophe et historien de l’art s’em-pare et analyse l’œuvre duchampienne, et particulièrement le concept d’infra-mince pour nourrir ce qu’il nomme : « la ressemblance par contact, archéologie, anachronisme et modernité de l’empreinte »8.Pour lui, l’héritage de l’inventeur du ready-made se clarifie par la connais-sance de l’infra-mince.

« Que Duchamp utilise jusqu’à leurs dernières limites les techniques de reproduc-tion tout en exprimant avec force son horreur de la répétition, voilà une nécessité que la notion d’infra-mince permettra, exemple parmi d’autres, de comprendre plus spécifiquement. Elle permettra, aussi, de mieux appréhender les choix techniques que l’artiste a pu multiplier, apparemment sans suite logique, quant aux matériaux ou aux processus utilisés dans son œuvre »9.

Didi-Huberman déploie le lien entre certaines réalisations de l’artiste et son concept de l’imperceptible.Ainsi, Air de Paris, Echiquier de poche au gant de caoutchouc ou de façon plus scabreuse, Feuille de vigne femelle, prennent un sens nouveau où le temps, la perception et l’intervalle sont redéfinis.Marcel Duchamp démontre une nouvelle fois qu’il n’est pas l’artiste iro-nique qui trouble les codes de conception pour assouvir son égocen-trisme. L’infra-mince constitue un acteur supplémentaire d’une théorie savante et abondante dont les marques laissées ne cessent de s’agrandir pour influencer le chemin des auteurs contemporains. En exploitant la subtilité des mots, il bouscule l’ordinaire sans, ou presque sans, le tou-cher.

8 Ibid., p. 1.9 Ibid., p. 165.

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Marcel Duchamp, Air de Paris, 1919, Paris - Ready-made aidé, hauteur : 13,3 cm, Collection Louise et

Walter Arensberg, Philadelphia Museum of Art

« Mais Air de Paris présente aussi une mise en œuvre miniaturisée de toute la problé-matique de linfra-mince et de lécart différentiel. »

Georges Didi-Huberman, L’empreinte, Paris, Centre Georges Pompidou, 1997, p. 119.

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Marcel Duchamp, Notes, Paris, Flammarion, 2008, 154 p.Eco

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Marcel Duchamp, Feuille de vigne femelle, 1950, New York - Sculpture en plâtre galvanisé, 9 x 14 x 12,5 cm, Collection Mary Sisler, New York

Marcel Duchamp, Couverture pour le catalogue de l’Exposition Internationale du Surréalisme, 1947, Galerie Maeght, Paris

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Marcel Duchamp, View, mars 1945 quatrième de couverture de l’édi-tion courante Anvers, collection Ronny Van de Velde

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Marcel Duchamp, Marcel Duchamp moulé sur le vif, printemps 1967, New York, collection particulière

Marcel Duchamp, Jeau d’échecs de voyage, avec un gant de caoutchouc, printemps 1966, réplique, Paris, collection Jean-Jacques Lebel

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85« Duchamp a trouvé un écart, il a fait l’infra-mince, là où rien n’est visiblement singularisé, il a produit quelque chose de différent au milieu du semblable le plus massivement répandu et le plus naturellement invisible, le plus quotidien et le moins interrogé, le plus répété et le plus diaphane – et donc le plus infra-mince. »10

En effleurant les limites de la présence et de l’absence de l’art, Duchamp ne dissimule pas son ambition de découvrir de la singularité. Cette quête, nombres d’architectes la partagent avec lui. L’empreinte, comme expression du concept d’infra-mince, en est donc l’une des formules. Concevoir une étrangeté subtile dans un matériau architectural, c’est alors révéler un contact, un moment dans « le plus quo-tidien et le moins interrogé ». L’empreinte dévoile

10 Thierry Davila, De l’Inframince, Brève histoire de l’imper-ceptible, de Marcel Duchamp à nos jours, Paris, Les Éditions du Regard, 2010, p.106.

EMPREINTE _CONTACTIntroduction

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l’épaisseur de la matérialité. Exploiter ce procédé, c’est également se confronter à la notion de répétition. Qu’elle résulte de la tech-nique la plus précise ou d’une totale expérimentation sans à priori, l’empreinte en architecture ne peut être isolée. Parce qu’elle est surface, cette enveloppe - qui construit un espace - est générée par une marque, un intervalle reproduit plusieurs fois. L’inquiétante matérialité est alors amplifiée par l’ambigüité entre l’action volontaire et le hasard. En psychanalyse, Freud explique cela :

« Une série d’expériences nous fait également reconnaître sans peine que c’est seulement le facteur de répétition non inten-tionnelle qui imprime le sceau de l’étrangement inquiétant à quelque chose qui serait sans cela anodin, et nous impose l’idée d’une fatalité inéluctable là où nous aurions parlé sans cela de « hasard ». »11

Dans ce sens, il est possible de distinguer trois ca-tégories d’édifices architecturaux du plus au moins ambigüs. L’empreinte y est ainsi le reflet assumé d’une action technique pure, ou une reproduc-tion esthétique plus proche du domaine artistique ou finalement une véritable expérience sans aprio-ri. Si le contact marqué avec la matière est toujours guidé par un objectif plastique, il est essentiel d’en distinguer la précision, pour saisir le sens théorique de l’infra-mince et les distinctions sensibles suscitées par l’inquiétante matérialité.

11 Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais (Das Unheilmliche, 1919), Paris, Éditions Gallimard, 1985, p. 240.

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EMPREINTE _CONTACTComme mémoire d’un procédé technique

« L’empreinte est un geste technique. Or la technique est une af-faire de temps, de mémoire - pas seulement de « progrès », n’en déplaise aux inconditionnels des technologies « de pointe ». »12

Dans la perception collective, même sans être familier avec le vocabulaire architectural, l’expression courante de l’empreinte - qui s’est massivement répandue au cours de ce dernier siècle - est matérialisée par la marque arrondie des plombs de coffrage du béton banché. Cette empreinte « né-gative » témoigne de l’instant de la conception où la matière se fige et l’édifice s’élève. Elle correspond précisément au vide laissé par l’extré-mité des tiges de serrage nécessaires à la réalisation d’un voile en béton banché. Le matériau gris et malléable par excellence, constitue le support d’une expression plastique assumée au-delà de son rôle constructif origi-nel. Le procédé technique s’inscrit alors dans un rapport beaucoup plus long avec son contexte. L’architecture s’intensifie dans une réalité mise à nue. Le matériau n’est plus simplement palpable, il raconte l’histoire d’un processus de fabrication.

Le béton représente instinctivement - de part sa mise en œuvre - le maté-riau idéal au service de l’empreinte. Pour Cyrille Simonnet, auteur d’un article dans la revue Faces sur la « Materia Povera », « […] la « matéria-

12 Georges Didi-Huberman, op. cit. (note 7), p. 11.

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Le Corbusier, L’unité d’habitation, Marseille, 1948-1954

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lité » d’un matériau comme le béton armé, par exemple, se révèle par des traces qui renvoient à des « moments » d’antériorités visibles comme la coulée du ciment, le mélange du gravier, les empreintes de coffrage, etc. »13

Ces mots soulignent que l’expression plastique n’est pas soumise au degré de la technicité exploitée. Un simple coffrage, pauvre ou rigou-reusement défini, peut générer une épaisseur dont le relief marque son contexte. Ce phénomène ne pourrait être expliqué sans évoquer l’héri-tage du mouvement brutaliste. Dérivé directement de l’expression béton brut, Reyner Banham, en donnera une définition manifeste et concise, «[…] d’après l’opinion générale, le Brutalisme était avant tout une affaire de maté-riaux et de surfaces dans leur véracité première. »14

Le Corbusier, il y a près de 90 ans, disait déjà que « l’Architecture, c’est avec des matières brutes, établir des rapports émouvants. »15

Son Unité d’habitation à Marseille, œuvre théorique par excellence du début des années 1950, en est l’illustration concrète. La sous-face incli-née dans le prolongement des lourds piliers qui soulèvent l’édifice est marquée par un motif en alternance à partir d’un coffrage en bois. Cette surface qui assure la transition plastique entre un plafond urbain et une large façade affiche une empreinte volontaire qui sublime la rugosité du béton. Pour Banham, « Le Corbusier réinventa le béton et en fit un nouveau matériau, utilisant sa grossièreté et celle du coffrage en bois pour créer une surface architectonique d’une noblesse rude. »16

Ce moment et l’ensemble du mouvement qui en émergea, dont l’esthé-tique commence à être acceptée dans la conscience commune, constitue un patrimoine incontestable pour une expression matérielle décomplexi-fiée.

S’il ne devait être cité qu’un seul représentant contemporain à s’être plei-

13 Cyrille Simonnet, « Le béton éclatant », Faces, « Materia Povera », n°62, prin-temps-été 2006, pp. 4-5.14 Reyner Banham, Le brutalisme en architecture, Dunod éditeur, Paris, 1970, p. 47.15 Le Corbusier, Vers une Architecture (1923), Paris, Arthaud, 1977, p. 121.16 Reyner Banham, op.cit. (note 14), p. 16.

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nement approprié l’empreinte et sa signification à travers l’histoire et le Brutalisme, c’est certainement l’architecte japonais Tadao Ando. Cet autodidacte, pleinement influencé par la théorie et l’esthétique corbu-séenne, formule tout au long de sa carrière, un manifeste du béton ban-ché exposé. Selon lui, « pour créer une forme architecturale, quelque chose de nouveau, d’inat-tendu, il faut, tout comme dans la boxe, aller de l’avant, s’exposer... »17 Les traces de la mise en œuvre sont donc vouée à être montrées.Ses nombreuses réalisations - de la petite maison Noguchi au musée d’art moderne de Fort Worth - incarnent la mise en scène de jeux d’ombres et de lumières, propres à la culture japonaise, subtilement soulignés par les joints et les boutons de banches. L’empreinte, au même titre que le béton lui-même, constitue les caractères principaux de l’architecture de Tadao Ando. Révéler la mise en œuvre est une préoccupation si chère à l’ar-chitecte que certains disent qu’il se rend personnellement sur ses chan-tiers pour en faire la démonstration technique aux ouvriers. À travers les nombreux contextes où s’installent les réalisations d’Ando, le béton, dans son expression la plus honnête, reste le vocabulaire dominant. En témoignent ces croquis rapides pour l’ouvrage du photographe Richard Pare, Tadao Ando, Couleur de lumière, où l’architecte ne peut s’empêcher de représenter chacun de ces bâtiments par quelques lignes et par les fameux « point » de banches.

Si par une forme de systématisme, Ando représente un symbole d’une expression « brutaliste contemporaine », il n’est bien sûr pas un cas isolé. À titre d’exemple, il peut être cité la récente House H de Sou Fujimoto à Tokyo. Ce parallélépipède, également en béton gris banché, se distingue des édifices d’Ando par une brutalité exacerbée. Alors qu’Ando cherche une composition harmonieuse dans laquelle chaque empreinte est mai-trisée, Sou Fujimoto revendique une mise en œuvre grossière d’une sur-face imparfaite. Pour ce dernier, l’architecture doit être pensée de l’inté-

17 Tadao Ando, Tadao Ando, Du béton et d’autres secrets de l’architecture, Paris, Édi-tions de l’Arche, 2007, p. 51.

* Tadao Ando, Galerie OXY Unagidani, Osaka, 1987

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Sou Fujimoto, House H, Tokyo, 2009

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rieur d’un bâtiment. La surface externe n’est, synthétiquement, que la frontière avec le monde extérieur - « The exterior envelope arises where the internal space finishes »18.La House H est l’incarnation physique de cette pensée. Cette petite mai-son enferme une grande complexité typologique où les rapports spatiaux conventionnels sont renversés. Pour accentuer la perte de repère entre mur et plafond, l’intérieur est intégralement recouvert d’une peinture blanche et lisse. Sou Fujimoto réalise un contraste net entre cette vie intérieure immaculée et une enveloppe inquiétante aux angles rugueux. Pour renforcer son idée, l’espace artificiel fabriqué par le japonais ne pouvait être enfermé que dans un écrin « naturel ». Le matériau ne doit alors exposer que sa propriété majeure et la marque de sa fabrication - « car la matière exprime sa qualité propre à travers l’artifice de sa mise à nu, de son extraction, qui renvoie à une certaine forme d’origine, à la fois révélée et ouvrée. Il y a une dimension de perfection dans la quête du brut assez saisissante »19.

Par ces mots, Cyrille Simmonet soulève l’ambigüité entre la quête d’une honnête perfection et l’exercice plastique de l’imprécision. L’empreinte, comme mémoire d’un procédé technique, est le contenant infra-mince de cet intervalle symbolique. Elle révèle les procédés et en assume les marques approximatives.

L’architecte Suisse Valerio Olgiati est particulièrement sensible à cette forme de symbole qui va au-delà de la perception visuelle et tactile. L’ate-lier qu’il réalise pour le parolier Linard Bardill dans le village de Sharans en est l’un de ses manifestes. Cette maison, évidée, renfermant un atrium ellipsoïdale, se constitue de quatre pignons qui ne portent pas de toiture. L’enveloppe aux contours simplifiés se constitue d’un béton coffré teinté de brun et de rouge. Bien qu’il soit coloré, le matériau est marqué par la

18 Sou Fujimoto, « Primitive future », 2G, Sou Fujimoto, n°50, Barcelone, Editorial Gustavo Gili, 2009, p. 142. 19 Cyrille Simonet, « Ressemblance, dissemblance : Le matériau à l’épreuve de son image », Faces, n°68, Hiver 2010-2011, p. 25.

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Valerio Olgiati, House for a musician : Atelier Bardill, Scharans, Suisse, 2007

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trace de l’ouvrage provisoire en bois qui a permis de lui donner sa forme. Olgiati décide également de ponctuer ses murs par des rosaces en relief. Ces motifs ornementaux de dimensions variables sont des évocations de la culture paysanne20. Ces empreintes « positives » sont obtenues en sculptant directement le coffrage en bois dans lequel est coulé le béton. L’architecte suisse a refusé de les réaliser à l’aide d’une fraise robotisée pour ne pas obtenir un résultat trop précis : « Le béton a quelque chose qui rappelle le travail manuel et il fallait que ces décorations évoquent l’artisanat »21. Chaque rosace est donc, à l’image de la conception artisanale, similaire aux autres mais non identiques. Le procédé technique, et même l’outil anachronique du sculpteur em-ployé ici sont ainsi indissociables de la présence physique du bâtiment. Au nom d’une cause culturelle, évoqué par la mise en œuvre, Olgiati formule un éloge à l’imprécision.

Procéder à une empreinte, c’est se confronter à une matière invisible, infra-mince, où l’ingénieur et le bricoleur sont en contact à travers une technique brute révélée. De l’expression maitrisée de l’empreinte par Tadao Ando à celle plus aléatoire d’Olgiati, l’inquiétante matérialité s’éprouve à sa juste valeur, dans le bref intervalle de l’imperfection d’un procédé technique.

20 Valerio Olgiati, « Ces rosaces sont des citations, un rappel de la culture paysanne. » puis « On ne trouve pas ces rosaces sur des maisons mais sur des huches, des portes, du mobilier. En décidant d’en faire sur une maison, on décide de la faire ressembler à une grande malle. Il s’agit alors d’un détournement, d’un saut dans les proportions qui accentuent la magie de cette maison. » dans la vidéo sur la maison-atelier Bardill, http://www.swissinfo.ch/fre/dossiers/construire_la_suisse/La_maison_liberee.html?cid=31267862 21 Valerio Olgiati, op.cit.

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

EMPREINTE _CONTACTComme mécanisme reproductible

« Ne perdons pas de vue la condition de possibilité technique et processuelle d’un tel « travail du négatif » : il s’agit, bien sûr, de la prodigieuse reproductibilité que permettent les techniques d’em-preinte, justement grâce au travail du négatif, de la contre-forme, de la matrice. »22

Réaliser une matérialité obtenue par empreinte, c’est « concilier effet plastique et nécessité technique. Mais que ce soit avec les épaufrures des bétons brutalistes, les joints minimalistes et les plombs de coffrages de Tadao Ando ou avec les sérigraphies sur pierre agrafée et vitrage de He-rzog & De Meuron, il y a toujours cette même volonté de mesurer l’es-pace, de donner à voir et à lire l’architecture dans un effet plastique. »23

En effet, les architectes suisses sont reconnus pour régulièrement ex-traire et détourner la matérialité de son expression conventionnelle - ceci afin d’obtenir l’effet plastique tant convoité, qui s’exprime ici sous forme d’inquiétante matérialité. D’une façon générale, Herzog & De Meuron formulent leur démarche de la façon suivante : « We guess our research falls into two areas : what is life today […] ; and what techniques we can discover or invent to bring architecture to life. »24

La technique est donc toujours au cœur de leur processus de projet.

22 Georges Didi-Huberman, op. cit. (note 7), p. 47.23 Jean-François Caille, «Détails modénature», dans AMC, n°120, novembre 2001, p. 105.24 Jacques Herzog, « A conversation [with Jacques Herzog] », El Croquis Herzog et De Meuron 1981-2000, n°60+84, 2005, p. 33.

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L’empreinte - résultat du contact entre deux matières et contenant sym-bolique - est l’un des procédés qu’ils affectionnent plus particulièrement.

Lorsqu’ils conçoivent la bibliothèque de l’école technique d’Eberswalde en 1999, Herzog et De Meuron expérimentent ce « travail négatif » par un traitement en série, de transfert d’images sur verre ou sur béton. Les façades de l’édifice s’élèvent comme un empilement. Il pourrait s’agir d’un simple phénomène d’impression mais l’alternance des strates entre les deux matériaux - le verre et le béton - révèle une plus grande profon-deur. Leurs différences physiques nécessitent, en effet, un mécanisme d’empreinte adapté à chacun : les images dans les panneaux vitrés sont sérigraphiées alors que celles dans les blocs de béton sont gravées dans le matériau. En plus de cela, les illustrations affichées dans le verre sont des reproductions de tableaux alors que les images tracées dans la surface en béton sont des clichés empruntés au photographe Thomas Ruff. La méthode mise au point par Herzog & De Meuron pour appliquer ces photographies sur du béton est basée sur un traitement chimique. L’ap-parition de l’image et l’intensité du rendu dépendent du durcissement du béton. Ce qui a plu aux architectes, « c’est de devoir introduire avec la trame un grain technique - en plus du grain naturel du béton - qui anticipe sur le flou et la disparition de l’image »25. Les motifs se répètent comme une succession de tampons mais diffèrent malgré tout les uns des autres.Derrière l’image anachronique et la technique moderne, ces distinctions subtiles fabriquent une étrangeté modérée dans un rapport d’ambigüité entre la matière brute et l’illustration symbolique. L’inattendu et le fa-milier se confondent dans le réel et l’imaginaire. Pour Philip Ursprung, auteur de Herzog et De Meuron : Histoire Naturelle, « c’est peut-être l’un des langages matériels les plus élaborés jamais inventés par nos deux archi-tectes, parce que ces images tirent leur qualité optique des substances matérielles dans lesquelles elles existent. C’est uniquement pour cette raison que les tableaux allégoriques acquièrent une profondeur optique,

25 Philip Ursprung, Herzog & De Meuron : Histoire Naturelle, Montréal,- Baden, Centre canadien d’architecture,- Lars Muller Publisher, 2002, p. 253.

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Herzog & De Meuron, Bibliothèque de l’Ecole technique d’Eberswalde, Eberswald, 1999

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26 Ibid., p. 61.27 Ibid., p. 63.

tandis que les images d’actualité restent de simples empreintes de sur-face. »26

Quelques années avant, en 1993, les architectes suisses livrent un bâti-ment qui annonçait ce mécanisme reproductif d’une image forte. Avec l’usine-entrepôt de Ricola-Europe SA à Mulhouse, Herzog et De Meu-ron exploitent une photo de feuille réalisée par Karl Blossfeldt dans les années 1920 pour constituer un motif dans les murs translucides et l’avant-toit du bâtiment.

« Blossfeldt avait déjà réalisé des moulages en métal de tiges de plantes et juxtaposé l’empreinte de l’image photographique avec des moulages de ses sujets. Les empreintes constantes réalisées par Herzog & de Meuron sur divers genres d’empreintes relient les idées de Semper sur les façades avec leur propre intérêt pour les images, qui est d’ail-leurs davantage un intérêt pour les empreintes, car le concept d’empreinte couvre un vaste éventail de pratiques, allant de la trace photographique à la conservation virtuelle des formes végétales et animales dans des moulages grandeur nature. »27

La silhouette de cette figure naturelle élevée à une échelle humaine sur une matière artificielle dissout la frontière entre réel et imaginaire. En générant de l’ombre et de la lumière par sa répétition, l’image méticuleu-sement sélectionnée permet, par son degré d’abstraction, de susciter un sentiment nouveau à travers sa familiarité. Comme pour la bibliothèque d’Eberswalde, ce n’est pas tant l’image sélectionnée qui est importante, mais sa reproduction sur l’ensemble de l’édifice. L’image ordinaire se fond et disparaît dans le motif jusque là inconnu.

Dans un entretien de 2005, les architectes résument cette approche sub-jective : « We want to make a building that can cause sensations, not represent this or that idea. Images we use are not narrative […]. The leaves in the Ricola Factory or the

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Herzog & De Meuron, Usine-entrepôt de Ricola-Europe SA, Mulhouse, 1993

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Karl Blossfeld, Maquettes en bronze, vers 1900Karl Blossfeld, Collages de travail (aconit napel, cardon et achillée millefeuille), vers 1900

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Andy Warhol, 80 billets de deux dollars - recto verso-, 1962

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28 Jeffrey Kipnis, « A conversation [with Jacques Herzog] », El Croquis Herzog et De Meuron 1981-2000, n°60+84, 2005, p.35.29 Ibid, p. 31.

photographic facade of the Eberswalde Library, all these images are rather non repre-sentational than representational. »28 Cette perte de la représentation d’une image courante, Herzog et De Meuron la rapprochent des détourne-ments réalisés par l’artiste Andy Warhol.

« His work does not glorify Pop images, it uses common Pop images to say something new. That is exactly what we are interested in : to use well known forms and materials in a new way so that they become alive again. We would love to do a building that would cause people to say, « well, this looks like an old traditional house, but at the same time there is something totally new in it. ». »29

Derrière les couleurs chatoyantes inspirées par le monde publicitaire, Andy Warhol, déstabilise. À travers sa signature artistique - la sérigraphie -, il réinterprète les illustrations de figures communes et les reproduit. Si les multiples portraits de Marilyn Monroe (1962 à 1986) ou les représenta-tions de la boite de soupe Campbell’s (1962 à 1968) en sont les archétypes, c’est véritablement avec les 80 billets de deux dollars - recto verso- de 1962, que le lien entre Herzog et De Meuron et l’artiste américain est le plus avéré. En reproduisant et en assemblant par une simple juxtaposition ce symbole du modèle capitaliste, Warhol atténue son rôle premier. Ce billet qui n’était déjà plus produit lors de la réalisation de l’œuvre perd de sa rareté. L’image forte qu’il symbolise se brouille dans un motif et son dessin n’est plus identifiable. Le modèle pure de l’empreinte - la sérigraphie de Warhol - constitue, tout comme chez Herzog et De Meuron, le moyen d’opérer un trans-fert entre un milieu figuratif et un milieu abstrait. D’autres réalisations comme Green burning car (1963) ou Daily News (1962) en témoignent.

Dans ce domaine entre abstraction et familier, la réserve du musée d’Ingres à Montauban de l’agence W-architectures, introduit un regard Eco

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W-architectures, Réserves du musée d’Ingres, Mautauban, 2008

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30 « Réserves du musée d’Ingres, Montauban, France, W-architectures », AMC Texture, janvier 2009, p. 71.

sensiblement différent. Ce lieu de stockage et de protection d’œuvres est pensé comme un reliquaire. Il prétend donner à voir en façade ce qui ne peut être montré. Comme chez Herzog et De Meuron, le volume simple est recouvert d’une peau qui met en scène un motif. L’enveloppe est entièrement constituée de 240 panneaux préfabriqués en béton matricé ponctuée de vitrages aux mêmes dimensions et également sérigraphiés. Même si le mécanisme reproductif est similaire, le motif, cependant, se veut moins figuratif en « revisitant de façon abstraite la trace d’un des-sin d’Ingres »30. Cet extrait d’une œuvre de l’artiste, gravé et démulti-plié, fabrique une image globale sans origine clairement identifiable. En l’absence de référent connu, l’empreinte se veut plus surprenante. Le domaine familier tend à disparaître et la matérialité n’exprime que son caractère étrange.

Sans être une image figurative, ni le fruit d’une totale séparation avec le monde connu, l’empreinte comme mécanisme reproductible a aussi la capacité d’être le concept d’une matérialité revisitée. Le musée d’art contemporain à Nottingham de l’agence Caruso-St John trouve cette intermédiaire dans la finesse d’une dentelle. L’expression architecturale de cet édifice nouveau convoite de révéler le pittoresque latent d’une ville anglaise contemporaine. Les façades de cet équipement public sont constituées d’un assemblage de panneaux verticaux concaves en béton préfabriqué de teinte vert amende. Ces éléments sont ensuite reliés par des bandes de métal anodisées de couleur or. Mais les architectes ne se sont pas contentés de cette composition de géométrie particulière. Ces panneaux de béton sont également gravés par un délicat motif de dentelle. Directement dérivé d’un dessin du XIXème siècle, ce choix ana-chronique ne peut être réalisé que par une technique très moderne. L’em-preinte, de nouveau exécutée dans la matière malléable qu’est le béton, est ici un éloge à la précision. Appliquée dans la courbe des panneaux, le contact mémorisé dans la masse prend d’avantage de profondeur, sem-

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blant presque réel. Les architectes ont souhaité « rendre extraordinaire un matériau ordinaire »31.L’étrange sensation provoquée par la répétition n’est pas tant physique, mais fait d’avantage référence à un socle culturel, au mécanisme de mé-moire. La matérialité du musée de Nottingham est un manifeste de la rencontre entre un regard contemporain et une image traditionnelle.

Sur le chemin de l’abstraction, l’empreinte comme mécanisme repro-ductible trace la marque d’une ambigüité qu’il nous est difficile de voir.

31 Dominique Boudet, entretien avec Adam Caruso, « Caruso-St John, Musée d’Art Contemporain, Nottingham », AMC, n°196, avril 2010, p. 44.

* Caruso St John Architects, Nottingham Contemporary, Nottinghamshire, UK, 2009

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

EMPREINTE _CONTACTComme expérience

L’acte volontaire de l’empreinte engage la notion d’imprévisible parce qu’il résulte d’un contact entre deux matériaux. Comme dans toute forme de recherche, manipuler un matériau familier pour lui donner un sens nouveau, c’est pratiquer un processus expérimental. Si la majorité des façades citées précédemment ont, à l’origine, été validé à partir de prototypes, ce n’est qu’à l’échelle globale de l’édifice que l’effet devient intriguant. Le matériau exposé, à l’image de l’œuvre d’art, peut ainsi rayonné. L’architecture de l’empreinte, conçue et vécue, devient alors une expérience singulière.

En se rapprochant d’une démarche artistique, il est naturel de s’inté-resser de nouveau au travail d’Herzog et De Meuron. Célèbres pour l’engagement esthétique de leurs projets, les architectes suisses défi-nissent eux même leur pratique comme expérimentale. Pour réaliser les éléments métalliques bosselés de certaines parties du Schaulager de Bâle, ils conçoivent une technique d’empreinte inattendue. L’expression irrégulière de cette texture est réalisée par un intermédiaire, un tuyau

« […] on ne sait jamais exactement ce que cela va donner. La forme, dans le processus d’empreinte, n’est jamais rigoureusement « pré-visible » : elle est toujours problématique, inattendue, ins-table, ouverte. » 32

32 Georges Didi-Huberman, op. cit. (note 7), p. 26.

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métallique cabossé. Le transfert se produit donc avec un objet banal que les architectes ont eux même martelé. Ce tuyau est ensuite roulé sur une surface souple et l’empreinte négative qu’il y dessine sert de matrice pour le profil des taules métalliques. Un tel processus qui peut sembler archaïque induit en réalité une technique de modélisation et de produc-tion très élaborée « [...] par des moyens informatisés. Le rapprochement entre l’empreinte et le transfert montre qu’ils ont en commun certaines caractéristiques : une littéralité formelle entre l’objet référent et l’objet créé, et par conséquent une génération automatique de la forme dans le processus »33. Le caractère à la fois naturel et artificiel désiré ne pouvait donc pas être généré par autre chose qu’une technique sophistiquée au service d’un geste originel presque primitif. Le transfert - par succession d’empreintes, et donc par évènements imprévisibles consécutifs - se défi-nit concrètement comme une expérience sans apriori. Il illustre l’une des définitions fondamentales de Didi-huberman :

« Faire une empreinte, c’est produire « un tissu de relations matérielles qui donnent lieu à un objet concret ».34

Dans le cas du Schaulager, « l’objet concret » ne peut être représenté à l’avance. La démarche d’Herzog et De Meuron ne peut être concrétisée qu’en expérimentant la matière et l’exercice de transfert. À l’instar de l’artiste, le matériau est éprouvé par les architectes pour donner nais-sance à une texture unique.

Cette démarche expérimentale résonne avec « l’attitude » des artistes de l’Arte Povera. Apparus à la fin des années 1960 en Italie, les prota-gonistes de cette pensée contestatrice de la société de consommation, s’efforcent de rendre signifiants des objets insignifiants. Leur activité privilégie le processus au détriment de l’objet fini. Le geste créateur est

33 Adrien Besson, « Analogie et littéralité : sur le transfert en architecture », Faces, n°68, Hiver 2010-2011, p. 21.34 Georges Didi-Huberman, op. cit. (note 7), p. 21.

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Herzog & De Meuron, Schaulager, Bâle, 2003

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Giuseppe Penone, Souffle de feuilles, 1979

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

Giuseppe Penone, Souffle 6, 1978

«En s’engageant à créer une mémoire réelle, par l’empreinte particulièrement, il sous-trait la sculpture au mouvement factice qu’impulse la représentation du geste. Avec ces œuvres, il ne représente pas le mouvement, mais il le commémore. Ainsi figé, le

geste prend figure d’inscription.»

Catherine Grenier, Giuseppe Penone, Centre Georges Pompidou, Paris, 2004, p. 139.

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notamment révélé par l’emploi de matériaux pauvres - à l’image du tube d’acier cabossé d’Herzog et De Meuron -. De la même manière, la ma-tière non-noble est donc manipulée, éprouvée et marquée pour mettre en évidence l’essence symbolique de cet art : le geste. L’œuvre inquiète en exhibant les stigmates d’une action inattendue. À titre d’exemple, le tra-vail de Giuseppe Penone se centre sur la nature en cherchant à y intégrer l’empreinte d’une sensibilité humaine raisonnée. Dans Souffle 6 (1978) l’artiste engage ainsi son propre corps pour informer la matière –l’argile- de son empreinte qui va des pieds à sa bouche.

Cet « art pauvre » qui éveille une honnêteté des matériaux est naturelle-ment une source d’inspiration pour de nombreux architectes. Parmi eux, l’un des plus illustres est peut être Peter Zumthor :

« Les travaux de Joseph Beuys et de quelques artistes du mouvement de l’Arte Povera sont pour moi riches d’enseignements. Ce qui m’impressionne, c’est la mise en œuvre précise et sensuelle des matériaux dans ces travaux. Elle parait s’ancrer dans des savoirs anciens sur l’usage fait par l’homme de la matière, mais en même temps mettre au jour l’essence même du matériau, qui est libre de toute signification héritée d’une culture. »35

Cette citation réunie les principaux composants d’une matérialité obtenue par une empreinte expérimentale : s’ancrer dans la culture de ce matériau et y révéler librement une nouvelle signification. Zumthor matérialise cet esprit dans la petite chapelle Saint-Nicolas-de-Flue en Allemagne. S’éle-vant jusqu’à 12 mètres de hauteur, comme un monument rigide au milieu des champs, cet édifice se distingue de toute autre réalisation architectu-rale contemporaine par son histoire, sa mise en œuvre et sa matérialité originales. Il est le résultat d’une commande d’un paysan de Wachendorf, qui décide d’ériger un lieu de culte dédié à un ermite pacifiste du nom de Saint-Nicolas-de-Flue. La chapelle est réalisée par la famille du paysan, des amis et quelques artisans de la région. Avec ces moyens limités, il

35 Peter Zumthor, Penser l’architecture, Bâle, Birkhaüser, 2008, p.19.

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s’agit donc de fabriquer une œuvre hautement symbolique.Pour Zumthor, l’histoire singulière de la chapelle doit s’inscrire dans sa matérialité. Pour cela, 112 troncs d’épicéas, provenant d’une forêt proche ont été disposés côte à côte pour créer une sorte de tipi délimitant le volume sinusoïdale intérieur. Celui-ci contraste nettement avec la géo-métrie extérieure anguleuse de l’édifice. L’épaisseur constitutive de ces deux surfaces est matérialisée par un béton à l’aspect doré qui est coulé par strates de 50 cm d’épaisseur, à raison d’une couche par jour durant vingt-quatre jours consécutifs.36 Le tipi, servant de moule intérieur, est ensuite brulé par un feu durant trois semaines, desséchant ainsi progres-sivement les troncs pour leur permettre d’être détachés du béton. Ce qui reste du tipi est extrait par l’oculus au sommet de la chapelle et les parois de béton intérieures sont ensuite de nouveau noircies au feu. Dans cette obscurité volontaire, chaque source lumineuse est mise en valeur. La lumière se glisse le long des parois rugueuses pour en extraire le relief et raconter l’effort subit par la matière. Les trois cents trous nécessaires au bon maintien des banches extérieures pour le coulage du béton sont alors révélés en les remplissant par des bouchons en verre soufflé. Par une mise en œuvre artisanale, voir archaïque, cette réalisation de Peter Zumthor s’inscrit dans une matérialité jusque là inconnue. Au de-là de la technique employée et d’une honnêteté constructive exacerbée, la chapelle prend une dimension symbolique à travers le matériau. Le béton, matière de détournement par excellence, est ici éprouvé dans le contraste. La surface externe exprime les strates et les marques d’un procédé technique maitrisé - tandis que la texture sobre et caverneuse intérieure est le fruit d’un procédé d’empreinte bien plus expérimental. Seules les centaines de fuseaux lumineux, conservés après le retrait des banches, témoignent d’un assemblage constructif commun.

Parce qu’elle est le fruit d’une démarche imprévisible, la matérialité de la chapelle manifeste des qualités de la nature. L’assemblage rustique du tipi

36 « Chapelle Saint-Nicolas-de-Flue, Wachendorf, Allemagne. Architecte : Peter Zumthor», D’Architectures, n°171, mars 2008, pp. 58-61.

* Peter Zumthor, Chapelle Saint-Nicolas-de-Flue, Wachendorf, 2007

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INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ

en bois imprimé dans la masse calcinée révèle toutes ces imperfections. Celles-ci témoignent des limites de l’action de l’architecte. Il énonce un mode opératoire dont le résultat, à l’image du processus d’empreinte, est « inattendu, instable, ouvert ». La matérialité peut ainsi être aussi surpre-nante que l’expérience pratique qui l’a générée.

« Je pense que l’on a plus de chance de trouver le beau si l’on y travaille pas directe-ment. »37

37 Peter Zumthor interviewé par Michael Kimmelman, « De la côtes pacifique aux Alpes Suisses, rencontre avec Peter Zumthor », L’Architecture d’Aujourd’hui, n°383, mai-juin 2011, p. 40.

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117Si l’expression des matériaux est un sujet constam-ment questionné en architecture, l’inquiétante maté-rialité en définit l’une des subtilités.

Au regard de l’art et de son histoire, il ne s’agit donc pas simplement de bousculer les codes esthétiques conventionnels au nom d’un effet de surprise instan-tané. C’est en réveillant des sentiments depuis long-temps enfouis dans le subconscient, que les maté-riaux génèrent des significations inattendues.

Se pose alors la question de leurs capacités à pro-duire du sens sur le long terme.

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119Tadao Ando, Tadao Ando, Du béton et d’autres secrets de l’architecture, Paris, Editions de l’Arche, 2007, 125 p.

Shigeru Ban, Voluntary Architects’ Network, Making Architecture, Nurturing People : From Rwanda to Haiti, Tokyo, INAX Publishing, 2010, 259 p.

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Adam Caruso, The Feeling of Things, Barcelone, Ediciones Poligrafa, 2008, 96 p.

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BibliographieOuvrages

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Thierry Davila, De l’Inframince, Brève histoire de l’imperceptible, de Marcel Du-champ à nos jours, Paris, Les Éditions du Regard, 2010, 309 p.

Georges Didi-Huberman, L’empreinte, Paris, Centre Georges Pompidou, 1997, 336 p.

Marcel Duchamp, Notes, Paris, Flammarion, 2008, 154 p.

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Jean-Marc Huygen, La poubelle et l’architecte, Vers le réemploi des matériaux, Arles, Actes Sud, 2008, p. 184.

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BibliographieArticles

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Cyrille Simonet, « Ressemblance, dissemblance : Le matériau à l’épreuve de son image », Faces, n°68, Hiver 2010-2011, pp. 23-27.

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Annette Gigon, « [shifting between extremes] A Conversation with Annette Gigon and Mike Guyer », El Croquis Gigon/Guyer 2001-2008, Madrid, El Croquis Editorial, 2008, pp. ???.Eco

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124 Vidéos :

http://www.swissinfo.ch/fre/dossiers/construire_la_suisse/La_mai-son_liberee.html?cid=31267862

Dictionnaires :

Le Petit Larousse illustré, 1999.Le Robert & Collins Senior, Français-Anglais, Anglais-Français, 2002.

BibliographieAutres supports

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Remerciements à :Jacques Lucan et Benjamin Persitz pour le suivi et les conseils prodigués pour l’écriture de ce mémoire.

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