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CHAPITRE 4
LES FINALITÉS DE LA PEINE
La question de l'intention inscrite dans l'acte de punir délégué à l'autorité judiciaire
correspond, dans une sociologie des représentations sociales, à celle des finalités de la peine. Il
fût donc proposé aux personnes interrogées quinze finalités différentes, afin qu'elles
apprécient l'importance qu'elles devraient avoir lors de l'infliction d'une peine, et cela, quelle
que fut la peine prononcée.
Les finalités proposées furent celles classiquement associées à la peine par l'ensemble des
pénologues européens. Elles peuvent être ordonnées en fonction de leur destinataire, c’est-à-
dire l’auteur de l’infraction, la société dans son ensemble et les Suisses romands qui la
composent, et la victime de l’infraction ou ses ayants droit. En outre, deux rationalités
punitives sous-tendent l’ensemble de ces finalités; d’une part une rationalité restitutive, la
peine visant l’acte passé, l’infraction commise, et d’autre part une rationalité prospective, la
peine contenant un projet pour l’avenir (Poncela, 1995, 2001).
Typologie analytique
Les deux critères de classification que sont le destinataire de la peine et la rationalité
punitive dans laquelle s’inscrit l’infliction d’une peine, permettent de distinguer cinq axes
principaux de finalités.
Tableau 4.1: Typologie analytique rationalités restitutive prospective
Destinataires auteur axe restitutif/auteur axe prospectif auteur victime axe restitutif/victime X société axe restitutif/société axe prospectif/société
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L’axe restitutif/auteur
Trois des fonctions proposées dans le questionnaire s’y rattachent : la rétribution, la honte
ou infamie, la souffrance ou affliction. Le profil type d’une peine située sur cet axe est une
peine rétributive, afflictive et infamante.
Punir c’est d’abord rétribuer, c’est-à-dire attribuer en retour. La rétribution est donc la
finalité la plus modeste qui soit. En revanche, l’affliction et l’infamie doivent atteindre l’auteur
de l’infraction, non pour le transformer - comme dans l’axe 2 - mais pour lui restituer le mal
fait.
L’axe prospectif/auteur
A cet axe, dans lequel s’inscrivent principalement les déclarations d’intention des
politiques pénales européennes, sont rattachées un plus grand nombre de fonctions. Il est
composé de deux dimensions; l’une concerne les effets escomptés sur l’auteur de l’infraction
reposant sur une vision optimiste de la nature humaine, comprenant la dissuasion spéciale,
l’amendement, le traitement et la réinsertion. L’autre dimension est relative aux effets
escomptés sur l’individu inspirés par une vision plus pessimiste de la nature humaine, telles la
disciplinarisation et l'élimination ou neutralisation par mise à l’écart de la société.
L’individualisation de la peine consiste non seulement à choisir une peine qui, dans sa
forme et sa durée, corresponde à la personnalité de l’auteur de l’infraction, mais aussi à
permettre que l’exécution de la peine ait une action, des effets sur l’individu qui la subit.
L’idée d’une peine correctrice est très ancienne; il suffit de rappeler l’image employée par
Platon du tuteur fixé contre l’arbre. L’objectif de correction a, historiquement, pris des formes
diverses : amendement, traitement puis réinsertion. Cependant, leur signification a évolué et
dans les représentations sociales ces fonctions sont toutes trois présentes. L’amendement,
notion religieuse à l’origine, est devenu à présent une façon de nommer une sorte de
transformation interne d’ordre moral ou existentiel. Le traitement a pris et a des formes
diverses, dans les registres psychiatrique, psychologique, voire médical. La réinsertion a été
qualifiée d'«horizon obligé de la peine aujourd’hui» (Poncela, 1997); les peines étant
temporaires, il s’agit de permettre au condamné de se réinsérer ou de s’insérer dans la société.
Mais la fonction de disciplinarisation est peut-être encore plus ancienne, si ce n’est dans
les pratiques au moins chez les philosophes (Foucault, 1975). Il s’agit en quelque sorte
d’obtenir l’obéissance par l’intériorisation réflexe de quelques règles de conduite. Il y a dans
99
cette fonction une visée de transformation de l’individu mais, parce qu’elle repose sur une
vision pessimiste de l’homme, elle ne vise que la conformité des conduites externes par
intériorisation de l’interdit en tant que tel.
Appartenant à la même dimension que la disciplinarisation, l'élimination est une fonction
très ancienne mais dont l’expression a évolué. On préfère aujourd’hui l’euphémisme de
neutralisation au mot élimination. Ce changement de vocabulaire est dû à l’abolition de la
peine de mort en Europe et à la marginalisation de l’enfermement perpétuel. L'élimination est
franchement liée à une vision pessimiste des facultés de transformation de l’individu; il n’est
donc qu’une possibilité, la mise à l’écart de la société.
L’axe restitutif/société
Les finalités associées à cet axe sont la proclamation de la loi par la juridiction, et la
réparation du dommage causé à la société.
La première de ces finalités est assez proche de la rétribution dans sa logique, sauf que le
destinataire de la peine est pluriel, car il s’agit de rappeler à tous la suprématie de la loi, en
sanctionnant sa violation.
La réparation du dommage, ou du trouble, causé à la société est une finalité d’ordre
symbolique, qui est aussi apparentée à la rétribution : le délinquant paie sa dette à la société .
Rétribution versus société ou réparation d’un dommage versus société ? Sans doute l’une et
l’autre, l’une ou l’autre selon les répondants.
L’axe prospectif/société
Les fonctions de la peine situées sur cet axe sont la dissuasion ou prévention générale et la
neutralisation tendant à la protection de la société.
L’idée est ancienne selon laquelle la peine exercerait un effet intimidant, ou éducatif, sur
l’ensemble des citoyens et donc sur les infracteurs potentiels. Elle a eu pour conséquence la
nécessité d’une justice pénale publique, et la revendication d’une certitude de la peine.
Défense sociale et préservation sociale sont des objectifs qui impliquent que les
délinquants soient empêchés de nuire à la société, ce qu’il est d’usage relativement récent
d’appeler neutralisation. Ce type de neutralisation est très proche de ce que l'on appelle la
prévention situationnelle, laquelle consiste à créer des obstacles à l'action délinquante. Elle
concerne certaines formes de peine comme la peine privative de liberté (neutralisation dite
générale) et les peines d'interdiction ou de suspension de droits (neutralisation dite spéciale).
100
L’axe restitutif/victime
La réparation du dommage causé à la victime et la vengeance de la victime sont les deux
finalités assignables à la peine que l’on retrouve sur l’axe restitutif/victime.
La peine comme devant, en elle-même, réparer le dommage causé à la victime, en sus ou
malgré l’octroi de dommages et intérêts, est une finalité très présente dans les discours de
politique pénale de ces quinze dernières années. Cela a entraîné un rôle de plus en plus grand
de la victime dans l’ensemble du procès pénal.
L’idée que la peine permet à la victime d’exercer une vengeance par délégation, ou d’être
vengée par l'infliction d'une peine, est ancienne et peu au goût du jour. Mais le rôle accru des
victimes, de plus en plus médiatisées, dans quelques procès pénaux, conduit à se poser à
nouveau la question de la fonction vindicative de la peine.
Objectifs poursuivis par la peine
L’ensemble des fonctions précédemment définies se retrouve dans la question suivante :
Tableau 4.2: Finalités de la peine(en %) *
101
Objectif essentiel
Objectif secondaire
Ne devrait pas être un
objectif
Sans opinion, je ne sais pas
Total (N)
Dissuader le délinquant de recommencer (B) 86 9 3 2 100(1854) Préparer le retour du délinquant dans la société (F)
82 13 3 2 100(1852)
Faire réfléchir le délinquant pour qu'il s'améliore (D)
80 15 2 2 100(1852)
Réparer le dommage causé à la victime (J) 72 22 4 2 100(1850) Rappeler à tous que les règles de la société doivent être respectées (N)
69 23 6 2 100(1858)
Empêcher le délinquant de nuire à la société (O) 65 22 9 4 100(1851) Soigner le délinquant (E) 65 24 8 3 100(1845) Faire payer le délinquant pour ce qu’il a fait (A) 57 31 10 2 100(1839) Dissuader la population de violer la loi(M) 52 26 16 6 100(1842) Apprendre la discipline au délinquant (C) 51 33 13 3 100(1844) Réparer le trouble causé à la société (K) 50 37 9 3 100(1835) Mettre le délinquant à l'écart de la société (G) 9 18 69 5 100(1843) Faire honte au délinquant (H) 6 15 75 4 100(1846) Faire souffrir le délinquant pour qu'il expie (I) 5 9 82 4 100(1844) Venger la victime (L) 4 9 82 5 100(1837) * Question 8 : Selon vous, en cas de crimes ou de délits, quels devraient être les objectifs poursuivis par la condamnation et la peine ?
Les réponses obtenues concernent les objectifs qui devraient être poursuivis par la peine et
se réfèrent donc à leur désidérabilité et en aucune façon à leur effectivité.
La première observation à la lecture des résultats est le constat d'une tendance au
multifonctionnalisme : onze des quinze fonctions sont considérées comme un objectif
essentiel par plus de la moitié des répondants. Il y a là une sorte de pragmatisme prudent. En
d'autres mots, tant qu'à punir, autant que cela serve à remplir un maximum de fonctions, à
faire «d'une pierre plusieurs coups». Ensuite, deux forts consensus existent.
Le premier consensus concerne l'axe peine prospective/individu/action positive, donc un
consensus portant sur les fonctions privilégiant une action sur l'individu condamné et
s'inscrivant dans une vision optimiste de l'homme, à savoir la dissuasion spéciale, la
réinsertion, l'amendement et le traitement. La dissuasion spéciale, directement référée à
l'évitement d'une récidive, constitue un objectif essentiel pour 86% des répondants; c'est le
plus fort taux d'adhésion. Ensuite nous trouvons la réinsertion sociale, fonction la plus
«moderne» et l'amendement c'est-à-dire conduire le délinquant à réfléchir pour qu'il s'améliore
par la peine.
Le second consensus porte sur le rejet de quatre fonctions : affliction/infamie, vengeance,
élimination, situées sur trois axes : l'axe restitutif/auteur, l'axe prospectif/auteur/vision
102
pessimiste, l'axe restitutif/victime. Sur chacun de ces axes, les fonctions rejetées sont celles à
connotation vindicative, sans projet pour l'avenir du délinquant.
La fonction «réparation du dommage» causé à la victime fait l'objet d'une forte
approbation (72% la considèrent comme un objectif essentiel).
Le souci de réparer la dommage causé à la victime se retrouve également au programme
politique et dans la production législative récente.
Pour la Suisse, le meilleur exemple nous est donné par la loi sur l'aide aux victimes
d'infractions (LAVI, loi sur l’aide aux victimes d’infractions, du 4 octobre 1991, RS 312.5)
(Boggio, Kellerhals, Mathey, Maugué, sous la direction du prof. Robert Roth, 1995 et Roth ,
Kellerhals, Leroy, Mathey, avec la collaboration de Maugué, 1997).
Typologie empirique
Est-il possible de mettre en évidence des logiques de réponses relatives aux finalités de la
peine ? En d’autres termes, peut-on dégager des tendances à combiner certaines finalités ? La
réponse à cette interrogation peut être apportée au moyen d’une analyse des correspondances
et d’une analyse de classification.
Le graphique qui suit a été obtenu par l’analyse des correspondances des indicateurs
relatifs aux finalités de la peine. Il a été construit autour de deux axes. L'axe horizontal
correspond à la nature positive ou négative de la peine (axe 2). Les finalités sont réparties de la
réintégration à l'exclusion de la société. On voit à l'extrême droite de l’axe de l’absisse des
finalités telles que la vengeance, la souffrance, la honte et la mise à l'écart. A l'opposé, les
finalités présentes sur la gauche correspondent à des finalités «positives», tendant à améliorer
le condamné, à le réinsérer : telles que le soin et l'amendement. L'axe vertical représente l'axe
de la réparation due aussi bien à la société qu’à la victime (axe 3). Il classe les finalités de la
peine de la plus réparatrice (au-dessus de l’axe de l’abscisse) à la moins réparatrice (en
dessous de l’axe de l’abscisse).
L’axe 1 a été éliminé car il correspond à des stratégies de réponses différentes1.
1 Voir chapitre 2, méthode d’enquête, p.42
103
Graphique 4.1 : Analyse des correspondances des finalités de la peine
Légende ++ objectif essentiel, + objectif secondaire, - ne devrait pas être un objectif ? sans opinion, ne sait pas .
104
Dans l’analyse qui suit, il ne sera tenu compte que de la réponse «objectif essentiel» (++).
En effet, cette modalité s’avère être la modalité la plus discriminante et les agglomérats qu’elle
forme constituent les regroupements les plus clairs.
Un premier coup d’œil nous amène à constater que les modalités de réponses ont
tendance à être très proches sur le graphique et se situent, pour la majeure partie, dans une
zone centrale. Cette disposition spatiale reflète la présence d’une tendance consensuelle quant
à la façon dont l’opinion publique perçoit les finalités de la peine. Quatre finalités se
distancient cependant de cet agglomérat. Il s’agit de la mise à l’écart, de la honte, de la
vengeance et de la souffrance. L’emplacement marginal de ces finalités peut
vraisemblablement s’expliquer par leur caractère atypique résultant d’une perception
pessimiste de la peine.
La division du graphique en quatre quadrants nous permet de réaliser une analyse plus
détaillée.
Le quadrant supérieur gauche contient les deux finalités «rappeler les règles à la société» et
«dissuader la population de violer la loi». La peine s’adresse principalement à la société,
laquelle est moins perçue comme victime potentielle ou comme ensemble de victimes
potentielles, que comme rassemblant des auteurs potentiels d'infractions qu'il s'agit d'atteindre
à travers le prononcé des peines. Rappeler la loi commune assurant la coexistence des
individus en société en prononçant une peine, et prévenir les violations dont elle pourrait être
l’objet sont alors des objectifs essentiels.
Le quadrant supérieur droit englobe les deux types de réparation (à la victime ou à la
société), la rétribution et l'élimination. La combinaison des trois premières finalités semble
claire : la peine doit remettre les choses dans leur état initial. Le dommage à la victime doit être
réparé, le trouble causé à la société doit faire aussi l'objet d'une réparation symbolisée par la
peine. De plus, l'infraction est strictement rétribuée par une peine infligée en retour. Enfin,
éliminer l'auteur de l'infraction est une façon de ne pas laisser de trace de l'acte commis.
Le quadrant inférieur droit contient les finalités qui se distancient le plus des autres. Elles
illustrent ce que nous avons déjà désigné par le terme «peine afflictive et infamante». Selon
cette tendance, la peine doit faire honte et faire souffrir, mais aussi venger la victime de
l’infraction. La proximité de la question «mise à l’écart» semble souligner la volonté de voir la
peine remplir les fonctions précédentes dans un cadre carcéral ou, à tout le moins, exclure le
délinquant de la société.
105
Le quadrant inférieur gauche renferme les réponses relatives à la réinsertion, au soin et à
l’amendement du condamné. Cette combinaison reflète une vision de la peine centrée sur
l’auteur ayant pour objectif de changer ce dernier pour l’aider à se réinsérer dans la société.
Au terme de l’analyse des correspondances, plusieurs catégories de finalités peuvent ainsi
être dégagées, correspondant à des perceptions différentes de la peine :
- des finalités sociétales, la peine devant tendre à la préservation sociale;
- des finalités réparatrices/restitutives, la peine devant réaliser une sorte de remise en
l'état au sens où elle doit rétablir l'équilibre détruit par l'infraction et réparer les
dommages causés;
- des finalités afflictives et infamantes, la peine devant surtout atteindre l'auteur de
l'infraction pour lui rendre le mal commis;
- des finalités thérapeutiques, la peine devant aussi atteindre l'auteur de l'infraction mais
pour l'améliorer et le transformer par une action morale, médicale ou sociale.
Le tableau des classifications qui suit nous permet de dégager cinq types de combinaisons
présents dans notre échantillon.
107
Types de finalités de la peine
Objectifs de la peine Multifonction-nalisme positif
(41%)
Réinsertion
(28%)
Restitution
(16%)
Rétribution
(12%)
Multifonction-nalisme négatif
(3%)
Moyenne V de Cramer
A) Faire payer le délinquant pour ce qu’il a fait
65 31 78 71 91 59 .22**
B) Dissuader le délinquant de recommencer
95 92 73 73 77 88 .18**
C) Apprendre la discipline au délinquant 59 52 28 55 78 53 .14**
D) Faire réfléchir le délinquant pour qu'il s'améliore
93 96 38 65 75 82 .32**
E) Soigner le délinquant 78 85 24 40 49 67 .28**
F) Préparer le retour du délinquant dans la société 97 96 54 55 32 84 .33**
G) Mettre le délinquant à l’écart de la société
4 3 13 25 66 9 .24**
H) Faire honte au délinquant 0 5 0 24 69 6 .31**
I) Faire souffrir le délinquant pour qu'il expie
0 2 0 17 88 5 .43**
J) Réparer le dommage causé à la victime
96 32 97 58 75 74 .37**
K) Réparer le trouble causé à la société 73 11 71 43 71 52 .32**
L) Venger la victime 0 2 0 13 63 4 .33**
M) Dissuader la population de violer la loi
65 52 50 38 60 56 .12**
N) Rappeler à tous que les règles de la société doivent être respectées
82 61 64 54 82 70 .15**
O) Empêcher le délinquant de nuire à la société
77 54 65 62 93 68 .14**
108
Le premier type, appelé multifonctionnalisme positif représente 41% de l’échantillon. Il
se caractérise par une approche plurielle des objectifs de la peine. Toutes les fonctions
proposées sont ici retenues par une majorité d’individus allant de 59% à 85%. A cet égard,
dans une moindre mesure, les multifonctionnalistes positifs rejettent les quatre fonctions que
sont l’élimination, la honte ou l’infamie, la souffrance ou l’affliction et la vengeance. Ce rejet,
partagé avec d’autres types, caractérise moins le groupe que l’acceptation conjuguée d’un
nombre important de fonctions. Ce qui explique pourquoi nous avons qualifié ces
multifonctionnalistes de «positifs». En effet l’action sur l’individu, sur la victime et sur la
société sont au même titre des objectifs souhaitables. Tous les destinataires de la peine sont
ainsi concernés par les finalités privilégiées dans ce type. De plus, la perspective de dissuasion
est tout autant présente que celle de rétribution et de réparation. On constate aussi que les
formes de dissuasion, rétribution et réparation retenues ont comme objectif commun d'opérer
une action positive sur la société, la victime ou l’individu.
Le second type ou réinsertion est formé par des personnes manifestant un certain
optimisme sur les facultés et capacités de transformation des individus. Ce profil constitue
28% de l’échantillon. Les fonctions choisies, dissuasion spéciale, amendement, traitement et
réinsertion, confèrent à la peine une action positive sur les individus, qu'elle soit morale,
médicale, psychologique ou sociale. Les individus de ce type s’inscrivent dans une vision
prospective de la peine, tournée vers l’avenir, associée à une finalité thérapeutique. La
réinsertion correspond en grande partie à l'axe prospectif/auteur figurant dans notre typologie
analytique, ce qui témoigne d'un choix affirmé et cohérent. Le refus de certaines fonctions
permet d’accentuer les caractéristiques essentielles de la réinsertion. Le rejet de la rétribution
et des deux formes de réparations (à la victime et à la société) traduit le souhait que la peine
soit tournée vers l’avenir.
La restitution forme le troisième type et ne constitue que 16% de l’échantillon. La peine
est davantage référée à l’acte passé puisqu’il s’agit de le rétribuer et/ou de réparer le dommage
causé tant à la victime qu’à la société. Les caractéristiques de ce profil sont d’autant plus fortes
que les autres modalités de réponses sont nettement en-dessous de la moyenne. Il s’agit d’une
peine sans projet pour l’avenir. Cette vision est confortée par l’adoption, dans une proportion
légèrement supérieure à la moyenne, de la fonction d’élimination. L'ensemble des destinataires
de la peine est concerné par le souci d'une rétribution de l'acte passé. Les fonctions choisies
appartiennent donc toutes aux trois axes relevant d'une rationalité restitutive qui figurent dans
109
notre typologie analytique. Ce choix traduit une conception univoque de la peine comme
réponse à une infraction dont on n'attend pas qu'elle puisse servir à opérer une transformation
des individus.
Le quatrième type, rétribution, représente 12% de l’échantillon. Les individus qui
appartiennent à ce type considèrent que la peine doit exercer une action plutôt négative sur
l’individu. Ce dernier doit principalement payer, mais aussi dans une moindre mesure souffrir
et avoir honte. Toutes les finalités considérées comme objectifs essentiels dans des
proportions supérieures à la moyenne se situent sur l'axe restitutif/auteur figurant dans notre
typologie analytique. Cette adéquation reflète une conception relativement précise de la peine,
laquelle s'adresse essentiellement à l'auteur de l'infraction qu'elle sanctionne sans espérer, au
moins immédiatement, un changement dans sa personne ou dans ses comportements.
Le cinquième type constitue le multifonctionalisme négatif et représente 3% de
l’échantillon. Tout comme pour le multifonctionnalisme positif, les individus appartenant au
cinquième type choisissent un grand nombre d'objectifs souhaitables pour la peine. La
caractérisation principale de ce profil consiste en l'adoption de fonctions majoritairement
rejetées par les autres types de notre échantillon. Ces fonctions sont : l'élimination, la honte, la
souffrance et la vengeance. En revanche, le multifonctionalime négatif rejette toutes les
formes d’individualisation positive de la peine et tout spécialement la réinsertion.
L’effet du positionnement social
Est-il possible de dresser des profils propres à chacun des types ainsi dégagés ?
La réponse à cette question nous est apportée par le positionnement des variables
indépendantes sur les axes définis par l’analyse factorielle et la caractérisation des
classifications (voir annexe 1, tableau 2, pp. 214-215).
L’examen des résultats obtenus par cette technique ne nous permet pas de conclure à
l’existence de véritables profils mais nous aide à dégager certaines tendances.
Le multifonctionnalime positif se retrouve davantage chez les femmes et chez les
personnes de 46 à 55 ans. Il est aussi plus présent parmi les personnes dont aucun membre de
la famille proche n’a été victime d’une infraction, ainsi que parmi celles qui n’ont pas fait
l’objet d’une condamnation à une peine de prison. Ainsi, les personnes de ce type n’ont pas
été confrontées à des prises de position tranchées ou partisanes et, par conséquent, demeurent
à la fois ouvertes sur une gamme élargie d’objectifs que la peine peut avoir et ne nourrissent
110
aucun ressentiment à l’égard des délinquants. La distance par rapport à la délinquance ou
l'absence d’expériences ayant permis d’y être confronté plus ou moins directement peut, au
moins partiellement, expliquer ce multifonctionnalisme positif.
Les individus qui ne se sentent pas en insécurité et qui rejettent le risque d'être victime
d'infractions relèvent davantage du type réinsertion. Ce type se retrouve plus que les autres
types chez des personnes pour lesquelles les causes de la délinquance résident dans l’excès de
richesses, la consommation, le chômage, le fait que certaines catégories de personnes sont
défavorisées, les changements trop rapides que connaît notre société, le manque d’esprit de
solidarité, l’anonymat et l’isolement. Les inégalités sociales et l’appauvrissement des liens
interindividuels sont donc principalement incriminés et font des délinquants des victimes de la
vie. Pour ce qui a trait aux conditions de vie en Suisse, on retrouve plutôt le type réinsertion
parmi les individus qui ne sont pas d'accord pour dire que tout le monde ou presque est bien
soigné; en revanche, ils nuancent leur vision pessimiste d’une société inégalitaire par le fait
qu’ils considèrent que tout le monde ou presque, en Suisse, peut offrir des bonnes études ou
un bon apprentissage à ses enfants. Cette perception positive des institutions se caractérise par
le rejet de l'idée qu'une lacune institutionnelle pourrait être une cause de la criminalité. Enfin,
ce profil est plus représenté parmi les personnes pour lesquelles l’histoire de vie de l’infracteur
constitue le facteur primordial dans la détermination de la peine, mais il est moins présent
parmi les répondants qui prennent en considération pour la détermination de la peine la
récidive, les intentions à l’origine de la commission de l’infraction et le risque de
recommencer. Cette caractéristique souligne la tendance optimiste sur la nature humaine
présente chez les individus de ce profil : l’homme n’est pas mauvais par nature; soit c’est
l’évolution de la société qui crée des conditions d’existence difficiles, soit la délinquance
s’explique par une histoire de vie malheureuse. Les individus de ce type ont tendance à ne pas
lire les faits divers. Cela pourrait expliquer en partie leur vision optimiste de l'homme puisqu'ils
ne sont pas confrontés aux propos de la presse décrivant souvent les criminels comme des
êtres inhumains, monstrueux et irrécupérables.
Le type restitution est plus présent chez les hommes que chez les femmes. Il a tendance à
être davantage représenté chez des personnes qui expliquent les causes de la délinquance par
le mauvais fonctionnement d'institutions telles que l'école, la famille et la société. En revanche,
les personnes qui considèrent que la criminalité est générée par des lacunes de la société
(pauvreté, chômage) ne sont pas représentées dans ce type.
111
Pour la détermination de la juste peine, la restitution privilégie la dangerosité de l'auteur
d'infractions et plus particulièrement l'existence ou l'absence de récidive, les motifs de l'acte
commis et le risque de recommencer.
Les personnes proches du type rétribution regardent des émissions télévisées concernant
la justice et/ou les tribunaux plusieurs fois par semaine. Leur intérêt ou leur curiosité pour le
phénomène criminel se marque aussi dans le domaine des loisirs puisque ce type est
davantage représenté parmi les personnes qui regardent des séries policières tous les jours ou
presque. En ce qui concerne les explications de la criminalité, les personnes appartenant à ce
type ont tendance à considérer que la criminalité est due principalement aux troubles de la
personnalité et du jugement moral chez les auteurs d'infractions. Les causes de la criminalité
sont ainsi essentiellement individuelles et la société n'est en rien responsable des infractions
commises. Le crime est le fait de certaines catégories d'individus et la délinquance recouvre
tous les types de délits. Le type rétribution est caractérisé par des individus n'ayant accompli
qu'une scolarité obligatoire, qui considèrent que la situation s'est dégradée dans les années
récentes et qu'ils encourent beaucoup de risques.
Le type multifonctionnalisme négatif se retrouve parmi les individus qui connaissent une
victime dans leur famille proche; l'attachement à la dimension vindicative de la peine pourrait
trouver ici son origine. Les individus qui ne lisent jamais ou presque jamais d’articles de fond
sur les problèmes de société tendent à privilégier le type multifonctionnalisme négatif; ces
individus discutent davantage de la chronique judiciaire avec les personnes de leur entourage,
tous les jours ou presque. Ils manifestent donc un intérêt particulier pour les questions de
justice et de délinquance, qui pourrait expliquer leur perplexité à attribuer à la sanction pénale
un objectif privilégié plutôt qu’un autre. Ce type prend en considération des facteurs jugés
prioritaires pour la détermination de la peine : la récidive, l’histoire de vie, le sexe, l’entourage,
le salaire, la nationalité, les charges de famille et l’effet de la peine sur le délinquant. La
délinquance trouve son explication non pas dans la perte des valeurs mais dans les lacunes des
institutions. Enfin, ce type exprime un très fort sentiment d'insécurité.
Conclusion
En interrogeant les personnes sur les finalités de la peine, nous avons cherché à connaître
les fonctions jugées souhaitables d’une peine ou, au contraire, devant être rejetées. L'objectif
n'était pas de recueillir une opinion sur les finalités de telle ou telle peine en particulier (prison,
112
amende, sursis, TIG,…) mais de savoir quelle intentionnalité doit accompagner l'acte de punir
quelle que soit la sanction infligée, quel que soit l'auteur de l'infraction et quelle que soit
l'infraction.
Nous avons proposé quinze finalités organisées en cinq axes construits à partir du
destinataire principal de la peine et du caractère restitutif ou prospectif de la rationalité
punitive. Or, il s'avère que la caractéristique essentielle des résultats est la propension des
répondants à retenir un très grand nombre d’objectifs souhaitables pour la peine, ce que nous
avons appelé multifonctionnalisme positif. A défaut de savoir quelle finalité va être effective
dans un cas donné, les répondants préfèrent en choisir tout un éventail.
La généralité de la question explique en partie ce résultat. C'est donc à l'intérieur d'un
multifonctionnalisme dominant que nous avons été attentifs à quelques forts rejets comme à
des priorités accordées à certaines finalités.
Nous retrouvons dans les résultats à la question sur les finalités le double niveau de
réponses souligné dans le chapitre précédent. Le premier niveau correspond au consensus que
nous venons de décrire autour, d'une part d'un grand nombre de fonctions jugées souhaitables
et, d'autre part, de quatre finalités massivement rejetées. Le deuxième niveau se constitue
autour de l'importance à accorder à chacune des finalités et à la place de celles majoritairement
rejetées. On peut ainsi construire des types de combinaisons de finalités spécifiques.
Un premier type (multifonctionnalisme positif) se caractérise par une priorité donnée à
toutes les finalités, qu'il s'agisse de dissuasion, de rétribution ou de réparation, ayant une
action positive sur la société, la victime et l'auteur de l'infraction. Le deuxième type
(réinsertion) accorde une importance primordiale à une peine ayant pour objectif d'opérer une
action positive sur l'auteur en prévenant sa récidive. A l'inverse du précédent, le troisième type
(restitution) se caractérise par l'importance accordée à un peine strictement restitutive, c'est-à-
dire à la fois rétributive pour l'auteur de l'infraction et réparatrice tant envers la victime de
l'infraction qu'envers la société dans son ensemble. Le quatrième type (rétribution) est lui
aussi en opposition avec le deuxième type mais cette opposition ne concerne que la rationalité
punitive, le destinataire de la peine est le même : l'auteur de l'infraction doit payer et la peine
doit être source de souffrance et de honte. Le cinquième type (multifonctionnalisme négatif)
s'inscrit aussi dans une rationalité restitutive mais se distingue des autres en accordant une
importance particulière à la vengeance et à la discipline ainsi qu'à la souffrance et à la honte.
113
De l'ensemble de ces résultats se dégage une image d'une population suisse ayant une
vision de la peine utile, tournée vers l'avenir et de nature à améliorer les individus. Cette
tendance se retrouve quelles que soient les variables socio-démographiques prises en compte.
L'optimisme quant aux finalités possibles de la peine reflète bien le sentiment général souligné
dans le chapitre précédent d'être dans un pays où l'insécurité dans l'espace public ne constitue
pas une préoccupation première et où le fonctionnement des institutions n'est pas souvent
remis en cause. La minorité de l'échantillon qui exprime un sentiment d'insécurité personnelle
correspond aux deux types eux-mêmes minoritaires rétribution et multifonctionnalisme
négatif; dans ces deux types se retrouvent les personnes pour lesquelles les finalités
majoritairement rejetées (honte, souffrance, vengeance et élimination ) sont considérées
comme des objectifs essentiels.
Les effets de la prison
L’instauration de la prison comme peine remonte à la fin du 18ième siècle. Elle constituait à
l’origine une alternative à la peine de mort et aux châtiments corporels. Depuis lors,
l’institution carcérale s’est développée et a été amenée à remplir différentes fonctions.
Une typologie historique a été élaborée par Stastny et Tyrnauer. Selon ces auteurs, la
prison a connu quatre grandes phases évolutives qu’ils résument dans le tableau suivant :
Tableau 4.4 : Typologie historique des prisons (Stastny et Tyrnauer, 1982 in Lemire,1994 p. 140 ) TYPE DE PRISON2
RAPPORTS DE POUVOIR FONCTION PRINCIPALE CARACTÉRISTIQUES ESSENTIELLES
révélation unipolaires : gardiens sur détenus
amendement par la pénitence et les habitudes de travail
isolement, silence, travail individuel
entreposage bipolaires : gardiens contre détenus
neutralisation surveillance statique, privilèges, code des détenus
rééducation tripolaires : gardiens, détenus, éducateurs
réhabilitation : modèles médical et de formation
traitement /formation, sentence indéterminée, programmes, éducation
diversité multipolaires : gardiens, détenus, syndicats, cours de justice, législatures, médias, …
prison ouverte sur la société
détotalisarisation, perméabilité, diffusion du pouvoir, pluralisme, droit des détenus
2 Les termes originaux sont : enlightenment, warehouse, remedial et interactive.
114
Cette typologie nous fait comprendre que la situation actuelle n'est pas née du hasard mais
est le fruit de variations de l'organisation du système carcéral. De plus, elle est de nature à
fournir une explication sur les moyens mis en place dans les établissements pour poursuivre
les différents objectifs qui lui sont assignés.
Le système carcéral, que nous connaissons aujourd'hui, bien qu'il se rapproche du modèle
«diversité» ne s'est pas débarrassé entièrement des objectifs des autres modèles.
En tout état de cause, la prison est la forme de sanction pénale le plus souvent associée à
l’idée de peine dans les mentalités populaires. Elle véhicule beaucoup d’images, plus ou moins
justes, mais souvent présentes dans les discours de sens commun. Dès lors, plutôt que
d’interroger les résidents suisses sur des acquis de la sociologie carcérale ou sur des théories
relatives à la prison, nous les avons invités à se prononcer sur un ensemble de stéréotypes
relatifs aux effets de la prison. Nous les avons traduits par quelques affirmations simples dont
nous préciserons d’abord la signification.
- «Elle permet au condamné de s’améliorer»: il s'agit d'une idée présente dès la naissance
de la prison et qui a fait l'originalité de l'enfermement comme peine. Elle correspond à une
vision très générale d’un effet positif de la prison sur l’individu incarcéré, l’amélioration
pouvant résulter à la fois d’un traitement psychiatrique, psychologique, psycho-social ou de
l’amendement personnel du condamné. Ce lieu commun renvoie l’image d’un individu
sortant de prison meilleur que lorsqu’il y est entré. Cette éventualité alimente de nombreux
débats parmi les professionnels de la prison et les chercheurs.
- «Elle coupe le condamné de ses mauvaises relations» : cette fonction de la prison
suppose que les individus sont soumis à des influences négatives dans leur entourage familial,
amical ou dans leurs relations de voisinage, qui seraient les causes de leur délinquance. La
prison aurait alors pour but de les retirer de ce milieu propice à la délinquance.
- «Elle rend difficile le retour du délinquant dans la société» : cette image correspond à une
conséquence perverse de la prison, soit à un objectif qui n'est pas poursuivi par l’institution.
Elle véhicule l’idée d’une transformation négative et/ou d’une stigmatisation des individus par
le passage en prison et concernant spécialement leur insertion sociale (difficultés pour trouver
un emploi ou un domicile, perte des relations familiales, etc.).
- «Elle agit comme école du crime» : comme la précédente, cette image de la prison
correspond à une conséquence qui n'est pas recherchée. La prison, en raison des
caractéristiques des personnes qui y séjournent et des rencontres qu’elle permet, offre des
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occasions d’apprendre les “ métiers ” de la délinquance. Cela suppose que la délinquance soit
conçue comme un phénomène unitaire, fait de métiers et de professions, donc une
délinquance choisie et réfléchie.
- «Elle décourage le délinquant potentiel de violer la loi» : cette assertion renvoie à l'image
de la prison comme d’un lieu qui effraie; elle suppose une croyance dans l’effet dissuasif de la
peine de prison au sens de prévention générale. La prison serait une sorte d'épouvantail, de
peine-repoussoir devant décourager les velléités de délinquance.
Tableau 4.5 : Effets de la prison (en %)* Dans la majorité
des cas / toujours ou presque
Jamais ou presque / dans la minorité des cas
Sans opinion, je ne sais pas
Total (N)
Elle rend difficile le retour du délinquant dans la société (C) 58 27 15 100(1858)
Elle décourage le délinquant potentiel de violer la loi (E) 30 60 16 100(1861)
Elle agit comme école du crime (D) 24 48 28 100(1853) Elle coupe le condamné de ses mauvaises relations (B) 19 66 15 100(1858)
Elle permet au condamné de s'améliorer (A) 18 63 18 100(1861)
*Q15 : Que pensez-vous des effets de la prison telle qu'elle existe actuellement en Suisse ?
Les résultats obtenus traduisent une vision plutôt négative de la prison. Elle ne permet pas
au condamné de s’améliorer et ne le coupe pas de ses mauvaises fréquentations. Elle ne
prévient le crime que dans la minorité des cas, alors qu’elle rend difficile le retour du détenu
dans la société dans la majorité des cas.
La question portant sur la prison comme «école du crime» semble avoir embarrassé les
répondants puisque le taux de réponse «sans opinion, je ne sais pas» s’élève à 28%. Les
résultats obtenus montrent que, selon les répondants, la prison n’agirait jamais ou presque
jamais (13%) ou dans la minorité des cas (35%) comme école du crime.
D’une façon générale, le taux des réponses «sans opinion » est élevé. En effet, cette
modalité de réponse a été choisie par 15% des répondants pour l'indicateur «elle coupe le
condamné de ses mauvaises relations» et jusqu’à 28% pour l’indicateur «école du crime». Une
explication possible de ces résultats pourrait découler du fait que la formulation de la question
fait appel aux connaissances du public et que ce dernier ne dispose pas d’informations
suffisantes pour se prononcer sur cet univers caché qu’est la prison. De plus, une difficulté
116
peut résulter du fait que, comme le souligne Guy Lemire, il faut se garder de parler de «la
prison d'aujourd'hui» puisqu'il n'y a plus une prison mais des prisons. En effet, l'univers
carcéral est loin d'être homogène et les établissements se différencient sur de nombreux points
(permissivité du directeur, infrastructure, régime, niveau de sécurité, …)( Lemire, 1994).
A supposer que la prison ait été plus familière à une partie des répondants, son caractère
hétérogène a pu jouer un rôle dans la retenue manifestée quand il a été question de trancher
sur les effets de la prison.
Relations entre les finalités de la peine et les effets de la prison
Existe-t-il des relations entre les réponses apportées à la question traitant des finalités de la
peine et à la question portant sur les effets plus particuliers de la prison ?
L’analyse que nous proposons ici vise à dégager d’éventuels liens entre les perceptions
des répondants sur les finalités de la peine privative de liberté (relevant du domaine de
l’intention, de ce qui devrait être idéalement) d’une part, et les effets réellement produits par la
prison (la réalité).
Cette analyse va nous permettre de conclure soit à une convergence des deux perspectives
soit à une divergence, témoin de l’inadéquation de l’institution carcérale comme moyen de
remplir les fonctions idéalement attribuées à la peine.
Pour ce faire, nous reprenons trois des cinq indicateurs de la question relative aux effets de
la prison : «la prison permet au condamné de s’améliorer», «la prison rend difficile le retour du
délinquant dans la société» et «la prison décourage le délinquant potentiel de violer la loi». Ces
indicateurs reflètent les fonctions principales classiquement assignées à la peine de prison.
L'analyse de l'efficacité de la prison suppose une mise en perspective d'indicateurs des
questions 8 et 15. Elle peut être résumée à l'aide d’un tableau :
Tableau 4.6 : Mise en perspective des effets de la prison et des finalités de la peine
Q15 (effets de la prison) Q8 (finalités de la peine) La prison permet au condamné de s'améliorer (A) amendement (D) La prison rend difficile le retour du délinquant dans la société (C) réinsertion(F) La prison décourage le délinquant potentiel de violer la loi (E) dissuasion générale (M)
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Ensuite, l'opération statistique effectuée conduit au tableau et observations qui suivent :
Tableau 4.7 : Efficacité de la peine de prison Finalités de la peine prison efficace inefficace sans opinion Amendement 19% 62% 19% Réinsertion 24% 61% 15% Dissuasion générale 27% 57% 16%
Les résultats démontrent globalement une inadéquation perçue de la peine de prison
comme instrument d'amendement, de réinsertion et de dissuasion générale.
En effet, plus de 50% des répondants qui estiment que la peine doit poursuivre les
objectifs sus mentionnés considèrent que la peine de prison ne les remplit pas.
A l'issue de cette analyse, il apparaît que les Suisses romands ont une image plutôt
négative de la prison autant comme instrument de réinsertion, d'amendement et de dissuasion
générale que de soustraction temporaire à un milieu criminogène. Cependant, le nombre de
personnes «sans opinion» est significativement plus élevé pour cette question. Cette tendance
souligne, ce qui n'est pas pour surprendre, une méconnaissance avouée du milieu carcéral.
Cette image négative de la prison tranche dans une certaine mesure avec la confiance
manifestée dans les institutions et, comme nous l'avons souligné, avec la tonalité optimiste des
souhaits exprimés quant aux finalités de la peine d'où l'importance des opinions sur les formes
adéquates de peine autres que la prison que nous allons analyser dans le chapitre suivant.