UN CHEVAL PEUT-IL RÉELLEMENT REMPLACER UN
CAMION POUBELLE?
La Gestion des Déchets, entre tradition et modernité
Lucia Fernandez (auteur)
Cyrille Harpet (tuteur)
Mémoire Master Éthique et Développement Durable
Faculté de Philosophie Lyon 3
2010-2011
I. RESUME
L’augmentation des quantités de déchets produits dans les
agglomérations urbaines du monde entier, se présente comme un défi au
niveau de la gestion urbaine. La technique se développe de façon à pouvoir
donner des réponses, offrant des solutions présentées comme «magiques»
pour faire disparaître tous les déchets de la ville au plus vite. Des camions de
collecte chaque fois plus sophistiqués, des dispositifs de bac à ordures de
plus en plus chers, des traitement d' effacement chimique aussi complexes
que la pyrolyse, l'incinération et plus récemment, la transformation
énergétique à partir du brûlage des déchets, font tous partie du dispositif
actuel de gestion des déchets.
Pourtant, il existe d’autres modèles issus des techniques plus
anciennes, traditionnelles, et moins développées technologiquement. C’est le
cas des exemples trouvés dans les pays du Sud, où une grande partie de la
collecte est faite par des « humains à pied » et la récupération des déchets
est réalisée à travers le recyclage spontané. De plus, les traitements
modernes de « disparition » coûtent bien trop cher à l’administration publique
pour qu’elle puisse les payer.
La situation particulière dans les deux hémisphères, Sud et Nord,
présente elle aussi d’autres défis en matière de gestion des déchets urbains.
Le transfert de connaissances techno-scientifiques s’est fait, la plupart des
cas, en direction nord-sud. Dans notre monde globalisé, ce sont les grandes
entreprises de traitement de déchets qui peuvent aller offrir leurs services aux
pays dits «en développement», comme le font aussi les consultants experts
en la matière. Cependant, ils ne connaissent en général que la portion de
réalité socio-économique correspondant à leur lieu d’origine. Nous voyons
dans la gestion des déchets un miroir de nos sociétés et leurs modèles de
développement à deux vitesses: pendant que les uns déroulent des
technologies coûteuses pour les différents traitements, les autres hébergent
quantités considérables d’acteurs s’occupant traditionnellement et de manière
spontanée (artisanale) de la récupération des déchets.
Cette courte présentation soulève de nombreuses questions : quelle
est la pensé et la logique de ces deux systèmes technologiques très
différents? Comment la composante historique dans le progrès technologique
opère dans ces deux cas? Est-ce que le développement durable pourrait
devenir un paradigme intégrateur de ces dispositifs technologiques plus
adaptés aux réalités locales et non au développement économique?
Ce mémoire se positionne donc au cœur du débat actuel du développement
durable, à travers le devenir des dispositifs techniques dans la gestion des
déchets. Nous allons centrer l’analyse autour de l'impact des stratégies
techniques sur les acteurs du recyclage spontané des déchets qui
précédaient aux technologies modernes.
Notre analyse se focalisera sur trois exemples de villes différentes
dans trois moments particuliers, pour mieux comprendre comment le
développement se déploie-t-il et quelles effets a-t-il eu dans ces secteurs
traditionnels, réticents aux nouveaux mécanismes imposés.
SOMMAIRE
I. RESUME 2
II. INTRODUCTION 5
III. DEVELOPPEMENT 7
III.A. Enjeux de la gestion des déchets : du secteur informel aux dispositifs techniques
III.A.1. Le phénomène des déchets et sa disparition dans la ville 7
III.A.2. Les déchets humains et ses techniques traditionnels 9
III.A.3. Reconceptualisation de la notion d’informalité 12
III.A.4. Dispositifs et stratégies de développement autour des
déchets dans les villes du Sud. 14
III.A.5. De la notion du dispositif technologique et son action envers
les déchets 16
III.A.6. Plusieurs problématiques à partir d’une supposée modernisa tion 18
III.B. Illustration à travers trois coupes spatio-temporelles
III.B.1. Première coupe spatio-temporelle: Montevideo aujour d'hui et présentation de ses systèmes simultanés de ges ion des déchets 21
III.B.2. Deuxième temporalité: Paris vers la fin du XIX siècle et l'invention de la poubelle comme dispositif. 25
III.B.3. Retournement temporel : la ville de Pont Sainte Marie au début du XXI et la ré-invention du cheval comme dispositif de collecte
29
IV. CONCLUSION
Le développement durable comme une démarche d'avenir ou comme une réconciliation avec notre histoire? 32
V. BIBLIOGRAPHIE 35
VI. ANNEXES 37
II. INTRODUCTION
Ce mémoire est divisé en deux parties centrales: une première
conceptuelle et analytique, et une deuxième historique illustrant différents
exemples de dispositifs de gestion des déchets. La conclusion analyse ces
exemples à travers une réflexion sur la nécessité d'un développement
durable.
Dans la première partie du mémoire, nous abordons les questions liées
aux résidus en tant que notion philosophique. Nous allons essayer de
comprendre celui-ci comme quelque chose qui est rejeté, qui a été conduit à
la périphérie par ceux qui n'en ont plus besoin. Dans ce contexte, nous
analyserons les principaux acteurs impliqués dans la dynamique de gestion
des déchets avec un accent particulier sur les ramasseurs des résidus
recyclables. Ensuite, nous allons décrire l'opération du soi-disant système
informel, pour mettre en évidence le potentiel de l'acteur clé, le
ramasseur de résidus. En soulignant ses valeurs positives, nous invitons
à penser son rôle d'une autre manière, générant d'autres concepts pour
mieux comprendre cette réalité complexe derrière les déchets dans nos
villes.
Pour mieux saisir les enjeux de ce mémoire et la compréhension du
secteur des ramasseurs dans le cadre de la gestion des déchets, nous
allons reformuler dans la troisième sous-partie du premier chapitre, la
notion d'informalité basée sur des concepts tels que celui de puissance
(Spinoza), d'autopoïèse (Maturana) et de spontanéité (Leibniz). L'autre
facteur que nous utilisons comme modèle d'analyse est le développement
économique et culturel et son impact sur le traitement et la prise de
décision dans la gestion des déchets. La quatrième partie essaye donc de
comprendre comment et pourquoi le système fonctionne d'une certaine
manière au sud et d'une autre au le nord, pour introduire la notion de
dispositif dans la section suivante. Nous allons voir en plus de l'origine du
terme, sa relation avec les modes de fonctionnement dans les modèles
de développement afin de décanter les domaines d'action dans la gestion
des déchets.
Pour terminer ce premier sous-chapitre, nous temporaliserons les
concepts traités, pour les comprendre par rapport à la modernisation des
dispositifs de traitement des déchets. Nous essaierons de trouver quelle
est l’essence derrière les dispositifs de modernisation à travers trois
moments et trois villes particulières.
La partie centrale de ce mémoire, traite de situations géographi -
quement et temporellement distinctes que nous appellerons des
« coupes » dans l'espace et le temps. La première coupe concerne la ville
de Montevideo, capitale de l'Uruguay. Les effets et les dynamiques entre
la réalité existante en termes de dynamique du recyclage spontanée, et
les modèles importés seront analysés à partir du cadre développé dans la
première partie. Nous examinerons en particulier les dispositifs technolo -
giques installés dans la ville pour la collecte des ordures ces dernières
années et l'impact qu'il a eu à sur les ramasseurs.
Dans la deuxième coupe, nous allons voir comment le même
modèle de développement fonctionnait dans la ville de Paris, 140 ans
avant l'actuel Montevideo. De la même façon, l'arrêt du préfet Poubelle a
eu un impact sur les ramasseurs/chiffonniers de la ville. Le choix d'une
petite ville française comme dernier de nos exemples analysé, nous
permettra de poser la question d'une conception différente des dispositifs
de traitement, pour penser et agir en conséquence. Si le mouvement
actuel est de calquer des pratiques depuis le Nord vers le Sud, inverser
cette tendance permettrait de réinventé et appliqué des nouvelles façons
de construire nos villes en s'inspirant des modèles traditionnels des pays
les plus pauvres. Nous conclurons sur le développement durable,
repensé en tant que ré-investissement des méthodes traditionnels
respectueuses des situations des pays du Sud.
III. DEVELOPPEMENT
III.A. Enjeux de la gestion des déchets : du secteur infor-mel aux dispositifs techniques
III.A.1. Le phénomène des déchets et sa disparition dans
la ville
« Le terme de « déchets, dérive sans doute de "déchoir" ("déchiets" au XVe
siècle), parce que, au cours du travail de fabrication, lors- qu'on coupe une
étoffe ou scie une planche, tombent des lambeaux de tissu (appelés justement
des "chutes ") ou des copeaux de bois».
François Dagognet1
La notion de déchets se réfère à quelque chose qui «tombe dans
un état inférieur», dans une situation moins avantageuse, ou bien se
dévie de son destin prédéterminé. Dans l'origine du mot, son origine était
celle liée à la production des objets. Aujourd'hui la consommation
excessive transforme les objets en déchets à très court terme, des objets
neufs qui deviennent vite non utilisables ou non utilisés car délaissés.
Notre société de consommation est basée sur le déchet puisque pour
consommer, il faut jeter. Et lorsque les modalités de production
deviennent des moyens de fabrication de biens rapidement et facilement
jetables, une montagne de déchets encombre chaque jour un peu plus
les sociétés urbaines.
La planète doit gérer environ 2 milliards de tonnes annuelles de
résidus ménagers, pour une population équivalente à 6.5 milliards
d’humains2. Cette production connaît une croissance annuelle de 3%
depuis les dernières décennies3. Non seulement la population augmente
vite et consomme plus, mais en plus les produits industriels, souvent
« sur-emballés », ont une durée de vie moyenne qui diminue.
Pour faire vivre une ville de la meilleure façon possible, les déchets
deviennent de nouveaux défis en termes de ressources à gérer, tout
1 Des détritus, des déchets, de l'abject, une philosophie écologique, éd. Le Plessin Robinson, 1997,p.62.2 UN HABITAT, Solid Waste Management in the World Cities, éd. Earthscan, UK, 2010. p.13.3 Id., ibid.
comme l'étaient l'approvisionnement en eau et leur traitement depuis les
premières cités. La gestion des déchets actuellement concerne les
activités de collecte, de transport, de traitement, de réutilisation ou bien
d'élimination des déchets, afin de réduire leurs effets sur la santé
humaine, l'environnement, l'esthétique ou l'agrément local. Toutes les
méthodes sont bonnes pour éliminer les déchets de la vue des habitants:
cacher, incinérer, enfouir... Le déchets sont vus comme un vrai problème
à résoudre, c'est-à-dire, quelque chose qu'il faudrait éliminer.
Selon le type de ville et le budget disponible pour développer ces
activités, elle choisira parmi les plus pertinentes et possibles de toutes
ces tâches. Ainsi, dans les pays dit « sous-développés » ou en « voie de
développement », les budgets municipaux sont assez restreints, et les
options les plus fréquentes sont la collecte, le transport et « l'élimination »
des déchets.
Si le système ne fonctionne pas du fait d’un manque de
compétences et d’équipements, il devient un vrai problème politique pour
les élus de la ville, attaqués en permanence par la presse locale clamant
que «la ville est sale, la ville est impropre». Pourtant d’après la pensée de
Harpet4, ce n’est pas vraiment le déchet qui entre en scène, ce sont les
procédures et les stratégies de son éviction, de son évacuation, de son
traitement qui relèvent de véritables mises en scène. Ainsi, selon l’auteur, il
s’agit plus de redéfinir un contexte, de s’entourer d’une panoplie d’engins, de
techniques et de mobiliser un personnel qualifié doté des attributs visibles qui
donnent à voir, qui retiennent l’attention. Il y a donc un travail réel des
« surfaces », mais le déchet pris pour lui-même demeure «en reste»5.
Ce sont les travaux en surface qui permettent de se débarrasser du
déchet urbain, tout en suivant une logique hygiéniste et esthétique depuis des
siècles. Puis il n’y a pas eu encore redéfinition du déchet, il y a eu seulement
une re-qualification de ceux qui s’en chargent et des espaces qu’il occupe
inéluctablement6. Le savoir-faire en matière de gestion des déchets demeure 4 Harpet Cyrille, Du déchet: Philosophie des immondices : corps, ville, industrie, éd. L’Har-mattan, Paris, 1999.5 Id., op.cit., p.346.6 Id., ibid.
centralisé et concentré : tous les résidus des villes du Sud, recyclables ou
non, sont déposés dans un site de décharge contrôlé, et très peu de pays dit
«en voie de développement» arrivent à investir ou adapter leur système à des
contraintes écologiques liées à la récupération ou au recyclage de ces
déchets. La configuration de la ville en matière de gestion des déchets
s'établit ainsi à travers ces différentes stratégies technologiques, et c’est bien
donc cette centralisation, plus précisément ce centrisme qui renvoie toute
structure régionale ou périphérique à l'accessoire, à l’excroissance
susceptible d’être extirpée7.
De ce fait, le processus d’exclusion du déchet de la ville, trouve son
imbrication avec les personnes qui sont en charge notamment dans les pays
non développés, de son traitement. Leur mode d’action (collecte, tri,
disposition finale) opère dans la plupart des cas de façon dispersée,
décentralisée8, et évidement de manière différente aux volontés de l’institution
publique. Ils sont connus comme des ramasseurs de résidus, et ils font partie
des êtres « naufragés du développement » selon Latouche9 ou bien des
« êtres redondants » selon Bauman10. Nous allons voir par la suite comment
ce secteur fonctionne dans la ville autour d’une autre gestion des déchets,
pour après comprendre comment les dispositifs techniques de modernisation
agissent sur ceux-ci.
III.A.2. Les « déchets humains » et ses techniques
traditionnelles
« L'économie mondiale a exclu des campagnes des millions et des millions de
personnes, elle a détruit leur mode de vie ancestrale, supprimé leurs moyens de
subsistance, pour les jeter et les agglutiner dans les bidonvilles et les banlieues du
tiers-monde (...) Ces laissés-pour-compte, condamnés dans la logique dominante à
disparaître, n’ont d’autre choix pour survivre que de s’organiser selon une autre
logique. Ils doivent inventer, et certains au moins inventent effectivement un autre
7 Harpet, op.cit., p.318.8 Voir annexe 1, carte de la ville de Montevideo élaborée pour la Mémoire d’Architecture sur les Dynamiques du Recyclage Spontané (Fernandez, 2010).9 Serge Latouche, Survivre au développement, éd Mille et une nuits, 2004, p.107.10 Bauman Zigmunt, Vies Perdues: la modernité et ses exclus, éd.Rivages poche, Paris, 2004, p.28.
système, une autre vie. On a repéré cette alternative sur le nom d’économie
informelle. Toutefois, dans l’informel qui nous intéresse ici, on n’est pas dans une
économie, même autre, on est dans une autre société».
Serge Latouche11
Il existe autour de la gestion de déchets un tout autre système, qui
fonctionne bien selon Latouche comme une autre société, et qui est connu
dans notre cas d’étude sur les résidus, comme le «secteur informel de la
gestion des déchets». Ce secteur est composé de ramasseurs, trieurs, et
vendeurs qui recyclent tous les déchets récupérables que l’institution publique
des pays du Sud n’est pas en mesure d’intégrer dans une gestion officielle.
Dans la plupart des cas, ces personnes ne sont pas payées pour
leur service de collecte ou de récupération mais elles trouvent leur
rémunération dans les échanges économiques du libre marché des
produits recyclables. Ainsi, leur activité appartient au registre privé, celle
du profit individuel, qui pourtant produit lui même des répercussions dans
la sphère publique: collecte de résidus et recyclage, réduction des
déchets enterrés, réduction du recours aux matières vierges à partir du
recyclage des résidus récupérables, diminution des gaz à effet de serre
par la réduction dans la production du méthane. Il s’agit avant tout, en
suivant la pensée de Latouche, des façons dont les « naufragés du
développement » produisent et reproduisent leur vie, hors du champ officiel,
par des stratégies relationnelles. Ces stratégies incorporent toutes sortes
d’activités « économiques », mais ces activités ne son pas (ou faiblement)
professionnalisées. Les expédients, les bricolages, la débrouille de chacun
s’inscrivent dans des réseaux (...) Au fond, ces stratégies fondées sur un jeu
subtil de tiroirs sociaux et économiques sont comparables aux stratégies
ménagères (...) mais transposées dans une société où les membres de la
famille élargie se compteraient par centaines12.
Ces activités de récupération procèdent de pratiques nettement
artisanales, par recours à des techniques anciennes et traditionnelles
comme la collecte à pied ou à cheval, ou bien les méthodes de séparation
11 Id., op.cit., p.107.
12 Latouche, op.cit., p.107 et p.108.
à la main pour faire le tri sélectif. Ces pratiques sont parfois directement
reprises d’un mode de vie rural. Il n’y a pas de tapis roulants ou
d'absorption magnétique des métaux, ni de camions de collecte « télé-
dirigés ». D’après UNHABITAT, le secteur informel traite (collecte et
récupère) une grande proportion des déchets même avec l’utilisation des
techniques traditionnelles. Dans certain cas le taux de recyclage est plus
élevé que celui des infrastructures existantes dans les villes riches
européennes. Pendant que Rotterdam récupère 30% de ses déchets
ménagers, le Caire en récupère 66% grâce au travail mené par les
Zabaleens, ramasseurs du Caire13.
L’impact du secteur dit informel n’est pas négligeable dans les
villes où les indices de pauvreté sont en augmentation depuis des
décennies. Ce système est dit « informel », du fait de son fonctionnement
sporadique (dispersé et décentralisé dans la ville), où chaque individu
effectue son propre trajet de collecte dans les quartiers et zones riches de la
ville. Nous prenons conscience de l’intégralité de ce système où chacun
ramène des matériaux à trier chez lui, pour les vendre auprès d’intermédiaires
dans la chaîne du recyclage, et de la nécessité d’intégration de ce
fonctionnement à l'échelle de la ville.
L’étonnante incidence du système informel présage ainsi un scénario
favorable quant à l'implantation des politiques urbaines, qui intègrent ce
système comme une évidente ressource efficace en matière de récupération,
recyclage et réduction de la dépense publique. Ces ramasseurs économisent
aux municipalités des pays du Sud environ 20 % de leurs dépenses en
matière de collecte et dépôt final.14
Pourtant, pourrions-nous l’appeler « système informel », alors qu’en fait
il n’existe pas d’activités significative en matière de recyclage du côté de « la
formalité » au sens des institutions? Latouche choisit le terme de
« vernaculaire » pour se référer à cet autre système qui ne rentre pas dans un
paradigme dit « developementaliste ». D’autre part, nous chercherons ici à
13 UN HABITAT, op.cit., p.130.14 UN HABITAT, op.cit., p.38.
requestionner et proposer une conceptualisation des protagonistes du
« système informel » pour arriver à construire une autre terminologie, d’autres
concepts qui nous permettront de mieux comprendre et de mieux saisir son
ontologie.
III.A.3. Reconceptualitation de la notion d’informalité15
« L’autopoïese désigne le processus par lequel un système définit son état futur
à partir des limitations précédentes. Un système auto-poïétique est un système
organisé comme un réseau de processus de production de composants qui, par
leurs transformations et leurs interactions, régénèrent continuellement le réseau
qui les a produits, et constituent le système en tant que unité concrète dans
l'espace où il existe, en spécifiant le domaine topologique où il se réalise
comme réseau».
Humberto Maturana et Francesco Varela 16
Le terme autopoïèse vient du grec auto (soi-même), et poïèsis
(production, création) et a été développé récemment par les biologistes
chiliens Maturana et Varela. C’est un phénomène qui se caractérise par la
propriété d'un système à se produire lui-même (et à se maintenir, à se
définir lui-même). Ce concept réfère aussi a la poïètique d'Aristote
relative aux potentialités créatives d'une situation donnée17.
Nous croyons que le ramasseur, qui dans le même temps s'occupe
de récupérer des déchets de la ville, effectue aussi une récupération de
sa condition de déchet social. Il survit à partir de la sur-consommation
des habitants d’autres parties de la même ville, ainsi le cercle apparait
parfaitement fermé. Ce qui est consommé en excès et qui alimente un
système économique de la vitesse de flux, la même vitesse qui fait
tomber des gens dans la redondance, est au service de la survie de toute
une partie du même système. Cette dernière est alors délaissée par
l'ensemble du système, créant ainsi des relations particulières dans notre
15 Voir notament le Rapport de Stage au sein du Master Ethique et Développement Durable, Proposions et actions «glocales» pour un Recyclage Spontané Durable (Fernandez, 2010).16 Autopoiesis: the organization of living systems, its characterization and a model, dans Biosystems, 1974, p.187–196.17 Voir en ce sens, Majid Rahnema et Jean Robert, La Puissance des pauvres, ed. Actes Sud, 2008, pag 115
ville contemporaine. Mais comment ces relations se sont-elles produites ?
Font-elles parties d’une planification pré-établie ?
Nous pourrions essayer de déterminer la nature de ces actions à
travers le terme de « spontanéité » , par analogie avec un processus
biologique.
« Les micro-organismes, microbes et levures, semblaient être le produit
évident d'une génération spontanée. Hors de cette compréhension animale de la
génération spontanée, c'est penser que la vie peut spontanément s'organiser pour
donner existence à une forme de vie qui lui semble opportune »18.
Ce qui est «spontané» se produit par l'initiative propre d'un agent, sans être
l'effet d'une cause extérieure, sans être une réaction ou une réponse à un
stimulus quelconque. Ainsi, dans les cas des ramasseurs, il n’existe pas de
promotions institutionnelles ou officielles pour réaliser ce type de travail. Dans
la plupart des cas et par leur propre initiative, ce qu’ils font produit un autre
mode de travail.
Spontaneum est cujus ratio est in agente. Leibniz
Remplacé le terme «informel» en «spontané», représente un
changement possible de regard sur notre problématique : celle de la gestion
des déchets dans les villes du Sud. Au sens le plus général, la spontanéité
s'oppose à l'inertie, et elle peut se définir comme le « pouvoir » que possède
un être de modifier lui-même son état indépendamment de toute cause
extérieure19. La vie peut spontanément s'organiser pour donner l'existence à
une forme de vie qui lui semble opportune20. Selon la définition classique de
Leibniz, est spontané ce dont le principe est dans l'agent. Être doué de
spontanéité, c'est être la source originelle d'actions ou de manifestations.
Nous n'allons pas définir notre sujet d'analyse par rapport à un autre système
présupposé « formel ». Nous croyons simplement que sa définition elle-
même, comporte en soi l'entendement et l'avenir de nos idées. Il faudrait
pourtant penser l'existence du secteur à partir sa potentialité et non sa
18 Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Génération_spontanée (accès 03/2010).19 Définition de spontanéité, disponible sur http://www.cosmovisions.com/spontaneite.htm (accès 07/2010).20 Définition de spontanéité, disponible sur http://www.universalis.fr/encyclopedie/spontaneite/ (accès 07/2010).
carence. A ce fin, nous devons sortir de l'entendement par lequel nous
voyons dans le pauvre uniquement le manque, restant ainsi aveugle à sa
puissance. En suivant cette pensée de Majid Rahnema, la misère serait donc
la perte de puissance intérieure21. Cette puissance que Spinoza appelait
potentia22 a aussi été introduite par Leibniz comme la possibilité d'une
nouvelle pensée de la spontanéité : Il y a une puissance primitive, qui ne
s'exprime plus par un autre mais par soi, comme spontanéité23. Par
puissance, il faut entendre le principe de l'activité. L'être-en-puissance peut
alors gagner une dignité nouvelle, en n'étant plus affecté d'un manque d'acte.
La notion de puissance prend alors un sens nouveau, comme capacité
absolue de création.
Le problème central de ce mémoire concerne l’effet du paradigme
développementaliste sur ces êtres en puissance qui conforment un système
spontané avec leurs propres moyens technologiques traditionnels. Celui-ci
fonctionne depuis des années sans aucun type d’aide financière ou
d’investissement institutionnel. Nous allons donc étudier les modes d’action
du développement, comment ces dispositif agissent sur le secteur spontané
et quels en sont les effets.
III.A.4. Dispositifs et stratégies de développement autour
des déchets dans les villes du Sud.
Dans le signification du mot « développement » nous mettons une
certaine ambiguïté redoutable24. Au sens très large, il met l’accent sur la
dynamique créatrice des institutions, des sociétés, et des cultures qui
travaillent à maintenir leur identité dans le temps en vue de l’avenir (...) Mais
en même temps, il contient un contenu normatif extrêmement précis et
contraignant, à l’égard de la démesure du développement de l’activité techno-
scientifique depuis 350 ans de révolution industrielle, répartissant entre société
21 Rahnema M., Robert J., op.cit., p.32.22 Spinoza, Ethique, IV, ed. Poche, 199423 Centre d'études et rétorque, philosophie, et histoire des idées, Leçon de philosophie, La Puissance, Seconde partie, disponible sur http://cerphi.net/lec/puissance3.htm (accès 07/2010)24 Jean Philippe Pierron, Penser le développement durable, éd. Ellipses, 2009, p.21.
développé, sous développé, en voie de développement, émergente, etc.
Les pays dénommés « sous, ou en voie de développement » ont subi
dans les décennies 1960 et 1970, une promotion des paradigmes européo-
américains du développement économique25. Le résultat de cette première
implantation d’un modèle externe imposé dans une culture et une réalité très
différente s’est exprimé, entre autre, par l’explosion de la « crise de la dette »
au début de 198026. Ces pays à faible budget public ou bien avec de hauts
indices de corruption, ne peuvent pas rendre tout l’argent que les Banques
pour le développement économique27 leur avaient prêté. Il fallut alors redéfinir
« les objectifs et les moyens » de la politique d’aide multilatérale, et c’est au
cœur de ce processus que l’on forgea le slogan pour ces pays sous-
développés de la « lutte contre la pauvreté » qui succéda au credo de la
« lutte pour le développement »28.
Le degré de développement passerait donc pour un nouveau «sentier
d’expansion » selon F. De Bernard qui cherche à « sortir de la pauvreté »
dans un premier temps, pour enfin rejoindre le « degré de développement »
dans un deuxième temps. Le consensus derrière cette démarche s'appuie sur
l'idée de Majid Rahnema selon laquelle il faudrait abandonner l’économie
archaïque de subsistance pour sortir de la misère et s’intégrer a la seule
forme d’économie qui transforme la rareté en abondance29.
« Ce sentier passait nécessairement, aux yeux de ces concepteurs, par une batterie
de dispositifs incluant en particulier des efforts d’industrialisation, d'équipement, de
construction d’infrastructures, de bancarisation, de privatisation, de libéralisation de
leurs marchés et de « mesures d’assainissement des finances publiques »,
produisant tous leurs effets macro-économiques »30.
25 François de Bernard, La pauvreté durable, éd du félin, 2002.26 Dans le cas des pays d'Amérique du Sud, après leurs périodes des dictatures, les démocraties naissantes ont découvert des dettes immenses qu’elles continuent encore de payer. La plus alarmante, celle qui a donné le nom de crise de la dette, était celle du Mexique en 1982. La Banque Publique Mexicaine ne possédait pas la moitié de la valeur totale du prêt à rembourser. 27 Notamment Banque Mondiale à travers son Fond Monétaire Internationale.28 En septembre 1999, le Fond Monétaire International a placé la lutte contre la pauvreté au centre de ces activités dans les pays à faibles revenu, en décidant de remplacer la Facilité d’ajustement structurel renforcée (FASR) par la nouvelle Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC). François de Bernard, op.cit., p.17.29 Rahnema M., Robert J., op.cit., p. 57.
30 François de Bernard, op.cit., p.18.
Nous allons voir, dans la partie centrale du mémoire, comment les
nouveaux termes associés à celui du développement vont générer aussi une
batterie de dispositifs actuels, produisant des effets sur le secteur spontané et
la société en général. Pour mieux comprendre ce phénomène, une
exploration sur le terme de « dispositif » est nécessaire.
III.A.5. De la notion du dispositif technologique et son action
envers les déchets
« Et, dans l'euphorie créée par ces innovations, personne ne cherche a
se demander pourquoi, par qui et sous quelles conditions de tels cadeaux ont
été faits ».
Majid Rahnema31
Notre outil principal d’analyse : le « dispositif », dérive du latin
dispositio (dis-positio)32 qui nous ramène au terme disponere, c’est-à-dire des
« ensembles de pièces ou de mechanisme dont nous disposons (ou bien qui
disposent de nous ?) ». Heidegger, dans La question de la technique33,
s'interroge sur la technique moderne et définit alors l’arraisonnement (Gestell)
comme l'essence de la technologie. En effet, "Gestell » signifie
communément « appareil » (Gerät), mais il entend par ce terme « le
recueillement de cette dis-position (stellen) qui dis-pose de l’homme ».34
Ces dispositifs, au service de la modernité industrielle, ont rendu pos-
sible une modélisation de notre mode de vie, dans laquelle l’homme n'était
pas le maître qui dispose mais plutôt un être disposé par la technique. Dans
la conception de Heidegger, la technique n’est pas seulement un moyen, elle
est un mode de dévoilement, c’est-à-dire est une provocation par laquelle la
nature est mise en demeure de livrer une énergie qui puisse être extraite et
accumulée (...)
De son côté, Giorgio Agamben appelle dispositif tout ce qui possède,
d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de 31 Rahnema M. et Robert J. op.cit. p.155.32 Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, éd Rivage Poche, 2007, p. 26.33 Martin Heidegger, Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1980 (1er éd. 1958).34 Agamben, op.cit., p.27.
déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les
conduites, les opinions et les discours des êtres vivants35. Ainsi, l’idéologie
techno-scientifique du tout manipulable36, agit par des dispositifs
technologiques articulés entre eux, qui font système puis monde37.
En partant de la pensée heideggerienne du gestell, Michel Foucault
développe le concept de dispositif qui nous permet de saisir plus clairement
notre outil d’analyse de la gestion des déchets. Dans Dits et écrits, le
philosophe français nous parle des dispositifs avec des fonctions stratégiques
dominantes :
« II s’agit d’une certaine manipulation de rapports de force, d’une intervention
rationnelle et concertée dans ces rapports de force, soit pour les développer dans
telle direction, soit pour les bloquer, ou pour les stabiliser, les utiliser. Le dispositif est
donc inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié aussi à une ou à des bornes de
savoir, qui en naissent, mais, tout autant, le conditionnent. C’est ça le dispositif : des
stratégies de rapports de force supportant des types de savoir, et supportés par
eux ».38
Ainsi, tout comme Foucault se propose plutôt d'enquêter sur les modes
concrets par lesquels les dispositifs agissent à l’intérieur des relations dans
les mécanismes et les jeux de pouvoir, nous allons analyser la batterie de dis-
positifs technologiques qui vont agir sur notre sujet principal : les déchets.
« Hippomobiles en 1878, balayeuses-automobiles et arroseuses
automatiques en 1921, camions-bennes électriques et bennes-tasseuses en 1948,
ainsi se constituera progressivement l’arsenal technique sophistiqué et énergétique,
de moins en moins coûteux en mains de « basses-oeuvres »39.
Le dispositif dans l’usage commun semble renvoyer à un ensemble de
pratiques et de mécanismes qui ont pour objectif de faire face à une urgence
pour obtenir un effet plus ou moins immédiat. L'aspect technologique dans
le traitement des déchets urbains ménagers, se présente depuis des
siècles comme une stratégie modernisatrice, où l’effet désirable reste
35 Id., op.cit., p.31.36 Pierron, op.cit., p.2937 Id., op.cit., p.79.38 Michel Foucault, Dits et écrits, volume III, p.299.39 Harpet, op.cit., p.328.
toujours celui d’embellir la ville. Mais les défis actuels en matière
d'adaptation au nouvelles contraintes dues a l’augmentation exponentielle
des quantités de déchets, et aussi à la conscience
écologique/environnementale, nous laissent dans un paradigme actuel et
défendu par le dernier rapport de UNHABITAT qui clame pour une
modernisation de la gestion des déchets.
III.A.6. Plusieurs problématiques à partir d’une supposée
modernisation
Moderniser (def): adapter aux techniques présentes ou aux goûts actuels, adapter
aux besoins de l'époque actuelle. Moderniser (syn): actualiser, rajeunir,
rénover.40moderniser (v.) mise à jour, mieux adapter quelque chose aux techniques
de pointe41
Les définitions du terme nous ramènent à une conception
«temporelle», c'est-à-dire, à «une mise à jour» de notre réalité entendue
comme périmée. Celle-ci se formalise dans certains pays par l’importation
de modèles utilisés dans les pays «développés». La « technique » prend
ainsi dans la modernité un sens extensif qui perd de vue la compétence et le
talent individuel au profit d’une entreprise « totalitaire » inséparable du
concept industriel42.
Nous voyons dans Montevideo, petite capitale « en voie de
développement », les mêmes poubelles et les mêmes camions de
collecte qu’à Rome ou à Barcelone, et des propositions technologiques
complexes de traitement (production d'énergie a partir des déchets,
incinérateurs, etc) qui tentent de se développer partout dans le monde.
« La globalisation des systèmes techniques n’est pas qu’un ensemble de dispositifs
offerts dans leur passivité. Elle dispose à agir par une normalisation planétaire des
conduites »43.
C’est en l’absence de regard local et dans un désir institutionnel et
40 http://fr.thefreedictionary.com/moderniser (accès 07/2010).41 http://dictionnaire.sensagent.com/moderniser/fr-fr/ (accès 07/2010).42 François Guery, Heidegger rediscuté, Nature, technique et philosophie, éd Descartes & cie, 1995, p.86.43 Pierron, op.cit., p.79.
politique de «rénover la ville», de montrer aux citoyens que «nous avons
aussi des systèmes propres comme les meilleurs capitales du monde»
que dans la plupart des cas les pays en développement choisissent la
technologie comme une meilleure adaptation aux qualités de vie, sans
prendre en considération le savoir faire existant des techniques
traditionnelles. Cela produit ainsi une disqualification de l’ancien, du rural,
de l’artisanal, et du « manuel ».
Cette modernisation chercherait, non seulement à développer
économiquement les pays en voie de développement à travers une nouvelle
gestion, mais aussi à réduire cette masse de pauvreté urbaine qui est en
charge d’une grande partie du traitement (collecte et récupération) des
résidus de la ville, comme nous l’avons vu depuis les stratégies de la dernière
décennie.
Ce n’est pas seulement les villes du sud récemment, mais aussi les
villes aujourd’hui développées qui ont parcouru le même chemin
modernisateur depuis des siècles : « Au moyen de l’usage de paniers, on
ne voit plus courir par la ville tous ces sales chiffonniers et vagabonds, si
dangereux dans une ville comme Paris»44.
Selon Harpet, le baron Haussmann, parlait déjà à l’époque de la
« tourbe des nomades » impropres à voter pour des élections et donc à
participer à la vie civile et condamnés à une vie « sauvage » identifiés par
leurs caractères « hideux ». La morale de l’époque ne parlait pas de « lutter
contre la pauvreté » mais il y avait dans les effets de ces actions, des
ressemblances remarquables que nous allons découvrir dans les pages
suivantes.
Sous le masque de la croissance se dissimule, en fait, la création de la
pénurie 45. Alors que la première vague d'incinérateurs avait des perform-
ances modestes en France, certaines sociétés présentèrent cette technologie
comme la panacée universelle46, dans les pays « sous-développés ». Au-
44 Harpet, op.cit., p.325, avec remarque de l’auteur..45 Vandana Shiva, Le Terrorisme alimentaire, Comment les multinationales affament le tiers-monde, Paris, Fayard, 2001, p.8.46 Bertolini Gérard, Le marché des ordures, éd. L'harmattan, Paris, 1990.
jourd'hui, même après une centaine d'années d’incinérateurs français, des
pays comme l'Inde produisent un pourcentage de déchets organiques com-
postables très élevé (et pourtant non combustibles) «modernisent» leur sys-
tème en important ces technologies provenant de loin. Ces matériaux que le
nouvel incinérateur brûle, sont depuis des années, les matières premières re-
cyclables du ramassage réalisé par des dizaines de milliers de ramasseurs in-
diens47.
Comme nous dit Serge Latouche, il n’y a rien de pire qu’une société de
croissance sans croissance48. Sommes-nous donc face à une vraie modern-
isation ou s’agit-il en réalité de mimétismes technologiques49 ? Quel est le prix
à payer au sens éthique pour ces sujets chargés du recyclage spontané? . En
suivant la pensée heideggérienne par laquelle il n’y a rien de démoniaque
dans la technique (...) c’est l’essence de la technique qui est le danger, ce
que nous allons essayer de trouver est l’essence derrière les dispositifs de
modernisation à travers trois moments et trois villes particulières. Nous allons
donc historiciser les certitudes modernes50 afin de gagner en distance critique
vis-à-vis de celles-ci.
47 Comme c’était le cas récemment dans la ville de Delhi en Inde, ou l’impact d’un incinérateur pour transformer les déchets en énergie, avait pris des matériaux recyclables de dizaines de milliers des ramasseurs (voir film Counterbalance (Chintan-Witness 2010), accessible sur : http://www.archive.org/details/witness_5640_E007059 (accès 05/2011).48 Survivre au développement,éd Mille et une nuits, 2004, p.88.49 Bertolini, op.cit., p.106.50 Rahnema M. et Robert J. op.cit. 69
III.B. Illustration à travers trois coupes spatio-tempo-
relles
III.A.1. Première coupe spatio-temporelle: Montevideo
aujourd'hui et présentation de ses systèmes
simultanés de gestion des déchets51
Pour ce sous-chapitre, la méthode utilisée est celle de ma vraie démarche personnelle en suivant «le filon» de la chaîne invisible du recyclage dans la ville de Montevideo. Elle a commencé «officiellement» à partir d'une recherche interdisciplinaire menée en 2004 sur le sujet de l'inclusion des ramasseurs dans la gestion des déchets à Montevideo, pour devenir ensuite des collaborations multiples avec des associations de ramasseurs de plusieurs pays. L'élaboration des rapports récents sur la gestion de déchets et l'informalité à Montevideo ainsi que de récentes notes journalistiques parues dans les médias, ont aidé à quantifier les informations confirmées, dans certains cas, grâce à des consultations personnelles sur place avec les ramasseurs. Le principal centre d'intérêt de ce sous-chapitre sera l’implémentation du nouveau système des containers de déchets et son effet sur les ramasseurs existants.
Aujourd'hui, quand un étranger arrive à Montevideo, l'une des
premières choses qui lui attire fortement l'attention est la quantité de
charrettes à cheval qui parcourent les rues de la ville, ces mêmes rues
inscrites dans des itinéraires touristiques. Certains d'entre eux se posent
des questions sur ces véhicules "d’une autre époque" ou sur l'origine
d'une activité étonnante, celle de la collecte des déchets d'autrui à
l'intérieur de quelques containers modernes provenant d'Europe,
dispersés sur les trottoirs de la ville52.
Pour un habitant de Montevideo, cette réalité est si quotidienne
qu'elle en devient invisible, comme cela arrive avec n'importe quel
évènement qui se répète d'une manière permanente dans nos vies.Pour
pouvoir comprendre les deux dynamiques qui vivent ensemble dans cette
ville, formant un seule système de gestion, il faut les regarder avec des
51 Voir première partie de la vidéo adjointe au mémoire et qui en fait pourtant partie.52 Voir annexe 2, images des containers à Montevideo avec les ramasseurs en plein travail.
yeux d'étranger, et en même temps avec un regard d'autochtone 53.
Quand nous remplissions le sac des ordures à l'intérieur de notre
maison avant 2003, nous devions les placer dans un récipient à l'intérieur
de notre bâtiment, afin que le concierge les ramène à la rue quand le
camion collecteur de ces déchets passait. Pour le cas des maisons
individuelles, on devait, préférablement pendant la nuit ou bien tôt le
matin, disposer son sac de restes dans des petits récipients placés sur
les trottoirs de chaque demeure, et à une hauteur telle que les chiens ou
d'autres animaux n'y avaient pas accès.
Dans le dit système, les chariots à cheval, les personnes en
bicyclette ou à pied, qui parcouraient les rues à la recherche de déchets
récupérables, pouvaient, d'une manière relativement simple, récolter ces
sacs et les porter à l'abri des regards, pour extraire ce qui était
récupérable et commercialisable.
Les camions passaient ensuite en ramassant ce qui restait sur le
parcours préalable de ces milliers de personnes (à l'époque environ
6.00054), les travailleurs municipaux courant derrière le camion de chaque
côté de la rue pour mettre les sacs dans la benne du camion.
Pendant la même année, une étude sur l'industrie des matériaux
recyclables dans la ville, ainsi qu'un Plan Directeur de Déchets pour l'Aire
Métropolitaine, étaient élaborés.
Parallèlement aux dites élaborations de caractère technique et
politique , la Mairie de Montevideo a décidé, à priori à la suite d'une offre
à caractère privé et économique, de transformer le système de récolte de
déchets par le "plus moderne et plus propre du monde"55.
Ce système fonctionne avec des containers bien plus grands que
les anciens récipients, permettant la récolte de 3m3 des résidus, dotés
d'un dispositif de fermeture et placés en permanence sur les trottoirs de
53 Il est à noter que l’auteur a vécu la plupart de sa vie dans la ville de Montevideo pour émigrer récemment en France. D’où le choix de la ville et la façon particulière de la regarder.54 Le numéro exact correspond à celle du Premier Recensement Obligatoire de Ramasseurs, fait par la Mairie de Montevideo en 2002. Le nombre total était de 5.312, donc on peut estimer qu'un an plus tard, leur nombre a augmenté.55 Citation du fonctionnaire municipal Ing. Piña, dans plusieurs journaux à l'époque du changement du système.
la ville. Ces containers sont partagés par plusieurs voisins. L'anonymat
de ce qu'on rejette restait nouveau pour les habitants de Montevideo,
ainsi que le fait de pouvoir déposer ces déchets à n'importe quel moment
de la journée et de la semaine.
Les camions collecteurs ont modifié leurs jours et horaires de
passage (maintenant 3 fois par semaine le matin), laissant plus de temps
disponible à l'extraction des matériaux commercialisables.
Les ordures s'accumulent dans les rues, à l'intérieur de ces containers,
attendant la nouvelle flotte de camions Mercedes Benz, conduits par un
chauffeur muni d'un levier de commande qui permet la levée latérale des
containers, ainsi qu'une deuxième personne qui balaie (ou vérifie qu'il n'y
a personne à l'intérieur du container56).
Les containers, d'origine italienne, ont été achetés et implantés
lentement dans différentes zones de la ville, arrivant aujourd'hui à couvrir
le 80% du territoire de Montevideo au nombre de 7.500.57
Dès lors, le nombre de ramasseurs, qui travaillent à la collecte et
récupération-vente de résidus, est passé de 5.312 en 2005 (recensement
officiel) à près de 10.000 aujourd'hui58. De l'ancienne méthode simple de
récupération des sacs sur la voie publique, ces derniers se glissent
maintenant à l'intérieur des containers de 2.400 et 3.200 litres de
capacité, tout en plaçant un dispositif empêchant la fermeture complète
du couvercle.
Par conséquent, dans la plupart des cas, cette tâche est déléguée
aux plus petits travailleurs (enfants, mineurs), seuls capables de
pénétrer par la mince ouverture des containers. Certains utilisent des
56 Au début de l’implantation du système, certains habitants sans domicile fixe dans la ville dormaient à l’intérieur des containers et ils sont retrouvés heureusement avant la mise en décharge dans le camion.57 Supplément périodique «Que pasa» de «El Pais», 15/05/2010, http://www.elpais.com.uy/suple/quepasa/10/05/15/quepasa_488334.asp (accès 25/06/2010).58 Le chiffre officiel du Ministère de Développement Social est de 8.729 (MIDES, Tirando del Carro, 2006,p.20) mais le Syndicat des Ramasseurs considèrerait qu'il y en a le double, donc environ 16 000. Pour couper la poire en deux, tout en sachant qu'il existe certains ramasseurs qui collectent à pied (bolseros) qui n'ont pas participé au recensement, on considérerait le chiffre de 10 000 dans la ville de Montevideo. Cet chiffre correspond aussi au croisement exponentiel des dernières décennies: 3000 en 1990, 5312 en 2002, 7700 en 2004 et 8427 en 2008; selon les chiffres de la Mairie.
crochets pour extraire les sacs ou les matériaux qu'ils considèrent comme
récupérables et commercialisables. Les déchets qui restent au fond du
container sont pratiquement inaccessibles et, donc, inutilisables,
devenant alors de vrais rebuts.
La description précédente correspond à ce que nous pouvons
appeler la «partie visible» du système de gestion de déchets urbains
solides. Aux yeux de tous, une flotte de camions de récolte latérale,
dernière technologie européenne, s'occupe du ramassage officiel des
déchets, entrainant la réduction du personnel destiné à réaliser la même
tâche auparavant.
Dans le même temps, ces containers italiens, coûtant chacun
835U$ 59, sont le lieu de collecte de milliers de personnes parcourant les
rues jour et nuit. Ils peuvent ainsi se maintenir économiquement et
permettre à toute une industrie de vivre à partir de cette récolte faite par
les ramasseurs.
Quelle est la pensée et la logique de ces deux systèmes qui
apparemment correspondent à des technologies assez différentes?
Pourquoi pendant que l'une importe la technologie d'Europe pour
éloigner le plus rapidement et proprement possible tout ce qu'on jette,
l'autre survit à partir des résidus récupérés avec sa propre
technologie et ses moyens spontanés? Sommes-nous face à un
vrai « choc » des modèles développementalistes? Est-ce que la
tradition et la modernité pourraient-ils cohabités ensemble d’une
façon éthiquement amicale pour tous les citoyens et pour
l’environnement? Mais sous quel paradigme developpementaliste?
Est-ce que la durabilité pourrait nous offrir d’autres modèles de
convivialité où le système spontané resterait respecté et valorisé?
59 Facture originale de OMB Brescia, trouvée sur le site internet de la Mairie, voir en annexe3.
III.B. Deuxième temporalité: Paris vers la fin du XIX
siècle et l'invention de la poubelle comme dispositif.
Nous avons choisi cette époque en raison de ses ressemblances avec les dynamiques du recyclage spontané de la ville de Montevideo. A l'origine, nous avons trouvé que la quantité de chiffonniers qui parcourent les rues de Paris dans le XIX siècle, était correspondante à celle de Montevideo actuellement. Cette mise en parallèle numérique est rendue possible a travers l’histoire comme outil de pensée et d’analyse. Nous avons basé la recherche bibliographique dans plusieurs documents descriptifs d'époque (fondés sur des principes hygiénistes et modernisateurs) et livres récents d'histoire sur la ville de Paris. Notre principal intérêt portera sur l’implémentation de l’arrêt du Préfet Poubelle en tant que nouveau dispositif à installer dans la ville.
Le Roi français François 1er avait proposé, dans son édit de 1539,
une discipline concernant le domaine «privé» du déchet, mais la
proposition ne sera pas entérinée, et les ordures continuèrent à
s’entasser dans les rues de Paris. Le 11 septembre 1870, un arrêté est
signé, remettant à l’ordre du jour l’usage de boîtes à ordures et, surtout,
leur temps de présence dans les rues. Il obligeait les habitants de la ville
à disposer leurs ordures non pas le soir comme auparavant, mais le matin
devant leur porte et dans des récipients particuliers. L’objectif était de
limiter la présence d’immondices dans les rues, de dés-entasser les
anciennes montagnes de détritus, pour proposer un système efficient
d'enlèvement public autorisé et commandé par la Préfecture de Paris.
Selon un rapport écrit par le Dr Bouchardot, membre de la
Commission d'hygiène publique établie en 187560, cet arrêté de 1870 se
généralisa dans les dix arrondissements excentrés, mais avec certains
problèmes. Le système ne plaisait pas aux ouvriers quittant leurs maisons
de bon matin (avant le passage du tombereau de l'enlèvement) ainsi
qu'aux habitants de rues étroites dans lesquelles les voitures du
nettoiement ne pénétraient pas facilement61. Ce Docteur a proposé dans
60 Selon Barberet , la Commission a été créée suite aux préoccupations concernant les dépôt des ordures dans la rue depuis le soir jusqu'au lendemain matin. Barberet Joseph, Le Travail en France, Monographies Professionnelles, Chiffonniers, Paris, 1886. p.65.61 Rapport présenté par M.le Dr Bouchardat au nom de la sous-commission du chiffonnage, le 7 octobre 1876. Barberet, op.cit., p.68.
son rapport des solutions qui inspirèrent, sept ans plus tard, le Préfet
Poubelle et son arrêt du 24 novembre 1883.
Dans la fameuse ordonnance toujours en vigueur en France, il est
interdit de placer les déchets dans la rue à n'importe quel moment de la
journée, et, il est obligatoire de les entasser dans des récipients
normalisés et parfaitement décrits par le Préfet dans son article 3 62, afin
qu'ils soient prêts au moment précis de passage du tombereau. Les deux
faits plus remarquables sont la propriété de ces déchets (chaque récipient
doit comporter le nom de l'immeuble détaillé) et l'importance
fondamentale dans le nouveau système du rôle du concierge (art.2).
Pour dés-entasser ce qui était avant dans la rue, on entasse les
déchets dans des récipients privés, enfermés à la maison jusqu'au
passage du tombereau. Dans ce système, des campagnards ou des
chiffonniers passent de porte en porte pour enlever les ordures
ménagères des parisiens sans être rémunérés pour ce luxueux service 63.
Il y avait en 1884, environ 7.050 chiffonniers selon le recensement
officiel64, soit un total de 41.065 personnes vivants des déchets de la ville
parisienne. Ces chiffonniers faisaient la collecte à l'aide de divers moyens
de transport aux caractéristiques assez différentes. Le chiffonnier placier
trouve son semblable dans l'actuel ramasseur à charrette à cheval dans
Montevideo. Il collecte les résidus des habitants sur des places
spécifiques (d'où son nom) et à travers un système de clients particuliers
qui rend stable ses revenus grâce aux services rendus aux citoyens. Cela
le place dans une certaine catégorie supérieure à ses congénères, les
habitants lui donnent leurs déchets et il a une charrette à traction animale
qui lui permet de travailler été comme hiver. Il parcourt tous les étages
62 Chaque récipient aura une capacité de 40 litres au minimum, et de 120 litres au maximum. Il ne pèsera pas à vide plus de 15 kilogrammes. S il est de forme circulaire, il n aura pas plus de 0,55 m. de diamètre ; s il est de forme rectangulaire ou elliptique, il n aura pas plus de 0,50 m. de largeur ni de 0,80 m. de longueur. En aucun cas, la hauteur ne dépassera la plus petite des deux dimensions horizontales. Art.3, Voir Annexe 5.63 Renault, Le Travail en France, Monographies Professionnelles, Chiffonniers, Paris, 1886, p.48.64 M. Alphand, directeur de travaux de Paris, 1884, cité par Barberet, op.cit., p.82.65 Commission d'enquête sur la hygiène, Bulletin Officiel 1886, cité par Barberet, op.cit., p.84.
des logements parisiens correspondant à sa « place » avec la complicité
du concierge, qui préfère laisser faire les chiffonnier plutôt que travailler
lui même.
Le chiffonnier coureur, ou son équivalent uruguayen de ramasseur
« à pied », travaille moins en hiver qu'en été, raison pour laquelle il es
difficile d'arriver à réaliser un pourcentage concernant chaque type de
chiffonnier. Il fait la collecte des déchets laissés dans la rue et, pour cette
raison, il est le plus touché par les dernières ordonnances. Entre ces
deux types de chiffonniers, on arrive au chiffre de 4.950 en 1903, qui
collectent 91.440 T de déchets par an (19.440 T pour les coureurs et
72.000 T pour les placiers)66. Mais si nous considérons les nombres
précédent parus en 1884, ils collectaient, avant l'arrêt Poubelle, 130.200
T de déchets parisiens, soit un baisse de 25%.
Ils ne sont jamais payés pour leur travail de collecte, mais la vente
au maître chiffonnier des matériaux collectés et pré-triés leur rapportait
environ 2fr.50 par jour et par personne dans le cas des chiffonniers
placiers et 1fr.50 par personne pour les chiffonniers coureurs.
Le rapport avec le maître chiffonnier est semblable dans les deux
villes et les deux temporalités. Il s'agit toujours d'un rapport très complexe
: le maître chiffonnier réalise des profits assez importants à partir du
travail de collecte des chiffonniers (dans le cas parisien environ 30% de
profit pour le chiffon et 50% pour les os67) et, dans le même temps, il leur
prête de l'argent, les loge dans certain cas chez lui (dans sa cité) et ils
tissent ainsi un lien employeur-employé assez particulier. Le chiffonnier
n'a pas de salaire fixe, ni de garanties particulières, mais le maître
chiffonnier contrôle « ses ramasseurs » et sait combien et quand ses
matériaux récupérables rentrent dans son atelier pour être triés une
seconde fois.
Nous arrivons au chiffre de 70 000 fr. par jour pour ce qui est du
66 Office du Travail, L'industrie du chiffon, Paris Imprimerie Nationale, 1903, p.17.67 Id., ibid.
revenu des chiffonniers68, et presque 5 millions de francs par an pour
toute l'industrie du recyclage et de la récupération69. 85% des matériaux
qui rentraient à l'industrie du recyclage provenaient du travail de
ramassage et de triage effectué à l'origine par les chiffonniers parisiens.
«Un chef de famille avec sa femme et ses trois enfants gagnait 10 Frs par jour,
soit 2 Frs par personne en moyenne. Depuis qu'on ne peut plus vider les
ordures sur la voie publique, 50 % des détritus utilisables que recueillaient les
chiffonniers sont perdus pour l'industrie française. Et au lieu de 2 Frs par jour,
les chiffonniers gagnent à peine 1 Fr...Voilà la crise que nous subissons.»
M. Potin, maître chiffonnier70
Cette crise, conséquence de l'arrêt du Préfet Poubelle, n'est pas
seulement économique, mais elle est aussi territoriale pour les
chiffonniers. Pour moderniser le système de collecte et pour le privatiser
au profit d'entreprises spécialisées, les chiffonniers ont commencé à être
déplacés, non seulement de leurs maisons, pour les raisons invoquées
précédemment, mais aussi de leur territoire de travail. La ville toute
entière, et particulièrement là où nous trouvons le plus de résidus
récupérables, à savoir dans les zones les plus riches de Paris,
appartiennent désormais à l'entreprise qui a signé avec l'État un contrat
de collecte et de disposition des déchets71.
« Art.21- Tous les produits contenus dans les récipients, déposés par les
riverains ou projetés illicitement sur la voie publique, appartiendront à
l'entrepreneur qui tirera tel parti qu'il jugera convenable, soit en les transportant
au dehors pour être livrés à l'agriculteur, soit en les transformant dans des
usines par voie de crémation ou par tout autre procédé... »72.
L'arrêt Poubelle représente alors l'avenir de la plupart des
systèmes de gestion des déchets pratiqués dans nos villes. Alors que les
68 M. Potin, maître chiffonnier, 1884, cité dans Barberet, op.cit., p.70.69 Office du Travail, op.cit., p.70.70 Extrait de sa déclaration à la Commission dite des 44 (Commission parlementaire), le 11 mars 1884; cité par Barberet op.cit., p.70, et p.73 (voir en Annexes version complet).71 Voir annexe 4, les cartes montrent les déplacements des cités des chiffonniers pendant le XIX siècle (Fernandez, Dynamiques du Recyclage Spontané, 2010).72 Extrait du Cahier de charges de l'entreprise pou l'enlèvement de boues et ordures ménagers et résidus du balayage de Paris, du 1891 au 1899; cité par Office du Travail, op.cit., p.73.
autorités contemplent la réalisation de ces tâches importantes et
minutieusement planifiées, à savoir la collecte, la disposition finale, ou
bien l'éloignement le plus rapide possible des déchets de la ville, les
habitants paient des taxes toujours plus chères, particulièrement après la
modernisation technologique du système de collecte.
Nous ne trouvons, dans la bibliographie de l'époque, aucun trace
ou indice de vouloir intégrer l'existence du secteur spontané. Cependant,
dans cet article de la fin du XIXe le but, clairement intentionné, était celui
d’une disparition des chiffonniers, et d’une recherche d’un avenir
«moderne» pour la gestion des déchets. La plupart des villes dites «en
voie de développement» aujourd'hui, sont devant la même problématique,
entre moderniser à travers des stratégies technologiques très coûteuses
et adaptées aux réalités des pays riches, ou travailler à partir des
dynamiques spontanés existantes et bénévoles de collecte, recyclage et
récupération des résidus. Derrière ce choix il y a un vrai enjeux éthique
pour les citadins et les décideurs publiques.
III.C. Retournement temporel : la ville de Pont Sainte Marie au début du XXI et la ré-invention du cheval comme dispositif de collecte
Des récentes notes journalistiques parues dans les médias télévisés et écrits, apportent une nouvelle perspective de notre thématique. Ainsi, un regard nouveau est porté sur le pays où se déroule ce mémoire. Ces informations proviennent d’entretiens parus dans plusieurs journaux télévisés que nous avons décortiqués et analysés en les mettant en relation avec les deux sous-chapitres précédents.
Une filiale de l’entreprise Suez, spécialisée dans l’entretien et la
propreté urbaine, a choisi la ville de Pont Sainte Marie pour mener une
expérience qui a été présentée comme « originale » : remplacer le camion-
poubelle traditionnel par des chevaux.
L’expérience a débuté au mois de septembre 2008. Elle a était
défendue par les élus locaux et la population pour son avantage économique
et écologique puisqu’elle n’utilise pas de moyen de transport motorisé. Pour
continuer le parallèle avec le système de Montevideo, l’initiative française
permet de revaloriser certaines races de chevaux laissées à l’abandon, de la
même façon que les villes du Sud récupèrent les personnes sans emploi à
travers la gestion informelle des déchets.
« On fait machine arrière? pour quoi faire ce retour à l’ancien
temps?» se demande le présentateur de France 3 lors de la présentation
du cas particulier de la ville de Pont Sainte Mairie 73. L’agent de la
collecte de cette ville remarque que la vitesse de déplacement lui permet
de faire son travail de façon moins fatigante et plus pratique. De plus, le
cheval arrive à collecter dans certains rues où le camion ne pouvait pas
aller.
Le responsable du Pôle Hippique de Montier-en-Der raconte, en
parlant du cheval effectuant la collecte, que « sa semence ne donnait
pas satisfaction en tant que cheval reproducteur au Haras Nationaux »74
mais qu’il a encore les conditions de marcher et travailler dans le mieux
urbain. Il a donc été « recyclé » dans une autre fonction.
Les citoyens disent pour leurs part, qu’il est bien moins bruyant que
le camion poubelle lors de son passage. De plus, le directeur de l’Agence
Champagne-Collectivités SITA-DECTRA, remarque que le pourcentage
de déchets triés par les citadins a augmenté depuis le passage à la
collecte hippomobile.75 En effet, les habitants de cette ville acceptent de
faire des efforts au vu de la logique du système de collecte. On a diminué
énormément le bilan carbone et la consommation de gasoil puisque le
camion, au lieu de s’arrêté 800 ou 1000 fois lors de sa collecte, ne doit
s'arrêter que 3 fois dans les points de regroupement qui ont été
constitués pour le cheval76. Le système reste ainsi mixte, puisque le
cheval et le camion co-vivent ensemble. Ce ne sont pas les déchets
ménagers plus lourds mais celles qui sont recyclables et de poids plus
73 Voir vidéo en annexe, et original sur http://www.youtube.com/user/modemaube#p/a/u/1/DU_aHao-SZM (accès 04/2011).74 Id.ibid.75 Voir émission sur France 3, http://www.youtube.com/user/modemaube#p/a/u/1/DU_aHao-SZM (accès 04/2011)76 Id.ibid.
léger qui peuvent facilement être collectés en grande quantité par le
dispositif hippomobile.
C’est la tendance en ce moment? se demande encore le
présentateur, et la réponse donnée est basée sur deux arguments :
d’abord sur la réduction de gaz à effet de serre, et puis sur l’augmentation
du tri pour arriver aux 30% de résidus recyclables. La commentatrice,
nous rappelle le double sens économique et écologique que représente le
choix de la collecte hippomobile.
Pascal Landreat, le Maire de la ville de Pont Sainte Marie
commente qu’au départ l’idée faisait sourire, considérée comme un retour
en derrière. Lui en tant que Maire pense au contraire qu’elle s’inscrit dans
une démarche d’avenir. De plus, en bon élu politique, il confirme qu’elle
reste économiquement moins chère que le dispositif antérieur moderne
de collecte.
Cette situation au regard du passé et de la situation des pays du
sud amène deux questions entre liées. Comment un même dispositif peut
être qualifié d’hippo-écolo au nord, dans une ville française, en même
temps qu’il a été éliminé des rues parisiennes à la fin du XIX siècle ?
Pourquoi la collecte à cheval est actuellement déniée au sud, refusée et
rejetée comme une « honte de la pauvreté à éradiquer » dans la ville de
Montevideo?
IV. CONCLUSION
Le développement durable comme une démarche d'avenir
ou comme une réconciliation avec notre histoire?
« La modernité du développement durable vit également un rapport décomplexé
avec les traditions, de sorte qu’elle regarde, parfois avec nostalgie et
complaisance les peuples premiers, mais aussi, et souvent, avec le regard neuf
de celui qui s'étonne de voir ce qui a été possible». Jean Philippe Pierron77
Ces dispositifs hippomobiles repris actuellement sous le paradigme
d’un développement durable dans certains villes du Nord, restent pour nous
bien plus qu’un simple « retour en arrière ». Nous avons vu à travers l’ histoire
de deux villes éloignées géographiquement mais suivant un même modèle de
progrès technique développementaliste, comment ces ramasseurs ou
chiffonniers n’ont pas été intégrés par les dispositifs modernes. Malgré les
conditions aggravées ils ont réussi à continuer leur travail dans le Montevideo
actuel. Ainsi, leur système de collecte est repris pour ses valeurs
économiques et écologiques à Pont Saint Marie.
Ainsi, les ramasseurs/chiffonniers se rapprochent du concept
développé par Foucault dans son quatrième principe des Hétérotopies78. Il
nous parle des découpages du temps, des hétérotopies qui se mettent à
fonctionner à plein lorsque les hommes se trouvent dans une sorte de rupture
absolue avec leur temps traditionnel et qu'il appelle des hétérochronies. Du
grec hétéro = différent et chronos = temps, les hétérochronies désignent un
décalage dans le temps79. C'est un concept utilisé aussi par les sciences
naturelles pour analyser le développement des organismes: une
hétérochronie est un mécanisme qui désigne un décalage dans le temps des
agencements spatiaux et temporels entre éléments 80.
Actuellement, en plein XXIe siècle, les voitures à cheval, utilisées
77 Op.cit., p.27.78 Michel Foucault, Dits et écrits 1984 , Des espaces autres (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, p.46-49.79 Voir définition de hétérochronie dans www.merriam-webster.com/ (accès 07/2010).80 Voir http://pst.chez-alice.fr/heteroch.htm (accès 07/2010).
comme moyen de transport par les ramasseurs de Montevideo, sont pour
nous comme une hétérochronie de développement, qui comporte une
décélération par rapport à son «temps», un anachronisme par rapport à ces
camions Mercedes Benz qui collectent automatiquement les bennes de
déchets. C'est comme si deux temps se trouvaient dans le même espace, et
leur rencontre fortuite produit des réactions assez divergentes.
Ce moyen de transport, outil conventionnel dans l'ère pré-fordiste
qu’est la charrette à cheval, se présente de nos jours comme la constatation
d'une illusion du progrès technique et économique de notre époque. Illusion
d'ailleurs d'un développement homogène et unificateur qui reste toujours pour
plusieurs villes dites «sous-développés» comme le paradigme à suivre.
Ce type d'hétérochronie construite par la présence des ramasseurs
dans la ville contemporaine, correspond pour nous à ceux que les biologistes
appellent des pædomorphoses81, ou "sous-développement", c'est-à-dire, au
lieu d'augmenter les performances de leurs équivalents, ils restent au
dessous de la norme attendue par l'époque. Pour les politiciens, mais aussi
pour la grande majorité des habitants urbains, cet « au-dessous » se
manifeste comme la «honte de la pauvreté», comme le résultat d’un faille
dans le paradigme développementaliste qu’il ne faut surtout pas montrer. Le
fait de se déplacer en plein milieu urbain du XXIème avec un cheval est donc
nié et va rentrer dans le cadre destiné à la « lutte contre la pauvreté »,
premier pas vers le chemin du « développement » des villes du Sud.
Le parallèle entre les stratégies d'hygiénisation du XIX siècle à Paris
et les stratégies actuelles de modernisation du système de gestion de
déchets, trouve son lien dans le fait que les deux cherchent à améliorer leur
gestion sans regarder ni inclure l'existante spontanéité en charge d’une grand
partie des déchets.« Sur le plan des faits, qui n’est pas celui des mirages flatteurs,
si quelque chose apparaît « durable », ce n’est certes pas le développement mais
bien la pauvreté. S’il est un emblème approprié à cette valeur montante du
« développement durable », il n’est autre que la pauvreté elle-même »82.
81 Changement qui implique la conservation de caractères juvéniles par l'adulte. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9t%C3%A9rochronie (accès 05/2011).82 François de Bernard, op.cit., p.33.
Dans l’actuelle modernité européenne où nous trouvons des
résurrections de pratiques traditionnelles, celles-ci ne font pas pour autant
référence aux systèmes spontanés actuellement mis en oeuvre par la
pauvreté urbaine des pays du Sud. Ces modèles correspondant pour la
France à une certaine tradition, ressemblent à l’actualité des villes du Sud.
Comme nous dit Pierron, on a toujours et traditionnellement eu affaire à des
pratiques durables, mais sans le savoir83 (...) C’est ainsi que la dialectique de
la modernité et du traditionnel travaille au cœur du développement durable84.
Cependant ce développement durable, ne semble pas encore un
modèle recherché dans les pays du Sud, et nous sommes toujours dans les
propositions correspondants au progrès technologique et au développement
économique. Il n’y a pas dans ce modèle de considération que la pauvreté
urbaine qui elle est tout à fait durable au sens écologique et économique 85
comme nous l’avons vu dans le cas de Pont Saint Marie. Malgré cela,
l’imaginaire économique et tout particulièrement l’imaginaire
développementiste, est encore plus prégnant au Sud qu’au Nord86. Pourtant
nos efforts doivent être dirigés vers une changement de modèle respectueux
de la vie des personnes qui s'occupent du recyclage spontanément.
Il appartient aux peuples du Sud de préciser quel sens peut prendre
pour eux la construction de l’après-développement 87, comme il appartient au
Nord d'identifier la nécessité de promouvoir une civilisation en rupture avec
l’idéologie du progrès. Après être passé du modèle de la société archaïque à
celui de la société moderne nous devons envisager un passage, selon Ivan
Illich, vers la société conviviale88. Pourrons-nous tous ensemble, les peuples
du Nord et du Sud, penser une modèle ainsi de survie soutenable?
83 Pierron, op.cit., p.26.84 Id.op.cit., p.27.85 Nous avons bien sûr conscience que la situation de leurs conditions de vie et de travail est à améliorer.86 Latouche, op.cit., p.102.87 Id.ibid.88 Ivan Illich, La convivialité, Paris, Editions du Seuil, 1973, p.30.
V. BIBLIOGRAPHIE
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en collaboration avec Brigitte Le Lin, éd. L’Harmattan, Paris, 2001• Felix Guattari, Pour une re-fondation des pratiques sociales , Le Monde
Diplomatique, 1992. • Lucia Fernandez, Dynamiques du recyclage spontané : regards croisés sur les
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• Lucia Fernandez, Proposions et actions «glocales» pour un Recyclage Spontané Durable Rapport de Stage au sein du Master Ethique et Développement Durable, Faculté de Philosophie Lyon 3, 2010.
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industrielle. Boues, immondices et gadoue à Paris au XVIIIe siècle, 1988.• Alexandre Privat D’Anglemont, Paris Inconnu, éd. Adolphe Delahays , Paris,
1861.• Fontaine, Office du Travail, L’industrie du chiffon à Paris, Imprente Nationale,
1903.• Georges Renault, Les Rois du Ruisseau, Paris, 1900.
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environnement.com/ae/news/partenariat_haras_nationaux_SITA_collecte_dechets_5020.php4 (accès 04/2011)
Bibliographie sur le développement durable• François de Bernanrd, La Pauvreté durable, éd. du Félin, Paris, 2002.• Serge Latouche, Petit traité de la décroissance sereine, éd. Mille et une nuits,
2007• Serge Latouche, Survivre au développement, éd. Mille et une nuits, 2004• Félix Guattari, Les trois écologies, éd. Galilée, 1989• Jean Philippe Pierron, Penser le développement durable, éd. Ellipses, 2009• Vandana Shiva, Le Terrorisme alimentaire, Comment les multinationales affament
le tiers-monde, Paris, Fayard, 2001
Films et videos• Millones en la basura, Hélène Ballis y Manon Kleynjans, Montevideo, 26’, 2009.
• La Zone, Georges Lacombe, les filmes de charles Dulli, Paris, 24’ 55’’, 1928.
• Collecte Hipomobile à Pont Ste Marie, France 3, 3’ 47’’, 2009
• Counterbalance, Witness-Chintan, 11’, 2010
VI. ANNEXES
ANNEXE 1.
Carte montevideo métropolitaine : dispersion vs
concentration (Fernandez, 2010)
Références : rond gris : décharges contrôlé par les différents municipalités (3)
carré rose : territoires spontanés où les ramasseurs font le tri et le stockage de déchets (410)
carré verts et gris : zone rural et urbain densifié (respectivement)
ANNEXE 2 .
Photographies des dispositifs spontanés-traditionnels et modernes-européens à Montevideo
Au dessus à gauche : cheval et dispositif de collecte spontané à coté du nouveau container italienne de 3200 lt (photographie Nicolas Minetti, 2006)à droite : vélo et dispositif de collecte spontané en train de collecté les résidus récuperables d’un container de 2300 lt (L.Fernandez, 2009)Au dessous à gauche : photographie d’un ramasseur en sortant d’un container http://apostoladodelaoracion.blogspot.com (accès 07/2010)à droite : photographie d’un ramasseur et son dispositif d’ouverture du container http://bbc.co.uk/mundo/america_latina/2009/04/090405_0551_uruguay_basura_cartoneros_gm.shtml (accès 07/2010)
ANNEXE 3.
Facture d’achat des containers par la Marie de Montevideo
à l’entreprise italienne OMB-Brescia, disponible sur le site
www.imm.gub.uy (accès 07/2010)
ANNEXE 4. ENLÈVEMENT DES ORDURES MÉNAGÈRES. ARRÊT DU PRÉFET POUBELLE, publié dans le Bulletin Municipal Officiel de la Ville de Paris le 22 décembre 1883 (remarques de l’auteur en noir foncé).
Le Préfet de la Seine, Vu les règlements sur la police de la voirie de Paris, notamment les lettres patentes du mois de septembre 1608 ; Vu les lois des 16-24 août 1790 et 19-22 juillet 1791 ; Vu la loi du 28 pluviôse an VIII et le décret du 10 octobre 1859 ; Vu l arrêté du Gouvernement en date du 11 septembre 1870 interdisant les dépôts d ordures ménagères sur la voie publique, ledit arrêté renouvelé par ceux du 14 juin 1871 et du 4 juin 1875 ; Considérant que la mise en pratique des dispositions prescrites par l arrêté susvisé du 11 septembre 1870, en ce qui concerne le dépôt et l enlèvement des résidus de ménage, démontre qu'il y avait inconvénient à laisser chaque habitant ou locataire déposer un récipient contenant les ordures ménagères ; Considérant que, dans ces conditions, il y a lieu d'obliger le propriétaire de chaque immeuble à mettre à la disposition de ses locataires un ou plusieurs récipients communs qui seront déposés le matin, à la première heure, à la porte de la maison pour recevoir les résidus de ménage de tous les locataires et qui seront remisés, aussitôt après le passage des tombereaux d'enlèvement ; Considérant que le mode de chargement par un cabestan sur les voitures exige que les récipients aient des dimensions déterminées ; Arrête :
Article premier. Il est complètement interdit de projeter sur la voie publique, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, les résidus quelconques de ménage ou les produits de balayage provenant de l'intérieur des propriétés privées ou des établissements publics. Article 2. A partir du 15 janvier 1884, le propriétaire de tout immeuble habité sera tenu de faire déposer chaque matin, soit extérieurement, sur le trottoir, le long de la façade, soit intérieurement, près de la porte d'entrée, en un point parfaitement visible et accessible, un ou plusieurs récipients communs de capacité suffisante pour contenir les résidus de ménage de tous les locataires ou habitants. Le dépôt de ces récipients devra être effectué avant le passage du tombereau d'enlèvement des ordures ménagères, enlèvement qui doit commencer à six heures et demie du matin pour être terminé à huit heures en été (c est-à-dire du 1er avril au 30 septembre) et commencer à sept heures pour être terminé à neuf heures en hiver (c est-à-dire du 1er octobre au 31 mars). Les récipients doivent être remisés à l'intérieur de l'immeuble un quart de heure au plus après le passage du tombereau d'enlèvement. Le concierge, s'il en existe un dans l'immeuble, sera personnellement tenu d'assurer cette double manœuvre, sans préjudice de la responsabilité civile du propriétaire.
Article 3. Les récipients communs, quels qu'en soient le mode de construction et la forme, devront satisfaire aux conditions suivantes : Chaque récipient aura une capacité de 40 litres au minimum, et de 120 litres au maximum. Il ne pèsera pas à vide plus de 15 kilogrammes. S il est de forme circulaire, il n aura pas plus de 0,55 m. de diamètre ; s il est de forme rectangulaire ou elliptique, il n aura pas plus de 0,50 m. de largeur ni de 0,80 m. de longueur. En aucun cas, la hauteur ne dépassera la plus petite des deux dimensions horizontales. Les récipients seront munis de deux anses ou poignées à leur partie supérieure. Ils devront être peints ou galvanisés et porter, sur une de leurs faces latérales, l'indication du nom de la rue et du numéro de l'immeuble en caractères apparents. Ils devront être constamment maintenus en bon état d'entretien et de propreté, tant intérieurement que extérieurement, de manière à ne répandre aucune mauvaise odeur à vide.
Article 4. Sous réserve des exceptions prévues ci-après aux articles 5 et 6, il est interdit aux habitants de verser leurs résidus de ménage ailleurs que dans les récipients communs affectés à l'immeuble. Ils ne devront effectuer ce versement que le matin avant le passage du tombereau d enlèvement. Si le récipient commun vient à faire défaut ou se trouve accidentellement insuffisant, ils devront, soit laisser leurs récipients particuliers à la place ou auprès du récipient commun, soit attendre le passage du tombereau pour y verser directement le contenu de ces récipients particuliers.
Article 5. Il est interdit de verser dans les récipients communs les détritus qui font partie de l'une des deux catégories suivantes et que les particuliers sont tenus de faire enlever à leurs frais, savoir :
1° Les terres, gravois, décombres et débris de toute nature provenant de l'exécution de travaux quelconques ou de l'entretien des cours et jardins.
2° Les résidus et déchets de toute nature provenant de l'exercice de commerces ou industries quelconques. Sont seules exceptées de cette interdiction les ordures ménagères proprement dites des établissements de consommation.
Article 6. Il est également interdit de verser dans les récipients communs les objets suivants dont l'administration assure l'enlèvement, mais qui doivent être déposés dans des récipients spéciaux à côté des récipients communs, savoir :
1° Les débris de vaisselle, verre, poterie, etc. , provenant des ménages. 2° Les coquilles d huîtres.
Article 7. Il est interdit aux chiffonniers de vider les récipients sur la voie publique ou de faire tomber à l'extérieur une partie
quelconque de leur contenu, pour y chercher ce qui peut convenir à leur industrie.
Article 8. Toutes les prescriptions du présent arrêté seront applicables aux immeubles situés dans des voies non classées, ou dans des cours, passages, impasses et autres espaces intérieurs ayant le caractère de propriétés privées. Dans ces différents cas, les récipients communs devront être déposés au débouché de ces voies privées ou espaces intérieurs sur la voie publique.
Article 9. Les contraventions aux dispositions qui précèdent seront constatées par des procès-verbaux et poursuivies conformément aux lois. Les procès-verbaux pour infractions concernant le dépôt et le remisage des récipients communs seront dressés à la fois contre le concierge et le propriétaire de l'immeuble, ou seulement contre le concierge ou le gardien, s il s agit d un immeuble appartenant à l'État, au Département ou à la commune.
Article 10. Sont abrogés les arrêtés des 11 septembre, 14 juin 1871 et 4 juin 1875. Article 11. M. le Directeur des Travaux est chargé de l'exécution du présent arrêté qui sera inséré au Recueil des actes administratifs et publié, par voie d affiches, dans toute l'étendue de la ville de Paris. Fait à Paris, le 24 novembre 1883. E. POUBELLE.
ANNEXE 5. EXTRAIT DE LA DÉCLARATION DE M. POTIN, MAÎTRE CHIFFONNIER, À LA COMMISSION DITE DES 44 (COMMISSION PARLEMENTAIRE), LE 11 MARS 1884. (CITÉ PAR JOSEPH BARBERET LE TRAVAIL EN FRANCE : MONOGRAPHIES
PROFESSIONNELLES, CHIFFONNIERS, P.70, ET P.73)
Avant l'arrêté (Poubelle, 1884), un chef de famille avec sa femme et ses trois enfants gagnait 10 Frs par jour, soit 2 Frs par personne en moyenne. Depuis qu'on ne peut plus vider les ordures sur la voie publique, 50 % des détritus utilisables que recueillaient les chiffonniers sont perdus pour l'industrie française.
Et au lieu de 2 Frs par jour, les chiffonniers gagnent à peine 1 Fr. Je suis marchand de chiffons! J'employais, avant l'arrêté, six hommes et un certain nombre de femmes. J'achetais en moyenne pour 500 Frs par jour de détritus; depuis, je n'en achète plus que pour 140 ou 150 Frs; au lieu de six hommes, je n'en emploie plus que trois, et sur dix ou douze femmes, j'ai été obligé d'en renvoyer la moitié. Or ces hommes et ces femmes, qui ne peuvent plus travailler chez moi, ne trouvent pas plus d'ouvrage chez mes confrères, ils sont sur le pavé de Paris, il leur est impossible de s'employer. Il est évident que ces femmes ne peuvent guère aller faire de la couture ou de la lingerie. Voilà la crise que nous subissons.
Le préfet nous a dit: «Je ne veut pas supprimer le chiffonnage, et la preuve c'est qu'il a un ou deux chiffonniers sur chaque voiture». Mais ces un ou deux chiffonniers n'ont pas le temps, quelle que soit leur bonne volonté, de trier et d'enlever des tombereaux à ordures tout les détritus utilisables dans l'industrie qu'ils contiennent. Il en résulte que 5O% au moins des détritus sont totalement perdus (…) Il y a dans un tombereau d'ordures :ménagers ramassés à Paris de quoi faire vivre 50 à 60 personnes. Si 4 seulement sont admises à y fouiller, elles sont seules à en bénéficier. Les 46 autres chôment. (…) Dans les étoffes avec lesquelles on fabrique même les vêtements de luxe, il entre 20 ou 25% de vieux lainages, de vieux mérinos effiloches auxquels on ajoute 75% de laine neuve. Ces mérinos, séjournant dans la boite aux ordures, subissent une dépréciation. La chaleur les corrompt, les détériore, et ils n'ont plus le corps aussi ferme.
ANNEXE 6
Cartes de Paris et ses cités chiffonniers au long du XIX
siècle (Fernandez, 2010)
P é r i o d e 1 8 0 0 - 1 8 6 0
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