de la formation au métier

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Savoir transférer ses connaissances dans l'action

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Page 1: De la formation au métier

C O L L E C T I O N

P É D A G o G I E s

de la formationau métier

savoir transférerses connaissances dans ltaction

Louis Toupin

E5Fé di teur

Page 2: De la formation au métier

Table des matières

Introduction 15

Chapitre 1 : Un modèle interprétatif des transferts de connaissances.... 11

- Compréhension du lien théorie-pratique dansl 'approche in te rpré ta t i ve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . l8

Une interprétation qui va du sacré, vers le social pourprétendre à l 'universal i té . . . . . . . . . . . . . . . 18

La pragmatique concilie-t-elle vraiment compétences etp ra t iques soc ia les ' / . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 l

Une nécessaire rnédiation sociale unifie Ia fbnne symboliqueet la forme concrète 23

La place de la pragmatique en éducation des adultes 24

Intentionnalité, créativité et potentiel de I'acteur dans I'utilisationdes conna issances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Spécifïcité de la fbrmation dans la construction des pratiquessociales 21

Universalisation des connaissances par, dans et pourla communicat iùu . . . . . . . . . . . 29

Principe dynamique : adaptabilité ou communication ? 35

- Vers une modélisation du transfert de connaissances ............ 37

Uarchitecture du modèle 38

Les concepts du rnodèle : compéterrce. peftinence. savoirs,iutentionnalité. contexte et identité 40

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Chapitre 2 : Au-delà des dispositifs de formation :la rationalité d'une époque 57

- Champ symbolique de la modemité, place et scène de I'acteur social ......... 58Dimension historique de la modernité : autonomisationdes sphères d'activités 58Dimension cognitive-esthétique de la modernité :le scept ic isme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60Dimension éthique-émotionnelle de la modemité :le perfect ionnisme moral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 lDeux diagnostics de la modemité : crise de la complexitéet crise du sens 6l

- Le changement et les nouvelles figures de la rationalité .............. 61Changernent de paradigme : de I'adaptation vers I'appropriationdes connaissances . . . . . . . . . . 10Les connaissances : ressources privilégiées des sociétésmodenres . . . . 1IInterfaces disciplinaires et culturelles dans la productionet la diffusion des connaissances dans les sociétés modemes ..... 73

- Nouvelles figures.de la rationalité, médiations socialeset schèmes d'action ..... 76

Équivalence dans le statut des connaissances théoriqueset des savoirs de I'action 1lSous-utilisation des connaissances causée par la diversitédes groupes et des prat iques . . . . . . . . . . . . . . 80Dynamique des schèrnes d'action : capacités d'objectivationet mécanismes d'ancrage 83

- Première ébauche d'un modèle du transfert de connaissances .................. 89

Chapitre 3 : Revue des principales approches du transfert ..................... 93

- Les catégories usuelles pour désigner les formes du transfe( 93Translèrts positif et négatif, ou intenelation entredeux connaissances 94Transtèrts vertical et latéral, ou antériorité d'une connaissancesur I'autre .... 94Transfèr1s spécilique et général, ou contextualisationd'une connaissance 95Transf-erls littéral et analogique, ou créativité dans le passaged'une connaissance à I'autre 96Transfens couft et long, ou charnp d'applicationd'une connalssance 96

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- Les catégories explicatives du transfert ou schèmesd' intel l ig ibi l i té . . . . . . . . . . . . . . .

Schème causal du transfert : lois objectives et universelles ........Schème structural du transfert : les structures et stratégies

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cogr i t i ves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101Schème herméneutique du transfert : antériorité de lasignif icat ion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . l l2

Schème fonctionnel du transfètt : régulation des composantesdu sys tème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I 17

Schème actanciel du transfert : modalité d'utilisation desc o n n a i s s a n c e s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . l 2 l

Schème dialectique du transfert : processus de transformationet de changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .128

- Seconde ébauche d'un modèle du transl'ert de connaissances ................... 133

Chapitre r' : Modélisation du transfert de connaissances ......... ............... l3l- Cntiques de quelques rnodèles du transfert de connaissances ............ ....... 137

Un modèle stratégique du transfeft de connaissances ................. 138

Un modèle utilitaire du transfert de connaissances ...................... 142

Un modèle socio-cognitif du transfeft de connaissances ............. 146

- Construction d'un modèle interprétatif du transfen deconnaissances adapté aux publ ics adultes . . . . . . . . . . . . 150

Le transfèrt de connaissances nécessite un schème d'action ....... l5 I

Le transfeft de connaissances exige une médiation sociale :six scénarios d'accompagnemeltt avant. pendant et après

la tbmat ion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .162

Le transfeft de connaissances dépend d'une améliorationcont inue . . . . .113

- Questions prâtiqlles. courantes et stimulantes à propos dutransfèû de connaissances . . . . . . . . . . . . . . . 180

I -ex ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . l9 l

B ib l iograph ie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .197

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Introduction

Les études sur les prat iques de formation cont inue des populat ionsadultes mettent en relief la difficulté de transférer les connaissances acquisesdans la vie personnelle ou profèssionnelle. Ainsi, quelque temps après une acti-vité de fbrmation, il est souvent possible de constater une régression des acquis,un retour aux anciennes façons de faire, une absence de prolongement desapprentissages dans le milieu professionnel. Ce problème de mise en applica-tion atteindrait jusqu'à 807o des connaissances acquises lors d'activités de for-rnation continue [Broad et Newstlom, 1992]. Peut-il en être autrement 'l Est-ilpossible de passer d'un nrode de consommation d'activrtés de formation, impli-quant peu ou pas de transf'ert, à un mode de transfbnnation des pratiques impli-quant. quant à lui, des gains rationnels. créatifi, réflexifs et constitutit-s '?

Il est fréquent dc r€pondre à ce problème en ayant recours aux seules res-sources des théories de I'apprentissage marquées par la psychologie. Cette ave-nue conduit surtout à revoir I 'approche éducat ive : la concept ion des pro-srarnr-nes, les striitégies pédagogiques. la qualité du matériel didactique, le rôlede s technologies de l'éducation et du personnel enseignant. Uobjectif est alorsd'opt i rnal iser la rel t r t ion entre la si t r-rat ion d'apprent issage et la si tuat ion detranstèn. Cet objectif passe i\ côté dc I'aspect central de la question du transfert,à savoil qu'une personne en fbrrnation perçclit, s'zrpproprie, dilluse et util ise lesconnaissnnces qu'or) lui propose en les plongeant dans un contexte, en évaluantlcur pertinence en tbnction du monde personnel ou professic'rnnel qui est le sien.

Une amélioration du transf-ert de connaissances dans les pratiques de for-mation d'adultes requicrt une fbnne d'accompagnement pédagogique, la média-tion sociale, qui permet de faire contact avec les composantes contextuelles,émotionnelles, rationnelles et stratégiques de I'activité humaine. Lcs pratiquesde formation contirtue peuvcnt linsi se concevoir comme autant de fomres deruiédiation sociale <lont l 'objectif est de' contribuer à traduire les connaissancesen potentiel pour I'action à I'intérieur de pratiques sociales spécifiques. Dans ceser)s. non seulerlent il s'agirait de s'assuler que les connaissances ont bel et bientait I 'objet d'une appropriation. rnais il faudrait surtout ancrer les conuaissances

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dans le parcours sociohistorique et contextuel de personnes, de groupes ou decollectifs.

Les activités de ibnnation conçues dans une optique de rnédiation socialeont donc pour objectif pnncipal d'accompagner des adultes, des groupes ou descollectifs dans I'appropriation de nouvelles connaissances. Cet accompagne-ment trouve son sens et sa finalité dans la mise en place de nouvelles formes devie et de travail. Ces nouvelles formes de vie et de travail introduisent, au cæurde I'activité humaine, des gains rationnels, créatifs, réflexifs et constitutifs qui,tôt ou tard, susciteront l'émergence de nouvelles demandes de formation. Ceprocessus caractérise la formation continue et en fait un outil au service dutransfert de connai ssances.

Tout au long de ces pages sont abordés les enjeux et les stratégies quiaccompagnent un processus de transfert de connaissances. Cette démarche estformalisée par un modèle d'accompagnentent du processus de transfert deconneissances c) I'intérieur de pratiques sociales spécifiques. Un tel modèlepeûnet, entre autl'es, de mettre en relief les questions suivantes :- quelles sont les principales composantes sociales et cognitives du transferl deconnaissances ?- quels facteurs influencent I'arliculation optimale de ces composantes '/

- quelles. sont les formes d'ingénierie pédagogique qui favorisent I'appropria-tion et I'util isation de nouvelles connaissances ?

Le prcmier chapitre présente I'approche méthodologique qui sous-tend laconstruction de ce modèle d'accompagnement. Le second chapitre brosse untableau des différents contextes de vie et de travail dans lesquels s'opère 1atransfotmation des connaissances en compétences sociales et professionnelles.Le troisième chapitre passe en revue les principales approches du transferl deconnaissances. Finalement, le quatrième chapitre est consacré à la constructiond'un modèle du transfèrt de connaissances pouvant inspirer I'ingénierie des pro-jets de fbrmation continue.

Ce modèle du transfèrt de connaissances met en évidence I'importancenon seulement des composantes objectives de I'activité humaine, mais aussi sescomposantes éthiques, affectives et esthétiques. Ces composantes, longtempstenues pour négligeables, s'avèrent de plus en plus impor-tantes pour assurer lamise ert æuvre des ressources intel lectuel les développées par les sociétésmodernes. Il découle du modèle de transfert proposé une interprétation diffé-rente du temps, de I'espace et des approches utilisées en éducation des adultes.En ce sens. les activités de formation devraient davantage être conçues à partirdes situations sociales ou professionnelles, faire une place importante au dia-logue avec les premiers intéressés et, enfin, accorder une attention particulière àla gestion stratégique des enjeux véhiculés par les projets de formation.

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Un modèle interpr étatifdes transferts de connaissances

Le premier chapitre expose I 'approche méthodologique à part i r delaquelle un modèle du transfert de connaissances adapté aux activités de forma-tion continue peut être proposé. Dans I'ensemble, la méthode suivie peut êtrequalifiée d'interprétative. Il s'agit d'une approche qui acquiert de plus en plus,en éducation des adultes, une position légitime et reconnue. Ainsi, R. Usher etl. Bryant t19891 soutiennent que l'approche interprétative constitue, à I'heureactuelle, le seul paradigme de recherche susceptible de conceptualiser adéquate-ment ce qu'ils nomment le < triangle captif " de l'éducation des adultes, soit larelation fomration-recherche-action. C'est là une approche qui met en évidencenon pas des lois scientifiques objectives, non plus des déterminismes sociauxrigides, mais le repérage du sens qui émerge d'interactions sociales négociées,intentionnelles et intersubjectives.

Afin de situer les tenants et les aboutissants de cette approche interpréta-tive appliquée à la construction d'un modèle du transfert de connaissances, il estdérnontré, dans un premier temps, que I'interprétation procède d'un ancragedans les pratiques sociales et que I'activité réflexive humaine fait nécessaire-ment appel à la médiation d'agents sociaux possédant cefiaines compétences.Dans un second temps, le < triangle captif > de l'éducation des adultes estabordé en examinant, de façon critique, les concepts qui ont été avancés par rap-poft à chacun des pôles de ce triangle ainsi qu'à leurs interrelations. Finalement,

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pour clore ce prenier chapitre.les pdncipaux concepts qui lui

le type de rnodèle proposé est présenté ainsi queservent d'armature.

Compréhension du lien théorie-pratiquedans I' approche interprétative

L'approche interprétat ive procède d'un ancrage dans les prat iquessociales. L'évolutiou de cette approche I'a conduite à faire du lien théorie-pra-tique son problème central. Plus récemment, une avancée de I'approche inter-prétative, la pragmatique universelle, propose une réinterprétation intéressantedu hen théorie-pratique. Cette approche peut toutefois se concevoir comme por-teuse d'une médiation entre la théorie et la pratique. Elle conduit au tnptyquethéorie-format i on -prat i que.

Une interprétation.qui va du sacré vers le socialpour prétendr"e à I'universalité

Dans l'évolution de I'approche interprétative, trois moments tbrts peu-vent être identifiés. Au point de départ, il s'agit d'une rupture avec le sacre danslaquelle I' intelprétation, jusque-là consacrée à la traduction des textes bibliques,tourne son regard vers le monde social. Le second moment de l'évolution deI'approche interprétative voit l 'émergence d'une théorie compréhensive del'activité humaine, qui remet en question le lien théorie-pratique. Finalement, letrois ième moment de cette évolut ion pose le problème de l 'universal i té deI' approche interprétative.

L'approche rnterprétative peut, au point de départ, être caractériséecomme un ensemble de disciplines, de théories et de méthodes- qui ont trait àl ' interprctat iou du serrs t le l 'act iv i té hunraine [Denzin. 19891. A ses or igines.dans la Grece antique, I'approche interprétative, ou herméneutique, est placéesous l'égide du dieu Hermès, messager des dieux auprès des hommes. Ce rôlede messager exige non seulement que le message des dieux soit intelligible maisaussi qu'il soit interprété car, pour rendre celui-ci signifiant auprès des humains,il taut souvent des commentaires et des clarifications supplémentaires. Par lasuite, tout au long du Moyen Âge. I'approche interprétative s'est su(out déve-loppée par les traductions, en latin, des textes sacrés ou faisant autorité (parexemple, les écrits d'Aristote).

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L'approche interprétative moderne apparaît au début du xrx' siècle,notamment sous l ' inf luence de l 'æuvre du théologien al lemand Friedr ichSchleiennacher. Celui-ci, influencé par la réaction du romantisme contre lecaractère impersonnel et rationalisant de l'époque classique antérieure, proposeune nouvelle conception du processus de compréhension. Ce processus, chezSchleiermacher, fait une large place à I'individualité, à la singularité de chaqueobjet d'interprétation. Dans cette perspective, chaque objet doit recevoir unerègle d'interpÉtation qui lui est propre. Cependant. selon Schleiermacher, il estaussi possible de reconstruire ce processus de compréhension de façon à assurerles conditions et la possibilité d'interprétations valides pouvant doter celles-cid'un potentiel d'explication, d'une autorité morale, voire même d'une fonctioncntique évaluative. Cette dynamique entrc singularité et universalité devient letrait caractéristique de I'approche interprétative romantique.

C'est à Wilhelm Di l they, disciple de Schleiermacher, que I 'on doitI'application de I'approche interprétative jusqu'alors davantage utilisée pourI'analyse de textes, surtout religieux, aux sciences humaines et sociales nais-santes. En tant qu'héritier d'Emmanuel Kant, Dilthey propose de reconstruireles compétences humaines en faisant de I'interprétation un rnoment particulierde Ia recherche de la corrnaissance. L'interprétation peut avoir, selon lui, uneponée universelle dans la mesure où les processus sensibles révèlent la vie men-tale dont les manif'estations sont colnrnunes à tous les humains.

Dilthey critique néenmoins Kant pour sa conception isolée et a-historiquede la vie mentale. Il estime que I'existence humaine repose aussi sur la sensationet le désir d'action. Cela I'amène à accorder une importance particulière à la rela-tron théorie-pratique. Ainsi, comme chez Friedrich Schleiermacher, il situe aufbndement de l'interprétation le sujet connaissant, c'est-à-dire la subjectivité danstout ce qu'elle représente de particulier et de singulier. Dilthey insiste, dans cetteperspective, sur un retoul'au temps et à la durée. Selon lui, I 'expérience vécue dusens est liée à la cohésion d'une vie particulière. Cependant, à travers les panicu-larismes de la pratique et de l'expérience, Dilthey se demande comment les mani-t-estations d'individualité peuvent avoir une valeur morale universelle. C'est dansla science de son époque qu'il recherche des réponses à cette question. Conscientdu caractère fragmentaire d'une telle entreprise, Dilthey tentera d'élargir leconcept de science pour en faire une science du vivant. Dans cette entreprise,Dilthey reste cependant prisonnier de I'objectivisme des sciences naturelles, unebase plutôt étroite pour en déduire I'activité éthique.

Di l they a le méri te d'avoir soulevé des quest ions que pose encoreaujourd'hui I'approche interprétative. Par exemple, quelle généralisation peut-on fâire de résultats obtenus à partir de la psychanalyse, de I'activité esthétique,des histoires de vie, des observations ethnographiques et autres méthodes outhéories engendrées par I'approche interprétative ? De même, les scienceshumaines doivenrelles viser la compréhension, avec tout ce que cela comportede connotation subjective, ou bien l'explication, comme le font les sciences quimisent sur I'obiectivité ?

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De plus, i l importe de préciser que, depuis Di l they, i l est impossibled'ignorer la pluralité et la divergence du sens de I'activité humaine. La succes-sion historique des interprétations est là pour le rappeler. Au surplus, la moder-nité ajoute les problèmes de la communication et des interprétations multipleset changeantes. L'approche interprétative moderne apparaît donc éclatée. Ilserait plus précis de parler des approches interprétâtives que de l'approche inter-prétative. Paradoxalement, l'interprétation doit, aujourd'hui, prendre en comptela pluralité des interprétations.

Cette question de I'absence de critères universels pour définir les règlesde I'interprétation de I'activité humaine est âu cæur des débats de I'approcheinterprétative contemporaine. Ainsi, pour certains, I'interprétation ne pourrait sesoustraire aux biais et aux préjugés qui ont cours dans une société.H. G. Gadamer |976) exprime cette contrainte sous la forme du cercle hermé-neutique : pour croire j'ai besoin de comprendre mais pour comprendre je doisd'abord croire.

La documentation contemporaine portant sur l'interprétation [Bleicher,19801 adopte trois positions quant à la possibilité de tirer une connaissanceobjective de I'interprétation. Une première position, relativiste, prend acte de lapluralité des interprétations. C'est cette position qu'adopte Paul Ricæur t 19651,avec sa sémantique de I'action, estimant que la pluralité des interprétations nepeut sotrtenir qu'une seule certitude, celle de la faill ibilité de I'Homme. Uneautre position, idéaliste, soutient quant à elle la prétention à I'universalité deI'approche interprétative puisque interprète et acteur partagent, en tant qu'êtreshumailrs, un même monde historique. Ainsi, Gadamer, auteur que I'on peut rat-tacher à cette position, a consacré une bonne partie de son æuvre à identifier lesbases ontologiques de la compréhension. Ces bases, il les appréhende dans latradition. En effet, pour Gadarner, la compréhension n'est possible que sur lemode d'une coexistence. La cornpréhension impl ique, selon lui , l 'existenced'une communauté possédant une histoire et des visées corrrmunes, c'est-à-direune tradition qui s'exprime dans des contextes non scientifiques tels que la viequotidienne, I'art, la littérature. < Nous sommes un dialogue >, dira Gadamer.La troisième position, pragmatique, estime que I'approche interprétative nepeut. à elle seule. prétendre à I'universalité. Cette position, défendue entre autrespar J. Habermas fl9871, reprend bon nombre des principes de I'approche inter-prétative contemporaine. Cependant, elle se distingue de celle-ci sur au moinsdeux points.

D'une part. Habemas estime que la subjectivité et la réflexion sont par-ties prenantes de la modernité. Dans ce sens, la tradition ne peut founrir en soiun cadre de légitimité aux activités humaines. La réflexion modeme a permisd'identifier la part importante de domination et d'arbitraire que véhicule la tra-dition. La tradition n'offre pas, d'elle-même, un point de vue légitirne d'oùi'interprète peut se placer pour dire < ceci est idéologique >. De même, la sub-jectivité humaine, selon Habennas, est un aspect important de la pluralité dessociétés modemes. Cependant, cette subjectivité doit aussi être compdse dansses l imites. Les prat iques sociales ne dépendent pas que des intent ions des

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;tcteurs mais aussi du contexte environnant qui délimite l'étendue, la reconnais-iance et la réalisation des intentions.

D'autre paft, la position de Habermas se distingue sur le type d'idéalisa-tion à introduire pour assurer la validation d'une interprétation. Si Gadamer etHabermas associent la validité à la formation d'un consensus, le premier voit lesconditions et les possibilités d'un tel consensus dans une ontologie du langageancrée dans une tradi t ion tandis que le second considère que le consensusrésulte d'une situation idéale de discussion. Ainsi, pour Habermas, la formationd'un consensus dépend d'une existence vraie, d'un âge adulte, d'une forme der ie à réaliser où les distorsions de la communication n'ont pas de prises. Leconsensus, la validation d'une interprétation, n'est possible que dans la mesureoù I'on fait reculer les possibilités restreintes de I'existence humaine pour enproposer de nouvelles. Le caractère politique du projet habermassien apparaît iciévident. Bref, Habermas s'intéresse plus à la transfonnation du social qu'àI' i nterprétation elle-même pri se comme finalité.

Les approches interprétatives contemporaines offrent un champ d'appli-eation considérable, autant théorique, méthodologique que pratique : théorie deI'action, pragmatique, ethnométhodologie. analyse de contenus, interactionismesymbolique, histoire de vie, culture organisationnelle, observation pafticipante,phénoménologie, étude des mythes, analyse de cas, etc. De façon générale, lesapproches interprétatives contemporaines privilégient les méthodes qualitativeset les hypothèses subjectives,'c'est-à-dire mettant en relief la dynamique desacteurs sociaux. Ainsi, à I'opposé du fonctionnalisme ou du structuralisme quiconsidèrent que I'acteur n'est pas maître de ses actions et qu'il est davantagedétenniné par un ensemble de lois ou de structures universelles, les approchesinterprétat ives, pour la plupart , voient dans I 'acteur un être de volonté quidécide de vivre en harmonie avec les autres en se conformant à certainesnormes ou à ceftains rôles. Aux perspectives objectivistes qui tendent à réifierI'organisation ou la société, plusieurs approches interprétatives répondent enconsidérant les organisat ions, la vie sociale en général , cornme des réal i tésconstruites par les signilications que leur confèrent les acteurs. La prochainesous-section explore les possibilités de rapprochement entre ces perspectivesobjectives et subjectives.

La pragmatique concilie-t-elle vraiment compétenceset pratiques sociales ?

La pragrnatique universelle de Habermas prend appui sur ce qu'on aappelé le .. tourlant pragmatique ,, observé en philosophie analytique, en lin-guistique, en sciences de l'éducation et dans les sciences humaines en général.Ce tournant est associé aux travaux de Ludwig Wittgenstein !9691, J.-R. Searle119121, John Langshaw Austin t19701, et John Dewey ll920l entre autres qui

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ont proposé de rechercher la signification des mots employés dans la communi-cation non, colnûre on le fàisait jusqu'alors, dans la syntaxe ou la sémantique,mais dans I'usage social du langage. Selon la pragmatique, la signification d'unmot est, d'abord et avant tout, détenninée par son usage, par I'ensemble desconséquences auxquelles il conduit. Ainsi, selon Dewey, la règle pragmatiquepar excel lence pour découvrir la signi f icat ion de toute expression est d 'enrechercher les couséquences.

Pour aborder le problème de la compréhension, la pragmatique proposeune relation triadique. En effet, pour la pragmatique, la signification d'un signeest l iée aux échanges entre un locuteur et un auditeur dans un contexte[Miermont, 1986]. Ainsi, de prime abord, le sens véhiculé par une conversationdépendra du contexte qui permet de thématiser les échanges, met en relief laposition sociale des acteurs et mobilise des éléments porteurs de significations.Par exemple, I'expression < le silence est de rigueur >> n'aura pas le même sensselon qu'elle est énoncée dans une église ou dans une classe. Dans un cas. oninvite au recueillement ou à la prière et, dans I'autre, à un comportement quifàvorise la concentration intellectuelle.

Le sens dépendra aussi du référentiel du locuteur, c'est-à-dire du rapportentre les objets ou les états de choses du monde et les expressions langagièresqui les visent. Il existe des communautés humaines dont le référentiel est relati-vement homogèue mais les problèrnes de traduction mettent en présence descommunautés pour lesquelles les mêmes expressions ne renvoient pas forcé-l l rel l t aux nrêrnes états.

Finalement, le sens dépendra aussi de l' interaction elle-même. Le locu-teur n'est pas, à lui seul. rnaître du mot, de l'expression ou de la phrase. Nonseulement extrait-il le plus souvent ses expressions d'un stock culturel existantmais encore, de façon plus immédiate, il doit considérer que le sens est le pro-duit de I'interaction verbale avec son auditeur. Dans ce sens, pour la pragma-tique, I' interaction communicationnelle est placée sous le signe de la performa-t iv i té, c 'est-à-dire que les actes de langage (ou speech aa) véhiculent nol . lseulement des descriptions mais aussi une force d'obligation. Quand un prési-dent d'assemblée déclare ., la séance est levée ,, I 'cxpression possède un pou-voir exécutoire reconnu dc tous. Dire équivaut alors à faire.

Une des ambitions de la pragnratique universelle est de fournir une théo-rie de I'action basée sur la comrnunication. Ainsi. pour Habetmas, le problèmedu transfèrt des conuaissanccs théoriques ou réf lexives dans les prat iquessociales est fbndarnental et constitue le centre des préoccupations empiriques dela théorie de I'agir cornmunicatiounel. ll faut cependant admettre que Habermasn'informe guère. de façon concrète. sur les modalités de transfert de la sphèredes cornpétences sociales à celles des pratiques sociales. C'est là le reprocheclu'adressent C. Argyr is et ses col lègues [1985] aux travaux de Habermas.Ceux-ci, en effet. estirnent que Habennirs ne rend guère explicites les conditionsclui t'avorisent la validation d'une connaissance et, partant, son usage rationnel.

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Ce qui distingue Argyds et ses collègues de la position de Habermas, c'est leurtaçon réciproque de définir la rationalité.

Pour Habermas, la raison est régulée par un dispositif communicationneldoté d'un pouvoir intégrateur, créateur de consensus. La rztionalité se construitrr partir des arguments qui or.lt la capacité de convaincre quelqu'un d'autre sanseontrainte. La rationalité dépend donc d'une situation idéale de discussion quie xclut toutes contraintes, sauf celles du meilleur argument. Les conditions empi-riques qui entourent la formation d'une situation idéale de discussion ne sontpas, selon Habermas, identifiables a priori. Elles dépendent surtout d'une formede vie à venir qui sert d 'hor izon aux accords intersubject i fs. Ainsi , pourHabennas, les normes ou la force d'obligation d'un argument ne peuvent êtreressenties que dans la rnesure où nous pouvons anticiper, à partir de celles-ci,une forme de vie idéale. un mieux-être individuel ou collectif.

Argyris et ses collègues, de leur côté, procèdent différemment quant àlcur façon de concevoir la rationalité. Ils souscrivent à une conception norma-tive de la connaissance. Ainsi. à partir d'une perspective qu'ils appellent sciencetle I'action. ils en arrivent à loger les critères de validité dans ce qu'ils nommentuue communauté d'enquête. L 'object i f des communautés d'enquêtes est der'éunir ou de créer les conditions qui favoriseront la discussion publique sur lar alidité de telle gu telle connaissance. Ce système réflexif, analogue à la situa-tion idéale de discussion de Habennas, se distingue toutefbis de celle-ci par sorlrnode d'engagement envel's les communautés de pratiques sociales déjà exis-tantes (ou systèmes clients).

Le débat entre une communauté de discussion idéale. qui n'a pas d'exis-tence concrète, et des communautés d'enquêtes, qui sont peut-être tropconcrètes, peut être tranché en proposant un mécanisme de médiation sociale.Ce mécanisme pennet de prendre en compte les aspirations, les attentes et lespréférences de schèrnes d'action concrets sans toutefois se mettre complètementà la traîne de ceux-ci. La rnédiation sociale peut introduire des visées idéales,des projets, des intentiorts qui rte sont pas. de prime aborci, présents dans descommunautés de pratiques sociales concrètes.

Une nécessaire médiation sociale unifie la forme synlboliqueet la forme concrète

Il faut rappeler que I'approche interprétative procède d'une cohabitationavec la traduction car. depuis ses origines. interprétation et tradLlction s'interpel-lent réciproquemeut. ll y a cependant. pour I'approche intetprétative, un < pro-blème de traduction > relativement récent. Il s'agit du problème de la traductiondes connaissauces scient i f iques et techniques dans les prat iques sociales dumonde vécu. Ce problèrle se pose de dcux iàçons. D'une pal't, I ' interpÉtation

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se fait à l'intérieur d'une tradition ou d'un univers consensuel qui est doréna-vant constamment transformé par les connaissances scientifiques et techniques.D'autre part, I'interprétation est de plus en plus souvent confrontée aux pro-

blèmes de la réduction des tensions entre divers types de rationalités, notam-

ment entre le discours objectif et impersonnel des sciences et des techniques et

les discours normatifs et subjectifs des pratiques sociales.

Ces problèmes de traduction, dans le contexte actuel de la modernité,

sont cle plus en plus fréquents dans la mesure où les univers de référence et de

spécialisations se sont multipliés et complexifiés et que nos sociétés souscrivent,malgré tout, à l'idéal d'une relation symétrique ou complémentaire entre les

acteurs sociaux. Cependant, cet idéal entourant le lien théorie-pratique ne peut

être atteint dorénavant qu'au prix d'une médiation sociale à laquelle contribuent

les traducteurs et les interprètes notamment et, entre autres, les agents de forma-

tion.

La médiation sociale s'appuie sur un triangle interprétatif. En éducation

des aclultes. ce triangle est souvent défini par les termes action-formation-recherche. Concevoir ainsi la médiat ion sociale offre un double intérêt

puisqu'une telle approche pemet à la fois de rejoindre les pratiques de forma-

tion elles-mêmes et les formes symboliques qui leur donnent une extension'Ainsi. du point de vue des pratiques de formation, la médiation sociale permet

d'abordèr des questions telles que : comment est-il possible de traduire des

connaissances objectives, prenallt la forme de lignes, de traits et de symboles,en gestes, en componements, en attitudes, en volonté d'agir, bref, en compé-

t.nà.. '? Comment les connatssances se transfbrment-elles en compétences ? De

même, au plan symbolique, il est possible de prendre en compte que, de plus en

plus, les sociétés modemes traitent les activités de formation coûlme un inves-

iisse-ent intellectuel [Caspar et Afriat, 1988] et en attendent des résultats tan-

gibles : hausse cle la productivité, de la qualité des produits ou des services,hausse de I'innovation, de la mobilité, de l'employabilité, de l'autonomie et

ainsi de suite. La médiation sociale. vue sous cet angle, suppose la constructionde communautés synboliques ayant des formes concrètes et diversifiées : parte-

nadats travail-éducation. écoles-associées, conseil d'orientation.

La place de la pragmatique en éducation des adultes

Si aujourd'hui l 'éducatiol des adultes est largement perçue comme un

clomairte de pratiques sociales se développant dans la foulée du projet de la

modernité, cela est dû, en bottne partie, à I'influence du courant proglessiste en

éducation des adultes [Elias et Meniam, 1983]. C'est, en effet, pamri les cou-rants de pensée qui ont ntarqué l'éducation des adultes, le courant progressiste

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qui a tenté, de fàçon explicite, d'actualiser au cceur même des pratiques de for-rnation le projet de la modemité.

Le courant progressiste en éducation des adultes, dans la mesure où il estprofbndément préoccupé par I'articulation des pratiques de formation au chan-gement social en général, accorde une importance manifeste aux conséquenceset aux impacts de ces pratiques. L'éducation des adultes, rappelle A. B. Knoxtl982l, est un champ de pratiques orienté vers I'action (Action orientedfield).De même, M. Lesne tl984l définit ce qu'il appelle la < pédagogie des adultes >corrune un ensemble de discours et d'énoncés construits pour la pratique, mani-pulés dans la pratique et évoqués à propos de la pratique.

La pragmatique, suflout lorsqu'elle s'incline vers une théorie de I'action,occupe donc, en éducat ion des adultes, une place importante. C'est ens'appuyânt sur le << triangle interprétatif > formé des pôles de la formation, de lacortnaissance et de l'acteur qu'il est possible de rendre compte du travail de lap[agmatique en éducation des adultes.

Intentionnalité, créativité et potentiel de I'acteur dans I'utilisationdes connaissances

D'entrée de jeu, la pragmatique s'est développée, en éducat ion desadultes. en plaçant I'adulte'au centre des ellbrts analytiques. Cette centrationsur I'adulte repose sur la prémisse que I'individu esî un organistne autonontedoué d'initiatives, d'intentions, capable de choix, de liberté, d'énergie et de res-ponsabilité [Tough, 1971]. Cette centration sur I'adulte relève de toute évidencedu souci même de la pragmatique, à savoir I'utilisation ou la mise en applica-tion des connaissances, puisque ce n'est pas le problème d'une connaissanceque d'être utilisée ou non, ni celui des agents de fonnation qui agissent commemédiateurs. C'est plutôt là le problème de personnes, de groupes ou de collectifsqui investissent leur temps, leur argent et leur espoir dans I'appropriation de cesconnaissances.

La pragnratique a pennis, en éducation des adultes, de reconstruire, à par-tir de I'acteur et de ses activités, un cadre de référence parliculièrement élaboré[Cross, 198 l]. Ce travail de reconstruction du monde de I'acteur s'est fait ententant, ni plus ni moins, d'appréhender I'ensemble des facettes qui rendentcompte de la vie adulte. Ainsi, la pragxatique met-elle en évidence un acteurqui agit en fonction d'un monde social, à travers I'exercice de certains rôlessociaux. Ces rôles renvoient à divers niveaux de structuration de la vie sociale

l. Le terme ( adulte > peut être élargi à celui d'acteur ou de schème d'action afin de mettre enévidence que l 'éducation des adultes ne s'adresse pas à des individus coupés de leur contextesocial-

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de I 'acteur partant de sorr univers int ime et famil ier (par exemple : parent,conjoint), en passant pal' sor) univers cornmunautaire (par exemple : bénévole.mi l i tant. croyant) et par son univers de prat iques civ iques (par exemple :citoyen, travailleur. consolnmateur) jusqu'à cet univers aux dimensions volon-tairement floues, celui de la condition humaine universelle, où chacun peut sesolidariser à I'autre par-delà les frontières, les cultures, les ethnies, les sexes, lesreligions.

Cette reconstruction du monde social de l'acteur a permis l'élaborationd'une offre de formation qui, aujourd'hui, propose de multiples formats. Ceux-ci atteignent un ou plusieurs rôles qu'un adulte est appelé àjouer au cours de savie : cours sur les relations parents-enfants, formation de personnels bénévoles,fbrmation des travailleurs à leur droit, cours de santé-sécurité au travail, forma-tion des migrants, recyclage de la main-d'æuvre, émissions télévisées ou radio-phoniques sur la consommation, formation des coopérants intemationaux, édu-cation à la paix et ainsi de suite. Ce référentiel portant sur le monde social deI'acteur a aussi été contextualisé afin de tenir compte des multiples situationssociales dans lesquelles les acteurs peuvent se trouver compte tenu des inégali-tés entre les homrnes et les femmes, des différences de revenus, des problèmesd'accessibi l i té de toutes sor les (par exemple : la présence d'un handicap oud'enfànts à charge. l 'éloignement des ressources éducatives), des différencescuiturelles, techniques ou sociales, des problèmes de reconnaissance sociale (parexemple : la recorrnaissance des acquis expérientiels) et autres. Cette prise encompte des situations multiples s'est traduite par une différenciation de I'offrede formation.

La pragmatrque ne s'est pas seulement attachée à reconstruire le mondesocial de I'acteur. Le monde subjectif de celui-ci a, lui aussi, fait I 'objet d'unereconstruction intense. L'identification et la spécification des besoins, desattentes, des intentions, des motifs de I'acteur constituent un rétérentiel inlpor-tant en éducation des adultes. Ne dilon pas que ce qui différencie en définitivel'éducation des adultes de celle dispensée aux jeunes, c'est que les premiers.contrairement aux seconds, abordent la formation avec, en tête, une question, unproJet. des attentes a priori'? Ces dispositions sont rarement bien formées. C'estic i que l 'éducat ion des adultes emprunte le chemin d'une maïeut ique. ErrI'occurence, il s'agit de susciter, chez un adulte, un groupe ou un collectil desquestions qui, tout en restant proches de ce que les acteurs disent, tentent defaire émerger de taçon explicite et intelligible le projet implicite de ceux-ci.

Finalement, la pragmatique, en éducation des adultes, a cherché aussi àreconstruire le monde object i f de I 'acteur. Cependant, contrairement àI'approche mise en évidence dans les deux mondes précédents, le travail deleconstruction du monde objectif de I'acteur dépend aussi de champs discipli-naires extemes à l'éducation des adultes : gérontologie, neurologie, psycholo-gie, ergonomie et autres. Ces disciplines contribuent à éclairer certains phéno-mènes objectils qui influencent I'adulte en situation d'apprentissage. Ainsi, parexemple. les phénomènes accompagnant le vieill issement tels que le ralentisse-

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nrent des réflexes, la perte relative de certains sens (par exemple : I'audition),l'évolution des préférences réceptives des adultes (par exemple, de plus en plusr isuelles avec l'âge), les stratégies de compensation que les adultes développentpar rapport à certains problèmes (par exemple : la perte de détails dans larnémorisation) dépendent maintenant, pour beaucoup, des avancées de cettenouvelle discipline carrefour qu'est la gérontologie.

Cette reconstruction pragmatique des mondes social, subjectif et objectifJc I'acteur ne repose cependant pas sur un édifice conceptuel qui fait consensusc'n éducation des adultes. Ainsi, certaines positions théoriques accordent unlnids plus important au monde social de I'acteur alors que d'autres privilégient\on monde subjectif, son projet. ses motivations. Cependant, que le monde'ocial soit conçu comme une extension des interactions ou des motivations dunronde subjectif ou bien qu'il soit le résultat d'une intériorisation d'un ordresocial, fait de norrnes et de règles, ce sont là des positions qui renvoient à deuxirnpasses bien connues : ou bien la formation fonctionne comrne inculcation,.lans un monde où le social préexiste et nous détermine, ou bien la fbrmation seeonçoit corrune la croissance et le développement d'acteurs libérant leur poten-tialité et leur créativité sans limites.

Une position concevant I'acteur corrrme, à la fois, produit et producteurde sa société, apparaît davantage adaptée. En effet, cette position permet deconcevoir les activités de fbrmation des adultes comme se situant entre une tra-dition, où il s'agit d'assimiler un stock de connaissances qui préexiste, et lechangement, c'est-à-dire I'actualisation de ce même stock en fonction de nou-r eaux problèmes ou de nouvelles réalités, voire même la production de nou-veaux savoirs et de nouvelles perspectives. L éducation des adultes se présentedonc, non pas corrune une activité d'intériorisation, mais davantage corrune unprocessus qui favorise et accompagne I'intégration et I'engagement des adultesdans leur milieu de vie ou de travail.

Spécificité de la formation dans la constructiondes pratiques sociales

Le pôle de la formation a, comme le pôle de I'acteur, fait I'objet d'un tra-vail de reconstruction pragmatique imporlant en éducation des adultes. Ce tra-vail de reconstruction vise à produire un langage descriptif permettant de ren-voyer les pratiques de formation à telle ou telle catégorie pour ensuite relier etdynamiser celles-ci entre elles, avec I'aide de théories ou de modèles. Ce lan-gage descriptif soutient les nombreux modèles explicatifs des pratiques de for-mation destinées aux adultes. Les travaux de M. Lesne tl984l proposent unemise en perspective intéressante du pôle de la formation.

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Lesne déllnit la pédagogie des adultes non pas coTrrme une activité indi-viduelle mais comme une pratique sociale qui, bien sûr, possède sa spécificitépar rapport à d'autres pratiques sociales. Selon lui, la formation participe à laconstruction des pratiques sociales puisque c'est à partir de ces dernières que lesacteurs se représentent le monde dans lequel ils vivent. En conséquence la for-mation est imprégnée par ces structures préjudicielles qui sont à la base desreprésentations des acteurs.

Pour Lesne, la formation ne contoume pas les représentations2, c'est-à-dire les modèles pratiques que se donnent les acteurs pour agir dans le monde.Ces représentat ions sont, en pr incipe, nécessaires à toute forme d'act ion.Cependant, Lesne cherche à rendre compte du contact entre les représentationset les connaissances scientifiques et techniques. A son avis, cette prise decontact ne se situe pas dans des rapports d'applications mais dans des rapportsde constitutions. c'est-à-dire que les acteurs prennent contact avec les connais-sances selon une logique de la pertinence : leur utilité pour I'action, leur compa-tibilité avec les théories pratiques préexistantes chez les acteurs. Lesne neconclut pas qu'il faille se limiter à une formation de type " mode d'emploi > ou.. coffre à outils >>. Selon lui, I'apport de connaissances scientifiques ou tech-niques dans les pratiques n'est possible que si ces connaissances parviennent às'intégrer à une logique autre, une logique qui se prête à une appropriation mar-quée par la pratique.

Lesne cherche à reconstruire ces théories pratiques qui se développentdans I'interaction entre connaissances et actions. Pour ce faire, il propose desgrilles de lectures des activités de formation. Il util ise trois concepts clés : leconcept de totalité, celui de pratique et celui de socialisation. Le concept de tota-lité vise à prendre en compte à la fois la globalité et la spécificité de I'acte péda-gogique. Le concept de pratique met en évidence ce que les théories critiquesappellent la praxis et remet en question, à partir de cet angle, les activités liées àla formation. Quant au concept de socialisation, Lesne I'util ise coûrne un outilanalytique pouvant discemer le ou les sens que peuvent prendre les activités deformation.

Lesne voit dans les adultes des êtres possédant une expérience socialesingulière puisqu'ils évoluent dans des lieux sociaux diversifiés à partir desquelsils acquièrent des connaissances. En conséquence, l'éducation des adultes s'arti-cule immédiatement à la pratique sociale, bien que, selon lui, la formation desjeunes et celle des adultes répondent aux tnêrnes phénomènes sociaux généraux.C'est donc I'articulation au monde social, I 'exercice de rôles sociaux, la plura-lité des contextes, le caractère second de la formation par rapport aux préoccu-pations premières de I'acteur qui constituent, pour Lesne, la spécificité de l'édu-cation des adultes.

2. Est défini plus loin un concept de < savoirs > qui, dans I'ensemble, se présente comme sem-blable à celui de < représentation " utilisé par Lesne.

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Lesne suit ici une démarche semblable à celle que proposent Argyris et\es collègues [985] lorsqu'ils mettent en relief les savoirs pratiques que lesecteurs se donnent pour agir. Cependant, Argyris et ses collègues estiment queces savoirs pratiques peuvent être basés sur des standards rigoureux, c'est-à-direrapportés à un contexte de validation. Ce contexte de validation est, pour.\rgyris et ses collègues, interactif puisqu'il prend la forme d'une communautéd'enquête (community of inquiry) dont la fonction est de valider, intersubjecti-\ement, les prétentions que soulèvent un acteur. un praticien ou un profession-nel par exemple. Lesne, en ne recourant pas à une distinction entre travail etcommunication, s'interdit en quelque softe l'émergence d'un tel contexte deralidation à I'intérieur des grilles qu'il propose. Les théories pratiques desrcteurs sont dès lors assimilables à des idéologies positives, c'est-à-dire non pasune fausse conscience mais à un ensemble de croyances, de règles, de maximes,de préceptes que les acteurs utilisent spontanément dans leur rapport au monde.Bref, Lesne sous-estime le potentiel de rationalisation véhiculé par les acteurslorsque ceux-ci recherchent, en communiquant, un accord mutuel.

L absence de distinctions entre travail et communication se répercute,chez Lesne, sur sa conception de la socialisation. Cette demière est, pour Lesne,conçue dans la perspective de Bourdieu, à savoir un mode d'inculcation et decontraintes. Les acteurs intériorisent, sous forme d'habitus, une société qui exis-tait avant eux. I esne atténue toutefois cette perspective, foncièrement tournéevers la reproduction sociale,. en précisant que I'acteur peut être à la fois objet,sujet et agent de socialisation. C'est sur la base de ces distinctions qu'il identifietrois modes de travail pédagogique :

L un mode de type transmissif à orientation normative qui valorise la reproduc-tion du passé, de I'héritage culturel, de I'ordre social et de la vie économique ;2. un mode de type incitatif à orientation personnelle qui vise I'adaptation àI'environnement à travers les capacités créatrices, les motivations, la prise encharge des acteurs par eux-mêmes ;3. un mode de type appropriatif centré sur I'insertion sociale et par lequel lesacteurs deviennent des agents susceptibles de produire, à partir de leur positionsociale, de nouvelles orientations sociales et de contribuer à la mise en æuvrede celles-ci dans les pratiques.

Universalisation des connaissances par, danset pour la communication

Uexamen des divers types de reconstruction pragmatique des pôles deI'acteur et de la formation révèle que ces pôles ont fait I'objet de nombreusesétudes et recherches dans le domaine de l'éducation des adultes, parfois conver-gentes et souvent divergentes. Le pôle de la connaissance apparaît d'emblée, sion Ie compare à la sollicitude dont les deux autres pôles ont fait I'objet. comme

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le parent pauvre de ce travai l de reconstruct ion en éducat ion des adultes.Poufiant, panni les motif's d'apprentissage, I'acquisition de connaissances figureen bonne position parmi les raisons qu'invoquent les adultes lors d'un retouraux études [Cross, 1981]. On note en fait une tendance récente des adultes à serecentrer sur I'acquisition de connaissances [Braun, 1989]. Plusieurs raisonspeuvent être invoquées pour expliquer cette relative mise à l'éca( du pôle de laconnaissance dans les travaux et les recherches en éducation des adultes.

Dans I'opposition entre éducation et formation, les connaissances sontdavantage associées à l'éducation qu'à la formation. La production d'un dis-cours cohérent, le utaniernent de concepts, I'abstraction théorique, ce sont là desaspects de la connaissance qui seraient associés à des considérations proprementéducatives qui irnpliquent une relation d'autorité" des contenus d'enseignementhiérarchisés et companimentés, une évaluation rigoureuse et une sanction offi-cielle. La formation, quant à elle, valoriserait les rapports égalitaires, le partaged'expériences, le rapport à I'action, les démarches individuelles ou collectivesd'appropriation, les évaluations et les bilans personnels ou collectifs, la satisfac-tion des usagers. En conséquence, la formation permettrait de négocier etd'adapter les connaissances aux aspirations et aux attentes des adultes, d'établirun rappor-t théorie-pratique en faveur de cette dernière et d'adrnettre des réinter-prétations audacieuses et créatives de ces mêmes connaissances. Dans la mesureoù l'éducation des adultes se reconnaît davantage dans les pratiques de fbma-tion, il èst possible de comprendre pourquoi le pôle de la connaissance n'a pasfait I 'objet d'une reconstruction en soi, son identité étant souvent diluée à I'inté-deur des deux autres pôles : celui de l'acteur et celui de la formation.

L'opposition entre éducation et fomation ne foumit cependant qu'uneexplication partielle à cette situation de sous-développement d'une reconstruc-tion théorique du pôle de la connaissance en éducation des adultes. Conment,en effet, concilier ce sous-développement et cette orientation majeure de lapragmatique en éducation des adultes qui, depuis Dewey, tente de prendre encompte l' importarrce du rôle joué par les connaissances scientifiques et tech-niques dans les sociétés modemes ? A notre avis, il faut chercher la réponse àcette question dans la pragmatique elle-même. Pour la pragnatique, les connais-sances valent et signifient dans la mesure où elles sont mobilisées et utilisées parles acteurs pour parvenir à un accord rationnellement motivé. La rationalité aainsi moins à voir avec les connaissances et la production de celles-ci qu'avec laf-açon dont des acteurs capables de parler et d'agir, appliquent ces corrnais-sances. C'est I'usage, ou I'util isation des connaissances, et non la production decelles-ci qui intéresse la pragmatique. Selon Elias et Merriam t19831. Deweyreconnaissait la t'aiblesse de la théorie progressiste dans l'apprentissage d'unematière précise.

L opposition éducation-fbnnation ainsi que I'orientation utilitaire mise enévidence précédemment posent une quest ion imponante : ur)e reconstruct ionpragmatique du pôle de la connaissance est-elle possible ou envisageable enéducation des adultes ? Peut-on ramener les connaissances à I'util isation contin-

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:-'ntc ou relative que l'on en f-ait ' i Ne serait-ce pas plutôt les connaissances qui.,)rtent en elles I'aptitude à fonner parce qu'elles sont cohérentes et univer--.' l les 'l Se pose ainsi le problème de l'existence d'un principe d'universalisa-.,rn dont la pragmatique parviendrait à mieux rendre compte que la cohérence

-:r sciplinaire des connaissances.

Jean Piaget U9701, en examinant les nombreuses prises de position épis--'nrologiques connues, estimait que le travail de reconstruction du pôle de la-.,nnaissance pouvait être ramené à trois positions :

Toute connaissance vient des sens. c'est-à-dire du réel concret des obiets:raténels qui se manifestent à nous par notre perception sensorielle.

Tclute connaissance vient de I'ordre de la raison, d'un sujet pensant qui, lui.cul. peut donner une forme intelligible à cette matière brute qu'est le réel.

Toute connaissance vient d'une construction dialectique d'un sujet interagis-. . r l t t svec un objet.

Selon ces positions, la connaissance est, soit dans I'objet, soit dans le.iriet ou bien dans I'interaction entre les deux. Piaget, fidèle en cela à une épisté-:nologie constructiviste. choisit la troisième position. Les connaissances sontIrour lui le résultat d'une interaction qui ne peut être ramenée ni au sujet ni àl'objet puisque celle-ci modifie les deux.

La positiori piagétienne.repÉsente une avancée théorique irnportante car,i,rrsque I'on met I' interaction de côté, seules deux positions iréconciliablesJcrtieurent: ou bien les connaissances existent a priori, avant toute expérience,.'rrutotbndant dans Ie cogito du sujet (exemple :je pense donc je suis) ; ou bierrlcs connaissances sont enracinées dans des faits observables et elles peuvent.rlors pofier ou revendiquer le statut de scientifiques. La première position, ditekantienne, n'a pu fournir jusqu'à présent une reconstruction convaincante deseompétences a priori du sujet connaissant alors que la seconde, souvent ratta-ehée au phi losophe David Hume, négl ige le fai t que notre percept ion des, faits > est déjà culturellement construite. Piaget, en faisant valoir que leseonnaissances se situent dans l'interaction sujet-objet, apporte donc un éclairager)ouveau et stimulant en regard de ces positions épistémologiques classiques.

Cependant. Piaget ne valor ise que I ' interact ion sujet-objet. C'estd'ailleurs sous cet angle qu'il aborde le rapport sujet-sujet. Ainsi, Piaget ne niepas, comme on le lui reproche souvent, le rapport sujet-sujet, I' interactionsociale. Toutefois, celui-ci aborde I'interaction sociale en faisant des personnesct des objets des composantes équivalentes dans I 'environnement du sujet.L ' interact ion sujet-objet. chez Piaget, se transforme en évoluant vers desniveaux supérieurs. ou stades de développement de plus en plus formels et abs-traits. Le sujet, par des opérations ou des manipulations sur un objet, se construitdes schèmes qui permettent de recueillir. de classer et d'interpréter les informa-tions provenant de I'interaction. Les schèmes se transforment et évoluent, avecl 'âge, pour devenir plus formels et abstrai ts, sorte de structure vide, pourreprendre l'expression de O. Reboul [1980], pemettant de manipuler I'objet

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mentalement en I'isolant de son contexte. Ces schèmes abstraits, ou structuresvides, dépassent la simple manipulation adéquate de I'objet, le savoir-faire, pourfàire accéder le sujet à la compréhension, la forme la plus avancée de I'intelli-gence. Au cours de cette trajectoire développementale, il s'agit toujours d'unsujet interagissant avec les objets qui I'entourent. Piaget secondarise ainsi le rôleet I'importance de la médiation sociale tout au long de ce processus et, partant,I'importance de la culture, de la socialisation, de la communication que d'autresont mise en évidence [Bruner, 1983 ; Vygotsky, 1978]. Ainsi, il est difficilementconcevable, sans médiation sociale, qu'un individu parvienne à lui seul à unepensée conceptuelle qui intègre des connaissances forgées par des sièclesd'argumentations et d'expérimentations.

Poser les connaissances comme étant médiatisées par, dans et pour lacommunication suppose toutefois qu'une telle structure soit capable de suppor-ter un principe d'universalisation qui donne aux concepts une stabilité par-delàles contextes. Autrement dit, comment deux subjectivités qui communiquentpeuvent-elles parvenir à un niveau supérieur de subjectivité, un état réflexifquitranscende en quelque sorte le contexte local de la discussion ? La pragmatiquede Dewey ne peut fburnir de réponse à cette question puisque celui-ci s'inté-resse à l'éducation corrrne une reconstruction de I'expérience, à l'évolution destransactions entre un organisme et son environnement. Pour ce faire, il élaboreune approche inductive qui, s'inspirant de la méthode scientifique, propose unedémarche critique et contrôlée. A terme, cette démarche conduit à un plus grandpluralisme et relativisme social, au développement des individus dans leurpotentiel et leur singularité, mais n'établit pas les bases d'un principe d'univer-salisation.

L'approche pragmatique de Ludwig Wittgenstein tente, de façon plusconvaincante, d'établir un principe d'universalisation à panir de I'interactionsociale. Ainsi, pour Wittgenstein, il est manifeste que I'on peut observer dansles interactions sujet-sujet des régularités comportementales. Les acteurs suiventdes règles et celles-ci, selon Wittgenstein, sont nécessaires à la réussite de toutéchange. Les règles, selon lui, ne sonttributaires d'aucune réalité, pas plus unguide pour I'action. Elles sont des conventions que les humains se donnent. Cesconventions ne sonl ni vraies ni fausses, mais pratiques ou non pratiques. C'estpourquoi nous ne pouvons pas nous en débarrasser arbitrairement. Elles pren-nent un sens à I'intérieur d'une communauté et spécifient ce que celle-ci acceptecoûrme inférence valide. Les règles se forment ainsi, pour Wittgenstein, dans unespace public et servent de critères à ce qui est peftinellt ou non. Ce sont desconventions sociales.

Le conventionalisme de Wittgenstein laisse toutefois la question du prin-cipe d'universalisation entière. En effet, comment expliquer que les acteurssociaux parviennent à un accord sur des règles ou des conventions sociales ?Comment les acteurs peuvent-ils s'assurer mutuellement qu'ils suivent tellerègle et non tel le autre ? D'où vient la force d'obl igat ion des règles ?Wittgenstein fait I 'amalgame rapide entre communiquer et comprendre. La

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, ;rrpréhension est ramenée à un behaviorisme social, aux us et coutumes, à la:.rJition d'une communauté. Un acteur suppose chez I'autre I'existence de':rles auxquelles ils ont besoin mutuellement de croire. Wittgenstein tranche, rrri le cercle herméneutique en faveur des croyances partagées, de Ia perti-:nce, cherchant par là à éviter le recours à I'intentionnalité de l'acteur. Ainsi,:. tbrmes de langage, chez Wittgenstein, correspondent ni plus ni moins aux. 'nnes de vie des acteurs. Comment est-il possible, dès lors, de traduire dans:-': tbrmes de langage cet aspect de la vie sociale où les acteurs s'engagent à:\rpos de I 'avenir ?

Une reconstruction pragmatique du pôle de la connaissance ne peut fairecconomie du second aspect du cercle herméneutique qu'est la compréhension.

.. rnteraction communicationnelle, sujet-sujet, qui permet de médiatiser les- 'nnaissances fait non seulement appel à des croyances partagées, à la perti-' ince, mais aussi suppose une compréhension réciproque, une intercompréhen--r\)n. Un principe d'universalisation pragmatique reposerait sur une compréhen-- ,rn intersubjective qui fait appel à des exigences d'intelligibilité et de validité,,utuelles, c'est-à-dire à une compétence cornrnunicationnelle. Par exemple, les'.rrties qui signent un contrât postulent réciproquement que celui-ci sera res-.'. 'e té même si, ultérieurement, les conditions prévalant lors de la signature-l.lngent. Le lien contractuel vaut malgré des contextes changeants. Il en va derLrme des connaissances qui, elles aussi, offrent une cenaine imperméabilité par'.rpport aux contingences locales. Dans ce sens, les connaissances peuvent pré-rndre à I'universalité. Cependant, tout comme un lien contractuel peut être: )nrpu avec I'accord des parties, le caractère universel d'une connaissance peut,ussi être intersubjectiven'lent remis en cause. Les connaissances n'ont d'exis-:-'nce que dans le dialogue social. Elles surgissent à I'intérieur de communautés,.rncrètes qui, le plus souvent, les reconduiront spontanément dans leur statut.rnil'ersel mais qui, tôt ou tard. les feront aussi descendre de leur piédestal pour:trc réévaluées, voire même rejetées.

Les implications de ce principe d'universalisation pragmatique sontnnpofiantes pour l'éducation des adultes. Ainsi dans la dialectique compétence-irrtinence, entre comprendre et croire, il est possible d'envisager ùn continuum.le pratiques éducatives se rapprochant tantôt de la pertinence, soit I'utilisationJcs connaissances en fonction de contextes précis, tantôt de la compétence, soitla généralisation des connaissances par-delà les contextes et les situations.

Les pratiques de fbrmation dites ( pertinentes " telles que la formation\,vndicale, la fbrmation en entreprise et autres sont davantage évaluables enlbnction des attentes des groupes et des personnes en cause qui anticipent descff'ets ou des impacts contextuels précis provenant de ces activités de formation.Le découpage des connaissances se fait souvent en fonction du problème à solu-tionner, des priorités du groupe, de I'entreprise ou de la personne. Dès lors, ces.ictivités de formation, bien qu'elles s'inscrivent dans un imaginaire social, cou-rent le r isque de ne valoir qu'en fonct ion d'engagements ontologiques (par

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exemple : énranciper les classes populaires) ou épistémiques (par exemple : lecorps et I'esprit fbrment une totalité).

En revanche, les pratiques de formation qui se rapprochent de la << com-pétence > telles que les formations professionnelles ou générales destinées auxadultes se réfèrent davantage à un contexte de justification, à une validationintersubjective. Ainsi, la compétence peut renvoyer à des découpages du mondeen matières, en disciplines ou er) métiers pour lesquels les acteurs peuvent fairevaloir leurs capacités à partir de principes et d'abstractions qui n'apparaissentpas, comme tels, à I'examen d'une situation (par exemple : un diagnostic médi-cal, f identification d'un problème mécanique, I' individualisation d'un ensei-gnement). Lorsque coupées de tout rapport dialectique avec la peftinence, cesactivités de fonnation, bien qu'elles concentrent sur elles l'évolution sociale,courent le risque de se traduire dans un technicisme vide.

Une autre implication, pour l'éducation des adultes, d'un principe d'uni-versalisation pragmatique basé sur Ie dialogue social est que celui-ci perrnetd'introduire une souplesse théorique et pratique là où, auparavant, c'était le cloi-sonnement des genres et des activités qui prévalait. Par exemple, nombre de for-mations professionnelles sont davantage tributaires d'un mode de connaissanceémanant du contact empirique avec un objet, de pratiques concrètes, par opposi-tion à intellectuelles. d'une méthode inductive faite d'essais et eneurs. Parceque ces àpprentissages ne sont pas réalisés selon des préceptes pédagogiquesconstructivistes ou formalistes, faufil les reléguer à un statut théorique infé-rieur ?

En fait, les pratiques de formation apparaissent souvent corrrme un amal-game, un dosage différencié, des trois modes de connaissance identifiés parPiaget. Ces dosages varient selon les matières, les étapes de I'apprentissage, lesstyles et les préférences réciproques du formateur et des apprenants, lescontraintes imposées par la situation ou les programmes. Ainsi, puisque les for-mateurs et les formatrices actualisent leurs compétences en procédant à desmétissages et des bricolages pédagogiques qui peuvent paraître hérétiques dupoint de vue de telle ou telle théorie, une reconstruction pragmatique prenddavantage appui sur ces mêmes compétences pour en comprendre les règles, lesprincipes, les modes d'inférence.

Le principe d'universalisation proposé tient compte de la pluralité despratiques en éducation des adultes tout en maintenant que celles-ci sonl tenues,pour prétendre à une compétence socialement recounue, de se tenir dans unedisponibilité réllexive. Le concept de compétence est ainsi forcément éclaté enéducation des adultes puisque les compétences d'un formateur peuvent faireappel à celles d'trn animateur, à celles d'un enseignant spécialisé en passant parcelles d'un agent de changement. Toutefois, le concept de compétence conserveune unité, une invariance procédurale puisque, malgré des pratiques diversifiées,chaque formateur ou formatrice doit pouvoir produire, au sein d'un espacepublic, les arguments et les raisons qui lui donnent le droit, ou la légitimité,d'intervenir en tant que formateur auprès de quelqu'un d'autre.

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Une dernière implication pour l'éducation des adultes, quant au principe.: universalisation pragmatique proposé ici, conceme les mécanismes de traduc-:')n qui lui sont compatibles. Ainsi, dans la mesure où les connaissances sont

.,1nrenées aux exigences de validité qui surgissent à I'intérieur des interactions,.uotidiennes, il apparaît que ces discussions aujour lejour ne réinventent pas, à- r.rque fois, la roue. Il existe des acquis, des mécanismes de délestage qui accé--'rent la discussion ou I'atteinte d'un résultat en permettant de ne pas refaire le-:rc'rnin que d'autres ont déjà parcouru. De même qu'un biologiste se fie, pour'.rirc ses observations au microscope, à la théorie optique, la formation ne peut:r i-rr.rcer qu'en s'appuyant sur les savoirs antérieurs de I'acteur. Cependant, il.rut constater que, malgré le fait que l'éducation des adultes soit au cæur de la

:'rtrblématique modeme de la traduction, les mécanismes de traduction y sont- ircore peu ou pas développés. Par exemple, il existe encore peu ou pas de pas-..'rclles ou de passages, en éducation des adultes, entre des pratiques de forma-:,rn orientées vers la pertinence et celles qui le sont vers la compétence, entre:rcorie et pratique, entre formation professionnelle et formation générale et ainsi.:. ' suite.

Principe dynamique : adaptabilité ou communication ?

Quel est le principe dynamique ou la finalité, qui met en interaction les.nris pôles mis en évidence précédemment : l'acteur, la formation et la connais-..ince ? Sur ce point, les chercheurs ou les commentateurs de l'éducation des.'.lultes proposent, de façon générale, un principe que I'on peut résumer à un:not : I'adaptation. Ainsi, l'éducation des adultes est souvent conçue sur le mode.i'une croissance, entendue comrne I'adaptation de plus en plus performante à.rn environnement changeant, ou encore comme une forme de socialisation,.'est-à-dire une adaptation aux contraintes d'une société qui est déjà là. Lesne.trulève, en revanche, la possibilité que cette adaptation soit active, notammentlorsque les acteurs deviennent agents de changement, producteurs de nouvellesjontraintes auxquelles d'autres devront, à leur tour, s'adapter.

Cette tournure active de l'adaptation est développée par A. Tough car,pour celui-ci, l'éducation des adultes part toujours d'un problème ou d'une res-lronsabilité, à tout le moins d'une question que se pose un adulte. M. Knowlesi 19781 reprend cette proposition de Tough en caractérisant I'apprentissage adulteeornme étant, à la base, orienté vers la résolution de problèmes Qtroblem-cente-red orientation). De même pour P. Lengrand U915), ce qui différencie un jeuneti'un adulte c'est que ce dernier a, en tête, implicitement ou explicitement, unequestion. Plus encore, H.W. Stubblefield [1981] propose que la finalité majeurede l'éducation des adultes soit I 'accomplissement de la vie (life fulfil lment)puisque les adultes n'apprennent et ne retiennent que ce qui a un sens pour eux.L'éducation des adultes doit être, selon lui, ce que les adultes en font. En consé-quence, l'éducation des adultes devrait être basée sur une psychosociologie de

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l 'état adulte (adulthood), valoriser I'auto-apprentissage comme processusmenant à la création de connaissances utiles et favoriser l'acquisition de com-pétences qui permettront aux adultes de collaborer à l'émergence d'un mondeplus démocratique.

Ainsi, dans I'ensemble, l'éducation des adultes fait de I'adaptation sonprincipe dynamique, tantôt accordant à l'acteur la capacité quasi illimitée decréer des significations, de construire son autonomie, de réinterpréter lescontraintes qui I'entourent ou bien, à I'opposé, faisant de celui-ci un simplereflet de sa situation sociale qu'il intériorise. Notons que la conception deI'acteur comme agent il l imité de sa propre formation est, en éducation desadultes, plus répandue que la conception culturaliste où l'acteur s'adapte auxrègles sociales, à la place que lui réserve un changement social sur lequel il n'apas de contrôle.

Entre une adaptation passive où l'acteur trouve devant lui un systèmequasi immuable et une adaptation active où l'acteur invente sa réalité il y a, biensûr, place pour une position dialectique, déjà énoncée, où I'acteur est à la foisproduit et producteur de sa société. Cependant, les positions adaptationnistes,qu'elles soient passives ou actives, en reviennent à organiser, à partir du pôle deI'acteur, ce qui dynamise l'éducation des adultes dans son ensemble. Il y a là unhumanisme qui, tantôt insiste sur l'élévation du niveau de conscience, tantôt surle changement social comme moyens d'émancipation personnelle ou collective.Sans nier ces aspects dynamiques propres au pôle de l'acteur, une dynamiqued'ensemble de l'éducation des adultes devrait tenir en équilibre les trois pôlesidentifiés. Seule la communication possède cette capacité.

La communicat ion rappel le qu'un acteur dialogue avec quelqu'und'autre, avec le passé, la culture et le savoir-faire accumulés par ceux qui I'ontprécédé, et avec I'avenir, c'est-à-dire les formes de vie qu'il peut projeterouanticiper avec d'autres. De même, Ies connaissances surgissent et s'installentdans cet espace de communication. Elles s'installent à I' intérieur d'un cercleherméneutique soumis à une tension dialectique entre compétence et pertinence.Cependant, le pôle de la connaissance ne peut, à lui seul, dynamiser I'ensemblede l'éducation des adultes. La dialectique compétence-pertinence ne peut seréduire à une simple dynamique autoréférentielle. Le cercle hennéneutique doitpouvoir être brisé, subir des ruptures qui puissent être refermées et réconciliéespar une formation qui favorise I'appropriation, une intégration de ce qui est nonfamilier, un agrandissement ou une redéfinition de I'espace de communication.En même temps, cette formation, à son tour, ne peut s'autofonder puisqu'ellesuscite une différenciation accrue des pratiques qui à leur tour feront surgir denouvelles questions, de nouveaux problèmes et de nouvelles appréciations éva-luatives des pratiques sociales.

La dynamique de l'éducation des adultes s'inscrit dans un espace decommunication qui se construit à partir d'une tension dialectique entre compé-tence et pertinence. L'éducation des adultes apparaît dans cette perspective,comme une façon d'accroître la réciprocité dans les échanges sociaux, que ce

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r'rt €ntre les hommes et les femmes, dans les relations nord-sud, école-entre-.':r5e, chercheurs-praticiens, parents-enfants, employés-cadres et ainsi de suite.- ciducation des adultes se présente, dans ce sens, corrrme un puissant outil per-.:rcttant des gains rationnels, créatifs, réflexifs et constitutifs, notamment

,rsqu'elle favorise de nouvelles formes de validité intersubjective, de nouveaux- ,nsensus sociaux. Elle est aussi, dans certains contextes, un outil de déstabili.-rtion faisant apparaître un Autre de la raison, déracinant de fausses sécurités et-'\ conceptions fragiles sur lesquelles reposent souvent des pratiques sociales-ri s'estiment légitimes. Bref, l'éducation des adultes contribue directement à'rnrrovation

sociale en favorisant l'émergence et la sélection des modes de pen--ce et d'action susceptibles de répondre aux défis de notre temps.

Vers une modélisationdu transfert de connaissances

La problématique de la traduction introduite à la section précédente per-'rrct d'attirer I'attention sur un aspect important : le transfert de connaissances.Dans l'étude du transfert, l'enjeu est d'abord la reconstruction d'une compé-cnce de l'activité humaine. Ce serait d'ailleurs là la compétence la plus impor-:.rr)te que I'on puisse posséder [Kirby, 19'79].

La question du transfert se pose dans le contexte de la place centrale,lu'occupent dorénavant les connaissances dans les sociétés modernes. Cette.iuestion met en perspective I'util isation que les acteurs font des connaissances.lcquises par voie d'apprentissage. Ainsi, notre étude s'intéresse plus spécifique-nrcnt aux modes d'appropriation et de transformation par lesquels les acteursJéploient de nouvelles connaissances dans leurs pratiques sociales. Il s'agit làJ'un aspect parliculier de la dynamique du triangle interprétatif comprenant lespôles de la connaissance, de la formation et de l'acteur, Le transfeft ne peut êtreiarnené à la seule formation même si celle-cijoue un rôle important. De même,'nien que le transferl soit une compétence de I'acteur, il faut noter que cette com-pétence prend forme et s'actualise dans un contexte interactionnel qui comporteJes dimensions objectives, subjectives et normatives. Pas plus, le transfert nepcut être confondu avec le seul pôle de la connaissance. Comme cela a déjà étérnentionné, ce n'est pas le problème d'une connaissance que d'être utilisée ounon, mais celui de personnes, de groupes ou d'entreprises qui investissenttemps, argent, af fect iv i té dans I 'appropriat ion de cel le-ci . Le transfert deconnaissances se conçoit, dans cette optique, davantage comme un processusd'appropriation et de transformation socialement construit.

L étude du transfen de connaissances, en tant que processus, se prête bienà une modélisation. Un modèle comprend, en effet, une composante descriptive,

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ou scénique, et une composante dynamique ou cinétique [Thom, 19721. Cesdeux composantes perrnettent à la fois de décrire, de façon statique, les facteurset les variables qui agissent lors du transfert de connaissances et de les observer,de façon dynamique, dans leurs interrelations parfois synergiques. Il s'agit doncde modéliser le transfert de connaissances en mettant en évidence les compo-santes scéniques et cinétiques de celui-ci.

La première sous-section est consacrée à l'examen de I'architecture dumodèle, tandis que la seconde expose ceftains concepts qui permettent de retenirune fonction interprétati ve.

L'architecture du modèle

Les définitions les plus courantes [Legendre, 1988 ; Mialaret, 1990] queles ouvrages de références en sciences sociales véhiculent à propos de la notionde modèle sont les suivantes : représentation abstraite, idéale, mathématique ousymbolique, de la réalité ; processus d'abstraction qui, en ne retenant que cer-tains paramètres, conlribue à représenter une réalité, toujours complexe, d'unefàçon plus simple.

La notion de modèle n'a donc pas une acception unrque. D'ailleurs,plusieurs termes témoignent de la pluralité d'usages que I'on fait des modèlesen sciences : images, représentations, analogies, métaphores, schèmes, struc-tures. De même, certains auteurs situent la notion de modèle au niveau d'uncadre d'analyse [De Bruyne, Herman, De Schoutheete, 19'74), considérantqu'un modèle n'est intelligible qu'en fonction d'une théorie préalable, alorsque d'autres [Le Moigne, 19] ' l ; Ouel let , 19811 ut i l isent la not ion de modèlecomme un substitut au concept < impérialiste > de théorie, concevant laconnaissance comme un acte de perception, une métaphore sur le réel dontla modélisation rend compte. Par rapport à ces positions, Ia problématique dela traduct ion inaugure une trois ième voie. Ainsi , le < perçu > est déjàconstruit par des siècles d'argumentation et d'expérimentation. Les théoriesse présentent en couches sédimentées à travers lesquelles nous percevons etdialoguons, le plus souvent sans trop nous en apercevoir. Un modèle n'a pasà sa disposition des données brutes qui seraient exemptes de théories. Enmême temps, un modèle affiche aussi une certaine autonomie à l'égard dethéories formelles déjà constituées. Dans ce sens, un modèle interprétatif doittenir compte de la pluralité des interprétations sans y rechercher une cohé-rence forte a priori, des lois ou des propriétés, mais davantage une cohérencefaible exprirnant une rationalité qui, par ajustements successifs ou profbndesremises en question, est en continuel devenir.

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A. Ouellet tl98ll signale i'existence de trois types de modèles en éduca-lr. à savoir :

.cs rnodèles découlant des sciences naturelles :

- . r : modèles humanistes ;' ics modèles cybernétiques. Ouellet propose, à son touL une modélisation de.rc systémique qui intègre, à la fois. I'aspect rationnel des modèles s'inspirant.J. sciences naturel les, la composante compréhensive, ou percept ive, des.,,dèles humanistes ainsi que le caractère fonctionnel des modèles cyberné--;ucs. Pour ce faire, il se rélère abondamment à un ouvrage de J.-L. Le Moigne)171, In théorie du s1,s72vn, général, théorie de la modélisation, qui a reçu. en

--:cnces de l'éducation, une audience certaine. Il faut noter que la modélisation- ' . sciences de l 'éducat ion est encore, à I 'heure actuel le, largement sous

:rlluence de I'approche systémique.

L'architecture méthodologique du modèle du transfert de connaissances- i ' l 'ésente de Ia façon suivante :

ll s'agit d'un modèle ouven. Ainsi, bien que le modèle puisse utiliser des prin-- i'cs de la cybemétique tels que la rétroaction, il se distingue de celle-ci en ce.r'ns qu'il autorise I'ajout ou la modification de paramètres.

ll s'agit donc d'un rnodèle de changement, ou de transformation. C'est dire.r'i l existe un état initial que la formation vient transforrner avec I'aide de

- ,nnaissances.

l-u' changement peut provenir d'une nécessaire adaptation à un environnement-:r ér,olution rapide mais aussi de la projection d'un état idéal recherché par une'r-'r'sonne, un groupe ou un collectif.

L-e type de changement. ou de transformation, visé par la formation se traduit:' 'rur les personnes, les groupes ou les collectifs en gains rationnels, créatifs,-'tlexifs ou constitutifs.

Le niveau de changernent, ou de transformation, atteint par la formation peutJrfe modeste ou d'envergure. Lorsque le niveau de changement recherché est-i e nvergure, le modèle sera alors pleinement utilisé. En revanche, lorsqu'il. agit de changernents plus modestes, le modèle se prête à certains mécanismesJc délestage.- Le modèle favorise une stratégie de changement ou de transformation, basée:ur la médiation sociale. Les agents de formation sont ici investis du rôle dernédiateurs, c'est-à-dire de personnes pouvant d'une part accompagner des.rdultes dans leur apprentissage et, d'autre part, voir à la mise en place de condi-tiorrs pour un transfert réussi (par exemple : suivi, coaching, identification.i' obstacles organisationnels...).- La médiation sociale. corilne stratégie de changement. encadre un schèmed'action qui se présente, entre autres, comme le lieu d'ancrage du changement..Àutrement dit, ce sont en définitive les personnes, les groupes ou les collectifs

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qui adoptent, ou rejettent, le changement proposé. Le succès ou l'échec dutransfert de connaissances sera, en bonne partie, attribuable à ce schèmed'action.- Il s'agit d'un modèle pragmatique. En ce sens, ce modèle s'intéresse davan-tage à la diffusion et à I'utilisation des connaissances qu'à leur production.- Finalement, le mode de planification du modèle suppose la constitution d'unétat in i t ia l ( temps 0) que l 'on peut, par la sui te, suivre indéf iniment(temps, 1,2,3..., n) selon l'ampleur que I'on donne à I'analyse. Evidemment, lesuivi du transfert fait intervenir, au fur et à mesure que l'on avance dans letemps, un phénomène de < contamination >, des variables où, par exemple, ildevient de plus en plus difficile d'attribuer à la seule formation les résultatsobservés.

Les concepts du modèle : compétence, peÉinence, savoirs,intentionnalité. contexte et identité

L emploi de certains concepts qui serviront d'outils dans la constructiond'un modèle du transfert de connaissances mérite d'être précisé. Ces conceptsont tous déjà été introduits dans les pages qui précèdent. Ils ont été utilisés,jusqu'à présent, de façon impressionniste. Il s'agit ici de systématiser et formali-ser davantage I'utilisation de ces terrnes, notamment, dans la mesure du pos-sible, en fonction de I'emploi que l'on en fait en formation. Il ne s'agit pas deproposer des < définitions > car, comme le souligne à juste titre Karl Popper|919), une définition utilise toujours des termes eux-mêmes non définis. Cesconcepts sont abordés du point de vue de leur vraisemblance, c'est-à-dire d'unemploi relativement formalisé qui puisse donner prise à une discussion ou à uneévaluation critique. Dans cette perspective, six concepts sont examinés, soitceux de compétence, de pertinence, de savoir, d'intentionnalité, de contexte etd'identité sociale.

Compétence

Legendre, dans son Dictionnaire actuel de l'éducation [1988], définit lacompétence comme l'<< hnbileté acquise, grâce à I'assimilation de connaissancespertinentes et à l'expérience, qui consiste à circonscrire et à résoudre des pro-blèmes spécifiques >. Cette définition se rapproche des propos de J.-S. Bruneri1983] pour qui la compétence est davantage un < savoir comment ,r qu'un< savoir que > qui suppose trois choses : que I'on soit capable de sélectionnerdans la totalité de I'environnement les éléments qui apportent I' informationnécessaire pour fixer une ligne d'action ; que, ayant défini une Ligne d'action,on puisse mettre en ceuvre une séquence de mouvements, ou d'activités, per-mettant la réalisation de I'objectif que I'on s'est fixé ; et que ce que I'on a appris

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.- .cs réussites ou de ses échecs soit pris en compte dans la définition de nou-- ru\ projets. Enfin, à cette < famille > de définitions opératoires, ou fonction--.le s. de la compétence peut être ajoutée celle que propose A. Chéné t19801.

-rr celle-ci la compétence est la capacité personnelle de remplir un rôle, une:retion ou une tâche selon des critères de performance établis. Notons que la..part des programmes nord-américains d'éducation des adultes basés sur la

. :npÉtence (CBAE ou Competency Based Adult Education) de type habiletés.: rie (life skills) ou proposant I'atteinte de niveaux de performance (APL,, lalt Performance Level) s'inspirent de ces définitions fonctionnelles de la. nrpétence.

Même s'il s'agit là de définitions fonctionnelles ou béhaviorales de la. ;npétence, elles indiquent que ce concept est davantage < spatial > que << tem-. rc-l >. Les médecins du malade imaginaire de Molière sont << compétents >> de. :nême façon que le sont nos médecins d'aujourd'hui. Toutefois, si I'on pou-,,t mettre en présence les uns avec les autres, à travers le temps, ceux-ci et

.. .rr-là auraient probablement de la difficulté à admettre qu'ils appartiennent à. nême profession. La compétence est une construction discursive qui se tient

ur légitime à une époque déterminée, notamment en se proposant comme,:.rentiel, par exemple en < imposant >) sa logique aux pratiques sociales qui-.cvent de celle-ci.

Il existe aussi d'autres emplois du terme compétence en éducation. Ainsi,:rqu'il s'agit d'une fonction, la compétence désigne alors les qualités qui ren-

,-.nt apte une personrle à exercer cette fonction. Sous I'angle du droit, la compé--:rce désigne le pouvoir reconnu de poser des actes spécifiques. Du côté de la:r:ruistique, la compétence est, selon N. Chomsky, la connaissance innée queut sujet possède de sa langue. C'est en s'inspirant de cette perspective chom-

.ricnne que O. Reboul tl980l voit la compétence comme < la possibilité, dans,' rùspect des règles d'un code, de produire librement un nombre indéfini de:.,.rtbrmances imprévisibles, mais cohérentes entre elles et adaptées à la situa-

'n o. Cependant, contrairement à Chomsky, Reboul valorise les origines juri-:..1ues du terme compétence en y voyant le droit de poser certains actes avec..rtorité (par exen-rple : poser un acte médical, enseigner). Reboul associe ainsi: eompétence à un magistère, une autor i té morale ou intel lectuel le, qui

- urpose de façon absolue. Cette position idéaliste de Reboul s'associe toute-,r: ffiâl avec les révisions périodiques dont les compétences font I'objet.

La conception que C. Argyris et ses collègues [1985] ont de la compétence.c confbnd, jusqu'à un certain point, avec celle de Reboul en la resituant toutefois.irrns une perspective normative. Pour Argyris et ses collègues, en effet, compé-;rrce et justice sont des concepts très près I'un de l'autre. Les deux impliquent

,i'ailleurs, selon eux, la notion de rationalité. La compétence est ici associée à un:rr)Llvoir-de-faire (et de refaire...), dans des conditions ou des situations sem-.lables, les mêmes actes. Ainsi quelle différence y a-t-il entre quelqu'un qui ne.lit pas lire et ne lit pas et quelqu'un qui sait lire et ne lit pas ? Dans un cas conxneJans I'autre il est tout aussi difficile de parler de compétence en lecture. La com-

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pétence est donc un < pouvoir > et un < vouloir > qui se traduit dans I'action. Cepouvoir-vouloir est associé. pour les tenants de la praxéologie, à la capacité prag-rnatique de juger les actes dans leurs conséquences. Ainsi, une incompétencepeut être ident i f iée lorsqu' i l y a des conséquences contreproduct ives oucontraires à de bonnes raisons. La compétence suppose donc, pour la science deI'action, que les actes soient informés par des connaissances valides. La validitéétant, au sens de Argyris et ses collègues, une construction intersubjective, lacompétence prend un caractère stable, susceptible de révision, mais non pas ab-solu comme Reboul le propose. Ce dernier point est important car, selon Argyriset ses collègues, l'écart que I'on constate souvent entre la théorie et I'action amoins à voir avec les compétences des individus qu'avec les schèmes d'actionqui informent leurs façons de penser et d'agir.

La compétence confère ainsi un pouvoir d'intervention, souvent dans lavie de quelqu'un d'autre, qui puise sa source dans une forme de légitimité inter-subjective. Ainsi un dentiste pose certains actes dans sa spécialité et non pasdans celle d'un mécanicien ou d'un ingénieur. La société thématise, en quelquesorte, dégage des contextes de compétences, ce qui n'exclut pas, à I'occasion,l'émergence de zones grises (par exemple : entre médecines traditionnelles etmédecines douces). Ainsi, bien que la compétence soit associée à la personneou au groupe professionnel, elle implique toujours un accord, voire un pactesocial : celui qui dit posséder une compétence et celui qui reconnaît que cettepersonnè la possède effectivement. L acteur compétent est, implicitement, uncollectif. C'est ce caractère social, plus précisément dialogique, de la compé-tence qui perrnet d'ailleurs d'étendre ce concept à des entreprises (par exemple :un capital de compétence), à des lieux géographiques (par exemple : la SilliconeValley pour I' informatique, la Bourgogne pour les vins), à des époques (parexemple : Venise au xIVe siècle) et plus récemment, comme le proposeMichel Senes Il990l, à nos rapports avec la nature. La compétence se pré-sente donc corlrme une rtconstruction formelle de procédés d'objectivationprésents au sein de schèmes d'action, c'est-à-dire de capacités qui consis-tent à sélectionner, à fédérer et à appliquer à une situation, des connais-sânces, des habiletés et des comportements.

La reconstruction des compétencespar l'établissement de profils de compétences

L'approche par profil de compétences est de plus en plus répandue en formationcontinue. Dans cette approche, chaque cours correspond à une compétence àacquérir. Chaque compétence du profil se définit pil un objectif terminal, parexemple une tâche à accomplir dans le travail, conduisant à un ensemble de per-fbrmances que la personne formée sera capable d'accomplir à la fin du cours.Ces performances impliquent, à leur tour, la maîtrise, à des degrés divers, deconnaissances, d'habiletés et de comportements. En tout, quatre étapes permet-tent de définir un profil de compétences.

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i-.r première étape consiste à procéder à une étude préliminaire de la situation de:r.n'ail à analyser. Un contact de partenariat s'établit alors avec I'organisme com-:rianditaire, par exemple une entreprise. La mission de cet organisme est alors;)nse en compte, de même que ses objectifs stratégiques ainsi que l 'évolutionr,révisible de la profession à l'étude. Cette étape permet alors de tracer les limitesic la situation de travail de la profession.

[-l seconde étape permet de faire I'analyse de la situation de travail. Cette ana-irse se fait généralement à partir d'un protocole d'entrevue à partir duquel,Jurant une session de trois jours, les spécialistes du domaine visé sont convo-qués. Ceux-ci donnent alors des informations détaillées sur les responsabilités,iç's rôles, les tâches et les opérations à exercer, les connaissances, les habiletés et,ù5 comportements nécessaires, les processus de travail et les critères de perfor-:nances. Cette étape donne lieu à la rédaction d'un rapport d'analyse de la situa-:rr)n de travail.

l-a troisième étape consiste à ûacer les lignes d'un projet de programme de for-rrration dans lequel la définition des buts et des compétences à développer seraralidée par les spécialistes ayant pafiicipé à I'analyse de la situation de travail.l-e programme présente le profil de compétences à développer, précise I'objectifrénéral de la formation et identifie, pour chaque compétence, un objectif termi-nal approprié, c'est-à-dire la capacité recherchée (par exemple : à la fin de cernodule vous serez capable de...).

Lors de la quatrième étape on passe à la définition des objectifs terminaux. Ainsi,la procédure mise en place à I'étape précédente a le mérite de faciliter la rédac-tron des objectifs intermédiaires, ceux qui se situent entre I'objectif général et les.rbjectifs terminaux, en permettant d'identiher les séquences d'apprentissage, lescttapes à maîtriser avant d'atteindre un objectif terminal. De plus, les objectifsrntemédiaires préciseront le contexte de réalisation des apprentissages ainsi queles critères de performance qui permettront de mesurer I'atteinte des objectifsr isés. Cette façon de faire permet aussi une approche modulaire de la formationqui offre l'avantage, ensuite, lors de I'implantation du programme, d'offrir auxadultes les modules nécessaires à leur formation.

Pertinence

Le concept de pertinence est, en sciences de l'éducation, beaucoup moins.jtudié que ne I'est celui de compétence. Legendre t19881 parle de la pertinencee olntne d'un .. degré de lien significatif entre les résultats obtenus et les besoinsti satisfoire ou entre les objectifs poursuivis et les besoins à satisfaire >. Il situedans la mouvance du concept de pertinence des termes tels que économie, effi-cacité, efficience, impact et performance. Comme pour la compétence,Legendre définit le concept de pertinence dans I'optique d'un rapport moyens-trns. Que la pertinence implique un < rapport à " quelque chose, cela va de soi.Ce serait cependant réduire la portée de ce concept que d'en faire seulement unindice de performance ou d'efficacité, bien que ce soit là une des formes quepeut prendre la peftinence.

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Legendre, en abordant la notion de lien significatif entre deux occurrenceséloignées dans le temps, soit entre les résultats obtenus et les besoins à satisfaire,permet de mettre en évidence que Ia pertinence, contrairement à la compétence,est davantage un concept < temporel >) que < spatial >. La pertinence recherche,en effet, une continuité, un sens, dans les événements. Elle permet de ramenerune foule d'événements, souvent disparates, autour d'une même signification.Ainsi, parlera-t-on de << l'ère spatiale ,r, des .. trente glorieusesS rr, de la <. révo-lution informatique >> pour proposer une signification commune, un ancragesymbolique, à des événements qui surviennent ici et là. La pertinence cherche àinstaller les événements dans un parcours biographique qui soit intelligible, quiait un sens, c'est-à-dire qui favorise la dramatisation des oppositions et qui pri-vilégie les investissements symboliques. Ce faisant, la pertinence réagit davan-tage que la compétence aux préférences et aux prejudices d'une époque. Ainsi,par exemple, le personnage de Jeanne d'Arc fut tantôt décrié, tantôt glorifié,selon les régimes politiques que la France s'est donnés. Quoi qu'il en soit, lapertinence intériorise le recours à un imaginaire, à des figures mythiques etmétaphoriques qui permettent aux acteurs, à une société, de mobiliser leurs res-sources dans une direction donnée.

Les auteurs P Berger et T. Luckmann [1986] ont développé, dans le cadred'une sociologie de la connaissance, la notion de ., structures de perlinerrce >. Lesstructures de pefiinence indiquent les horizons ou les frontières que les acteurs par-tagent en comnun. Ces horizons sont fluctuants dans la mesure où la pertinence ap-pelle toujours un déioupage du monde, un contexte. Ce découpage se déplace avecles intérêts ou les dispositions des acteurs, indiquant ce qui est pertinent, rejetant cequi I'est moins. Par exemple, les remarques trop rapides de quelqu'un qui se joint àune conversation sont souventjugées non pertinentes puisque celui-ci n'a pas prisle temps d'intérioriser le découpage thématique déjà opéré par les participants ini-tiaux. De même, les inteqprétations pertinentes auxquelles se livrent des personnessont dépendantes de la réserve de savoir que celles-ci ont à leur disposition. Unenouvelle connaissance qui s'ajoute et s'intègre au monde vécu des acteurs peutainsi provoquer un déplacement des horizons, modifier les schèmes d'interpréta-tions que possèdent ceux-ci. Ce qui était auparavant. pertinent ne I'est plus. La per-tinence apparaît ici, encore une fois, comme un concept articulé dans le temps, dé-pendant d'une situation présente, d'une mémoire faite de traces et d'attentes ainsique de projections ou d'anticipations.

Dans une perspective différente, D, Sperber et D. Wilson tl986l ont pro-posé, dans la foulée du modèle communicationnel coopératif de P Grice, de fairedu concept de perlinence un élément central des programmes de recherches quitentent de rapprocher communication et cognition, par exemple l'intelligence ar-tificielle. Pour Sperber et Wilson, I'activité cognitive est finalisée puisque I'atten-tion humaine se pofte davantage sur les informations et les connaissances qui ap

3. Nom qu'on donne fréquemment aux trente années d'après guene (1945-1975). Ces années ontété l'occasion d'un essor dérnographique, économique, social et culturel sans précédent dansI'histoire des sociétés modemes.

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.,raissent pertinentes. C'est là une thèse répandue en éducation des adultes selon'quelle les adultes ne retiennent que les connaissances et les informations qui leur

- irtpertinentes.CequeSperberetWilsonajoutentàcettethèsec'estuneformali-..:tror âccflre du concept de pertinence et une modélisation cognitive de celui-ci.'r'ux-ci

considèrent qu'une connaissance (assumption) est pertinente dans un- 'ntexte < si et seulement si > cette connaissance a quelques effets significatifs-.,nS ce contexte. Sperber et Wilson ajoutent à cette définition initiale deux consi--:'rations, I'une portant sur I'idée de degré ou niveau de pertinence (une connais-..:r)Ce pouvillt avoir un effet contextuel nul, minime ou considérable), et I'autre.'.,rtant sur I'idée d'effort qu'il faut mettre pour s'approprier une connaissance- ,nlpte tenu des effets que I'on en attend. Ainsi, pour Sperber et Wilson, la perti-. -'nce n'est pas seulement un concept catégoriel (si et seulement si) mais aussi, et. .. rtout, un concept comparatif (degré et effort).

À partir de cette définition, et de ses extensions, Sperber et Wilson proposenr.:r rnodèle de la communication humaine se basant sur ce qu'ils appellent le prin-- :irc de pertinence, à savoir que tout acte ostensible de communication véhicule la':Lrsomption optimrùe de sa propre pertinence. Autrement dit, lorsque je corrrmu-.tlue âvec quelqu'un d'autre, je cherche à modifier, à I'aide de stimuli verbaux

...rc j'estime pertinents, I'environnement cognitif de mon auditeur de façon à ce,rc celui-ci accepte de traiter adéquatement ce dont je lui fais part. De façon évi-

.:rnte. Sperber et.W'ilson reconnaissent qu'il s'agit là d'un principe idéal, néces-

..rire, qui rencontre toutefois, en pratique, des ratés et des approximations.

L'approche de Berger et Luckmann et celle de Sperber et Wilson apparais-.-'nt complémentaircs I'une de I'autre. Ainsi, Sperber et Wilson focalisent sur le:'rocessus de saisie et de traitement à I'intérieur de la communication humaine.r lorS QUê Berger et Luckmann s'at tachent au rôle de la pert inence dans la-, )nstruction sociale de la réalité. Dans l'approche de Berger et Luckmann ce sontr: conditions d'existence et les intentions des acteurs qui se cristallisent sous: . , rrne de critères de pertinence. Sperber et Mlson se rapprochent quant à eux da-'.lntage d'une analyse microsociale sur la façon dont la pertinence se manifeste.i.rrrs une communication quotidienne : rythme, momentunl, modulation, intona-:l()r). pause, ouverture et fermeture de discussions et autres. Par exemple, en for-:riation, une information apportée < au bon moment o s'avérera peftinente et tom-ncra à plat à d'autres moments. De même, il suffirad'un événement percutant, parrremple une guerre, pour que certaines notions géopolitiques et stratégiques de-r iennent plus < faciles ,' à enseigner. Le concept de pertinence de Sperber et\\'ilson permet ainsi de jeter un regard neuf surdes phénomènes tels que I'humour,l' ironie, le style, les métaphores, les présuppositions et les implications quijouent,'clon toute probabilité, un rôle imporlant dans la saisie et Ie traitement de nou-r elles connaissances. Ce sont là des considérations qui se rapprochent davantaget1'une pratique au jour le jour de la formation. Cependant, la formation s'intéresseruussi à une pertinence plus macrosociale et moins anonyme que ceile de Sperberct Wilson. Les acteurs en formation analysent les connaissances sous I'angle del'lmpact qu'elles auront sur leur monde familier.

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En formation continue, la pertinence se présente comme une refor-mulation des procédés d'ancrage présents au sein de schème d'action,c'est-à-dire des mécanismes par lesquels s'élaborent des conduites et desrapports sociaux, porteurs de signification pour I'action. Dans une forma-tion pertinente se créeraient des significations et des interprétations des événe-ments en vue d'un engagement.

Un terrain privilégié de la pertinence :l'évaluation des programmes de formation continue

Les pratiques évaluatives doivent être distinguées, selon J. Ardoino, des pratiques decontrôle. Ainsi, alors que le contrôle consiste à vérifier la conformité des apprentis-sages effectués par rapport à une norrne préétablie, l'évaluation quant à elle re-cherche davantage la valeur et le sens de I'activité de formation, bref sa pertinence.L évaluation comprise de cette façon devient un processus continu qui s'intéresseaux effets et aux impacts de la fbrmation sur lesquels un jugement est porté à partird'un référentiel de valeurs qui se construit dans I'action et qui évolue avec elle.

Une activité de formation continue peut être analysée à plusieurs niveaux. Il y al'évaluation des apprentissages, qui peut se résumer à un simple contrôle mais aussiexplorer diverses facettes de la relation pédagogique, les méthodes d'enseigne-ment, le rythme et le style d'apprentissage. Il y a l'évaluation de I'activité de fbr-mation olle-même, où l'on recueille la perception des participants quant à I'accueil,aux diverses modalités de déroulement (animation, gestion du temps, organisa-tion...), aux résultats atteints, à la satisfaction personnelle. I l y a aussi I 'évaluationdes résultats de la formation sur le terrain, qui, encore ici, peut se limiter à I'obser-vation de compétences attendues mais aussi mener à la consffuction de nouveauxrappofts de sens négociés à partir d'attentes réciproques et relativement consen-suelles (à tout le nroins sans objections majeures). Finalement, il y a l'évaluationd'impacts qui pemret d'établir un rapprochement entre I'activité de formation et lesrésultats opérationnels désirés par I'organisation (par exemple : meilleur rende-ment. meilleure qualité, réduction du gaspillage, réduction des délais, satisfactionaccrue des clients internes et externes, baisse du taux d'absentéisme...).

L'évaluation comprise comme une forme de pertinence a aussi pour effet dechanger la perception que I 'on entretient à l 'égard de ce mot chargé de senscaché et, avouons-le, menaçant. L évaluation se présente ainsi davantage commeun moyen d'atteindre un résultat que comme une finalité ou une sanction. Ce quilàit sens car, quelle organisation se contenterait de constater qu'elle n'a atteintque la moitié ou le tiers des objectifs de son prograrrune de formation ? L)éva-luation est, dans un contexte d'amélioration, un moyen de vérif ier le chenrin par-couru et d'identif ler celui qu'i l reste à faire. Ce type d'évaluation ne craint doncpas la contaminat ion des var iables car e l le ne souf f re pas du syndrome deI'objectivité. Elle s'apparente davantage à une démarche subjective rigoureuse oùI' interprétation, basée sur des mesures simples et consensuelles, joue un rôleproactif dans I'atteinte des objectifs terminaux. Autrement dit, dans cette optique.la meilleure évaluation sera toujours celle qui permet de constater que tous lesobjectifs de formation sont atteints et même au-delà. L évaluation joue ici un rôleconstitutifet non Das sélectif.

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De nombreux travaux théoriques ont posé un regard interprétatif de plus. plus profond sur les savoirs liés à la pratique [Polanyi, 1958 ; Perrenoud,',-6 ; Bourdieu, 1980 ; Kennedy, 1983 ; Lesne, 1984 ; Argyris, Putnam et

'.1i Clain Smith, 1985 ; Schôn,1987 ; Malglaive, 19901. Ainsi, des expressions:. ics que < savoir pratique >, < théorie pratique >, < savoir tacite >, ( savoir en...r{e >, << craft knowledge >> << working knowledge >> et autres tendent à mon-:-'r que les savoirs de I'acteur se présentent en une totalité constituée de, ,nnaissances déclaratives (par exemple scientifiques) et procédurales (par- \.rnple techniques), de savoirs politico-relationnels (tels les énoncés reliés à:r \tatut, les activités stratégiques), de savoirs pratiques directement reliés à-rction et à son dérouiement (enchaînement des causes et des effets), de

-.,roir-faire mobilisés spontanément pour se tirer d'affaire dans une situation':,rblf6u1ique (par exemple : les << trucs >) du métiel le triangle 3-4-5 des-cnuisiers), de savoir-être favorisant certaines dispositions et attitudes adap-

,'c: à I'exécution de cenaines tâches (par exemple : écoute, ouverture d'esprit).';'\ savoirs constituent la trame à partir de laquelle les acteurs peuvent penser

-: rrgir dans un monde expérimenté quotidiennement. Par exemple, la saisie et,' traitement d'un sirnple énoncé prescriptif qu'un patient reçoit de son rnéde-,:n tel que .. fumez moins > repose, implicitement ou explicitement, sur un:,,rdèle d'interpretation pratique fait de connaissances scientifiques (ici la cor-,' lation entre le tabagisme et divers indicateurs de santé), d'une compréhension

-:Li rôle social joué par le locuteur (ici la crédibilité attribuée au médecin), de.rpports de causaiité expérimentés (influence du nombre de cigarettes sur le

-,,nrrneil ou l'appétit) ou transmis (éducation-santé faite par les médias), de dis-:rrsitious socio-affectives (ouverture au changement, mode de vie du réseau-i'rlppaftenance) et autres.

Quatre caractéristiques encadrent ces savoirs : ils émergent, le plus sou-. crrt. de I'expérience pratique ; ils sont largement partagés au sein d'une com-:rrunauté d'appartenance ; ils sont sensibles au contexte local dans lequel se.lciloulent les activités d'intervention ou de communication ; et ils sont de nature.orrpréhensive, c'est-à-dire qu'ils permettent, implicitement ou explicitement,.i'interpréter le sens et la portée d'un énoncé en fonction d'une situation spéci-irclue. Chacune de ces caractéristiques permet de différencier les savoirs des.()l)structions discursives que I'on nomme connaissances. Ainsi, ces dernières.()nt souvent en rupture avec l'expérience pratique, dégagées des coutingences,'t nécessités intersubjectives immédiates, indépendantes du contexte local et denature sélective (hiérarchisation du concret à I'abstrait dans les catégorisations)plutôt que compréhensive. De plus, dans les sociétés modernes, vu leur frag-nrentation et leur prolifération, les connaissances sont souvent sources d'inadap-t.rtion alors que les savoirs se présentent avant tout comme des formes d'adapta-t iorr à l 'envirol lnement

Ce qui différencie les savoirs des connaissances, ce n'est donc pas Ietbnnalisme ou le degré d'abstraction souvent plus poussés des connaissances.

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Ainsi. les savoirs de certains groupes professionnels atteignent un degré deraffinement dont I'analyse à I'aide de protocoles verbaux, méthodologie à labase de la construction de programmes experts en intelligence artificielle,arrive encore mal à rendre compte. Ce n'est pas non plus la question de lavalidation qui permet une distinction opérationnelle entre savoirs et connais-sances. D'ailleurs, le relativisme qui entoure de plus en plus la notion de vali-dité a pour effet de retirer aux connaissances une quelconque positionméthodologique qui leur serait supérieure. La validité peut être ramenée, plusmodestement, aux accords intersubject i fs sur ce qui apparaît v iablelHabermas, 198]1. Au plan de la validation, donc, savoirs et connaissancesne se différencieraient guère.

La véritable distinction entre savoirs et connaissances réside davantagedans le caractère pragmatique des premiers. Les savoirs, en effet, apparaissentcomme entièrement déterminés par le réseau d'interaction communicationnelleet d'usage social auquel ils appartiennent. Les savoirs logent dans les interac-tions langagières sous la forme d'un référentiel, c'est-à-dire d'un rappoft entre,d'une part, les mots, les concepts, les catégorisations, les modèles et, d'autrepart, les objets ou les situations auxquels ces savoirs renvoient dans le mondedes acteurs. Les savoirs indiquent donc, de par leur découpage, leur profondeur,Ieurs assises théoriques et leur portée pratique, les frontières du monde deI'acteur. De même, ces savoirs concentrent sur eux ce qui, au sein d'une com-munauté de références, a.permis dans le passé de résoudre certains problèmesou d'intelpréter de façon satisfaisante certaines situations [D'Andrade, 1989].Les savoirs contribuent ainsi à la thématisation de certâines situations familièresque rencontrent les acteurs et, consécutivement. à la mobilisation et au calibragedes modèles d'interventions types qui s'appliquent à celles-ci. La prégnance deces modèles facilite. entre autres, les accords intersubjectifs. Cette cohérenceréférentielle des savoirs peut s'avérer déficiente du point de vue des connais-sances homologuées (on peut se faire une conception fausse du courant élec-trique), mais elle n'en demeure pas moins un modèle viable quant aux situationsdu monde auxquelles elle renvoie (elle n'empêche pas de savoir réparer adéqua-tement un outil électrique).

Les savoirs peuvent être considértis comme des schèmes d'interpré-tations pratiques permettant aux acteurs qui les partagent d'appréhenderde manière viable Ie monde familier, et ce, dans ses dimensions objective,sociale et subjective. Cette < définition o des savoirs présente beaucoup d'affi-nités avec le concept de représentation sociale développé par la psychosociolo-gie [Jodelet, 19821, et util isé en éducation des adultes lBélisle, 1984] ;à ceciprès qu'il est accordé ici une place beaucoup plus importante à la question de lavalidation, ou viabilité. De même, les savoirs de I'acteur se rapprochent de lanot ion de schémas employée par la psychologie cognit ive [Glaser, 1988].Cependant, cette notion tend à abstraire I'acteur de son monde social en insis-tant seulement sur les mécanismes cosnitifs entourant la saisie et le traitementde I'infbrmation.

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Les savoirs et les connaissances : à la fois pnocessus et prnduits

Lcs connaissances et les savoirs sont le plus souvent considérés corrune des pro-Juits, ce qui conduit aux impasses d'une rationalité exclusivement instrumentale.Pu exemple, I'université vit actuellement une opposition entre une partie de sarnission, cenEée sur les impératifs de la recherche et de la production de connais-.rnces qui domine une autre partie, dédiée à I'enseignement et à la diffusion de.onnaissances uti les et pertinentes pour les pratiques professionnelles. CetteJomination conduit à un cloisonnement accru des disciplines et à la disparitionrraduelle de la communauté académique, les universitaires ne partageant plus.1 u' un environnement bureaucratique.

( oncevoir les connaissances à la fois comme processus et corilne produits per-rtret de rompre avec I'idée que ce sont là des choses que I'on possède, que l'on.rchète, pour les stocker dans sa tête. Les connaissances et les savoirs sont davan-r.rse liés à ce qu'une communauté est et fait. Fleck [1992] distingue neuf aspectsrnterreliés que peuvent prendre les connaissances et les savoirs à I'intérieur d'une-.,rtrnunauié :

la métaconnaissance : les présupposés culturels et philosophiques, les valeursct les grands buts à atteindre qui s'acquièrent par la socialisation ;- Ies savoirs tacites : enracinés dans la pratique et l'expérience et transmis parrupprentissage et entraînement ;

les savoirs contingents : des informations apparemment triviales, spécifiques àun contexte parliculier, acquises en se formant sur le tas ;- les savoirs informels : les règles et les [ucs du métier qui sont disponibles soustbrmes écrites ou orales et acquis dans un milieu specifique ;

les connaissances formelles : les théories, les formules, habituellement dispo-nibles sous forme écrite, acquises par la voie de l'éducation formelle ;

les connaissances instrumentales : les connaissances emmagasinées dans lesoutils et les techniques et qui requièrent d'autres formes de connaissances et de5ilvoirs pour être mobilisées ;- Ie domaine : l'étendue plus ou moins grande du monde vécu sur laquelle unecxpertise peut s'appliquer ;- la situation : un assemblage de composantes, de gens, de domaines et d'autreséléments présents à n'importe quel instant particulier de I'activité profession-nelle ,* le milieu : essentiellement, I'environnement immédiat dans lequel les connais-sances et les savoirs s'exercent, celui-ci comprenant un ensemble de situationsse déroulant dans un endroit particulier (bureau, laboratoire, classe, etc.).

Cet te nouvel le approche des connaissances et des savoi rs rompt avec lesapproches disciplinaires favorisant I' accumulation de connaissances-produits, ouencore avec l'approche technique ou métier. Dorénavant il s'agit de mettre enévidence I'apprentissage organisationnel plutôt qu'individuel. Les savoirs et lesconnaissances ne sont plus alors < dans la tête ,r d'un individu, mais dans lafaçon dont ils sont acquis, paftagés et appliqués avec d'autres.

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Intentionnolilé

Pour J. Searle, I'intentionnalité est cette caractéristique de certains étatsmentaux orientée vers des états de choses du monde. La psychanalyse parleraitici de pulsion ou de désir, tandis que la psychosociologie dirait que ce phéno-rnène relève de la fonnation des motifs, ou encore des mécanismes de passage àI'acte (acting out). Nnsi,l'intentionnalité est une activité particulière, un regardde I'acteur qui accornpagne sa conduite dans le monde. A ce stade. les états etles situations du monde peuvent être qualifiés d'intentionnels dans la mesure oùils sont visés par des questions et compris par des réponses. Intervient ici unedialectique d'ajustement entre l'état intentionnel, une proposition quelconque(par exemple : convoiter une promotion), et les conditions de satisfaction d'unetelle proposition dans le monde (par exemple : obtenir ou non la promotionconvoitée). L intentionnalité permet de mettre en évidence I'activité rationnelleet stratégique des acteurs dans le monde,

Il existe, en éducation des adultes, une documentation considérable queI'on peut associer à la mouvance du concept d'intentionnalité : analyse desbesoins ou des attentes, développement personnel ou professionnel, cycle devie, connaissance de soi. formation des motifs, pédagogie du projet et ainsi desuite. C'est même là un terrain sur lequel l'éducation des adultes se distingue,dans ses approches, de l 'éducat ion dispensée aux jeunes. Les personnes,groupes ou collectifs posséderaient ainsi des projets, implicites ou explicites, àpartir desquels ils abordent la formation. L'intentionnalité favoriserait ainsiI'engagement dans une activité de formation. La formation serait un acte volon-taire et responsable.

S'intéressant à I'apprentissage intentionnel, les auteurs C. Bereiter etM. Scardamalia [985] définissent celui-ci cornme un processus cognitif qui faitde l'apprentissage un objectif plutôt qu'un résultat accidentel. Ils admettent tou-tefois que les adultes ont urre approche de l'apprentissage davantage centrée surce qu'ils appellent la résolution de problèmes. Autrement dit, alors que lesjeunes peuvent faire de I'objectif d'apprendre une activité en soi, I'engagementd'un adulte dans un projet d'apprentissage vise, le plus souvent, à faire del'apprentissage un objectif permettant d'atteindre un but, une intention, qui luiest interne ou externe. Selon eux, cette perspective de résolution de problèmesmet les adultes en position d'élaborer et de réviser leurs objectifs d'apprentis-sage, de prendre des décisions pratiques à propos de I'allocation du temps et desressources qu'ils sont disposés à allouer selon divers sous-objectifs et, de façongénérale, de poursuivre une séquence de formation davantage planifiée.

Cette perspective évoquée par Bereiter et Scardamalia apparaît cependantincomplète. C. Danis tl990l montre que ce modèle d'apprentissage planifié nerend pas bien compte du parcours des autodidactes. De même, il faut insister surI'accompagnement mai'eutique dans I'analyse des besoins et des attentes desadultes puisque les projets de ceux-ci ne sont pas toujours bien formés et infor-més. Les théories du développement personnel et professionnel [Super, 1975 ;

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\L'man, 1980] insistent, quant à elles, sur I'impoftarce de la connaissance de soi:-rirs I'adaptâtion au monde environnant. La connaissance de soi est un processus,, 'rnplexe qui, au point de dépaft, peut être basé sur une représentation fausse de- 'r-rnême. La connaissance de soi apparaît ainsi comme I'ajustement à f image..re des proches, des amis, des collègues de travail nous renvoient. L ajustement:nplique à la fois des stratégies exploratoires, qualifiées d'imaginaires ou de

:'hases de rêves, et des stratégies dites réalistes ou convergentes visant I'adapta-,r11 ) gn contexte. Ce processus d'ajustement est ainsi régularisé par I'intention-

'.-rlité de I'adulte, sans toutefois oublier que le processus est lui-même influencé:'.rr des déterminants extemes mis en relef dans le prochain point.

L intentionnalité apparaît comme le lieu où prennent forme I'existence. ce ue, les manières d'éprouver le monde social et objectif. Uintentionnalité se:irlnifeste ainsi par I'extériorisation de figures signifiantes : les affects. Les:')nlres de cette extériorisation sont diverses : mode de vie et de consommation,.trlrcture de personnalité, stylisation vestimentaire et langagière, culture d'entre-:.rise et autres. A travers les affects, les acteurs rendent manifeste, par leur adhé-.rt)n et leur implication, ce à quoi ils s'identifient et ce à quoi ils appartiennent.

L intentionnalité apparaît donc comme le lieu où se forment I'adhésion,'cngagement, les motifs des acteurs en regard des connaissances. L'intention-

:r.tlité se présente, dans cette perspective, comme un catalyseur pouvant accélé-:cr. ou freineç le transfert des connaissances dans les pratiques sociales. Les.rf'fècts sont les ingrédients, matériels et symboliques de cette catalyse, des mar-queurs sociaux pouvant mobiliser, stimuler ou inhiber les transfefts. En forma-tion, I'intentionnalité est un niveau d'activité rationnelle et stratégique visépar les personnes, les groupes ou les collectifs en recourant à des formesnratérielles et symboliques prégnantes.

Le projet de réinvestissement comme forme emblématiquede I'intentionnalité

Le projet de réinvestissement est un élément important du transfert de connais-sance. C'est en effet ce projet qui déterminera, en bonne partie, le degré de trans-tèrt qui sera atteint. Ainsi, suite ou parallèlement à un projet de formation il estpefiinent que les pafiicipants se donnent un projet personnel (ou de groupe) deréinvestissement. Les grandes lignes de ce projet peuvent être les suivantes :- La cible : le domaine spécilique sur lequel la personne, ou le groupe, désireintervenir.- Le but : ce que la personne, ou le groupe, veut atteindre ou réaliser.- Les résultats/impacts attendus : les formes concrètes que prendront I'atteinte dubut dans un délai précis.- Les difficultés : les problèmes, les résistances, les contraintes anticipés lors duretour à la pratique.

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- Les solutions : par rappoft à chaque dilïculté, quelles sont les solutions envisa-gées ?- Les ressources : quelles sont les ressources humaines, matérielles, techniques,logistiques dont la personne, ou le groupe, estime avoir besoin pour réaliser sonprojet de réinvestissement ?- Le plan d'activités : la liste chronologique des diverses activités reliées au plande réinvestissement ainsi que leur durée.- Les coûts ; les coûts d'implantation du projet, c'est-à-dire ceux s'ajoutentaux opérations normales.- L engagement : I'engagement formel de la personne, ou du groupe, à réaliser leprojet de réinvestissement.Ce projet de réinvestissement peut alors faire l'objet d'un suivi régulier sousforme de bilan, par exemple, en comparant les résultats visés et les résultatsatteints pour ensuite apporter les ajustements et les correctifs nécessaires.

Cofiexre

Le contexte peut être vu comme un concept à la charnière du mondevécu et des situations. Le monde vécu constitue un arrière-plan fait de compé-tences accumulées. de traditions culturelles, de solidarités de groupes, de pra-tiques socizilement assimilées, de savoirs tacites utilisés pour se sortir d'unesituation. Le monde vécu agit ainsi comme toile de fond, une réserve de savoirsappréhendés comme des certitudes, lorsque les acteurs interagissent. Cependant,lorsque les acteurs interagissent, ils ne mobilisent jamais l'ensemble de cessavoirs mais seulement une partie d'entre eux. Les acteurs forment ainsi uncontexte en thématisant leurs échanges, ce qui a pour effet de mobiliser une par-tie de leurs savoirs et de tenir le reste dans une disponibilité plus ou moins loin-taine selon l'évolution appréhendée de la discussion. Ces contextes peuvent être,à partir d'une pratique sociale fréquente et relativement consensuelle, objecti-vés. Ainsi parlera-t-on du contexte scolaire, du contexte des années d'après-guerre, d'un contexte de crise économique et ainsi de suite. Une situation quantà elle fait référence à un déroulement spatio-temporel précis, à un enchaînementd'événements observables, dans le temps et I'espace. Ainsi, du monde vécu à lasituation, en passant par le contexte, ce que I'on gagne en précision ou empiri-cité, on le perd en capacité de compréhension et de généralisation. Ces troisconcepts fbrment donc un tout et s'éclairent mutuellement.

Le modèle de transfert proposé s'appuie davantage sur le concept decontexte puisqu'une situatiort de formation d'adultes se déroule souvent en recou-rant à des références contextuelles. Par exemple, nombre de pratiques de formationpour adultes sont uommées en fonction d'un contexte : formation en entreprise,formation agricole, formation en milieu carcéral, formation syndicale et ainsi desuite. Ce n'est évidemment pas là un hasard. En utilisant ces appellations, les pra-tiques de formation < anlloncent > qu'elles visent à être utiles en fonction ducontexte désigrté. D'ailleurs c'est là, encore une fois, un argument de différencia-

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.rtrr âvec la formation destinée aux personnes jeunes qui utilisent davantage les ré-;'re rtS par rnatières ou par disciplines pour nommer les proglammes. La formation:es adultes se veut, en général, une formation contextualisée.

Plusieurs travaux récents [Lave et al, 1984 ; Brown et al, 1989) indiquentimportance de cette contextualisation. Par exemple, un vendeur calculera le prix

ic quafe pommes en utilisant un prix de vente familier (par exemple : 3 pommes:rur I dollar) auquel il additionnera le prix de I'unité manquante (1 dollar + 33..nts = 1,33 dollars). Cet algorithme de calcul ne correspond pas à ce qui-'enseigne dans les classes (par exemple : la règle de trois), mais il n'en demeure:.as moins une procédure rapide et fiable avec laquelle le vendeur se sent enronfiance. Les modes de pensée et d'action de I'acteur apparaissent ainsi articu--is et organisés à partir d'éléments provenant du contexte familier. Lorsqu'une:rouvelle connaissance se présente, une personne tente d'appréhender celle-ci en:rrobilisant le ou les savoirs qui lui apparaissent peftinents. Ce traitement, souvent-lnalogique et parfois métaphorique, sera fortement teinté par les éléments,trnt€xtu€lS qui inf luencent le rapport avec la nouvel le connaissance. Par:remple, lorsqu'une secrétaire de bureau désigne métonymiquement un micro-'rdinateur nouvellement installé par I'expression " voici mon traitement de

rr.xt€ >, elle réinvestit en fait les éléments normatifs de sa tâche, notamment une.ilr,ision du travail qui lui confie la dactylographie des textes, tout en s'appro-rdant une partie,de la nouvelle technologie (un micro-ordinateur permet effecti-\ e ment de traiter des textes, mais pas seulement cela). De même, le fait de possé-Jer des éléments objectifs communs entre deux langues, par exemple I'alphabeti.rtin. f'acilitera l'apprentissage et handicapera ceux qui proviennent d'horizonsirnguistiques diIIérents. Le contexte peut donc influencer le transfeft de connais-sr,lnC€s. Du point de vue d'une activité de formation, le contexte est undécoupage thématique du monde vécu d'une personne, d'un groupe oud'un collectif comportant des dimensions objectives, sociales et subjectives.

La démarche de contextualisation, de décontextualisation,ct de rccontextualisation

Philippe Meirieu et Michel Develay [1992] rappellent fort à propos que toute dé-rnarche pédagogique repose sur un processus de contextualisation, de décontextuali-sation, et de recontextualisation. Ce type de démarche pédagogique permet de dé-passer les impasses de divers courants pédagogiques qui pour les uns prônentl 'acquisit ion d'outi ls méthodologiques généraux et, pour les autres, insistent surI'acquisition de contenus spécifiques. En fait, selon eux, la démarche pedagogiquedevrait permettre d'incamer les outils méthodologiques dans des contextes précis,permettant ainsi de poser la question de leur pertinence, et aussi s'assurer que les si-tuations didactiques faisant appel à des capacités locales s'élargissent à d'autrescontextes et que I'on s'interrogera sur les conditions de cet élargissement.

La contextualisation est nécessaire à I'apprentissage car elle permet d'appuyercelui-ci sur les conditions cognitives, sociales et affectives de ceux qui appren-nent. Ainsi, par exemple, en formation continue on tiendra compte des connais-

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sances et ÇomÉtences que possèdent déjà les personnes visées par un projet defbrmation. De même, on tiendra aussi compte du contexte socio-affectif danslequel se déroulera le projet de formation : fermeture d'usine, réorganisation dutravail, recyclage professionnel, etc.

La décontextualisation permet, quant à elle, de dégager des savoirs locaux oucontextualisés des éléments de structure ou de formalisation qui permettront àceux-ci de trouver des applications dans d'autres domaines connexes, voire fortéloignés des conditions initiales d'acquisition. Cette opération de décontextuali-sation est difficile en formation continue à double titre. D'une part, la pression dela pratique pour des connaissances et des savoirs immédiatement réutilisablesdans des ctconstances spécifrques est constante. D'autre pafi, I'investissementaffectif des adultes dans leurs savoirs expérientiels est parfois très grand. Or, ilarrive souvent que ceux-ci font obstacle à de nouveaux apprentissages. La décon-textualisation implique alors une part de confiontation qui se poursuivra bien au-delà du dispositif de formation.

La recontextualisation permet, en bonne partie, de répondre aux résistances quise manifestent lors de la décontextualisation. C'est, en effet, lorsqu'un certainnombre de persorrnes auront eu I'occasion d'expérimenter et de s'investir dansleurs nouveâux savoirs que des améliorations et de nouvelles applications surgi-ront dans des dornaines souvent inusités, contribuant ainsi au processus de légiti-mation de ceux-ci par rappon aux anciens savoirs. C'est Ic propre des organisa-t ions qual i f iantes que de permett re les condi t ions de cet te phase derecontextual isat ion sans laquel le les nouveaux savoi rs r isquent I ' iner t ie .Notamment, parmi ces conditions, il importe que l'organisation donne aux per-sonnes un espace-de-soi assez imponant pour permettre à celles-ci de faire desl iens et d 'avoi r des in i t ia t ives.

Iclentité

P lus ieurs au teurs [Sa insau l ieu ,1971 ; Barb ie r , l99 l ; Lave, 1991 ;Dandurand et Ollivier, l99ll ont mis en évidence que l'acquisition de nouvellesconnaissances est un processus complexe basé sur I'interdépendance relation-nelle entre I'activité sociale d'une personne, son activité cognitive et le sensqu'elle donne à celles-ci. Ce processus d'acquisition ne passerait pas, comme onle croit habituellement, par la socialisation d'une personne à I'intérieur d'uncadre commun (par exemple : l'école publique) qui amène cette personne à inté-rioriser les règles. les nomes, les connaissances valorisées par la culture envi-ronnante. J. Lave tl99l] soutient que l'acquisition de connaissances est davan-tage un processus d'adhésion à un groupe permanent partageant des pratiquescommunes. Autrement dit, c'est dans la mesure où la personne acquiert uneidentité sociale viable qu'elle devient << quelqu'un >, qu'elle intègre de nou-velles connaissances. Identité et compétence sont, selon Lave, deux élémentsd'un même processus. Le premier fournit une motivation, une orientation et urtesignification au développement et au renforcement de la compétence.

Les activités de formation prennent un sens dans la mesure où elles s'ins-crivent dans un parcours sociobiographique, une identité. Dans cette perspec-

< A

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. r \e. une fonnat ion signi f iante contr ibuera à déf inir et à perfect ionner les-\)ntours d'une identité sociale ou professionnelle qui se nourrit des liens de.,rlidarité et d'échanges constitués avec ceux et celles qui partagent des activités'u des visées semblables. Par exemple, une personne sera d'autant plus intéres-

..ic à acquérir de nouvelles connaissances qu'elle anticipe une reconnaissancelt une valorisation au sein de son groupe d'appartenance. Uidentité sociale n'estJtrnc pâS un synonyme du concept de rôle social fort répandu en éducation des.rdultes. Ainsi, les activités de formation pour les adultes sont souvent présen-:r ies comme pouvant contr ibuer à former un mei l leur travai l leuç parent,;onsommateuç citoyen et autres. Le concept d'identité pose des exigences plusi,rulclss à la formation. La formation doit ici permettre à une personne de passerJ'un statut périphérique au sein d'un groupe (par exemple : novice, débutant) àiln statut de membre à part entière capable de s'y maintenir. Il ne s'agit donc pas.c'ulement de devenir < un travailleur >> mais davantage .. un enseignant >>, << un.i\ocat >>, << uû médecin >>, << un mécanicien >, << un vendeur >>, << lJfr cadre >>...

cngagé dans des pratiques sociales effectives.

Il faut noter que les identités sociales et professionnelles dans nos socié-tuis sont actuellement en pleine mutation. Les groupes sociaux et professionnelscntretiennent, de plus en plus, des rapports différenciés avec les connaissances.Pal exemple, ceftains groupes tendent à se définir dans I'expérience, privilégiantparfbis une cenaine tradition ou encore le rapport à I'action. Ces groupes senror.ltrent généralement fermés ou sceptiques à l'égard de connaissances prove-nant de I'extérieur. C'est le cas, entre autres des enseignantes et des enseignantsrlui souvent privilégient I'expérience directe de la classe par rapport aux théo-ries qui en parlent. D'autres groupes préfèrent se définir par I'expérience. Ces_!roupes pr iv i légient la mobi l i té professionnel le, la <<confrontat ion> avecd'autres univers de référence ou une formalisation très poussée de leurs savoirs.Ces groupes sont davarttage réceptifs aux nouvelles connaissances. Ainsi, parcxemple, les informaticiens et les informaticiennes considèrent qu'ils renforcentleur identité professionnelle lorsqu'ils changent fréquemment d'employeur et selivrent à des mises à jour constantes dans leur domaine.

Ces dispositions variables, faites d'ouverture et de fermeture, révèlentaussi des rapports différenciés avec le projet de la modernité. Ainsi, ceftainsgroupes dont les savoirs ont été déclassés (par exemple : les communautés reli-gieuses intégristes) font même obstacle à la diffusion de certaines connaissancesrtelle la théorie de l'évolution de Darwin). De mêrne, les nouvelles formes desocialité. plus individualisées et locales, qui ont émergé au cours des demièresannées remettent en quest ion I ' idéal de personnes se formant à I 'a ide deconnaissances dites universelles et pour qui la diversité et les particularités sontun obstacle à la rationalité. Les entreprises, de leur côté, suivent une trajectoiresemblable lorsqu'elles tàvorisent des formes de travail plus autonomes et res-ponsables susceptibles de rejoindre davantage les individus dans leurs intérêtsde vie. En outre, elles doivent de plus en plus prendre en compte, chez leursernployés et leurs clients, des identités et des appartenances dont le référentielne se limite pas aux frontières du monde du travail.

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Le concept d'identité exprime un état social reconnu mais aussi leprocessus par lequel une personne, un gnoupe ou un collectifdéveloppentleur potentiel et atteignent des niveaux de fonctionnement qualitativementplus élevés.

La prévalence des identités sociales négatives

À I' intérieur des pratiques de formation continue le problème des identitéssociales négatives surgit régulièrement. < Je ne suis que la secrétaire... ,,, .. ici onne me demande pas de penser... >), << pourquoi en taire plus alors que l'on ne nousécoute même pâS... )>, entend-on dire sans cesse. Ce problème d'adaptationconstante à une ,. vie réftécie > possède des racines profondes dans les sociétésmodernes. La spécialisation professionnelle, la chaîne de montage, la division dutravail, voilà autant de phénomènes qui ont contribué à créer une dissociationentre la compétence et I'identité sociale. L'employé âgé, au seuil de la retraite,n'est plus conxne jadis un ., ancien ,' mais simplement quelqu'un qui a réussi àsubsister pendant une longue période. Il résulte que I'appartenance à un groupeprofessionnel a perdu de sa signification. L identité sociale s'est déplacée versd'autres lieux de sociaiisations. Les groupes rock, les sports, les pratiques cultu-relles, les nouvelles religions sont maintenant davantage signifiants comme lieuxde formation d'une identité sociale valorisante.

L'école pas plus que I 'entreprise n'échappe à cette prévalence des identitéssociales négatives. Au-delà'du < décrochage o scolaire, lesjeunes qui continuentà fréquenter l'école rnais qui ont le sentiment que < les vraies choses ne se pas-sent pas dans la classe , mais en dehors. Plusieurs aspects contribuent à réduirela portée signifiante de I'activité scolaire : la standardisation des programmesd'études et des examens, l'évaluation selon les niveaux scolaires, la banalisationde I'enseignement, la fragmentation des connaissances liée au contrôle exercépar I'enseignant sur ses élèves, les formes de stratification et de classification desélèves, le caractère bureaucratique de l'organisation scolaire. Lécole fait de lacompétence une chose concrète, objectivée et détachée de la pratique sociale, quidoit êue acquise, et fait de la transmission de celle-ci sa raison d'être institution-nelle. Dès lors, l 'école ne participe pas à la formation d'une identité socialeviable, laissant le soin aux milieux de travail (qui ne s'en occupent guère plus)ou à des groupes d'appartenance qu'elle méconnaît, le soin d'en former une.

Notons que de plus en plus d'écoles et d'entreprises tentent de reproduire en leursein les conditions d'une activité sociale signifiante à laquelle il est possible des'identifier et de se réaliser en acquérant des compétences ou en les anréliorant.Par exemple, I 'encouragement donné par plusieurs en(reprises au travail enéquipe, à I'utilisation de groupes naturels, à la formation de groupe de résolutionde problèmes sont autant de signes que les milieux de travail cherchent tant bienque mal à redonner un sens au travail. Certes, il y a encore parfois loin de lacoupe aux lèvres car il est difficile de faire reculer une division du travail structu-relle avec des pratiques organisationnelles au statut parfois incertain. Cependant,là réside I'espoir, les entreprises ont atteint les limites d'un modèle qui ne peutplus subsister tant il engendre de coûts directs et indirects.

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Au-delà des dispositifs de formation :la rationalité d'une époque

Au chapitre précédent, les balises à I'intérieur desquelles un modèle detransfe( de connaissances adapté à la formation continue des adultes ont ététlxées. Cette approche du transfert est novatrice en ce sens qu'elle accordeautant, sinon plus, d'importance à la situation de transfert qu'à la situationd'apprentissage. Ainsi, pour qu'il y ait transfert de connaissances, il est impor-tant de s'assurer qu'un apprentissage a bel et bien été effectué. Cependant, s'entenir à ce constat n'est pas suffisant pour établir qu'un transfert de connais-sances s'est produit. Rappelons que, dans le contexte des pratiques de formationcontinue, plus de 80 7o des apprentissages se perdent entre le moment de leuracquisition et celui de leur utilisation. Il semble donc que la < situation de trans-tèft > elle-même ne peut pas être réduite à un problème d'apprentissage. Il sepasse là des phénornènes qui n'ont pas été, comme le démontre le prochain cha-pitre, pris en compte par les théories classiques de I'apprentissage.

Le propos de ce chapitre est d'examiner et de mettre en relief les possibi-lités et les contraintes associées aux situations de transfert. Ainsi, pourquoi lesapprentissages, les connaissances acquises, ne s'actualisent-ils pas ou peu dansles pratiques ? Pourquoi les milieux de vie, les organisations de travail, ne sont-ils pas en mesure de mobiliser pleinement le potentiel développé par les per-sonnes après une formation '? Ces questions invitent, à première vue, à explorerles voies d'une meilleure adéquation entre théorie, formation et pratique, parexemple en ciblant mieux les < besoins > de formation. en proposant des contenusplus concrets, en soutenant davantage les personnes lors du retour à la pratique,

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et ainsi de suite. Le problème du transfert réclame évidemment la mise au pointde dispositifs de formation adéquats mais aussi, bien davantage. L'optimalisa-tion des < situations de transfèrt >> passe par une compréhension profonde de lamodernité et de son principal leitmotiv, le changement. Vu sous cet angle letransfert de connaissances apparaît conditionné par les nouvelles formes derationaiité qui érnergent, peu à peu, des situations de vie et de travail.

La première section examine les déterminations essentielles ainsi que lechamp symbolique de la modernité. C'est à la lumière de ce repérage qu'estabordée, dans une deuxième section, le mode de légitimité de la modernité : lechangement. La troisième section de ce chapitre vise à problématiser les diversrappor-ts que les adultes tissent avec de nouvelles connaissances. La quatrièmesection présente, quant à elle, une seconde ébauche du modèle du transfert deconnaissances, proposé pour les pratiques de formation continue destinées à despublics adultes.

Champ symbolique de la modernité,place et scène de I'acteur social

La modemité se présente à I'observateur comtne un fait de civilisation.Ainsi, le terme modemité ne désigne pas tant un système politique particulier,une caractéristique sociologique singulière, ou bien même une période précisede I'histoire mais d'abord et avant tout, une forme globale de régulation cultu-relle. La modemité imprègne les systèmes de représentations, les systèmes nor-nntifs, les systèmes d'expressions et les systèmes d'actions qui façonnent la cul-ture d'une collectivité [Ladrière, 1977). Ce caractère diffus mais prégnant de lamodernité pose d'emblée une contrainte apparente à I'analyse dans la mesureoù une théorie achevée de la modernité n'existe pas. Cependant, en tant queprojet, la modemité est constamment actualisée au moyen des interprétations etdes réinterprétations qui lui donnent sens. Dès lors, il serait illusoire de recher-cher une interprétation ultime ou fondatrice à quelque chose qui vient à nous.Repérer le champ symbolique de modernité n'a ici qu'une portée pratique. Ils'agit de comprendre comment un acteur social se situe, dans le contexte qu'estla modernité, pour penser et agir.

Dimension historique de la modernité :autonomisation des sphères d'activités

Le contrepoint à I'idée de modemité, c'est celui de tradition. Les genresIittéraires, les modes, les arts, de façon générale ont souvent mis en perspectivele nouveau, l'avant-garde, le moderne, pour se démarquer de l'ancien, du rétro-

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trqde, du traditionnel. Cette opposition entre modernité et tradition n'est toute-lùis pas simple à articuler. D'une paft, i l est possible de parler d'une tradition de..t rnodemité dans la mesure où le nouveau maintes fois renouvelé devient de'tutcien.

Le discours publicitaire est peut-être le meilleur exemple de ces for-:nules langagières qui, à la longue, banal isent I ' idée même de nouveauté.[)'autre part, I'a]temance de l'ancien et du nouy,eau n'est. pas un trait typique de.r rnodernité. Cette altemance est de toutes les époques. Il faut donc spécifier ce.1ui est propre à la modernité dans I'articulation entre ancien et nouveau.

Ce qui serait le proprc de la modernité selon Baudrillard, c'est qu'elle seprésente comme une structure historique et polémique de changement et de. r'lse. Ainsi, de ses premiers balbutiements lors de la Renaissance jusqu'à laJimension réflexive que lui donne le Romantisme, la modemité s'est imposéeiontre la tradition, contre un ordre ancien qu'elle a volontairement cherché àJL-structurer, notamment en autonomisant les sphères de la science, de la morale-'r de I'art, soit le monde objectif, le monde social et le monde subjectif. Ce fai-.lnt, la modernité introduit un nouveau type de tradition dans lequel les compé-lu-nceS cognitives et argumentatives se différencient et se spécialisent tout en'' intégrant à des modèles, des règles et des représentations qui font appel à destilnnalismes et des abstractions accrus. Le tableau I présente un survol de cesJifférents repères historiques de la modernité.

Tableau I

Repères et caractéristiques de la modernité

\ Caractê

\stiquesReperes\

Sphèreautonomisée

Type delégitimation

Mode de penséeet d'actiondominant

Principalprocédécognitif

Renaissance(xrf - xvrre s.)

Science(monde objectif)

Sécurité Objectivation(ex. : représentations,expérimentations)

Percept

; Réforme(xvre - xvttre s.)

Morale(monde social)

Liberté Responsabilisation(ex : individualisme,

éthique du travail)

Concept

Bomantisme(xrxe s.)

Art(mondesubjectif)

Bonheur Expression(ex. : styles, modes,courants, écoles)

Affecl

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Dimension cognitive-esthétique de la modernité: le scepticisme

La modemité s'est implantée au cours d'une longue mutation qui s'est ac-complie surplus de quatre siècles. Cettemutation n'apu s'imposer, destructurerunordre ancien plus que millénaire, sans le recours à des dispositions cognitives-es-thétiques qui lui sont propres. Selon Polanyi[1974lces dispositions cognitives-es-thétiques peuvent se ramener à une dimension, celle du scepticisme.

Le scepticisme est à la base, entre autres, de la science moderne. La moder-nité a toutefois véhiculé deux conceptions du scepticisme. Ainsi, pour le sceptique,version tangible. la connaissance ne peut être atteinte qu'en s'appuyant sur duconcret, sur l'expérience des phénomènes que donnent les sens ou leur extensiontechnique. Une autre version du scepticisme consiste à élever cette disposition aurang de méthode. Le doute méthodique consiste alors à se méfier de la connais-sance par les sens, par exemple en identifiant les comfftences a priori qui permet-tent la mise en place des objets de I'expérience. Une version du scepticisme metdonc I'accent sur I'expérience et I'induction alors que I'autre met en évidence lesconcepts et la déduction. Nous retrouvons ici deux grands courants pédagogiquesqui marquent encore les façons de faire en éducation, soit une pédagogie de type in-ductive, fréquemment utilisée en formation professionnelle, et une pédagogie detype déductive que I'on retrouve plus souvent du côté de matières scolaires plusabstraites, telles les mathématiques.

Le scepticisme a soumis les croyances religieuses, la magie, la sorcellerie,I'alchimie, bref toutes formes de cosmologie ou de recours au sacré à une critiquevirulente dans un objectif souvent explicite d'éradication. Cependant, en désen-chantant le monde, en dévalorisant d'antiques modes de connaissances, le scepti-cisme ne parvient pas à proposer des significations aussi mobilisatrices et enga-geantes. Le décorticage de la nature dans ses moindres particules ou le recours à descatégories de l'entendement ne peuvent, en soi, donner un sens à la vie. SelonPolanyi, ce qui est le plus tangible est souvent ce qui a le moins de sens. Un fait neparle pas par lui-même à moins d'être imbriqué dans une démarche d'ordre supé-rieur, par exemple, une théorie qui elle-même doit s'inscrire dans des finalités plusenglobantes... Le scepticisme méthodologique peut, quant à lui, conduire à un idéa-lisme qui ne pennet pas une reconstruction convaincante des compétences a priorid'un sujet connaissant. D'ailleurs, I'une et I'autre formes de scepticisme pousséesdans leurs limites conduisent à de redoutables exclusions. Le scepticisme, versiontangible, peut engendrer un individualisme exacerbé où chacun agit et pense à par-tir de son intérêt bien compris, en dehors de toutes obligations morales ou sociales.Le scepticisme, version méthode, peut prêter flanc à un élitisme chronique don-nant préséance, par exemple, au travail intellectuel sur le travail manuel. Il n'y a pasintérêt à radicaliser I'une ou I'autre de ces versions. La pratique de l'éducationmontre d'ailleurs que certaines connaissances s'acquièrent plus facilement par voieexpérientielle et inductive alors que d'autres le sont davantage par voie déductive etlogique.

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Dimension éthique-émotionnelle de la modernité :le perfectionnisme moral

Polanyi montre que la dimension éthique-émotionnelle de la modemité sestructure autour de I'idée de perfectionnisme moral, Cette dimension, objective-ment en conflit avec le scepticisme, se présente comme une passion, un engage-rnent visant à un perfectionnement sans limites des institutions sociales. Ainsi, leperfectionnement appo(é aux institutions démocratiques, à la formalisation dudroit privé et public, à la protection des minorités, à la promotion de groupes défa-vorisés, à la participation sociale sous toutes ses formes, à rendre opérationnellesdes politiques sociales ou économiques rend à peine compte de cette passion pourplus de justice sociale, de liberté, de démocratie, de bonheur et de bien-être.Cependant, tout comme le scepticisme poussé à I'extrême, le perfectionnismemoral a son revers, il peut se faire absolu. Il peut exclure et écraser ce qui ne cadrepas dans ses visées. Le totalitarisme, le nazisme, le maccarthysme sont quelques-unes des formes qu'a prise cette intolérance résultant d'un engagement envers unemorale érigée en absolu. En revanche, le perfectionnisme moral compris commeun processus, et non comme absolu, rejoint I'idée maîtresse de Dewey d'une édu-cation conçue comnle un mode de socialisation aux valeurs et principes de la dé-mocratie, comme un lieu d'ancrage de conduites sociales favorisant l'émergenced'un citoyen autonome et responsable.

La dimension éthique et émotionnelle de la modemité ne saurait être com-plète sans tenir compte d'un perfectionnement specifique au plan expressif. Ainsi,outre la socialisation à un nouveau type de traditions, la modernité s'accompagned'un processus d'individuation fort complexe. Au début de la modernité, la per-sonne n'est qu'une figure anonyme qui se détache à peine d'un fond collectif régipar des rôles, des places et des fbnctions provenant d'un ordre dit naturel.Cependant, peu à peu, la personne deviendra au moins un co{ps, une .. machine >.Pir la suite, ce corps sera doté d'une conscience capable de se prendre en charge, dese responsabiliser. Finalement, la personne sera dotée d'une vie intérieure, voired'un inconscient indiquant qu'il s'agit aussi d'un être affectif, doté de pulsions, dedésirs, de motivations. Aujourd'hui, on lui découvre le pouvoir de faire la capacitéde décision, de volition, de création et de stylisation.

Deux diagnostics de la modernité i crise de la complexitéet crise du sens

Deux diagnostics sont courarrunent mis de l'avant en ce qui conceme lamodernité. Selon un premier diagnostic, les sociétés seraient devenues tropcomplexes. Elles dépassent les capacités d'intégration d'un individu ou d'unecommunauté. C'est là I'image donnée par Charlie Chaplin qui, dans lzs temps

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modernes, nous présente le personnage de Charlot se faisant avaler par unemachine, ou encore par Franz Kafka qui nous renvoie la même image, dansI-z Procès, d'un monsieur K aux prises avec une bureaucratie anonyme, écra-sante et aveugle. Selon ce point de vue, la modemité est source d'aliénation etconduit à la perte de la liberté.

Le second diagnostic est celui de la perte du sens. Ainsi, une représenta-tion séculière du monde n'aurait pas une force d'intégration sociale comparableà ce qu'elle avait lorsque la < métaphysique > expliquait l 'ordre du monde.Dans cette optique, la modernité ne serait elle-même qu'une nouvelle métaphy-sique, relativiste, dans laquelle une pluralité de codes, formés dans le creusetd'une division du travail de plus en plus poussée, se côtoient, s'interpellent sanstoutefois générer un sens, une légitimité qui soit universelle et intégrante. Cetteperte, pauvreté ou relativité du sens est un thème récurrent de la littératurecontemporaine, par exemple dans les æuvres de Borges, Joyce, Durrell, Becket,Ionesco. Examinons d'un peu plus près ces deux diagnostics, notamment lessymptômes sur lesquels ils s'appuient et les conséquences auxquelles ils condui-sent.

Crise de Ia complexité

La modernité s'est accompagnée de transformations sociales, écono-miques et culturelles sans précédent : urbanisation, concentratiorr industrielle,émergence des Etats-nations. sécularisation de la culture, internationalisationdes échanges sociaux, etc. Ces transformations ont été faites au nom d'un< sujet >, que celui-ci soit désigné comme le peuple, l'humanité, la patrie, I'indi-vidu ou bien la classe ouvrière. En effet, ne disait-on pas que ces < progrès deI'humanité > étaient de nature émancipatoire, c'est-à-dire à même de rendre le< sujet > plus autonome, plus libre, plus responsable par rapport aux contin-gences matérielles et aux forces de domination qui tentent de I'asservir. Lamodernité laissait ainsi entrevoir le règne d'une raison pratique, c'est-à-dire lapossibi l i té de faire des choix éclairés qui répondraient aux i rnpérat i fs decitoyens désireux de conquérir Ieur autonomie et d'assumer leur responsabilité,et ce, sans contraintes externes autres que de .< bonnes raisons > apportées parl'entreprise de Ia connaissânce.

Cette idéalisation d'un progrès devant mener à l'émancipation d'un sujeta, entre autres, conduit à parler de la < mort du sujet > au sens où la modemitéI'avait définie. Ainsi, pour N. Luhmann, la complexité du système social esttelle que cela rend non essentiel, du moins dans les domaines de I'organisationet des politiques, les choix pratiques. Le sujet doit, selon lui, être pensé commeune sélectivité contingente. Tbut est à peu près possible et je ne pettx changer àpeu près rien, fait-il dire au sujet social. La complexité des situations serait tellequ'aucun sujet, individuel ou collectif, ne peut avoir une idée complète decelles-ci et posséder toutes les informations utiles pour penser et agir. Le mondesocial ne serait plus intégré dans des structures normatives, c'est-à-dire des

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:rrlr-rileS qui seraient le résultat de discussions et d'orientations ayant une forceJ'obl igat ion au sein d'une communauté. Selon Luhmann, le sujet social.rpprend, dans ce nouveau contexte, à se représenter et à tolérer un monde;ontingent, indéfiniment ouvefi, ontiquement indéterminé et à I'utiliser corrrmeil base de toute expérience et de toute action sélective. Pour Luhmann, ce quicriste, ce qui a valeur ontologique, c'est le système social en tant que seule ins-iance capable de faire face au défi de la complexité.

Arnsi, la compledté rendrait illusoire la détermination de finalités norrna-in,es, d'utopies sociales, émancipatoires ou autres, dans lesquelles le sujet joue-rait un rôle actif et transparent. L avenir étant incertain, indéterminable à partirJ'orientations humaines, mieux vaut alors apprendre à gérer les incertitudes. Il\'agit alors de doter le système social d'un ensemble indéfini de possibilités àrjlirniner, par réglage successif, grâce au travail d'experts regroupés au sein desgrandes bureaucraties étatiques et économiques, pour trouver la meilleure solu-tion compte tenu de la situation. Dans ce contexte, la < participation >> descitoyens, le rôle actif d'un acteur social est, selon Luhmann, un exercice qui nel)eut rnener qu'à la frustration.

L école de Bruxelles [Stengers, 1986], c'est à dire le groupe de rechercheeonstitué autour de I. Prigogine, propose elle aussi une approche qui donne àl'aléatoire un rôle,clé. En effet, pour l'école de Bruxelles, la crise de la complexitéfernet en question la possibilité d'une gestion rationnelle de I'activité hurnainedans laquelle les incertitudes ne joueraient qu'un rôle mineur, dans des limitescontrôlées. Dans cette perspective, il vaut mieux songer à exploiterl'aléatoire plu-tôt que de le combattre. L école de Bruxelles, tout comme Luhmann, propose dedévelopper et de perfect ionner les mécanismes d' intégrat ion systérnique,Cependant, à la différence de Luhmann, l'école de Bruxelles pose le problème del'aléatoire non pas comme un Autre que la rationalité doit exclure et dominer,rrais davantage corrrme un Autre que le système devrait intégrer pour exploiter lespossibilités que le hasard contient. Ainsi, l'intégration systérnique, selon l'écolede Bruxelles, doit faire une large place à la souplesse. Il s'agit alors de privilégierles petites unités, les équipes, les groupes de réflexion, les cercles et autres, tout enfàvorisant la mise en réseau, le maillage de ceux-ci.

L école de Bruxelles met I'accent sur la souplesse, la prise en compted'un environnement local chargé de sens et non réductible à la rationalité éco-rromique ou bureaucratique. L'ordre social serait dorénavant généré par desréseaux d'alliances très souples entre partenaires semi-autonomes, rendus soli-daires par la complémentarité, la réciprocité, la confrontation interculturelle. Cesr'éseaux s'appuieraient sur les techniques de l' information et de la communica-tion et s'adapteraient à I'environnement par auto-apprentissage individuel et col-lect i f l . Dans cet ordre d' idée, I 'autofonnat ion est, aux yeux de l 'école deBruxelles, un impératif de notre temps.

l. C'est là I'idée d'organisation qualifiante avancée par Senge [990] et d'autres.

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Une logique de système ou de réseau ne peut toutefois pas résoudre, parelle-même, tous les problèmes d'intégration sociale. Il serait difficile, en effet,d'imaginer le délicat problème du prolongement de la vie dans des unités desoins intensifs, le problème de la gestion des embryons humains destinés à lafécondation in vitro, ou encore celui de I'intégration linguistique de nouveauximmigrants sans le recours à la formation de consensus norrnatifs. Ces pro-blèmes reposent sur la formation de norrnes basées sur des arguments pouvantêtre produits au sein d'un espace public aux fins de discussion et d'évaluation.Les manipulations génétiques, le transport et la destruction de produits dange-reux pour la santé humaine, de même que les pouvoirs d'intervention dans lavie privée ou personnelle conférés à divers agents sociaux, soulèvent d'impor-tantes questions morales. La nature de ces problèmes montre bien que le centrede gravité de la gestion de la complexité, en cette fin de siecle et de millénaire,passe davantage, quoique non exclusivement, par la formation d'une moraleadaptée à notre époque.

La crise de la complexité fait appel à une médiation sociale accrue.C'est dans ce sens que la formation continue des adultes dans les sociétésmodernes devient un impératif essentiel. Cependant, la distinction de plus enplus poussée entre intégration systémique et intégration sociale semble avoirun effet polarisant sur les pratiques de formation continue. Ainsi, selon M.Finger, I'idée que la diffusion et la promotion des connaissances scientifiqueset techniques, c'est-à-dire la promotion de la modernité, puisse faciliter enretour la promotion de la personne ne tient plus. Pour Finger, le curriculumde l'éducation des adultes est désormais scindé en deux. D'une part, il s'agitd'une formation professionnelle qui vise justement à répondre aux impératifsd'un système étatique, économique et technique qui fonctionne en dehors ducontrôle immédiat des acteurs sociaux. D'autre paft, i l s'agit d'une formationpersonnelle et sociale qui souvent prend des allures thérapeutiques dans lamesure où I ' intégrat ion sociale dans les sociétés modernes commenced'abord par une stratégie de .. survivance psychique >.

Une telle polarisation des pratiques de la formation destinée aux adultess'observe bel et bien. Cependant, si l'intégration systémique pose le problèmede la performance dans l'exercice des rôles sociaux, I'intégration sociale posequant à elle le problème de la tbrmation d'une identité et d'une appaftenance aumonde. Dans ce sens, la complexité de nos sociétés s'accompagne d'une ges-tion plus poussée des processus d'individuation et de différenciation, notam-ment à travers ces multiples cours pour adultes qui contribuent à la constructiond'une identité sociale dans un monde éclaté et anonyme. Cependant, ces universde formation ne sont peut-être pas aussi cloisonnés que le laisse entendreFinger 2. Ainsi, ces univers sont probablement complémentaires dans la mesureoù, par exemple, les formations qui favorisent I'intégration sociale visent juste-ment à mieux panager les risques découlant de I'intégration au système social.

2. En fait, ces univers sont de plus en plus cloisonnés

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De même, à I' inverse, Ies avancées en termes d'intégration sociale exigentiertes une formation professionnelle et technique plus poussée mais aussi, deplus en plus, une formation personnelle et sociale véhiculant de nouvelles dispo-'itions cognitives, esthétiques, éthiques et émotionnelles. Par exemple, les nou-r elles technologies exigent souvent une capacité de communication accrue entreles personnes.

Crise du sens et de Ia légirtmilé

Le second diagnostic sur la modernité fait état d'un monde qui auraitperdu tout sens par rapport à lui-même. Uunivers symbolique de la modemiténe proposant plus un sens ultime ou fondateur, il s'ensuivrait un manque d'inté-gration sociale, une perte de légitirnité. Cette perte de légitimité se traduirait parune désaffection des individus et des collectivités à l'égard des institutions\ociales et économiques, par une pefie de motivation dans divers domainesd'activités tels le travail et les études et par une absence de cohésion et de mobi-lisation sociale pour relever certains défis. Bref, le projet de la modemité serait àcourt de ressources de sens bien que les sociétés modemes disposent de puis-sants dispositifs de production et de diffusion.

Les cosmoiogies permettaient de transcender les frontières individuellesou locales en proposant un sens qui soit le même pour tous. C'est souvent ceque I'on tente de réaliser ou de retrouver en recourant, au plan microsocial, à depetites unités dites < conviviales > : groupes de travail, groupe de progrès,équipe d'amélioration... Cependant, au plan macrosocial, le problème de la légi-tirnité reste entier. En dévaluant les savoirs locaux et ceux transmis par la tradi-tion, la modemité a proposé une cosmologie altemative basée sur les idées deprogrès, de développement, de liberté, de bonheur, de sécurité matérielle. Cetype de légitimité propose un sujet idéalisé et maître de sa destinée. Ainsi, lesprogrès des sciences et des techniques n'allaient-ils pas arracher l'homme autravail fastidieux et aliénant ? Uorganisation sociale ne devait-elle pas assurerplus de sécurité matérielle en mettant les populations à I'abri des fléaux tels quela famine, les catastrophes naturelles, les pertes d'emplois ? N'allaiçon pas versplus de bonheur, une société des loisirs, par exemple ?

La modernité n'a pas été avare en discours de légitimation. Cependant,fbrce est de constater que ceux-ci n'ont jamais atteint la force et la prégnancedes anciennes cosmologies. Qui oserait aujourd'hui utiiiser encore I'expression< société des loisirs > '/ Qui peut prétendre que les sociétés sont à I'abri descatastrophes naturelles et sociales ? De même, ies concepts de progrès et dedéveloppement ont amplement démontré leur caractère relatif : progrès par rap-port à quoi ? Développement pour qui ? Et ainsi de suite. De plus, la rnodernitén'a pas totalement déraciné les anciennes cosmologies. La persistance et labonne santé de celles-ci est un fait social indéniable, au point qu'on se préoc-cupe beaucoup des progrès du mouvement anti-sciences.

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En gommant des différences exégétiques, il se présente, grosso nrodo,deux courants de pensée quant à cette désillusion à l'égard des grands discoursde la modernité. Ainsi, un premier courant fait appel à un dépassement de la rai-son, à une postmodernité. Ce dépassement devrait être opéré à partir d'une affir-mation souveraine d'une subjectivité s'opposant. ou résistant à tout ce qui estsavoir-pouvoir, ordre bien-pensant et goût officiel. Les figures du délinquant, deI'homosexuel, du fbu, du cancre, du paresseux et autres peuvent être célébréescomme autant de fbrmes de résistance, de rupture ou de différence dans unesociété qui n'a guère à offrir que la banalité ou un surcroît de rationalité instru-mentale. Au durable, au solide, à la grande æuvre, il convient d'opposer l'éphé-mère, le mou et le kitsch.

Ce courant dit de déconstruction puise abondamment son inspiration dansles æuvres de Foucault, Derida, Deleuze, Nietzsche, Lyotard et autres. Il ne s'inté-resse guère de savoir si une proposition est vraie ou fausse mais il s'interroge sur lesconditions et les pratiques discursives qui forrt qu'une proposition puisse être tenuepour vraie à un moment donné. Ainsi, en préconisant les ruptures, les discontinui-tés, les réinterprétations" les déplacements ou les détoumements de sens, ce courantpeut fàcilement conduire au < délire interprétatif >, à des batailles exégétiques, àdes surenchères à I'infini. Car, bien que ce courant renonce au savoir-pouvoir etsouscrit à la pene ou au pluralisme du sens, il ne renonce tout de même pas à com-prendre les chpses.. supérieurunent >.

Le second courant croit que le concept de raison peut être sauvé, à cer-taines conditions, et ce, malgré les assauts répétés dont il fait I'objet. Ces condi-tions sont au nombre de quatre. Premièrement, il s'agit de renoncer à touteconception ontologique du monde faisant en sorte que la connaissance émanede la déduction à partir de catégories transcendantales ou bien de la cumulationinductive de faits empiriques. La connaissance est le résultat d'une productionsociale et, comme telle, sujette à des révisions et des réévaluations pouvantlnener, parfois, à la réfutation. Deuxièmement, I' idée de vérité devrait faireplace à celle, plus modeste, de validation. Ainsi, une connaissance est validenon pas en vertu de quelque absolu indécidable mais de par sa capacité deconvaincre quelqu'un d'autre sans contrainte. Dans ce sens, la connaissancen'est ni le résultat d'un sujet qui pense, ni le résultat de I'extraction de lois quecontient un objet, mais un phénomène intersubjectif. La connaissance renvoie àce qui est intersubject ivement viable en tant que rapport au monde.Troisièmement, la validation d'une connaissance varie selon le type de rapportau monde dont il s'agit. S'il s'agit du monde objectif, les critères de validationseront de I 'ordre de I 'ef f icaci té, de la performance ou de la prédict ibi l i té.Cependant, par rapport aux mondes social et subjectif, les critères de validationsont de l'ordre d'une jurisprudence sur ce qui apparaît, intersubjectivement,juste, plausible, authentique, véridique. Et, quatrièmement, une connaissancevaut par sa capacité à se maintenir dans un processus réflexif ouvert et indéfini.Une connaissance qui se ferme sur elle-même devient dogmatique et s'exclutd' un projet rationaliste.

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Cette conception de la connaissance et du projet rationaliste qu'elle sous-tend n'est pas sans effet sur les prat iques de formation. Ainsi , selon cetteconception, la connaissance ne serait ni dans les livres, ni dans le maître, ni dansl'élève mais dans la relation éducative. Cette relation peut être plus ou moins:ymétrique, corilne c'est le cas de la formation entre pairs mais souvent elle\era asymétrique, impliquant par là la transmission d'un fonds commun deconnaissances qu'une société estime important pour sa production et sa repro-tluction. Dans le cadre d'une telle relation éducative, le sens donné aux connais-\ances ne proviendra ni de la cohérence disciplinaire ni de Ia rigueur de la pen-sée et encore moins des seules exigences de l'évaluation. Le sens émergeradavantage de la construction d'une communauté symbolique capable de mobili-ser et d'investir les connaissances de ressources de sens.

En résumé, le champ symbolique de la modernité s'est constitué, au planhistorique, par un processus d'autonomisation des mondes objectif (science ettechnique), social (coordination de I'action humaine) et subjectif (motifs etdésirs). La dimension cognitive-esthétique de ce champ symbolique a été mar-t1uée, jusqu'à présent, par un scepticisme oscillant entre un pôle réaliste (parexemple : preuves empiriques) et un pôle nominal (par exemple : constructiontie catégories visant à rendre intelligible le réel). La dimension éthique-émotion-nelle du champ symbolique de la modemité a, quant à elle, été marquée par leperfèctionnisme,'c'est-à-dire un mode d'engagement visant à améliorer sanscesse la vie sociale et expressive des personnes. Le champ symbolique de lamodernité est toutefois traversé actuellement par deux importantes crises : crisede la complexité et crise de la légitimité. Ces crises ont un impact certain sur lespratiques d'éducation des adultes, par exemple en créant un écart de plus enplus grand entre les formations professionnelles ou techniques et les formationspersonnelles ou sociales. Dans ce contexte, deux défis se posent aux pratiquesde fonnation continue : augmenter le niveau de médiation sociale effectué parles agents de formation et contribuer à la construction de communautés symbo-liqr,res pouvant investir de sens les connaissances véhiculées par la formation.

Le changement et les nouvelles figuresde la rationalité

Héraclite dit à son disciple : .< On ne se baigne jamais deux fois dansle ntênte fleuve. >> Et son disciple de lui répondre : ,, Maître, dès qu'on s'ybaigne la première fois, il n'est déjà plus le même. >> C'est la réponse du dis-ciple qui est intéressante ici car, à elle seule, elle représente une façon de pen-ser et d'agir propre à la modernité. Ainsi, à la métaphore d'Héraclite sur le

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mouvement perpétuel des eaux du fleuve, le disciple propose à son tour uneautre métaphore, celle du dépassement du connu, de la tradition instaurée parI'autorité morale du maître. La remise en question vient de la périphérie, dudisciple, et non pas du centre, ici le maître. Le champ symbolique de lamodernité a perfectionné à un tel point ce mode de pensée et d'action qu'ily a aujourd'hui beaucoup de disciples et, somme toute, de moins en moins demaîtres à dépasser. Ce mode de pensée et d'action se résume à un mot : lechangement.

Le changement est le mode de pensée et d'action de la modernité. Endévaluant les interprétations du monde léguées par la tradition, la modernitéinstaurait la sienne, celle du nouveau. C'est, en effet, à travers la capacité derenouveler ses institutions, de produire de nouvelles æuvres, de perfectionnerses techniques, de remettre en question ses théories, d'entraîner une mobilitésociale, professionnelle, géographique, matrimoniale et autres que la moder-nité se reconnaît. Cette exaltation du changement, de la nouveauté à toutprix, se retrouve autant dans la reproduction matérielle, par le biais dessciences et des techniques, que dans la reproduction symbolique des sociétés,par d'incessants recadrages du sens que les acteurs sociaux entretiennentavec leur expérience du monde.

Si, jusqu'à tout récemment, le changement procédait par I'expansionou la spécialisation des territoires matériels et symboliques, les tendancesactuelles vont davantage dans le sens de I'intégration, des fusions, du métis-sage, des amalgames. de I'hybridation. La science s'allie aux techniques etcelles-ci semblent de plus en plus se fondre à une dynamique encore plusintégrative, celle du design, de la conception, dans laquelle objet, fonction etsens sont amalgamés. Cette dynamique de fusion se constitue souvent à par-tir d'immenses bases de connaissances. Les connaissances sont extraites, uti-lisées, combinées et recombinées en fonction de problèmes à solutionner, deréalités à simuler, de décisions à assister, de créativité à stimuler. Lesconnaissances occupent ainsi un rôle central dans les sociétés modernes.Cependant, ces connaissances s'inscrivent de moins en moins dans une épis-témologie de la vérité, réservoir constitué des connaissances vraies, univer-selles et absolues. Ce type de connaissances se présentait, et se présenteencore, sous forme de discipl ines possédant chacune un domaine (parexemple : sociologie, psychologie, physique, philosophie...), un ensemble derègles internes de généralisations et une histoire. L'intégration de ce type deconnaissances reposait nécessairement sur un principe exteme.

C'est, par exemple, l 'homme honnête et cultivé, proposé par I'huma-nisme classique, qui pouvait, grâce à sa grande culture, mettre en perspectiveles connaissances qu'on lui proposait et ainsi porter un jugement éclairé oucritique. Les connaissances d'aujourd'hui se présentent comme étant davan-tage au service des processus idiosyncrasiques des personnes, des groupes etdes collectifs. Ces connaissances se diffusent en s'appuyant sur les informa-tions, les habiletés, les expériences, les croyances et la mémoire de ceux et

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ielles qui les utilisent. L'intégration de ces connaissances repose davantagerur uû principe interne et constitutif. Il s'agit dorénavant de promouvoir lapersonne compétente et pertinente, c'est-à-dire capable de faire fusionnerJes connaissances en des gestes professionnels ou techniques, spécifiques et.rdéquats s'inscrivant dans un univers de signification.

Auparavant le changement vers I'expansion ou le développement neréclamait qu'une croissance brute des compétences cognitives, une capacitéJe traitement accrue. Un changement plus intégrateur, dans lequel les disci-plines, les spécialités, les cultures sont amenées à se côtoyer plus inclusive-ment, fait davantage appel à de nouvelles formes de compétences et depe(inences, à de nouvelles figures de la rationalité. L'éducation des adultesest confrontée au défi posé par ces nouvelles figures de la rationalité. Il s'agitdorénavant de privilégier non plus des compétences de transmission amenantune masse d'informations d'un point A à un point B, mais des compétencestie sélection, réduisant et choisissant I'information en fonction de ce qui estpertinent pour un univers de signification. Ces figures de la rationalité ren-r oient non seulement au <savoir apprendre> mais aussi au << savoir quoit'aire > et au << savoir où faire porter son action "

3. Il s'agit aussi de réduirela distance entre des connaissances souvent abstraites et des problèmes àsolutionner, des décisions à prendre, des situations à comprendre, brei derapprocher texte et contexte. Ces figures de la rationalité supposent, récipro-quement, cette entreprise de'< médiation sociale >> dont l 'éducation desadultes est investie.

Ces nouvelles figures de la rationalité laissent entrevoir une éducationdes adultes pouvant apporter sa modeste réponse aux problèmes de com-plexité et de perte de sens de la modernité. L'éducation des adultes se pré-sente comme une entreprise de médiation. Elle constitue une interface entredes connaissances et des utilisateurs potentiels. Cette interface n'est pas pure-rnent fonctionnelle. Elle permet surtout de tisser des liens entre les connais-sances et leur situation de transfert, notamment en leur donnant un sens ouencore en créant. un espace << neutre >> où pourront se négocier les tensions,les transformations, les traductions. Les designs de formation ont donc cettepropriété de changer le sens des connaissances en les inscrivant dans un uni-vers déjà constitué de rapports sociaux en mouvement. L éducation desadultes permet d'englober les apprentissages dans un plan de significationqui conditionne le devenir des disciples d'Héraclite. Ces perspectives serontapprofondies en mettant tout d'abord en évidence un nouveau paradigmedans la façon d'étudier le changement puis en examinant la place et le statutdes connaissances dans les sociétés modernes et en identifiant les nouvellesfbrmes de production et de diffusion de celles-ci.

3. Expressions empruntées à E. Jantsch [972]

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Changement de paradigme : de I'adaptation vers I'appropriationdes connaissances

Pendant longtemps I'approche privilégiée du changement était de naturerationaliste, au sens logiciste et objectiviste que I'on donne généralement à ceterme, et foncièrement optimiste. En effet. depuis la première étude sociale deFrancis Bacon parlant de I'impact sur I'homme de I'innovation scientifique ettechnique jusqu'au courant contemporain de recherche et développement (R etD), ce qui est annoncé est, ni plus ni moins, l'émancipation matérielle, et par-tant spirituelle, de I'humanité. Chaque problème rencontÉ sur cette voie triom-phante devait trouver une solution scientifique ou bien technique.

Les exactions commises au nom de cette idéologie du progrès et du déve-loppement n'étaient que le prix à payer pour arnener I'humanité aux lumières dela science, ou encore que le reflet d'une lutte qu'il fallait mener à tout prixcontre un ordre ancien, irrationnel et obscurantiste. Cette approche du change-ment présentait aux populations les produits des sciences et des techniquescomme autant de contraintes objectives auxquelles il fallait s'adapter. Laconnaissance produite par des scientifiques, des ingénieurs ou autres, pouvaitêtre abordée à I'aide de connaissances secondes, forcément inférieures, tellesdes programmes d'enseignement constamment mis à jour. Cependant, depuisquarante ans, il a été possible d'observer un net déplacement de la probléma-tique du changement allanf de la simple adaptation aux produits de la connais-sance vers une véritable appropriation de ceux-ci.

Ce déplacement théorique permet, entre autres, d'appréhender le change-ment non seulement dans sa dimension objective, mais aussi dans ses dimen-sions normatives et subjectives. Ainsi, comme le rapporte Savoie-Zajc, lesétudes sur le changement planifié étaient, au cours des années cinquante, typi-quement rationalisantes : les problèmes provenaient de I'environnement. et cha-cun d'eux pouvait trouver une réponse technique ou scientifique. existante ou àdévelopper. Au cours des années soixante, prenant en considération l'impor-tance du problème de I'implantation. I'attention s'est déplacée vers les diverscontextes sociologiques et culturels à I'intérieur desquels prenait place le chan-gement. Les années soixante-dix et quatre-vingt ont, quant à elles, montréI'importance du facteur de I'adaptabilité aux besoins du milieu. Plus récem-ment, Lincoln et Guba ont attiré I'attention sur l'étnergence d'une pensée natu-raliste prenant aussi en compte la dimension subjective du changement.

Le passage d'une pensée purement rationalisante, au sens d'une adapta-tion univoque aux avancées scientifiques et techniques, à une pensée qui faitune large part aux ressources humaines et à leur mobilisation constitue un tour-nant majeur dont on ne mesure pas encore bien les implications. Les sociétésadmettent ainsi, en quelque sorte, que leur potentiel d'évolution ne repose passeulement sur une croissance des connaissances scientifiques et techniques maisaussi, et surtout, sur les institutions, les organismes, les entreprises et les per-sonnes qui sont capables de les mettre en æuvre. Au surplus, admet-on, ce

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I)otentiel d'évolution ne peut se réaliser que s'il s'appuie sur des processus detormation permettant une mise à jour constante des qualifications et des compé-tences portées par les (< ressources humaines o. Ces processus permettent, d'unepaû, d'acquérir la souplesse nécessaire par rapport à un environnement turbu-lent et imprévisible tandis que, d'autre part, ils facilitent la participation et I'inté-gration préalables à toute rnobilisation des personnes et des ressources maté-rielles.

Cette mise en perspective de la formation des ressources humaines per-net de ne plus la concevoir comrne I'adaptation, limitée et circonstanciée, à un,hangement technologique. Il s'agit davantage de créer des réseaux sociotech-riques complexes. La formation s'inscrit alors dans un horizon à la fois plus. rste et plus familier. La question que perrnet de poser cette perspective est la.uivante : que signifie < changer > dans la vie des institutions, des organisations,ics entreprises, des personnes ? Une telle question dirige le regard vers les-ldres de vies, les contextes, les situations, les interrelations, bref, vers les:JSeaux d'identité et d'appaftenance dans lesquels évoluent familièrement les.rcteurs sociaux. C'est là le " qui > et le <. pour qui > du changement. Cette ques-tion n'élimine pas pour autant une analyse objective et normative du change-rnent, de la forme et du contenu sous lesquels il se présente jusqu'aux impactsqui sont attendus ou pressentis lors de son implantation. C'est là le < quoi > et le.. pourquoi >> du changement. Finalement, se pose le problème de I'instrumenta-tion d'un tel processus dans la mesure où celui-ci doit mobiliser I'expérienceJes acteurs sociaux, favoriser I'expression de leur créativité et contribuer àl'émergence d'une intentionnalité en faveur du changement projeté. C'est là le,, corrunent > du changement.

Les connaissances : ressources privilégiéesdes sociétés modernes

Les connaissances sont, dans les sociétés modernes, de plus en plus misese n évidence cofirme sources et ressources privilégiées de légitimation. Ce carac-tcre central des connaissances s'est affirmé à partir du moment où la terliarisa-tion de l'économie a pris des propoltions de masse critique, soit au cours des,urrrées cinquante. C'est, en elïet, au lendemain de la Seconde Guerre mondialeque s'est développé un ensemble de nouveaux corps professionnels qui se sonttaits les interprètes et les traducteurs de connaissances en application sociale.

Aux divisions classiques de la connaissance entre les branches orientéesvers la théorie, la compréhension, voire la contemplation, telles les mathéma-tiques, et celles orientées vers I'action, l'application, la pratique, telles les tech-niques, s 'ajoutent maintenant cel les dont le propos est de transformer lesconnaissances en action, tels l ' ingénierie, la médecine, le droit, l 'éducation. Cetlernier groupe a fonement contribué à populariser le point de vue pragmatique:ur la connaissance.

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Tableau II

Caractéristiques comparatives des organisations de l'ère industrielleet de l'ère de I'information

Adaptation de Patton et al. |9771.

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Organisation de l'ère industrielle Organisation de l'ère de I'information

a) Centrée sur les résultats quantifiables a) Centrée sur les enjeux stratégiques

b) Bases de connaissances hautementspécialisées

b) Bases de connaissances interdiscipli-naires

c) lmputabilité individuelle c) lmputabilité d'équipes

d) Positions organisationnelles, rôles etresponsabilités clairement différenciéset segmentés

d) Positions, rôles et responsabilitésflexibles ; organisation conçue commematrice d'arrangements

e) Programmation conçue sur un modelinéaire d'intrant-extrant

e) Programmation conçue selon uneperspective de systèmes holistiques

f) Réactif aux problèmes au fur et àmesure qu'i ls émergent

f) Proactif dans I'anticipation des problèmesavant ou'ils ne deviennent crises

g) Les perspectives locales informent laolanification

g) Les perspectives globales intormentI'action locale

h) Flot d'information hiérarchique etlinéaire

h) Réseaux d'information comportant demultioles interfaces

i) L'attention est dirigée sur lesdifférences quantitatives

i) L'attention est dirigée sur les différencesoualitatives

j) EntraÎnement du personnel j) Développement des ressourceshumaines

k) Atteindre I'efficience avec méthode k) Viser I'amélioration en se référant à desvareurs

l) Orientée vers le présent, faire ce quiest connu maintenant

l) Orientée vers I'avenir, opérer à la fineoointe

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Le rapprochement entre connaissance et action dans une société modememet dorénavant en avant le rôle du langage et des compétences communication-nelles. L évolution des qualifications liées à I'organisation du travail et des fonc-tions de production suit cette tendance. Ainsi, de plus en plus, les exigences enterrnes de connaissances, d'habiletés et d'attitudes liées à l'exercice d'un emploimettent en évidence non pas un rapport direct aux objets mais un rapport desupervision. Dans ce contexte de dématérialisation, le travail devient plus abs-trait et formalisé, les fonctions et les champs d'activités font appel à plusd'interactions, à une responsabilisation accrue et à une plus grande imaginationcréatrice.

De même, l'évolution des systèmes de traitement de I'informationmontre qu'il n'y a pas d'intérêt à concevoir ceux-ci selon une structuration en< comment >>, où le caractère utile d'une information s'avère souvent circons-tancié et éphémère. Les systèmes de traitement de I'information tentent davan-tage d'adapter le < quoi , et le < comment t> à une structure en .< qui >>, notam-ment en établissant une communication directe avec les usagers du système, enfàvorisant des liens réseaux entre ceux-ci et en faisant croître le système à l'aidedes tendances qui se dégagent de I'usage. Au lieu de classifications rigides, lacroissance du système est assurée par une extension du répertoire associatif desusagers.

Cette tendance favorisant la communication pragmatique peut souleverbon nombre de questions. Par exemple, le clientélisme d'une telle approcheaura-t-il pour effet de tout ramener à un modèle utilitaire de solution de pro-blèmes ? Il y a évidemment des risques importants de dérives. Souvent 1'utilisa-tion des connaissances, par des groupes de services, cornme plusieurs étudesI'ont montré [Cicourel, 1979 ; Garfinkel, 1967] répond davantage aux priorités,sentiments et contraintes des utilisateurs. Une tendance pragmatique déboucheainsi, de plus en plus, sur des pratiques d'appropriation et de transformation desproduits de la connaissance. Les connaissances s'intègrent en fonction de styles,de préférences subjectives, de catégories locales propres aux personnes, auxgroupes et aux collectifs.

Interfaces disciplinaires et culturelles dans la productionet la diffusion des connaissances dans les sociétés modernes

Les connaissances évoluent dorénavant dans le sens d'une stylisationaccrue, en s'intégrant aux informations, habiletés, expériences, croyances etmémoires d'un réseau de personnes en interaction, à savoir un schème d'action.Cette évolution entraîne des attentes en termes de qualifications qui font appel àdes compétences langagières de plus en plus poussées. Sur la base de cette évo-Iution des sociétés modernes, il est possible d'identifier les lieux et les person-nages qui manifestent cette tendance.

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Les connaissances structurées en < quoi > mettent en évidence les person-nages du créateur, du chercheur, de l'intellectuel exégète, de I'expert. Uuniver-sité apparaît souvent comme la figure emblématique qui rassemble ces person-nages. Ceux-ci sont valorisés dans la mesure où ils représentent une valeurajoutée importante. En effet, ils émettent des messages qui difÈrent beaucoupdes informations ou données qu'ils reçoivent. Cependant, ces messages à fortevaleur ajoutée ont d'importantes difficultés à se traduire en potentiel pourI'action. Habituellement, la solution à ce problème consiste à développer unvolet << recherche appliquée >> dans la foulée d'un volet dit plus fondamental.C'est là que se produisent les connaissances répondant au << comment >. Cesconnaissances qui répondent au < comment > font davantage appel aux person-nages du technicien, de I'ouvrier spécialisé, du décideur, de I'homme ou de lafemme d'action. Les entreprises et les organisations sont les lieux métapho-riques d'une telle conception. Ce type de connaissances ne s'est toutefois pascontenté de se situer dans la foulée de travaux plus fondamentaux. Ce sont làdes connaissances qui ont acquis leurs lettres de noblesse et une vie propre.Elles ne peuvent plus être considérées comme un sous-produit de connaissancesplus fondamentales. Ce faisant, ces connaissances du < comment >>, loin deI'atténuer, sont venues s'ajouter au problème de traduction des premières. Parexempie, comment peut-on actualiser des connaissances techniques dans devéritables réseaux sociotechniques capables de les mettre en æuvre ?

Restànt alors les connaissances qui adoptent une structure de type.. qui ,. Ces connaissances font appel à des personnages qui ont charge de tra-duire les autres types de connaissances en action. Ce sont là des personnages quise manifestent par leurs capacités de féconder des interfaces disciplinaires etculturelles. Ils avouent des centres d'intérêts diversifiés et leur parcours ou pro-fil professionnel se situent souvent à une frontière, dans un entre-deux. Pour lesnorrrmer, on ernploie de plus en plus le terme de mailleurs. Le terme personnages'applique donc particulièrement bien ici car il ne s'agit pas toujours d'identitésprofessionnelles solidement constituées. Il peut s'agir d'ingénieurs, de concepteurs, de fomrateurs, de chercheurs et d'autres qui, au cours de leur carrière, ontété amenés à fondre ensemble diverses expériences professionnelles telles quela coopération internationale, la formation en entreprise, la parlicipation à desgroupes interdisciplinaires. Ces expériences professionnelles diversifiées favo-risent I'ouverturc par rappoft à une pluralité de codes et d'univers de références.De même, les lieux d'émergence de ces personnages hybrides sont à I'image deceux-ci. Ce sont souvent des lieux fragiles qui se situent aux frontières des uni-versités, des entreprises et des organisations et qui prennent la forme, parexemple, de cercles, de réseaux, d'équipes, de projets. Parfois, il arrive que ceslieux reçoivent une fome institutionnelle précise, notanment lorsqu'il s'agit deliens entre des institutions fortes : école-entreprise, université-industrie. Ceslieux à vocation transférentielle sont souvent tiraillés par leur fonction hybride,se demandant s'ils vont ressembler davantage au < quoi > ou au < coûrment >.

C'est sur la base de ces personnes et de ces lieux plus ou moins institu-tionnalisés que se construit. actuellement une véritable < industrie >' de la média-

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:ron. Cette industrie bénéficie d'un arrière-plan qui n'a pas fini de bouleverseries modes d'appropriation des connaissances. Cet arrière-plan est constitué parla galaxie des moyens de communication que les sociétés modernes se sont don-nés : téléphone, presse, radio, télévision. cinéma. câble, banques de données,Interconnexions informatiques, satellites et autres. Cette sphère communication-nelle apparaît encore unidirectionnelle et passive à bien des égards. Cependant,etle a déjà pennis la constitution d'un nouvel espace public, le rapprochement:ans précédent des cultures ainsi que le développement d'un imaginaire indivi-rluel et collectif qui semble en voie de devenir un nouveau territoire socialposant des enjeux tout aussi importants que la possession de la terre au Moyen.\ge ou du capital jusqu'à maintenant.

Cette sphère cornnrunicat ionnel le peut rendre, ic i et maintenant, leshumains présents à d'autres réalitésa. Cette sphère effectue, parfois à elle seule,des fonctions de diffusion, de traduction (par exemple : la vulgarisation scienti-lique) et d'interprétation de nouvelles connaissances favorisant ainsi leur appro-priation par les populations. Ainsi, les médias, grâce à leur puissance dramatur-gique, ont favorisé I'appropriation de nouvelles notions telles que << menacenucléaire ", " égalité des sexes >. < protection de I'environnement >, bien avantque d'autres instances sociales ne le fassent (par exemple : la famille, l 'école oul'entreprise) et souvent plus efficacement que celles-ci. Si ces notions s'instal-lent de façon courante dans les conversations, c'est là un impact à porter au cré-tlit des niédias. Dans ce sens, plusieurs soutiennent que les médias ont un poten-tiel éducatif qui, tôt ou tard, dépassera ou assimilera celui de l'école.

L'école est un lieu important de la modernité. Elie accornpagne depuisses débuts le projet rationaliste dcs sociétés modernes. I1 n'est que de relire lespropos de Condorcet. Cependant, ce haut lieu de la modernité est de plus enplus remis en question car il est trop figé dans un modèle industriel : chaîne delr.lontage où tout est découpé en sujets, périodes, unités pour des groupes d'indi-vidus organisés en classes, où chacun vise un " papier " (par exemple undiplôme) en consommant <Jes cours donnés par des spécial istes, le tout étantgéré par une structure lourde et bureaucratique. L'école d'aujourd'hui n'an'ivedéjà plus à rencontrer I' idéal humaniste qui I'a justifiée, à savoir fotmer des per-sonnes honnêtes et cultivées, et encore moins à évoluer vers la formation de per-\onr)es cornpétentes et pcrt inel) tes.

L'école d'aujourd'hui n'apparaît déjà plus conrme le lieu privilégié de ladiflusion et de I'appropriation des connaissances. Les technologies rnédiatiquesont d'ores et déjà élargi l 'espace et le temps éducatifs. Ceux-ci ne peuvent plusêtre conf inés ou réclLr i ts au temps ct à I 'espace scolaires. Cependant, l 'école,cette vénérable institution du chirngement. n'est pas appelée à disparaître mais à

-i. La réalité rejoint ici la llction. En effet, les technologies dites de < réalité virtuelle > ont fhit leurrrpparit ion. El les pennettent non seulenrent de sinruler la rérl i té mais aussi de. vivre > à I ' inté-l ieur de cette simulat ion ct ntênre d'éprouver des sensations tact i les.

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se redéfinir. Il s'agit d'un changement dans le changement. Ce nouveau fleuvefait éclater les frontières du temps et de I'espace dans lesquelles on a tenté, vai-nement, d'enfermer I'éducation. De nouveaux lieux de formation sont en émer-gence : domicile familial, entreprise, musée. bibliothèque... De nouveaux tempsde formation sont disponibles : altemance, s[ages, recyclage, perfectionnement...De nouveaux formats, de nouvelles structures et de nouveaux partenariats seconstruisent à même ces espaces et ces temps de formation encore en pleindéfrichement.

En résumé, l'évolution du champ symbolique de la modemité fait appel àun nouveau type de changement. Ce type de changement fait appel à une véri-table < industrie " de la médiation, capable de réduire la complexité et d'induiredes ressources de sens, conférant ainsi aux personnes, aux groupes et aux entre-prises des compétences liées à leur identité et un sentiment de peninence se pro-longeant dans des engagements significatifs. Le tableau III propose une syn-thèse de cette sous-section et de la précédente de même qu'il les prolonge enproposant une mise en perspective de ces réflexions à travers le temps etd'autres thématiques.

Nouvelles figures de la rationalité, médiations socialeset schèmes d'action

De prime abord, dans le mécanisme d'ancrage des nouvelles connais-sances dans des schèmes d'act ion et des condit ions sociales, les anciennesconnaissances peuvent agir comme freins ou catalyseurs du transfert. Ainsi,lorsque des agents de médiation accompagnent la transformation des connais-sances en usages conceptuels ou instrumentaux. ils doivent nécessairement pas-serpar le schème d'action qu'adoptent des personnes, des groupes ou des col-lectifs. Ce schème d'action baigne lui-même dans un ensemble de conditionssociales et historiques qui le rendent plus ou moins perméable à de nouvellesidées, à des remises en question, à 1'ouverture au non-familier. Ce passageobligé de la médiation sociale par les schèmes d'action des personnes, des$oupes ou des collectifs sera exploré en examinant tout d'abord la question dustatut des connaissances véhiculées par les pratiques de fonnation et celle dustatut des savoirs présents dans les modèles d'action. De plus seront identifiésun certain nombre de freins attribuables tantôt aux connaissances elles-mêmes,tantôt aux schèmes d'actions, quant à la transformation des connaissances enusage. Enf in, un regard sera posé sur la dynamique même des schèmesd'actions lorsque ceux-ci transforment en usages de nouvelles connaissances.

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Equivalence dans le statut des connaissances théoriqueset des savoirs de l'action

L'explosion des connaissances scient i f iques et techniques donneI'impression d'une considérable accumulation de connaissances. Toutefois, lemonde modeme engendre plus de questions qu'il n'en résout. Cette situation setraduit par ce que José Ortéga y Gasset appelle le paradoxe de l'information :,< PIus on a d'informations, plus on est relativement ignorant, et plus on aencore besoin de plus d'informations. >> Cela serait un moindre mal si lesconnaissances possédaient un pouvoir cumulatif qui, telles les cartes des anciensdécouvreurs de I'Amérique, indiqueraient là des côtes ou des terres connues etlà des espaces inconnus que de nouvelles découvertes feront inévitablementconnaître. Ce pouvoir cumulatif des connaissances est une notion dont la pen-sée contemporaine semble avoir fait son deuil. Trois auteurs ont particulière-ment contribué à cette révision théorique : Michel Foucault, Karl Popper etThomas S. Kuhn.

Ainsi le rêve d'une science unifiée a été ébranlé par des thèses à connota-tions de plus en plus relativistes. Ce nouveau discours initie aux incertitudes denotre époque et fait voir les connaissances comme les produits de pratiquessociales et non plus comme quelque chose de révélé, de transcendant, d'a prioriou de complètement axiornatisable. Cependant, I'efficacité de ce discours dimi-nue lorsqu'il s'agit de prendre en compte le caractère plutôt stable des connais-sances. Certes, les connaissances évoluent et se modifient. Cependant, cette évo-lution semble se situer sur l'échelle des années. voire même, dans certains cas,des siècles.

Cet imbroglio théorique entre stabilité et relativité peut être démêlé enfaisant une distinction entre connaissance et savoir. Ainsi, la connaissance ren-verrai t davantage à la concept ion discont inuiste, proposée par GastonBachelard, entre sens coffunun et connaissance scientifique. Vu sous cet angle,la connaissance est en rupture par rapport au sens commun. Par exemple,I'acquisition de concepts scientifiques implique une rupture avec nos rcprésen-tations premières du monde, souvent à caractère animiste. Le savoir, quant à lui,renvemait davantage à cette conception continue véhiculée par Jean Piaget. Ici la,, connaissance >> se présente comme une forme d'adaptation au monde résul-tant de I'action du sujet sur celui-ci. Les personnes se construisent des schèmesou des modèles en fonct ion du but qu'el les désirent at teindre. Ainsi , ou lemodèle fonctionne et la personne en fait un outil stable lui permettant d'appré-hender viablement son monde, ou il ne fonctionne pas, la personne entreprendalors de le réorganiser de làçon à le rendre plus adéquat.

ll est utile de maintenir côte à côte ces deux conceptions. D'un côté, il y ales connaissances qui se présentent comme un corps d'énoncés hypothétiquesallant de la simple description à la déduction, en passant par la corrélation. Cecorps d'énoncés est fragile, souvent conquis contre le cours de la pensée << natu-relle o et constamment disponible pour fins de réfutation. D'un autre côté, il y a

'7'7

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les savoirs qui se manifestent à I' intérieur de schèmes d'actions. Ces savoirssont relat ivement stables en ce qu' i ls sont ancrés dans une communautéd'appaflenance.

Tableau l t l

Mise en perspective longitudinale et thématique des tendances actuellesagissant au sein des sociétés modernes

;i

I

À travers Ë@- Gvers I'an 2fiX)

Aujourd'hui

Ditfusion dela connaissance

Monastère / librairie /scriptorium

Ecole / classe /imprimé

Média I réseau /informatique

Matériaux Fer, bois Acier et béton Plastique, alliagecomposite(hyperchoix)

Ressourcesénergétiques

Moulin, tractionanimale

Machine à vapeur,moteur à combustionou à explosion

Electricité /nucléaire / solaire

Vivant Sélection desespeces

Microbiologie Génie génétique

Temps

(seconde)

Cloche (heure)

(nano- seconde)

Chronomètre Electronique

Organisationdu travail

Servage Taylorisme /Fordisme

Gestion qualitativeet participative

Champ social " Terre "(Bapportsociété - nature)

" Capital "(Rapportsociélé - société)

" lmaginaire "(Rapport - société -représentalion)

Habiletésvalorisées

Talenls Performance Compétence

Pouvoir Eglise i Noblesse -Armée

Sciences / Etatlndustries

Technoscience /réseau -sociotechnique

Axe d'intégration Foi(Quête spirituelle)

Pragmatisme(Utilisation fonclion-nelle)

Stylisation(Appropriation -transformation)

Axe de " déviance u Autorité Discipline Culture

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Les savoirs s'inscrivent dans des formes culturelles qui, souvent, ontvaleur de tradition, d'une tradition ouverte, compte tenu du cadre réflexifimposé par la modernité. Ainsi, il est possible de concevoir les savoirs commedes formes d'inteqprétation aptes à évoluer au gré des usages et des expériencesqui leur donneront, le plus souvent, une forme plus dense et texturée et qui, àI'occasion, les forceront à certaines révisions. Alors apparaissent des problèmesde cohérence, de consistance, de traduction et de reconstruction ; dorénavant( on voit '> des enfants maltraités ou des sans-abri là où, auparavant, on ne lesvoyait peu ou pas. Les savoirs évoluent ainsi différemment des connaissances, àla vitesse des plaques tectoniques : lentement, imperceptiblement mais aussi,parfois, plus brusquement, sous la pression de contextes qui changent ou d'hori-zons sociaux qui se déplacent.

Cette distinction entre connaissances et savoirs permet de jeter une nou-velle perspective sur les résultats des recherches britanniques entreprises dans lecadre de la sociologie des curriculums scolaires, c'est-à-dire sur la façon dontune société sélectionne les connaissances, les classe, les distribue, les transmetet les évalue dans le cadre des institutions d'enseignement. Ces recherchessociologiques, que plusieurs travaux francophones ont fait récemment découvrir[Tanguy. 1986 ;Trottier. 1987], mettent en évidence que la connaissance n'estpas neutre, qu'elle n'est pas universelle mais qu'elle existe dans des rapportssociaux différenciés. La connaissance apparaît ici comme une constructionsociale, un produit d'interactions qui n'échappent pas aux rapports sociaux.Jusqu'au milieu des années soixante-dix, ce courant de recherches affirmait, niplus ni moins, que les différences entre catégories de connaissances n'étaientque sociales. G. Witty a atténué ce relativisme en distinguant entre, d'une part,les irnpératifs épistémologiques qui entourent la construction et la validation desconnaissances et, d'autre part, les problèmes de distribution et d'utilisation decelles-ci qui seraient, selon lui, davantage marqués par les rapports sociaux.Ainsi, selon notre terminologie, ce seraient les savoirs des acteurs sociaux quipofteraient la marque des rapports sociaux alors que les connaissances scienti-fiques et techniques seraient construites selon une logique discursive qui leur estpropre. Cette distinction entre un univers des connaissances possédant ses lèglespropres, indépendant des rapports sociaux, et un univers structuré par des rap-ports sociaux serait devenu inadéquate dans sa fonne actuelle.

En effet, le .. sens commun >> n'est plus ce qu'il était. l l est < confronté >à de multiples connaissances déjà construites. accumulées dans I'espace socialsous forrne de techniques et de codifications diverses, qui balisent et organisentla fbrmation du sens con'rrlun. Dans cette perspective, les connaissances scienti-fiques et techniques sont aussi des éléments constitutifs des pratiques socialesdes acteurs sociaux. Parallèlement, les connaissances scientifiques et techniquesapparaissent de plus en plus évaluées en fonction de leur pertinence sociale. Lesimpacts des sciences et des techniques, parfois pervers, ont favorisé un élargis-sement de la pertinence sociale au point qu'elle incorpore maintenant des cri-tères éthiques et esthétiques. Le rapporl théorie-pratique est, dans les sociétésmodernes, de plus en plus construit par le jeu des acteurs sociaux.

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La sociologie des curriculums interprète la sous-utilisation des connais-sânces en voyant là la résultante de rapports sociaux inégalitaires. Cette expli-cation fait sens puisque les connaissances poftent la marque des sociétés où ellesont vu le jour et des usages qu'on en fait. Cependant, les connaissances ontaussi un rôle nécessaire, non pas contingent ou relatif. Ces outils théoriques outechniques concentrent sur eux l'évolution des sociétés, notamment en objecti-vant ce qui peut l'être, rendant par le fait même la pensée sociale disponible à denouveaux problèmes, à de nouvelles inventions et à de nouvelles créations.Brei les connaissances sont nécessaires à tout élargissement du monde vécu, àtoute extension du tenitoire social et symbolique des acteurs sociaux. Toutefois,ce ne sont pas les connaissances, en soi, qui fournissent les conditions suffi-santes d'un tel processus.

Les nouvelles figures de la rationalité des sociétés modernes tendent àune reconnaissance équivalente du statut des connaissances et de celui dessavoirs de I'action. Cette équivalence de statuts n'équivaut cependant pas à unedisparition de I'un au profit de I'autre. Tout au plus cette équivalence indiquedes possibilités accrues d'interfécondation entre connaissances et savoirs. Lesconnaissances perdent ici leur statut de ( norrnes > qui leur permettaient, d'unpoint de vue général, de juger les savoirs de I'action, considérés comme uneappl icat ion contextuel le plus ou moins précise de ces connaissances.Connaissances et savoirs, les premières avec leur logique de validité et lesseconds avec leur logique experientielle, peuvent contribuer à la formation deschèmes d'action. Ce sont des conditions culturelles, sociales et historiques quidétermineront le poids respectif de I'une par rapport à I'autre dans la construc-t ion des schèmes d'act ion. Par exemple, le schème d'act ion des médecinsaccorde un poids plus important aux connaissances 5 tandis que le schèmed'action des enseignants fait davantage appel aux savoirs6.

Sous-utilisation des connaissances causée par la diversitédes groupes et des pratiques

Abordons maintenant le problème des pertes dans I'utilisation sociale desconnaissances. C'est là un problème d'une grande ampleur. Ainsi, Nowotnyavance qu'il y a un taux d'util isation des recherches sociales d'àpeine5 7o.D'autres soulignent le décalage important entre le temps qu'il faut pour élaborerune innovation et le temps qu'il faut pour I' implanter. soit environ quarante ans

5. Il existe toutefois un courant favorable à une plus grande place donnée aux savoirs dans la for-rnation des médecins, ne serait-ce que pour mieux communiquer avec les personnes malades etleur famille, ou encore pour accorder plus de poids à la logique idiosyncratique des cas.

6. Ce qui ne signif ie pas que cel les-ci sont inuti les dans la fonnation des maîtres, loin de là.

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pour le domaine de l'éducationT (School of Education of the University ofNorth Carolina, 1978). Quels sont donc les principaux facteurs qui interfèrentavec une diffusion optimale des connaissances ? Deux facteurs retiennentI'attention, soit I'asymétrie des groupes sociaux et I'intégration dans les pra-tiques.

Un premier facteur important de la sous-utilisation des connaissancesréside dans le caractère asymétrique du monde modeme. Le monde modeme estdominé par la culture des experts. Ainsi, les systèmes d'information et de diffi.r-sion des connaissances sont, en majorité, prévus et conçus pour des secteursspécialisés, notamment scientihques et technologiques, par conséquent dirigésvers un secteur restreint de la demande sociale. ll s'agit là d'un système de dif-fusion en vase clos où I'on communique selon des règles et des procédures peuintelligibles du point de vue d'autres secteurs d'activités sociales. Sur cette basese constituent des ghettos de connaissances qui permettent les cloisonnementsdisciplinaires et qui correspondent souvent à des chasses gardées de pratiquessociales. Le transfert des connaissances est ainsi considérablement limité parl'opacité que les expertises développent, chacune d'elles et entre elles. Cetteopacité sert les experts puisque, tout bien considéré, ils sont encore les seuls àpouvoir retirer et transférer les connaissances de leur domaine vers d'autresdornaines. Les groupes sociaux qui peuvent se payer de telles expeftises sontévidemment favorisés.

Le défi de la traduction entre ces diverses expertises est un problèmeposé et à résoudre. D'ailleurs. ce problème d'asymétrie affecte maintenant lesexpefts eux-mêmes dans la mesure où ils deviennent les victimes de la fragmen-tation et de la parcellarisation des connaissances : absence de rétroaction éclai-Ée de la part de la communauté des pairs, compte tenu du caractère hyperspé-cialisé des travaux ; déclin de la lisibilité scientifique par I'emploi de termes nonfamiliers, polysyllabiques ; perte de légitimité des travaux scientifiques auxyeux des contribuables et des décideurs politiques. Plusieurs propositions visantà décloisonner les domaines de connaissances, à les rendre plus accessibles et

7. Ce qui en fait un des donraines parmi les plus lents quant à I'adoption de nouvelles connais-sances. Cette situation tiendrait au fait que l'éducation est avant tout un domaine consommant desconnaissances techniques d'intervention et non pas directement des connaissances théoriques.Autrement dit , l 'éducation n'ut i l ise pas (ou peu) une nouvelle connaissance théorique tant quecelle-ci ne s'est pas transfomrée en < outil >, en << manuel >, en <( programme >, en < technologieéducative ". La pénétration du behaviorisrne en éducation s'est faite sur cette base. Dans lesannées à venir, il y aura une pénétration équivalente des théories cognitivistes car celles-ci sedéveloppent, de plus en plus, sous forme de techniques. Donc, si l'on veut savoirquelles connais-sances s'apprêtent à être transférées en éducation, il est pertinent d'étudier de près le travail desconseillers pédagogiques, des concepteurs de programmes, des fabricants de manuels scolaires,des développeurs de technologies éducatives et autres. Ce point de lue va dans le sens de notrehypothèse sur la médiation sociale et s'oppose à une interprétation plus classique qui explique leslenteurs de la diffusion de nouvelles connaisances en éducation par le caractère .. reproducteur ,ou < conservateur > de I'activité éducative.

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intelligibles à des publics novices ont été expérimentées : boutiques de sciences,services à la collectivité dans les universités, création de groupes interdiscipli-naires, vulgarisation scientifique, réduction du jargon, agences d'informationsélectionnant et acheminant les connaissances vers des publics cibles, colloquesou groupes de travail praticiens-chercheurs, équilibration des critères de perti-nence et d'excellence dans l'attribution des fonds de recherches et autres. Bref,diverses formules qui tendent vers ce que Roquepelo appelle le partage dessavoirs. La diversité de ces tentatives met en évidence la difficile intégration desconnaissances dans les pratiques sociales. Abordons ce second facteur.

Les connaissances se présentent, dans les sociétés modemes, comme unemasse d'informations prenant des proportions gigantesques 8. Se pose, dans cecontexte, le problème de ce que D. Hofstadter appelle < l'élagage dans le bran-chement géant des possibilités >. Le problème de I'intégration des connais-sances dans les pratiques est d'abord de nature communicationnel. Ainsi, parexemple, il ne s'agit pas d'asseoir autour d'une table des spécialistes de diffé-rentes disciplines, bien disposés. pour que se réalise l' interdisciplinarité. Unetelle pratique requiert des compétences langagières susceptibles d'établir unéquilibre entre plusieurs discours. De même, il ne suffit pas de mettre en contactcefiains publics avec des infomrations spécialisées pour que ceux-ci les acquiè-rent. Les études sur la vulgarisation scientifique ont mis en évidence la résis-tance intr insèque qu' i l y a à traduire des connaissances auprès de publ icsnovices, Il faut aussi reconnaître que l' idéal de connaissances transparentes depart en paft est pour le moins illusoire dans les sociétés modernes. Les spécia-listes eux-mêmes ont peine à faire le décompte des connaissances de leur propredomaine, alors comment pounait-il en être autrement pour des novices ?

L idéal encyclopédique, ou de I'homme honnête et cultivé, tient de moinsen moins et doit faire place à une autre vision des choses. Cette vision, portéepar ur) nouveau type de rnédiation sociale, s'appuie sur ceftains mécanismes dedélestage qui consistent à savoir où sont concentrées les expertises et les compé-tences et comment les faire intervenir au bon moment et au bon endroit. Unacteur social n 'a pas à tout savoir , mais i l doi t connaître ceux et cel les quisavent. La rnédiation sociale peut aussi contribuer à I' intégration par un travailau plan symbolique, notalnment en formant et en développant un système dereprésentatiorr efïcace. Ainsi, le transfen des connaissances r)e vise pas à trans-fbnner des publics novices en experts, contrat didactique périlleux et coûteux,rnais à dévclopper chez ces novices une capacité à t lonner un sens aux cortnais-sances en fbnction du niveiiu d'appropriation recherché.

Ce travail synrbolique fait appel à ce que Michel Seres uomnre la ., rrraî-trise de la rnaîtrise ". Celle-ci est favorisée par des compétences communica-tionnelles susceptibles d'assurer la cohésion de groupes de références de plus enplus di f férenciés tout en faci l i tant le dialogue entre eux. re. ;oigrrant ce que

8. Par exenrplc, i l cxiste plus dc 7 500 revucs scientrf iques de plr le rnonde

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Todorov appelle un < principe dialogique >. Ainsi, les biais et les peftes dans ladiffusion des connaissances peuvent être atténués en inscrivant celles-ci dansune écologie communicationnelle, d'une paft, en utilisant le pouvoir intégrateuret mobilisateur de I'imaginaire social. D'ailleurs, ce < nouveau > territoire socialfait déjà I'objet d'enjeux sociaux puisque les représentations culturelles aurontune lourde influence sur les connaissances adoptées. D'autre pafl, la multiplica-tion des occasions d'échanges et de mise en réseau auront pour effet d'accroîtrela coordination et la synchronisation entre les acteurs sociaux. Dès lors, il seraplus facile de choisir les connaissances qui offrent un avantage conceptuel, ins-trumental ou affectif pemettant aux acteurs de penser et d'agir par rapport àcertaines tendances sociales clés. Le travail symbolique de la médiation socialeconsiste à élargir les perspectives des acteurs.

Dynamique des schèmes d'action : capacités d'objectivationet mécanismes d' ancrage

Plusieurs indices récents sont venus ébranler des certitudes que I'oncroyait acquises à la suite des efforls de scolarisation massive des quarante der-nières années. Par exemple, la croissance d'un nouvel analphabétisme au seinde sociétés dotées de système d'enseignement de masse accessible à tous. Cephénomène concemerait, à des degrés divers, de 20 à 30 7o de la populationadulte, et ce, dans la plupart des sociétés modernes. De même, une enquêtearnéricaine a établi, i l y a quelques années, que 80 7o dela population adulteévitait de calculer, de compter, de se servir des nombres [Schatzman, 1989]. Lesétudes de Clement et Mc Closky sur la représentation naïve montrent que lesadultes américains, rnalgré leur socialisation dans un système d'enseignement àtbrte culture scientifique et technique, continuent de penser le monde selon desprincipes aristotéliciens (et non newtoniens), à croire que le courant électriques'épuise, à concevoir de fiçon animiste les microbes, et ainsi de suite. Ces struc-turcs stéréotypiques des adultes sont remarquablement stables. Une sociétérnoderne peut évidcnrnrent survivre avec de tel les concept ions. Cependant,l 'évolution sociale actuelle établit un lien de plus en plus étroit entre, d'une paft,les connaissances scientiflques et techniques et, d'autre part, le cadre social quiest capable de les mettre en cuvre.

Penser ce que poun'ait être un tel cadre sociotechnique passe par la for-nrulation d'un contrat social éducatif dont les modalités dépassent le cadre de celivre. Pour le moment, il s'agit de nrcttre en évidence le degré de transformatiorrd'urt schèrne d'act ion clue nécessitent des exigences de plus en plus fof tes enregard de ce cadre sociotechnique.

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Les capacité s d' obj ectivation

Les capacités d'objectivation d'un schème d'action jouent un rôle impor-tant dans la saisie et le traitement de nouvelles connaissances. Ces capacités per-mettent, entre autres, de mobiliser un ensemble de composantes sociocognitivesadaptées à la situation. Ainsi, les savoirs de l'action jouent un rôle importantdans I'utilisation ou la sous-utilisation des connaissances. D'abord, les savoirsagissent comme une structure d'accueil, un déjà là, à partir duquel les acteurssociaux règlent leur perception des nouvelles connaissances. Trois situationssont alors possibles :

1. les savoirs fournissent un cadre général qui facilite I'assimilation deconnaissances plus spécifiques ou détâillées ;

2. les savoirs servent de base d'appui ou de préalables dans I'appropria-tion de nouvelles connaissances ;

3. les savoirs fournissent les métaphores ou les analogies qui guidentI'exploration et I'apprivoisement de nouvelles connaissances (par exemple :I'analogie d'un circuit électrique pour comprendre le système nerveux). Ainsi,les adultes font, de façon générale, des inférences qui sont consistantes avecleurs savoirs. De même, ils assimilent plus facilement les nouvelles connais-sances qui renforcent leurs savoirs, et partant, leur identité.

Giordan et de Vecchi font des savoirs de I 'act ion (qu' i ls nomment< conceptions >>) un processus de construction du réel qui se préserrte corrrme unmodèle, un mode de fonctionnement compréhensif prenant appui sur un cadrede référence. Ce cadre de référence est, en bonne partie, constitué par lesconnaissances antérieurement assimilées et stabilisées. Ils estiment que cesconnaissances antérieures s'enrichissent et évoluent par les usages que la per-sonne en fait. Dans ce sens, les savoirs sont ancrés dans les pratiques socialesdes acteurs.

Les savoirs agissent ainsi comme interface entre les pratiques sociales etles connaissances. Les connaissances dépassent alors le niveau du discours et sedisséminent dans les modes de penser et d'agir de I'acteur. Une connaissancepeut alors soit déloger ou réorganiser les savoirs par le haut, soit cohabiter aveceux, or.r bien s'intégrer aux savoirs de I'action par le biais de procédures de bri-colage et de stylisation qui en font un outil significatif et pratique.

De ces trois possibilités seule la troisième apparaît optimale. La premièremodal i té s 'appl ique lorsque le contexte fai t intervenir de fortes pressionssociales de validité, sans autres considérations. Le transfert opère ici dans unmonde objectif, scientifique, technique ou bureaucratique, où ce sont le succès,le rendement, la conformité à un corpus disciplinaire ou professionnel qui domi-nent. Ces situations existent mais elles varient sous I'influence de facteurs per-sonnels, professionnels ou sociaux. Ainsi, pendant plusieurs décennies, le trans-fert de technologies vers les pays dits en voie de développement a été penséexclusivement selon un mode oerformatif. laissant de côté les considérations

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socioculturelles des populations visées, entraînant le gâchis que I'on connaîtmaintenant : appauvrissement des sols, endettement, destruction des cadres devie traditionnels, et ainsi de suite. La seconde modalité, celle qui place lesconnaissances et les savoirs dans deux mondes parallèles, oublie que les savoirssont retravaillés par les connaissances scientifiques et techniques et que celles-cisont, en revanche, de plus en plus soumises à une rationalisation du social pluslarge, faisant intervenir des considérations éthiques et esthétiques. La troisièmemodalité rend mieux compte de ces nouvelles figures de la rationalité à l'æuvredans les sociétés modernes. D'une part, les savoirs de l'action donnent auxconnaissances qui s'y intègrent le sens de la localité, de la situation, de lacontingence. D'autre part, les connaissances rappellent aux savoirs de I'actionqu'ils doivent se penser comme un mode de connaissance parmi d'autres, lesamenant ainsi à un état réflexifoù ces savoirs sont appelés à se concevoir dansleurs limites.

Les savoirs constituent un mode de connaissance de type sociocentrique,c'est-à-dire au service des besoins, des désirs et des intentions des acteurssociaux qui agissent par et avec eux. Cependant, les acteurs doivent, dans lessociétés modernes, se construire une représentation du monde ouverte et perfec-tible. Cette représentation du monde est acquise au prix de procédés de décen-trement, d'argumentation et d'apprentissage, par lesquels les acteurs sociauxétendent leurs compétences tout en ne perdant pas de vue la pertinence d'un telprocessus : se construire une identité et une appartenance sociale.

Ainsi, une connaissance s'intègre aux savoirs de l'action si elle constitueune source de sens pour les personnes qui partagent un même schème d'action.Cette dynamique décrit assez bien ce qui se passe lorsque des concepts tels que< subconsciert >>, << stress >>, << système >>, << information >>, < écologie >>, <<feed-back >> et combien d'autres s'incorporent aux savoirs des acteurs sociaux et fontdorénavant partie du référentiel guidant les pratiques sociales. I- utilisation desconnaissances apparaît donc comme dépendante d'une intégration optimale auxsavoirs de I'action. Ces savoirs peuvent s'avérer d'emblée un cadre d'accueilefficace. Ils s'inscrivent, dans ce cas, dans une logique scientifique et technique.Il arrive cependant que savoirs et connaissances ne font pas bon ménage. Ilarrive aussi que les connaissances envahissent des pratiques sociales déjàdestructurées ou dévaluées par la modernité, contribuant à affaiblir les savoirscomme forme identitaire. Les pratiques de formation doivent alors reconstituerune identité et une appartenance sociale avant même de rendre I'apprentissagepossible. Cette dimension thérapeutique, de plus en plus importante dans lespratiques de formation, indique le prix qu'il faut payer lorsque I'on fait prévaloirles connaissances au détrirnent des savoirs de I'action. La mise en place d'unsystèrne de représentation efficace, contribuant à une utilisation optimale desconnaissances, n'exige donc pas que tous les acteurs sociaux s'approprient unepensée technique ou scientifique poussée. Un tel système repose davantage surI'ancrage des connaissances dans les pratiques sociales. C'est ce second aspectde la dynamique d'un schème d'action qui est maintenant abordé.

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Les mécanistne s d' ancrage

Les capacités d'object ivat ion ne peuvent, à el les seules, exprimerI'ensemble d'un processus de transfert de nouvelles connaissances. Ainsi, I'inté-gmtion d'une connaissance ne repose pas seulement sur la représentation objec-tive mais aussi sur une entente intersubjective que les acteurs peuvent mainte-nir entre eux. Cette entente dépend autant des représentations que se font lesacteurs que des conditions de vie et de travail que I'on retrouve dans le mondeainsi que des projets et des intentions qui les animent. Le sens est toujours lié àun contexte. Un schème d'action implique une tension entre objectivation etancrage qui se résout sur le terrain de la compréhension.

La compréhension implique la possession d'états intentionnels et la vali-dité de ces états. Ce point de vue met en relief qu'un processus de transfert ne selimite pas à représenter des connaissances mais aussi, et surtout, à les utiliser.Les savoirs ne disposent pas des intentions, pas plus que I'inverse. Un acteursocial peut incorporer à ses savoirs des connaissances mais refuset peu importepour le moment les raisons motivant son attitude, de les utiliser, c'est-à-dire deles diriger vers un état de choses dans Ie monde : résoudre un problème, com-prendre une situation, prendre une décision... Par exemple, un cadre d'entreprisepeut suivre et assimiler les contenus d'un cours portant sur la gestion participa-tive mais ne pas adhérer aux objectifs d'un tel projet. L'acteur social n'est pasque le sujet se représentant le monde auquel les sciences cognitives se Iimitenttrop souvent. L'acteur est mû par des désirs, des convictions, des considérationsstratégiques qui orientent son activité dans le monde [Perrenoud, 19761.

Il anive que I'util isation d'une connaissance soit seulement. le fait d'uneactivité stratégique. Ainsi, une connaissance peut servir de .. munitions > dansun débat social, en contribuant à donner des arguments à des personnes ou desgroupes qui revendiquent une plus grande autonomie professionnel le, unmeilleur salaire, une plus grande visibilité ou reconnaissance sociale, etc. Lesmotifs de retour aux études des adultes correspondent aussi à une forme d'inten-tionnalité : obtenir une promotion. un gain salarial, une plus grande mobilitéprofessionnelle. éviter de perdre son emploi. De même les incitatifs (augmenta-tion de salaire, encouragement et autres) servent souvent de symboles sociauxpour encourager I' introduction de nouveaux procédés, de nouvelles façons defaire ou de nouvelles attitudes. À I'inverse, les découragements induits par I'atti-tude négative d'une direction, les doubles messages ou le manque de reconnais-sance ont souvent pour effet de torpiller I'utilisation de nouvelles connaissances.Rappelons aussi le rôle irnportant joué par le leadership des figures d'autoritédans I'appropriation ou le rejet de nouvelles connaissances.

Ces phénomènes traduisent le caractère intent ionnel de I 'act iv i téhumaine. En ce sens, ils agissent comme régulateurs de I'attention et de I'effortque ies personnes, les groupes ou les col lect i fs sont prêts à invest i r pours'approprier une nouvelle cortnaissance. De même, ces phénomènes permettentd'anticiper un gain potentiel au bout du processus d'appropriation. Ces gains ouces motifs peuvent être empiriques ou rationnels. extrinsèques ou intrinsèques.

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Ainsi, la formation de motifs peut provenir d'incitatifs qui n'ont plus guèrebesoin d'être nommés dans les sociétés modernes : argent, pouvoir sur soi ousur les autres, séduction. Elle peut aussi provenir d'avantages tels que confiance,crédibilité, réputation, autorité morale et autres. La motivationv et I'anticipationd'un avanLage sont donc, à notre avis, des composantes impoftantes de la dyna-mique d'un schème d'action. Le transfeft des connaissances passe nécessaire-ment par ces mécanismes d'ancrage.

[æs mécanismes d'ancrage sont en lien avec les capacités d'objectivationen ce sens qu'ils contribuent à façonner I'identité et l'appartenance des acteurssociaux. Les solidarités de groupes, la loyauté envers un dirigeant, un parti, uneentreprise, I'engagement envers une cause ou une idée, voilà âutant de formesintentionnelles qui rendent compte des passions qui peuvent se tisser autour d'uncorpus de connaissances. Ainsi, Kuhn a observé que les scientifiques préfèrentajuster leurs théories plutôt que de les abandonner parce qu'elles ne concordentpas avec certains faits. Il en va de même des ouvriers qui résistent à de nouveauxprocédés parce qu'ils sont attachés à leur ancienne façon de fairel0. En revanche,d'autres groupes font de I'ouverture au changement, d'être à la << fine pointe '.une valeur professionnelle qu'ils placent au-dessus de tout. C'est le cas entreautres des métiers à forte mobilité professionnelle, telle l'informatique.

C. Dubar et P. Méhaut ont mis en évidence quatre dynamiques identi-taires qui se forment dans le cadre de restructurations sociotechniques qui affec-tent actuellement le monde du'travail. Tout d'abord, une dynamique d'exclusionqui touche davantage les travailleurs privilégiant une relation instrumentale avecleur travail. Ces .. exclus > perçoivent dans les changements une non-reconnais-sance de leur acquis expérimental. Une deuxième dynamique peut être qualifiéede blocage. Ces << résistants > sont su(out ceux et celles qui ont une identité demétiers. Les < résistants >> conçoivent la formation, l 'adaptation aux change-ments en cours, sous I'angle d'une progression dans leur métier. Or, les change-ments actuels valorisent davantage la polyvalence, I'interdisciplinarité, les inter-connexions horizontales. La troisième dynamique en est une de mobilisationinteme. Elle intègre des éléments de gestion aux métiers dans la mesure où latbrmation des ident i tés s ' intègre au projet de I 'entreprise. Ces travai l leurs( er)gagés > ont une représentation complexe et décloisonnée de la formationdans la mesure où le nouveau pôle intégrateur est I'entreprise. La quatrièmedynamique se définit en termes de reconversion externe. Elle concerne surtoutces travailleurs qui acquièrent, en cours d'emploi, une expérience et une forma-tion pouvant favoriser leur mobilité professionnelle. Ces travailleurs, souventtrès scolarisés, sont ( autonomes ) par rapport à I'entreprise et sont en mesurede négocier leur compétence, souver-.rt reconnue comme stratégique. À I'inverse,les entreprises craignent d'investir dans la formation de ces travailleurs de peurde les perdre au profit de concurrents. Ces dynamiques identitaires sont des

9. I I serait plus précis de parler de motifs.

| 0. Phénonrène qu'on nonrrne abusivernent " résistance au changement ,

81

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manifestations percutantes des stratégies d'appropriation de nouvelles connais-sances par les acteurs sociaux.

Les mécanismes d'ancrage supposent aussi un ajustement des intentionsau contexte, notamment aux possibilités et contraintes de celui-ci. Le contexteest, à toutes fins pratiques, la porte d'entrée des conditions sociales et histo-riques dans lesquelles baigne un schème d'action. Lorsque ces conditions chan-gent ou s'améliorent, les intentions peuvent se déplacer, s'inscrire dans de nou-veaux horizonsrr. Le contexte contribue ainsi directement à définir I'utilisationlocale d'une connaissance. Plusieurs chercheurs [Brown, Collins et Duguid,19891 ont mis en évidence l'importance des éléments contextuels comme supports au raisonnement : util isation de grandeurs physiques ayant un sens,d'algorithmes différents de ceux appris à l'école (par exemple : la multiplicationdevient une addition répétitive d'objets concrets), et de méthodes avec les-quelles on se sent en confiance. Le contexte mettrait ainsi en relief les savoirsessentiels, organiserait la solution du problème, la baliserait et la dirigerait. Deplus, chose surprenante, les praticiens, vendeurs, ingénieurs, consommateurs etautres qui s'en tirent bien dans le contexte de leurs pratiques échouent. lorsqu'ilssolutionnent les mêmes problèmes dans un contexte scolaire. L école met ainsien évidence une autre culture où les étudiants adaptent leurs visées intention-nelles au contexte scolaire (par exemple : une culture de la réponse) plutôt quede construire des connaissances ou des habiletés transférables. Sur ce point,J. Lave présehte des com.paraisons intéressantes entre contexte scolaire,contexte de pratiques et contexte familier (Tâbleau IV).

Iableau IVTypologisation des activités cognitives des novices,

des experts et des étudiants

Source : Brorvn, Coliins et Dueuid, 1989

1i. Ce processus faisait dire à E. Cassirer que I'homme n'est pas un être raûonnel mais un êtresyrnbolique. Il est tout à fait possible de concevoir qu'une anrélioration des conditions d'existencen'amène pas forcérnent plus de " bonheur >> car, ce faisant, les personnes déplacent aussi leurniveau d'attentes et d'aspirat ions.

88

NOVICES ETUDIANTS EXPERTS

raisonnent avec des : histoires causales lois modèles causals

agissent sur des : situations symboles situationsconceptuelles

solutionnent des : problèmes émergantdes dilemmes

problèmes biendéfinis

problèmescomposites

produisent un : sens négocié et unecompréhensionsocialementconstruite

sens fixe etdes conceptsimmuables

sens négocié etune compréhen-sion socialementconstruite

Page 79: De la formation au métier

Du point de vue des pratiques de formation, force est d'admettre que lecontexte est une dimension essentielle. Ainsi, le contexte est souvent d'abord unsystème de places qui conditionne le rapport aux connaissances de ceux et cellesqui les occupent. Le rapport aux connaissances, les visées intentionnelles d'uncadre supérieur ayant accès régulièrement à des colloques, des séminaires, desséjours d'études à l'étranger ne sont pas les mêmes que celles d'un ouvrier qui,dans le contexte d'une entreprise dominée par une division taylorienne du tra-vail, change des freins depuis vingt ans. De plus, la fragmentation des connais-sances renvoie à des univers contextuels de plus en plus découpés et spécialisés.Ajoutons que le contexte se dit et se vit aussi en termes de conditions de travailou d'existence : surcharge de travail, bruit, isolement, stress, logement insa-lubre... Ces conditions d'existence ont un effet sur le transfert des connais-sances. Il est, par exemple, difficile de rendre des professionnels ouverts ou dis-ponibles à de nouvelles philosophies d'intervention lorsqu'ils savent que leuremploi est menacé, que leur service est en voie de réorganisation ou encore queles moyens financiers ne viendront pas appuyer toutes ces belles paroles. Cespersonnes réviseront à la baisse leurs intentions.

Une société modente présente ainsi plusieurs profils d'ancrage, de rap-pofts aux connaissances. Ces profils poftent la marque du contexte à I'intérieurduquel pensent,et agissent les acteurs sociaux. Ainsi , une personne peutapprendre 1'espagnol, la gestion participative, une technique de pointe en sou-dage, ou encore le tarot, mais si le contexte où elle est plongée ne lui permet pasde parler I'espagnol, rejette I' idée de la participation, n'a pas d'appareil à lapointe des technologies en soudage ou encore entretient un fort scepticisme vis-à-vis de l'ésotérisme, le maintien de ces apprentissages devient, avec le temps,fort difficile à moins de trouver des stratégies compensatoires ou volontaristes.D'autres contextes s'avèrent, par ailleurs. stimulants et exigeants du point devue de I'acquisition de nouvelles connaissances.

Première ébauche d'un modèledu transfert de connaissances

La première section de ce chapitre a permis de mettre en évidence lechamp symbolique de la modernité. Un champ qui se définit par I'autonomie dela science, de la morale et de I'ar1 et qui s'appuie sur le scepticisme tout en valo-risant l'engagement social et personnel. Ce champ symbolique est traversé pardeux crises impo(antes : celle de la complexité et celle du sens. Ce charnp pos-sède toutefois une dynamique interne, celle du changement, qui lui permetd'affronter ces nouveaux défis.

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Le changernent a cependant longtemps été conçu sous I 'angle d'unestructure polémique. Il visait, par exemple, à déclasser ou dévaluer les tradi-tions. ou encore à instaurer une logique oir tout ce qui est nouveau apparaissaitnécessairement supérieur à ce qui est ancien. Ainsi, une nouvelle connaissancedevenait d'emblée valorisée souvent au détriment de celles qui la précédaient.Cette dynamique de changement a entraîné une croissance imporlante du stockde connaissances disponibles dans nos sociétés sans toutefois établir un liencumulatif ou significatif entre ces connaissances. Ces constats d'incomplétudeet de relativisme croissant ont permis de mettre en évidence de nombreux écaftssociaux : écart entre la production de connaissances et leur utilisation ; déplace-ment de la barre du capital culturel que les personnes doivent posséder poursimplement penser et agir dans leur société, créant ainsi de nombreux exclus ;hiérarchisation des pays et des groupes sociaux à l'intérieur de ces pays en fonc-tion de leurs capacités de produire de nouvelles connaissances.

Cette dynamique de changement quantitatif a cependant pemis l'émer-gence d'un nouveau type de changement, plus qualitatif. Ce type de change-ment procède davantage à partir d'intégration et de métissage et se préoccupeplus des impacts, des répercussions entourant la rnise en æuvre de connais-sances techniques et scientiliques. Car, à la limite. ce ne sorlt plus seulernent desindividus mais des régions. des continents, voire même la planète entière qui estmenacée par I'util isation inconsidérée des produits scientifiques et techniques.Ce nouveau type de changement ne se définit donc pas comme au seul serviced'une rat ional i té instrumentale. Dorénavant les quest ions éthiques et esthé-tiques, longtemps rcfoulées. refbnt surface. De nouvelles figures de la rationalitésurgissent de Ia tension dialectique qui s'établit entre des compétences humainesnranifestement très développées et la pertinence sociale de leur mise en æuvre.Cette tension dialectique se nourrit du travail des traducteurs et des interprètes,de cette entreprise de rnédiation sociale qui vise non pas seulement à adapter lespersonnes. les groupes et les collectifs au changement, mais davantage à resi-tuer celui-ci dans un univers de signitications partagées. L'éducation des adultesest une composante importante de cette entreprise de médiation sociale.

Un processus de transfèrt de connaissances qui s'appuie sur la rnédiationsociale se conçoit donc comrle un processus souple et global. Aussi. ce proces-sus autorise-t-il et valorise-t-il la cohabitation de différents modes de connais-siulces, dont les savoirs de I'action. La médiation sociale fàit donc une placeirTrportante aux façons de percevoir, de traiter et d'anticiper que possèdent despersonnes. dcs groupes ou des collectifs. II ne s'agit pas d'une pédagogie de latransrnissiolr mais d'une pédagogie qui favorise le pouvoir de faire des per-sonr)es. Elle vise donc à dér'elopper les identités sociales propres à ces schèrnesd'action. La rnédiation sociale est aussi un processus global en ce sens qu'ellese préoccupe de questions qui débordent les schèmes d'action. Par exernple, elleest préoccupée par un partase plus équilibré des risques et des responsabilitésqui eutourent un changenrent. Elle prend en compte des irlpacts et des consé-quences qui ne sont pas observables du seul point de vue des schènres d'action.Ainsi , de la rrôme façon que les schèmes d'act ion sont nrus par unÈ dynamique

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d'anticipation, la médiation sociale, à son tour, est mue par une telle dynamique.Cette dynamique d'ant ic ipat ion se si tue cependant sur un autre plan qui

implique plus dè recul et une vision sociale élargie. Ce processus global supposeforiément un travail d'interprétation validé par une communauté symbolique.En cela, et contrairement aux schèmes d'action, la médiation sociale ne se

confond pas à un parcours idiosyncrasique mais elle I'accompagne.

Le modèle du transferl de connaissances présenté dans le quatrième cha-

pitre est un amalgame de plusieurs schèmes d'explications du transfert. Le troi-

iième chapitre met en perspective la cohabitation de différents schèmes. Ainsi,

au cæur du modèle proposé, il y a un schème actanciel. Il faut aussi noter la pré-

sence du schème dialectique conçu sous la forme d'une tension entre compé-

tence et pertinence. L approche systémique inspire aussi ce modèle. Cependant,le schème dominant du modèle proposé va du côté de I'herméneutique. Ainsi,

concevoir la médiation sociale comme porteuse de ressources de sens, elles-

mêmes imbriquées dans une communauté symbolique, incline le modèle du

transfert de connaissances dans cette direction.

9r

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3

Revue des principales approchesdu transfert

Pour construire ce modèle du transfert, une revue des différentesapproches du transfert a été effectuée. Cette étape s'avérait essentielle pour fairevaloir I'acquis spécifique du modèle proposé ainsi que ses sources d'inspiration.

La première partie de ce chapitre est consacrée à une définition et à unenomenclature du transfert. La seconde partie aborde les principaux schèmesd'intelligibilité, selon l'expression de J.-M. Berthelot [1990], qui ont marquél'étude du transfert. Elle met en évidence les recherches et les travaux qui se rat-tachent à I'un ou I'autre de ces schèmes explicatifs. Finalement, une troisièmepartie examine les possibilités de convergences et les modalités d'intégration deces divers schèmes explicatifs.

Les catégories usuelles pour désignerles formes du transfert

Traditionnellement, le transfert est défini comme étant I'influence d'unapprentissage antérieur sur un nouvel apprentissage. C'est là la définition qui estle plus souvent retenue par les dictionnaires et les encyclopédies spécialisées enéducation. Plus spécifiquement, R. Legendre circonscrit le transfert dans une

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pratique qui se définit par.< I'usagefait de connaissances acquises dans unesituation nouvelle >>. Cette dernière définition apparaît satisfaisante, d'autantplus qu'elle semble correspondre à celles qu'utilisent la plupart des recherchescontemporaines portant sur Ie transfert. Plus siniplement, M.K. Singley etJ.R. Anderson [ 1989] estiment que l'étude du transfert consiste à analyser com-ment des connaissances acquises dans une situation s'appliquent ou non dansd'autres situations.

Ces définitions du transfe( mettent en évidence une conception restreintedu transfert et une autre plus large. Une conception restreinte du transfert s'entient à ce que I'on nomme des préalables. Les objectifs sont restreints à la fabri-cation d'un curriculum qui facilite le passage d'un apprentissage à un apprentis-sage ultérieur. En revanche, dans une perspective plus large, la compréhensiondu transfert consiste à s'intenoger sur les possibilités de mobiliser des connais-sances acquises dans un contexte de formation dans d'autres contextes et de lesappliquer. La conception restreinte du transfert devient alors un cas particulierde cette définition gértérale. En outre, une conception plus large laisse entrevoirqu'il existe différents types et niveaux de transfert dont il faut tenir comptelorsque la notion de transfeft est abordée.

Transferts positif et négatif,ou interrelation entre deux connaissances

Lorsque l'acquisition d'une connaissance peut aider ou faciliter la perfor-mance sur une autre tâche, il s'agit d'un transferl positif. Si une connaissanceacquise inhibe ou interfère avec le rendement surune seconde tâche, il s'agitalors d'un transfeft négatif [Ellis, 1965 ; Irion, l91ll. Par exemple, le transfertnégatif peut s'observer lorsque nous écrivons machinalement, au début d'unenouvelle année, I'année précédente sur nos chèques. De même, le transferl posi-tif peut s'observer lorsque I'acquisition et la maîtrise d'une notion, par exempleI'addition, aide et lacilite I'acquisition de notions plus complexes, telle la multi-plication. L existence d'un continuarn positif-négatif du transfert suggère aussiI'existence d'un point zéro, c'est-à-dire qu'il puisse n'y avoir aucun effet d'uneconnaissance à une autre. Il s'asit alors d'un transfert neutre.

Transferts vertical et latéral,ou antériorité d'une connaissance sur l'autre

Gagné tl965l établit la distinction entre transfert latéral et vertical. Letransfert vertical survient lorsqu'une habileté ou une connaissance contribuedirectement à l'acquisition d'une habileté ou d'une connaissance d'ordre supé-rieur. Par exemple, uue personrre qui maîtrise la multiplication pourra plus faci-lement maîtriser la division puisque la première opération d'une division est...

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une multiplication. Autrement dit, pour Gagné, le transfert vertical répond à unelogique de hiérarchisation selon laquelle une habileté ou une connaissance plusgénérale ne peut être atteinte que lorsque des habiletés ou des connaissancessubordonnées ont été maîtrisées.

Le transfert latéral est défini, par Gagné, de façon beaucoup moins pré-cise. Celui-ci désigne le transfert latéral comme ùne << sorte de généralisationqui s'étend à un ensemble de situations qui ont grosso modo /e même niveau decomplexitét >>. Par exemple, I'apprentissage des fractions peut être généralisé àla solution de problèmes dans d'autres contextes tels que préparer une recette,répartir un gain au loto entre plusieurs amis, et ainsi de suite. C'est, selonGagné, le transferl latéral qui opère lorsque nous réinvestissons I'apprentissaged'un langage informatique dans un autre ou l'apprentissage d'une langue pre-mière dans une langue seconde, ou encore la solution d'un problème dans lasolution de problèmes différents, et ainsi de suite.

J.-M. Royer ll979l considère, rétrospectivement, que ce sont les trans-ferts verticaux qui ont retenu davantage I'attention des chercheurs et des éduca-teurs, les premiers cherchant à contrôler expérimentalement les conditions quifacilitent le transfert vefiical, les seconds cherchant à organiser la formation defaçon à optimaliser le transfeft vertical.

Transferts spécifique et général,ou contextualisation d'une connaissance

Le transfert spécifique implique une situation d'apprentissage où peut êtreétablie une similitude évidente entre les éléments du stimulus initial et les élé-ments de la situation de transfert [Ellis et al., 1979 ; Royer, 1979]. Un devisexpérimental classique visant à vérifier ce type de transfert est l 'étude desréponses qu'un groupe de personnes apporte lors de I'apprentissage d'une listeassociée de noms ou de phrases dans lesquels il y a présence d'éléments com-muns (orthographe, phonétique ou de sens) entre les composantes de la liste.

L étude du transfert spécifique a donné lieu à de nombreuses recherchesexplorant divers aspects [Ellis et al. 1979] tels que la différenciation du stimuluset de la réponse. les associations anticipativesz (forward associations) et les asso-ciations rétroactives3(baclcward associations). Bien que ces recherches aient étépour la plupart conduites en laboratoire, elles ont néanmoins encouragé une miseen application du transfert spécifique, notamment dans le cadre d'approcheséducatives hautement structurées, tel I'enseignement individualisé, visant à

l. " . ..A kind of generalisation that spreads over a broad set of sinration at roughly the same levelof complexiry > u9651.2. On part ici d'un état initial et on tend vers la solution d'un problème en suivant un protocole.

3. On vise ici à réduire l'écart entre le but recherché et l'état initial.

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organiser et à ordonner les contenus de formation de façon à ce que le stimulusinitial soit maintenu et renforcé par les âpprentissages ultérieurs.

Le transfert général est, quant à lui, utilisé pour désigner les sources detransfert attribuables à des effets de pratiques qui sont indépendants des stimulicommuns que partagent la situation d'apprentissage et celle de transfert. Parexemple, en apprenant une liste de mots associés, il se peut que les apprenantsdéveloppent une habileté générale à I'apprentissage de listes qui n'a rien à voiravec le contenu, comrne tel, des listes apprises. Les études portant sur le trans-fert général ont mis en évidence deux aspects, soit le réchauffement (warm up)et le savoir apprendre (learning to learn). Il faut noter, cependant, que le trans-fert général est souvent défini, dans les recherches, de façon englobante,incluant le transfert latéral et aussi, le transfert analogique et le transfert long.

T[ansferts littéral et analogique,ou créativité dans Ie passage d'une connaissance à l'autre

Cette nouvelle distinction dans les types de transferts peut porter à confu-sion, notamment lorsqu'elle est confrontée aux notions de transferts vertical etlatéral chez Gagné. Le transfert littéral désigne Ie transferl d'une habileté oud'une connaissànce, sans modification aucune, à une nouvelle situation [Royer,19791. Par exemple, l'apprentissage de la règle du participe passé en françaissera utilisé, une fois la connaissance acquise, telle quelle et ce quel que soit lecontexte d'utilisation. Le transfert littéral se distingue du transfert verlical dansla mesure où il n'est pas question ici d'intégration à une habileté ou uneconnaissance hiérarchiquement plus complexe comme c'est le cas chez Gagné.

Le transfèrt analogique, quant à lui, n'implique pas l'util isation d'unehabileté ou d'une connaissance telle quelle. Le transfert analogique se définitcoûune I'utilisation de nos savoirs, de nos représentations, pour penser et agir àpropos d'un problème ou d'une situation [Royer, 1919). Par exemple,l'utilisa-tion d'une analogie entre le jeu d'échecs et la stratégie militaire implique que lapersonne met en branle tout un référentiel familier (dans ce cas, le jeu d'échecs)lui permettant de se livrer à un calcul interyrétatif sur les connaissances qui luisont non familières (dans ce cas, la stratégie militaire). D. Schôn tl963l soutientque le langage analogique est le mécanisme central permettant de développer denouvelles idées et de faire progresser la science.

Transferts court et long,ou champ d'application d'une connaissance

La distinction entre transferts court et long ne constitue pas un nouveautype de transfeft. Il s'agit, sur le continuum du transfert positif, de poser le pro-blème du niveau d'atteinte du transfert [Clark et Voogel, 1985]. Ainsi, un trans-

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fert court (near transferr) se réfère généralement à une situation de transfert quiest relativement semblable à la situation d'apprentissage. Par exemple, I'appren-tissage d'habiletés dans un simulateur de vol et le transfert de celles-ci à la véri-table cabine de pilotage sera qualihé de court. Le transfert long (far transfert)se réfère, quant à lui, à une situation de transfert qui est relativement différentede la situation d'apprentissage. Notons aussi que la variable temps permet ladistinction entre un transfert court et un transfert long. Dans ce sens, une étudedu transfert qui suit immédiatement un apprentissage ne pouna mesurer que destransferts courts. Gick et Holyoak t19871 notent que les études contemporainessur le transfert long sont peu fréquentes, la plupart des études examinant letransfert après des délais relativement courts.

Pour conclure cette section, retenons que le transfert peut se définircomme I'utilisation de connaissances acquises dans des contextes autres queceux dans lesquels elles furent acquises. Cette utilisation peut se faire en nemodifiant pas I'apprentissage initial ou bien en incorporant celui-ci à uneréponse plus complexe ou signifiante. Le transfert se présente ainsi sous laforme d'une phénoménologie variée et englobante.

I-es catégories explicatives du transfertou schèmes d'intellisibilité

Les nombreuses recherches portant sur le transfert de connaissances ne pré-sentent pas un paysage théorique continu. Ces recherches, en effet, sont placéessous la dominante de divers schèmes d'intelligibilité qui renvoient à différentstypes d'explications du transfert de connaissances. Ces schèmes d'intelligibilité,selon J.-M. Berthelot [990], sont, dans le domaine des sciences humaines, aunombre de six, soit : le schème causal, le schème structurel, le schème herméneu-tique,le schème fonctionnel,le schème actanciel, le schèmedialectique. Lemodèleproposé au chapitre4 s'appuyant sur I'approche interprétative, il apparaîtimpo(antde procéder à un repérage des recherches qui sont compatibles avec ce choix mé-thodologique. De plus, bien qu'un modèle puisse être placé sous la dominante d'unschème, il est courant, en pratique, de constater la cohabitation de plusieurs autresschèmes. Le modèle du transfert proposé est donc une hybridation de diversschèmes d'intelligibilité dont les tenants sont explorés ici.

Schème causal du transfert :lois objectives et universelles

Les recherches causales poftant sur le transfert, c'est-à-dire les recherchesqui font du transfert une variable dépendante susceptible d'être expliquée parune série de facteurs objectifs, ont longtemps été dominantes. La tradition sur

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laquelle reposent ces recherches est ancienne et a donné lieu à de nombreusesétudes expérimentales. Des noms célèbres tels Thorndike, Pavlov, Skinner ontcontribué à l'élaboration de ce courant d'étude du transfert. Deux apportsimportants de ces recherches sont examinés ici, soit la notion d'éléments iden-tiques ainsi que le paradigme stimuli-réponse développé par le behaviorisme.

Pour comprendre la notion d'éléments identiques, notion développée sur-tout par les travaux de Thorndike [1901, 1923], il est nécessaire de prendre encompte la théorie de I'apprentissage qui lui est sous-jacente. Pour Thorndike,I'apprentissage procède par essais et erreurs. Au cours de I'apprentissage, lesmouvements ou les processus qui ne mènent pas à un succès s'estompent alorsque ceux qui y mènent deviennent plus fréquents. plus perfectionnés et exâcts.Thorndike désigne ce processus sous le nom de < loi de I'effet >. La loi deI'effet se traduit par l'établissement de connexions4 entre impressions sensibleset impulqions motrices. Selon la < loi de I'exercice >, ces connexions peuventêtre renforcées par des expériences répétées et réussies, ou affaiblies par leurnon-fonctionnement. Les lois de I'effet et de I'exercice font appel à une certaineactivité de la personne, par exemple, dans I'interprétation du succès ou del'échec. Cependant, c'est le milieu qui sélectionne les connexions adaptées.

La notion d'éléments identiques découle de cette théorie générale del'apprentissage. Ainsi, pour Thomdike, le transfert positif se manifeste lorsquela situation d'apprentissage et la situation de transfert possèdent en commun deséléments semblables. Les connexions antér ieures, établ ies par la si tuat iond'apprentissage, peuvent s'actualiser dans les situations de transfert qui présen-tent une certaine ressemblance avec la situation d'apprentissage. Les contempo-rains de Thomdike en ont conclu que le transfert est proportionnel au degré desimilitude entre la situation d'apprentissage et la situation de transfert.

Il est possible de contester le titre de < théorie > donné à I'explication dutransfeft proposée par Thomdike. Ainsi, Thomdike ne dit rien du mécanisme dutransfert puisque celui-ci obéit aux mêmes lois que I'apprentissage. De même, lanotion de succès ou d'échec présuppose une activité intentionnelle de la personnequi n'est pas explicitée par la théorie de l'apprentissage de Thomdike. Cejugementsévère, auquel il est facile de souscrire, ne doit cependant pas faire oublier lecontexte dans lequel Thomdike proposait sa théorie. En effet, ce demier luttait, àson époque, contre une tendance qui attribuait le transfeft à des habiletés généralestelle que la notion de faculté. L'intelligence était alors considérée comme un< muscle > qu'il fallait entraîner avec I'aide de disciplines < nobles > (le latin, la lec-ture des grands auteurs, la logique propositionnelle). Thomdike a contribué à battreen brèche cette approche, notamment en montrant, au moyen de plusieurs expé-riences empiriques, que le transfert est spécifique et non pas général. Autrement dit,il valait mieux proposerl'apprentissage du latin en fonction des habiletés qu'il per-mettait effectivement de développer (par exemple : I'analyse de textes) que d'attri-

4. D'où Ie nom de connexionnisme souvent associé aux travaux de Thomdike.

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buer à celui-ci des vertus éducatives générales qu'il ne possède pas (par exemple :le développement du jugement par le contact avec la < grande > culture).

La théorie de I'apprentissage de Thorndike a eu un impact considérable surle monde de l'éducation. Puisque cette théorie postule que le transfert est maximisélorsque la situation d'apprentissage et la situation de transfert paftagent un opti-mum d'éléments identiques, le système d'enseignement se devait de decouvrir oud'anticiper cette situation de transfert. En conséquence, c'est en tentantd'évaluerladestinée d'une personne à partir de ses aptitudes, de ses goûts, de ses préférences etde son quotient intellectuel que l'école voulut appréhender cette situation de trans-tèrt et proposa des voies de formation à contenus davantage spécifiques, donctransférables.

Les théories du capital humain d'après-guene ont considérablement déve-loppé cette anticipation de la situation de transfert que le système d'enseignementse devait de développer. Ainsi, ces théories ont cherché à identifier, par I'analysespécifique de chaque situation de travail, les habiletés manuelles, cognitives etsocio-affectives qui auraient permis un ajustement optimal d'une personne, dont ledevenir était identifié par des tests d'aptitudes ou d'intelligence, à sa future situa-tion de travail. De plus, dans un contexte de recomposition industrielle il y a, depuisplusieurs années, un intérêt marqué pour identifier ce qu'il est convenu d'appelerdes habiletés généqiques ou transférables entre les métiers, les professions, voiremême avec les occupations dompstiquess [Stump, 1979].

Quant au paradigme stimuli-réponse, ce sont les travaux de la psychologiedu comportement, ou psychologie behavioriste, dont les plus connus sont ceux deBunhus Fréderic Skinner {l954lqui lui ont donné le coup d'envoi. Là où la théorieclassique stimuli-réponse diffère, de façon notable, des premiers travaux dePavlovb dans son explication du transfeft, c'est dans la prise en compte du proces-sus de généralisation du stimulus [Ellis et a1.,1979]. Ainsi, I'explication en termede stimuli-réponse du transfert présume que, durant l'apprentissage, une réponse(la variable dépendante) est associée, le plus souvent par renforcement, avec un sti-mulus (la variable indépendante). Par la suite, cette réponse est associée à d'autres

5. Ainsi la reconnaissance des acquis a été fortement marquée par le retour des femmes sur lemarché du travail après plusieurs années de travail à domicile. On cherche alors à identifier leshabiletés que ces femmes auraient développées à la maison afin de trouver des conespondancesavec des qualifications attendues sur le marché du travail.

6. Une des premières théories stimuli-réponse du transfert peut être attribuée à Pavlov. C'est,en effet, celui qui étudia abondamment le transfert associatif. Le transfert associatif intervientlorsqu'un stimuli quelconque âccompagne une ou plusieurs fois un certain exitant qui pro-voque un réflexe. L'utilisation de ce stimuli provoque, à son tour, I'effet habituel de cet exi-tant primit i f . En bref, i l s 'agit d'associer un signal avec un réf lexe. Cependant, ce typed'association est vite apparu comme une explication insuffisante du transfert. En effet, la sta-bilisation d'une conduite conditionnée doit, minimalement, faire intervenir la personne, sonexpérience, son activité, ses ajustements par rapport aux situations nouvelles. C'est une acti-vité structurante et organisatrice de la personne qui règle le détail des associations, en les insé-lant dans un tout signif icat i f .

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stimuli semblables. Par exemple, I'apprentissage de mots associés de type chaud /froid où <<chaud'> est le stimulus et <froid> la réponse se traduira par une générali-sation à des stimuli semblables à <<chaud>> (par exemple : tiede / brûlant / tonide). Ils'étabiit ainsi un gradient de généralisation qui s'étend autour du stimulus initial.<char-ld>>, de telle façon que les stimuli environnants, possédant certaines dimen-sions en comrnun avec le stimulus d'apprentissage, acquièrent une force associa-tive avec celui-ci.

Ces théories behavioristes sont, pour la plupart, dérivées de donnéesexpérimentales oùr des rats, des pigeons et des humains font des apprentissagesarbitraires dans des conditions contrôlées. Ces théories partagent la croyanced'en arriver à idenûfier des lois de I'apprentissage avec une considérable géné-ralité et précision. En conséquence, il serait possible, selon ces théories, dedéduire de ces lois des principes d'apprentissage qui s'appliquent uniformémentet universellement, et ce, quels que soient I'espèce, le contexte, le type d'acti-vité et les contenus abordés. Cette prétention de tout ramener à l'étude des sti-muli et réponses a été vivement critiquée. Ainsi, Rozin 11976l déclarait quel'étude du comportement des pigeons dans des situations contrôlées ne nousapprend rien sur le comportement de ceux-ci, mais beaucoup sur le comporte-menl des humains dans des situations arbitraires... L'apprentissage acquiert,dans la perspective behaviorale. une dimension nettement mécaniste. Ainsi,selon ces thépries, les enfants apprendraient de la même façon que les adultes(et les pigeons...) et il en résulterait une accumulation d'associations variant enforce, cel les-ci découlant d 'un renforcement récent et / ou cont igu.Conséquemment, les buts. les projets et les intentions des personnes n'ont guèrede place au sein de ces théories.

Notons qu'il existe des devis de recherches récents qui, sans trop s'éloi-gner du paradigme stimuli-réponse et de la vérification expérimentale que celui-ci offre, cherchent à rnieux prendre en compte le probième de la généralisationdes apprentissages complexes. Ainsi, par exemple, Bransford ll979l estime queIa généralisatiorr est favorisée en multipliant les situations d'apprentissage danslesquelles une connaissance est abordée.

L'impact des théories behavioristes et néobehavioristes sur I'enseigne-ment a été profond et durable, quoique indirect. Ainsi, ces théories ont privilégiél'étude du transfert par des recherches expérimentales pour la plupart se dérou-lant en laboratoire. C'est toutefois grâce à un courant de recherche lié à la vieen classe que les théories behavioristes ont pu influencer I'enseignement. Cecourant de recherches, marqué par les travaux de Gagné, s'est surtout préoccupéde concevoir des curriculums d'enseignement bien formés, susceptibles demaximiser I'apprentissage et son transfert.

Les travaux de Gagné insistent sur l'importance de la rétroaction et del'apprentissage accumulé. Pour celui-ci il est, en effet, imponant d'organiser deshabiletés ou des connaissances en séquences progressives. Pour Gagné, lesconnaissances et les habiietés se présentent comme des hiérarchies, de plus enplus générales, de capacités subordonnées. Cette conception hiérarchique est àla base de la distinction ou'il fait entre transfert vertical et transfert latéral.

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L'organisation actuelle des programmes d'enseignement est fortement impré-gnée de cette conception hiérarchiqueT favorisant le transfert vertical, puisqueces programmes cherchent à identifier et à introduire des préalables avantd'aborder des contenus plus généraux. Cependant, bien que l'identification depréalables tombe parfois sous l'évidence (par exemple : lire, ecrire et calculercorrrrne préalables à d'autres apprentissages), il n'en demeure pas moins que,dans des situations complexes, un tel exercice relève de I'art, pour ne pas diredu hasard. Ainsi, dans le cas de tâches complexes, plusieurs préalables sontidentifiables et peuvent être organisés en diverses séquences progressives, sou-vent toutes aussi valables les unes que les autres.

Pour conclure, les théories d'inspiration behavioriste ont eu un impactconsidérable sur l'étude du transfeft. Tout d'abord, les théories qui adoptent leschème causal se prêtent généralement bien à l'étude expérimentale, c'est-à-direen laboratoire dans des conditions contrôlées. Ce faisant, elles correspondentbien à un certain type de recherches s'inspirant d'une épistémologie qui valo-nse la découverte de lois objectives, générales et universelles. L impact de cesthéories a été important sur les activités éducatives, que ce soit sur les pro-grammes, le matériel et les approches. Ces activités s'inscrivent généralementdans des designs pédagogiques très structurés où sont mis en évidence, de façonexplicite, les apprentissages antérieurs et leurs relations avec les apprentissagesen cours, et où les éléments identiques sont rassemblés dans des séquences tem-porelles rapprochées. Ce type.d'activités éducatives semble produire des trans-ferfs spécifiques, verticaux, littéraux et courts de façon très précise. Cependant,ces mêmes activités éducatives semblent beaucoup moins performantes du côtédes transferts non spécifiques, latéraux, analogiques et longs.

Schème structural du transfert :les structures et stratégies cognitives

Les théories ou explications du transfert pouvant être placées sous ladominante du schème structural, relient le transfert à la qualité de I'architecturecognitive formelle de la personne qui apprend. Par exemple, le transfeft, selonces théories, serait dépendant non pas de la quantité de connaissances qu'une

7. Il existe d'autres positions que celle de Gagné qui soutiennent une conception hiérarchique desapprentissages. Il y a le curriculum en spirale de J. Bruner t19831, là où un concept est introduit etsuccessivement révisé en lui ajoutant de plus en plus de détails. De même, chez Ausubel t19681, ilest question de différenciation progressive à partir d'énoncés généraux (ordonnateurs) qui serventà introduire des notions complexes. Il y a aussi la théorie de l'élaboration de Reigeluth et Steinll983l dans laquelle I'instruction démarre à un niveau général pour ensuite cadrer un détail etrevenir au niveau général et, ainsi renforcer certains points majeurs. Exception faite de la théoriede Ausubel, ces théories n'ont pas, comme c'est le cas de celle de Gagné, fait I'objet d'amplesvérifrcations empiriques.

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personne possède mais de sa capacité à traiter ce stock d'informations avec desstratégies cognitives adéquates. Ces théories se distinguent des théories causalesdans la mesure où elles attribuent cette architecture formelle non pas à un sys-tème de causes matérielles, mais à son insertion dans un système de significa-tions personnel ou social. Deux grands groupes de théories appartiennent auschème structural : tout d'abord les théories qui découpent I'architecture cogni-tive en stade de développement et, ensuite, les théories cognitivistes qui abor-dent en soi cette architecture cognitive.

Les théories développementales se préoccupent de l'origine des phéno-mènes de I'intelligence en cherchant à identifier les apprentissages et l'exten-sion des conduites sous forme de stades ou de niveaux de développement. Cesthéories s'interrogent sur comment les connaissances s'acquièrent, changent etse réorganisent à travers les âges de la vie ? Dans cette perspective, le transfertest nécessairement abordé d'un point de vue génétique, c'est-à-dire en faisantressortir les similitudes et les différences entre les stades de développement.

Les théories développementales ont été fortement marquées par les tra-vaux de Jean Piaget. Selon lui, I'intelligence humaine est influencée de façonimportante par la transmission génétique et les conditions environnementales.Son modèle de I'intelligence repose sur l '<< adaptation et l 'organisation... >>Uadaptation y est présentée comme un état d'équilibre lorsqu'un organismeinteragit, soit par assimilation, soit par accommodation, avec I'environnement.L'organisation implique plutôt le concept de schème, considéré comme uneunité reproductible de I'action intelligente, une sorte d'unité de sens. Il s'agit de<< programmes > ou de < stratégies >> dont la personne dispose lorsqu'elle inter-agit avec I'environnement.

Le transfeft est, chez Piaget, lié à I'assimilation plutôt qu'à I'accommo-dation. Cette interprétation est partagée par M. Piattelli-Palmarini t19791. Celui-ci considère, en effet, que le < noyau dur o du programme piagétien peut s'inter-préter comme un transfert de structure du milieu à la personne. Autrement dit,au cours des stades qui jalonnent son développement, la personne, de par sonactivité sur I'environnement, est soumise à diverses déstabilisations qui provo-quent, par autorégulation, la réorganisation de ses schèmes antérieurs. L activitéde la personne permet ainsi la construction, au fur et à mesure, de schèmesmoins locaux et plus abstraits, possédant une capacité de généralisation accrueparce qu'ils acquièrent une structure isomorphe profonde avec l'environnementexterne. Le transfen, pour Piaget, est davantage général que spécifique.

À titre d'application à l'éducation, il faut noter qu'un changement quali-tatif dans la pensée ne peut être atteint, dans le cadre de la théorie piagétienne,que par une interaction avec I'environnement, par la manipulation d'objets et latransformation de ceux-ci. Le développement doit se faire dans un environne-ment enrichi et mettre I'accent sur les opérations logiques, et ce, afin de favori-ser I'organisation cognitive de la personne. L approche piagétienne, dans cesens, est largement inductive. Cette approche inductive peut toutefois être criti-quée dans deux directions. D'une part, plusieurs études récentes [Anderson et

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Singley, 19891 montrent que la connaissance n'est pas aussi abstraite que Piagetla présentait. Elle est souvent spécifique, dépendante de la tâche à exécuter etdes configurations particulières de I'activité. Le rôle des connaissances abs-traites et générales (par exemple : la conservation, la classification) aurait étéexagéré par Piaget. En conséquence, la psychologie développementale s'est,aujourd'hui, considérablement dégagée de l'idée de stades formels pour davan-tâge étudier le développement des connaissances à I'intérieur de domaines spé-cifiques. D'autre part, I'idée de schèmes généraux et abstraits isomorphes avecl'environnement externe sous-estime le fait que I'activité d'une personne s'éla-bore le plus souvent à l'intérieur d'un dialogue social. Ainsi, les nombres néga-tifs sont couramment utilisés aujourd'hui (par exemple : pour la lecture de tem-pératures). Ces nombres, dont certains mathématiciens doutaient de l'existenceil y a à peine deux cents ans, résultent d'une activité conceptuelle autonome,proprement culturelle, qui a peu à voir avec I'extraction de structures profondesde I'environnement externe. Il manque, chez Piaget, un espace de communica-tion à caractère social, culturel et affectif. Dans ce sens, le rôle de << locomo-tive > joué par les parents, l'école, la culture est absent de la théorie piagétiennepuisque celle-ci prétend que, de toute façon, la personne fait les apprentissagesqui sont propres à son stade de développement. Dans I'optique de Piaget, le rôledes intervenants extemes se limite à fournir des stimuli appropriés au niveau dedéveloppement de la personne.

La théorie piagétienne. Quoique importante, n'est cependant pas la seulethéorie développementale. Le psychosociologue J. Bruner tl983l met lui ausside I'avant I'idée de stades de développement. Pour Bruner, les humains appren-nent, reconnaissent et répondent à des régularités récurrentes de I'environne-ment : par des actes compétents et structurés ; par des perceptions organisées etsélectionnées ; par des images conventionnelles spatio-qualitatives ; et, par lecodage linguistique. Ce processus se déroule au cours de trois stades :

1. le stade performatif de l'activité représentationnelle qui est orienté versI 'act ion motr ice;

2. le stade iconique dans lequel les événements sont résumés par uneorganisation sélective des perceptions et des images ou de leurs substituts cultu-rels (par exemple : photo, représentation graphique) ;

3. Ie stade symbolique de I'activité représentationnelle dans lequel lesobjets sont remplacés par des symboles qui incorporent une bonne part de géné-ralisation, d'éloignement et d'arbitraire. Ce demier stade permet à la personned'extraire des représentations symboliques de ses expériences antérieures et deles intégreq de façon à aborder de nouveaux problèmes ou de nouvelles situa-tions.

Une telle approche valorise davantage le langage que chez Piaget. PourBruner, le langage est constitutif des compétences cognitives et un accompagna-teur important de I'apprentissage. Pour Piaget, le langage n'est pas un préalableabsolu à I'apprentissage bien qu'il puisse le faciliter et qu'il reflète, en général,

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le développement cognitif. L'approche brunérienne de I'apprentissage estconceptuelle et déductive alors que, chez Piaget, elle est logique et inductive.L approche de Bruner est ainsi à rapprocher de celle de Vygotsky pour quitoutes les expériences d'apprentissage sont d'abord sociales et sont, au fur et àmesure, intériorisées par la personne. Pour $gotsky, l'enseignement peut agirsur les personnes corrrme une locomotive, no[amment en proposant des modèlesculturels adéquats, alors que chez Piaget I'enseignement doit correspondre austade de développement de celles-ci. Contrairement à Piaget, il faut donc souli-gner que I'insistance de Bruner sur le langage et la culture met en évidence lecaractère interactif de I'apprentissage.La présence d'un schème structural, chezBruner, se présente autrement que dans l'approche piagétienne. Les structuresappafliennent à l'environnement culturel. Les personnes intériorisent celles-citout au long de leur socialisation.

Les travaux de G. Vergnaud 8 proposent une explication du transfert dansle cadre de la formation des adultes qui cherche à concilier les aspects invariantsdes schèmes piagétiens aux caractères social, interactif et médiatisé de I'appren-tissage que développe Bruner dans la foulée des travaux de Vygostky. Ainsi,tout comme Piaget, Vergnaud estime que I'apprentissage est limité par les com-pétences antérieures de la personne. Pour qu'un apprentissage se produise ilfaut, selon lui , que la personne donne un minimum de sens à la si tuat iond'apprentissage, notzunment en disposant des compétences qui lui pennettent dese représenter, même avec I'aide d'un formateur ou d'une formatrice, le pro-blème abordé. La formation prend appui sur les compétences actuelles deI'adulte.

Le transfert est pour Vergnaud, comme chez Piaget, associé à I'idée degénéralisation. Le transfert suppose, selon Vergnaud, I'extraction, au moinsimplicite, d'invariants qui permettent d'appliquer à une nouvelle situation lesmanières de faire développées dans une situation antérieure. L'hypothèse deVergnaud est ici que le transfert peut être favorisé en formation dans la mesureoù I'on parvient à identifier ces invariants opératoires qui, le plus souvent, fonc-tionnent sur le mode de I'impiicite. Ainsi, selon lui, les invariants opératoiresoccupent une place essentielle dans le fonctionnement et le développementcognitifs de la personne. Ce sont eux qui constituent la clef de voûte de I'archi-tecture cognitive.

Pour Vergnaud, les invariants opératoires fonctionnent corlme des outilssuppoftant I'action. Ces outils peuvent cependant être portés au rang de connais-sances-objets par I'usage répété que I'on fait d'eux et par la stabilité qu'ils peu-vent acquérir dans la communication sociale. Par exemple, les concepts denombre, de classe logique, de fonction et autres traduisent une telle transforma-tion des invariants opératoires en objet de pensée sociale. C'est à ce travail

8. Il s'agit d'un texte élaboré sous la responsabilité de G. Vergnaud nrais auquel ont aussi contri-bué et collaboré les personnes suivantes : J.-F. Catillon, P. Higelé, V. Lordon, G. Malglaive,J. Pailhous. P. Vermesch.

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d'émergence et d'objectivation des invariants opératoires que la formationdevrait se livrer, selon Vergnaud, dans le but de favoriser le transfert. Dans cesens, la formation favorise le transfert si elle contribue à arrimer les invariantsopératoires, implicites, à des opérateurs collectifs, explicites.

L'hypothèse de Vergnaud sur le transfert se traduit dans diverses avenuesde recherches. Selon lui, il serait important d'analyser en quoi consistent lesschèmes et les concepts d'une personne et d'observer leur évolution au cours duprocessus de formation. Aussi, il serait utile de comprendre le rôle des signi-fiants langagiers et extralangagiers dans la transformation des connaissances-outils, ou invariants opératoires, en connaissances-objets. De même, il seraitopportun d'analyser les rapports entre concepts spécifiques et apprentissagesplus généraux. Finalement, il y aurait aussi lieu de mieux saisir le rôle quejouent les compétences sociales, les opérateurs collectifs, qui, en plus des com-pétences techniques et scientifiques, permettent vraisemblablement de mieuxcomprendre les processus de formation et les difficultés rencontrées au cours deceux-ci.

Outre les théories développementales, les théories cognitivistes appar-tiennent au schème structural. Ces théories sont souvent basées sur la métaphorede I'ordinateur, en ce sens qu'elles associent l'activité cognitive au fonctionne-rnent des ordinateurs. Ainsi, ces théories abordent l'activité cognitive en termesde < mémoire rr, de .. traitement >, de .< stockage ,r, de .. procédures >, et ainside suite. Les théories cognitivistes tendent à substituer au paradigme stimuli-réponse de la psychologie behavioriste un paradigme que I'on peut qualifierd'input-output.

Les travaux récents de la psychologie cognitiviste portant sur le transfertsont marqués par les théories du traitement de I'information. Ces théories, non-obstant certaines exceptions, argumentent en faveur du transfert spécifique touten n'excluant pas certaines composantes générales. Ainsi, elles ont, cornmepoint commun, un agenda se situant dans la mouvance de nouvelles recherchesdont A. Newell et H. Simon ont pris I'initiative sur le processus de solution deproblèmes. Au cæur de ces recherches se situe le principe de rationalité limitéeou contextualisée (bounded rationality).

Le principe de rationalité limitée se base sur I'hypothèse que la solutiond'un problème se déroule à I' intérieur d'un espace représentationnel, c'est-à-dire une structure d'activité, composée d'états initiaux, de buts recherchés et decontraintes objectives intériorisées, qui permet des inférences plausibles. Cettehypothèse prédit que la qualité et I'organisation des composantes de I'espacereprésentationnel affectent la perforrnance dans la solution d'un problème[Cormier, 1987]. Par exemple, le nombre d'états initiaux dont se souvient ouqu'a expérimentés une personne peut favoriser la solution rapide d'un pro-blème. De même, I'extraction rapide d'informations de la mémoire, la densitéet la peftinence de celles-ci ainsi que la connaissance profonde des contraintesd'un domaine peuvent favoriser la solution adéquate d'un problème. Ce modèlede la cognition humaine orientée vers un but suppose donc une architecture

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cognitive commune à la solution de tous les problèmes. La performance desindividus aux prises avec un problème sera limitée par les ressources et lescapacités représentationnelles dont ils disposent.

Les théories cognitivistes s'intéressent donc moins à I'acquisition deconnaissances en soi, au < quoi >>, qu'au < comment >, c'est-à-dire à l'étude desstratégies d'acquisition des connaissances et à l'étendue des circonstances aux-quel les el les peuvent s 'appl iquer. Par exemple, des quest ions tel les que :., Comment quelqu'un réalise-t-il qu'il doit mobiliser les ressources de lalogique formelle pour solutionner un problème ? ,> ou <. Comment une personne

apprend-elle que certaines connaissances sont pertinentes dans une situationdavantage que dans d'autres ? >> sont au cceur du programme de recherchespromu par ces théories. Ce programme accorde ainsi une grande importance à lareconstruction des compétences de la personne, sous forme de représentations,notamment par 1'analyse d'activités p€rformantes ou de celles qui le sont moins'C'est le cas, entre autres, des études portant sur les expefts et les novices. L'acti-vité représentationnelle, pour les cognitivistes, est ainsi conçue sur le moded'une machine de Turinge, c'est-à-dire qu'elle procède par approximations plau-

sibles et non pas à partir de ce(itudes découlant de délibérations raisonnées.Selon Gick et Holyoak, la performance associée à ces approximations plausibles

est influencée par quatre facteurs : la structure des situations d'apprentissage etde transfert ; Ie codage de I'information ; les conditions de récupération ; et lerôle des connaissances antérieures.

Structure des situations d'apprentissage et de transfert

Pour les théories cognitivistes, la possibilité d'un transfert positif dépendde la représentation que la personne se fait de la situation d'apprentissage et dela situation de transfert [Gick et Holyoak, 1987 ; Singley et Anderson, 1989].Cependant, ces théories estiment que les connaissances disponibles pour fin detransfert sont contraintes par la structure même de la situation d'apprentissage.Autrement dit, il ne peut y avoir plus de transfert qu'il y a d'apprentissage effec-tué et maîtrisé. Le transfert dépend donc ici de I'acquisition d'un ensemble derègles conditionnelles d'action qui permettront de classifier les objets deI'apprentissage et ceux de la situation de transfert comme membres d'une caté-gorie commune. Par exemple, la solution d'un nouveau problème impliquera laclassification de celui-ci dans une catégorie pertinente de problèmes semblablesdéjà maîtrisés qui favorisera I'implantation de procédures de solutions appro-priées. L'acquisition de schémas sophistiqués sera concurrencée par d'autresstratégies de transfert qui requièrent une dépense cognitive moindre (par

exemple : les stratégies essais-erreurs). Ainsi, dans la représentation de connais-

9. Machine de Turing : nom que l'on donne, en I'honneur du mathématicien et informaticien bri-tarrnique Alan Turing, aux machines capables de computer et de traiter des symboles selon des

règles et des principes analogiquement semblables aux procédures de I'intelligence humaine.

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sances sous forrne de schémas, les personnes tendraient à réduire le nombre derègles qu'elles doivent apprendre. Dans ce cas, un schéma plus général devientutile. De même, les personnes tendraient à réduire la charge de la mémoire detravail ainsi que le nombre de compofiements manifestes.

Codage de I' info rmation

Les théories cognitives considèrent la mémoire comme un système struc-turé de stockage et d'extraction des connaissances. Ainsi, le système peut êtrestructuré de façon plus ou moins " riche >>, selon le nombre d'interconnexionsétablies entre les connaissances sous forme de règles, de conditions, de procé-dures, de réseaux conceptuels. En conséquence, la compréhension, pour lescognitivistes, est une condition nécessaire mais non suffisante au transfert. Lacompréhension est une première étape necessaire au stockage significatif et per-tinent des connaissances. C'est par le processus de compréhension que lesapprentissages seront transformés en représentations qui font le lien entre la per-sonne et le monde. La compréhension permettrait une intégration des apprentis-sages aux structures peftinentes de savoirs personnels, facilitant ainsi, ultérieu-l€ment, le rappel des connaissances antérieures.

Puisque Ie transfert dépend du codage significatif des connaissancesdurant I'apprentissage, les théories cognitivistes favoriseront I'accroissement etla richesse des interconnexions entre elles. Le nombre et la variété des exemplesfbumis durant I'apprentissage favoriseront cet objectjf. Par exemple, la variétédes exemples permettra aux personnes de dépasser les composantes superfi-cielles d'une situation favorisant ainsi la formation de règles plus générales,moins liées à des contextes particuliersl0. De même, I'ordre dans lequel lesexemples sont foumis aux personnes influencera le transfert. L ordre optimal deprésentation des exemples semblerait être celui où les exemples les plus fré-quents, présentant peu de variabilité, sont introduits en premier, suivis par desexemples plus variés. Les instructions ainsi que les questions qui accompagnentI'apprentissage peuvent donc influencer le codage des connaissances et, parsuite, le transfert qui s'ensuit.

Finalement, plusieurs études môntrent que le codage de connaissancesabstraites n'est pas suffisant en soi. Ainsi, après les travaux de P.C. Wason etP.N. Johnson-Laird sur le peu d'utilisation que les personnes font des règles dela Iogique formelle pour résoudre certains problèmes pratiques, d'autresrecherches ont montré que les personnes réussissent mieux si ces problèmessont présentés sous fbrmes pratiques. Par exemple, les personnes réussirontmieux un problème de déduction logique si celui-ci leur est formulé dans destermes pragmatiques (par exemple : vérifier la règle < si une personne boit deI'alcool, elle a nécessairement vingt et un ans >) plutôt que formel (Modus

10. ta variété des exemples ne facilitera pas le transfert si les changements d'un exemple à I'autreimpliquent des modifications structurelles.

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ponens: si A entraîne B, et si A est vrai alors B est vrai ; ntodus tollens : si Aentraîne B, et si B est faux, alors A est faux).

Les personnes s'appuieraient ainsi sur des connaissances reliées à desdomaines spécifiques impliquant des composantes contextuelles, des contre-exemples, des inférences plausibles. Cependant, en même temps, ces travauxmontrent que les personnes, bien qu'elles n'utilisent peu ou pas les règles géné-rales et abstraites provenant de la logique ou des statistiques, n'en utilisent pasmoins des règles familières qui sont indépendantes des contextes particuliers.Ces règles familières sont appelées schémas pragmatiques de raisonnement.Ceux-ci agissent autant dans les situations < arbitraires >> que < signifiantes >.Ces schémas pragmatiques de raisonnement prennent la forme de modèles cau-sals, contractuels, normatifs ou encore de règles sociales (par exemple : alter-nance, réciprocité, chacun son tour). Un apprentissage abstrait sera ainsi mieuxcodé s'il est accompagné d'exemples concrets, ou encore s'il est formulé detelle façon qu'il arrive à faire contact avec les schémas pragmatiques de la per-sonne.

Conditiorts de récupé ration

Pour les théories cognitivistes, le processus d'apprentissage est décritcorrune le codage de connaissances sous forme de règles ou de schémas. Lorsdu transfert d'une situaticin d'apprentissage à une autre situation d'apprentis-sage, les personnes retiendraient plus facilement les connaissances qui renfor-cent leurs schémas antérieurs. De même, lors du transfert à une situation extra-scolaire, les personnes feraient des inférences consistantes avec leurs schémas.Ces transferts supposent I'existence d'un processus qui permet de récupérer etd'activer les connaissances préalablement codées. Ces connaissances, selonF. I. M. Craik, peuvent être récupérées d'une manière incidente (le contexte jouealors un rôle important dans le rappel de celles-ci) ou encore, intentionnellement(la personne cherche alors délibérément à mobiliser et à appliquer ses connais-sances antérieures).

La récupération des connaissances antérieures dépend, pour les cogniti-vistes, non pas de la mémoire mais surtout de la similarité que la personne éta-blit entre la situation d'apprentissage et la situation de transfe(. Dans le cas d'untransfeft court, il est relativement facile de percevoir que les deux situations sontsimilaires et de mobiliser les connaissances appropriées. Cependant, lorsque lessituations se complexifient et prennent des apparences de plus en plus distinctes,la similarité perçue dépend alors davantage d'un traitement analogique.

Le raisonnement analogique serait la connaissance-outil la plus puissanteque les humains puissent posséder. Uefficacité des procédés analogiques dansle processus de I'apprentissage est d'ailleurs de plus en plus reconnue. Plusieursrecherches ont montré que les personnes apprennent plus de passages abstraitslorsqu'elles sont soumises au préalable à I'influence de procédés analogiques(par exemple : en comparant la structure atomique du métal à des constructions

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du genre " légo "). De même, I'analogie favoriserait I'abstraction des compo-santes semblables entre la source et la cible du transfert. À cet effet, Rumelhartet Norman t198ll font état de nombreux cas où les analogies se sont avéréesefficientes dans le transfert long de nouvelles connaissances.

Toutefois, plusieurs études mettent en garde contre une conception spon-tanéiste de I 'analogie. Ces études montrent que des personnes, mêmelorsqu'elles sont informées de la pertinence d'une analogie entre une situationsource et une situation ciblell, ne parviennent pas à I'utiliser de manière adé-quate. Il semblerait que les personnes établissent une représentation entre lesdeux situations qui reposent sur des composantes superficielles. Ce problèmedéjà noté par les gestaltistes, qui insistent sur la représentation profonde d'unesituation, indique que les personnes ont besoin de compétences, de connais-sances valides et structurées pour percevoir les composantes structurelles simi-laires entre deux situations. L analogie favorise le rappel des connaissancesantérieures, mais encore faut-il que celles-ci existent et soient organisées.

Rôle des connaissances anlérieures

Les théories cognitivistes considèrent que les connaissances antérieuresd'une personne jouent un rôle important dans le transfert de connaissances.Cette question a été peu ou pas prise en compte par les études portant sur letransfèrtl2. Les études Écentes, notamment celles portant sur les distinctionsentre expert et novice et celles comparant I'acquisition de connaissances dans lecadre de variations inter-culturelles concluent que les humains abordent la réso-lution de problèmes, la compréhension et I'apprentissage à partir de leursconnaissances antérieures. Du point de vue du transfert, cette conclusion estautant un avantage qu'un inconvénient. Par exemple, lorsque les connaissancesantérieures sont organisées sur des bases conceptuelles solides, elles peuventêtre un appui pour la formation, autrement elles créent des interférences dontl'effet doit être atténué. Se pose donc, surtout dans le domaine de la formationcontinue, le problème d'optimaliser le rôle des connaissances acquises et mode-lées par l 'expérience.

l l . Gick et Holyoak [983] ont, au cours d'une expérience, proposé una analogie mil i taired'attaque réduite sur plusieurs fronts afin de favoriser la solution d'un problème de traitement parradiation d'une tumeur dont I'objectif était de ne pas détruire les cellules saines. læs personnes,lorsqu'elles avaient été inforrnées de la pertinence de I'analogie, trouvaient une solution conver-gente dans 75 7a des cas, autrement en prenant seulement connaissance de l'analogie militaire,cette proportion chutait à30 Vo. L'information, ou ce que nous appelons la médiation sociale,t-avorise le transfert analogique. Cependant, dans les cas les plus complexes, le problème ne seraitplus tant de se rappeler la pertinence de I'analogie, ce que favorise la médiation sociale, que deparvenir à une représentation adéquate du problème.

12. Ces énrdes se basaient sur des utilisations arbitraires (par exemple : I'apprentissage de listes dernots associés) en utilsant un rnatériel expérimental requérant peu de connaissânces antérieures.

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Plusieurs travaux portant sur les modèles mentaux naïfs ont. montréque la plupart des adultes pensent le monde physique en termes aristotéli-ciens davantage que newtoniens. Même après avoir suivi des cours de phy-sique, les personnes, à I'extérieur du contexte scolaire, << régressent o pour laplupart vers des explications phénoménologiques lorsqu'elles sont interro-gées sur un événement physiquet3. Cependant, cette régression semble stop-pée lorsque la personne agit dans un contexte d'expert ise, c 'est-à-direlorsqu'elle doit composer avec une pression sur la validité de ses ., opi-nions >. Les recherches sur cet effet du contexte indiquent que les expertsn'organisent pas leurs connaissances à partir de catégories superficielles maisse fient davantage à des attributs structuraux abstraits qu'ils investissent pourcomprendre une situation. Ainsi, les novices, confrontés à un problème,s'appuient sur des connaissances factuelles où les détails du problème sontomniprésents alors que les experts, devant le même problème, utilisent desmodèles organisés autour de principes et d'abstractions qui vont au-delà desdétails [Glaser, 1988].

Cette question du contexte est une voie nouvelle dans l'étude du trans-feft et, selon certains, encore trop négligée. Selon les recherches portant surce qu'il est convenu d'appeler la cognition contextualisée14, les personnesaborderaient leurs problèmes de mathématiques quotidiens (par exemple :taire son marché, charger un camion de lait, gérer son argent) en utilisant desschèmes pragmatiques liés au,contexte qui leur est familierls qui s'avèrentefTicaces et dans lesquels elles ont confiance. De plus, les personnes neseraient pas capables d'util iser en classe ces mêmes schèmes pragmatiqueslorsqu'elles sont confrontées à des problèmes mathématiques semblables.Ainsi, de jeunes vendeurs brésiliens réussissent dans une proportion de98 Vodes problèmes de mathématiques dans le contexte qui leur est familier etseulement dans une proportion de 37 Vo lorsque les mêmes problèmes leursont posés dans un contexte scolaire [Carraher, Carraher et Schliemann,19851. Cependant, si ces problèmes leur sont posés verbalement. dans uncontexte scolaire, le taux de réussite se situe alors à74 7o.

Ce dernier résultat va à l'encontre de la conception voulant que les pro-blèmes mathématiques verbaux soient plus difhciles à solutionner que ceux uti-l isant des chi f f res avec un minimum de consignes verbales ou écr i tes. Enrevanche, un tel résultat renforce la conception que la connaissance se construitdans la communication humaine. En I'occurrence, dans ce cas, les consignesverbales auraient pour effet de favoriser le contact des personnes avec les

13. Par exemple, en donnant une interprétation du mouvement des corps en termes d'inpul-s lon .

11. Situated cogttiti<ttt.

15. Par exenrple, pour les vendeurs, les techniques de calcul entourant le prix d'un produit offertau rabais.

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schèmes pragmatiques qu'elles ont développés dans un contexte extrascolaire.Le contexte aurait donc, vis-à-vis des connaissances, un rôle d'ancrage notam-ment en favorisant le développement de schèmes pragmatiques. Ce sont cesschèmes pragmatiques qui seraient spontanément mobilisés lorsque se présenteune nouvelle connaissance ou un problème non familier.

Pour conclure, cette sous-section consacrée à une explication de typestructural du transfert a permis de constater la variété des travaux théoriques quiadoptent ce schème explicatif. Pour ce schème explicatif, c'est à I'intérieur dela personne qu'il faut rechercher I'explication du transfert. Ainsi, plus une per-sonne possède une solide structure cognitive, plus elle serait en mesure d'effec-tuer le transfert de ses apprentissages. Ce point de vue constitue un gain sur leschème causal qui, par le biais de stimuli externes, tend à réduire le choix deréponses correctes que la personne applique à des problèmes pratiques. Leschème structural propose, quant à lui, d'étendre le répertoire des réponses pos-sibles et valides, invitant ainsi la personne à des combinaisons inusitées de sesrôles et de ses compétences. Dans ce sens, une explication structurale du trans-fèrt favorise nettement le transfert long en misant sur l 'adaptabilité (et nonl'adaptation) et la créativité de la personne. Les applications éducatives quidécoulent de cette approche favorisent la gestion et le contrôle des apprentis-sages, notanxnent en planifiant les activités éducatives en fonction du but pour-suivi et des connaissances antérieures des personnes, en favorisant la mobilisa-tion des connaissances adaptées à la tâche, en foumissant un soutien adapté, envariant les exemples et les mises en application, en stimulant la découverte, laconfrontation et Ia rétroaction.

Cependant l'utilisation qui a prévalu, jusqu'à présent, du schème structu-ral confine l'étude du transfert dans une perspective limitée. Ainsi, en tentant deprendre en compte les structures significatives internes de la personne, les théo-nes utilisant la métaphore de I'ordinateur n'en restent pas moins statiques. Lesprocessus de traitement de I'information impliquent la présence d'unités dis-crètes (propositions, règles), ce qui pose le problème du passage du discret aucontinu car, comme les gestaltistes I'ont fait valoir, I'activité cognitive est glo-bale, émergente et soudaine. Ces théories postulent donc une structure cognitiverelativement statique et mécaniste. Dans cette perspective, la notion de schémasapparaît trop rigide, compartimentée et artificiellement consistante. Selon Spiroet ses collègues [1987], la notion de schémas peut rendre compte du transfertdans les situations bien formées (WelL-struclured domain) alors que, le plus sou-vent, le transfert de connaissances se fait dans des situations enchevêtrées (1//-structured domain). Ces auteurs, s ' inspirant des derniers travaux deWittgenstein, préconisent une approche du transfert basée sur la flexibilité, lavariabilité et la complexité.

La question de I'intégration de nouvelles connaissances aux anciennesn'est pas non plus tranchée par cette école de pensée. Cette intégration se fait-elle par simple addition ? Par réception à panir de concepts abstraits comme leprétend Ausubel ? Par l'acquisition de compétences subordonnées ouvrant la

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voie à des compétences plus générales, corrrme le propose Gagné ? Ou encorepar des chaînes d'opérations successives de type assimilation-réorganisation-accommodation selon I'optique piagétienne ? C'est là une question encoreouverte.

Dans l'ensemble les théories cognitivistes ont développe une conceptionétroite de l'apprentissage. Ces théories s'intéressent davantage au passage d'unesituation d'apprentissage à une autre situation d'apprentissage. Les situations detransfert extrascolaires ne les préoccupent guère. Selon R. Rommetveit, lesthéories cognitivistes présentent l'environnement exteme de la personne commeun monde stable dans lequel des personnes sans sentiments ni intérêts veillent àla communication linéaire d'informations sans recourir à des reiations de pou-voir ou de contrôle.

Schème herméneutique du transfert :antériorité de Ia signifrcation

Le schème herméneutique du transfert partage, avec le schème structural,I'idée que le transferl doit être ramené à une .. signification >>. Pour le schèmestructural, le transtèrt tient à la constitution d'une représentation cognitive relati-vement formalisée et structurée dont la validité est reconnue grâce aux perfor-mances qui découlent de son utilisation dans certaines tâches. Le schème her-méneutique, quant à lui, conçoit la < signification > du transfert comme étantrattachée, symboliquement, à des représentations organisatrices qui existentindépendamment de la personne. Pour le schème herméneutique, le transfert estplus que la somme des compétences de la personne puisqu'il réunit les compo.santes de la situation d'apprentissage et de la situation de transfert à I'intérieurd'un champ symbolique qui transcende ces situations. Pour éclairer le schèmeherméneutique du transfert, quatre sources sont retenues, soit la théorie gestâl-tiste, la théorie des catastrophes de René Thom, la théorie des champs morpho-génétiques de R. Sheldrake et I'herméneutique de la communication.

Théorie gestaltiste

La théorie gestaltiste de I'apprentissage, marquée par les travaux deW. Koehler t19251et de G. Katona 11940), estime qu'un apprentissage produc-tif, créatif et pemanent doit être obtenu par la compréhension davantage quepar la mémorisation mécanique. Lors d'un apprentissage, la compréhensiond'une situation est atteinte lorsque surgit une amélioration globale et profondequi demeure pemranente. Celle-ci peut alors être transférée à d'autres situationssemblables. La théorie gestaltiste se distingue ainsi des explications causalespuisqu'il n'est pas question ici de prétendre que la pratique, I'exercice ou encorele renforcement sont les principaux facteurs qui améiiorent la performance.

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Le transfert passe, pour les gestaltistes, par les représentations de la per-sonne. Ce sont ces représentations qui favorisent une compréhension profondedes relations entre divers problèmes ou situations. Dans cette optique, le trans-fert ne repose pas sur des éléments identiques puisés dans des données exté-rieures, mais davantage sur une représentation perceptuelle qui se rapporte à unetotalité signifiante pour la personne. Ainsi, par exemple, dans une expériencetaite avec des singes, Koehler leur montra comment utiliser un bâton pour attirervers eux des objets hors de leur portée. Par Ia suite, il se rendit compte que lessinges utilisaient tout objet fonctionnel (un soulier, un bord de chapeau, unegerbe de paille) mis à leur disposition pour réaliser les mêmes fins. Koehlerexpliqua ce résultat en considérant que le bâton avait acquis, dans le champ per-ceptif du singe, une valeur fonctionnelle déterminée par la finalité poursuiviedans cette situation. C'est cette valeur fonctionnelle qui, selon lui, pénétrait àson tour tous les objets ayant en coûunun, avec le bâton, les mêmes propriétés(rigidité, allongement du bras) permettant d'atteindre I'objectif désiré. Demêrne, d'un point de vue gestaltiste, la capacité que nous possédons tous dereconnaître une même rnélodie jouée dans deux gammes différentes ne reposepas tant sur des stimuli décodés à la pièce, c'est-à-dire les notes musicales prisesune à une, mais sur la perception globale (...et spontanée) que nous avons desrelations fonctionnelles entre les notes. Bref, pour les gestaltistes, il y a transfertd'une situation à une autre dans la mesure où la personne peut percevoir, dansun problème ou une situation, la possibilité d'util iser une valeur fonctionnelleacqu ise antérieurement.

Pour la gestalt, ou théorie des formes, il y a donc, au cours de I'apprentis-sage, formation d'une totalité signifiante, inéductible à chacune de ses parties.Par exempie, I'apprentissage de la bicyclette est plus que la sofirme d'unités desens telles que la vélocité, l'équilibre, la confiance en soi. Il y a une compréhen-sion globale et profonde de ce qu'est <. aller à bicyclette >>. Les données de laréalité sont amalgamées en une < gestdlt > et c'est elle qui s'impose à une sériede situations analogues (par exemple : utiliser des bicyclettes de formes ou detailles différentes). La régularité ou la stabilité structurale qui s'observe d'unepersonne à I'autre (par exemple : lorsque nous recounaissons une même mélo-die, ou un mêrne visage) s'expliquent, pour les gestaltistes, par le caractèretranscendantal des formes, en ce qu'elles associent leurs composantes selon unplan de signification englobant. Le transfert résulte ainsi de formes ou de repré-sentations globales a priori, qui s'imposent du dedans au milieu extérieurqu'elles organisent en fonction des significations qu'elles portent.

Pour les théories behavioristes, la représentation que se fait la personned'un problème ou d'une situation n'est pas un enjeu en soi. Ces théories nevoient qu'une différence quantitative entre I'association arbitraire de deux syl-labes et I'apprentissage d'une notion mathématique complexe ; cette demièreimpliquant seulement davantage d'associations que le premier apprentissage. Lathéorie gestaltiste, pour sa part, accorde une impoftance majeure aux représenta-tions et aux stratégies utilisées par les personnes. Selon cette théorie, certainesreprésentations que se font les personnes d'un problème ou d'une situation

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conduisent mieux que d'autres au transfert de leurs connaissances antérieures.La gestalt insiste ainsi sur une pédagogie de la découverte qui permet à la per-sonne de percevoir une situation avec plus d'acuité et de profondeur pour yinvestir la forme signifiante appropriée. La gestalt ne rejette donc pas, corrlmetelle, la notion d'éléments identiques mais conçoit celle-ci comme un tout struc-turé qui n'est pas réductible à ses parties ni à une identité à la pièce de stimuliexternes. Il émerge de cette pédagogie de la découverte, des formes simples (lecercle, le slalom du skieur) qui, par leur symétrie et leur régularité, s'imposent àI'intelligence et au corps.

L explication du transfert de la théorie gestaltiste fait donc appel à desformes idéales qui, par leur prégnance, investissent le monde perçu et sensible.Ces formes < flottent o dans un univers imrnatériel ou métaphysique.Cependant, il existe la possibilité d'avancer sur le terrain d'un idéalisme qui neverse pas dans des engagements métaphysiques, qu'ils soient ontologiques ouépistémiques. D'ailleurs, il faut, dans le cadre de ce chapitre, consacré auxdivers schèmes d'intelligibilité du transfert, noter que certains chercheurs ten-tent d'actualiser la théorie des formes en lui donnant des assises qui se veulentdégagées des apories de la métaphysique.

Théorie des catastrophes

Parmi les travaux théoriques consacrés à la réhabilitation de la théoriedes formes, certains commencent à recevoir, en sciences de l'éducation, unecertaine attention. Ainsi, la théorie des catastrophes de René Thom qui, àI'origine, se présente comme une théorie mathématique, s'est depuis peurépandue dans d'autres domaines tels que la biologie, la linguistique, l 'éco-nomie, la sociologie. Cette théorie se veut locale et déterministe en ce sensqu'elle examine les systèmes dynamiques présentant des phénomènes de rup-tures, de discontinuité, de sauts brusquesl6, pour proposer les modèles dyna-miques sous-jacents les plus simples susceptibles d'expliquer l 'évolutioninattendue de ces systèmes. Ces modèles postulent que l'évolution d'un sys-tème dynamique est basée sur un conflit d'attracteurslT, c'est-à-dire d'étatsde stabilité vers lesquels le système tend lorsqu'il'est perturbé. La théorie descatastrophes avance que ces conflits d'attracteurs sont déterminés par desformes élémentaires, soit en tout sept formes aux noms foft poétiques : le pli,la fronce, la queue d'aronde, le papillon, I'ombilic hyperbolique, I'ombilicelliptique, I'ombilic parabolique.

16. D'où le mot . catastrophe " associé à la théorie de R. Thorn.

17. Un attracteur simple d'un système dynamique peut, par exemple, être le niveau stable d'unebaignoire qui perd autant d'eau par son drain qu'elle en reçoit par le robinet. Ici, ce systèrne dyna-mique présente un état de stabilité puisque le niveau d'eau reste constant dans la baignoire. Si cetequilibre est perturbé, le système se dirigera vers un nouvel attracteur qui assurera alors une nou-velle < stabilité, au système.

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René Thom se consacre, depuis plusieurs décennies, à développer unethéorie plus générale qui s'appliquerait à des systèmes dynamiques plus com-plexes, tels la pensée et le langage. C'est ici que les travaux théoriques deThom peuvent apporter une contribution à l'étude du transfert. En effet, enproposant des formes plus complexes, des chréodes archétypales pourreprendre la terminologie de Thom, celui-ci propose, ni plus ni moins, unenouvelle herméneutique susceptible d'établir entre des phénomènes appa-remment très éloignés des relations nouvelles et inattendues. Cette viséerejoint directement le rôle que I'on attribue au transfert général qui demeureI'un des types de transfert panni les plus difficiles à atteindre mais, en mêmetemps, les plus stimulants. Ces chréodes archétypales ressemblent aux thé-matas de G. Holton, soit des formes de l' imaginaire scientifique (conti-nui té/discont inui té, l iberté/déterminisme, espace/temps, local/global,hasard/nécessité...), qui conditionnent le déploiement ainsi que le développe-ment de programmes de recherches.

Théorie de s champs morpho génétique s

Les travaux du biologiste anglais R. Sheldrake vont, eux aussi, dans Iesens de réhabiliter la théorie des formes. Uhypothèse de Sheldrake est que lemonde vivant et.le monde inanimé sont guidés, dans leur développement, pardes champs de forces invisibles qu'il nomme < champs morphogénétiques >>.Ces champs seraient < formés par les choses qu'ils forment >. Ils seraient ainsien mesure de transférer, par < résonance '>, des caractéristiques génétiques etcomportementales du tout à la partie et, inversement, de la partie au tout. Cesont ces champs qui, selon Sheldrake, expliqueraient les réductions de tempsd'apprentissage que I'on < observe " de génération en génération dans laconduite automobile, I'utilisation des ordinateurs, la pratique de sports tel le skiet l 'étude d'instruments de musique tel le pianois. Les champs morphogéné-tiques assureraient ainsi la diffusion d'une innovation en facilitant I'appropria-tion de celle-ci. Ces champs serviraient ainsi d'empreintes à I'expérience collec-t ive humaine, faci l i tant son évaluat ion, son partage ainsi que sonpedectionnement.

ll n'est pas évident que les travaux de Sheldrake et de Thom échappent àla métaphysique de la théorie gestaltiste. Ainsi, si les champs morphogénétiquessont < formés par ce qu'ils forment >, il se pose évidernment la question deI'origine du premier champ (ou de la première forme...) et de sa différenciationultérieure en divers champs... De même, les archétypes de Thom se développentau-delà du registre de pensée et d'action du genre humain. Dans ce sens, il n'estpas évident qu'ils soient plus accessibles que ceux de Platon même si, prétend-

18. Outre la réduction du temps d'apprentissage, les champs morphogénétiques fournissent aussiune < explication " au phénonrène de la sirnultanéité dans I'apparition des idées et des inventions(par exemple : le téléphone).

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il, ils seraient plus formalisables dans le cadre d'une théorie générale qui n'a pasencore été élaborée.

Herméneutique de la communication

Uherméneutique de la communication offre une base intéressante poursaisir la nature de ces champs symboliques qui conditionnent le déploiementd'une connaissance à la suite de son acquisition. L herméneutique de la commu-nication met I'accent sur la signification, sur le rapporl de sens que produit uneconnaissance à l'intérieur d'un univers partagé par un ensemble de personnes.Ainsi, I'herméneutique de la communication ne se préoccupe pas tant de l'émet-teur, du récepteur ou encore du message comme le font généralement les théo-ries de la communication. Ici le transfert a peu à voir avec le degré de réceptiond'un message que A transmet à B.

Le transfert se conçoit, pour I'herméneutique de la communication,corrlme un rapport de sens. Ce n'est pas A qui transmet une nouvelle connais-sance à B, mais A qui transforrne une configuration commune, un champ sym-boliquere à A, B, C, D...[Lévy, 1990]. Autrement dit, le transfert d'une connais-sance s'inscrit dans un réseau complexe où interagissent un grand nombre depersonnes. Ainsi, contrairement aux approches de la psychologie cognitive,l'herméneutique de la communication ne voit pas dans chaque personne undépositaire de la pensée, de l'intelligence et de la mémoire. Une personne estintelligente avec le groupe humain auquel elle appartient2O. Chaque personnehérite de la langue, des méthodes et des technologies intellectuelles de sa com-munauté d'appartenance. Le champ symbolique formé par une communautéenglobe et contraint la personne tout en lui donnant les moyens de se réaliser etde dépasser ce qui est connu. Le transfert d'une connaissance à partir d'un dis-positif de formation équivaut alors à se demander si cette connaissance peutavoir un << effet de sens , dans une communauté panageant un même champsymbolique.

Pour I'herméneutique de la communication, chaque société ou commu-nauté produit des schèmes d'action qui constituent, en quelque sorte, une confi-guration de solutions permettant de s'adapter à certaines situations2l. Les nou-veaux membres de cette société sont, à leur tour, socialisés en fonction de cesschèmes d'act ion. C'est par le biais de ces schèmes d'act ion que, selonP. N. Johnson-Laird, une personne se construit peu à peu un modèle cognitif

19. La notion de champ symbolique que nous utilisons ici rejoint des expressions semblables uti-lisées par d'autres auteurs telles que < schèmes signifiants ,, . filtres perceptuels >, < schèmesculturels >, " paradigmes ".20. Ce qui ne s'oppose pas à un processus d'individuation très poussé et complexe, au contraire. Ils'agit ici de distinguer individuation et individualisme.

21. Ainsi remarque-t-on que des techniques implantées dans une culture d'entreprise donnée n'ontpas les mêmes effets lorsqu'elles sont irnplantées dans une entreprise semblable mais possédantune autre culture.

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IS inteme d'un problème à solutionner ou d'une situation à changer. Cette positions'éloigne du sens que les cognitivistes donnent au concept de schème dans lamesure où cette notion n'est pas le résultat du déploiement de règles intemesrnais, davantage, d'un rapport au monde. Ainsi, contrairement aux modèlescognitifs qui voient la perception, la mémoire ou I'imagination sous l'angled'une production individuelle, l'herméneutique de la communication parle deconstruits sociaux. Ces modèles comportent une dimension référentielle quielle-même suppose l'établissement d'une co-référence, d'une culture partagéequi se manifeste dans le langage.

Ces travaux invitent à penser autrement la relation entre culture, cogni-tion et langage. Ainsi, le point de vue cognitiviste ne se préoccupe que de mettreen rapport les mots du langage entre eux. Uherméneutique de la communica-tion cherche, quant à elle, non seulement à relier les mots entre eux mais se pré-occupe aussi, et surtout, de leur rapport au monde. L herméneutique de la com-rnunication met ainsi de I'avant une explication du transfert qui ne s'éloigneguère des théories de la forme. Le transfert est un effet de sens à I'intérieurd'une configuration. Cependant, contrairement aux théories de la forme, 1'her-rréneutique de la communication tente de situer la signification dans un champsymbolique reposant sur des interprétations socialement construites et partagées,non pas données.a priori et relativement immuables. Selon I'herméneutique dela communication, ces interprétations sont susceptibles d'être révisées ou redéfi-nies, tantôt lors de transformations sociales, tantôt en fonction du développe-ment des personnes. Le transfert d'une connaissance est ici modelé et condi-tionné par le type de rapport au monde, par les schèmes d'action, que lespersonnes, les groupes ou les collectifs investissent dans leur ., monde vécu >>.Le transfert se réalise au moyen de la construction d'une véritable communautésymbolique.

Schème fonctionnel du transfert :régulation des composantes du système

Dans le cadre d'un schème fonctionnel, le transfeft est un effet recherchépour assurer la pérennité d'un système. Autrement dit, le transfert est un résultatnécessaire dans la mesure où il contribue aux exigences de fonctionnement d'unindividu, d'un groupe ou d'un collectif. Cet effet. soit le transfefi, est souvent,en éducation des adultes, d'autant plus recherché qu'il est traité comme étantune composante intrinsèque du système lui-même. Le transfert s'intègre auxrouages de régulations entre les composantes du système. C'est ainsi qu'ilcontribue à ce que les individus, les groupes ou les collectifs atteignent leursflnalités. La popularité de I'analyse de système en éducation des adultes indiqued'emblée I'importance de ce schème.

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Le schème fonctionnel se rapproche du schème causal. En effet, leschème fonctionnel estime que le transfert peut être favorisé lorsqu'on procèdeau réglage optimal des composantes d'un système matériel. Compte tenu decette proximité avec le schème causal, il n'est donc pas étonnant de constater,au sein du schème fonctionnel, des emprunts fréquents aux théories néobeha-vioristes. Toutefois, le schème fonctionnel se distingue de I'analyse causale ence sens qu'il ne prétend pas qu'il y ait un lien immédiat de cause à effet entreI'apprentissage d'une nouvelle connaissance et la << performance > observée parla suite. D'autres facteurs peuvent intervenir. Il y a un << effet système ) àprendre en compte.

La plupart des travaux portant sur le Développement des RessourcesHumaines (DRH), ou Human Resources Development (HRD), s'inspirent, defaçon exemplaire, du schème fonctionnel du transfert. Ces travaux se caractéri-sent par leur capacité à emprunter à des disciplines ou champs d'études mul-tiples tels la micro-économie (les analyses coûts-bénéfices), la technologie édu-cative (le design de systèmes d'intervention), la psychologie industrielle (laconstruction de tests d'embauche ou de sélection), I'andragogie (le rôle et lesméthodes d'intervention des formateurs ou des formatrices), le comportementorganisationnel (l'identification des agents de changements dans une entreprise)ou encore la communication organisationnelle (la légitimation de la formationdans le discours de I'organisation). Cet éclectisme dans les travaux portant sur leDRH est revendiqué au nom d'une pensée dite systémique. Cette attitude acependant pour contrepartie le caractère limité des théories de I'apprentissage,s'inspirant surtout de la psychologie behavioriste ou du behaviorisme social,auxquels font appel les travaux en DRH. Cette centration sur les théories beha-vioristes se comprend lorsque I'on constate que les travaux en DRH définissentI'apprentissage surtout en fonction des performances qu'atteignent les per-sonnes à I'intérieur des organisations.

Le transfen, pour les travaux en DRH, est une composante de la forma-tion. Autrement dit, lorsque les apprentissages effectués au cours d'un pro-gramme de formation ne sont pas transférés à la situation de travail sous laforme d'une amélioration de la performance, c'est comme si la formationn'avait pas eu lieu. À la base de cette visée impérative sur le transfert, il y a undiscours initial qu'il convient de ne pas oublier, celui de la compétitivité. Eneffet, les travaux en DRH insistent souvent sur la nécessité, pour les entreprises,d'accélérer leur capacité d'innovation et d'apprentissage si elles veulent demeu-rer concurrentielles. Ces travaux établissent un lien de plus en plus étroit entreformation et développement organisationnel. Dans une telle perspective, ledéveloppement personnel des individus doit contribuer au devenir de I'entre-prise. Les travaux en DRH font donc écho aux théories du capital humain pourlesquelles I' investissement d'une entreprise dans le développement de ses res-sources humaines doit nécessairement amener un retour sur cet investissement.D.G. Robinson et J.C. Robinson [989] considèrent même que la formationdans les entreprises s'évalue non seulement en fonction des résultats atteintsdans les changements de compoftements et d'attitudes des membres de I'organi-

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't

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sation mais aussi au plan des résultats opérationnels de l'entreprise : augmenta-tion des ventes, réduction des pertes, gain de productivité, réduction du nombrede griefs, satisfaction accrue de la clientèle...

Le transfert est donc, pour les travaux en DRH, partie prenante de la défi-nition qu'ils donnent de la formation. Par exemple, I. Goldstein tl989l définitla formation corilne << I'acquisition systématique d'habiletés, de règles, deconcepts ou d'attitudes qui provoquent une performance accrue dans un autreenvironnement22 ,r. Bref, formation et transfert se confondent ici. Pour les tra-vaux en DRH, Ie transfert ne peut être dissocié des différentes étapes du proces-sus de formation. Ce processus de formation prend les allures d'un modèled'instruction systémique. Un transfert réussi sera donc dépendant de la réalisa-tion et de I'optimalisation des différentes étapes et composantes du système defbrmation : bon diagnostic initial des besoins de formation, définition adéquatedes objectifs pédagogiques, embauche de formateurs et formatrices qualifiés,matériel didactique de qualité, méthodes d'enseignement respectueuses des per-sonnes, encadrement pédagogique soutenu, évaluation des apprentissages, suivietfeed-back établis en fonction des objectifs de départ.

Même si les travaux en DRH présentent le transfert cornme un << effet desystème >, il n'en résulte pas que celui-ci soit dissous dans les diverses compo-santes du processus de formation. Le transfert est considéré comme une étapedu processus de fôrmation qui requiert une attention particulière, non réductibleà d'autres composantes. Par eiemple. B.R. Joyce et B. Showers tl98ll estimentque le transfert lui-même implique de nouveaux apprentissages, davantage pra-tiques, liés au contexte de mise en pratique (par exemple : où et quand utiliserune nouvelle habileté ? Comment la moduler dans une séquence de travail pré-cise ?). P. Lebel (1985) exprime la même idée en faisant valoir que le transfert,dans un cheminement pédagogique, fait davantage appel à des objectifs desavoir-faire (par exemple : être capable de...) et affectifs (par exemple : adhéreraux buts poursuivis par I'entreprise). Cette singularité du transfert à I'intérieurdu processus de formation fait appel à une instrumentation et à des méthodesd'intervention tout aussi spécifiques. Dans ce sens les travaux en DRH souli-gnent l'importance dt coaching, du feed-bacft, de I'observation, des renforce-ments matériels, de I'engagement de la direction de I'entreprise, de la mise aupoint d'un plan de réinvestissement des acquis. Ce dispositif de post-formationest préconisé afin de juguler un phénomène d'extinction rapide des apprentis-sages après un programme de formation. N. Rackhan a mis en évidence ce phé-nomène en montrant que jusqu'à 87 Vo des nouveaux apprentissages peuventdisparaître s'ils ne sont pas renforcés par I'organisation lors du retour au travail.

Les travaux en DRH mettent en évidence deux tendances quant auxconfigurations d'un dispositif de postformation susceptible de favoriser le trans-fèrt : I 'une néobehavioriste. I'autre se réclamant d'une écolosie coqnitive. La

22. " ...The systematic acquisition of skills. rules, concepts or attitudes that result in improvedoerformence in another environrrrenl. . . "

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tendance néobehavioriste des travaux en DRH s'est développée ces dernièresannées par la critique des liens trop étroits et trop immédiats que ce(ains tra-vaux établissaient entre les habiletés acquises par Ies membres d'une organisa-tion et les performances ultérieures. Pour les travaux s'inspirant de cette ten-dance [par exemple : Mc Lagan, 1989], les milieux de pratiques sont tropcontingents pour que l'on puisse établir un lien immédiat entre formation et per-formance. Ces travaux en DRH ont redéfini autrement le lien entre formation etperformance. Plutôt que de rechercher le lien formation-performance du côtédes individus, c'est du côté de I'environnement de travail qu'ils se sont orien-tés. Après un programme de formation, les membres d'une organisationdevraient composer avec un environnement de travail qui, d'une certaine façon,réduit le nombre de réponses possibles, par exemple en récompensant les com-portements et les attitudes adéquates. Ce faisant, cette tendance estime que lerôle d'un dispositif de postformation est d'accroître la prédictibilité des réponsessouhaitées et attendues par I'organisation.

Cette tendance néobehavioriste pose au moins deux problèmes. Le pre-mier est que les expefis d'un domaine atteignent un degré élevé de performance,non pas en réduisant leur répertoire de réponses, mais en l'élargissant. Cesexperts se comparent davantage à des artistes disposant d'un réservoir importantd'heuristiques à leur disposition. Le second problème réfère à l'existence demultiples explications à l'écart entre formation et performance. Par exemple, ilse peut que ce soit les théories interpersonnelles d'action que partagent lesmembres d'une organisation qui freinent le transfert.

La seconde tendance des travaux en DRH met aussi en évidence I'envi-ronnement de travail mais, cette fois-ci pour qu'il serve à étendre le répertoirede solutions des membres de I'organisation. Ainsi, P. Senge insiste pour que laformation en entreprise soit un moyen pour favoriser une véritable écologiecognitive, c'est-à-dire une pensée qui permet aux menrbres de I'organisationd'accroître leurs capacités à atteindre les résultats qu' i ls recherchent, parexemple en créant des solutions originales, en élevant les aspirations collectiveset en favorisant les si tuat ions où les personnes apprennent à apprendreensemble. Bref, pour Senge, le DRH devrait viser à promouvoir des organisa-tions de travail qualifiantes 23, c'est-à-dire des organittions capables d'utiliseret de développer les compétences de leurs membres, A son avis, pour atteindrecet objectif les personnes responsables du DRH devraient agir en leaders,notamment en créant des tensions créatives à I'intérieur de I'organisation, tellesque des visions mobilisatrices. Ce point de vue sur le DRH développé par Senges'éloigre du schème fonctionnel du transfèrt. En effet, à partir d'un point de vuesystémique, il tente un rapprochement du DRH avec un schème du transfertexaminé dans la prochaine section, soit le schème actanciel. læs nombreux ren-

23. Convergences d'idées, la revue Éducation petmanente (n"l l2) publiait dernièrement unnurnéro thématique consacré à l'< organisation qua'li{iante

".

t20

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vois de Senge aux travaux de D. Schôn et de C. Argyris poftant sur la science deI'action favorisent cette interprétation.

Il faut constater que le schème fonctionnel du transfert est de plus en plusutilisé dans une perspective systémique. L'analyse de systèmes pernet, en effet,de traiter le transfert comme une composante régulatrice d'un système matérielinterdépendant qui favorise I'atteinte de certaines finalités dans un environne-ment. Les travaux portant sur le DRH ont lu dans la pensée systémique un puis-sant outil d'analyse permettant de comprendre adéquatement des processus deformation, et ce, en faisant appel à plusieurs disciplines : sociologie du travail,ergonomie, psychologie industrielle, communication, technologie éducative,économie, andragogie.

Schème actanciel du transfert :modalité d'utilisation des connaissances

Le schème actanciel2a du transfeft consiste à retracer le transfert par I'uti-lisation (ou la non-utilisation), les conséquences et les impacts de nouvellesconnaissances dans un milieu d'interaction. Ainsi, pour le schème actanciel dutransfefi, plutôt'que leg opinions, les croyances, le niveau de développementcognitif de personnes prises une à une, c'est le mode d'action que celles-ci sedonnent qui agirait comme matrice sur le transfert. Qui plus est, ces modesd'action seraient eux-mêmes porteurs de capacités d'apprentissage plus oumoins grandes selon leur nature même. Le type d'interactions sociales qui se tis-sent autour de nouvelles connaissances conditionnerait le transfert. Les travauxpo(ant sur la diffusion et I'util isation des connaissances ainsi que les travauxs'inspirant des modèles d'action ou des savoirs pratiques utilisent ce schèmed'explication.

Dffision et utilisation des connaissances

Comment certains concepts, notamment scientifi ques, s' ajoutent-ils ous'intègrent-ils aux pratiques sociales '/ Comment deviennent-ils parties pre-nantes du référentiel à partir duquel les acteurs sociaux règlent leur activitéd'intervention ou de communication ? Par exemple, comment un concept telque celui de < stress > qui, il y a à peine trente ans, n'était util isé que dans despublications et des communications scientifiques, est-il devenu un terme fami-lier connotant diverses pratiques maintenant couramment admises dans certainscontextes (par exemple : semaine anti-stress dans des milieux d'intervention

24. Le schènte actanciel rejoint, dans plusieurs travaux, I'idée de schèrne d'action rnis en avantpar l 'hennéneutique de la communication.

12l

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professionnelle difficiles) ? De même, comment se fait-il que la population uti-lise aujourd'hui familièrement les statistiques (résultats sportifs, contrôle dequalité) alors que le développement de cette branche des mathématiques dated'à peine plus d'un siècle ? Comment ceftains résultats de recherches servent-ilsaux décideurs dans leur processus de prise de décisions ? De même, commentpeut-on, en Amérique du Nord, expliquer la difficile implantation du systèmemétrique ? Ces questions renvoient au potentiel d'innovation sociale que véhi-culent les sciences et les techniques mais aussi, et surtout, aux processusd'appropriation et de transformation dont ces connaissances font I'objet.

Le problème de l'utilisation ou transferts de connaissances (KnowledgeUse, Knowledge Transfer) a fait I'objet de nombreux travaux empiriques avantet au cours des années soixante, notamment aux Etats-Unis. Le propos de cesrecherches traduisait, de façon générale, un objectif pouvant être rattaché à unerationalité instrumentale, soit réduire le délai entre une découverte et sonimplantation dans des pratiques sociales25. En 1969, R. Havelock et ses col-lègues proposèrent une première synthèse de ces nombreux travaux. Ceux-ciidentifièrent alors trois modèles d'utilisation des connaissances26 : un modèle derecherche et développement (R et D) ; un modèle d'interaction sociale ; et unmodèle de processus de solution de problème. Havelock et ses collègues, sousI'impulsion des nouvelles sciences de la communication et de I'informationalors naissantes, proposèrent alors un modèle synthétique qu'ils nommèrent< maillage ,> (linkage). Ce modèle intègre la rationalité instrumentale du modèleR et D ainsi que les préoccupations centrées sur I'usager du modèle de solutionde problème en utilisant une perspective interactionniste.

Le champ de l 'ut i l isat ion des connaissances, depuis les travaux deHavelock et ses collègues, se définit et se précise. Ainsi, l 'util isation d'uneconnaissance se présente corrlme vn processus d'échange qui peut altérer lesperceptions, les intentions et la nature même de la connaissance. Ce processusd'échange compofte à la fois des aspects subjectifs et objectifs. Par exemple, lesévaluations subjectives positives facilitent I'adoption de nouvelles connais-sances. Cependant, les critères qui influencent la pertinence telle que perçue parles utilisateurs sont peu connus. De même, le processus d'utilisation se repré-

25. Le modèle type de ces recherches fut mis au point, au cours des années trente, par les travauxqui étudièrent le processus d'adoption, par les agriculteurs américains, de nouvelles semenceshybrides de maïs plus résistantes à la sécheresse.

26. Dans une rewe des études récentes sur le même domaine, Glaser et ses collègues [ 1983] iden-tifient, quant à eux, cinq modèles d'utilisation, soit : l) recherche, développement et diffusion ; 2)interactionnisme ; 3) résolution de problèmes ;4) changement planifié ; 5) recherche action. C.H.Weiss [1979] identifie de son côté sept modèles d'utilisation : 1) recherche et développement ; 2)résolution de problèrnes ; 3) interactionnisme ;4) politique ; 5) tactique ; 6) réflexif (enlight-ntent) ;7) entreprise intellectuelle d'une société. Ces multiples typologies indiquent que le champde I'utilisation des connaissances demeure un domaine de recherche relativement ieune. encoresoumis, dans ses constructions et ses tâxonomies, à plusieurs interprétations.

122

Page 112: De la formation au métier

sente comme un continuum d'ctction, par exemple, lorsque la légitimité de pra-tiques coutumières est renforcée par I'apport de nouvelles connaissances. Cesrecherches ont aussi permis de délimiter le champ de I'utilisation des connais-sances dans la mesure où celles-ci doivent comporter des implications socialessignificatives. Finalement, le processus d'utilisation peut comporter des effetssecondaires. désirés ou pervers, à la fois pour I' individu et le contexte danslequel il agit.

Ces travaux portant sur I'util isation des connaissances permettent deremettre en question la dichotomie artificielle que l'on perpétue entre utilisationde connaissances et production de connaissances [De Martini et Whitbeck,19861, sur I'existence de deux communautés séparées, celle des producteurs ouchercheurs et celle des utilisateurs ou consommateurs. L utilisation de connais-sances ne résulterait pas, à proprement parler, d'une application de recettesd'utilisation aux fruits du labeur des scientifiques. L'util isation des connais-sances serait elle-même un processus créateur, peu ou pas affecté par les cadresdisciplinaires ou I'axiomatisation des théories. Ce processus serait davantageaffecté par une intégration et une réinterprétation des connaissances, notammentà partir de I'expérience accumulée des acteurs, qui permettrait de leur donner unsens27 en fonction d'un contexte. En fait, les facteurs qui favorisent I'utilisationdes connaissances mettent en évidence un point crucial : le phénomène de i'uti-lisation des connaissances pose la question de I'acteur. Ce sont, en effet, des per-sonnes ou des groupes qui refusent, ou acceptent, d 'ut i l iser les nouvel lesconnaissances.

Plusieurs travaux portant sur l 'acteur-utilisateur [Joyce et Clift, 1984 ;Cousins, 19881 distinguent les facteurs qui s'appliquent aux caractéristiquesmêmes des connaissances de ceux qui concernent davantage les acteurs. Le pre-mier groupe de facteurs permet d'identifier les caractéristiques de connaissancesfaciles à diffuser :

. qualité des connaissances produires : rafhnement des méthodes, rigueur. typede modèle ;

. crédibilité : objectivité, critères appropriés ;, ciblage: besoins des utilisateurs, localisation des producteurs ;. qualité de la communication: clarté du message, style, caractère convaincant,

centration sur les enjeux de la pratique ;. nqture des connaissances : conformité ou non avec les conceptions, les

attentes et les façons de faire des utilisateurs ;. synchronisme de la diffusion : par exemple, en fonction d'une décision à

prendre.

Parmi les facteurs de ce premier groupe. Cousins en identifie deux quis'avèrent particulièrement importants, soit la qualité de la communication et la

27. Le schème actanciel du transfert rejoint ou enrprunte souvent au schème hemréneutique dutransfert. En fait, les études pratiques du transfert utilisent plusieurs niveaux d'explication en pri-vilégiant toutefois un schènre sur les autres.

Page 113: De la formation au métier

nature des connaissances diffusées. Fait à noter, ces deux facteurs apparaissentcornme étant ceux qui se rapprochent le plus de contacts évidents avec les utili-sateurs.

Le second groupe de facteurs s'intéresse davantage aux caractéristiquesdes utilisateurs potentiels de nouvelles connaissances :. besoins en informations des utilisateurs ; informations ou connaissances

recherchées, pression du temps, nature même du travail (par exemple : degréd'autonomie, immédiateté des décisions, spécificité de la tâche, consensus surla définition de la tâche) ;

. neture du problème ou de la situation: type de décision, zone d'impact asso-ciée aux nouvelles connaissances ;

. clinwt contextuel: orientations politiques (par exemple : importance reconnueau perfectionnement par I'employeur ou le milieu, existence ou non de cadresformels de dissémination. présence de normes d'évaluation favorisant I'utili-sation ou la dissémination, incitatifs personnels ou organisationnels, style deleadership encouragé à l' intérieur de I'organisation, etc.), rivalités inter etintraorganisationnelles, luttes de pouvoir, luttes budgétaires ;

. présence de savoirs concurrents: impofiance ou non de I'expérience pratique,des savoirs personnels ou tacites, des savoirs professionnels ;

. caractéristiques personnelles ou organisaîionnelles des utilisateurs : ethos dlmilieu (par exemple : système de croyances et de valeurs, habitudes intellec-tuelles de la personne ou du groupe, norrnes de travail, solidarité des pairs),capital d'expérience de I'organisation, importance du réseau de communica-tion structurelle et subjective, présence ou non de divers rôles organisationnels(par exemple : mailleurs, c'est-à-dire hommes ou femmes capables de traduireun message en fonction de divers cadres de référence, influence des leadersd'opinion, influence des supérieurs immédiats) ou d'associations profession-nelles ;

. attitude et réceptivité des utilisaterlru : ouverture d'esprit, résistance organisa-tionnelle.

Parmi les facteurs susmentionnés, deux semblent influencer plus lourde-ment I'utilisation des connaissances, soit la présence de savoirs concurrents demême que l'attitude et la réceptivité de I'utilisateur. Ces facteurs apparaissent,en effet, fortement reliés au contexte familier dans lequel I'acteur-utilisateurpense et agit.

Ces facteurs, en eux-mêmes, ne nous renseignent toutefois pas sur lesmécanismes par lesquels i ls exercent une inf luence sur I 'ut i l isat ion desconnaissances. Ainsi , pourquoi la valor isat ion des savoirs expérient ielss'exerce-t-elle souvent au détriment des connaissances objectives et homolo-guées ? Un modèle de I'acteur-utilisateur ne peut faire l'économie d'unereprésentation plus profonde du processus d'util isation des connaissances.

t24

Page 114: De la formation au métier

Sur ce point, cousins introduit I' idée de concevoir le processus d,utilisationdes connaissances à partir de trois définitions compié-entaires. D'abord,I'util isation des connaissances devrait être traitée comme une variable indé-pendante. Ainsi, selon cousins, la saisie et le traitement cognitif de I'infor-mation constituent une première utilisation des connaissanées avant mêmeque celles-ci ne servent à informer des décisions, à dicter des actions ouencore à changer les modes de pensée. Cousins considère ensuite l'util isationdes connaissances sous I 'angle de var iables dépendantes s, inf luençantmutuellement. L'utilisation des connaissances prend alors la forme d'une uti-Iisation instrumentale (par exemple : prendre une décision, informer l,action)et celle d'une utilisation conceptuelle (par exemple : modifier les façons depensée, éduquer les décideurs). La figure I rend compte des interactions entreces trois aspects du processus d'util isation des connaissances.

Cousins met donc en évidence I'importance des interactions entre lessavoirs de l'acteur et les connaissances elles-mêmes. Ainsi, les utilisateurs abor-deraient les connaissances à I'aide d'un corpus de savoirs tacites, liés à I'actionet à I'expérience28 et, en retour, ces mêmei connaissances seraient en mesured'influencer, voire de modifier ces savoirs. Cousins établit un lien direct entreI'utilisation des connaissances, entendue comme variable indépendante, et laperformance des acteurs2e dans leur rôle. Autrement dit, ceux qui solutionnentefficacement les problèmes liés à leur rôle, seraient aussi ceux qui s'avèrent debons utilisaleurs de connaissânces,

ceux qui solutionnent efficacement les problèmes seraient davantageenclins à voir dans de nouvelles connaissances une occasion d'en apprendieplus sur leurs caractéristiques performantes et ainsi à tirer bénéfice de cè^proces-sus réflexif au plan conceptuel. Ainsi, selon Cousins, I'acteur-utilisateur idéalserait celui qui, tout en s'intéressant à la solution de problèmes complexes etsouvent mal définis, donne une place importante aux autres (les pairs, lê person-nel), présente une forte motivation pour le perfectionnement prôfessionnel et sesoucie de données externes traitées systématiquement. Les aàteurs qui utilisentmoins de connaissances se fient davantage à leur grande expériencé des situa-tions, opérant, par le fait même, une fermeture quant à I'apport de donnéesexternes. Toutefois, le glissement de Cousins vers les trauaux-de la psychologiecogttitiviste semble ignorer les ressources explicatives du schème actanciel dutransfert lorsqu'il s'agit de prendre en compte les savoirs de I'acteur. Examinonsde plus près cette alternative.

28. Cette conclusion de Cousins est le point de départ de ce qu'on nomme, en éducation desadultes, Ia formation expérientielle [Kolb. 1984].

29. Dans l'étude de Cousins, il s'agit de directeurs d'école.

t25

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Figure ICadre conceptuel de I'utilisation des connaissances

-)-

f.J

Utilisation des connaissances

r-5'ùzïI r'inro-*"tion J\

ù

\ ô

Tiré de : Cousins et Leithwood ,1993

Caractéristiques de la source d'information

SophisticationCrédibilitéPertinenceQualité de la communicationContenu.En temps'

Processus d'interaction

DisponibilitéTraitemenl socialContacl continuFnôâôêmanl

Oiltusion

Contexte d'amélioration

Besoins d'informationsOrientation vers I'améliorationClimat politiqueInformations concurrentesCaractéristiques personnelles des usagersEngagement eV ou réceptivité des usagers

Page 116: De la formation au métier

Schème d'action et savoirs

Les savoirs peuvent être considérés comme des schèmes d'interprétationspratiques permettant, à ceux qui les partagent, d'appréhender viablement leurmonde familier. Les connaissances, lors d'un processus de transfert, rencontrentdonc, devant elles, ces savoirs déjà là. L appropriation de connaissances à partir desavoirs s' apparente largement au processus de traduction-interprétation développepar l'herméneutique modeme. Ainsi, ce processus met en évidence le rôle actif etcréatif de I'acteur-utilisateur lorsque celui-ci s'approprie une nouvelle connais-sance. L acteur-utilisateur exerce sur les connaissances des transformations quivont de la simple transposition à la réinvention en p.assant par la conversion, I'adap-tation, la reformulation [Holzner et Fisher, 1981]. A leur tour, les connaissances nesont pas sans effet sur les savoirs de I'acteur. Les connaissances peuvent simple-ment s'additionner aux savoirs mais généralement elles provoqueront des réorga-nisations, parfois substantielles, des savoirs de I'acteur.

Ces transformations sont d'autant plus faciles que le niveau d'appropria-tion est faible. Ainsi, s'il s'agit seulement d'être sensibilisé ou familiarisé avec denouvelles notions, celles-ci sont plus facilement assimilées à d'autres types de sa-voirs. En revanche, s'il s'agit d'élever une prétention à la validité, les connais-sances et les savoirs manifestent une résistance intrinsèque à être transfotmés carrls apparaissent alors comme imbriqués dans des formes discursives qui possè-dent leurs règles et leurs usages propres.

Les savoirs jouent un rôle incontoumable dans la compréhension d'une nou-velle connaissance, car celle-ci n'est jamais que décodée, elle est suftout soumise àun calcul interprétatif qui permetde I'investird'un sens, de la logerdans un tissu social fait d'intenelations, de positionnements et d'interprétations stratégiques. Cetteinteraction entre savoirs et connaissances a été soumise, au cours des demières an-nées, à divers types d'interprétations. Pour Lindbloom et Cohen, l'acteur social so-lutionne efficacement des problèmes sans se fier aux résultats de recherches. PourLarsen, I'utilisation de nouvelles connaissances est un processus interactifdans le-quel I'acteur adapte les connaissances à ses propres besoins. M. M. Kennedy consi-dère, pour sa part, que les interactions entre collègues se font sur la base de cequ'elle norrrme les savoirs professionnels (working knowledge). Kennedy identifietrois modes d'incorporation des connaissances dans les savoirs professionnels :tout d'abord dans leurs formes originales, soit le transfert littéral ; aussi, en rendantces connaissances << signifiantes > par le biais de I'interprétation qu'en donnent lesacteurs ; et finalement, en les rendant < signifiantes >, mais cette fois-ci par laconstruction de ponts inférentiels (par exemple : description de relations de causesà effets perçus). Ces distinctions qu'appoftent Kennedy rejoignent les propos de lascience de I'action qui explique l'écart souvent constaté entre théorie et pratiquepar les schèmes d'action qui lient les acteurs entre eux. Certains schèmes d'actionseraient < pauvres > en matière d'apprentissage puisqu'ils ne favoriseraient que lareproduction des pratiques (single loop learning) alors que d'autres se prêtent plusà une évaluation réflexive des pratiques (double loop learning). Dans l'ensemble,ces travaux convergent sur un point : les modèles linéaires d'utilisation de nou-velles connaissances sont inadéquats.

r21

Page 117: De la formation au métier

L insuffisance des modèles linéaires et le déplacement théorique vers desmodèles plus interactifs a conduit J.C. Greene à concevoir I'interaction entreconnaissances et savoirs sous la forme du modèle des détenteurs d'enjeux (sra-keholder). En effet, les utilisateurs de nouvelles connaissances seraient ceux quien ont une meilleure compréhension, qui se considèrent en quelque sortecomme mis en cause par celles-ci et, par conséquence, qui se sentent respon-sables de leur donner suite, de les mettre en ceuvre. Ainsi, les détenteurs de nou-velles connaissances auraient tendance à considérer celles-ci corune plus cré-dibles, valides, légitimes et convaincantes. L'acteur deviendrait détenteur deconnaissances lors d'un processus d'appropriation au cours duquel I'occasionlui est donnée de discuter, de réfléchir et de traiter, cognitivement et sociale-ment, ces nouvelles informations.

Ce processus donne sens à cette médiation sociale de plus en plus nécessairedans nos sociétés qu'est la formation. La formation favoriserait ainsi I'adoption denouvelles connaissances, leur transfert dans les pratiques sociales, dans la mesureoù elle inscrit celles-ci dans un réseau d'enjeux. Ainsi, lorsque la formation se pré-occupe d'inscrire les connaissances dans un réseau où se négocient des identités(par exemple : des identités socioprofessionnelles) elle serait un mécanisme qui fa-vorise I'appropriation de ces connaissances. Ce faisant, I'engagement et la partici-pation des acteurs, loin d'être un coût supplémentaire, entraîneraient de forts béné-fices en termes d'util isation conceptuelle et instrumentale de nouvellesconnaissances.

Le schème actanciel du transfeft est important pour la construction d'un mo-dèle du transfert de connaissances. Toutefois, il semble que le caractère pragma-tique du schème actanciel ne puisse fournir une explication satisfaisante en elle-même du transfert. Ainsi, les travaux qui util isent abondamment le schèmeactanciel du transfert admettent, pour la pluparl, que l'utilisation d'une connais-sance dans un autre contexte doit < faire sens >>. Cette recherche de sens provoqueun glissement du schème actanciel soit vers un schème structural, par exemple enintégrant à I'explication les processus de solution de problèmes des théories cogni-tivistes, soit vers un schème herméneutique, par exemple en insistant sur les méca-nismes d'argumentation et d'apprentissage d'une communauté d'inteqprétation.Ce glissement va de soi puisque, par exemple, il est possible de constater que desincitatifs monétaires ou symboliques favorisent souvent I'appropriation de nou-velles connaissances. Le problème d'expliquer << pourquoi > ces incitatifs sont << ef-ficaces > dans un contexte demeure toutefois entier.

Schème dialectique du transfert :pKrcessus de transformation et de changement

Le schème dialectique opère de la façon suivante : le transfert est unmoment dans un processus régi par un système de contradictions internes. Dansce sens, le transfen est une synthèse qui résulte d'une tension entre une thèse et

r28

Page 118: De la formation au métier

une antithèse. Cette explication s'apparente à un autre schème d'intelligibilité'soit les mesures d'impacts que favorise le schème fonctionnel du transfert. En

cffet, une mesure d'impact peut s'interpréter comme une synthèse, un devenir.

Les schèmes dialectique et fonctionnel partagent I'idée que la formation est un

processus de transformation ou de changement. Cependant, le schème dialec-

iique du transfert se distingue du schème fonctionnel sur au moins trois points.

Premièrement, le schème dialectique présente la synthèse, ici le transfert,

corrrrne un saut qualitatif au sein d'un processus qui ne s'arrête jamais. Pour le

schème fonctionnel, la notion d'impact est davantage un résultat ou un objectif à

atteindre qui s'inscrit dans une continuité. Deuxièmement, un processus dialec-

tique est une dynamique de tensions ou de contradictions alors qu'un processus

fonctionnel fait davantage appel à la régulation, c'est-à-dire à optimaliser entre

elles les composantes d;un système. Troisièmement, le schème fonctionnel ne

remet pas en èause le système sous-jacent au transfert, mais cherche à I'amélio-

rer alois que le schème dialectique procède d'une critique, souvent radicale, de

ce mêmeiystème. D'ailleurs, le schème dialectique est utilisé par les théories

critiques dè l'éducation. En éducation des adultes, les travaux de P. Freire sont

préséntés comme représentatifs de cette vision dialectique du monde.

Le schème dialectique du transfert n'utilise guère la notion même de < trans-

tèr't > puisqu'il s'agit davantage de nommer le devenir, c'est-à-dire le changementvers léqueli'interv'ention éducative veut tendre. Dans ce sens, le transfert deviendra

ici < transformations sociales >>,.< projet >, << émancipation >. Ainsi, dans une pers-

pective critique, les activités éducatives sont historiquement situées. Elles appa-

iaissent aveq en toile de fond, un contexte socio-historique et' en avant-plan, Ia

prqection d'un avenir idéal qu'elles devraient permettre de bâtir. Pour les théories

critiques, l'éducation est une activité sociale ayant des conséquences sociales

Ewért, 19911. Cette tension vers un idéal à attèindre, parfois une utopie30, par

exemple une société plus égalitaire où les relations de pouvoirs sont atténuées voire

éradiquées, impliqué un processus de transformation des personnes et du social.

C'est par le biàis d'une analyse dialectique des facteurs, des tendances et des

classei sociales en opposition d'intérêts que seront élaborés les contenus et les mé-

thodes des activités éducatives. Ces activités éducatives privilégieront la praxis,

c'est-à-dire une pratique sociale à partir de laquelle I'on tente, de façon consciente

et réfléchie, de réaliser certains objectifs.

Les travaux de P. Freire sur la pédagogie de la libération constituent une

application type du schème dialectique. Cependant, le rayonnement de ces tra-

uàu* "tt

handicapé par le déclin des grands projets de libération sociale. Ainsi,

la crise mondiale du socialisme remet en question, en partie, la pertinence des

30. Cerfaines théories critiques, notâmment celles s'inspirant du marxisme, utilisent peu le terme

< utopie >, car I'idéal à attéindre est davântage présenté comme quelque chose d'inévitable, une

loi de l'histoire. L'utopie a davantage une fonction de mobilisation, de stimulant pour f imagi-

naire, qui n'implique pas nécessairement sa réalisation concrète.

t29

Page 119: De la formation au métier

travaux de Freire. Par exemple, lorsque Freire met en évidence la nature direc-tive de l'éducation (par opposition, entre autres, aux pédagogies non directivesou dites ( neutres >), il préconise que les éducateurs fassent connaître aux per-sonnes en formation, sans I'imposeç le projet social dont ils se font les promo-teurs. Aujourd'hui, compte tenu des avatars du socialisme réel, quel projetsocial les éducateurs < freiriens >> peuvent-ils mettre formellement en avant ?Seule demeure la critique des tendances sociales (l'autoritarisme, le sexisme, ladiscrimination raciale) auxquelles le socialisme tentait d'apporter un dépasse-ment, une nouvelle synthèse. l-e devenir des sociétés est dorénavant trop contin-gent pour qu'il soit enfermé dans un projet social défini à 1'avance.

Les travaux de J. Habermas offrent, par rapport à ceux de P. Freire, unealternative permettant de maintenir un discours critique sans toutefois mettrecelui-ci à la remorque d'un projet social formel. Ainsi, pour Habermas, c'estI'idée d'une communauté idéale de discussion qui agit comme révélateur desinjustices, des inégalités, des iniquités, en ce qu'elles entravent la communica-tion idéale3l. Cette communauté idéale de discussion est, selon Habermas,nécessairement présupposée par les personnes qui désirent tirer le maximum deleurs interactions. C'est 1à un type de rationalité pratique qui, coroliairement,implique le concept d'une société idéale, une société où seraient levés tous lesobstacles à la communication, où il serait possible de réaliser le lien théorie-pra-tique. La communauté idéale de discussion vise donc, pour Habermas, à déve-lopper une base normative.pour la rationalité, une base qui ne serait pas défor-mée par des intérêts sociaux particuliers32. Cette base normative, Habermasteute de la construire en posant les normes non pas comme transcendantales,donc absolues, non plus comme imbriquées dans une situation socio-historiqueparticulière, donc relative. Les normes, selon lui, procèdent d'un intérêt pratiqueque chaque personne possède quand elle désire comprendre et être comprise. Letransfert est ici traité cofirme une composante même de la rationalité puisque,selon Habermas, la raison ne tient pas à la possession de connaissances mais àla façon dont des personnes qui parlent et agissent acquièrent et util isent desconnaissances.

31. Chez Habennas, la communication idéale implique deux conditions. Tout d'abord l'équité,chaque participant a la chance de prendre I'initiative de la discussion, de participer à son déroule-ment, d'y contribuer et de justifier les résultats qui découlent de la discussion. Ensuite, la réciprocité, chaque participant a alors la chance d'exprimer ses souhaits, ses intentions, ses désirs. Cesconditions favoriseraient une activité humaine consensuelle basée sur la force des meilleurs argu-ments.

32. Habermas se distingue ici des théories critiques < classiques > qui tendent à attribuer à ungroupe, une classe ou un mouvement social un pouvoir d'émancipation. Par exemple, pour Iemarxisme, la classe ouvrière est plus < rationnelle > que la bourgeoisie. Habermas aborde quant àlui la rationalité sous I'angle d'un consensus communicationnel.

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Pour Habermas, comme pour les théories critiques en général, la finloursuivie par I'activité éducative est la transforrnation d'un ordre social dictéeiri-rr une certaine conception de la modernité qui a prévalu jusqu'à présent,rlotamment celle de la rationalité instrumentale. Cependant, contrairement auxthéories critiques s'inspirant du marxisme, qui favorisent d'abord les transfor-rnations économiques, Habermas privilégie les transformations du système poli-rrque et administratif. Par exemple, ce qui bloquerait actuellement le transfert denouvelles connaissances dans les pratiques sociales serait davantage un pro-blème d'ordre normatif que technique ou cognitif. Les questions d'éthique, deredistribution du pouvoir, de règles et de procédures sont mises ici en évidence.Les activités éducatives, selon Habermas, ne doivent pas seulement conduire àtransformer les rapports sociaux. Ainsi, Habermas, contrairement à Freire, neréduit pas les act iv i tés éducat ives à la seule perspect ive cr i t ique. En fai t ,l labermas distingue trois modes de praxis : l 'action orientée vers le monde,rbjectif ; l'action orientée vers le monde social ; I'action orientée vers le monderubjectif. C'est là une distinction impoftante puisqu'il est difficile, par exemple,ti'envisager la formation professionnelle sans une forte composante technique.l-'approche radicale de Freire prête flanc à cette expérience douloureuse qu'ar écue la Chine au cours des années soixante alors que des gens de métiers, desprofessionnels, des cadres d'entreprises étaient sélectionnés et formés, d'abordL't avant tout, à partir de contenus idéologiques. La théorie critique de Habermaspermet de distingder entrc différents modes et domaines de connaissances et, celaisant, d'appliquer les méthodès et les approches éducatives appropriées à cha-cun d'eux.

La théorie critique de Habermas permet ainsi d'entrevoir une utilisationplus mesurée du schème dialectique du transfeft que dans les travaux de Freire.D'une part , cette théorie cr i t ique ne propose pas un projet social déf ini àI'avance mais davantage I'accroissement du potentiel de communication présentdans nos sociétés. Ainsi, la < situation de transfert > se définirait ici par lesconditions et les facteurs qui favorisent le transfert sans toutefois pouvoir pré-dire Ie genre d'util isation que les personnes feront de ces nouvelles connais-sauces. D'autre pafi, la théorie critique de Habermas autorise une approche édu-cative différenciée qui favorise le développement de méthodes et d'approchesadaptées, soit au monde objectif, soit au monde social, soit encore au mondesubjectif. Dans ce sens, le transfeft, lorsqu'il s'agit de connaissances techniques,ne sera pas traité de la même façon que lorsqu'il s'agit de connaissances se rap-portant à la coordination des activités humaines ou encore à l'expression dessentiments, des désirs et des motifs.

La dialectique, chez Habermas, s'accorde davantage avec le sens dialo-gique que lui donnaient les Grecs. Il s'agissait alors de convaincre quelqu'und'autre sans contrainte en ne mobilisant que la force des meilleurs arguments.Toutefois, plus qu'un exercice rhétorique, la dialectique trouve ici sa finalitédans la réalisation d'une communauté idéale de discussion, ce qui implique lalibération des personnes des contraintes économiques, sociales, culturelles etpsychologiques qui leur sont faites. Cette libération n'est cependant pas vue

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comme une tâche en soi. Ainsi, pour Habermas, il ne s'agit pas de définirI'objectif de la dialectique seulement par une négation33 telle que mettre fin < àI'oppression >>, << à la dornination >> ou << à I'exploitation >. Ces tâches < néga-tives >> sont nécessaires seulement parce qu'elles favorisent la mise en place deconditions pour une réalisation pleine et entière.

La communauté idéale de discussion de Habermas ramène la dialectiqueau dialogue social, un dialogue qui vise à actualiser les capacités humaines et àles amener encore plus loin. Il s'agit d'un dialogue social particulier, faisantappel au développement des compétences communicationnelles des personnes.Cette visée rejoint tout à tait celle qui est implicite au Rapport Faure [972] oùil est question < d'éducation permanente >. Cependant, le Rapport Faure propo-sait la construction d'une cornmunauté symbolique, la cité éducative, en misantsur I'importance du << savoir-être >>. La communauté symbolique que proposeHabermas se veut, quant à elle, moins dépendante du point de vue subjectif despersonnes à propos de la réalité qui les entoure. Habermas considère, en effet,que les représentations que se font les personnes de cette réalité sont souventponeuses de connaissances déformées ou d'idéologies qui affectent leur inter-prétation de cette réalité. Il insiste pour une intégration des perspectives objec-tive et subjective.

En résumé, le schème dialectique du transfert permet d'inscrire la finalitéd'une activité édircative dans la perspective d'une .. situation idéale >. Cettesituation idéale peut être défiriie comme un projet social de libération, commec'est le cas pour Freire, ou bien comme un projet de construction d'une com-munauté symbolique, par exemple la communauté idéale de discussion que pro-pose Habermas. Le schème dialectique du transfert insiste cependant sur le pro-cessus qui mène à la réalisation de cette < situation idéale >. Ce processus estconstitué de tensions, de tendances ou de contradictions qui favorisent, ou non,I'atteinte de la situation idéale projetée. Pour Freire et pour les théories critiquess'inspirant du marxisme, ce processus se définit surtout en termes d'oppositionssociales définies à partir de la position économique des groupes. Pour Habermaset d'autres, tel Mezirow, c'est davantage la colonisation de tous les domaines deI'activité humaine par la rationalité instrumentale qui crée de profondes distor-sions, tant au plan social qu'au plan personnel. Ces distorsions affectent laconstruction de perspectives signifiantes sur ce qui doit ou devrait être fait pouraméliorer le déploiement des compétences humaines.

33. l-a dialectique, dans la ttréorie marxiste, ne se définit pas que par la négative. Ainsi le corrrmu-nisme peut se définir comme un système de réalisation des capacités humaines : à chacun selonses besoins. Toutefois avant d'atteindre le communisme, une étape s'impose, celle du socialisme-Cette étape se définit comme un système de contraintes, la dictature du prolétariat, et place lacatégorie travail comme le mode central de réalisation de la personne : à chacun selon son travail.

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Seconde ébauche d'un modèledu transfert de connaissances

Tout au long de ce chapitre, six schèmes explicatifs du transfefi ont étémis en évidence ainsi que les travaux qui les utilisent de façon exemplaire. Letableau V présente, de façon synthétique, ces six schèmes d'intelligibilité dutransfert. En pratique, toutefois, il faut reconnaître qu'il y a, dans les travaux etles études sur le transfert, cohabitation de divers schèmes bien que cette cohabi-tation se fasse sous la domination d'un schème. Ainsi, par exemple, le schèmeactanciel peut utiliser les ressources du schème fonctionnel, notamment lesapproches dites de développement des ressources humaines (DRH). La conjonc-tion de ces deux schèmes se présente souvent dans les travaux dits de développement organisationnel (DO). Ces travaux mettent en évidence les comporte-ments et les att i tudes des personnes et des groupes dans le contexte desorganisations de travail tout en proposant des méthodes et des procédures (dontles programmes de formation) susceptibles d'optimiser leurs interactions dupoint de vue des finalités poursuivies par leur milieu. De même, il est possibled'entrevoir un rapprochement entre le schème herméneutique et le schème dia-lectique du tranSfert. Le schème dialectique met en évidence une << situationidéale > à atteindre, mais cettê situation n'est identifiable et réalisable que si elleest appuyée par une communauté symbolique qui en fait un objet de consensus.

Ces divers schèmes d'explication du transfert sont tous admissibles dupoint de vue des activités de formation. Ainsi, par exemple, il serait difficile dene pas concevoir une activité de formation corrrme un processus ayant un début,un déroulement et une fin. Le schème fonctionnel, notamment, I'analyse de sys-tèmes, rend explicite ce processus. Tout au long de ce processus, I'activité édu-cative met en relation des composantes (par exemple : accueil, encadrement,matériel didactique, évaluation, suivi...) en fonction de concepts de traitementde I'information (par exemple : rétroaction) et de prises de décisions (parexemple : diagnostic). Uanalyse de systèmes permet de rendre compte de cettedimension de I'activité éducative. Il ne s'agit donc pas de dénigrer ou de rejeterI'analyse de systèmes, au contraire. Il y a toutefois un problème lorsque celle-cis'élève au niveau de prétentions universelles ou ontologiques, prétendant à lavérité absolue ou à tout englober. Même si I'analyse de systèmes reconnaîtqu'un système poursuit une finalité dans un environnement, elle ne foumit pas,en soi, de réponses sur ce que doit ou devrait être cette finalité et en quoi celle-ci.. a du sens >, ou non, pour les acteurs de ce système. C'est là un problèmed'orientation normative qui ne cadre pas avec le caractère déductif et instrumen-tal de I'analyse de systèmes. L approche herméneutique, d'inspiration phénomé-nologique et inductive, prend mieux en compte ce problème d'orientation nor-mative inhérent à toute activité éducative. Des remarques semblables pourraientêtre faites pour chacun des schèmes du transfert déjà identifiés.

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Tableau V

Schèmes d'intelligibilité du transfert de connaissances

Schèmes Noyaude I'explication

Facteursprivilégiés

TYæd'interyention

1. Causal Le translert dépendd'une série de facteursobjectifs dont,principalemenl,la nature desstimuli utiliséslors de I'apprentissage.

Similitude entrela situationd'apprentissageet la sifiJaton detransfert

Programmes structurés /exercices pratiques /renforcement /simulation

2. Structural Le transfert est lié à unestructure de sens, ancréedans I'activité cognitive,pouvant être généraliséeà des situatons semblables

Stucture dessrtuationsd'apprentissageet de tanstert /codagede l'informationconnarssancesantérieures / règlesde récupératron

Développement destratégies cognitives /favoriser les liens enfeles contenus fuariationdes exemples et dessituations d'apprentis-sage / rétroaction

3, HemÉneutique Le transfert est conditonnépar son appârtenanceà un champsymboliquq qui établitdes connexions porteusesde significations

lnvestiss€ment de formessimples et signifiantes /schème d'action interper-sonnel / insertion socialeet professionnelle

Benforcementsymbolique desactivités éducatives /apprennssa9e commeactivité constitutive dulien social / kansfor-mation par ou desperspectives dansl'expérience

4. Fonctionnel Le transfert est une compo-sante régulaûice d'un systèmematériel interdépendantqui favorise I'atteinte decertaines llnalitésdans un environnement

Pertormance eff ectrve /nntrvation / ênvironnementsstructurés / engagementdes figures d'autorité

Diagnostic des besoins /intégration de la lorma-tron à un processus dechangement/ destgnadapté et sur mesure

5. Actanciel L'explication du transfert està rechercher dans les utilisa-tions, les conséquences etles impacts qui résultent desinteractions sociales qui setrssent autour de nouvellesconnaissances

Atlitude et réceptivitédes acteurs / légitimationde la formation / interac-tion signifiantes / qualitéde lâ communication /ùsées stratégiques

Mobilisation des savoirspratiques / rôle actifet créatrf des acteurs /les acteurs sontdélinis comme desdétenteurs d'enjeux

6. Dialectique Le transfert se présentecomme une " situaÙonidéale " à atteindre dansun processus fait de tensionset de confadictions.

Relations de pouvoirs iûanstormations desconditions d'existence /obstacles idéologiques

Formation par et dansla praxis / le potentielest lié aux capacitésde réalisation /la formation contribueà la solidanté sociale

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Le modèle d'intervention proposé au chapitre 4 autorise donc une variétéde schèmes. Ce modèle prend en compte une variété de connaissances et desituations de transfert. Il désigne les activités de formation en fonction desconnaissances cibles et de la situation de transfeft anticipé. De même, il favo-rise une ingénierie pédagogique appropriée en choisissant le ou les schèmesappropriés ainsi que les méthodes et les procédures qui en découlent. De plus,ce modèle est doté d'une capacité réflexive basée sur une hiérarchisation3a desschèmes entre eux. C'est ainsi que, et c'est là rn parti pris, ce modèle du trans-fèrt se présente comme un modèle interprétatif. Ce caractère interprétatif faitsuftout appel aux ressources combinées des schèmes dialectique et herméneu-tique. La formation continue des adultes se présente ainsi comme un importantfàcteur d'innovation sociale, consacré au développement des compétenceshumaines, ce qui suppose la construction d'une communauté symbolique pou-vant identifier une << situation idéale > à atteindre.

La problématique du transfert, dans nos sociétés, repose surtout sur larnobilisation de ressources de sens, d'investissements symboliques, capables def-avoriser le déploiement et l'utilisation de nouvelles connaissances dans la viede tous les jours. Le chapitre deux a été consacré à ce point de vue, notammenten montrant comment les pratiques de formation continue ont tenté, et tententencore, de développer les compétences humaines en regard des profonds chan-gements socio-techniques du monde moderne.

34. L' idée de hiérarchiser les schèmes d' intel l igibi l i té du transfert entre eux n'est pas incorn-patible avec le reproche que nous adressons à I 'analyse de systèmes quant à ses prétentionsuniversal istes et ontologiques. I l ne s'agit pas ici de proposer une science des sciences maisdavantage de rechercher les conditions d'une communication, d'un échange < interdiscipli-naire >, entre les schèmes. Il y a quelques années, Piaget[19721 proposait de faire du schèmestructural la pierre angulaire de cette hiérarchisation. Il est aussi possible de voir cette hiérar-chisation du côté herméneutique renforcée par les ressources de la dialectique.

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Modélisation du transfertde connaissances

Ce chapitre propose une modélisation du transfert de connaissances adap-tée aux pratiques de la formation continue des adultes. La première section faitl'analyse critique de quelques modèles émergeant du transfert. La seconde sec-tion présente notre propre modèle du transfert de connaissances. Finalement,sous forme de questions et de réponses, les forces et les limites du modèle pro-posé sont explorées.

Critiques de quelques modèlesdu transfert de connaissances

Tout au long des prochaines pages, trois modèles émergeant du transfertde connaissances sont examinés. Ces modèles ont été choisis sur la base de leurdisponibilité actuelle dans le contexte de travail de ceux et celles qui conçoiventou orientent les interventions de formation destinées à des publics adultes.D'autres choix auraient pu être faitsl. Le premier modèle s'inspire des travaux

l . Par exemple, i l y a le modèle ACT (Act star) proposé par Singley et Anderson t19891.Cependant, ce modèle, bien que présent dans la documentation actuelle sur le transfert, ne rejointpas notre objectif d'analyser les travaux en voie d'influencer les pratiques de formation continue.De la même façon, nous aurions pu aborder les modèles, de plus en plus en vogue, d'éducabilitécognitive [Esnault et Sorel, 1989], d'acrualisation du potentiel intellectuel [Feuerstein, 1980], etc.Ces modèles s'inspirent du schème structural.

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de la psychologie cognitiviste. Il est donc sunout marqué par le schème structu-ral. Le second modèle s'inspire davantage du schèrne fonctionnel. ii s'agit d'unmodèle fréquemrnent utilisé par ceux et celles qui préparent des designs de for-mation reliés au monde du travail. Enfin. le troisième modèle est. lui aussi.davantage relié au monde du travail mais privilégiant surtout une approchestructurale et dialectique.

Un modèle stratégiquedu transfert de connaissances

J. Tardif a récemment proposé un modèle dit d'enseignement stratégique(voir bibliographie) s'inspirant des derniers travaux dans le domaine de la psy-chologie cognitiviste. Ce modèle accorde une place importante à la question dutransfert et s'annonce déjà comme un outil de référence important pour ceux etcelles qui conçoivent des interventions éducatives auprès de publics adultes. llconfinne, d'une ce(aine façon, que le schème structural du transfert est en voied'effectuer d'importantes percées dans les pratiques éducatives.

Tardif explique son choix de l'expression .. enseignement stratégique >en précisant que les enseignants et les enseignantes se sont plus préoccupés,jusqu'à maintenant, des iésultats et de la performance qu'atteignent leurs élèvesalors que, selon lui, il est tout aussi important d'analyser les stratégies et les pro-cessus qui ont mené à ces résultats. Le passage d'une < culture du produit > àune < culture du processus > devrait, selon Tardif, se baser sur les sept principessuivants.

Itt cotttpé t ettce conune irtte racl iortde plusieu rs cot?tposantes

Tardif est d'avis que la compétence provient davantage de la maîtrise desinteractions entre ces différentes composantes que du nombre de composantesmaîtrisées. En conséquence, la compétence ne surgit pas de l'acquisition deconnaissances isolées les unes des autres, même si celles-ci sont très nom-breuses. Elle provient davantage des liens, des mises en relations, de la synthèseque I'on peut faire entre les composantes d'une compétence.

Deux remarques s'imposent sur le point de vue de Târdif sur la compé-tence. Tout d'abord, le caractère synthétique de la compétence reposerait davan-tage sur un mode d'adhésion et d'engagement dans une communauté d'appafie-nance. Autrement dit, le < je >> devient compétent au fur et à mesure qu'ildevient << quelqu'un o, qu'il acquiert une identité sociale sanctionnée par lacommunauté à I'intérieur de laquelle il pense et agit. Tardif consacre en quelquesorte le fait que les activités éducatives se développent en marge des pratiquessociales.

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La seconde remarque vise à rappeler le lien dialectique déjà proposécntre compétence et pertinence. Ainsi, bien que Tardif parle d'enseignementstratégique, sa réflexion ne le conduit pas à proposer des " compétences straté-giques >> pour notre époque. Son point de vue. sur cette question, se limite àconstater que l'école n'est peu ou pas le lieu des risques et des défis et que lesprogrammes qu'on y enseigne sont souvent peu utiles en regard de la vie quoti-dienne des élèves.

L' importance des connaissance s spécifiquesdans l'apprentissage

Les théories cognitivistes accordent une grande importance à l'organisa-tion cognitive, à la structuration des savoirs antérieurs des élèves. Selon Tiirdiiles enseignants doivent partir des connaissances spécifiques des élèves afin deles dépasser. Ces connaissances spécifiques contribueraient, non seulement à lasaisie et au traitement de nouvelles connaissances, mais aussi à I'ancrage decelles-ci, notamment en assurant la production et la reconstruction de sens.Toutefois, bien que les savoirs contribuent à la saisie et au traitement de nou-velles connaissances, ceux-ci ne constituent pas pour autant un mécanismed'ancrage. L'ancrage se manifeste plutôt dans les conduites personnelles et laconstitution de rapporls sociaux.

I-e rôle des stratégies cognitivesdans l'apprentissage

Dans le cadre de l'enseignement stratégique que propose Tardii lesenseignants doivent rendre directement explicites les stratégies cognitives quivont permettre à l'élève de réaliser les tâches qu'on lui demande. Par exemple,les enseignants devraient fournir aux élèves un modèle qui leur indique quellesstratégies utiliser, dans quel contexte les utiliser et comment les utiliser. Les stra-tégies cognitives que propose Tardif dépassent donc le simple << savoir-faire >>ou le < savoir-pourquoi > pour rejoindre le < savoir-quoi-faire >. Ce type desavoir stratégique permet, dans le cadre de fonctions ou de tâches fixes, de pla-nifier des activités d'apprentissage ou encore de mettre au point des solutions derechange adéquates devant une difficulté inattendue. Le << savoir-quoi-faire >permet même d'aborder les situations et les problèmes pour lesquels il n'y a pasencore de solut ion, par exemple en ut i l isant le raisonnement analogique.Cependant, les stratégies cognitives que propose Tardif ne vont pas jusqu'àaborder le < savoir-où-faire-porter-son-action >. Ce type de savoir stratégiqueintervient dans des situations complexes, dynamiques et inceftaines où les acti-vités de conception, de création, de raisonnement métaphorique deviennentessentielles et doivent être éclairées par des considérations éthiques et esthé-tiques. La construction de réseaux sociotechniques dépend, en bonne partie, dece dernier type de savoir stratégique.

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Iz rôle des stratégies métacognitivesdans l'apprentissage

Les stratégies métacognitives ajoutent, par rapport aux stratégies cogni-tives mentionnées ci-dessus, I'idée que les élèves doivent avoir le sentiment decontrôler leurs stratégies cognitives. Les stratégies métacognitives procurentdonc, selon Tardif, un sentiment d'autorégulation. La personne qui apprend.acquiert la capacité de gérer, de superviser, de contrôler ce qu'elle doit faire, cequ'elle fait et ce qu'elle a fait. Les stratégies métacognitives agiraient sur le sen-timent de certitude et de confiance de l'élève. Celui-ci aurait le sentiment dcfaire les bonnes choses et de bien les faire. Ce type de stratégies a pour effet desituer I'explication encore plus loin dans la tête de la personne qui apprend.Dans cette tête, il y aurait maintenant deux étages, l'étage qui apprend (straté-gies cognitives) et l'étage réflexif qui se regarde apprendre (stratégies métacagnitives). La réflexivité demande à être conçue sous l'angle de la mise en placed'interactions sociales optimales perrnettant à la personne de déployer le poten-tiel qu'elle acquiert par ses apprentissages. Les sentiments de contrôle ou deconfiance proviendraient davantage de cette source.

lz transfert de connaissances

Le point de vue de Tardif sur la question du transfert de connaissancesreprend bon nombre d'aspects qui ont déjà été mis en relief dans les chapitresprécédents. Ainsi, selon lui, le manque de transfert, souvent constaté, ne seraitpas un problème d'apprentissage.La plupart du temps les élèves ont déjà misen mémoire les connaissances, mais ils n'arrivent pas à réutiliser celles-ci dansde nouveaux contextes. Ces connaissances restent liées au contexte d'apprentis-sage et demeurent inertes dans de nouveaux contextes. Pour sortir de ce cerclevicieux, Tardif estime que le transfert doit être provoqué, notarffnent par le tra-vail des enseignants. Ceux-ci peuvent favoriser le transfert en s'appuyant surtrois facteurs : en donnant de nombreux exemples d'application ou de mises ensituation à propos des connaissances qu'ils proposent ; en variant la nature deces exemples ou de ces mises en situations ; en rendant explicites les conditionsentourant le transfert d'une situation à une autre. Ce point de vue confirmeI ' importance de la médiat ion sociale pour que s'actual ise le transfert .Cependant, le point de vue de Tardif reste confiné au monde scolaire. læs situa-tions de transfert qu'il appréhende sont de nouvelles situations d'apprentissageou bien une simulation, bien conçue, de la vie sociale ou professionnelle. Il nepropose pas une analyse sociale des situations de transfert.

L' o rg anis at ion de s c onnai s s anc e s

L organisation des connaissances est un autre facteur qui, selon Tardif,permet de contrer l'inertie des connaissances dans de nouveaux contextes d'uti-lisation. Il fait ici appel aux études qui comparent la performance des novices et

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nl-de)ntrd,ce:n-deded.é-o-len-le

ielle des experts. Les experts auraient des connaissances très organisées et hié-rarchisées les unes par rapport aux autres. Ce type d'organisation cognitive faci-literait I'anticipation par rapport à de nouvelles informations qui se présentent àl'expert, notamment en favorisant le rappel et la sélection de connaissances ainsique la mobilisation de règles adéquates pour traiter rapidement ces nouvellesinformations. Tardif souscrit ainsi à un curriculum scolaire hiérarchisé où lesconnaissances d'ordre inférieur sont reliées et intégrées à des connaissancesd'ordre supérieur. Il y a ici une généralisation abusive des résultats provenantd'études comparatives entre expens et novices. Ainsi, bien qu'il soit possible deconstater I'intégration de connaissances à des connaissances d'ordre supérieurila multiplication est intégrée à la division...), il importe d'éviter de confondrele résultat qu'atteignent les experts avec le processus qui les a menés à celui-ci.Ce processus n'est souvent pas aussi linéaire et hiérarchisé qu'on le laissecntendre. D'ailleurs, Perkins et Salomon tl989l font état d'observations dans cesens 2. Les experts, lorsqu'ils sont confrontés à un problème atypique de leurdomaine, écarteraient leurs connaissances spécifiques et hiérarchisées (quid'ailleurs nuisent à la solution de ce type de problème en les ramenant constam-ment à une procédure connue alors qu'il s'agit de penser autrement) pourdavantage faire appel à des procédés heuristiques et créatifs qui ont pour effetde suspendre momentanément leur compétence professionnelle. Les connais-sances d'aujourd'trui, bien formées et hiérarchisées, sont souvent le résultat de(es processus stochastiques d'h.ier l.

L'importance de Ia nrctivation

Pour Tardi f , la motivat ion de l 'é lève se développe lorsque celui-ciacquiert la perception que ce qu'il fait et apprend est sous son contrôle person-nel, ou peut le devenir. Selon lui, les enseignants sont loin d'avoir un rôle passifou subsidiaire par rappoft à cette motivation, au contraire. Ils peuvent véritable-ment enseigner la motivation à leurs élèves, par exemple en proposant des stra-tégies cognitives qui assurent la réussite ou encore en facilitant la réalisationd'expériences pertinentes. Les motifs et les intentions qui entourent l'apprentis-sage de connaissances et leur transfert sont certes importants. Toutefois, en cequi conceme les publics adultes, il apparaît que ces intentions sont, la pluparl du

2. < En partie ,, car la possibilité même de reconnaître un problème atypique implique nécessai-rement une organisation cognitive bâtie à partir d'une variance statistique permettant d'identifierdes problèmes et des situations farnilières. C'est là une composante inrportante du savoir expen.

3. Cene question a récemment été soulevée dans I'enseignement des sciences. Fautil, en effet,enseigner Ia science comnle un résultat ou bien comme un processus ? La démarche effectived'un laboratoire scientifique ressemble davantage à un processus où les questions ne sont pas tou-jours bien formulées et encore moins les réponses. Cependant enseigner les sciences comme unprocessus génère beaucoup d'insécurité chez les élèves. Ceux-ci ont été habinrés depuis leurjeuneâge à une culture du résultat ou de la réponse.

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temps, à I'extérieur du contexte scolaire. Les adultes, en effet, ne se définissentpas par rappon à l'école, mais davantage par rapport à des situations ou des pro-blèmes qui surgissent dans leur vie personnelle, sociale ou professionnelle.C'est souvent en paftant de I'analyse qu'ils font de leur situation et en la compa-rant à la formation qu'on leur propose que les adultes accordent, ou non, leurattention et mobilisent, ou non, le maximum de leurs capacités. De même, la< motivation > des publics adultes en formation repose sur des processussociaux complexes où s'entremêlent des rapports de force (mises à pied, chan-gements technologiques, mesures d'emploi...) et des rapports de sens (occasionspersonnelles et professionnelles, accroissement de I'autonomie de travail, crédi-bilité accrue auprès des pairs...).

La présentation des sept principes que propose Thrdif et les commentairessubséquents perrnettent une évaluation des forces et des limites des modèlesd'inspiration cognitiviste. Ainsi, le modèle de Tardif se prête bien à la mise enplace de designs d'intervention, notamment auprès des enseignants. De même,il prend en compte plusieurs niveaux et variétés de transferts mais en se limitanttrop, à notre avis, au contexte scolaire. Il en va de même des facteurs qui favori-sent le transfert. Ceux-ci concernent surtout la situation d'apprentissage. Parailleurs, le modèle de Tardif accorde une grande importance à la médiation desenseignants dans un processus de transfert. Sur ce plan, Târdif propose de nom-breuses pistes'de travail pratiques qu'il ne prolonge toutefois pas en direction destratégies de médiation école-société. Ces liens sont à développer pour ques'actualise le potentiel des élèves, ne serait-ce, par exemple, que pour contrerI'abandon scolaire. Finalement, bien qu'il y ait de fortes chances que ce type demodèle cognitiviste ait, au cours des prochaines années, un très grand impactsur les pratiques éducatives, la nature des transformations à mettre en place estencore inconnue. Par exemple, il serait étonnant que l'école et Ie personnelenseignant qui la compose en arivent facilement, même avec de bonnes straté-gies de perfectionnement, à se détacher d'une culture du résultat, de la réponseou du premier diplôme pour passer à une autre culture organisationnelle, unautre schème d'action, basé sur les processus, les stratégies et la formationcontinue. Tardif est lui-même conscient de I'ampleur de ce changement, maispense qu'il est possible d'y arriver petit à petit, par touches successives. Letransfert du modèle proposé par Tardif dans les pratiques scolaires passerait parune stratégie identitaire impliquant une reprofessionnalisation des enseignantsainsi qu'une nouvelle façon, pour l 'école, de se définir par rapport à sa commu-nauté environnante.

Un modèle utilitaire du transfert de connaissances

La question du transfert s'avère importante pour ceux qui offrent oureçoivent de la formation dans le monde du travail. Les travaux du professeurR.R. Haccoun et de ses collègues permettent d'aborder la problématique dutransfert sous I'angle de cet univers fonctionnel.

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D'entrée de jeu, Haccoun précise que toutes les grandes entreprisesoffrent des programmes de formation à leurs employés, la pluparl du temps sousla forme de programmes courts (1, 2 ou 3 jours). Ces programmes courts sontpeu évalués et, lors des rares évaluations, ils sont réputés peu efficaces du pointde vue du transfert (plus ou moins 10 Vo). Haccoun identifie trois sourcesd'influence sur le transfert, soit : les caractéristiques du programme de forma-tion, les caractéristiques personnelles et les caractéristiques des environnements.

Les caractéristiques du programme de formation

Cinq facteurs sont susceptibles d'agir sur le transfert, Tout d'abord, lapertinence du programme, à savoir s'il répond ou non aux besoins de I'entre-prise. Le deuxième est I' identicité du programme, c'est-à-dire sa similitudeavec la situation de transfert envisagé. Le troisième consiste à privilégier desprincipes généraux plutôt que de recourir à des applications précises. Le qua-trième facteur favorise, quant à lui, la variabilité des stimuli alors que le cin-qu ième encourage la répét i t ion a ins i que la mise en pra t ique desapprentissages. Plusieurs de ces facteurs sont les mêmes que ceux proposéspar Tardif ou ils s'en rapprochent. Notons cependant que Tardif estimeimportant que le transfert soit provoqué par les enseignants. Pour Haccounles facteurs qui favorisent le transfert sont intégrés au design du programmede formation lui-même. Dans cette perspective il serait possible de parvenirà un transfert optimal à partir d'un tutoriel bien conçu, faisant l 'économie ourninimisant le rôle de I'enseignant. Haccoun participe donc, à notre avis, decette tendance propre à Ia technologie éducative qui opère un déplacement du< pouvoir > pédagogique des enseignants vers les concepteurs de systèmesd'interventions a.

Izs caracté rist iqu e s personnell e s

Haccoun ne retient qu'un seul et important facteur lié aux caractéris-tiques personnelles, susceptible d'influencer le transfert : la motivation. Selonlui, les motivations à apprendre et à transférer des personnes ont un impactimpofiant sur I'efficacité d'un programme de formation. D'autres facteurs telsque les habiletés et connaissances antérieures ou encore la personnalité des indi-vidus auraient, selon lui, pius ou moins d'influences sur le transfert. Ce point devue surprend si I'on tient compte que les théories cognitivistes accordent uneinfluence imporlante sur le transfeft à I'organisation cognitive et aux connais-sances antérieures des personnes. A notre avis, cette différence tient à une miseen contexte de ces facteurs. Ainsi, les programmes courts donnés dans les entre-

4. Cette tendance est peut-être inévitable pour la formation dans les entreprises puisque les programmes courts ne justifient pas I'embâuche de formateurs et de formatrices perrnanents. Ce sontles fonctions de soutien, d'encadrement, de suivi, d'adaptation des contenus, de conseils qui pren-nent alors le pas.

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prises s'adressent souvent à des personnes déjà pourvues d'un emploi, doncprésumées << compétentes >, et visent surtout des dispositions, des attitudes etdes valeurs. Lorsque ces programmes courts véhiculent des contenus techniquesou théoriques, les personnes possèdent habituellement les savoirs qui leur per-mettent d'aborder sans trop de difficultés ces nouveaux contenus. Il est normal,dans de tels contextes, que ce soit alors la motivation des personnes qui fasse ladifférence. D'une certaine façon, ceci étaie I'hypothèse préalablement poséeque les théories cognitivistes sont davanLage liées au contexte scolaire, là où lesformations longues sont à I'honneur et là où les connaissances proposées s'écar-tent souvent beaucoup des savoirs spontanés des personnes. Dans de telscontextes, la motivation ne suffit pas, à elle seule, à faciliter les apprentissageset encore moins à favoriser leur mise en application.

Le s caractéristiques de s environnements

Haccoun accorde un poids important, encore plus que tous les facteursprécédents réunis, aux environnements dans lesquels se déroulent les pro-grammes de formation. Trois facteurs influencent ici le transfert de connais-sances. Tout d'abord, le transfert est facilité lorsqu'il existe dans I'organisationune ouverture, un climat favorable à I' innovation. Il doit ensuite y avoir unecongruence entre les contenus de formation et les contenus de I'environnement.Il s'agit, par exemple, de s'assurer que, si I'on enseigne telle ou telle techniquede pointe, les équipements seront mis en place à temps pour que les employésutilisent leurs nouvelles compétences. Un retard d'installation peut provoquerune régression significative des apprentissages. La congruence indique doncque les contenus de formation doivent être synchronisés et coordonnés avecd'autres politiques de I'organisation. Finalement, le troisième facteur concerneles impacts désrabilisants des programmes de formation sur les relations de pou-voir à I'intérieur d'une entreprise. Ces trois facteurs confirment que les princi-paux enjeux entourant le transfert ne se retrouvent pas tant dans la situationd'apprentissage que dans la situation de transfert elle-même. Ce point de vue estocculté par les théories cognitivistes qui se préoccupent davantage de la tête dela personne qui apprend et de son contexte d'apprentissage que du monde danslequel elle vit.

De cette analyse découlent deux stratégies d' intervent ion visant àaccroître le transfert. D'abord, une stratégie d'intervention basée sur la modifi-cation de I'environnement. Selon cette stratégie, un programrne de formationdoit rejoindre tous les membres de I'organisation, notamment le personnel hié-rarchique. Il faut aussi prévoir une meilleure intégration de la formation avec ledéveloppement organisationnel. Par exemple, la formation doit être intégrée àdes programmes plus généraux de I'entreprise, tel un programme de qualitétotale. Un autre aspect de cette stratégie consiste à intégrer la formation auxrécompenses de I'organisation. Les eniployés se voient récompensés non seule-ment pour des hausses de productivité ou pour leurs suggestions mais aussipour leur intérêt aux programrnes de formation.

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La seconde stratégie susceptible d'accroître le transfert est basée sur unajustement à I'environnement. Cette stratégie se déroule en trois temps. Lors dela préformation, il est important, pour les intervenants, de se préparer, deconnaître le terrain sur lequel ils s'apprêtent à intervenir, de choisir les candi-dats les plus motivés et de préparer adéquatement les superviseurs, les cadresde premier niveau, par exemple, en leur confiant déjà une éventuelle évaluationdu programme de formation. Lors de la formation. il importe d'utiliser desméthodes favorisant I'identicité, par exemple le modeling (démonstration de latâche par quelqu'un) ou encore la simulation par jeux de rôles. De même, il estpertinent de développer des stratégies de transfert au cours de la formation. Parexemple, un prograrrune de formation peut se terminer sur un temps de deuxheures au cours desquelles les participants discutent de stratégies possibles detransfert, notamment en imaginant les difficultés qui pourraient surgir lors duretour au travail. Finalement, lors de Iapostformation,les cadres doivent modi-fier leur attitude et adapter leur intervention à la situation nouvelle. Au cours decette période une grande tolérance5 à l'égard des erreurs de parcours et desbaisses normales dans la performance est de mise. Les personnes doivent alorstrouver dans leur environnement une forme de soutien social (tuteur, mentor,coach ...) qui les encourage à appliquer leurs nouvelles connaissances et à éviterun retour aux anciennes façons de faire. Au cours de cette periode, il est impor-tant de travailler le transfert à partir d'objectifs précis et de rendre cette problé-matique visible dans l'entreprise.

Ce type de modèle d'intervention répond à cette caractéristique centraledu schème fonctionnel du transfert, soit la mise en place d'un système matériel.En revanche, ce modèle d'intervention se limite surtout aux formations decourtes durées, donc aux transferts courts et spécifiques. De même ce modèleconfine la médiation sociale à un corridor étroit. Les formateurs, les mentors,les tuteurs, les coachs, les accompagnateurs et autres figures que prend lamédiation sociale sont davantage de simples composantes d'un système d'opti-malisation du transfert. Il s'agit ici d'une véritable communauté symboliquedont la principale tâche, de concert avec les participants, est d'inscrire lesapprentissages dans un horizon de signification. Cette communauté doit trou-ver, au plan macrosocial, des prolongements organisationnels ou institutionnels(partenariat, contrat de mobilisation...) qui lui donnent une légitimité et contri-buent à donner aux arguments de la formation une force d'obligation mutuelle.Finalement, bien que ce modèle semble bien adapté aux formations techniquespointues ou encore à celles visant la mobilisation spécifique de certaines atti-tudes ou comportements, il semble peu adapté pour les formations longues ouencore par rapport à des stratégies de changements d'envergure impliquant uneréorientation profonde de la culture d'une organisation.

5. Par exeurple, lors de I'implantation de nouveâux procédés de production, on peut observer une ré-gression notable parmpportau niveau de performanceantérieur. Ce n'estqu'après un certain tempsquele niveau de performance redeviendra ce qu'il était et même, c'est souvent la raison d'être du programmede formation, sera dépasÉ. Autrement dit, il faut souvent accepter de reculer pour mieux âvancer.

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Un modèle sociocognitif du transfert de connaissances

Le troisième modèle émergeant du transfert de connaissances est en fait unamalgame de divers travaux de chercheurs rattachés (ou gravitant autour) auConservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) de Paris. Ce modèle procèded'un amalgame de divers points de vue qui ne rend pas toujours justice aux nuanceset à la diversité de ces travaux. Cependant, I'objectif est de mettre ici en reliefI'existence d'un modèle altematif du transfert. Ce modèle s'inspire en partie desthéories cognitivistes tout en se préoccupant des situations de travail.

Le modèle du transfeft proposé par les travaux du CNAM peut être qualifiéde sociocognitif en ce sens qu'il accorde une grande importance à la maîtrise desactivités cognitives, non pas en fonction du contexte scolaire, mais davantage enfonction du contexte de travail. D'ailleurs, selon Malglaive, le modèle scolaire estperçu comme encombrant lorsqu'il s'agit de penserl'enseignement aux adultes. Letransfert apparaît ici comme étant problématisé par le rapport théorie-pratique.Cependant, et c'est peut-être là un apport impoftant des travaux du CNAM, ce rap-port théorie-pratique se construit à pa(ir de la pratique 6 elle-même. Les nouvellesconnaissances sont pertinentes dans la mesure où elles permettent d'affronter cer-taines situations ou de solutionner certains problèmes liés à la pratique. Vu sous cetangle ce qui devient important, du point de vue du transfert, c'est la maîtrise cogni-tive et I'ancrage de celle-ci dans les nouvelles situations sociotechniques.

In nnîtrise cognitive

Les travaux du CNAM s'inspirent, au point de départ, de l'épistémologiepiagétienne. Autrement dit, les connaissances évoluent à partir d'activités pra-tiques et localisées vers des structures abstraites, indépendantes de contenus pré-cis, pouvant être transférées à de multiples situations. Les travaux du CNAM,bien qu'ils retiennent cette idée d'une plus grande structuration ou formalisationdes connaissances, se démarquent, sur au moins un point, de l'épistémologiepiagétienne. Ils estiment que le caractère contextuel ou spécifique des pratiquesest indispensable. La mise en æuvre des connaissances théoriques requiert lamobilisation d'autres types de savoirs, davantage liés aux pratiques.

En fait, selon Malglaive, ce sont plusieurs savoirsT quirégissent l'action.Ces différents savoirs tels que les savoirs théoriques, les savoirs procéduraux,les savoirs pratiques et le savoir-faire constituent, dans un contexte donné, une

6. Le tenne < pratique " doit ici être pris dans le sens de prais, soit la transfonnation intention-nelle d'une réalité à travers I'activité humaine.

7. Les travaux du CNAM ne font pas de distinction entre les savoirs et les connaissances. Ces tra-vaux présentent le savoir comme un continuum où il y aurait à un bout des savoirs pratiques et àI'autre des savoirs théoriques. 11 serait préférable de maintenir une distinction entre les savoirs etles connaissarces puisque ces demières ont une forme objectivable et publique que souvent n'ontpas les premiers.

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totalité qu'il nomme << savoir €n usage ,. Le savoir en usage peut, selon 1econtexte, présenter des niveaux de développement différent de chacune de sescomposantes puisque, pour atteindre une finalité donnée, il n'est pas toujourspertinent, par exemple, de posséder un vaste savoir théorique ou encore deconnaître tous les aspects d'une pratique. Ce qui est important, c'est que lesavoir en usage possède une capacité structurelle d'évolution, c'est-à-dire qu'ilpuisse s'enrichir de I'expérience ou de nouvelles formalisations. C'est à cettecapacité d'évolution que le travail du pédagogue doit s'intéresser. Pour ce faire,il devra, à partir de Ia pratique de ceux et celles à qui il s'adresse, reconstruireune procédure pédagogique qui permettra à de nouvelles connaissances des'intégrer à leurs savoirs en usage. Cette reconstruction partira des actions queréussissent déjà ces adultes pour dégager les activités cognitives qui s'y dérou-lent et ensuite les formaliser. Au fur et à mesure que le pédagogue avance avecles adultes dans ce travail de reconstruction, le langage devient de plus en plusimportant et formalisé. Les connaissances théoriques peuvent venir appuyer ceprocessus de reconstruction tout au long de son déroulement, mais elles doiventdès lors s'inscrire dans une logique de signification, notamment quant à leurimpact sur I'amélioration des pratiques. La logique de reconstruction s'articule àune logique d' util isation.

l-e s no uvelle s s it u.ations socio -te chn i q u e s

Le travail de reconstruction dont il aété question ci-dessus n'est pertinentque s'il est mis en relation avec une analyse des tendances sociotechniques quiaffectent I'univers du travail. En effet, si I'enseignement aux adultes doit partirdes situations professionnelles que ceux-ci vivent, il est, par conséquent, utile deconnaître les tendances qui émergent de ces situations. Sur ce plan, les travauxdu CNAM fournissent des pistes de travail fort intéressantes. Ainsi, selonCaspar et Afriat, les nouvelles situations sociotechniques seraient marquées parun accroissement sans précédent de I'investissement immatériel. Les milieux detravail feraient de plus en plus appel au travail symbolique, aux fonctions intel-lectuelles, pour organiser et réaliser le travail matériel. Par exemple, les tra-vailleurs agissent non plus directement sur les objets à transformer mais sur desmachines qui les transforment. Ce nouveau type de travail requien des capacitésde représentation du processus en cours. Notamment, il s'agit d'anticiper lerésultat à atteindre et de réduire toutes variations du processus qui tendent às'écarter de I'objectif visé. Ce type de travail implique une supervision des pro-cédés de production qui s'appuie sur des outils formels et complexes : chaftesde contrôle, diagrammes de causes et d'effets, contrôles de production visuels,statistiques de production... De plus, ce type de travail exige une coordinationtous azimuts des personnes impliquées dans le processus de production. Le tra-vail en équipe est à I'ordre du jour, ce qui suppose des interactions de plus enplus fréquentes et exigeautes entre les travailleurs. [æs habiletés de communi-cation ainsi que les attitudes qui favorisent I'ouverture, la participation, I'enga-gement et la responsabilisation deviennent dès lors des composantes essentielles

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à toute coordination des activités humaines reliées à la production de biens oude services.

Ces nouvelles situations sociotechniques feraient moins appel aux habile-tés du domaine de la psychomotricité 8, mais davantage aux compétences cogni-tives et encore plus à un < nouveau >> corpus de compétences que S. Auburn etR. Orofiamma appellent ., compétences de 3" dimension >>. Les compétencescognitives mobilisées par les nouvelles situations sociotechniques seraient, siI'on en croit Malglaive, surtout basées sur les savoirs procéduraux v, c'est-à-diresur les savoirs que des personnes, des groupes ou des collectifs possèdent surles processus de production et sur la manière habituelle de les suivre. Cessavoirs procéduraux prennent souvent la forme d'un processus de résolution deproblèmes.

Quant aux compétences de 3e dimension, même s'il est encore trop tôtpour cerner complètement ce domaine en émergence, il semble qu'elles soientreliées aux attitudes personnelles et relationnelles. Ces compétences seraientstratégiques dans le contexte des profonds changements sociotechniques quibouleversent nos sociétés puisqu'elles permettraient une plus grande adaptabi-lité et une plus grande souplesse par rapport à I'incertitude. Ces compétencestouchent à des dornaines aussi divers que ceux de la communication, de la créa-tivité, de l'éth,ique, de la socialisation, de la croissance personnelle. Bref, lesnouvelles situations sociotechniques exigent une mobilisation des ressourcesaffectives et sociocognitives des salariés. Les objectifs de productions ne peu-vent dorénavant pas être atteints sans un travail de transformation des per-sonnes, notamment de leurs identités socioprofessionnelles.

Les travaux du CNAM sur la maîtrise cognitive et l'évolution des situa-tions sociotechniques se traduisent dans une vision différente des designs de for-mation :

- La formation continue. Les travaux du CNAM s'appuient sur unelogique de formation continue. En ce sens, les designs de formation semblents'adresser à des personnes qui ont déjà une formation initiale ou une solide for-mation de base. Ce type de design ne semble donc pas s'adresser au problèmedu manque de formation de base que l'on observe chez beaucoup de salariés.En revanche, ce type de design permet d'introduire le principe de I'amélioration

8. Ce qui n'implique pas le rejet ou l'inutilité de ces habiletés, mais leur intégration à des compêtences plus larges ou englobantes.

9. Nous retrouvons ici une distinction utilisee pu les théories cognitivistes entre les connaissancesdéclaratives (infonnations factuelles ou théoriques à propos d'un domaine) et les connaissancesprocédurales (comment s'appl iquent ces informations ou ces théories dans une situation).Toutefois, Malglaive n'introduit pas un troisième type de connaissance, que les cognitivistes nom-ment connaissances conditionnelles (où et quand s'appliquent les connaissances déclaratives etprocédurales).

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continue, ce qui peut impliquer un plus gTand étalement des contenus de forma-tion initiale à travers le temps.

- In question des objectifs de fonnation. Les travaux du CNAM formu-lent la question des objectifs de formation non pas à partir du < type de citoyenque I'on veut former >, ce qui est le propre d'une formation initiale, mais à par-tir des situations sociotechniques elles-mêmes. Il s'agit de former par et dans lessituations de travail. Dans cette perspective, il y aurait autant de dzsigns de for-mation qu'il y a de situations. Il n'y aurait donc pas, de prime abord, de conte-nus de formation définis à I'avance mais des contenus à construire et à recons-truire sans cesse en fonct ion des object i fs que I 'on veut atteindre et deI'hétérogénéité des situations à partir desquelles on veut les atteindre. Les tra-vaux du CNAM privilégient (ou constatent) un rapprochement du travail et dela formation. Les objectifs de formation sont dès lors déterminés par les situa-tions de travail qui y ont recours. De plus, les nouvelles situations sociotech-niques tendent à situer la définition de ces objectifs au niveau de ce queJ.M. Barbier appelle la fonction maîtrise d'ouvrage, c'est-à-dire la constitution,autour d'un maître d'ouvrage dominant, d'un partenariat plus ou moins diversi-fTé (syndicats, pouvoirs publics, groupes professionnels...). Cette façon de fairesuppose une approche globale de la formation, un déplacement de celle-ci versles fonctions d'ingénierie et de conseil. Le transfeft se situe au niveau de cettefbnction macrosociale de maîffise d'ouvrage.

- Une pédngogie du projet. Les travaux du CNAM proposent des designsde formation qui font appel à une pédagogie du projet. Il ne s'agit donc pas dedécomposer les apprentissages en comportements simples et identifiables, pasplus que de viser une classe de situations scolaires ou professionnelles. Le projetvise surtout à renforcer les situations sociotechniques elles-même en y intégrantde plus en plus d'actes maîtrisés et en développant leurs potentialités. L évalua-tion du transfert répond, dans ce sens, à la production d'un jugement de valeursur le réinvestissement de la formation dans la situation sociotechnique comptetenu des objectifs et des problèmes visés au départ du projet.

- In motivalion et l'intérêt des premiers intéressés. Les designs de for-mation proposés par les travaux du CNAM reposent sur la participation desadultes intéressés par le projet, voire même sur l 'anticipation des buts qu'ilsdésirent atteindre. La formation doit déboucher sur quelque chose de tangible,soit solutionner un problème, soit mieux comprendre une situation. De même,les projets de formation doivent contribuer au renforcement des identités socioprofessionnelles des adultes qui y participent ou encore contribuer à l'émer-gence ou à la recomposition d'identités nouvelles lorsque les anciennes ne tien-nent plus. Cependant, il est probablement difficile d'identifier un corpus decapacités dont les salariés devront avoir ia maîtrise demain. Quelles anticipa-t ions de I 'avenir doivent alors prévaloir ? Cel les des salar iés ? Cel les despatrons, des entrepreneurs ou des cadres'/ Ou encore celles des formateurs, desconcepteurs, des chercheurs ? Ces questions renvoient à la médiation sociale quipeut, dans bon nombre de situations, faire une place importante aux desiderata

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des adultes, mais aussi, dans d'autres situations, faire une place plus importanteaux objectifs de I'organisation de travail, ou encore aux objectifs sociaux 10.

Le modèle du transfeft de connaissances présenté dans la prochaine sec-t ion rejoint sur plusieurs points les travaux du CNAM, mais aussi s 'endémarque sur certains aspects. Il apparaît que les travaux du CNAM, bienqu'utiles pour la construction de designs de formation adaptés aux situations detravail, peuvent difficilement être utilisés pour des situations autres, par exempledes si tuat ions scolaires, d 'éducat ion à distance, d 'éducat ion populaire. Demême, le modèle du transfert du CNAM se préoccupe davantage du transfertspécifique puisqu'il s'agit de développer les capacités des personnes ou desgroupes en reconstruisant une activité cognitive semblable à la situation socio-technique. Ce transfert peut être court ou long selon les objectifs que s'assignentles projets de formation. Ce parti pris pour le transfert spécifique n'est pas ensoi gênant puisque, dans la très grande majorité des cas, le transfert est spéci-fique. Cependant, le transfert généraljoue, dans certains contextes où I'incerti-tude I'emporte, un rôle important. De plus, les travaux du CNAM tendent àdélaisser l 'étude microsociale des dispositifs de formation pour davantages'intéresser à leur fonctionnement global. Ces travaux s'intéressent donc davan-tage aux contextes de formation, aux tendances sociales qui affectent les dispo-sitifs de formation, aux politiques dans lesquelles ces dispositifs s'inscrivent, àla constructiop de formes de partenariat ou de collectifs de travailll susceptiblesd'actualiser le potentiel de capacités acquis par la formation. Ce faisant, l'étudedes phénomènes microsociaux entourant le transfèrt risque d'être délaissé auprofit d' une analyse, certes importante, exclusivement macrosociale.

Construction d'un modèle interprétatif du transfert deconnaissances adapté aux publics adultes

Les modèles émergeant de la section précédente présentent d'importantesconvergences. Par exemple. chacun de ces modèles, à partir d'horizons fort dif-férents, favorise le transfert spécifique ou encore identifie la motivation des pre-miers intéressés comme étant un imporunt facteur favorisant le transfert. Cesmêmes modèles présentent aussi d'importantes différences. Par exemple, le sta-tut et le rôle que jouent les connaissances antérieures dans le transfert ne sont

10. Notons qu'il peut y avoir convergence entre les intérêts des adultes, ceux des organisations detravail et ceux de la société. Ces situations sont toutefois assez rares.

I l. Les travaux du CNAM proposent les notions d'" opérateur collectif >> ou d'<< irnage opéra-t ive > qui offrent une alternative intéressante aux approches individual istes et atomistes desapproches cognitivistes et behavoristes.

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pas toujours les mêmes d'un modèle à I'autre, ou encore ces modèles ne conçoi-vent pas tout à fait de la même façon la médiation sociale. Sur ce demier point.les deux premiers modèles abordent la médiation sociale, dans le meilleur descas, sous un angle purement microsocial tandis que le troisième en fait unequestion d'ordre macrosocial.

Le modèle du transfert de connaissances présenté dans cette section seveut adapté à des activités de formation destinées à des publics adultes. Il traitede la relation entre transfert de connaissances et schèmes d'action et des modali-tés d'une médiation sociale pouvant être construite autour de ces schèmesd'action. Finalement. il aborde la question de I'amélioration continue.

Le transfext de connaissances nécessite un schème d'action

Au cæur de ce modèle du transfeft de connaissances se trouve un schèmed'action. Ainsi, un processus de transfert doit nécessairement passer par unschème d'action pour s'actualiser au sein de pratiques sociales. C'est 1à un pre-nrier principe essentiel. Le design de formation s'adresse à un ensemble de per-sonnes en interaction les unes avec les autres. Ces personnes possèdent en com-mun des savoirs qui agissent comnle cadre de référence à leurs actions etpartagent des visées stratégiques, que ce soit en s'opposantl2 les unes aux autrespar des tensions ou des conflits, ou bien en coopérant pour réaliser des objectifscommuns.

La figure 2 présente de façon synthétique un schème d'action. Ainsi, unschème d'action est formé par un ensemble de personnes en interaction qui pos-sèdent un cenain nombre de savoirs liés à des identités sociales ou profession-nelles, ce que la figure 4 appelle des capacités sociocognitives. Ces capacitéssociocognitives sont mises au service de visées stratégiques, soit des intentionsqui s'inscrivent dans un contexte. De même. un schème d'action se reconnaîtdans un certain nombre de conséquences ou d'effets recherchés. Lorsque ceseffèts sont au rendez-vous, ou bien sont à I'opposé de ce qui est recherchés'enclenche un processus de rétroaction. Ce processus de rétroaction peutconfirmer et renfbrcer Ie schème d'action ou bien provoquer des ajustements,voire même de profondes remises en question, amenant un remodelage descapacités ou des visées stratégiques et, de ce fait, un déplacement des effetsrecherchés. Les schèrnes d'action peuvent aussi se présenter comme des struc-tures al iénantes, contraignantes, voire même pathologiques. De même,Iorsqu'ils sont très fonnalisés et institutionnalisés, les schèmes d'action devien-nent < orsanisations >.

12. L'opposition est déjà une fonne de " partage >. En effet, il est possible de s'opposer les unsaux autres tout en pafiageant des objectifs communs. Par exernple, dans une entreprise, patrons etenrployés peuvent avoir un objectif conrmun à < maintenir les emplois o, mais ne pas s'entendresur les rnoyens d'y parvenir.

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Figure 2

Principales composantes d'un schème dtaction

Il arrive régulièrement, dans nos sociétés modernes, que les participants àun schème d'action soient amenés à accroître ou à recadrer leurs capacités, àredéfinir leurs visées ou encore les effets recherchés. Ces changements sont sur-tout le fait de pressions sociotechniques13. Cependant, un schème d'action nese livre pas pieds et poings liés à ces pressions. C'est davantage à la mise enplace d'un processus d'appropriation que nous assistons. Un processus d'appro-priation est, par conséquent, le processus de transfert lui-même, mais vu dans laperspective d'un schème d:action. La figure 3 illustre les tenants et les aboutis-sants de ce processus d'appropriation. Trois moments du processus d'appropria-tion sont ici mis en évidence, soit : I'apprentissage, l'intégration et la transfor-mation. Chacun de ces moments du processus d'appropriation est examiné.

Schème d'action et apprentissage

Un processus d'appropriation débute avec I'apprentissage (Tl). Si l 'onveut concevoir que I'apprentissage est en lien avec un schème d'action, il fautnon seulement se départir de I'idée traditionnelle de I'enseignement commemode de transmission ou d'inculcation mais aussi voir davantage dans I'appren-tissage un processus d'adhésion. Il en a été ainsi depuis des millénaires, jusqu'àce que l'école fasse de l'apprentissage une activité en marge des pratiquessociales. Apprendre a été pendant longtemps un processus d'adhésion, souventritualisé, au bout duquel on devenait artisan, membre d'une confrérie, de lanoblesse ou d'un autre corps social. Le processus d'apprentissage était alors

13. I l faut entendre le tenne " technique , dans un sens très large. Une technique est ce queBachelard appelait une théorie matérialisée. Tout enchaînement de gestes et de paroles répondantà une certaine cohérence peut être qualifié de technique. Ainsi, outre les techniques bien connuesvisant à produire des biens, il y a aussi d'autres types de techniques : techniques sportives, tech-niques d'interventions, techniques de massages et de relaxation, techniques d'organisation, tectr-niques de classification... Bref, nous vivons dans un monde, en grande partie, technique.

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Capaciléssociocognit ives

Viéesstratégiques

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marqué par des étapes initiatiques telles que apprenti, compagnon, maître si I'onpense aux métiers. Aujourd'hui de telles pratiques ont grandement perdu leurpouvoir symbolique. Cependant, I'apprentissage ne se définit pas pour autantdifféremment. L apprentissage est toujours un processus d'adhésion.

Figure 3

Schème d'action la et processus d'appropriation

Processus d'apprôpriation

Par exemple, il s'agit d'observer ce curieux phénomène du < désappren-tissage > au cours duquel d'anciens employés exercent sur un nouvel employédiverses pressions visant à ce que celui-ci se défasse de certaines connaissancesthéoriques, de certains modes de raisonnement afin qu'il adopte plutôt dessavoirs éprouvés par I'expérience. L'apprentissage est donc cette partie du pro-cessus d'appropriation au cours de laquelle s'effectue et se renforce I'adhésion àun schème d'action.

14. Le lecteur peut substituer à I'expression < schème d'action > une expression plus réaliste. Parexemple, une organisation de trâvail, une association, un syndicat...

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La figure 4 présente ce premier moment du processus d'appropriationqu'est I'apprentissage. Placer I'apprentissage au début du processus d'appro-priation équivaut à réaffirmer une importante condition du transfert, à savoirqu'il ne peut y avoir de transfert si, au point de départ, il n'y a pas eu un appren-tissage. C'est là une condition nécessaire mais non suffisante du transfert.D'autres condit ions doivent aussi être réunies pour qu' i l y ai t t ransfert .L'apprentissage, conçu colilne un processus d'adhésion, perrnet de mettre enévidence un ceftain nombre de facteurs susceptibles d'affecter I'appropriationde nouvelles connaissances.

Figure 4

Schème d'action et apprentissage (I1)

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d'obje-ctivarion I

Viséesstratégiques :aspirations et

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. Izs caractéristiques des nouvelles connaissances

Les caractéristiques des nouvelles connaissances posent des problèmesdu point de vue de l'apprentissage. En effet, on n'apprend pas de la même façonune langue étrangère, une loi de la physique, un procédé technique, ou encorel'éthique. Dans ceftains cas, les procédés de simulation et de manipulation sontimportants (c'est le cas pour les techniques), alors que dans d'autres, il vautmieux procéder par analyse de cas (par exemple : pour I'enseignement del 'éthique), ou encore par des mises en si tuat ions ( les stages d' immersion,lorsqu'il s'agit d'apprendre une seconde langue, ont fait leur preuve). Quant auxapprentissages plus théoriques, ils font appel au raisonnement de type hypothé-tico-déductif. Cependant, et c'est là l'objet d'un prochain point, il est possible,tout en respectant la nature des nouvelles connaissances, de réduire la com-plexité des problèmes d'ordre didactique.

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. In capacité d'objectivatiott

La capacité d'objectivation d'un schème d'action consiste à tamiser, àsélectionner et à fédérer, en un tout applicable et adapté à une situation, dessavoirs, des habiletés et des attitudes. Ici, cette capacité intervient dans unesituation d'apprentissage. Elle sert à la saisie et au traitement des nouvellesconnaissances qui se présentent au schème d'action. Il s'agit donc du premier etprincipal facteur concernant ce premier moment d'un processus qu'est I'appren-tissage. Ainsi, des personnes, des groupes ou des collectifs mobilisent cettecapacité lorsqu'ils sont confrontés à des connaissances qui ne leur sont pasfamilières. Cette capacité permet de formuler des analogies ou des métaphoresqui facilitent la saisie et le traitement de nouvelles connaissances, notaûrment enreliant celles-ci aux savoirs accumulés au sein d'un schème d'action. Il se peutaussi que cette capacité soit en deçà des nouvelles connaissances, c'est-à-diredans une < incapacité >> de les saisir ou de les traiter. C'est ce qui arrive lorsquequelqu'un nous aborde dans une langue que nous ne connaissons pas ou nousexpose une théorie que nous ne pouvons comprendre faute de formation debase. La capacité d'objectivation détermine donc, en quelque sorte, le degré decomplexité des nouvelles connaissances. Ce ne sont pas, en effet, les connais-sances par eiies-rnêmes qui sont compiexes l-s. mais la capacité de les saisir etde les trai ter qui les rend ou non complexes. Si un schème d'act ion est enrlesure, par exernple. de mobiliser des savoirs d'experts, les nouvelles connais-sances pourront apparaître peu ou pas complexes, alors que pour des noviceselles le seront.

L objectivation est aussi imbriquée dans les identités sociales que I'onretrouve au sein d'un schème d'action. Ces identités sociales entretiennent desrapports différenciés avec les connaissances externes. Autrement dit, les per-sonnes mobilisent non seulement leurs savoirs antérieurs pour traiter et saisir denouvelles connaissances mais aussi leurs identités sociales. Ces identités peu-vent faci l i ter ou bloquer I 'appropriat ion de nouvel les connaissances. Parexemple, un groupe de professionnels peut percevoir dans de nouvelles connais-sances une incompatibilité avec le rnodèle d'identité professionnelle qu'il valo-rise. De même, un processus de changement dans une entreprise qui s'accom-pagne d'apprent issages provoquera une recomposit ion des ident i téssocioprofessionnelles. Des problématiques spécifiques peuvent alors surgirtelles que celle des employés qui sont près de leur retraite, celle des cadres depremières l ignes, ou encore cel le d'employés qui, au fur et à mesure qu' i lsapprennent des nouveautés, accroissent leur mobilité exteme à I'entreprise.

La capacité d'objectivation détermine aussi le style d'apprentissage ou lapréférence réceptive des personnes, des groupes ou des collectifs. Certainsgroupes, compte tenu de leurs activités, mobiliseront davantage ou plus facilement

15. I l y a des situations où les nouvelles connaissances peuvent devenir inuti lement com-plexes, soit par une surcharge d' informations, soit parles problèmes de communication qui lesentourent.

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des procédés de saisie et de traitement de I'ordre du percept, c'est-à-dire privilé-giant les sensations, le concret ou le tangible. D'autres feront plus spontanémentappel à des procédés relevant du concept, où les idées, les catégorisations et les re-lations explicatives sont à I'honneur. Plus souvent, certains mobiliseront des af-fects, c'est-à-dire qu'ils favoriseront une forme de saisie et de traitement des nou-velles connaissances à partirde leurs émotions, de leurs plaisirs, de leurs sentimentsou de leurs intuitions. En pratique, ces trois types de procédés sont souvent mobili-sés en même temps selon un dosage qui tend à concilier les préférences réceptivesdes membres du schème d'action avec les impératifs de la situation d'apprentis-sage.

. lzs attentes et les aspirations

Les attentes et les aspirations de personnes partageant un même schèmed'action exercent une profonde influence sur I'apprentissage. Les attentes et lesaspirations mettent devant la question stratégique de dépat qui provoque lerecours à un processus d'apprentissage. Ainsi, les attentes et les aspirations depersonnes, de groupes, ou de collectifs contribuent à déterminer le niveaud'appropriation qu'ils envisagent. Par exemple, les adultes vivent fréquemmentune tension qui les porte à préférer des résultats tangibles et rapides au détrimentd'un processus d'apprentissage plus difficile et plus long. Ainsi, les adultesn'abordent pas en soi un apprentissage, mais règlent celui-ci sur une questionqu'ils se posent, sur un problème à solutionner, sur une situation à comprendre.Il se peut donc que ce soit seulement une partie des nouvelles connaissances quiles intéresse. De même, la place que ces personnes occupent au sein d'unschème d'action peut contribuer à abaisser leur niveau d'aspiration. Les nou-velles connaissances deviennent alors utiles pour les << autres >, les jeunes, lescadres, les professionnels... mais pas pour elles. Ainsi, les attentes et les aspira-tions contribuent à fixer le degré d'attention et d'effort que les membres d'unschème d'action sont prêts à consentir à un apprentissage.

. L'anticipation

Au début du processus d'appropriation, les effets de nouvelles connais-sances au sein d'un schème d'action ne peuvent être appréhendés que par antici-pation. L anticipation surgit sous la forme de questions : < A quoi cela va-t-il meservir ? ",

. Où vais-je pouvoir réinvestir cela ? o,< Cela vauril la peine de fairetant d'efforts ? >> < Est-ce que cela va pouvoir me faire avancer dans ma car-rière ? >,< Est-ce que cela va m'aider à me trouver un emploi ? >>,<< Est-ce quecela va donner un sens à ma vie ? >> Autant de questions, plus ou moins bien for-mulées, qui surgissent pendant I'apprentissage, et même avant. Les personnesformulent, le plus souvent, leurs réponses à ces questions anticipatives en proje-tant une amélioration de leur situation présente au sein d'un schème d'action.Autrement dit, I'apprentissage est soutenu par une pensée positive 16 qui permetd'espérer, au bout de ce processus, une amélioration de sa situation, et ce, tant

16. Même si le transfert négatif existe, c'est toujours le transfert positif qui est recherché

156

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au plan objectifque social et subjectif. La situation de transfert est souvent idéa-lisée. Uapprentissage risque alors d'être investi de pouvoirs qu'il n'a pas, parexemple procurer un emploi là où il y a des fermetures d'usines. Les risques dedésenchantement sont grands. En revanche, cette pensée positive, qui permetd'anticiper une meilleure situation, est, et de loin, préférable à une pensée néga-tive. En effet, I'apprentissage devient difficile, voire même impossible, lorsqueles personnes ne voient devant eux qu'une situation bloquée.

Ces quatre facteurs qui conditionnent I'apprentissage de nouvellesconnaissances s'influencent les uns les autres. Par exemple, des aspirations peuélevées amèneront une faible mobilisation de la capacité d'objectivation. Demême en est-il d'une faible anticipation des bénéfices escomptés d'un proces-sus d'apprentissage.

Schème d'actiort et intégration

Le deuxième moment d'un processus d'appropriation (T2) est placé sousla thématique de I'intégration. L intégration peut se concevoir comme un degréplus ou moins grand de liaison entre les composantes d'un schème d'action.Ainsi, lorsqu'un apprentissage a été effectué, encore faut-il qu'il soit relié auxdivers éléments d'un schème d'action. Si I'on ne se contente que de I'apprentis-sage lui-même,'le risque est élevé que les nouvelles connaissances acquisesdemeurent inertes. Beaucoup d'adultes expérimentent ce phénomène quiconsiste à < suivre des cours >> ou << des séminaires >> sans trop savoir corrrmentréinvestir ce nouveau potentiel dans leurs pratiques quotidiennes. Leurs rayonsde bibliothèques se remplissent de livres et de cartables de cours pour bien peude résultats concrets.

Souvent, dans tous ces cas, ce n'est pas un problème d'apprentissage quiest en cause. Les nouvelles connaissances restent toutefois liées à la situationd'apprentissage. Le problème d'inertie des connaissances est abordé par lesthéories cognitivistes à l'intérieur même de la situation d'apprentissage. Notremodèle n'exclut pas ce type d'intervention mais accorde une plus grande impor-tance, cornme I'illustre la figure 5, aux visées stratégiques. Cette figure met enévidence que l'intégration est un moment charnière du processus d'appropria-tion. Trois facteurs influencent I'intégration de nouvelles connaissances à l'inté-rieur d'un schème d'action.

. La diversificcttion

Il est important de diversifier les exemples et les mises en situationsentourant I'apprentissage de nouvelles connaissances. De telles interventionssont plus facilement prises en compte par des formateurs ou des formatrices,ce qui fait de ces interventions davantage une problématique de médiationsociale (cf. prochaine sous-section). Il n'est cependant pas exclu que lesmembres d'un schème d'action songent par eux-mêmes à examiner de nou-velles connaissances sous divers angles, se livrent à diverses explorations àpartir de leurs propres remises en question, multiplient les mises en relation

r57

Page 146: De la formation au métier

entre ces nouvelles connaissances et leurs savoirs antérieurs. La diversifica-tion est donc un facteur stratégique lorsqu'il s'agit de favoriser I'intégrationde nouvelles connaissances.

Figure 5

Schème d'action et intégration (T2)

IntégrationT2

ê

I

capacitéssociocognit ives

diversif icat ion

. lzs possibilités d'ancrage

L ancrage est le plus important facteur favorisant l'intégration de nou-velles connaissances à I'intérieur d'un schème d'action. L'ancrage permet, eneffet, de relier les nouvelles connaissances aux composantes stratégiques d'unschème d'action. L intégration doit ainsi surtout servir à réaffirmer ou à réajusterles intentions qui étaient à I'origine de I'apprentissage et à tenir compte ducontexte dans lequel ces intentions s'apprêtent à s'actualiser. L ancrage consistedonc à élaborer des conduites et à recomposer ou remettre en question certainsrapports sociaux. Les membres d'un schème d'action se posent alors certainesquestions en vue d'établir une stratégie de réinvestissement de leurs nouvellesconnaissances qui soit optimale : << Qu'est-ce que je vais faire lors de monretour au travail ? ', .. Comment vais-je négocier plus d'autonomie dans montravail ? > < Comment vais-je composer avec ce supérieur qui ne favorise pasles changements en cours ? >< Va-t-on reconnaître officiellement mes nouveauxacquis ? > < Faut-il que moi et mes collègues fassions des pressions pour quesoient modifiés ces règlements internes qui ne favorisent pas le transfert de ceque nous avons appris ? > Et ainsi de suite. L'ancrage permet donc d'établir unestratégie de réinvestissement des acquis, personnelle ou collective, qui tente deprévoir et d'aplanir les principales difficultés qui sont susceptibles de survenirlors du retour aux activités habituelles. Cette stratégie de réinvestissement peutêtre élaborée à la toute fin d'un processus d'apprentissage, en y consacrant

1 5 8

Page 147: De la formation au métier

quelques heures de réflexions individuelles et collectives, au terme desquellesun plan d'action pour le transfert est établi.

. lzs mises en pratique

Une façon commode de favoriser I' intégration de nouvelles connais-sances est de créer, là où c'est possible, des conditions qui se prêtent à la miseen pratique de celles-ci. Ces conditions d'exercice, qu'elles soient réelles ousimulées, doivent tendre à reproduire les principales caractéristiques de la situa-tion de transfert envisagée. Les stages, les formules d'alternance, les jeux derôles sont quelques-unes des formules qui favorisent I'intégration de nouvellesconnaissances en cherchant justement à se rapprocher de la situation de trans-fert sans toutefois s'y assimiler totalement. La mise en pratique est ici uneapproximation de la réalité, souvent soulagée des composantes stratégiques dela situation de transfert. Un stagiaire, en effet, ne vit pas tout à fait les mêmescontraintes que les employés réguliers.

L intégration des apprentissages demeure un phénomène complexe dontl'étude est récente. Situer I' intégration des apprentissages comme un momentcharnière dans un processus d'appropriation de nouvelles connaissances au seind'un schème d'action inaugure une piste de recherche des plus intéressantes.

Schème d'action et transfoftnntion

Un troisième et important moment (T3) du processus d'appropriation denouvelles connaissances vise la transformation des nouvelles connaissances enusages instrumentaux ou conceptuels au sein d'un schème d'action. En effet, lamarque tangible d'un processus d'appropriation de nouvelles connaissancesconsiste à utiliser les connaissances pour solutionner un problème, justifier unedécision, interpréter autrement une situation ou un phénomène. Pour ce faire, lesnouvelles connaissances seront retravaillées par le schème d'action qui lesaccueille. Ce travail peut parfois se limiter à la simple transposition des nou-velles connaissances. Il s'agit alors d'un transfert littéral, mais, le plus souvent,il implique la conversion, I'adaptation, la reformulation, la réinvention desconnaissances. Il s'agit d'accéder à de nouvelles façons d'agir et de penser quirentbrcent le schème d'action.

Le processus d'appropriation conduit à la transformation de nouvellesconnaissances car, le plus souvent, elles sont dans un état qui les rend inopé-rantes pour des activités spécifiques. Toutefois, cette transformation n'est pasà sens unique. Les nouvelles connaissances elles-mêmes peuvent déplacer,réorganiser, remodeler, voire même détruire les savoirs d'un schème d'action.Un processus d'appropriation produit, au sein d'un schème d'action, une ten-sion entre les savoirs antérieurs et les nouvelles connaissances. Cette tension,qui a pour nom transfert négat i f , se manifeste dès I 'apprent issage. Parexemple, les personnes qui apprennent une seconde langue ont tendance àréinvest ir des éléments de leur langue première avec les résultats, parfois

159

Page 148: De la formation au métier

cocasses, que l'on connaît. Cette tension se poursuit lors de l'intégration desnouvelles connaissances. Un schème d'action peut intégrer harmonieusementces nouvelles connaissances mais aussi développer de curieuses et surpre-nantes hybridat ions, ou encore un système de . . chambre à part >. Parexemple, plusieurs des premières nations d'Amérique ont adopté le messageévangélique que leur apportaient les premiers missionnaires tout en conti-nuant, parallèlement ou en les mélangeant aux nouveaux rituels chrétiens, àprier leurs anciens dieux.

Cette tension entre les nouvelles connaissances et les savoirs antérieursd'un schème d'action atteint son paroxysme lors de ce troisième moment duprocessus d'appropriation qu'est la transformation. Car, à ce moment-là, il nes'agit plus seulement d'acheter de nouveaux vêtements (apprentissage) et de lesassortir à sa garde-robe (intégration), mais de les porter, c'est-à-dire de les utili-ser et de s'y identifier. La tentation est alors grande de revenir aux savoirs anté-rieurs, qui ont le mérite d'être familiers et de procurer une certaine confianceainsi qu'un niveau de performance connu, d'autant plus que I'utilisation de nou-velles connaissances implique, au début, des maladresses, des hésitations, desapproximations et des reculs. La figure 6 illustre les principaux facteurs qui sontalors mis en jeu lorsque un schème d'action entreprend de se transformer en uti-lisant de nouvelles connaissances.

Figure 6

Schème d'action et transformation (T3)

capacitéssociocognitivesmobilisation

Viséesstratégiques :recompositiondes identités

Effets :stylisation0espratiques

Transformationt . t

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160

Page 149: De la formation au métier

. In mobilisatiott

Pour transformer de nouvelles connaissances en usages instrumentauxou conceptuels encore fauçil que les membres d'un schème d'action accep-tent de mobiliser leur nouveau potentiel. Des problèmes qui existaient, expli-citement ou implicitement, antérieurement peuvent alors surgir. Par exemple,lorsqu'au départ les membres d'un schème d'action adhèrent peu ou pas auxintentions qui ont justifié la mise en place d'un processus d'appropriation denouvelles connaissances, il est probable qu'ils n'y adhéreront toujours pas auterme de ce processus. Divers motifs peuvent expliquer une telle attitudecorrrme la proximité de la retraite, la perte de pouvoir sur son travail, la soli-darité avec des pairs déclassés par les changements, le manque de confianceenvers la direction... Une trop forte mobilisation n'est pas non plus sans pro-blèmes. Le niveau d'attentes devient alors élevé et I'on n'est pas toujours enmesure de canaliser cette énergie débordante. Par exemple, des cadres depremier niveau d'une entreprise peuvent, dans une telle situation, se sentirmenacés et s 'opposer au déploiement des nouvel les connaissances desemployés de production. Une forte démobilisation peut résulter de ce conflit.

. In recompositiott des identités

Derrière la transformation de nouvelles connaissances en usages ins-trumentaux et conceptuels se profilent d'importants mouvements de recom-position des identités sociales et professionnelles. Par exemple, des adultespeuvent, en faisant certains apprentissages spécifiques, acquérir un degréélevé d'autonomie. Cette nouvelle identité peut cependant se heurter auxvisées de leurs proches qui les ont toujours perçus, et continuent souvent deles percevoir, comme des personnes dépendantes, les < obligeant >, bien sûrau nom de bonnes intentions, à se comporter comme s'il en était toujoursainsi. La recomposition des identités produit donc, au sein d'un schèmed'action, un déplacement des rappons de forces et des rapports de sens dontI 'about issement espéré , so i t l ' évo lu t ion vers des condu i tes émot ives ,éthiques, esthétiques et spirituelles plus profondes ou authentiques, n'est pastoujours au rendez-vous.

. SO,lisation des pratiques

La stylisation des pratiques se présente comme une forme supérieureet achevée d'intégration. Cette fonne achevée pour un pianiste, un danseur,un peintre ou un athlète trouve, après des années de techniques de bases etde conseils de toutes sortes, son expression ultime lorsque ceux-ci en arriventà exprimer ces années d'apprentissage dans un style qui leur est propre. Lesnouvelles connaissances sont donc pleinement appropriées par un schèmed'action lorsqu'elles contribuent à la réalisation de celui-ci et qu'elles fontpartie de la rythmique des pratiques. Ceux qui ont appris à conduire uneautomobile se rappelleront comment tous les gestes et toutes les choses àpenser du début étaient angoissantes. Peu de temps après, ces multiplesgestes et choses à penser se sont liés ensemble et ont formé un ensemble

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Page 150: De la formation au métier

rythmé qui s'exécutait presque inconsciemment. C'est là un effet de gestalt,une mise en forme. qui structure les apprentissages en une totalité disponiblepour la pratique. La stylisation des pratiques amène aussi un sentiment demaîtrise et de confiance en soi, souvent corroboré et renforcé par les autresmembres d'un schème d'action. De plus, la stylisation des pratiques procureune grande souplesse ce qui rend possible, par exemple, de faire des eneursou de réagir à certains accidents de parcours sans que I'exécution d'ensembles'en trouve affectée.

. Les impacls des nouvelles connaissances

Les impacts des nouvelles connaissances sont un important indice detransformation de celles-ci en usages conceptuels ou instrumentaux. Cesimpacts peuvent être positifs. Par exemple, dans une entreprise, à la suited'un apprentissage, on constatera une hausse de la qualité des produits ou desservices, moins de pertes dans la fabrication, un taux de satisfaction plusélevé des clients, moins d'absentéisme des employés, des comportementsplus sécuritaires, et ainsi de suite. Des impacts négatifs peuvent être aussiconstatés, par exemple lorsque la même entreprise ne s'est pas préparée àcanaliser le potentiel acquis par 1'apprentissage de nouvelles connaissances.Toutefois, notamment lorsque les apprentissages s'inscrivent dans un pro-cessus de changements multidimensionnel, il est souvent difficile d'attribuerdirectement à ces changements tout le mérite (ou la faute...) des impactscons ta tés , e t d 'au tan t p lus lo rsqu 'on é lo igne dans le temps s i tua t ionsd'apprentissage et situations de transfert. A ce moment-là on dit qu'il y a des< évidences > à attribuer ces impacts aux apprentissages effectués.

La transforrnation des connaissances en usages conceptuels ou instru-mentaux met en cause des problèmes qui sont propres à ce moment d'un pro-cessus d'appropriation. Ces problèmes sont surtout d'ordre social et subjectif.Le processus d'appropriation de nouvelles connaissances est, dans une bonnemesure, déterminé par des attitudes, des valeurs morales, des dispositionsaffectives, des relations d'appartenance, des calculs stratégiques, bref, par unensemble de variables socio-affectives.

Le transfert de connaissances exige une médiation sociale :six scénarios dtaccompagnement avant,pendant et après la formation

La section précédente a permis de mettre en évidence I'influence desschèmes d'action lorsqu'on se préoccupe du transfert de connaissances.Cependant, le modèle du transfert de connaissances proposé ne se limite pasà constater, au bout d'un processus d'appropriation, la capacité, ou I'incapa-

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Page 151: De la formation au métier

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Modèle de transfert basé sur l'accompagnement du processus d'appropriation

Schèmed'action

Tl : Apprentissage ï2 : Intégration

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T3 : Transformation,(̂,

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Page 152: De la formation au métier

cité, des schèmes d'action de transformer de nouvelles connaissances enusages instrumentaux et conceptuels. Ce modèle vise à intervenir dynami-quement dans le processus d'appropriation des schèmes d'action. Le modèledu transfert de connaissances s'appuie donc sur un second principe, à savoirque le transfert peut être stimulé, provoqué, soutenu, accompagné, favorisépar diverses formes d'interventions favorisant la mobilisation de ressourcesde sens au sein d'un système d'action.

Ces diverses formes d'interventions que prend la médiation socialedoivent s'adapter aux configurations concrètes des schèmes d'action. Ainsi,dans certaines situations, la question de la formation de base se posera avecplus d'acuité que dans d'autres. De même, certains schèmes d'action serontplus sensibles à certaines interventions visant à stimuler tel ou tel facteurfavorable au transfert alors que d'autres schèmes d'action seront insensiblesà de telles interventions. Le modèle propose ici une matrice de choix pouvantfavoriser tn design d'intervention s'adaptant aux divers moments d'un pro-cessus d'appropriation ainsi qu'aux conditions qui I'entourent. L'util isationde cette matrice de choix dépendra de la nature des projets de formation. Parexemple, il serait peu pertinent de mobiliser tous les aspects du modèle pourdes projets de formation de courte durée ou encore visant un faible niveaud'appropriation de nouvelles connaissances.

La figure 7, page 163, il lustre ce qui se passe lorsque la dimensionmédiat ion sociale est ajoutée au processus d'appropriat ion d'un schèmed'action. Cette figure montre que la médiation sociale n'est pas le schèmed'action lui-même. Elle l 'accompagne. La médiation sociale se présente sousIa forme de deux pôles interprétatifs, la compétence et la pertinence, à la foiscomplémentaires mais aussi, et surtout, en tension I'un vis-à-vis de l'autre.La compétence permet de reconstruire, de manière publique, les procédésd'objectivation se déroulant au sein d'un schème d'action tandis que la per-tinence reformule les procédés d'ancrage. Toutefois, cet exercice de recons-truct ion n'est pas que descript i f . I l v ise surtout à élever les capacitésd'appropriation, de transfonnation et d'amélioration d'un schème d'action.Dans ce sens, la médiation sociale vise à promouvoir le ., pouvoir-de-faire >des personnes. Elle est au service de la réalisation de formes de vie plushumaines et plus justes. La figure 7 fait voir, en combinant les lettres dispo-sées err divers points du modèle, six scénarios d'intervention susceptibles defavoriser le transfert lors de projets de formation continue destinés à despublics adultes.

t64

Page 153: De la formation au métier

Scénario I : anticiper Ia situation de rransfert (A-D / T0)

L objectif de ce scénario est de bâtir une stratégie de préformation qui anticipe une situation de transfert specifique

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Questions à considérer Design d'intervention Méthodes / outils

Quels sont les objectifsvisés ?

Proposer un projet de formation qui rend explicitesles caractéristiques clés de la situationde transfert recherchée

Analyse situationnelle ou organisationnelleet traduction en objectifs de formation

Ces objectifs sont-ilsappuyés ou légitimés ?

Construire, s'il y a lieu, un processusde légitimation autour du projet de formation

Engagement des figures d'autoritéet des organismes représentatifs

Ces objectifs concemenfilsen tout ou en partie le schèmed'action ?

ldentifier les personnes qui seront touchéespar le projet de formation et ce qui seraattendu d'elles au terme de celui-ci

Ventilation des objectifs et des ressourcesselon une planilication consensuelleou sans objection

A{-on déjà essayé d'atteindreces objectifs ?

Etablir une stratégie visant à démarquerle projet de formation actuel des expériencesprécédentes

Campagne d'informationutilisant des canaux crédibles

Remarques.-- L'objectif du transfert devrait être recherché et formulé dès la préformation.- L'anticipation de la situation de transfed devrait faire I'objet du plus large consensus possible au sein d'un schème d'action.- La participation des figures d'autorité du schème d'action est essentielle au succès du prolet d'intervention.- Dès le point de départ, c'est la recherche d'un transfert spécifique qui balise et dirige I'intervention (ce qui n'exclut pas les apprentis-sages complexes...)- ll arrive fréquemment que la situation de transfert désirée soit trop " ambitieuse ".

Page 154: De la formation au métier

6 Scéttario 2 : créer une zone de contpétence (A-B / Tl )o,

L objectif de ce scénario est de bâtir une stratégie d'appropriation optimale

Questions à considérer Design d'intervention Méthodes / outils

Quels contenus de formation cor-respondent aux objectifs visés ?

Sélectionner et réduire lescontenus de formation / déterminerle niveau de compétence recherché

Approche minimaliste

Quels écarts existe{-il entre lesconnaissances proposéeset les savoirs ?

ldentifier jusqu'où il convient de " reculer "lorsqu'il y a des lacunes ou des insuffisances

Tests / obseruations / réchauffement /préalables fonctionnels /reconnaissance des acquis

Quelle approche adopter ? ldentifier un mode de travailandragogique dominant (coopération, service,pression ou une formule hybride)s'adaptant aux objectifs poursuivis

Stratégie d'accompagnemenl

Comment travailler les contenus ? - Recourir le plus souvent à la pratique /utiliser des analogies faisant le lienavec les savoirs

- ldentifier le ou les sÇles d'apprentissage- Foumir régulièrement une vision claire

et constante des objectifs à atteindrede façon à ce que chacun sacheoù il en est et ce oue l'on attend de lui

Résolution de problèmes / exerciceset exemples pratiques / simulation /procédures de dépannage par rappoÉaux erreurs / questions subsidiaires

Remarques.- ll vaut mieux avoir moins de contenus de formation et davantage de liens entre ceux-ci.- Les savoirs antérieurs doivent être mobilisés au sein de la situation d'apprentissage même s'ils occasionnent des interférences (transfedsnégatifs).- De façon générale, il est impodant d'augmenter les capacités d'objectivation et de favoriser, à partir de celles-ci, des inférences, l'interpré-tation des situations.- Les préférences réceptives et les styles d'apprentissage doivent être respectés le plus possible.- Les formateurs et formatrices se préoccupent davantage des stratégies et des processus d'apprentissage.

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Page 155: De la formation au métier

D e s exe mp le s d' interv e ntionsfacilitant Ic transfen avant laformation

. Convaincre la gestion, notannment la direction :

- de mettre en place un certain nombre de conditions favorables au déroulement duprojet de formation :

- de s'assurer que le personnel approprié a été affecté au comité du design de laformation;

- de sensibiliser au préalable les cadres de premier niveau aux objectifs du pro-gramme deform^ation ;

- de donner des autorisatiotts pour que les horaires de production ou de servicessoient modifiés afn de pennettre la participation des personnes visées par le pro-jet de formation ;

- d'écrire ttne lettre personnalisée, signée par le riirecteu4 expliquant awcfutursparticipants la raison d'être du projet de formation et ce que I'on attend d'eux ;

- de donner des directives pour que Ia formation se fasse dans des locaux adé-quats ;

- de favoriser I'accès aux informations administratives qui permettront de sélec-tionner les participttnts adéquatement et de leurfaire suivre les sessions perti-nentes :

- d'être elle-même présente au.x activités de fontntiott.

. Convaincre les agents de formatiott :

- d'aligner les objectifs du projet de formntion sur les objectifs stratégiques du (oudes) commandilaire( s) ;

- de susciter I'engagenrcnt et I'adhésion des gestiounaires ;- de sensibiliser les futurs participants aux objectifs du projet ,.- de planifier des occasions de mises en pratique ;- de prévoir w module d'entraînement par les pairs au cours du suivi posforma-

non.

. Permettrc atucfuturs participants :

- de donner wt avis sur les objectifs du projet defotmation et sa planification ;- d'explorer les effets attendus du projet ;- de participer à des octivités de préformation.

167

Page 156: De la formation au métier

5 Scénario 3 : créer une zone de pertinence (A-C / TI )

L objectif de ce scénario est de bâtir une stratégie d'appropriation optimale

Questions à considérer Design d'intervention Méthodes / outils

Est-ce que les premiersintéressés ont été consultéssur le projet de formation ?

Positionner, dès le départ, les premiersintéressés comme des détenteurs d'enjeux.

Consultation / audil

Est-ce que les personnespanagent les objectifs duprojet de formation ?

Sensibiliser aux enjeux non familiers,construire une coalition sociale autourdes changements attendus.

Stratégie de communication / créationd'alliance / partenariat

Est-ce que les personnesvoient la portée et les impactsdu projet de formation parrapport à la situation actuelle ?

Rendre explicites les transf ormationsattendues, constru ire une interprétationentre situation actuelle et situation désirée

Dramatisation ou symbolisationde la situation désirée

Est-ce que les personnesanticipent, pour elles-mêmes,des avantages ou des inconvé-nients au terme du projet deformation ?

- Proposer des activités d'apprentissagesignifiantes du point de vue de la situationde transfert anticipée.

- Faciliter I'exploration active des contenus à partirdes questions que se posent les adulteset proposer des contenus répondant àleurs blocages.

- Atténuer les inconvénients ensynchronisant le projet de formationavec d'autres aspects du schème d'action.

Analyse du contexte / planificationdes contenus ( au bon moment " /planification du changement.

Remarques:- Les perceptions négatives du projet de formation doivent être prises en compte et résolues le mieux et le plus tôt possible.- ll est important que les premiers intéressés se sentent actifs et responsables.- ll n'est pas suffisant de discuter des enjeux ou des impacts une seule fois. C'est là un processus itératif dont les horizons se déplacent.- Les expressions symboliques que I'on utilise pour nommer ou désigner le projet de formation sont des indices d'adhésion et d'engage-

ment importants.- Des formateurs et formatrices issus des rangs ou qui connaissent bien le schème d'action sont préférables.

Page 157: De la formation au métier

Scénario 4 : intégrer les apprentissages (B-C / 70, TI, T2, T3)

L objectifdece scénario estderéunir, toutau long du processus d'appropriation, desconditions favorables à l'intégrationdes apprentissages.

^

Questicns sfrat{liques à corsidérer Conditions d'intégration Indices de réalisation

T0 : est-ce que le projets'inscrit dans des viséesstratégiques ?

Mobilisation d'énergies matérielles et"symboliquesautour et dans le projet en gestation

Disponibilité des interuenants /moyens suffisants / statuthiérarchique du projet / participationet motivation des premiers intéressés

T1 : est-ce qu'un niveaud'appropriation a été déterminé ?

Evaluation de l'&art entre les connaissancesvisées et les savoirs antérieurs ; élaborationd' un contrat d'apprentissage

Engagement dans I'apprentissage /création d'un climat de confiance / capacitéde faire contact avec I'expérience antérieure(analogie) et celle à venir (anticipation)

T2 : est-ce que les premiersintéressés dégagent des signi-fications de leurs apprentissages ?

Mises en relation des apprentissagesentre eux et avec d'autres composantesdu schème d'action.

Capacité de faire des liens / compréhensionet adhésion aux objectifs du projet / traductiondes apprentissages en langage personnel

T2 : est-ce que les premiers inté-ressés s'engagent à réinvestirleurs apprentissages ?

Elaboration d'un plan personnelou collectif de réinvestissement.

Expression des intentions /définition d'attitudes et decomportements spécifiques / stratégiesface aux difficultés anticipées

ï3 : est-ce que les premiers intéressés mobilisent et utilisent leursnouvelles capacités ?

Evaluation de l'écart entre lesapprentissageseffectués et les possibilités du contexte ,élaboration d'un contrat de mobilisation.

Engagement dans l'action / actualisationdu potentiel / capacité de solutionnerdes problèmes ou d'interpréter des situations

Remarques:- Même si l'intégration a un temps fort (T2), c'est là un aspect à prendre en compte tout au long du processus d'appropriation et dès l'étatinitial de celui-ci (T0).- ll est impodant de privilégier des schèmes pragmatiques familiers tels que contrat, réciprocité, altemance... qui ont pour effet de mettre entoile de fond du prolet de formation une démarche éthique.- Les aspects affectifs et identitaires pèsent lourdement sur I'intégration des apprentissages.- Des formateurs et formatrices sont des stratèges capables de lier les apprentissages aux composantes objectives, éthiques, esthétiqueset affectives des schèmes d'action.

Page 158: De la formation au métier

V

Des exemples d'interventinns facilitant le transfertpendant laformation

. Demander aux gestionnaires :- de prévenir les inîerruptions ;- d'apporîer leur soutien atu objectifs de transfert ;- d'encourager les efforts et la présence des participants ;- de participer aLu sessions visant à identifier les activités de transferts ultérieures ;- d'apporter des ajustements atu postes de travail, aux tâches, à l'organisation du

travail de façon à les rendre conformes aux objectifs et aux valeurs véhiculés parlaformation;

- de favoiser des cycles rapides d'alternence fonrution/pratique ;- de planifier un retour adéquat au travail des participants.

. S'assurer que le personnel de formation :- encourage les exercices appliqués ;- rcmet en questiotr les vieilles habitudes et attitudes ;- donne unfeed.-back individuel à chacun des participants ;- encourage les expériences de visualisation (après le cours je suis en train de

faire...) ;- aide les in^dividus et les groupes à préparer leurs stratégies et leurs qctivités de

transfert.

. Auprès des participants mettre en place des mesures visant à :- encourager leur participation active ;- les aider àforrner un groupe de soulien mutuel ;- les inviter à tenir un journal de bord dans lequel ils notent leurs idées de mises

en pratiEre ;- anticiper avec eux les problèrnes de transfert et examiner des stratégies pos-

sibles ;- se donrur un plan d'action individuel ou collectif de transfert qui respecte les cinq

gran"des lignes suivantes :l. il est structuré de manière àfavoriser I'engagement des participanTs dans leplan;

2. il est lié aux attentes du milieu de travail, donc soutenu par Ia direction ;3. il peut être contrôlé par les participants et comprcnd des notmes, des échéan-

ciers et des outils de mesure ;4. il permet aux participants de définir leurs besoins en matière de soutien et de

suivi posformntion ;5. il est structuré de manière àfournir awr participants des mesures incitatives

claires

t70

Page 159: De la formation au métier

Scénario 5: accompagner le réinvestissement (B-D /73)

Uobjectif de ce scénario est de définir une stratégie d'accompagnement postformation qui favorise le réinvestissement des acquis.

{

Questions à considérer Design d'intervention Méthodes / outils

Est-ce qu'il est possible deprévoir une formule tamponentre la formation et lespratiques ?

Définir et encadrer des dispositifsde postformation se rapprochantde conditions réelles d'utilisation.

Altemance études-pratiques /stages / pratiques contrôlées

EsÈce qu'il y a un risque importantde retour aux anciennesconceptions ou façons de faire ?

Prévoir une baisse par rapport à la pedormanceantérieure et mettre en place des mesuresqu i favorisent graduellement I'actualisationdu nouveau potentiel.

Rappod d'obseruation I coachingI mentorshp

Est-ce qu'il existe des contraintesobjectives au déploiement dunouveau potentiel ?

Contribuer à identifier et à lever lesobstacles objectifs ou, altemativement,à maintenir, si possible, les nouvellescapacités.

Planification / rétroaction /écoute active / suivi

Est-ce que les personnes utilisentleurs nouvelles capacités ?

Mettre en place des mesures de soutiensusceptibles d'encourager et de renforcerI'utilisation des nouvelles capacités.

Récompenses matérielles et symboliques /encouragements provenant des pairsou de figures d'autorité / retour sur les plansde réinvestissement

Remarques.- Les mesures de suivi-coaching sont importantes pour vaincre I'inertie des nouvelles connaissances et les transformer en savoirs pratiquesou les associer à ceux-ci.- La structure des récompenses matérielles et symboliques devrait être modifiée de façon à refléter et renforcer les objectifs du projet deformation.- ll est important d'effectuer un retour sur le plan de réinvestissement et de lui apporter, si nécessaire, des ajustements ou des correctifs.- Les formateur et formatrices sont des coachs, des mentors capables de diagnostiquer in situles blocages ou problèmes et d'organiserune réponse adéquate et rapide.

Page 160: De la formation au métier

S Scénario 6 : canaliser le nouveau potentieL (C-D / rc)

Uobjectif de ce scénario est de réunir des conditions sociales et subjectives favorables au déploiement du nouveau potentiel.

Questions à considérer Design d'intervention Méthodes / outils

Est-ce oue de nouvellesperspeitives éclairent lapensée et l'action ?

Favoriser de nouvellesintencrétations

Recadrage des zones d'autonomieet de responsabilisation

Est-ce oue ces nouvellesperspectives se manifestentdans les discours et les pratiques ?

Contribuer à l'émergence de nouvellessolidarités et d'un nouveau référentielpour I'action

Symboles d'appadenance / métaphores /stvlisation / diversif ication

Est-ce que ces nouvellesperspectives sont suff isammentsoutenues ?

Contribuer à donner une profondeur stratégiqueaux nouvelles perspectives et soutenirdavantage certains groupes ou personnesqui occupent une position clédans les changements en cours.

Padicipation et cohérencedes figures d'autorité /densité des interac'tions

Esfce ou'il existe des contraintesnormatives ou subjectives audéploiement du nouveau potentiel ?

Proposer, s'il y a lieu, de revoir certainesréglementations ou normes et amenerles personnes à se situeldans les changements en cours.

Développement organisationnel /expression / ressenti /ritualisation

Est-ce que les personness'identifient à ces nouvellesperspectives ?

Mettre en place des mesures de soutiensusceptibles d'encourager et de renforcerI'identif ication aux nouvelles perspectives

Développement personnel /développement socioprofessionnel

Remarques:- Les attentes créées par le projet de formation doivent se réaliser et leur réajustement doit être expliqué.- Des mesures d'exceptions doivent être prévues pour ceux et celles qui, pour une raison ou une autre, réseruent leur engagement (par

exemple : scepticisme, ancienneté...)- ll est impoÉant de créer un climat d'engagement réciproque.- Les formateurs et formatrices dégagent et renforcent les inteprétations signifiantes du point de vue des objectifs initiaux du projet de

formation.

{

Page 161: De la formation au métier

Des exemples d'interventions facilitant le transfertaprès laformation

. Insister pour que les gestionnaires :- rencontrent les participants lors de leur retour at4 travail et planifient avec eux

I'utilisation de leurs nouvelles connaissances et hebiletés ;- assignent les participarlts à une personne ressource qui servira de modèle et qui

encouragera I'utiliscttion de leur nouveau potentiel ;- consultent les participants dans les décisions qui touchent le transfert ;- développent des occasions permettant d'utiliser de nouvelles façons de faire au

travail;- approuvent les échanges entre les participants visant à se guide4 à se donner du

feed-back, à échanger des expériences de mises en pratique ;- diminuent, pendant un certain temps, la pression et les échéances du travail ;- communiquent les succès et de nouvelles norrnes de perfonnnnces.

. Petmettre au personnel de fonnation :- de donner un soutien postfurmation ;- de développetr proposer et mettre en place des mesures incitatives ;- de donner des séances de rafraîchissement el d'entraînement pratique :- de faire des obsen,ations er des recommnndations personnelles et organisatiot't-

nelles concerntant Ia ntise en pratique.

. Pennettre aussi ata participants :- de prendre des initiatives et mettre en pratique leur nouveau potentiel ;- de réviser à I'occasion des contenus de formation et d'exercer rapidement cer-

taines habiletés ;- de développer u,7e rclatiort d'aide entre collègues et avec des personnes res'

sources qui agissent conlnrc modèles.

Le transfert de connaissances dépendd'une amélioration continue

Le maintien et le déploiement du potentiel acquis lors d'un apprentissageà travers le temps est un phénomène complexe. Tous nous avons connu unerégression de nos apprentissages dans des domaines qui étaient, à la longue, peusollicités par notre activité quotidienne. A I'opposé, nous avons aussi connu,grâce à I'expérience, un enrichissement et une compréhension accrue de certainsconcepts ou de certaines théories. Schôn prétend même que certaines connais-sances ne nous sont accessibles et compréhensibles que lorsque nous avonsacquis la compétence qu'elles sont censées formaliser. Par exemple, dit-il, les

173

Page 162: De la formation au métier

étudiants ne peuvent savoir ce qu'est le < design >>, même si on le leur explique,tant qu'ils nten ont pas fait 17. Les connaissances ne s'appliquent donc pas du

haut vers le bas, de la théorie vers la pratique mais, du bas vers le haut.

Au point de départ, de nouvelles connaissances peuvent être proposéespar le .. haut >>. Les six scénarios proposés dans la partie précédente rendent

ôompte de cette façon de faire. Cependant, ces six scénarios d'interventioncontribuent, suftout, à I'atteinte d'un transfert spécifique et court. Les connais-Sances, au bout de ce processus, Sont encore trop peu chargées de sens.D'ailleurs, elles ont souvent à concurrencer d'anciens éléments du schème

d'actiort qui sont encore très prégnants. Pour parvenir à un transfert long, géné-

ral ou anÀlogique, c'est-à-dire contribuer à des changements profonds, il faut

davantage. C'elt lci qu'intervientle troisième principe du modèle du transfertde connaissances, à savoir que I'utilisation de nouvelles connaissances dépendd'un processus d'amélioration continue.

L améLioration continue est ce processus par lequel un schème d'actionentreprend de déployer pleinement le potentiel de ses nouvelles capacités. Ce

déploiement impl-tque :- une confiance en ses nouvelles capacités et un engagemellt à les mettre enceuvre ;- des conditions favorables à la création, à I'innovation et à Ia responsabilisa-t ion ;- des conditions favorables d'ordre opérationnel.

Une médiation sociale du processus d'amélioration continue supposedonc la gestion stratégique des résultats d'un projet de formation aux plans

microsocial et macrosocial.

Au plan microsocial, la médiation du processus d'amélioration continueest une stratégie qui fait appel à une foule de petits ajustements qui, peu à peu,

favorisent l 'util isation de nouvelles connaissances. Par exemple, dans le casd'une entreprise, les aspects suivants peuvent être touchés par une telle straté-gie d'ajustement :- la communication horizontale et verticale ;- les rapports de pouvoirs et les lignes d'autorité entre les groupes ;- la révision du système de récompense ;- le calendrier des changements à opérer ;- les critères de choix entourant la sélection du personnel, des techniques et desfournisseurs ;- la culture des groupes de métiers ;

17. Il en va de même du concept de < gestion participative >, concept qui peut recevoir une défi-

nition théorique. Toutefois, cette définition ne veut pratiquement rien dire tant qu'on ne pratique

pas un tel style de gestion.

174

Page 163: De la formation au métier

- la culture des groupes générationnels ;- le style et les méthodes de gestion ;- les procédés de travail ;- les rapports avec le ou les syndicats, etc.

Ce qui est privilégié, au plan microsocial, c'est une approche constitu-tlve, c'est-à-dire une approche qui consiste à observer, à suggérer et à accompa-gner en temps réel, in situ, des personnes, des groupes ou des collectifs dans cessûatégies d'ajustements.

Au plan macrosocial, la médiation du processus d'amélioration continueconsiste à développer une vision partagée qui permet aux personnes, auxgroupes et aux collectifs d'estimer si, oui ou non, ils se rapprochent de l'étatidéal qu'ils souhaitent atteindre. La vision agit comme un plan de signification :- Quels sont les principes sur lesquels est fondé notre organisation ?- Quelle est la culture de notre organisation ?- Quelle sorte d'org.anisation veut-on devenir'?

- Quels sont les priorités et les ppoblèmes '?

Ainsi, les nouvelles connaissances se présentent corrune les pièces déta-chées d'un puzzle. Une à une elles n'ont guère la capacité d'avoir un sens. C'estle recours à un plan de signification qui, telle la photo du ptzzle assemblé, vaaider aux ajustements entourant I'util isation des nouvelles connaissances. Ceplan de signi f icat ion est produit à part i r de formes de rat ional i té que lesmembres d'un schème d'action sont prêts à se consentirentre eux. Au planmacrosocial, c'est donc une approche évaluative qui est privilégiée puisqu'ils'agit de comparer les conséquences et les impacts observables avec ce qui étaitrecherché au point de départ.

Il arrive que la vision partagée ne fasse pas contact avec une stratégied'ajustement microsociale ou, au contraire, que l'on ne fasse appel qu'à unefbule de petits ajustements sans vision d'ensemble. L'amélioration continuerequiert à la fois l 'un et I'autre. Cependant, le transfert de nouvelles connais-sances n'ira jamais plus loin que les formes de rationalité qui imprègnent unschème d'action. Par exemple, des enseignants pourraient avoir accès à unexcellent perfectionnement dans le domaine des stratégies cognitives, lequelpourrait être renforcé par la mise en place d'une stratégie d'ajustement desprogrammes, de la tâche d'enseignement et des méthodes de travail. Mêmedans un tel cas, il serait étonnant qu'il y ait transfert. De plus, cette volontéd'orienter les enseignants vers la gestion de processus d'apprentissage vaheurter de front une culture scolaire qui est tournée vers l 'évaluat ion etI'atteinte de résultats scolaires plus souvent formels que réels. Une stratégiede changement de cet ordre requie( une vision partagée basée sur un large

t7s

Page 164: De la formation au métier

consensus social en faveur d'un repositionnement de l'école en faveur de laqual i tér8.

Les nouvelles connaissances qu'acquièrent les personnes dans un projetde formation forment donc, au début d'un processus d'amélioration continue,une matrice de choix ouverts qui, peu à peu, s'élagueront, se définiront et se stâ-biliseront en fonction de l'adhésion des personnes. D'où I'importance de pro-mouvoir une vision basée sur de nouvelles figures de la rationalité. C'est là unenouvelle version du transfert général.Lacapacité de généralisation d'un appren-tissage est ainsi portée par le < pouvoir-de-faire o que I'on retrouve dans lasituation de transfert elle-même. Le décloisonnement entre les pratiques,I'ouverture, les possibilités d'expérimentation, le degré d'autonomie ou de res-ponsabilité dans l'action favorisent le transfert général. Celui-ci est donc plusqu'un ensemble de contenus ordonnés dotés de procédures et de règles condi-tionnelles bien formées que I'on applique dans diverses situations. La figure 8présente deux stratégies que la médiation sociale peut utiliser afîn de susciterune adhésion à de nouvelles fisures de la rationalité : l 'évolution sociale etI' imasinaire social.

Amélioration continue et évolution sociale

Vu sous I'angle d'une approche évaluative, l 'évolution sociale se pré-sente comme I'identification, à partir de certains paramètres, de compétencesclés qui permettront d'atteindre, ou de se rapprocher, de la vision partagée. Parexemple, on identifie souvent le groupe de compétences suivantes : savoirapprendre ; habiletés de base en calcul, écriture et lecture ; capacités d'écoute etde communication orale ; pensée créative et résolution de problèmes ; estime desoi, détermination de buts / motivation, développement personnel / de carrière ;habiletés interpersonnelles de négociation et de travail en équipes ; efficienceorganisationnelle / leadership. C'est là I'amorce d'un corpus de < nouvelles >compétences qui correspondent grosso modo à cette montée d'exigencesexpressives et éthiques entourant la mise en ceuvre de nouveaux procédés tech-niques. Cette approche évaluative devrait aussi rejaillir sur la conception desprograTnmes de formation.

Une apytroche constitutive de I'amélioration continue, vue sous un angled'évolution sociale, peut signifier le retour à un temps initial de la formation(T0) ou bien un suivi à plus ou moins long terme d'un projet de formation quivient de se terminer (T4, 5, .,., N). Dans le cas de la rcconstitution d'un état ini-tial, la stratégie d'ajustement consiste à faire le point sur les apprentissages déjà

18. Ce seul exemple permet d'est imer I 'ordre de grandeur d'un processus d'améliorat ioncontinue lorsque le changenrent souhaité est important. Il faut alors penser en termes de cinqà dix ans.

116

Page 165: De la formation au métier

Fisure 8Médiation sociale et procèssus d'amélioration continue

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lmaginaire social

Page 166: De la formation au métier

intégrés et utilisés et à proposer un nouveau projet de formation qui comblera,en tout ou en partie, la formation manquante entre l'état initial constaté et celuique l'on veut atteindre. Lorsqu'il s'agit d'un suivi à plus ou moins long terme(T4, 5, ..., N) I'amélioration continue se pose surtout en terrnes d'ajustementssocioprofessionnels : stages en milieu de travail ou altemance travail-études ;soutien au placement ; conseil de carrière I évaluation de bilan professionnel ;suivi en cours d'emploi. Une approche constitutive en matière d'améliorationcontinue n'exclut pas non plus un travail de conseil visant à lever certains obs-tacles structurels ou à réunir certaines conditions favorables sur la route dutransfert : réorganisation de postes de travail ; définition des tâches ; clarifica-tion des rôles et fonctions ; mise en réseau de certaines compétences ; réorgani-sation spatiale de façon à créer une synergie ou un effet de masse critique ; par-ticipation à des partenariats ou des alliances socio-économiques.

Amélioration continue et imaginaire social

Aborder I'irnaginaire social à partir d'une approche ét,aluative signifieidentifler les nouvelles formes de pertinence dans lesquelles vont s'insérer et sedéployer les apprentissages effectués. Ces dernières années des changementsimportants sg sont produits au niveau de ces formes de pertinence. Pensons seu-lement au féminisme, à l'écologie ou encore à l'interculturalité. Ces formes depertinence sociale créent de nouvelles possibilités et contraintes : remise enquestion des attitudes ethnocentriques ; révision des compoflements de consom-mation ; etc. L amélioration continue nécessite de recourir à des études évalua-tives qui agissent corrrme outil d'intelligence collective, et non pour exclure oublâmer. Dans ce contexte, l'évaluation repose sur la formation d'un accord surles critères d'appréciation de ce qui a été fait.

Inscrire un projet de formation dans un imaginaire social se fait aussi àpartir d'une apltroclrc constitutive. Par exemple, les stratégies de communica-tion faisant suite à un projet de formation peuvent reprendre et développer lescontenus de formation en les rendant disponibles et souples, notamment en uti-l isant des métaphores, des analogies, des symboles qui créent souvent unmeilleur contact avec des archétypes profondément ancrés dans l'agir humain.Une approche constitutive vise aussi à appuyer ces stratégies d'ajustements qui,à la suite d'une formation, vont du vague au clair, de l' incertitude à la décision.Au fur et à mesure que des personnes, des groupes ou des collectifs arrivent aubout de tels processus, ils voient davantage la pertinence de ces nouvellesconnaissances, hésitant ainsi de moins en moins à les utiliser dans des situationsvariées et parfois inusi tées. Finalement, une approche const i tut ive vise àappuyer une logique d'util isation des nouvelles connaissances en encourageanttout mouvement vers la simplification. Souvent des formes simples et élégantessont ici en jeu. Elles facilitent la diftusion et l 'util isation des nouvelles connais-sances.

1 7 8

Page 167: De la formation au métier

L'arnélioration continue en application :une rencontre de bilan

lJn projet de formatiott visant à l'implantation d'tute nouvelle philosophie de ges-

tion vient de se terminer avec succès. Les principaux intervenants sont autourd'une table et discutent. Il s'agil de faire le bilan du projet afin de relancer l'inter-ventiotl sur de nouvelles bases et de nouvelles pistes. lns points suivants sont abor'dés :

. Izs facteurs qui ont contribué au succès du projet :

- la participation des formateurs à Ia conception du malériel didactique ;

- I'impulsion donné par le directeur à l'équipe ;

- l'apprentissoge dûns I'actiott, où la théorie est rapidement mise en appliÇqtiln ;- le < pouvoir-de-faire , des personnes, une semaine 0n seflrme el l'aulre ondécide el on ngil ,'

,' -, .. --/."2 -,y': zta/.t?,aj-

\ Ë ...tL\rtt:'.

-vrv-\t)pÈ\\e:su\\spsururrtgrs\rsr'"$us\r:uNt\.u1rStt::U:\t\\N',* créer une Jorrction intégrotile, pnr exempte un ogent de méthode ;- identffier, pour,les équipes de Iravail, 2 à 3 mesures clés liées au processus ;- organiser des visites entre les gtoupes qui ont réussi et ceur qui y parvieturcnt

plus dfficilenrent :- clnrifer les rôles des agents <(processus> et des agents <contenus>, par e.remple

à I'aide d'un ofocus group> ;- s'assurer que les gens co,nmwtiquent les bonnes idées, construire le réseau de

commmiceûion.

c Des conditiotls pour intplanter une culture d'amélioration contirurc :- il faudra créer une nouvelle structure organisationnelle afin de passer du vou-

loir à la capacité ;- il faudra apprendrc à gércr la diversité, à créer des antaLgames de compétences

complémentaires ;- ilfaudra susciter de noureaux comportements chez les cadres, dont celui d'aller

sur le plancher ;- il faudra affirmer davantage le rôle de vigie, un rôle qui tient les gens sur le

bord de leur chaise, wt empêcheur de tourner en rond ;- il faudra contirurcr à habituer nos gens à voir le changement ;- il faudra, de temps à autre, identffier une noftne liée à certaines opérations,

mais pas au début afin de ne pas bloquer les initiatives ;- il faudra que les services passent d'une culture de recommandations à une cul-

ture d'implarûation :- il faudra apprendre à "penser processus>, par exemple à arrêter de tout voir en

terme de firutlité, I'implantation du changement ce n'est pas pour dans 3 à 5ans, c'est naintenant que ça se passe et ça n'arrête pas.

179

Page 168: De la formation au métier

o Des craintes el des limites à prendre en compte :- ce ne sont pas tous les employés qui possèdent la formation de base pour

absorber les notions ;- les situations de stress sontfréquentes et les risques d'épuisement sont élevés, il

faudra ajuster la structure organisationnelle et donner davantage de soutien ;- plusieurs ont lendance à revenir vite à leurs anciennes habitudes ;- certains gestionnaires ont peur de perdre le contrôle.

Questions pratiques, courantes et stimulantesà propos du transfert de connaissances

Le modèle de transfert de connaissances proposé est d'abord conçucorrune un outil de conception de designs d'intervention en formation continuedes adultes. Ce qui suppose que la collecte d'informations part d'une analyse dela situation à transformer et que l'on tient compte :

. du type de connaissances qu'il s'agit de transférer ;

. du niveau d'appropriation qui est recherché ;

. des capacités de saisie et le traitement de nouvelles connaissances ;

. des intentions et de la motivation face à ces nouvelles connaissances.

Ce modèle tient compte d'une large vaiété de transferts. Ainsi, il peut yavoir transfert positif ou transfert négatif. Le transfert négatif occupe d'ailleursune place importante dans ce modèle puisque le retour en force des * ancienneshabitudes > est plus qu'une probabilité. Ce modèle accorde aussi une placeimportante au transfert spécifique et court. C'est d'ailleurs là le lot de la plupartdes projets de formation, souvent de courte durée, destinés à des publicsadultes. De même, une place importante est faite aux transferts dits longs, géné-raux ou analogiques. Toutefois, la réalisation de ces types de transfert dépenddavantage de caractéristiques propres à la situation de transfert elle-même quede la logistique d'apprentissage.

Selon le design d'intervention adopté, divers facteurs faciiitant le trans-fert peuvent être mobilisés par ce modèle. Par exemple, ce peut être le recours àdes facteurs valorisés par les théories cognitivistes tels que le nombre et lavariété des exemples proposés tout au long du processus d'apprentissage. ouencore les facteurs Liés au schème actanciel du transfert tels que I'influence duleadership, du climat de confiance, du nombre d'interactions significatives entreles membres d'un schème d'action. Cependant, il ne s'agit pas d'aligner un à undes facteurs favorables au transfert pour qu'il y ait transfert, mais de proposerceux qui sont pertinents, au bon moment, au bon endroit et dans les bonnes pro-

180

Page 169: De la formation au métier

poftions. C'est I'analyse concrète d'une situation concrète qui peut déterminerquels sont les facteurs qu'il faut faire intervenir.

La médiation sociale est aussi un aspect important du modèle de trans-fert de connaissances proposé. Celle-ci est un impératif de notre temps car il estdifficile, dans les sociétés modernes, de tirer le maximum des investissementsmatériels et affectifs entourant I'appropriation de nouvelles connaissances.C'est pourquoi six scénarios d'accompagnement ont été proposés à la sectionprécédente. Dans maintes situations, la médiation sociale demeure importante,notamment dans le cas où un changement profond et d'envergure est recherché.Il s'agit alors de travailler sur I'amélioration continue. Le rôle des agents de for-mation apparaît dès lors très important. Ils jouent un rôle de << locomotive > ence que ce processus est social et qu'il ne se limite pas à I'individu < intelligentet atomisé >. La médiation sociale met ainsi en perspective des êtres sociaux quisont liés entre eux par des rapports de sens, par exemple des rapports affectifs,mais aussi par des rappofts de forces, par exemple des relations de pouvoir. Enconséquence, elle doit prendre appui sur une gestion stratégique de la formationafin d'optimaliser les avantages et aplanir les inconvénients.

Ce modèle peut être utilisé minimalement. Ainsi, il n'y a pas toujourslieu de sortir I 'artil lerie lourde, c'est-à-dire I'ensemble des ressources dumodèle, pour une intervention parfois très simple et ponctuelle. De tels projetsde formation ont toujours leurs raisons d'être. Ce modèle perrnet aussi desmises en garde vis-à-vis des projets de formation qui font miroiter des résultatsfaciles alors que la barre du changement est à long terme (cinq à dix ans).

La figure 9 donne un aperçu d'ensemble de ce modèle du transfert deconnaissances adapté aux pratiques de formation continue des adultes. Afind'en éclairer davantage les implications voici quelques questions pratiques, cou-rantes et stimulantes à propos du transfert.

Q : Qu'est-ce qu'un transfert de connaissances ?

Le transferl de connaissances peut être défini corrrme la mise en pratique.dans un nouveau contexte, de connaissances acquises préalablement par despersonnes, des groupes ou des collectifs. Ce nouveau contexte peut être unenouvelle situation de formation ou bien une situation de la vie de tous les iours.Il existe aussi plusieurs variétés et formes de transfert (cf. lexique).

Q : Dans le contexte des pratiques de formation continue, quellessont les principales barrières aLu transferts de connaissances ?

Elles sont, par ordre d'importance, les suivantes :

, L'absence de suivi et de renforcement suite à une formation, notammentlorsque les personnes formées perçoivent qu'autour d'elles leurs dirigeants ou

181

Page 170: De la formation au métier

collègues accordent peu d'importance aux changements que la formation lesincite à apporter.

, lz mnnque de o pouvoir-de-faire > des personnes, celles-ci estimant qu'ellesne peuvent pas déployer leurs nouvelles compétences à cause d'interférences,réelles ou perçues, provenant de I'environnement immédiat, telles que lescontraintes de temps, l'absence d'autorité pour agir ou décider, les processusde travail inefficaces, les équipements ou dispositifs inadéquats.

. L'absence d'une culture de formation, surtout lorsque, dans une organisation,les programmes de formation ont un statut non reconnu ou souffrent d'uneabsence de philosophie de gestion congruente.

. lzs perceptions, qu'ont les personnes formées, du caractère peu pratique dela fornntion reçue. Elles mobilisent alors leurs savoirs pratiques pour sou-mettre les nouvelles connaissances à un << test de réalité >.

. La perception, qu'ont les personnes formées, du caractère peu pertinent descontenus de formation Elles perçoivent ceux-ci corrrme étant trop théoriquesou encore peu crédibles compte tenu des valeurs et opinions dominantes dansleur milieu.

. Ic peu d'avantages anticipés de laformation.Par exemple des personnes prèsde la retraite venont dans le changement un < coût > trop élevé par rapportaux avantages qu'elles en retireront.

. L'impact négatif de laformation sur les dynamiques d'identités socioprofes-sionnelles. Par exemple, lorsque la formation s'inscrit dans un contexte où descatégories d'emplois disparaissent ou encore lorsqu'elle accompagne des pro-cessus de requalification pour les uns et de déqualification pour les autres.

. L'absence ou l'interruption des liens avec des personnes signfficatives. Laséparation de la présence inspirante de médiateurs (formateurs, entraîneurs.mentors...) peut entraîner un manque d'adhésion.

. lr manque de vision et de leadership dans un milieu, d'où un manque d'auto-r i té pour implanter les changements désirés. Les part ic ipants ont alorsI'impression d'un effort à sens unique.

Q : Quels sont les facteurs qui peuvent favoriser le transfert deconnaissances ?

Avant la formation

. In participation des futurs candidnts, en leur perrnettant de donner leuravis sur le projet de formation et sa planification, de questionner et d'explorerles effets attendus du projet, en participant à des activités de sensibilisation oude préparation à la formation.

. L'engagement des rtgures d'autorite, en inscrivant le transfert dansleurs rôles et tâches. en informant les futurs candidats sur les intentions entou-

182

Page 171: De la formation au métier

rant le projet de formation, en examinant et validant Ie design du projet, en créantun environnement propice au projet, en planifiant déjà les suites du proJet.

. ln qualité de la conception, en synchronisant le projet de formationavec les objectifs et priorités stratégiques du milieu, en sensibilisant les futursparticipants aux objectifs du projet de formation, en analysant le contexted'intervention, en favorisant une conception modulaire des contenus de forma-tion se prêtant à des mises en pratique rapide, en tenant compte du type deconnaissances à transférer et des connaissances préalables des futurs partici-pants, en faisant participer les formateurs à la conception.

Pendant la formation. La création d'une o zone de pertinence >, en donnant un statut élevé au

projet de formation, en évitant les interruptions, en soutenant et valorisant laprésence aux activités de formation, en répondant aux inquiétudes ou problèmesappréhendés, en libérant les participants de leurs tâches régulières, en donnant àchacun I'occasion d'identifier, pour lui-même, les bénéfices qu'il tirera de laformation, en formant des groupes d'entraide, en développant un <<contrat detransfert> Iiant la personne (ou le groupe) et I'organisation.

. La création d'une (< zone de compétence >, en aidant à < désap-prendre > les notions, les attitudes et les façons de faire qui font interférencesavec les nouvelles compétences recherchées, en variant les exemples théoriqueset pratiques, en favorisant les liens entre les concepts de façon à en extraire desprincipes d'action, en recherchant dans des mises en situation une visualisationet une anticipation du transfert, en donnant un feed-back constant et rapide auxparticipants sur leur progression, en multipliant les occasions d'auto-évaluation,en examinant et discutant des stratégies à mettre en place pour un transfertréussi, en identifiant les médiateurs qui pourront soutenir les efforts de transfertlors du retour à la pratique.

Apràs la formation

. I-a création d'un environnement stimulant et facilitant, en communi-quant les succès, en facilitant les rencontres de suivi, en encourageant I'utilisa-tion des nouvelles compétences, en levant rapidement les obstacles au transfert,en réduisant la charge de travail et la pression des responsabilités pour un cer-tain temps, en soulignant et en récompensant I'utilisation des nouvelles compé-tences, en fàvorisant les initiatives, en spécifiant de part et d'autre les attentes,en respectant les différences, en négociant les cheminements, en accordantbeaucoup d'autonomie aux personnes et aux groupes, en étant tolérant vis-à-visdes erreurs et des baisses de performance.

. La mise en pratique des nouvelles compétences, en prévoyant unmodule d'accueil lors du retour à la pratique, en planifiant des rencontres desuivi, en proposant des sessions pratiques de < rafraîchissement >>, en encoura-geant la révision régulière des contenus de formation, en soulignant les atti-tudes, les gestes et les actions qui actualisent les nouvelles compétences, en sti-mulant I'originalité et l ' innovation dans la solution de problèmes reliés aux

r83

Page 172: De la formation au métier

nouvelles compétences, en évaluant et en donnant unfeed-back régulier sur leprocessus d'implantation des nouvelles compétences.

. Le développement d'un accompagnement signifiant, en établissant lecontact avec des médiateurs reconnus, en favorisant les attentes élevées,< l'effet Pygmalion >, en proposant des modèles de références, en encourageantla formation de groupes de pairs, en engageant les figures d'autorité dans lesmesures de soutien au transfert. en favorisant la constitution de réseaux externesà I'organisation.

Q: Comment évaluer le transfert de connaissances ?

Plusieurs études portant sur l 'évaluation du transfert s'inspirent dumodèle développe par Kirkpatrick. Ce modèle distingue quatre niveaux d'éva-luation.

. La satisfaction des participantsIl s'agit ici du degré d'appréciation attribué par les participants à une

activité de formation qu'ils viennent de terminer. Ont-ils apprécié les contenus ?L animation ? L organisation ? Les exercices ? Et ainsi de suite. On postule icique des participants qui sont satisfaits de leur activité de formation seront plusenclins à transférer les connaissances véhiculées par celle-ci. Rappelons simple-ment ici les limiies de ce genre d'évaluation puisque d'une part, elle n'évaluepas réellement les apprentissages effectués et que, d'autre part, commeBruno Bettelheim I'a démontré, en ne jouant que sur le seul registre du plaisirou de la satisfaction on finit par atteindre rapidement un phénomène de plafon-nement. L apprentissage se reduit difficilement à une pensée univoque, fût-ellecelle du " plaisir >.

. L'évaluntion des apprentissagesCe type d'évaluation mesure I'atteinte des objectifs d'apprentissage for-

mulés lors de l'élaboration de I'activité de formation. Cette évaluation impliqueune définition assez précise des objectifs de départ, ce qui n'est pas toujours lecas. De même, ce type d'évaluation exige l'élaboration de tests théoriques oupratiques. Ces tests, du point de vue du transfert ont leur utilité et leur limite.Côté utile, ces tests perrnettent d'identifier les participants qui n'ont pas acquiscertaines notions ou maîtrisent mal certaines habiletés et d'apporter des mesurescorrectives, par exemple une aide spécifique à ceux-ci. Ainsi, il n'y a jamaisplus de transfert que dans I'apprentissage effectivement réalisé. Côté limite, cetype d'évaluation ne garantit pas que les participants ayant acquis de nouvellesconnaissances vont les mettre en pratique en situation réelle. L'intégration deces apprentissages peut être défaillante ou encore le contexte peut être dissuasifquant au déploiement de nouvelles compétences.

. L'évaluation de la mise en pratiqueConsidéré par certains comme étant la vérirable évaluation du transfert,

ce troisième type d'évaluation se déroule habituellement en situation réelle. Parexemple, durant le premier trimestre suivant une activité de formation on

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mesure les compétences des personnes formées à I'aide de grille d'observationdes tâches, ou encore en mesurant I'atteinte d'objectifs ou de résultats prédéfi-nis. Afin de distinguer I'apport de I'activité de formation on compare les résui-tats des participants avec ceux obtenus par des personnes n'ayant pas suivi cetteactivité (groupe contrôle) ou bien on met en perspective les résultats actuels desparticipants avec leurs résultats antérieurs (mesure préformation). Ce typed'évaluation ne peut cependant pas conclure définitivement sur la contributionde I'activité de formation puisque, en situation réelle, de nombreux facteurs sonter) cause. Ainsi, la mise en place de conditions facilitant le transfert, soitI'approche constitutive, contribue peut-être autant, sinon plus, à la mise enæuvre de nouvelles compétences que I'activité de formation elle-même. Il estimportant qu'il y ait cohabitation entre une approche évaluative et une approcheconstitutive. Autrement dit, dès que I'on aborde la formation des adultes à partirdu point de vue du transfert, on devient plus intéressé à sa réalisation qu'à sonévaluation. Il s'agit surtout d'atteindre des résultats, ce qui n'exclut pas l'éva-luation des compétences, la mesure des performances, ou encore I'identificationdes candidats ayant un certain potentiel. Bref, l'évaluation de la mise en pra-tique n'est jamais une fin en soi. Elle est au service d'objectifs à réaliser, notam-ment celui de réaliser pleinement le transfert.

. L'évaluntion des résultats ou impactsCe dernier type d'évaluation vise à établir un lien entre les compé-

tences développées à I'intérieur d'une organisation et les objectifs opéra-tionnels de celle-ci. Bien que les liens de cause à effet soient difficiles àétablir entre formation et objectifs de i'organisation il est toutefois possiblede produire, non pas des preuves, mais des évidences à I'effet que la for-mation contribue à I'atteinte de ceux-ci. Ainsi, suite à une activité de for-mation, on observera l'évolution de certains indicateurs clés du point de vuedes activités de l'organisation. Par exemple, suite à une activité de forma-tion, si l 'on observe une baisse de I'absentéisme au travail, une meilleureutilisation de l'équipement, une réduction des rejets, des coûts, des erreurs,des pannes, des accidents, une plus grande satisfaction des clients... On endéduira une influence positive de I'activité de formation cohabitant fort pro-bablement avec d'autres influences positives provenant de sources diffé-ren tes (changements de d i rec t ion , de po l i t ique de rémunéra t ion ,d' environnement de travail...).

Q: Existe-t-il des stratégies clés qui sont susceptibles defavoriserle transfert de connaissances et de faire évoluer les organisationsv e r s de s o rg ani sat io ns qualffi ant e s, c' e s t - à- di re c apab Ie s d' ut ili s e rle plein potentiel de leurs membres ?

Le changement n'est pas un processus linéaire et technique. De plus enplus, les principes de gestion mécaniste sont remis en question. Il s'agit doréna-vant < d'agir ensemble o en donnant du < sens o. Une circulation d'énergie doits'installer entre les politiques, les opérations, les idées et I'action à I'intérieur

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Page 174: De la formation au métier

Figure 9Modèle global du transfert de connaissances

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d'organisations prêtes à se transformer continuellement. Sous cet angle, ceftainesstratégies apparaissent porteuses d'avenir :- Rapprocher I'apprentissage de la planification stratégique.- Encourager le << pouvoir-de-faire > de tous et chacun.- Non seulement diffuser I'information mais soutenir et apprivoiser son inter-prétation.. Favoriser et encourager les échanges internes et externes, la mise en réseau de

personnes-ressources, les phénomènes d'auto-organisation.. Développer une rémunération flexible.. Encourager l'évolution, voire même la révolution des structures et des proces-sus de travail.. Rendre les personnes responsables de leur travail dans des domaines tels quela comptabilité, la collecte et le traitement de I'information, le contrôle de laqualité de leur travail.

. Développer un climat favorable à I'apprentissage.

. Multiplier les occasions favorables à I'autodéveloppement.

Q : Quels liens peut-on établir entre formation initialeet formatton continue.en regard du transfert de connaissances ?

La question du transfert de connaissances ne se pose pas de la mêmetaçon en formation initiale. Une solide formation de base se prête à une pléthorede transferts. Par exemple, I'apprentissage de la langue maternelle peut êtretransféré à une foule de domaines de la vie de tous les jours et aussi servir debase à de nouveaux apprentissâges. Il n'existe donc pas de problème de trans-fert faible en ce qui conceme la formation de base. Ce qui n'atténue en rien ledébat qui entoure actuellement la formation de base quant à ses contenus. Eneffet, la formation de base doit de plus en plus s'articuler aux impératifs de laformation continue. Vu sous cet angle, certaines compétences apparaissentdavantage po(euses de cette articulation que d'autres. Ainsi, les compétencescommunicationnelles apparaissent, à bien des égards, jouer un rôle stratégique ànotre époque, que ce soit sous l'angle de la maîtrise de la langue première et delangues étrangères ou de certains langages de formalisation tels les mathéma-tiques, la rnodélisation. le design, ou encore quant à I'acquisition de compé-tences sociales qui favoriseront des interactions humaines se déroulant dans unclimat de paix, de respect mutuel, de fratemité, de justice, d'ouverture et de par-tage. Cependant, au-delà de ce premier coryus de compétences lié à la commu-nication, le débat reste ouvert quant aux contenus d'une formation de baseadapté à notre époque.

Le problème accru du transfert du côté de la formation continue s'appa-rente au phénomène de < l'éponge mouillee >. Ainsi, une éponge d'une cefiainetaille peut absorber une cenaine quantité d'eau mais, à un cenain mornent, elle nepourra absorber qu'une partie infime de I'eau qu'on lui donne jusqu'à saturation.

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Les personnes en formation continue évoluent corrune ces < éponges >. Ellessont déjà imbibées d'un certain stock de connaissances préalables qui souventne permettent guère I'acquisition de nouvelles. Dès lors, deux stratégies sontpossibles pour favoriser le transfert.

une première stratégie invite à jeter du lest et à favoriser un élargisse-ment des structures internes de façon à permettre un meilleur stockage et unemeilleure utirsation de ces stocks de connaissances grâce à des stratégies cogni-tives adéquates. c'est comme si l'éponge ne devait absorber que I'eau néces-saire pour traiter un problème ou une situation, en sachant où la trouver et com-ment I'util iser. cette stratégie, privilégiée par les théories cognitivistes, necoupe pas la personne du < réservoir > de codes et de connaissances accumuléspar une société mais aborde celui-ci sous l'angle d'un rapporl de sens marquépar I'efficacité des stratégies de traitement, par exemple la résolution de pro-blèmes. La formation de base, vue sous cet angle, devrait favoriser I'acquisitionde stratégies cognitives afin que, lors d'activités de formation continue, onpuisse appliquer celles-ci à des contenus plus spécifiques.

Une seconde stratégie, que l'on peut voir corrune concurrente ou complé-mentaire de la première, consiste à faire croître le volume de l'éponge. Ainsi,lors d'activités de formation continue, il arrive souvent que les personnes et lesgroupes ayant acquis de nouvelles compétences pour penser et agir doiventretourner et s'af,apter à une pratique qui a toutes les apparences d'une < vierétrécie >>. Non seulement cçtte << vie rétrécie > ne retiendra pas les nouvellescompétences mais elle < tord > littéralement les anciennes, entraînant un cor-tège de déqualification, de désuétude et de mise au rancart de celles-ci. sinombre de changements dans les organisations de travail se terminent en queuede poisson, c'est souvent qu'on ne prend pas assez en compte ce capital decompétences invisibles porté par les personnes, les groupes et les collectifs. Lastratégie de transfert consistera ici à nouer des rapports de sens entre les nou-velles compétences et les façons de faire qui les précèdent tout en amorçant unprocessus visant à accroître le < pouvoir-de-faire > des personnes, des groupesou des collectifs. c'est là I'idée de réseaux sociotechniques autonomes qui sedéploient à I'intérieur d'une organisation qualifiante. Dans cette optique, là for-mation de base apparaît davantage comme une matrice culturelle que I'ons'appropriera tout au long de sa vie19 grâce aux intentions, aux stratégiés et auxespaces de réalisation de son identité sociale et professionnelle qui seront stimu-lés par une << vie élargie ".

Q : Comrnent se conçoit le transfert de connaissances sous l'angled'une stratégie de changements ?

Les stratégies de changement partant du haut vers le bas sont la façondominante de faire les choses actuellement. ce modèle part du principe qu'en

19. Non plus seulement à I'intérieur du cadre étroit d'une formation initiale dite oblieatoire.

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acquérant de nouvelles connaissances et en travaillant sur quelques attitudesfavorables au changement, les personnes qui ont suivi ces sessions de formationvont retourner dans leur milieu de pratique et changer leur façon de faire etd'agir, entraîner d'autres personnes dans leur sillage et, à terme, provoquer deschangements majeurs dans leur situation de vie ou de travail. Ce modèle a deprofondes racines culturelles. Par exemple, la colonisation des Amériques rap-pelle qu'il y a eu de nombreux transfefts spécifiques des autochtones vers lesEuropéens, tels que la culture du maïs, du tabac, de la tomate, de plusieursmédecines douces. Cependant, c'est, dans l'ensemble, le modèle de haut en basqui a prévalu, notamment en dépossédant ces peuples de leur mémoire histo-rique, de leur identité, de leur âme collective pour leur imposer une culture etun mode de connaissance autres. C'est ce modèle de haut en bas que I'on mobi-lise encore pour régler les problèmes contemporains, par exemple en recom-mandant de donner un programme de formation spécifique qui, croit-on, vacontribuer à modifier les façons de penser et d'agir dans le sens souhaité. Cemodèle, il faut Ie dire, donne bien peu de résultats du point de vue du transfertparce que, tout simplement, il repose sur une théorie fausse du changement.

Le changement est davantage une problématique situationnelle, straté-gique et pragmatique. Cette façon d'aborder le changement ne s'oppose pas àce que I'on fasse par le haut la promotion de certaines théories, de certainsconcepts et de certaines attitudes. Cependant, le véritable changement se feraprès de I'action : en identifiant auprès de qui il importe en priorité de faire por-ter l'interuention ; en dégageant un consensus avec ces personnes sur ce qui vaet sur ce qui ne va pas dans leurs pratiques ; en développant avec ces personnesune vision partagée de ce qu'il conviendrait de faire ; en s'assurant d'un sou-tien, surtout hiérarchique, en ce qui conceme ce consensus et cette vision pafta-gée à propos de ce qu'il convient de faire ; en travaillant, avec ces personnes,sur des habiletés et des contenus spécifiques peu nombreux mais significatifs dupoint de vue des situations fréquentes qu'ils rencontrent ; en étendant ce proces-sus à d'autres membres du schème d'action : en identifiant. au fur et à mesureI'acquisition de nouvelles capacités, les obstacles qu'il faut lever pour continuerà aller de I'avant ; en formalisant ou en institutionnalisant, de temps à autre, cestransformations de façon à stabiliser les acquis, ce qui permet aussi de < mesu-rer o le chemin parcouru ; en poursuivant la stratégie d'ajustement sur d'autresplans ou vers de nouveaux contenus ou de nouvelles habiletés à maîtriser.

Q : Qu'arrive-t-il arcx connaissances qui ne sont pas transfiérées ?

Souvent on lit ici et là qu'environ 80 7o des contenus des programmes deformation continue ne sont pas transférés. Cependant, ce chiffre ne dit rien dela qualité des 20 7o qui seraient transférés, non plus de ce qu'il advient des 80 7o( non transférés >. D'ailleurs, une partie, plus ou moins grande, du programmede formation peut être transformée en transfert négatif. C'est ce qui se passeIorsque des personnes retournent à leurs pratiques quotidiennes et constatentqu'elles ne peuvent pas déployer leurs nouvelles capacités. De façon générale,

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les organisations de travail se préparent assez peu à canaliser le potentiel despersonnes qu'elles envoient en formation. Ces personnes retournent au travail,constatent que rien ne change ou que rien ne peut changer, se placent en<< attente >> et finissent par se dire que tout cela a été une perte de temps.

D'autres contenus de formation ne se transformeront pas en transfertsnégatifS, mais en transferts neutres ou vides. Ainsi, bon nombre de contenus deformation sont traités comme non pertinents, soit parce qu'ils proposent tropd'informations, soit qu'ils sont introduits au mauvais moment ou encore parceque les adultes les interrogent en fonction de leurs pratiques et estiment qu'ilsleur seront peu ou pas utiles ou qu'ils s'opposent aux valeurs professées ou pra-tiquées par leur schème d'action. De même, bon nombre de contenus de forma-tion peuvent être inutilisés simplement parce que les personnes n'ont pas lescompétences ou la maturité pour les accueillir.

Dans le cas d'un transfe( positif potentiel, il faut admettre que certainscontenus de formation peuvent être disponibles pour un transfert mais qu'ilssont encore peu intégrés au sein d'un schème d'action. Souvent ces nouvellesconnaissances ne font pas contact avec certains savoirs pratiques qui permet-traient effectivement de les mettre en ceuvre. Les personnes connaissent lesconcepts, mais ne savent ou ne ressentent pas où, quand et corTrment les utiliser.De même, il se peut que les personnes soient tentées de revenir à un ancienschème d'actiôn, d'autant plus que le nouveau peut faire I'objet de pressionsdéfavorables à son utilisation ou encore s'avérer plus difficile à mettre en æuvreque prévu.

Finalement, quant aux 20 Va de transferts positifs reconnus, il s'agit pro-bablement là des contenus les plus faci les à transférer. Dans les sociétésmodernes, ces contenus sont souvent les techniques qui se limitent à la manipu-lation d'objets ou de machines en fonction d'utilisations très spécifiques. Avecla < dématérialisation >> des techniques et leur nécessaire insertion dans desréseaux sociaux complexes, ce genre de transfert tend toutefois à disparaître.D'autres connaissances seront aussi plus faciles à transférer lorsqu'elles corres-pondent aux valeurs et façons de faire dominantes dans nos sociétés. Desconnaissances qui répondent à des valeurs individualistes teintées d'humanismeet exemptes d'un formalisme scientifique trop poussé seront plus faciles à trans-férer, car elles s'inscrivent dans I'air du temps. Ce genre de transfert est davan-tage le reflet d'un mode de consommation culturelle que d'une véritable straté-gie de changement.

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Page 179: De la formation au métier

Lexique

Affect : hocédé cognitif de saisie et de traitement d'informations qui privilégie lesémotions, les sentiments, les intuitions. Les affects peuvent s'extérioriser par lebiais des styles, des motif's, des modes de vie, des symboles d'appartenance.

Analogie : Activité cognitive qui met en évidence certaines ressemblances entreune situation source, familière, et une situation cible, souvent moins familière. Parexemple, une analogie enne le jeu d'échecs et Ia stratégie militaire.

Ancrage : Mécanisme par lequel s'élaborent les conduites et la constitution de rap-ports sociaux à I'intérieur d'un modèle d'action. L ancrage réunit les composantesintentionnelles et contextuelles d'un schème d'action.

Apprentissage : Processus par lequel une personne, un groupe ou un collectif amé-liore de façon continue son adhésion à un schème d'action en y intégrant de nou-velles connaissances ou en recadrant des savoirs déjà acquis.

Appropriation : Processus actif et créatif, réglé sur le niveau d'attentes et d'aspira-tions de personnes, de groupes ou de collectifs, qui consiste à transformer lesconnaissances (transposition. conversion, tdaptation, reformulation, réinven-tion...) pour les fins de la pratique. Le niveau d'attentes et d'aspirations se traduitsur une échelle sémantique telle que sensibiliser, familiariser, initier, maîtriser.

Champ symbolique : Représentation sociale signifiante d'une réalité ou d'un phé-nomène qui compone, au niveau diachronique, un réservoir collectif de savoirs etd'expériences accumulés et ordonnés selon une certaine logique et, au niveausynchronique, un ensemble interrelié et consistant d'explications spontanées quirendent compte de la transformation de I'expérience cognitive, esthétique, éthiqueet affective en représentation de cette expérience.

Changement : Variance à I'intérieur d'une situation familière qui peut provenir denouvelles connaissances, de modifications physiques ou normatives ou encore deprocessus internes aux personnes, aux groupes ou au collectifs (par exemple :maturation, recadrage, satori...). Les plus fréquents changements dans les sociétésmodernes ont été, jusqu'à présent, d'ordre sociotechnique (c'est-à-dire ajouts denouvelles connaissances, principalement sous forme de techniques).

Changement sociotechnique : Mise en place d'une approche qui permet un ajuste-ment émotionnel et une adhésion volontaire de personnes, de groupes ou de col-

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Page 180: De la formation au métier

lectifs par rapport à de nouvelles connaissances techniques ou scientifiques. Cette

approche, longtemps dominée par I'idée externe et < objective > de progrès, véhi-

cuie désormais des représentations, des mots clés, des injonctions, des modes

d'être et de faire, des impacts, des significations permettant à chacun d'accéder à

une compréhension opérante pour lui.

Communication : Processus par lequel des personnes, des groupes ou des collectifs

créent ou échangent des informations dans le but d'atteindre une compréhensionmutuelle.

compétence : Reconstruction, au sein d'un espace public (par exemple des pro-

grammes d'enseignement), des procédés d'objectivation se déroulant au sein de

ichèmes d'action. La compétence se prête à certaines formes de comparaisons et

de compétitions à partil de conséquences recherchées ou valorisées par une com-

munauté donnée.

Concept : Procédé cognitif de saisie et de traitement d'informations qui privilégie

les idées et les catégorisations allant du particulier au général. l-es concepts peu-

vent s'extérioriser en modèles abstraits, en théories, en algorithmes.

Connaissance : Produit socioculturel relativement formalisé et décontextualisé qui

favorise, à divers degrés, une action à distance.

Connexion : Degré de liaison entre les composantes d'un schème d'action'

Contexte : Découpage thématique du monde vécu de personnes, de groupes ou de

collectifs'comportant des dimensions objectives (conditions physiques, maté-rielles...), sociales (rapports sociaux, division du travail...) et subjectives (partici-

pation, adhésion...).

Création : Mode de dépassement à caractère synergique qui consiste à mobiliser

des compétences multiples et I'imaginaire de personnes, de groupes ou de collec-

tifs pouifaire émergeide nouvelles combinaisons de connaissances, d'informa-

tions, de techniques, de matériaux symboliques.

Design : Amalgame de fonctions et de significations à l'intérieur d'un objet. Par

exemple, unâesigtt de fonnation (obje$ intégrera plusieurs fonctions (accueil,

suivi,-encadrement, évaluation) et plusieurs significations (qualité, productivité,

accomplissement personnel, engagement social).

Diversité : Degré de différenciation entre les composantes d'un schème d'action'

Esthétique : Expérience de relations prégnantes unissant des composantes à un tout

et le tôut à ses composantes. Cette expérience peut être approchée à partir de

considérations telles que la simplicité, l'équilibre, la symétrie, le rythme, I'harmo-

nie, la cohérence interne. L expérience esthétique peut hanscender lejugement et

I 'activité cognitive.

Éttrique : Activité de jugement qui s'acquiert par I'expérience de faire un avec I'autre.

Évolution sociale : Mise en perspective temporelle de I'expérience humaine à partir de

grands paramètres sociotechniques. Ainsi, il est possible de procéderà un découpage

àe I'hisloire en privilégiant la rationalité instrumentale et la notion de progrès tech-

nique. On obtient alorsla séquence suivante : féodalisme, révolution industrielle, so-

ciéte ael'information... D'autres mises en perspective sont possibles lorsqu'on pri-

vilégie d'autres paramètres, par exemple celui d'équil ibre écologique ou de

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développement cyclique (mis surtout en avant par le mouvement écologique et celuidu .. nouvel âge "

qui décrit notre époque comme étant celle de l'ère du Verseau, soitune époque de mutations et de changements paradigmatiques profonds). Le choixd'une mise en perspective plutôt qu'une auEe a un eftèt considérable sur le type decompétences retenues et valorisée s par une société.

Figures de la rationalité : Formes globales intégrant des composantes éthiques,esthétiques, spirituelles, techniques, scientif iques, archétypales..., en fonctiond'une anticipation complexe de I'avenir.

Formation minimaliste : Modèle de formation privilégiant I'intervention et le gui-dage, en basant ceux-ci sur les perceptions, le fonctionnement cognitif, les modesd'inférence des personnes en processus d'apprentissage. Ce type de modèle pré-conise une réduction radicale des contenus de formation, recourt davantage à lapratique, facilite I'exploration active à pârtir de ce que les adultes jugent pertinent.propose des activités signifiantes, procure un soutien qui tient compte des erreursles plus fréquentes et du contexte de formation.

Identité sociale : État reconnu qui se définit par des paramètres de temps etd'espace que des personnes, des groupes ou des collectifs occupent (exemples :identité civile, identité juridique, identité organisationnelle, citoyenneté...). I- iden-tité est aussi un processus qui contribue à ce que des personnes, des groupes oudes collectifs développent leur potentiel et atteignent des niveaux de fonctionne-ment qualitativement plus élevés.

Imaginaire social : Espaçe de I'expérience humaine orientée vers une anticipationcontinue des ouvertures et des possibilités qui sont contenues dans le déploiementdes schèmes d'action ou des organisations humaines.

Impact : Conséquence recherchée ou observée lors d'un transfert de connaissances.Par exemple, dans une entreprise, les impacts d'un transfert peuvent être mul-tiples : hausse de la qualité des produits ou des services, diminution de I'absen-téisme, diminution des accidents au travail, meilleur entretien et utilisation desoutils, accroissement de la productivité, diminution du nombre de griefs, etc.

Intégration : Degré plus ou moins grand de liaison et de cohésion entre les compo-santes d'un schème d'action.

Intentionnalité : Visées rationnelles, stratégiques et esthétiques de personnes, degroupes ou de collectifs qui s'effectuent à partir des formes matérielles, relation-nelles et symboliques d'une situation.

Masse critique : État de proximité et nombre d'intenelations au sein d'un schèmed'action, lesquels favorisent l'émergence de nouvelles combinaisons et de nou-velles connexions.

Médiations sociales : Processus variés par lesquels des informations, des connais-sances, des compétences sont choisies, connectées, coordonnées et synchroniséesdans ie but d'élever les capacités d'appropriation, de transformation et d'amélio-ration de personnes, de groupes ou de collectifs.

Métaphore : Rapprochement ou comparaison entre deux choses qui permet de sai-sir une idée de manière plus percutante (exemple : Pierre a un caractère de chience matin...).

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Modèle : Représentation simplifiée d'un objet ou d'un phénomène qui en fàcilitel'étude. Un modèle identifie et retient certains aspects essentiels de I'objet ou duphénomène considéré et construit des relations signifiantes (par exemple causales,structurelles, interprétatives...) entre ces aspects.

Modernité : Forme globale de régulation culturelle qui imprègne les schèmesd'action et les pratiques.

Monde vécu : Arrière-plan d'un schème d'action fait de convictions, de savoirs, deconnaissances, de croyances à partir desquels les acteurs pensent et agissent.

Objectivation : Capacité consistant à sélectionner et à fédérer, en un tout applicableet adapté à une situation, des savoirs, des habiletés et des attitudes. Cette capacitérésulte d'un processus d'adhésion à un groupe ou à un collectif partageant despratiques comrnunes. L'objectivation réunit les composantes sociocognitives(savoir et identité) d'un schème d'action.

Percept : Procédé cognitif de saisie et de traitement d'informations qui privilégieles iensations, le côncret, le tangible. Les percepts peuvent s'exiéri,criserénmodèles d'intervention, en techniques, en manipulations kinesthésiques.

Pertinence : Refbrmulation, au sein d'un espace public (exemple : un projet de for-mation), des procédés d'ancrage efficaces au sein de schèmes d'action. La perti-nence se prête à la mobilisation de ressources de sens permettant d'élargir la com-préhension des personnes, des groupes ou des collectifs, notamment en mettanten relation leurs activités au jour le jour avec un imaginaire social.

Pouvoir-de-faire : Espace de réalisation consenti au sein de schèmes d'action auxpersonnes ou aux groupes. Cet espace de réalisation peut être étroit ou ample.Etroit, si les pressions à la conformité sont grandes, si la pensée dominante estlinéaire, dogmatique, rigide et se polarise autour d'absolus, si I'on cherche à éli-miner les différences, si on impose les façons de voir et de faire, si on punitI'erreur. Ample, si I'on encourage l'originalité, si on favorise une pensée globale,souple, versat i le tout en valor isant I 'a t te inte de consensus, s i on propose etexplique les choix, si on négocie et chemine ensemble, si on respecte les diffé-rences, si on tolère I'eneur.

Pragmatique : Approche qui privilégie une analyse de la signification d'une actionà partir des usages ou des conséquences auxquels elle conduit.

Pratique : Organisation d'un milieu de vie autour d'un ensemble de règles, denorrnes (conduites encouragées ou défendues), de croyances, de valeurs (ce qu'onconsidère corrme important) et de présuppositions (opinions sur les causes et lesconséquences à propos des attitudes et gestes de chacun).

Praxéologie : Science de I'action efficace.

Praxis : Pratique orientée vers un objectif ou une finalité se présentant coffrme unétat idéal.

Processus : Série de changements à travers lesquels un objet ou un phénomène sedéveloppe.

Rationalité : Capacité de mobiliser, au sein d'une situation, les meilleurs argumentssusceptibles de convaincre quelqu'un sans contrainte autre que la force d'obligationvéhiculée parces arguments. La rationalité se déploie de façon différente selon qu'il

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s'agit du monde objectif (sciences et techniques), du monde social (coordination desactivités humaines, normes) ou du monde subjectif (motifs, opinions, désirs, at-tentes). Autrement dit, les meilleurs arguments du monde objectif n'auront pas né-cessairement la même force d'obligation dans le monde social, et ainsi de suite.

Réflexivité : Reconstruction rationnelle des conditions optimales entourant la trans-formation et I'usage de connaissances à l'intérieur de schèmes d'action.

Représentation sociale : Matrice sociocognitive qui s'élabore dans la communica-tion humaine et qui agence les idées, les mots, les images, les perceptions en unmodèle figuratif stylisé. La représentation sociale conribue à I'intégration desconnaissances dans les prat iques. Les savoi rs const i tuent un importantsous-ensemble des représentations sociales.

Savoir : Schème d'interprétâtion cumulatif et perfectible qui permet aux personnes,aux groupes ou aux collectifs qui le partagent d'appréhender, de manière viable,le monde qu'ils expérimentent familièrement, et ce, dans ses dimensions objec-tives. sociales et subjectives.

Savoir expert : Savoir tbnnalisé qui repose sur quatre modes reliés les uns auxautres, soit un mode d'appréciation (les fonctions et les activités qu'il faut réuniret coordonner pour accornplir quelque chose), un mode de régulation (com-prendre la variation, la stabilité, les régularités et les irrégularités entourant uneactivité), un mode d'inférence (comprendre et prédire à partir des infbnnations,des connaissances et des condi t ions d isponib les) et , f ina lement , un modesocio-affectif (comprendre les interactions et les réactions des personnes lors dudéroulement d'une activité). Chaque profession possède ces quatre modes, maisdans des proportions et des articulations qui lui sont propres.

Schème : Noyau d'explications d'un phénomène qui a une forme logique ainsi quedes procédures et des techniques particulières de mise en æuvre. En tout, sixschèmes sont identifiables dans l'étude des phénomènes humains : le schème cau-sal, le schème fonctionnel, le schème structural, le schème herméneutique, leschème actanciel et le schèrne dialectique.

Schème d'action : Ensemble de personnes en interactions qui mobilisent des capa-cités socio-cognitives (savoirs et identités sociales) pour mettre celles-ci au ser-vice de visées stratégiques (intentions et contexte) dont I'atteinte est vérifiée parcertaines conséquences ou effets recherchés dans une situation.

Signification : Phénomène complexe lié à I'intersubjectivité qui peut se manifesterselon quatre modes, so i t un mode cogni t i f (mise en re lat ion de I 'expér iencehumaine avec un monde plus vaste comprenant le passé, le futur, le possible,l ' idéal...), un mode d'efficience (buts et objectifs associés aux activités person-nelles, sociales ou professionnelles), un mode constitutif (association de plusieurssignifications qui donnent une existence intrinsèque à des institutions ou à desorganisat ions humaines ; pensons à la Const i tu t ion d 'un pays ou à la miss iond'une entreprise) et, finalement, un mode communicationnel (partage à travers letemps de significations qui amènent la création d'un fonds commun ainsi que lepedectionnement ou le dépérissement de certaines significations).

Situation : Expression d'un contexte en fbnction de formes sociotemporelles pré-cises (situation de fornration, situation de travail...).

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Style : Modalité d'intégration propre à une personne, à un goupe ou à un collectiflors d'un processus qui se présente comme la mise en æuvre de pratiques.

Symbole : Objet, activité ou formes expressives qui représentent en fait quelquechose d'autre (par exemple, un drapeau, une devise, un hymne national sont dessymboles qui représentent un pays).

Synergie : Forme de coopération où le tout est plus grand que la somme de ses parties.

Système : Partie de I'activité sociale qui n'est pas directement sous le contrôle depersonnes, de groupes ou de collectifs. Par exemple, les activités du système éco-nomique, ou encore les activités bureaucratiques d'un système étatique.

Tlansfert de connaissances : Utilisation, dans un nouveau contexte, de connais-sances acquises préalablement par des personnes, des groupes ou des collectifs.Ce nouveau contexte peut être une nouvelle situation de formation ou bien unesituation de la vie de tous les jours.

Transfert positrl, Connaissance antérieure qui facilite de nouveaux apprentissages.Transfert négatif. Connaissance antérieure qui inhibe ou interfère avec de nou-veaux apprentissages.Transfert vertical. Connaissance subordonnée qui contribue directement à unapprentissage d' ordre supérieur.Transfert horizontal. Généralisation d'une connaissance à un ensemble de situa-tions.Transfert l i ttérut\. Uti l isation dans un autre contexte d'une connaissance sansaucune modification de celle-ci.Transfert analogique. Utilisation de certaines connaissances familières pour abor-der et comprendre une situation non familière.Transfert spécffique. Lorsque les connaissances proposées dans une situationd'apprentissage cherchent à correspondre le plus fidèlement possible à la situationde transfert envisagée. Par exemple, apprendre le pilotage d'un avion dans unsimulateur de vols.Transfert général. Lorsque les connaissances acquièrent une grande indépendancepar rappofi à leur subsnat d'acquisition, ce qui les rend potentiellement utilisablesdans d'innombrables situations de transfert. Par exemple, apprendre les techniquesde résolution de problèmes, des méthodes de travail, des stratégies cognitives.Transfert court Translert qui réussit sous des conditions généralement peu éloi-gnées, dans le temps et dans I'espace, et différenciées de la situation d'apprentissage.Transfert /ang. Transfert qui réussit sous des conditions qui tendent à s'éloigner,dans le temps et dans l'espace, et à se diftérencier de la situation d'apprentissage.

TFansformation : hocessus par lequel des personnes, des groupes, des collectif's évo-luent vers de nouvelles façons d'agir et de penser telles que des réactions et desconduites émotives, morales, esthétiques et spirituelles, profondes et authentiques.

Utilisation : Au début d'un processus de formation impliquant des personnes, desgroupes ou des collectifs, procédé de saisie et de traitement de nouvelles connais-sances (cf. percept, concept, affect) et, à la fin de ce processus, procédé de trans-formation de ces connaissances sous formes instrumentales (décision, exécution,comportement...), conceptuelles (compréhension, modélisation, évaluation...) ouaffectives (motivation, participation, volition... ).

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es formations ne servent-elles qu'à réussir les épreuves qui les sanction-nent ? Comment les connaissances qui y sont enseignées seront-elles utili-sées efficacement plus tard, quand le formateur ne sera plus là et qu'il fau-dra affronter des si tuat ions professionnel les imprévues, prendre des

initiatives, s'adapter à des contextes nouveaux, travailler en équipe et faire face àdes di f f icul tés que l 'on ne soupçonnait pas ? Autant de quest ions qui, on enconviendra, sont tout à fait essentielles. Autant de questions qui interrogent, tout à lafois, la légitimité des institutions de formation et les pratiques pédagogiques des for-mateurs.

Louis Toupin s'affronte ici à ces problèmes et s'interroge sur les conditionsqui permettent de transférer dans l'action les connaissances acquises en formation.ll montre qu'il y a une exigence fondamentale qui impose de prendre en compte laquestion du transfert tout au long de la formation et de repenser, par là, l'acte d'ap-prentissage tout entier. ll propose, pour cela, un modèle articulant les concepts decompétence, de pertinence, de contexte et d'identité analysant à la lumière de celui-ci les différentes formes de transfefts oossibles.

Mais à terme - et au-delà des nombreuses propositions concrètes -, il per-met de penser de nouveaux modes de communication et de relation dans les orga-nisations humaines. Dès lors, la question du transfert rejoint celle de l'éthique carelle doit composer ariec les problèmes d'exclusion, de marginalisation et de recom-oosition sociale.

Les praticiens de la formation, les enseignants, les chercheurs en scienceshumaines, mais aussi tous ceux qui s'intéressent aux questions d'apprentissage etd'éducat ion, t rouveront, dans cet ouvrage, l 'occasion de faire le point sur lesconnaissances en la matière, des outils pour transformer la formation au quotidienet repenser en profondeur les enjeux terriblement actuels de la formation desnommes.

Louis Toupin est né en 1950. ll est docteur ensciences de l'éducation et travaille comme conseilleren formation auprès des entreprises et des réseauxd'éducation. ll a écrit de nombreux arlicles sur l'éduca-tion et s'est imposé, au Québec, comme I'un deshommes les plus compétents en matière de forma-tion. C'est, sans doute, qu'il est capable, en perma-nence, d'associerles préoccupations des hommes deterrain et les acquis de la recherche fondamentale.

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