cruelle vengeance

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Polar français.

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9  Il était vingt‐trois heures passées. Le vendredi était le jour des sorties, du moins pour 

les étudiants qui ne rentraient pas chez eux pour le week‐end. Pour Kevin Mougin, ce n’était pas le cas. Il avait pris du retard dans ses cours et il avait décidé de passer sa soirée à réviser. Le  campus était  relativement  calme.  Il  consulta  l’heure  à  sa montre  Festina  et décida de sortir un  instant pour prendre  l’air. Cela  faisait bientôt  trois heures qu’il planchait  sur un cours d’économie et ses neurones commençaient à saturer.  Il mit son ordinateur en veille, enfila  son  blouson  et  quitta  la  chambre.  L’endroit  où  il  se  tenait  était  plongé  dans  la pénombre,  tout  comme  la moitié  du  bâtiment  des  espaces  verts  qui  se  trouvait  à  une centaine de mètres des résidences pour étudiants. La pluie avait fait son apparition quelques minutes auparavant et le chemin était détrempé. Pourtant, le mauvais temps ne l’empêcha de faire quelques pas dans le parc et de respirer l’air frais à pleins poumons. Absorbé par la lecture  de  ses  SMS  sur  son  téléphone  portable,  il  ne  remarqua  pas  la  silhouette  sombre rôdant à travers  le parc. Soudain,  il perçut  le  faible écho d’un mouvement.  Il s’immobilisa, habité  par  un mélange  d’inquiétude  et  de  curiosité. Un  bruit  de  pas  sourd  le  tira  de  ses réflexions. 

— Il y a quelqu’un ? C’est toi, Salim ? s’écria‐t‐il. C’est à cet  instant même qu’une douleur fulgurante  lui comprima la trachée jusqu’à 

l’étouffement. Il essaya de lutter mais l’asphyxie fut instantanée et le jeune homme s’affala dans l’herbe mouillée. 

Pendant  ce  temps,  son  ami  Salim  Alhaoui  frappait  doucement  à  la  porte  de  sa chambre. Pas de réponse. Il recommença une deuxième fois, plaquant son oreille contre  la porte.  Il  n’y  avait  aucun  bruit  à  l’intérieur.  Il  était  tard  et  il  pensa  que  son  ami  devait certainement dormir. Il lui envoya un SMS avant de rejoindre sa chambre. 

 **** 

 Le lendemain matin, je fus réveillée par la sonnerie du téléphone. Le corps d’un jeune 

homme  venait d’être découvert  sur  le  campus de  l’école. C’était  la  consternation  lorsque j’arrivai  sur  les  lieux. Une  foule  d’étudiants  était  rassemblée  à  proximité  de  la  scène  de crime. Ils affichaient une expression de compassion choquée. Le visage enflé, les yeux grands ouverts, le corps gisait à proximité du bâtiment des espaces verts. Fred était déjà sur place et à ses côtés se tenait le directeur de l’école. Cédric Lonchamp avait un visage déconfit. 

— Il s’agit de Kevin Mougin, vingt et un ans, lui aussi étudiant en classe préparatoire. J’ai donné l’ordre de ne toucher à rien avant l’arrivée du légiste, annonça Fred. 

— Où est le docteur Curti ? demandai‐je, étonnée. — Il est en route, il ne va pas tarder à arriver. — Parfait. En attendant, il faut sécuriser la zone. Qui a découvert le corps ? — D’après le directeur, il s’agirait de l’employé des espaces verts. — Où est‐il ? — Il est à son travail, quelque part dans le parc. — Personne n’a pris sa déposition ? — Pas à ma connaissance. — Nous verrons ça plus tard. Voilà Philippe… Le docteur Curti arrivait, en effet. Il s’excusa de son retard, expliquant une panne de 

voiture. Il s’agenouilla près du corps puis observa au bout de quelques minutes : 

— Il a été tué par strangulation. Le sillon est profond, l’étranglement a été si violent qu’il a fortement creusé les chairs du cou. Je dirais qu’il a été étranglé avec un fil de fer ou un câble d’acier. Pour l’heure présumée de la mort, elle remonte entre vingt‐trois heures et trois heures du matin. 

J’imaginais ce  jeune homme  se débattant pour  retrouver  sa  respiration,  réunissant ses dernières forces pour chercher son souffle avant de sombrer dans  le néant. Une partie des étudiants  s’était  retirée et  les derniers  continuaient à  s’écouler  tandis que  le  fourgon mortuaire  qui  emportait  Kevin  Mougin  à  l’institut  médico‐légal  s’éloignait.  Pendant  ce temps, les techniciens de l’identité judiciaire ratissaient le terrain à la recherche d’indices. 

— Il faut que je prévienne toutes les familles ! s’exclama le directeur. — La liste est longue, rétorquai‐je. Je pense que ce serait une erreur. Vous allez créer 

un  affolement  général.  De  toute  manière,  ils  l’apprendront  par  les  médias,  car  les journalistes  ne  vont  tarder  à  se manifester. Mais,  avant  que  nous  ayons  eu  le  temps  de prendre des mesures,  il  serait  judicieux de ne pas  leur dévoiler quoi que  ce  soit. Aussi,  il serait très utile que vous en avertissiez votre personnel. Aucune  information ne doit sortir d’ici. 

— Mais  je  suis  chargé  de  la  sécurité  de  ces  étudiants,  insista  Lonchamp.  Je  dois avertir les familles. 

— On  va  procéder  autrement.  Il  se  peut  que  l’assassin  ne  soit  pas  étranger  au campus :  étudiant,  professeur  ou  personnel  de  service.  Les  profils  des  victimes  sont  bien différents, mais  son  terrain de chasse est bien défini. Pour commencer, on va condamner toutes  les  issues  extérieures,  excepté  l’entrée  principale.  Pendant  la  journée,  vous  allez mettre  en poste  l’un de  vos  surveillants. Personne n’entrera dans  l’établissement ni n’en sortira  sans votre autorisation. On dira que  c’est un  simple  contrôle,  sans entrer dans  les détails, et si quelqu’un veut voir un étudiant,  le surveillant  fera en sorte de  l’escorter. Les sorties seront interdites à partir de vingt et une heures, un peu à la manière d’un couvre‐feu. 

— Mais ce que vous exigez est impossible. Nous ne pouvons gérer autant de monde, les étudiants sont nombreux. 

— C’est un avertissement et, s’il y a manquement à la règle, ce sera à leurs risques et périls.  Dans  un  premier  temps,  vous  allez  réunir  tous  les  professeurs  ainsi  que  tous  les membres du personnel dans la salle du réfectoire puis, dans un deuxième temps, vous allez rassembler dans le gymnase tous les étudiants. 

— Cela va être difficile car nous sommes au début du week‐end et une grande partie de nos étudiants ont déjà rejoint leurs familles. 

— Lieutenant, regardez ! s’exclama l’un de nos officiers qui avait ratissé le terrain. Il me tendit un sachet à indices dans lequel se trouvait une petite boîte d’allumettes. 

Sur celle‐ci, je pus lire : « Le bistrot du Boucher, rue du Petit‐Robinson ». — Connaissez‐vous ce lieu ? demandai‐je au directeur. — Oui, c’est à deux kilomètres de là, à environ cinq minutes en voiture. — Avant tout, j’aimerais voir la chambre de Kevin. — Bien sûr. Suivez‐moi ! Le  jeune homme occupait une  chambre  individuelle  au deuxième  étage d’une des 

résidences étudiantes. Lorsque le directeur nous ouvrit la porte, nous constatâmes l’absence d’odeur de tabac. Fred et moi passâmes un bon moment à expertiser  la chambre du  jeune homme. Aucune cigarette, pas de cendrier en vue. Monsieur Lonchamp, remarquant notre surprise, précisa avant de sortir de la chambre : 

— Il est strictement interdit de fumer dans les chambres. 

Nous  fouillâmes  le bureau, espérant découvrir un  indice, mais nous n’y  trouvâmes que  les signes distinctifs d’une vie d’étudiant. Fred tomba sur  l’agenda de Kevin, qui aurait pu nous fournir des indications sur un rendez‐vous qu’il aurait pris avant sa mort. Mais rien. 

En  sortant  de  la  résidence,  nous  rejoignîmes  le  bâtiment  administratif,  où  nous attendait  le  directeur.  Dans  les  bureaux,  les  employés  affichaient  des  visages  anxieux. Mireille Lamboley, la secrétaire, lançait des regards furtifs à son patron. 

— Qui a découvert le corps ce matin, monsieur Lonchamp ? m’enquis‐je. — C’est Michel Vagnier. L’entretien du parc fait partie de ses attributions. — Et où pouvons‐nous le trouver ? — Je  l’ai aperçu  il y a cinq minutes derrière  le bâtiment de  l’infirmerie. Il doit y être 

encore. Je constatai une plaie sur la paume de la main gauche du directeur. — Vous saignez, remarquai‐je. — Oh ! Ce n’est rien, s’exclama‐t‐il. Il appliqua aussitôt un mouchoir en papier sur la blessure. — Je vous conseille de soigner votre plaie, ça pourrait s’infecter ! Nous partîmes à  la recherche de Michel Vagnier. Lors d’une enquête, quelle qu’elle 

soit, une des principales chances d’obtenir de bons témoignages est la rapidité, car plus les heures passent et plus  il est difficile d’avoir des précisions. Nous repérâmes notre homme grâce à une brouette abandonnée remplie de branches. Le jardinier, non loin de là, vaquait à ses occupations. À  l’exception de quelques mètres carrés où  l’herbe avait été arrachée,  la terre  avait  été  fraîchement  retournée  dans  tous  les  parterres  de  rosiers  situés  derrière l’infirmerie. Michel Vagnier  fourra  ses  gants dans  les poches de  sa  combinaison  avant de nous serrer la main. Son visage était luisant de sueur et ses cheveux mi‐longs étaient collés à son cou. Visiblement,  il venait d’accomplir un  travail physique qui  lui avait pris un  certain temps.  Une  bêche  à  dents  était  enfoncée  dans  la  terre meuble  et  un  coupe‐bordure  à moteur thermique était posé à ses pieds. 

— Je suis  le  lieutenant Delcourt, et voici  l’inspecteur Roussel, de  la police  judiciaire. Nous  enquêtons  sur  l’assassinat  du  jeune  Kevin  Mougin.  Monsieur  Lonchamp,  votre directeur, nous a affirmé que c’est vous qui aviez découvert le corps ce matin. Est‐ce exact ? 

— En effet, répondit Vagnier très calmement. — Quelle heure était‐il exactement ? — Sept  heures  trente.  C’est  l’heure  à  laquelle  je  commence  mon  travail.  Je  me 

rendais  au  local  dédié  au  rangement  du matériel  de  jardinage  quand  je  l’ai  vu…  C’était affreux ! 

— Et qu’avez‐vous fait à ce moment‐là ? — J’ai aperçu un groupe de  jeunes gens qui se dirigeaient vers  l’amphithéâtre et  je 

les ai appelés. Ils sont immédiatement allés prévenir le directeur. — Et ensuite ? — J’ai attendu que les jeunes reviennent accompagnés de monsieur Lonchamp. — Combien de temps ? — Environ un quart d’heure. — Ils vous ont dit pourquoi ils avaient mis tout ce temps ? — Oui, le directeur n’était pas arrivé, ils ont dû l’attendre. Ce qui est surprenant, c’est 

que sa voiture était garée sur le parking lorsque je suis arrivé ce matin. — Vous en êtes certain ? — Évidemment. Une Audi A8, il n’y en a qu’une ici. 

— Bien, nous vous remercions. Nous vous laissons travailler. Je lui tendis ma carte professionnelle qu’il glissa dans la poche de sa combinaison. — Vous  avez  mes  coordonnées  au  cas  où  vous  auriez  oublié  quelque  chose 

d’important à nous dire. Nous venions à peine de tourner  les talons que nous entendîmes  le bruit du coupe‐

bordure.  

****  À  l’intérieur  du  gymnase,  où  le  directeur  avait  réuni  une  partie  des  étudiants,  le 

souvenir  du  premier  drame  planait  encore  dans  l’air.  Je me  juchai  sur  une  estrade  pour mieux  voir  les  visages. Quiconque  avait  commis  ces  actes  inhumains  se  doutait  bien  que j’allais épier sa réaction. Assurément, il allait jouer au chat et à la souris avec moi. Je marquai une pause de  temps en  temps et  scrutai  la  salle dans  l’espoir de capter un  signe. Patricia Lanson,  l’amie de Catherine Leroux,  la première victime, était debout au premier rang. Les mains  jointes en prière et  les yeux  larmoyants, elle  croisa mon  regard.  Je  la gratifiai d’un petit  sourire.  Son  visage  s’illumina  une  fraction  de  seconde.  À  ses  côtés  se  tenait  Salim Alhaoui,  l’ami de  la deuxième victime. Comme  la plupart des autres étudiants,  il paraissait terrifié. Lorsque je terminai mon discours, je demandai s’il y avait des commentaires. À cette question,  le  rituel  était  souvent  le même.  Ici,  les  étudiants  pensaient  que  l’assassin  était peut‐être parmi eux et ils se mirent à s’observer les uns les autres dans un silence absolu. On aurait  pu  entendre  une  mouche  voler.  L’assemblée  se  dispersa  et  nous  suivîmes  le mouvement. En sortant du gymnase, je demandai à Fred : 

— As‐tu remarqué quelque chose sur leurs visages ? — Rien de particulier, sauf peut‐être un jeune homme qui se tenait au premier rang. 

Il paraissait très agité. Tu l’as probablement remarqué aussi. — En effet. Il s’agit de l’ami de la victime. Au même moment, nous vîmes s’approcher Salim Alhaoui. — Madame, m’interpella‐t‐il, vous allez retrouver l’assassin de Kevin, n’est‐ce pas ? — Nous faisons tout notre possible. Si vous savez quelque chose, il faut nous le dire. Salim me regarda avec insistance et ajouta d’une voix faible : — Je comprends maintenant pourquoi Kevin n’a pas répondu à mes appels…  Il était 

mort. J’interrogeai Fred du regard car nous n’avions pas trouvé de portable sur  la victime, 

ni ailleurs sur la scène de crime. — Vous dites que vous l’avez appelé. Quelle heure était‐il ? — Il était environ vingt‐trois heures trente, continua Salim. Je lui ai même envoyé un 

SMS. Le jeune homme nous donna le numéro de téléphone de Kevin. — Dites‐moi, Salim, est‐ce que vous fumez ? — Jamais, madame, ma religion me l’interdit. — Oui, évidemment.  

****  Nous allions utiliser la géolocalisation. Cette méthode est d’une grande aide pour les 

autorités car non seulement elle permet de  localiser une personne en détresse grâce à son 

portable, mais elle est tout aussi pratique pour retrouver un portable volé. Dans un premier temps,  nous  procéderions  par  triangulation.  Ce  système  est  un  croisement  de  données obtenues à partir de trois antennes relais permettant de localiser un portable qui se déplace. Ce moyen pouvait nous donner une  localisation précise dans un  rayon de  cent  cinquante mètres  en  zone  urbaine  et  cinq  kilomètres  en  zone  rurale.  Toutefois,  si  cette méthode s’avérait  un  échec,  dans  un  deuxième  temps,  nous  serions  amenés  à  procéder  à  une localisation d’une plus grande précision telle que le GPS. 

Quelques minutes plus tard, nous pénétrâmes dans la salle des professeurs. Elle était bondée : professeurs, secrétaires, personnel soignant, employés, tous étaient là. 

— S’il vous plaît,  intervint  le directeur général,  le  lieutenant Delcourt et  l’inspecteur Roussel  sont  ici  présents  et  ont  besoin  de  votre  coopération.  Je  vous  demande  de  les écouter attentivement. 

Je pris la parole. — Nous sommes profondément touchés par le drame qui vient de vous frapper. Nous 

sommes  ici parce que nous avons besoin de parler à chacun de vous en privé. Nous serons encadrés par d’autres officiers qui procéderont aux interrogatoires. Aussi, je vous demande de faire preuve de patience jusqu’à ce que votre tour arrive. En attendant, veuillez continuer à faire votre travail sans rien changer à vos habitudes. 

Je  mis  un  terme  à  la  réunion  et  tout  le  monde  se  dissipa  dans  un  brouhaha assourdissant.