courrier international n°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

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Les Parisiens Quelques raisons de les détester 3:HIKNLI=XUXUU[:?b@a@a@r@k; M 03183 - 1007 - F: 3,00 E AFRIQUE CFA : 2 500 FCFA - ALGÉRIE : 420 DA - ALLEMAGNE : 3,50 € AUTRICHE : 3,80 € - BELGIQUE : 3,50 € - CANADA : 5,50 $CAN - DOM : 3,80 € ESPAGNE : 3,50 € - E-U : 5,50 $US - G-B : 3,00 £ - GRÈCE : 3,50 € IRLANDE : 3,80 € - ITALIE : 3,50 € - JAPON : 700 ¥ - LUXEMBOURG : 3,50 € MAROC : 25 DH - NORVÈGE : 46 NOK - PORTUGAL CONT. : 3,50 € SUISSE : 5,80 CHF - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 4,10 DTU IRAN Neda, victime des médias RUSSIE Avec les dealers de caviar TSUNAMIS Alerte en temps réel Irak Campagne électorale explosive www.courrierinternational.com N° 1007 du 18 au 24 février 2010 - 3

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Page 1: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

Les ParisiensQuelques raisons de les détester

3:HIKNLI=XUXUU[:?b@a@a@r@k;M 03183 - 1007 - F: 3,00 E

AFRIQUE CFA : 2 500 FCFA - ALGÉRIE : 420 DA - ALLEMAGNE : 3,50 €

AUTRICHE : 3,80 € - BELGIQUE : 3,50 € - CANADA : 5,50 $CAN - DOM : 3,80 €

ESPAGNE : 3,50 € - E-U : 5,50 $US - G-B : 3,00 £ - GRÈCE : 3,50 €

IRLANDE : 3,80 € - ITALIE : 3,50 € - JAPON : 700 ¥ - LUXEMBOURG : 3,50 €

MAROC : 25 DH - NORVÈGE : 46 NOK - PORTUGAL CONT. : 3,50 €

SUISSE : 5,80 CHF - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 4,10 DTU

IRAN Neda, victime des médias

RUSSIE Avec les dealers de caviar

TSUNAMIS Alerte en temps réel

Irak Campagne électorale explosive

www.courrierinternational.com N° 1007 du 18 au 24 février 2010 - 3 €

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▶ Les plus de courrierinternational.com ◀

CARTOONSPrès de 4 500 dessins de presse à découvrirY

ARetrouvez notre dossier sur les Jeux olympiques d’hiver

SPORTVancouver 2010

sommaire●

▶ En couverture : Dessin de Jean-Philippe Delhomme pour Courrier international.

4 parmi les sources cette semaine6 éditorial par Philippe Thureau-Dangin

6 l’invité Paul Krugman, The New-York Times

8 à l’affiche

d’un cont inent à l ’autre10 dossierIRAK Le scrutin de tous les dangers

14 europeESPAGNE Tiens bon, mon pays, tu as connu pire !ZONE EURO Cherche pilote inventif et endurantSUISSE Après les minarets, haro sur les AllemandsITALIE “Je vole, donc je suis”PORTUGAL Nuit longue et blanche pour les maladesROYAUME-UNI Un médecin de garde pour 650 000 personnesROYAUME-UNI Reading ou le brassage ethnique heureuxBALKANS Quelque chose en nous de profondément ottomanGÉORGIE Une partie de l’opposition renoue avec la RussieROUMANIE Moins d’écoles, moins d’hôpitaux, plus d’églises

20 amériquesHAÏTI A Port-au-Prince, la tôle remplace la toileHAÏTI La décentralisation au cœur de la reconstructionÉTATS-UNIS Obama prêt à faire cavalier seulÉTATS-UNIS Ces Américains qui se préparent au pireARGENTINE Le dernier des grands comiquesARGENTINE Ras le bol des Kirchner !

23 asiePAKISTAN Le village qui dit non aux talibansINDE Le roi de Bollywood fait plier l’extrême droiteCORÉE DU SUD Les femmes de ménage font leur révolutionTHAÏLANDE Le retour des chemises rouges au pouvoir JAPON Etre sumo, une question d’identité nationale

26 moyen-orientSYRIE-ISRAËL Pourquoi Assad ne veut ni la paix ni la guerreÉGYPTE Choses vues dans le wagon des femmesIRAN Ce que signifierait une réforme du régime

28 afriqueMAROC Le français revient en forceCÔTE-D’IVOIRE Laurent Gbagbo impose son rythmeAFRIQUE DU SUD Les mamies se mobilisent contre le sida

enquêtes et reportages30 en couverture Les Parisiens

36 portrait Neda Soltani

38 enquête Avec les dealers de caviar

40 portfolio Soudain, la porte est ouverte

intel l igences

44 économieREPRISE Ne tuez surtout pas la reprise dans l’œuf !CRÉATIVITÉ Comment Wall Street a aidé la Grèce à tricherCOMMERCE Les chasseurs de phoques misent sur la Chine

47 sciencesPRÉVENTION Détecter instantanément les tsunamis

48 écologieÉNERGIE En Ecosse, le whisky sert à tout

49 multimédiaTÉLÉVISION Les séries vietnamiennes s’écrivent en coréen

rubriques 50 le livre Al-Yahoudi Al-Hali, de Ali Al-Muqri

50 saveurs Russie, une soupe melting-pot

51 insolites Haïti, Tahiti, c’est kif-kif

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 3 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

30En couvertureLes Parisiens : quelquesraisons de les détester

10Dossier

Irak : le scrutin de tous les dangers

29Afrique du Sud

Les mamies

se mobilisent

contre le sida

46CommerceLes chasseurs de phoque misentsur le marchéchinois

40PortfolioRegards croisés sur une guerre

À NOS LECTEURS

La semaine prochaine, le prix de vente au numéro de votrehebdomadaire passera à 3,50 euros. Une décision rendue néces-saire par l’augmentation de tous nos coûts : papier, impression,droits d’auteur, salaires, etc. La dernière augmentation remonte loin,au 4 octobre 2001 ; nous étions alors passés de 18 francs à20 francs (soit 3,05 euros). Quant à nos tarifs d’abonnement, ilsrestent inchangés pour les mois à venir.Plus que jamais, nous sommes attentifs à vous apporter chaque jeudi une information de qualité, puisée aux sources les plus variées (plus de 1 300 journaux et magazines différents).Votre fidélité, jamais démentie jusqu’à aujourd’hui, sera pour nousun encouragement à toujours mieux faire.

Courrier international

Page 4: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

les sources ●

PARMI LES SOURCES CETTE SEMAINEABC 258 000 ex., Espagne,

quotidien. Journal

monarchiste

et conservateur depuis

sa création en 1903, ABCa un aspect un peu désuet

unique en son genre :

une centaine de pages

agrafées, avec une grande

photo à la une.

AL-AHRAM WEEKLY 60 000 ex.,

Egypte, hebdomadaire. Ce

qui ne peut être publié dans

le quotidien arabophone

Al-Ahram paraît dans

cet hebdomadaire de

langue anglaise, prétendent

les mauvaises langues. Ses

pages culturelles sont de

bonne facture et il constitue

une source de première

valeur sur l’Afrique

orientale.

ASHARQ AL-AWSAT 200 000 ex.,

Arabie Saoudite, quotidien.

“Le Moyen-Orient”

se présente comme le

“quotidien international desArabes”. Edité par Saudi

Research and Marketing

– présidé par un frère

du roi –, il se veut modéré

et combat le radicalisme

arabe, même si plusieurs

de ses journalistes affichent

une sensibilité islamiste.

THE AUSTRALIAN 139 000 ex.,

Australie, quotidien.

“L’Australien” a été fondé

en 1964 par le magnat

Rupert Murdoch,

avec la promesse d’“offrirl’information objective et l’indépendance d’espritessentielles au progrès”. Avec 9 bureaux permanents

en Australie, c’est le seul

quotidien véritablement

national.

CINCO DÍAS 24 860 ex.,

Espagne, quotidien. “Cinq

Jours” est l’un des trois

quotidiens économiques

espagnols. Ce titre

du groupe Prisa a été fondé

en 1978. Il garde son statut

de quotidien de référence

malgré une situation

financière fragile due

à sa faible diffusion.

THE DAILY SHAME<http://www.dailyshame.co.

uk>, Royaume-Uni. Ce site

traite essentiellement

de l’actualité britannique,

toujours sous un angle

satirique.

THE DAILY TELEGRAPH 410 000 ex.,

Australie, quotidien.

Fondé en 1879 à Sydney,

“Le Télégraphe quotidien”

n’a aucun lien avec son aîné

londonien. Ce journal

populaire, plutôt classé à

droite, consacre beaucoup

de place au sport et au

people, ce qui ne l’empêche

pas de traiter aussi

sérieusement de l’actualité

nationale et internationale.

DIÁRIO DE NOTÍCIAS 75 000 ex.,

Portugal, quotidien. Fondé

en 1864, le “Quotidien

des nouvelles” fut l’organe

officieux du salazarisme.

Aujourd’hui, le DN est

devenu un journal que l’on

peut qualifier de centriste.

Grâce au renouvellement de

sa maquette et à ses efforts

pour divulguer une

information complète, le

titre voit son public rajeunir.

DILEMA VECHE 21 000 ex.,

Roumanie, hebdomadaire.

“Le Vieux Dilemme”

est la version enrichie du

magazine culturel roumain

Dilema, fondé en 1993.

EESTI EKSPRESS 50 000 ex.,

Estonie, hebdomadaire.

“L’Express d’Estonie” est le

premier hebdomadaire du

pays. Il a été créé en 1989,

d’où le surnom de l’équipe

fondatrice : les “perroquets

de la perestroïka”.

AL-ESBUYIA, Irak,

hebdomadaire.

“L’Hebdomadaire”

est un magazine généraliste

créé en décembre 2007.

EVENING STANDARD 272 000 ex.,

Royaume-Uni, quotidien.

Le journal des Londoniens.

Créé en 1827, ce titre

du soir publie désormais

quatre éditions tout

au long de la journée dans

la capitale britannique

et sa région. Mais, face

aux tabloïds et aux gratuits,

sa formule mélangeant

infos nationales et locales

attire moins le lectorat

jeune et urbain.

GLOBUS 50 000 ex., Croatie,

hebdomadaire. Créé au

début de l’indépendance,

journal à scandale à ses

débuts, Globe est désormais

l’un des principaux

newsmagazines généralistes

de la Croatie.

THE GUARDIAN 364 600 ex.,

Royaume-Uni, quotidien.

Depuis 1821,

l’indépendance, la qualité

et l’engagement à gauche

caractérisent ce titre

qui abrite certains

des chroniqueurs les plus

respectés du pays.

HANDELSBLATT 147 000 ex.,

Allemagne, quotidien.

Le principal journal

économique, financier

et boursier d’outre-Rhin.

Indispensable aux hommes

d’affaires allemands.

AL-HAYAT 110 000 ex., Arabie

Saoudite (siège à Londres),

quotidien. “La Vie”

est sans doute le journal

de référence de la diaspora

arabe et la tribune préférée

des intellectuels de gauche

ou des libéraux arabes

qui veulent s’adresser

à un large public.

THE INDEPENDENT 215 000 ex.,

Royaume-Uni, quotidien.

Créé en 1986, c’est l’un

des grands titres

de la presse britannique

de qualité. Il se distingue

de ses concurrents par son

indépendance d’esprit, son

engagement proeuropéen

et ses positions libérales

sur les questions de société.

AL-IRAQ AL-JADID, Irak, quotidien.

Le titre a été créé en 2003,

au lendemain la chute du

régime de Saddam Hussein.

Il est édité par le Media

and Studies Center.

ITOGUI 85 000 ex., Russie,

hebdomadaire. L’un

des principaux magazines

illustrés de Russie,

fondé en 1995 par Sergueï

Parkhomenko sur le modèle

des news magazines

occidentaux. Itoguientretenait d’ailleurs,

à l’époque, un partenariat

avec Newsweek.

Passé sous le contrôle

de Gazprom-Média

en 2001, il a gardé sa belle

allure, mais s’est dépolitisé.

AL-ITTIHAD Emirats arabes unis,

quotidien. Créé en 1969,

c’est l’un des plus vieux

médias des Emirats arabes

unis. Sous l’autorité du

ministère de l’Information

et de la Culture,

ce quotidien publie

des articles de fond rédigés

par des intellectuels souvent

critiques du monde arabe.

IZVESTIA 263 600 ex., Russie,

quotidien. L’un

des quotidiens russes

de référence, qui traite

tous les domaines

de l’actualité, les articles

étant souvent accompagnés

de bons dessins

humoristiques ;

un supplément “business”

sur pages saumon le mardi

et le jeudi.

KUL AL-IRAQ, Irak, quotidien.

Lancé en 2003, “Tout

l’Irak” est un quotidien

généraliste qui se veut

indépendant.

MAARIV 150 000 ex., Israël,

quotidien. Créé en 1948

à la veille de la création

de l’Etat d’Israël, “Le Soir”

appartient à la famille

Nimrodi. Ce quotidien,

couramment classé très

à droite, marie, à l’image

de son concurrent YediotAharonot, populisme,

analyse rigoureuse et débat.

AL-MADA Irak, quotidien.

Ce journal, fondé à Bagdad

sept mois après la chute

du régime de Saddam

Hussein, n’a pu voir le jour

qu’à partir du 5 août 2003.

Il affiche une tendance

libérale, et plusieurs

de ses journalistes

sont des ex-marxistes.

LE MATIN 7 000 ex., Haïti,

quotidien. Fondé en 1906,

le titre est réputé avant

tout pour ses rubriques

culturelles de grande

qualité. Fermé pendant

trente ans, pendant la

longue période troublée qui

s’est achevée par le départ

d’Aristide et l’élection

de Préval, il est reparu

en 2005 sous la houlette

de l’homme d’affaires

Reginald Boulos.

AL-MUSTAQBAL 10 000 ex.,

Liban, quotidien. Fondé

en 1999 et spécialisé dans

la politique, “L’Avenir”

appartient à l’empire

médiatique de l’ex-Premier

ministre libanais

Rafic Hariri (assassiné

le 14 février 2005).

LA NACIÓN 185 000 ex.,

Argentine, quotidien.

Fondé en 1870 par

l’ex-président Bartolomé

Mitre (1862-1868), le titre

est une institution de

la presse argentine destiné

aux élites. Il présente

une rubrique internationale

de qualité qui contribue

à sa réputation.

NEW STATESMAN 26 000 ex.,

Royaume-Uni,

hebdomadaire. Depuis

sa création, en 1913,

cette revue politique, aussi

réputée pour le sérieux

de ses analyses

que pour la férocité de ses

commentaires, est le forum

de la gauche indépendante.

LE NOUVELLISTE Haïti, quotidien.

Fondé en 1898, c’est le plus

ancien journal francophone

des Amériques.

“De tendance centre droit, ils’attache à cultiver un amourprofond pour Haïti et n’a jamais donné son appuià aucun parti politique”,précise son directeur,

Frantz Duval.

NRC HANDELSBLAD 254 000 ex.,

Pays-Bas, quotidien. Né en

1970, le titre est sans

conteste le quotidien de

référence de l’intelligentsia

néerlandaise. Libéral

de tradition, rigoureux

par choix, informé

sans frontières.

EL PAÍS 392 000 ex.

(777 000 ex. le dimanche),

Espagne, quotidien. Né en

mai 1976, six mois après la

mort de Franco, “Le Pays”

est une institution. Il est le

plus vendu des quotidiens

d’information générale

et s’est imposé comme

l’un des vingt meilleurs

journaux du monde. Plutôt

proche des socialistes,

il appartient au groupe

de communication PRISA.

LE PAYS 20 000 ex., Burkina

Faso, quotidien. Fondé en

octobre 1991, ce journal

indépendant est rapidement

devenu le titre le plus

populaire du Burkina Faso.

Proche de l’opposition,

il multiplie les éditoriaux

au vitriol.

PÚBLICO 250 000 ex.,

Espagne, quotidien. Lancé

en septembre 2007,

le titre est dans le paysage

de la presse nationale le

plus important quotidien

de gauche après El País. S’il

ne publie pas d’éditorial,

il consacre chaque jour

au moins deux pages

à des articles d’opinion

et à des tribunes libres.

LA REPUBBLICA 650 000 ex.,

Italie, quotidien.

Né en 1976, le titre se veut

le journal de l’élite

intellectuelle et financière

du pays. Orienté à gauche,

avec une sympathie affichée

pour le Parti démocrate,

il est fortement critique

vis-à-vis du président du

Conseil, Silvio Berlusconi.

ROMÂNIA LIBERA 54 000 ex,

Roumanie, quotidien.

Journal des intellectuels

et de la classe moyenne,

“La Roumanie libre”

adopte une ligne libérale

et indépendante.

Créé en 1877, favorable

à l’opposition toutes

tendances confondues

et par conséquent critique

envers le gouvernement,

le titre est l’un des trois

quotidiens les plus lus

du pays.

SCIENCE NEWS 200 000 ex.,

Etats-Unis, hebdomadaire.

Fondé en 1922 sous le nom

de Science News-Letter, le magazine se présente

aujourd’hui comme

l’unique newsmagazine

consacré à la science aux

Etats-Unis. L’information

est condensée, complétée

par de très nombreuses

références à des travaux

universitaires.

SISA IN, Corée du Sud,

hebdomadaire. Le titre a

été créé en septembre 2007

par des journalistes

qui ont quitté

l’hebdomadaire Sisa journal,au terme d’un conflit

d’un an provoqué

par la censure imposée

par les gestionnaires

au sujet d’un reportage

sur le groupe Samsung.

SÜDDEUTSCHE ZEITUNG430 000 ex., Allemagne,

quotidien. Né à Munich, en

1945, le journal intellectuel

du libéralisme de gauche

allemand est l’autre grand

quotidien de référence

du pays, avec la FAZ.

THE SUNDAY INDEPENDENT 40 200 ex.,

Afrique du Sud,

hebdomadaire. Distribué

surtout dans les grandes

villes, il a été fondé en 1995

et s’adresse principalement

aux lecteurs de la

bourgeoisie, noire et blanche,

avec une orientation

clairement libérale. Le

journal appartient au groupe

Independent News

and Media.

DIE TAGESZEITUNG 60 000 ex.,

Allemagne, quotidien. Ce

titre alternatif, né en 1979

à Berlin-Ouest, s’impose

comme le journal

de gauche des féministes,

des écologistes

et des pacifistes… sérieux.

LE TEMPS 49 000 ex., Suisse,

quotidien. Né en

mars 1998 de la fusion

du Nouveau Quotidien et du

Journal de Genève et Gazettede Lausanne, ce titre de

centre droit, prisé des

cadres, se présente comme

le quotidien de référence

de la Suisse romande.

THANH NIÊN 400 000 ex.,

Vietnam, quotidien.

Créé en 1986, ce journal

est une publication de la

Fédération nationale de

la jeunesse. Apprécié pour

la qualité de ses reportages

et de ses enquêtes, ThanhNiên, auquel collaborent

une centaine de journalistes

et correspondants

à l’étranger, figure

parmi les journaux les plus

lus du Vietnam.

TIME 6 000 000 ex.,

Etats-Unis, hebdomadaire.

Fondé en 1923,

l’hebdomadaire américain

au plus fort tirage est

devenu l’un des

monuments de la presse

mondiale. Ses reportages,

ses images chocs – ou

encore le numéro toujours

très attendu dans lequel

est désigné l’homme de

l’année –, ont contribué

à construire sa légende.

THE TIMES 618 160 ex.,

Royaume-Uni, quotidien. Le

plus ancien des quotidiens

britanniques (1785) et

le plus connu à l’étranger

appartient depuis 1981

à Rupert Murdoch. Il a

longtemps été le journal

de référence et la voix de

l’establishment. Aujourd’hui,

il a un peu perdu de son

influence et les mauvaises

langues l’accusent de refléter

les idées conservatrices

de son propriétaire.

DE VOLKSKRANT 310 000 ex.

Pays-Bas, quotidien. Né en

1919, catholique militant

pendant cinquante ans,

“Le Journal du peuple”

s’est laïcisé en 1965

et est aujourd’hui la lecture

favorite des progressistes

d’Amsterdam, bien qu’ils

se plaignent beaucoup

de sa dérive populiste.

AL-ESBUYIA, Irak, hebdomadaire. “L’Hebdo-madaire” est un magazine généraliste édité àBagdad. Il a été créé en décembre 2007.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 4 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

FRANCE INTER : LA DIFFÉRENCE.

franceinter.com

EUROPE

Pho

to :

C. A

bram

owitz

José-Manuel Lamarque et Emmanuel Moreau, les samedis à 19h30 avec Gian Paolo Accardo de Courrier International.

20/02/10 : l'Europe à la Une27/02/10 : Athènes, Danielle Mitterrand rencontre Mikis Theodorakis

Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €

Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA.Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication ;

Régis ConfavreuxConseil de surveillance : David Guiraud, président ; Eric Fottorino, vice-président

Dépôt légal : février 2010 - Commission paritaire n° 0712C82101ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France

RÉDACTION6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13

Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16)Directeur adjoint Bernard Kapp (16 98)Rédacteur en chef Claude Leblanc (16 43)Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54),Raymond Clarinard (16 77)Chefs des informations Catherine André (16 78), Anthony Bellanger (16 59) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme, Marie Varéon (16 67)Europe Odile Conseil (coordination générale, 16 27), Danièle Renon (chef de serviceadjoint Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Emilie King(Royaume- Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70), Anthony Bellanger (France,16 59), Marie Bélœil (France, 17 32), Gian-Paolo Accardo (Italie, 16 86), DanielMatias (Portugal, 16 34), Adrien Chauvin (Espagne 16 57), Iwona Ostapkowicz(Pologne, 16 74), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke deBoer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Solveig Gram Jensen (Danemark), AlexiaKefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède),Laurent Sierro (Suisse), Alexandre Lévy (Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas(Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), GabrielaKukurugyova (Rép. tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie,Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie,Est de l’Europe Laurence Habay (chef de service 16 36), Alda Engoian (Caucase,Asie centrale), Philippe Randrianarimanana (Russie, 16 68), Larissa Kotelevets(Ukraine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord, 16 32),Bérangère Cagnat (chef de rubrique Etats-Unis, 16 14), Marc-Olivier Bherer (Canada,Etats-Unis, 16 95), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76),Anne Proenza (Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki(chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour,Taïwan, 16 39), Naïké Desquesnes (Asie du Sud, 16 51), François Gerles (Asie duSud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak(Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient MarcSaghié (chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby(Egypte, 16 35), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), PierreVanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre Lepidi (16 29), Anne Collet (Mali, Niger, 1658), Philippe Randrianarimanana (Madagascar, 16 68), Hoda Saliby (Maroc,Soudan, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Sophie Bouillon (Afrique du Sud) Débat,livre Isabelle Lauze (16 54), Roman Schmidt Economie Pascale Boyen (chef deservice, 16 47) Multilatéral Catherine André (chef de service, 16 78) MultimédiaClaude Leblanc (16 43) Sciences Anh Hoà Truong (16 40) Insolites Claire Maupas(chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz(chef de rubrique, 16 74)Site Internet Olivier Bras (éditeur délégué, 16 15), Marie Bélœil (rédactrice,17 32), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Mouna El-Mokhtari (webmestre,17 36), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Jean-Christophe Pascal (webmestre(16 61) Mathilde Melot (marketing, 16 87), Jalil HajjajAgence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97), Caroline Marcelin,Emmanuelle Morau (16 62)Traduction Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), IsabelleBoudon (anglais, allemand), Geneviève Deschamps (anglais, espagnol), FrançoiseEscande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen),Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol),Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-DungPhan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon(allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, PhilippeCzerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Anne Doublet(16 83), Lidwine Kervella (16 10)Maquette Marie Varéon (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Pétricca, Denis Scudeller, JonnathanRenaud-Badet, Alexandre Errichiello Cartographie Thierry Gauthé (16 70)Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation)Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon)Informatique Denis Scudeller (16 84)Fabrication Patrice Rochas (directeur) et Nathalie Communeau (directriceadjointe, 01 48 88 65 35). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes.Routage : France-Routage, 77183 Croissy-BeaubourgOnt participé à ce numéro Marianne Bonneau, Melody Boyer, Valérie Brunissen,Irène Cavallaro, Valéria Dias de Abreu, Cécile Leclerc, Françoise Liffran, MarinaNiggli, Jean Perrenoud, Costas Pitas, Ysana Takino, Anne Thiaville, EmmanuelTronquart, Zaplangues, Zhang Zhulin

ADMINISTRATION - COMMERCIALDirecteur délégué Régis Confavreux (17 46). Assistantes : Sophie Daniel (16 52)Sophie Jan (16 99), Natacha Scheubel. Responsable contrôle de gestion :Stéphanie Davoust (16 05), Julie Delpech de Frayssinet (16 13)Responsable des droits : Dalila Bounekta (16 16). Comptabilité : 01 48 88 45 02Relations extérieures Victor Dekyvère (16 44) Partenariats Sophie Jan (16 99)Ventes au numéro Directeur commercial : Patrick de Baecque. Responsablepublications : Brigitte Billiard. Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chefde produit : Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusioninternationale : Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22). Promotion : Christiane MontilletMarketing, abonnement Pascale Latour (directrice, 16 90), Sophie Gerbaud (1618), Véronique Lallemand (16 91), Sweeta Subbamah (16 89), Sophie Rousseaux(17 39) Publicité Publicat, 7, rue Watt, 75013 Paris, tél. : 01 40 39 13 13. Directricegénérale : Brune Le Gall. Directeur de la publicité : Alexandre Scher <[email protected]> (13 97). Directrices de clientèle : Karine Lyautay (14 07), Claire Schmitt(13 47), Kenza Merzoug (13 46). Régions : Eric Langevin (14 09). Culture : LudovicFrémond (13 53). Littérature : Béatrice Truskolaski (13 80). Annonces classées : CyrilGardère (13 03). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97) Publicité siteInternet i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris, tél. : 01 53 38 46 63. Directeurde la publicité : Arthur Millet, <[email protected]> Modifications de services ventesau numéro, réassorts Paris 0 805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146Abonnements Tél. de l’étranger : 00 33 3 44 62 52 73 Fax : 03 44 12 55 34 Courriel: <[email protected]> Adresse abonnements Courrier international,Service abonnements, B1203 - 60732 Sainte-Geneviève Cedex Commanded’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Au guste-Blanqui, 75013 Paris.Tél. : 01 57 28 27 78

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Courrier international n° 1007

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ÉDITORIAL l ’ invi té ●

Paul Krugman, The New York Times (extrai ts) , New York

Ces derniers temps, les pages financières des jour-

naux ne parlent plus que de la Grèce et d’autres

pays à la périphérie de l’Europe. A bon droit,

d’ailleurs. Mais j’ai trouvé gênant que certains

articles se focalisent presque exclusivement sur

les dettes et les déficits budgétaires, comme

si la prodigalité des gouvernements était seule

en cause. On apporte ainsi de l’eau au mou-

lin de nos propres faucons du déficit, qui rêvent de réduire

les dépenses publiques – même en situation de chômage

massif – et brandissent la Grèce en guise d’exemple de ce

qui nous attend si nous ne le faisons pas. Or le manque

de discipline budgétaire n’est pas la principale raison des

ennuis que connaît l’Europe.

La véritable raison de cette

“europanade”, c’est l’arro-

gance des élites qui ont

poussé l’Europe à adopter

une monnaie unique bien

avant que le continent n’y soit

prêt. Prenons le cas de l’Es-

pagne, qui, à la veille de la

crise, passait pour être un

citoyen modèle sur le plan

budgétaire. Sa dette était

faible : 43 % du PIB en 2007,

contre 66 % en Allemagne.

Son budget était excédentaire

et sa réglementation bancaire,

exemplaire. Mais, avec son cli-

mat chaud et ses plages, l’Espagne était aussi la Floride

de l’Europe. Et, comme la Floride, elle a été le théâtre d’un

gigantesque boom de l’immobilier. Le financement pro-

venait essentiellement de l’étranger : les capitaux ont afflué

du reste de l’Europe, d’Allemagne en particulier.

Cela a entraîné une croissance rapide et une forte

inflation. Entre 2000 et 2008, les prix des biens et des

services ont augmenté de 35 %, contre 10 % en Alle-

magne. Du fait de la hausse des coûts, les exportations

espagnoles sont devenues de moins en moins compéti-

tives. L’emploi, en revanche, a pu continuer à progresser

grâce au boom de l’immobilier. Puis la bulle a éclaté.

Le chômage a crevé le plafond et le budget s’est retrouvé

dans le rouge. Mais ces déficits – engendrés, d’une part,

par la baisse des revenus provoquée par la crise et, d’autre

part, par les dépenses d’urgence engagées pour limiter les

coûts humains de la récession – étaient le résultat des

difficultés du pays, et non leur cause.

Aujourd’hui, Madrid ne peut pas faire grand-chose

pour redresser la barre. Le problème majeur du pays est

que les coûts et les prix ne sont plus en phase avec le reste

de l’Europe. Faute de disposer de sa propre monnaie,

l’Espagne ne peut recourir à la dévaluation. Elle ne pourra

donc renouer avec la compétitivité qu’au prix d’un

processus de déflation lent et laborieux. Si l’Espagne

était un Etat des Etats-Unis, la situation ne serait pas

aussi terrible. Pour commencer, les coûts et les prix n’au-

raient pas affiché un tel décalage. La Floride, qui a pu

maintenir le coût de la main-d’œuvre à un niveau peu

élevé, n’a jamais vécu quoi que ce soit ressemblant à l’in-

flation relative de l’Espagne. De plus, l’Espagne béné-

ficierait de nombreux sou-

tiens automatiques, comme

l’aide sociale et Medicare,

financés par Washington.

C’est évidemment pire en

Grèce, car les Grecs, contrai-

rement aux Espagnols, ont

bel et bien été irresponsables

sur le plan budgétaire. L’éco-

nomie grecque est cependant

de dimensions modestes, et

ses soucis n’importent que

dans la mesure où ils détei-

gnent sur des économies

beaucoup plus puissantes.

Donc, c’est l’inflexibilité de

l’euro, et non les dépenses

publiques, qui se trouve au cœur de la crise.

Et maintenant ? Il est presque impossible d’envi-

sager une décomposition de l’euro, en termes purement

pratiques. Comme le dit Barry Eichengreen, de l’uni-

versité de Californie à Berkeley, toute tentative pour

remettre en place une devise nationale déclencherait “lamère de toutes les crises financières”. La seule solution pour

s’en sortir est donc d’aller de l’avant. Pour que l’euro

soit opérationnel, l’Europe doit progresser sur la voie

de l’intégration politique, afin que les nations euro-

péennes commencent à fonctionner davantage comme

des Etats américains.

Ce n’est pas pour demain. Dans les années qui vien-

nent, l’Europe va probablement entreprendre de pénibles

efforts pour s’en sortir : des renflouements accompagnés

d’appels à une austérité sans merci, avec en arrière-plan

un chômage record, aggravé par la déflation. Un tableau

peu réjouissant. ■

Ainsi, les troupes de l’OTAN ont

lancé le 13 février une nouvelle

offensive en Afghanistan, dans

cette guerre sans fin contre les tali-

bans. Objectif de cette opération

baptisée Mushtarak ? Déloger les

troupes insurgées de leur base de

Marjah, dans la province du Helmand, pour éven-

tuellement négocier en position de force avec eux.

La méthode ? Prévenir la population plusieurs jours

à l’avance pour éviter les pertes civiles et faire avan-

cer d’abord les troupes afghanes pour qu’elles

soient mieux accueillies que ne l’auraient été les

unités de l’Alliance atlantique. Voilà donc la nou-

velle stratégie du général Stanley McChrystal et

de Barack Obama.

Même si les télés et journaux américains ont for-

tement médiatisé l’offensive et en ont montré les

premiers résultats, il serait prématuré pour l’OTAN

de crier victoire. Comme le souligne le journal

conservateur allemand Die Welt, les succès annon-

cés de la Force internationale d’assistance et de

sécurité (ISAF) pourraient être trompeurs. “Carce qui caractérise une guerre insurrectionnelle, c’est l’es-quive, le retrait tactique, l’embuscade.”Mais il y a plus grave. Présenter cette offensive

comme une étape importante de la stratégie anti-

insurrectionnelle du président Obama est “d’unetotale malhonnêteté”, affirme The Frontier Post. Pour

ce journal pakistanais publié à Peshawar, non loin

de la frontière afghane, Marjah est certes un fief tali-

ban, mais ce n’est pas le seul. “Le Helmand lui-mêmeest un fief, et cette région n’est que l’une des 30 provinces(sur les 34 que compte le pays) contrôlées par les tali-bans, qui y ont installé une administration parallèle”(l’article du Frontier Post peut être lu sur notre site).

Le plan de McChrystal est donc une “imposture”.Alors, pourquoi la mener et la claironner ? La

meilleure réponse est peut-être celle fournie dans

nos pages par le romancier néerlandais Arnon Grun-

berg (voir p. 40) : “On fait la guerre parce que l’en-vie de guerre existe. Par la suite, on invente des rai-sons et toutes sortes d’intérêts géopolitiques que je ne veuxpas totalement balayer, mais qui, à vrai dire, ne m’in-téressent guère.” Il nous faudra pourtant revenir

bientôt sur ces “intérêts” pour les analyser.

Philippe Thureau-Dangin

Les limites d’une“victoire” sur les talibans

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jam

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anar

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L’Europe a péchépar orgueil

■ Paul Krugman, 57 ans, est professeur

d’économie et de relations internatio-

nales à l’université de Princeton. Lau-

réat du prix Nobel d’économie pour ses

travaux sur la mondialisation, il tient

une chronique hebdomadaire dans The

New York Times depuis 1999.Don

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mer

t/AF

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L E D E S S I N D E L A S E M A I N E

■ ▲ La Suisse votera le 7 mars pour accepter – ou non – la nomination

d’un avocat chargé de la protection des animaux dans chacun des vingt-six cantons du pays.

Dessin de Burki paru dans 24 Heures, Lausanne.

Sur www.courrierinternational.com, retrouvez chaque jourun nouveau dessin d’actualité, et plus de 4 500 dessins en consultation libre

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 6 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

MK2 Quai de Seine 14, quai de la Seine 75019 Paris (Métro : Jaurès ou Stalingrad)

L E S M A R D I S D E mardi 2 mars 2010 à 20 h 30

de Zhao Liang (Chine)

La projection sera suivie d’un débat.

DR

Pendant dix ans, Zhao Liang a filmé des personnes venues de toute la Chineporter plainte à Pékin contre les abuset les injustices des autorités locales.

Le rendez-vous du film documentaire étranger avec MK2

Pétitionla cour des plaignants

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à l ’aff iche ●

Etats-Unis Prince sans rire

La vérité est que j’ai couché avec desprostituées. Si on m’interroge à cesujet pendant un débat, j’avouerai,assène Frédéric von Anhalt. Ceserait idiot de mentir.” Voilà ce

que le mari de Zsa Zsa Gabor

répondra si on lui pose la ques-

t ion au cour s de l a longue

bataille qui, si tout va bien, s’achèvera en

novembre 2010 par son élection au poste

de gouverneur de Californie à la place

d’Arnold Schwarzenegger.

Ses déclarations sur les prostituées sont

d’une franchise inhabituelle pour un poli-

ticien en campagne. Mais elles sont par-

faitement cohérentes avec son programme.

“Il faut légaliser la prostitution et bien d’autresvices. Et, bien entendu, les taxer.” Telle est

sa proposition pour sortir l’Etat de Cali-

fornie de la crise budgétaire qui l’a mis au

bord de la faillite. Il a également promis

que, s’il est élu, il légalisera – et taxera – la

vente de cannabis et de cigares cubains.

Dans un Etat qui en a assez du statu quo,

la campagne du prince Frédéric, lancée fin

janvier, a de quoi piquer la curiosité de la

population. “Voilà vingt-six ans que je visdans ce pays et j’ai appris une chose : si on veutgagner des élections, il faut être célèbre. Etrebourré de fric ne suffit pas.” Comme le clame

son slogan de campagne, il veut “ramenerla belle vie en Californie”. S’il est élu, il impo-

sera les compagnies pétrolières “un max”,légalisera le mariage homosexuel, “pourqu’ils puissent être aussi malheureux que nousautres”, et rendra les panneaux solaires obli-

gatoires sur tous les nouveaux bâtiments

pour “mettre fin à notre dépendance vis-à-visdu pétrole moyen-oriental”. Il veut également

ouvrir la frontière entre la Californie et le

Mexique : “Qu’on laisse ces gens entrer etqu’ils envoient des dollars chez eux. Sans immi-

grés ici, il n’y aurait personne pour s’occuperde nos jardins et de nos piscines. Ce serait unecatastrophe.”

Ce fils d’un policier de Kreuznach, en

Allemagne, n’a rejoint la noblesse qu’en

1980, à l’âge de 37 ans, lorsque la princesse

Marie Auguste von Anhalt, ancienne

épouse du prince Joachim de Prusse, le fils

du Kaiser, l’a adopté, après la mort de son

propre fils (dont Frédéric était l’ami).

En 1984, alors qu’il était en vacances à Los

Angeles, il s’est introduit dans une fête ras-

semblant des célébrités et y a rencontré

l’actrice d’origine hongroise Zsa Zsa Gabor.

Le coup de foudre a été réciproque. Deux

ans plus tard, il est devenu le neuvième

mari de Zsa Zsa et elle, sa septième épouse.

Selon le prince Frédéric, si leur union dure,

c’est parce qu’il préfère batifoler avec des

prostituées plutôt que de s’embarrasser

d’une maîtresse. “Le sexe est plus amusantavec une prostituée, clame-t-il. Et cela revientmoins cher. Trouver une femme dans un bar,cela peut prendre toute une nuit et, de toutefaçon, sur le coup de 4 heures du matin, vousêtes tellement ivre que vous finissez par rame-ner n’importe qui après avoir dépensé des mil-liers de dollars en boissons.”

Reste à savoir si les électeurs de l’un

des Etats les plus tolérants d’Amérique

se laisseront séduire par le libertinage du

prince Frédéric. Un facteur pourrait jouer

en sa faveur : l’insignifiance de ses adver-

saires. La favorite du Parti républicain, l’an-

cienne présidente d’eBay, Meg Whitman,

a déjà dépensé 20 millions de dollars rien

que pour se faire connaître. Quant à Jerry

Brown, qui sera probablement son adver-

saire côté démocrate, il est sans relief.

L’autre élément qui pourrait favoriser le

prince est le fait que les Californiens, dont

l’Etat affiche un déficit budgétaire de

30 milliards de dollars, des infrastructures

vieillissantes, les taux de saisie immobilière

et de chômage parmi les plus élevés du

pays, ne croient plus en la politique.

Que dirait Zsa Zsa Gabor, 93 ans et

clouée dans un fauteuil roulant, de devenir

première dame ? Lorsqu’il n’est pas en train

de faire campagne ou de jouer en Bourse,

Frédéric consacre beaucoup de temps à

la soigner. “Quand je lui ai dit que j’allais meprésenter au poste de gouverneur, elle a cru quej’étais devenu fou, souligne-t-il. Mais je n’ar-rête pas de lui dire : ‘Tu ferais bien de te pré-

parer car tu vas être première dame.’ Alorselle me sourit et répond : ‘Cela fait quatre-

vingt-treize ans que j’attends ça !’”Guy Adams, The Independent (extraits), Londres

I L S E T E L L E S O N T D I T

PERSONNALITÉS DE DEMAIN

SILVIO BERLUSCONI,président duConsei l i ta l ien

■ ChaudIl a signé un accordavec son homo-logue albanais

pour limiter le tra-fic d’immigrés clan-destins par la mer

Adriatique. “Nous fe-rons une exceptionpour tous ceux quinous amènent des

jolies filles. Vous savez, mainte-nant je suis célibataire.”(Corriere della Sera, Milan)

TIN OO, opposant birman■ Solidaire“Je ne suis pas heureux d’avoirrecouvré la liberté.” Après septans de détention, le numérodeux de la Ligue nationale pourla démocratie dirigée par Aung

San Suu Kyi, âgé de 83 ans, arefusé de se réjouir au motifque plus de 2 000 autres oppo-sants au régime continuent àcroupir dans les prisons durégime militaire.(The Irrawaddy, Chiang Mai)

LEE HSIEN LOONG, Premierministre s ingapourien■ Nataliste“Les enfants nés pendant l’annéedu Tigre [qui a débuté le 14 février]ne sont vraiment pas différents desenfants nés sous d’autres signesdu Zodiaque chinois”, a assuré lechef du gouvernement, inquiet dela baisse significative de nais-sances qui intervient tous lesdouze ans. Les Chinois évitent eneffet d’avoir des enfants placéssous le signe du Tigre, croyantqu’ils sont prédestinés à être par-ticulièrement agressifs.

(The Straits Times, Singapour)

DONALD TRUMP,mil l iardaire américain■ Gelé“Avec l’hiver le plusfroid jamais enre-gistré, avec deschutes de neigequi battent tousles records sur lacôte [Est des Etats-Unis], il faudrait reti-rer son prix Nobel àAl Gore.”(New York Post,Etats-Unis)

FREDRICK FEDERLEY,député centr iste suédois■ Multicarte“Ce n’est pas en tant que parle-mentaire mais sous ma secondeidentité de Drag Queen Ursula quej’ai fait ce voyage”, se défend lejeune parlementaire. Membre dela coalition de droite actuellement

au pouvoir, il est sévèrement criti-qué pour s’être fait offrir un séjourfestif aux îles Canaries par plu-sieurs entreprises privées.

(Aftonbladet, Stockholm)

MOHAMMED JAVADLARIJANI , secrétairegénéral du Haut Consei ldes droi ts de l ’hommeiranien■ Convaincu“La société iranienne est un modèlede coexistence amicale et frater-nelle”, a déclaré celui qui repré-sente l’Iran au Conseil des droitsde l’homme de l’ONU. A Genève,le 15 janvier, il a tenu à rappeler “leferme engagement de l’Iran enfaveur de la promotion et de la pro-tection des droits de l’homme”. Aucours de la même session, plu-sieurs pays ont dénoncé la répres-sion brutale des manifestations deprotestation dans le pays.

(Fars News Agency, Téhéran)

FATMIRE “LIRA” BAJRAMAJ

Footballeuse intégrée

Pour échapper auxinsultes des gamins

de son âge (“Hé toi, la gi -tane !”), Fatmire – alias“Lira”, comme l’a tou-jours appelée sa mère –a appris à courir vite.Ses jambes sont sonremède à elle contre le

racisme. Car Lira vient du Kosovo. Elle a 4 anslorsqu’elle débarque en Allemagne avec safamille, en 1992, fuyant un pays en guerre.Petite fille, Lira est vite exclue des jeux enfan-tins de la garderie. Alors, elle se met à jouerau foot avec ses frères, en cachette de sesparents, pour gagner l’admiration de sonentourage. “Je voulais à tout prix réussir, jevoulais voir les autres verts de jalousie”,confie-t-elle au quotidien berlinois Die Tages-zeitung. Ses efforts ont payé : à 17 ans, Liraintègre l’équipe nationale allemande de footféminin, avec laquelle elle remporte le titre dechampionne du monde en 2007, puis celui dechampionne d’Europe en 2009. Aujourd’hui,la jeune femme fait de l’intégration son che-val de bataille. L’exclusion, elle connaît – elle,la femme pratiquant un sport plutôt masculin,l’immigrée au poste d’attaquant de l’équipede foot de son pays d’accueil. Elle se rend dansdes écoles pour “montrer aux enfants de réfu-giés qu’une musulmane kosovare peut aussidevenir une grande sportive ! Il suffit d’écou-ter son cœur et d’y croire.” Pour enfoncer leclou, à 22 ans à peine, Lira a déjà écrit sonautobiographie : Mein Tor ins Leben: VomFlüchtling zur Weltmeisterin (“Mon but dansla vie. De réfugiée à championne du monde”,éd. Südwest, 2009, non traduit en français).

MANUEL MARTINS

Curé scandaleux

Bien des injusticescommises à Madère

le sont par des gens quivont à l’église, qui ex -ploitent les autres et quiont un appétit du gainsans bornes. Mon rôle,c’est de porter la voix deceux qui n’en ont pas.”

Ainsi parle Manuel Martins, le prêtre qui a osédénoncer la misère sur “l’île aux fleurs” dansles colonnes de Visão. Une position coura-geuse, dans une région où les relations entrele pouvoir et l’Eglise sont des plus privilégiées.L’évêque de Madère a pris la mesure du dan-ger représenté par cet amateur de PauloCoelho, de Ken Follett et de José Saramagoen l’envoyant à Machico, une ville située dansl’est de l’île, alors que ses prêches enflam-maient jusqu’alors les voûtes de la cathédralede Funchal, la capitale. Dans sa nouvelleparoisse, ce curé de 50 ans, natif de l’île, n’apas désarmé : il continue à dénoncer l’incu-rie du pouvoir politique… et religieux. “Sil’Eglise refuse de défendre les pauvres parceque ça l’incommode, alors elle ne remplit pasla mission qui est la sienne. L’Evangile n’estpas un roman pour apaiser l’âme et nousenvoyer directement au ciel !”

FRÉDÉRIC VON ANHALT, 66 ans, candidat auposte de gouverneur de Californie. Ce person-nage excentrique, haut en couleur, a été anoblien 1980, après avoir été adopté à l’âge de 37 anspar la princesse Marie Auguste von Anhalt. Depuis1984, il est le neuvième époux de Zsa Zsa Gabor,son aînée de vingt-sept ans.

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COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 8 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

▲ Dessin d’ArendVan Dam,

Pays-Bas. ▲ Dessin de VladimirMotchalov, Moscou.

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AL-AHRAM WEEKLY (extraits)Le Caire

Si l’on pouvait encore douter du fait que

les hommes politiques irakiens entraî-

nent leur malheureux pays dans une crise

nationale cataclysmique, c’est désormais

une certitude. Ils ne sont même pas par-

venus à résoudre le litige suscité par l’ex-

clusion de plusieurs centaines de candidats aux

prochaines législatives [ils étaient accusés d’être

d’anciens membres du parti Baas], qui doivent

avoir lieu le 7 mars. L’affaire s’est envenimée

après le rejet par les dirigeants chiites d’un appel

de la justice qui a reporté au lendemain des élec-

tions tout jugement sur le sort des candidats,

presque tous sunnites. Si la justice a fait marche

arrière et accepté d’étudier les exclusions, le

débat, lui, a continué à faire rage. Car les res-

ponsables sunnites dénoncent une manœuvre

du gouvernement à majorité chiite afin de les

empêcher d’accroître leur influence politique

grâce aux urnes.

Cette dernière querelle en date est carac-

téristique des conflits qui minent la politique

irakienne et attisent les tensions depuis l’in-

vasion américaine de 2003. Dans l’Irak de

l’après-Saddam, un système politique a été

mis en place pour donner davantage de pou-

voir et de ressources aux chiites et aux Kurdes

au détriment des Arabes sunnites, qui ont tenu

le haut du pavé pendant les trente-cinq ans de

règne du parti Baas. Mais si de nombreux sun-

nites pensent que cette exclusion n’est rien

d’autre qu’une chasse aux sorcières, les chiites,

marginalisés sous le régime baasiste, estiment

que leurs adversaires cherchent à les déloger

d’un pouvoir qu’ils ont eu tant de mal à

conquérir, afin d’imposer une nouvelle fois

leur domination. On voit bien que les Irakiens

voteront une fois encore en fonction de consi-

dérations confessionnelles, en dépit de cam-

pagnes appelant à l’unité nationale.

dossier●

IRAK LE SCRUTIN DE ■ Le 7 mars, les Irakiens doivent élire leur nouveau Parlement. ■ Malgré une campagne électorale qui rappelle cellesd’autres démocraties, les tensions ethniques et religieuses sont palpables. ■ Elles menacent l’existence même dupays qui, sept ans après la chute de la dictature de Saddam Hussein, subit toujours l’influence de l’Iran et d’Al-Qaida.

Chiites et sunnites s’affrontent

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 10 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

LISTES Cherchez les femmes

Afin de garantir la présence desfemmes dans le futur Parlement, des

quotas obligent les partis à réserver lequart des places aux candidates. Or cer-tains ont trouvé le moyen de contournercette obligation en plaçant les femmesen fin de liste. “Ce n’est pas le résultatd’une démarche préméditée, estime l’avo-cate Karima Saad. Certains partis avaientcomposé des listes où, derrière troishommes, on trouvait une candidate. C’esten fusionnant avec d’autres partis pourconstituer des alliances que l’équilibre aété brisé.” Amer, qui est professeur dedroit à l’université, estime que les quo-tas “écartent certains hommes des élec-tions”. De son côté, Fatima Radi, diplô-

mée en histoire, fait remarquer que lesfemmes sont plus nombreuses que leshommes en Irak, mais qu’elles sontempêchées d’entrer dans l’arène poli-tique par la mentalité tribale qui prévautdans la société. Ainsi, aux dernières élec-tions provinciales [31 janvier 2009], cer-taines candidates n’avaient pu faire desaffiches avec leur photo parce qu’ellesse heurtaient à des réactions de mépris.“En reléguant les femmes en fin de liste,on enterre une nouvelle fois le principede leur participation politique”, affirmeRaja Jabr, fonctionnaire au ministère dela Culture. De son côté, Alya Hossein,institutrice, estime qu’il “est normal queles têtes de liste soient occupées par des

poids lourds de la politique, des personnesqui ont déjà acquis une certaine popu-larité. Mais de là à ne laisser que lestoutes dernières places aux femmes…On dirait qu’elles sont là pour remplir unvide et pour faire bien aux yeux de la communauté internationale.” La militantedes droits des femmes Chaza Ibrahimexplique pour sa part qu’“avec la domi-nation des partis religieux on nommequelques femmes à certains postes pours’assurer que personne ne polémiqueraà propos des droits de la femme en géné-ral. Mettre les femmes en queue de listes,c’est montrer que leur place est bien auplus bas de l’échelle dans la société.”

Waël Nehma, Al-Mada, Badgad

▶ Des ouvriers installentl’affiche d’un candidat le premier jour de lacampagne électorale, le12 février 2010, à Bagdad.

La purge des anciens membres duparti Baas n’en finit pas. La situationest tendue au point que certainsredoutent une guerre civile.

AP-S

ipa

Page 11: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

TOUS LES DANGERSUne campagne à la modeaméricaine (ou presque)

AL-ESBUYIABagdad

Cette campagne électorale est très diffé-

rente de la précédente, avec d’innom-

brables innovations apportées par des

fabricants chinois d’accessoires publici-

taires. En effet, des entreprises du monde

entier ont été attirées par les grosses

sommes que les candidats sont prêts à dépenser

afin d’améliorer leur résultat. Elles proposent les

techniques les plus modernes pour séduire l’élec-

teur. Elles ont eu l’idée, par exemple, d’installer

des écrans géants dans les quartiers commer-

çants pour diffuser à longueur de journée le por-

trait de tel ou tel candidat et de passer de petits

films – souvent bien faits – vantant ses mérites.

Les portraits des candidats se retrouvent éga-

lement montés sur des véhicules, voire sur des

montgolfières qui survolent la ville. A cela s’ajou-

tent les messages sur Internet et les SMS sur les

téléphones portables. Tout cela est nouveau par

rapport à la campagne précédente.

Selon Majid Hamid, assistant d’un candidat

dans la province de Babel, “les dépenses s’élèventà 80 millions de dinars [50 000 euros] pour un moisde campagne. Et la tendance est à la hausse.” Ilexplique que “le plus grand problème réside dansle coût des spots publicitaires sur les chaînes de télé-vision nationales ou panarabes. Une seconde d’an-tenne sur la chaîne irakienne Al-Charqiya revientà 100 dollars et sur Al-Bagdadiya à 30. Sur les autreschaînes nationales, cela va de 10 à 25 dollars. Quantaux satellitaires panarabes, la minute est à 10 000 dol-lars sur la MBC, tandis qu’Al-Arabiya en demande4 000. Pour la plupart des autres, telles LBC ouRotana, c’est 3 000.” Les annonces dans les jour-

naux ne sont pas non plus données. Un quart de

page en couverture vaut 10 000 dollars dans le

quotidien irakien Al-Machreq et peut aller jusqu’à

15 000 dans d’autres publications.

La campagne a également stimulé le secteur

de l’imprimerie. “C’est une activité saisonnière.Nous qui travaillons dans l’impression de livres et dejournaux, nous attendons avec impatience le retour

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 11 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Lors d’un rassemblement à Bagdad, le gou-

verneur Salah Abdel Razzak, haut responsable

du parti chiite Daawa, dirigé par le Premier

ministre Nouri Al-Maliki, a juré de purger l’ad-

ministration locale des baasistes loyalistes. A Bas-

sorah, des notables affiliés au Daawa et aux autres

grandes formations chiites se sont eux aussi enga-

gés à purger la ville des sympathisants du Baas

et ont menacé de faire de la deuxième plus

grande ville d’Irak, et de l’unique accès du pays

à la mer, une province fédérale semi-indépen-

dante. Le conseil municipal a également menacé

d’interrompre la production de pétrole (près de

90 % de la production irakienne) pour priver de

ressources le reste du pays.

En alimentant les craintes d’une résurgence

baasiste, Al-Maliki et les autres chefs chiites, sou-

tenus par leurs alliés kurdes, s’efforcent de séduire

l’électorat chiite. Mais ils risquent du même coup

de rouvrir de vieilles blessures, de cristalliser le

sectarisme et de généraliser l’impasse politique

au point de compromettre la concorde nationale

et l’avenir même du pays. Tant les chiites que

la minorité kurde ont été victimes des répres-

sions brutales perpétrées par le régime de

Saddam Hussein.Toutefois, dans leur désir d’ob-

tenir que ses fidèles soient jugés et qu’ils ren-

dent des comptes, ils font apparemment preuve

d’un manque de finesse politique qui suscite la

méfiance de tous. De nombreux sunnites pour-

raient envisager de boycotter ces élections, syno-

nyme, pour beaucoup d’Irakiens, de paix et de

stabilité pour leur pays déchiré par la guerre.

Les sunnites avaient majoritairement boycotté

l’élection nationale de 2005. Ayant perdu le

pouvoir, ils éprouvent un profond ressentiment.

D’aucuns redoutent même qu’ils ne prennent

de nouveau les armes s’ils ont le sentiment

d’avoir été floués.

Les Etats-Unis, qui disposent encore de

100 000 hommes en Irak, ont fait part de leur

inquiétude. Selon eux, l’exclusion des sunnites

des élections fragiliserait le processus et pourrait

même déclencher des troubles qui complique-

raient les projets de retrait des troupes améri-

caines. Du côté des responsables chiites, on

affirme que l’on ne laissera pas Washington inter-

venir dans les affaires intérieures du pays. Pis

encore, cette dispute qui couve et menace d’en-

traîner l’Irak dans la guerre civile va ébranler l’in-

dustrie pétrolière renaissante. Ces dernières

semaines, l’Irak a signé plusieurs contrats avec

des entreprises étrangères qui doivent investir

dans le développement de champs pétrolifères

qui représentent la deuxième plus grande réserve

du monde. Mais si la querelle se poursuit au

point de mettre le feu au paysage politique, il

n’est pas certain que les sociétés étrangères se

hasardent à commencer leurs opérations, aussi

lucratifs que soient les accords, ce qui priverait

l’Irak de revenus dont il a désespérément besoin

pour sa reconstruction. Salah Hemeid

Spots publicitaires, gadgets,messages sur Internet, portraits des candidats sur des montgolfières,tout est bon pour attirer les électeurs.Mais rien ne vaut les bonnes vieilles méthodes du clientélisme.

des élections tous les quatre ans. C’est facile de fairedes bénéfices en peu de temps”, explique un patron.

Un autre métier qui en profite est celui des cal-

ligraphes. Pour se lancer dans la course à l’écri-

ture des slogans, ils ont mis de côté quantité

d’encres, mais aussi de tissus. Car la bonne vieille

banderole accrochée dans la rue fait encore

recette. D’autant plus que la municipalité de

Bagdad et la commission électorale sont très

fermes sur l’interdiction du collage d’affiches.

Ces règles sont destinées, selon le maire de Bag-

dad, Saber Al-Issaoui, à éviter “la défiguration dela capitale, et notamment de ses quartiers historiques,de ses édifices religieux et des autres lieux importantsde l’espace public”. La mairie a eu les pires dif-

ficultés à enlever les affiches de la précédente

campagne ; elles étaient si bien collées qu’il a

parfois fallu endommager les murs pour les arra-

cher. Toutefois, les frais de campagne ne se limi-

tent pas aux banderoles, affiches et annonces. Le

plus gros du budget est réservé aux repas offerts

lors des réceptions, aux réunions avec les tribus,

aux visites chez des notables ainsi qu’aux cadeaux

et billets qu’il faut glisser dans la poche des élec-

teurs potentiels.

Zeina Al-Kadhem

■ EclairageLe 7 mars, 19 millions

d’électeurs irakiens

devront choisir

325 députés parmi

6 172 candidats.

Les élus siégeront

au Parlement

pendant les quatre

prochaines années.

La campagne

électorale

a commencé le

12 février. Quelques

heures auparavant,

le Comité pour

l’intégrité et la

justice, créé en

2008 et composé

de 7 juges,

avait décidé

de ne repêcher que

28 candidats sur

les 177 qui avaient

fait appel après

le rejet de leur

candidature

pour leurs liens

présumés avec

l’ancien parti Baas

de Saddam Hussein.

En janvier,

le comité chargé de

la “débaasification”

avait disqualifié

510 candidats,

provoquant

la colère des listes

laïques et celle

de la communauté

sunnite. Dans

les provinces chiites

du Sud, cela

s’accompagne

d’une campagne

d’épuration

des administrations

locales.

▶ Place à prendre.Dessin de RichardThompson paru dansThe New Yorker,

Etats-Unis.

Page 12: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

KUL AL-IRAQBagdad

Prendre la défense de la démocratie

constitutionnelle ne veut pas forcément

dire qu’on adhère aux formes détes-

tables qu’elle a pu prendre chez nous

en Irak ou qu’on accepte les opportu-

nistes qui en ont profité. Cela veut sim-

plement dire qu’on défend des acquis de

l’Histoire qu’on a attendus depuis de longues

décennies. Il n’y a aucune contradiction à sou-

tenir la démocratie tout en condamnant ceux

qui ont été élus et l’ont dénaturée, et en dénon-

çant parmi eux les corrompus ou les voleurs.

Car la démocratie offre l’avantage de pouvoir

les remplacer un jour aisément par le même

mécanisme.

Il est insupportable de penser que le Parle-

ment sortant ait pu contribuer à l’émergence

de potentats à la petite semaine. Ces députés

auraient eu du mal à se faire employer comme

subalternes dans un bureau d’arrière-cour, pour

ne pas dire comme personnel de nettoyage au

Parlement, par respect pour cet honorable

métier. Leur incompétence explique en bonne

partie les échecs qu’ils ont accumulés au cours

de ces quatre dernières années. Ils n’ont fait

preuve d’empressement que pour se transfor-

mer en prédateurs de nos richesses, en se votant

des émoluments et des privilèges financiers

exorbitants, tout en gardant le silence à propos

des comptes du gouvernement et de la prési-

dence. Mais, quand il s’est agi de défendre les

citoyens et les droits du pays vis-à-vis de l’ex-

térieur, ils ont été aussi prestes qu’une tortue

fatiguée.

C’est pour cela que je ne suis pas de ceux

qui s’étonnent qu’ils n’aient pas été capables

d’élaborer une nouvelle loi électorale. Car s’ils

l’avaient fait, ils auraient sifflé la fin de leur

propre rôle politique et se seraient condamnés

poursuivre la marche vers la démocratie consti-

tutionnelle. Il n’est pas question de s’abstenir !

La participation est un devoir. Il faut adminis-

trer une bonne claque à ces voleurs de nos voix,

de nos richesses et de nos aspirations. Il faut le

dire tout haut : le Parlement n’est pas le lieu où

la passion pour l’imam Ali et l’imam Hussein

[figures chiites] doit rivaliser avec celle pour

le calife Omar [figure sunnite]. Ces passions

n’ont pour objet réel que de tromper le peuple

et de faire passer des mesures qui dilapident les

ressources et les richesses de l’Irak.

Mohamed Al-Wadi

dossier

La démocratie s’affirme malgré toutLe Parlement sortant est un ramassis de corrompus etd’incultes. Et pourtant, malgré les pires déceptions, cescrutin reste la seule planche de salut, affirme Kul Al-Iraq.

à se retrouver devant la justice en l’espace de

quelques années. Quand ils ont transféré la

question de cette loi devant ce qu’on appelle le

“conseil politique”, ils ont apporté la preuve

éclatante de leur impuissance. Il est inconce-

vable qu’un Parlement élu par des millions de

citoyens s’en remette à un conseil dénué de base

constitutionnelle. Cela montre qu’ils ne sont

que des marionnettes manipulées par une poi-

gnée de personnes en dehors du Parlement.

En disant ces vérités, nous ne pensons

pas qu’il faille perdre espoir. Nous lançons

au contraire un appel à corriger le tir et à

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 12 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

NOMINATIONS Un corps diplomatique à faire peur

L’Assemblée (de la division) nationale a récemment rati-fié un décret portant sur la nomination du cheptel diplo-

matique. Ses membres ressemblent à Dolly, la fameusebrebis clonée. Voilà donc que les députés de notre répu-blique bananière peuvent déclarer fièrement devant le restedu monde : “Nous vous envoyons des bovins à notre image !”Nous voilà avec un nouveau corps diplomatique, oppor-tuniste jusqu’à la moelle, analphabète, détenteur de pas-seports irakiens aussi bien qu’étrangers. Les ambassadesde l’Irak démocratique ressembleront à des sièges de partis, des lieux de prière chiites, des centres de débaucheou des cellules baasistes. Le bien-être de Son Excellencel’ambassadeur n’a pas de prix !Le Parlement sortant n’a respecté aucune des exigencesmorales qui ont cours dans d’autres Parlements dumonde. La seule chose dans laquelle ses membres se

distinguent est leur capacité à détraquer les institutionset le fonctionnement de l’Etat, en s’obstinant à faire leurspetits calculs confessionnels. Ils valsent sur une petitemusique de nuisance communautaire. C’est une élited’un genre nouveau et étrange. Même à Djibouti ou auxComores, on n’avait jamais vu ça. L’un de ces ambas-sadeurs a été condamné à la prison sous l’ancien régimepour détournement de fonds. Il se présente aujourd’huicomme un résistant. Il y a aussi un ancien membre actifde la milice du parti bananier [le parti Daawa, dont estissu le Premier ministre], le frère d’un combattant dela campagne d’Anfal [destruction de villages au Kurdis-tan et attaques au gaz moutarde contre la populationcivile, 1987-1988], le masseur d’un des vice-présidents,un ancien patient d’un hôpital psychiatrique, quelqu’unqui avait été arrêté en Grande-Bretagne pour harcèlement

sexuel, une ambassadrice qui n’a pour elle que le fait queson père a été militaire sous la monarchie, sans parlerde celle qui se cache sous un voile noir lui couvrant lecorps, les mains protégées par des gants noirs, et qui n’aaccepté de se présenter devant les parlementaires qu’àcondition d’être accompagnée de son tuteur mâle, de peurd’être victime de regards malintentionnés !Dans une transparence inégalée, qu’on nous envieraità Zanzibar ou au Tanganyika [aujourd’hui la Tanzanie],on a procédé au vote à main levée, suivi d’un tonnerred’applaudissements pour cet exploit historique. Pitié !L’Irak ne manque pourtant pas d’hommes d’Etat. Vousavez trahi les citoyens qui ont bravé le terrorisme pouraller voter. Ils espéraient la démocratie et vous leur avezapporté vos turpitudes. Votre bilan est écœurant.

Abbas Allaoui, Al-Iraq Al-Jadid, Bagdad

▶ Dessin de Hajjaj,Jordanie.

■ Kurdistan“Les deux partis

qui ont régné

en maîtres sur

la politique du

Kurdistan irakien

pendant trois

décennies – le Parti

démocratique

du Kurdistan (PDK),

dirigé par le

président de la

région, Massoud

Barzani, et l’Union

patriotique du

Kurdistan (UPK),

du président de

l’Irak, Jalal Talabani

– vont se présenter

aux élections

législatives dans

le cadre d’une

coalition regroupant

dix autres partis,

allant des islamistes

aux communistes”,

rapporte Elaph.

Trois autres listes

seront également

en lice. Il s’agit

de Goran

[Changement,

en kurde], dirigé

par Nawshirwan

Mustafa, un

dissident de l’UPK,

de la Jamaa Islamiya,

un mouvement

salafiste, et

de l’Union islamique

kurde, proche des

Frères musulmans.

CAI

-NYT

Syn

dica

te

Page 13: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

AL-MUSTAQBAL (extraits)Beyrouth

Je ne pense pas qu’il y ait d’autres

peuples qui aiment autant leur pays que

les Irakiens. Pourtant, ce sont eux qui

font le plus pour en saper les bases. Et

qui le quittent en masse. On les retrouve

dans les Andes, dans le Grand Nord

norvégien ou dans des coins perdus d’Aus-

tralie. Dès qu’un Irakien boit quelques verres,

il pleure son pays de jadis. Dès qu’il entend

quelques notes de musique, il se met à chan-

ter des chansons en souvenir des lieux qu’il a

quittés, des proches dont il est séparé et des

amis disparus. Dès qu’il pense aux morts, il

redouble de nostalgie pour les vivants et, s’il

pense aux vivants, il se rappelle qu’ils risquent

eux aussi le trépas. A chaque fête, que ce soit

en Irak ou en exil, l’Irakien entonnera la chan-

son : “Paradis, paradis, ma patrie, même ton feuest paradis.” Et tous déclament ce vers du

grand poète irakien Badr Shaker Al-Sayyab

qui dit que “même l’obscurité là-bas est plus belle,car elle embrasse l’Irak”.

Des Irakiens qui ont le mal du pays parce

qu’ils n’arrivent pas à se faire à la vie en Europe

ne cessent de regretter les nuits de Bagdad,

avec ses délices si particulières. Le kebab bag-dadi dont ils se languissent est un sandwich de

viande grillée. Il se prépare sur de petits cha-

riots en bois que leurs propriétaires placent aux

coins des rues à la tombée de la nuit pour en

vendre aux passants insomniaques, aux tra-

vailleurs de nuit, aux ivrognes sortant des

bars… C’était l’époque où Bagdad veillait en

se laissant emporter par des maqâm [musique

arabe classique] et les soupirs d’Oum Kal-

thoum. Cette nourriture n’était absolument

pas hygiénique. Les feuilles de salade étaient

lavées très approximativement et probablement

infestées d’œufs d’amibes, la viande était sou-

vent plus ou moins carbonisée et le tout dégou-

linait de graisse. Il n’empêche qu’un Irakien

vivant à Londres, dans une banlieue de Copen-

hague ou dans une ville quelconque d’Alle-

magne rêve de ce plat et le considère comme

la chose la plus délicieuse au monde. En réa-

lité, il ne faut pas être grand psychologue pour

comprendre qu’il s’agit de réminiscences d’une

jeunesse perdue.

Dans la longue série de guerres que Sad-

dam Hussein a menées contre l’Iran, le Koweït,

l’Amérique, contre le monde entier, même les

opposants ont loué l’héroïsme et l’honneur de

l’armée, cette même armée qui a obéi aux

ordres pour commettre des crimes, détruire

des villes, répandre des gaz toxiques et utili-

ser des armes prohibées par les conventions

internationales. Même après la chute du

régime baasiste, un nombre non négligeable

d’Irakiens continuaient à l’innocenter de tous

les crimes commis.

En regardant les mots d’ordre des partis

politiques dans la campagne électorale actuelle,

on se rend compte qu’ils professent tous

l’amour de l’Irak et de sa grandeur. Ils appel-

lent tous les Irakiens à combattre la corruption,

à éradiquer le crime, à dédommager les victimes

du terrorisme, à refuser l’occupation étrangère

et à préserver l’unité nationale. Or certains tra-

vaillent avec les Américains ou font la cour aux

Iraniens, ou soutiennent des ministres cor-

rompus et entretiennent des milices confes-

sionnelles qui terrorisent la population.

Des millions de personnes qui ont quitté

l’Irak chantent la beauté de ses paysages, la

saveur de son pain, la splendeur de ses villes…

Mais elles ne songent pas sérieusement à y reve-

nir. Comme si, en réalité, ils glorifiaient un pays

virtuel et non réel, un pays qu’ils imaginent de

loin selon leurs convenances personnelles, leurs

goûts et leurs désirs. Ainsi y a-t-il autant d’Irak

que d’Irakiens. Il y a celui du fondamentaliste

musulman, celui du gauchiste cherchant l’uto-

pie communiste, celui du panarabiste intransi-

geant, du panchiite, du chantre de la culture

bédouine, du Kurde, du chrétien… Dans l’Irak

rêvé, tous les citoyens sont magnanimes, pai-

sibles et respectueux des femmes, surtout des

mères, courageux et chevaleresques, cultivés,

poètes, héritiers des inventeurs du premier

alphabet de l’humanité et du code d’Ham-

mourabi. Pourtant, l’Irak réel est le pays des

épidémies, de la pollution, des armées étran-

gères, des milices, de la corruption, des bidon-

villes, de la poussière produite par une terre en

voie de désertification, des canalisations qui

débordent et d’une bureaucratie indolente.

Comme ce pays est aimé de tous ses enfants,

les innombrables morts de ces dernières décen-

nies ne peuvent qu’être des martyrs morts pour

la patrie. Les soldats tombés sur le front iranien

aussi bien que les membres de l’ancien appa-

reil de sécurité, ceux qui ont participé au sou-

lèvement contre le régime au début des années

1990, comme ceux qui sont morts en réprimant

les Kurdes, les chiites qui se sont fait tuer par

des sunnites aussi bien que les sunnites qui se

sont fait tuer par des chiites… Tous martyrs

morts pour la patrie. Personne n’a trop envie

d’en connaître le sens, parce que cela pour-

rait rouvrir les plaies mal cicatrisées de l’Irak

réel. Convaincus que l’Irak est le meilleur pays

du monde, beaucoup d’émigrés ont refusé jus-

qu’à une date récente encore de se faire natu-

raliser dans un pays européen. Ils rêvaient de

retourner un jour au pays des deux fleuves [le

Tigre et l’Euphrate], foyer des Sumériens et des

Assyriens, berceau des dieux… Aujourd’hui, en

revanche, des dizaines de milliers d’entre eux

parcourent le continent européen et errent de

pays en pays dans l’espoir d’y obtenir une natio-

nalité et d’échapper aux fléaux de l’Irak réel.

Ainsi l’Irakien est-il tiraillé par des contradic-

tions qu’il voudrait concilier. C’est peut-être

pour cela que le pays des deux fleuves est aussi

une inépuisable mine de tristesse.

Chaker Al-Anbari

Un avenir encore difficile à imaginerBeaucoup d’Irakiens ont choisi de quitter définitivement leur pays natal. Dans leur exil, ils ont tendance à idéaliser le passé.

IRAK LE SCRUTIN DE TOUS LES DANGERS

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 13 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

TENDANCE On n’en a pas terminé avec la violence

Les semaines à venir seront particulière-ment difficiles sur le plan sécuritaire.

Actuellement, quelque 400 000 membres desforces de sécurité ont été déployés à Bagdad.C’est probablement le chiffre le plus élevé dumonde en proportion de la surface et de lapopulation. Après les élections, il sera réduit,tout comme seront démantelés les murs debéton derrière lesquels les Bagdadiens se bar-ricadent. Toutefois, la violence ne s’expliquepas seulement par la volonté de peser surl’électorat : elle fait partie d’un ensemble quifait système. Les terroristes qui se saisissentaujourd’hui des élections pour agir en Irak trou-veront demain d’autres échéances pour pesersur les événements. Après le 7 mars, il y aurad’autres rendez-vous avec la violence. Ceuxqui se dressent aujourd’hui contre l’organi-

sation des élections se dresseront demaincontre l’objectif de produire 11 millions debarils de pétrole par jour, contre le bon dérou-lement du retrait américain, contre l’efficacitédes sanctions à l’égard de l’Iran, contre lerèglement de la question de Kirkouk [réclamépar les Kurdes, les Turkmènes et les Arabes]et des autres régions que se disputent le gou-vernement central et les Kurdes. L’échec dela guerre contre le terrorisme a transformé cedernier. Les réseaux étrangers, déconnectésdes considérations nationales, ont cédé le pasà des organisations nationales, mais qui sontautant de portes d’entrée pour les ingérencesétrangères. On assiste à l’émergence de kami-kazes irakiens. Et cela n’est qu’un des signesde cette évolution.

Hazem Al-Amin, Al-Hayat (extraits), Londres

■ A la une“La ‘débaasification’

attise la fièvre

électorale

– Les alliances

de l’après-bataille”,

annonce

en couverture

l’hebdomadaire

irakien Al-Esbuyia.

Lancé en

décembre 2007, ce

magazine généraliste

se présente

comme une des voix

indépendantes

du pays.

▲ Dessin de Mix & Remix paru dans L’Hebdo,

Lausanne.

Page 14: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

CINCO DÍASMadrid

Ma chère amie, c e l a faisait deux ans que jene t’avais pas écrit,depuis les élections

législatives de 2008, mais, consta-tant les mauvais traitements que tusubis sur les marchés, je me suisdécidé à t’envoyer ces quelques lignesde soutien. Dans ma dernière lettre,je te signalais la mauvaise image detoi qui circulait sur les marchés inter-nationaux et te recommandais pru-dence et sagesse dans ta conduite. Al’époque, ton gouvernement, commetous les autres, niait la gravité de lacrise, et les doutes des investisseursétaient justifiés : déficit extérieurélevé, éclatement de la bulle immo-bilière, exposition excessive de tesbanques aux risques du BTP, faiblecroissance de la productivité et pertede compétitivité due à l’écart d’in-flation cumulé.

Pourtant, les attaques dont tu faisl’objet sont disproportionnées et necorrespondent pas à la réalité. Tu t’ap-prêtes à sortir de la récession avec unan d’avance, tes ménages augmententdéjà leur consommation et tes entre-prises leurs investissements ; tes expor-tations vont bien mieux que celles desautres, en particulier celles des Bri-tanniques, malgré la dépréciation dela livre. Pourquoi, alors, une telle hys-térie sur les marchés ?

Ils mettent en doute ta capacité àrenouer avec la croissance et voient entoi le prochain Japon. Ils s’acharnentsur ton taux de chômage élevé, sans serendre compte qu’il est inférieur à sonniveau de 1994, plus encore à celui de1982, et que cela ne t’a pas empêchéede reprendre ton envol. Ils ne com-prennent pas que c’est ainsi que tuatterris dans la réalité, même si je meréjouis profondément que tu aies décidéd’introduire des changements sur tonmarché du travail pour le prochaincycle économique.

Mais de là où je t’écris, j’ai de lapeine de constater qu’ils ne reconnais-sent pas que, malgré les destructionsd’emplois au cours des deux dernièresannées, tu restes celle qui a créé le plusd’emplois dans le club européen depuisla naissance de la monnaie unique. Etque tu es le pays ayant accueilli le plusd’immigrés. Suffirait-il pour résoudrele problème que les 2 millions d’im-migrés d’Europe de l’Est venus enEspagne partent travailler en Alle-magne ? Et, si le remède est aussi simpleque cela, pourquoi ces immigrés res-tent-ils en Espagne ?

Les marchés sont par nature vola-tils et ne sont pas bons conseillers àcourt terme. Le 4 février dernier, ta

Bourse a chuté plus que les autres,et avec elle la crédibilité de ton gou-vernement. Quand, en 2009, ta Bourseest partie de chiffres minimes, bieninférieurs à ses concurrentes, pour s’en-voler de 80 %, cela voulait donc direque la confiance dans ton gouverne-ment était au plus haut ? Et le jour oùla banque Santander a présenté desrésultats bien supérieurs à toutes lesattentes, les plus importants au monded’ailleurs, le fait que ses actions chutentde 10 %, deux fois plus que les autresbanques européennes, signifiait-il queles marchés n’avaient pas confiance enEmilio Botín [président du groupeSantander] pour mener la barque ? Ouqu’ils venaient de se rendre compteque Botín était espagnol et que c’étaitlà son pire défaut ? Botín est on ne peutplus espagnol, en effet, et il a réussià placer sa banque au sommet de lafinance mondiale.

Le problème, c’est qu’il n’est pasbeau du tout de critiquer l’arbitrequand tu perds. Tu connaissais lesrègles avant d’aller t’endetter, et aujour-d’hui c’est à toi de gérer la défiance desmarchés avec tact et cohérence.

Tu as besoin que tes partenairescomprennent que l’attaque contrel’Espagne et les autres pays périphé-riques est une attaque larvée contrele projet européen. Il suffit de voir quel’euro s’est déprécié de 10 % depuisles premières attaques contre la Grèce,

en décembre, et qu’on a l’impressionque le reste du G7 ne connaît pas lacrise, que c’est à nouveau nous seuls,pauvres Européens, qui rencontronsdes problèmes. Tous les Etats doiventémettre de la dette, ce n’est riend’autre que de l’instinct de survie.

A cet égard, les mots de JoaquínAlmunia [commissaire aux Affaireséconomiques et monétaires dans lacommission Barroso I, il avait affirméle 3 février que la Grèce, le Portugalet l’Espagne partageaient des pro-blèmes structurels] te comparant à laGrèce en pleine tempête ont été extrê-mement malheureux.

Il arrive que les marchés aient uncomportement grégaire : il faut aujour-d’hui toute l’autorité politique euro-péenne pour conduire ce troupeau àbon port. Il est évident que le G7 nenous aidera pas non plus. En atten-dant, tu as tout mon soutien et ma soli-darité. Ce n’est pas la première fois quetu es face à ce type de casse-tête, ettu as toujours su les résoudre. Sois réa-liste et consciente de tes problèmes,continue à prendre les mesures qu’ilfaut pour les résoudre ; au bout ducompte, tu verras, la cupidité des inves-tisseurs l’emportera sur leur mémoire.

José Carlos Díez*

* Economiste en chef de la société de Bourse

Intermoney, il tient une chronique régulière

dans Cinco Días.

europe ●

ESPAGNE

Tiens bon, mon pays, tu as connu pire !Chute de la Bourse, plan d’austérité… Le pays a perdu la confiance des marchésinternationaux. Un économiste l’assure de son soutien en lui rappelant qu’à travers elle, c’est le projet européen qu’on attaque.

ZONE EURO

Cherche piloteinventif et endurant

HANDELSBLATTDüsseldorf

Pour la deuxième fois en très peude temps, la foudre a frappé enEurope. D’abord avec la crise

bancaire, puis avec la crise grecque,encore plus violente. Les gouverne-ments commencent à comprendrequ’une politique financière et écono-mique tributaire des humeurs et desdésirs nationaux ne peut pas fonc-tionner. Les Européens réfléchissentenfin au moyen de se protéger desintempéries. A deux reprises, ils ont eurecours à des solutions improvisées entoute hâte. Cette recette ne saurait êtrevalide pour tout le continent. Les Etatsdoivent soumettre leur politique finan-cière à un contrôle commun.

Les regards se tournent principa-lement vers l’Allemagne : ses parte-naires attendent du plus grand pays dela zone euro qu’il fasse des proposi-tions. Après tout, c’est Berlin qui avaitimposé l’idée que le pacte de stabilitésuffisait, avec son cadre de coordina-tion souple. Or il a échoué, parce queles fonctionnaires de Bruxelles n’ontjamais été en mesure de vérifier les sta-tistiques nationales. Et Jean-ClaudeJuncker, en tant que président de l’Eu-rogroupe, s’est révélé beaucoup tropfaible ces dernières semaines.

Apparemment, le gouvernementfédéral a retenu la leçon. La chance-lière parle de la nécessité d’une “coor-dination beaucoup plus étroite”, sesconseillers pour l’Europe et dans ledomaine économique se font à l’idéed’une autorité économique. Même lesgrands Etats vont devoir avaler la pilule.Sinon, jamais l’Union n’aura de pilotesolide en cas de crise. Ce qu’il faudrait,par exemple, c’est ce que pratique leFonds monétaire international avec ses“consultations au titre de l’article IV” :des équipes d’experts analysent surplace les activités des Etats jusque dansle secteur de la sécurité sociale. Lesfondements juridiques nécessaires sontprévus par le traité de l’UE. Le soutienfinancier est cependant un problèmeplus complexe que le renforcement dela surveillance. Certains économistestirent de la crise grecque la conclusionque l’Europe aurait besoin de sonpropre fonds monétaire. Cette insti-tution devrait venir en aide aux paysde l’Eurogroupe, moyennant rem-boursement, mais elle devrait aussipouvoir les contraindre à modifier leurspolitiques. C’est d’ailleurs ce que faitl’UE avec les Etats membres d’Europede l’Est. Mais, dans la zone euro, c’estinterdit – une contradiction logique,car les interdépendances financières ysont beaucoup plus importantes. Ilfaut trouver une solution compatibleavec le traité. Thomas Hanke

(Voir également pp. 6 et 44.)

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 14 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

▶ José LuisZapatero, Premierministre espagnol.Sur l’aileron gauche :Chômage.Dessin de FernandoVicente paru dans El País, Madrid.

■ A la une“Le gouvernement

est seul”,

titrait récemment

La Vanguardia,

ajoutant, graphique

inquiétant à l’appui,

que “le nombre de

chômeurs pourrait

atteindre cette

année 4,6 millions”.

Au dernier

trimestre 2009,

on dénombrait

4 326 500 chômeurs

dans le pays,

soit 18,83 %

de la population

active. En ce début

2010, le chiffre serait

proche de 20 %.

L’augmentation

s’est amorcée

en 2008 : entre

le début et la fin

de l’année, près de

1 million de chômeurs

supplémentaires

ont été enregistrés.

Cependant,

l’Espagne a connu

des taux bien

supérieurs,

comme celui atteint

en 1994, avec

un taux de chômage

de 24,5 %. Le pays,

qui n’a pas connu

de croissance de

son PIB au dernier

trimestre 2009

(Eurostat avance le

chiffre de – 0,1 %),

a pris une série

de mesures, dont

un plan d’austérité

destiné à économiser

50 milliards d’euros

sur trois ans.

Page 15: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

DIE TAGESZEITUNG (extraits)Berlin

DE ZURICH

Jusqu’à présent, seuls l’UDC deZurich [Union démocratique ducentre, parti populiste de droite]et son principal organe de presse,

l’hebdomadaire Weltwoche, s’en pre-naient aux Allemands installés enSuisse. Désormais, ces attaques sontreprises par des personnalités politiqueset médiatiques, réputées sérieuses etprogressistes, et par une partie de laSuisse alémanique.

Cela est apparu très nettement lorsd’un récent Club, le débat télévisé leplus regardé de la télévision suisse-allemande. Après la “mafia allemande”de l’université de Zurich, contrelaquelle l’UDC locale s’acharne depuisle mois de décembre à coups de slo-gans racistes, la nomination d’unejeune chercheuse allemande à l’uni-versité de Berne sert actuellement deprétexte à dénoncer “l’invasion” dela Suisse par les Allemands.

Le gouvernement et les diplomatesallemands espéraient jusqu’à présentque cette campagne était instrumen-talisée par l’UDC pour rafler des voixlors des élections du 7 mars dans lecanton de Zurich et que les choses secalmeraient ensuite. Cet espoir nesemble pas près de se concrétiser. Car,après le référendum sur l’interdictiondes minarets [voir CI n° 997, du10 décembre 2009], l’UDC a bien perçula valeur stratégique de la campagnecontre les Allemands pour les électionslégislatives de l’année prochaine.

“C’est une erreur de parler allemandavec les Allemands”, déclare RogerSchawinski, un homme de média deZurich [il a dirigé la chaîne suisse SAT 1de 2003 à 2006] qui passait jusqu’icipour libéral et ouvert au monde, et quiavait souvent pris position contrela xénophobie au Club. Schawinski

exhorte aujourd’hui les Allemands ins-tallés en Suisse à parler le dialecte local.“On le dit bien aux ‘Yougoslaves’, l’in-tégration passe avant tout par la langue”,ajoute-t-il.

Rudolf Strahm, député social-démocrate de longue date, déplore– sans apporter la moindre preuve –que les Suisses peu qualifiés soient“refoulés” du marché du travail par desAllemands mieux qualifiés. Les expertsdémentent cette thèse, tant dans lesdomaines sensibles de la santé et del’éducation que sur d’autres segmentsdu marché du travail. Depuis l’entréeen vigueur de la libre circulation despersonnes entre la Suisse et l’Unioneuropéenne [en 2009], beaucoup d’Al-lemands ont trouvé un emploi dans laConfédération. En général, il n’y avaitpas de candidats suisses à ces emplois,ou uniquement des candidats nette-ment moins qualifiés.

Cela vaut pour Silke Adam, 33 ans,chercheuse en communication, uneAllemande qui a pris le 1er février sesfonctions de maître de conférencesà l’université de Berne en remplace-ment du Pr Roger Blum, parti à laretraite. Silke Adam s’est imposée faceà 31 candidats de différents pays – dontseulement deux Suisses – car elle étaitla mieux placée pour le profil de postedéfini par l’université.

Christoph Mörgeli, député UDC,passe sous silence ces faits gênants. AuClub, il s’est empressé de voir dans cettenomination l’œuvre du “trafic d’in-fluence allemand”. Cet homme poli-tique [qui est aussi l’un des instigateursde la campagne de calomnie contre la“mafia allemande” à l’université deZurich] ne connaît en Suisse “aucunechaire occupée par un Allemand pourlaquelle un Suisse d’égale valeur n’ait pasfait acte de candidature”. Il juge que lesSuisses “rampent” devant les Alle-mands, ce dont témoignerait égale-ment le fait que l’université de Berne

a récemment décerné le titre de doc-teur honoris causa à la chancelière alle-mande Angela Merkel.

Markus Sohm, un journaliste deWeltwoche qui partage les mêmes opi-nions, souligne qu’“être suisse, c’est nepas être allemand” et qu’il faut “le fairesentir aux Allemands”. Des propos qui,selon le quotidien de Zurich Tages-Anzeiger, ne sont “plus très loin du har-cèlement antiallemand”.

Le gouvernement de Berlin et lesdiplomates allemands en poste à Berne,qui se sont jusqu’ici gardés de s’ex-primer publiquement sur la campagneantiallemande dans l’espoir que l’UDCy mettrait un terme après les électionsdu 7 mars, ont de quoi s’inquiéter.Toutes les informations en provenancede l’équipe qui entoure Toni Brunner,le président du parti, et Christoph Blo-cher, son stratège en chef, indiquentque la campagne se poursuivra ets’élargira au plan national – surtoutsi le parti réalise un bon score lors duscrutin de Zurich.

Le calcul de l’UDC est simple àcomprendre : si le parti a pu gagnerdes voix auprès des électeurs à faiblesrevenus et peu qualifiés avec ses cam-pagnes xénophobes et racistes des der-nières années contre les étrangers “ensituation irrégulière” et “criminels”, lesréfugiés et les demandeurs d’asile desBalkans, d’Europe de l’Est et des paysdu Sud, une campagne contre “l’in-vasion” et la concurrence des Alle-mands sur le marché du travail peutaussi lui valoir des voix dans les classesmoyenne et supérieure de la popula-tion suisse.

L’UDC se sent en outre encou-ragée par sa victoire au référendum surl’interdiction des minarets. Ce succèsn’a été possible que grâce au ralliementdes deux tiers des électeurs des par-tis de centre droit, qui avaient pour-tant donné d’autres consignes de vote.

Andreas Zumach

europe

■ TensionsDans son édition du

13 février, le tabloïd

Bild revient

sur les tensions

entre la Suisse

et l’Allemagne

concernant

le secret bancaire.

Il cite les déclarations

menaçantes du

conseiller national

Alfred Heer (UDC) :

“Si l’Allemagne

achète des données

bancaires volées,

nous nous

emploierons

à modifier la loi,

de telle sorte que

devienne obligatoire

la publicité de tous

les comptes suisses

de personnalités

allemandes

ayant des

responsabilités

dans la vie publique.”

Le quotidien

Frankfurter

Rundschau confirme

et précise la teneur

d’une prochaine

initiative

parlementaire.

L’UDC y demanderait

que les comptes

bancaires des

agents de l’Etat, des

collectivités, des

partis et des

syndicats allemands

ne soient plus

soumis au secret…

ITALIE

“Je vole, donc je suis”

LA REPUBBLICA (extraits)Rome

Seul Descartes pourrait réussir àexpliquer l’épidémie de klepto-manie qui se répand dans le

pays. Il y a quelques jours, un quo-tidien a dressé la liste des malversa-tions des hommes politiques et deshommes d’affaires rien que pour ledernier mois. L’article occupe unedemi-page. Sommes-nous revenusaux temps de l’opération Mani Pulite[Mains propres, nom d’une vaste opé-ration judiciaire lancée en février 1992contre la corruption du monde poli-tique italien], au temps où les jugescommunistes complotaient contreBettino Craxi [ancien leader socialiste,condamné dans une demi-douzained’affaires de corruption ?

Dix-huit ans plus tard, on est endroit de se demander si l’on sortiraenfin du tunnel, de cette illégalité “géla-tineuse”, comme on la surnomme.

Ce qui frappe le plus, quand onlit la liste des plus récentes malversa-tions, c’est qu’en général les per-sonnes corrompues ne savent paspourquoi elles le sont ni pourquoi ellesse sont laissé corrompre. Une aliéna-tion qui stupéfiait déjà les magistratschargés de l’opération Mains propres,comme si la corruption était devenueun mal nécessaire.

“Je vole, donc je suis.” La corrup-tion généralisée et obsessionnelle n’estpas seulement de la cupidité, c’estaussi une volonté de se débrouiller,d’être plus malin, plus désinvolte, plusopportuniste que les autres. Dans sapropre défense, Guido Bertolaso abien souligné cet aspect. [Chef de laProtection civile et proche conseillerde Silvio Berlusconi, Bertolaso estreconnu pour son efficacité. Mis encause par une enquête du parquet deFlorence qui le soupçonne de cor-ruption, il a présenté sa démission àSilvio Berlusconi, qui l’a refusée.]

“On m’a demandé d’intervenir enurgence, pour répondre immédiatementà ce besoin de protection. L’urgence s’ac-commode mal de garde-fous, de prudence”,a-t-il avancé. On en revient aux risqueset aux erreurs du populisme, de la poli-tique du faire, de la recherche duconsensus quel qu’en soit le prix.Chaque jour, la télévision et les jour-naux annoncent l’arrestation d’un par-rain de la Mafia. Les noms changent,mais l’histoire est toujours la même.Dans les villages de l’Aspromontecomme dans les milieux cossus mila-nais, on trouve des souterrains, desdoubles cloisons, des alarmes élec-troniques et des caméras de vidéo -surveillance, et pourquoi pas mêmeune niche abritant un saint protecteur.Quelle présomption ! Ce n’est pas vrai,le crime ne paie pas ; en revanche, ilplaît. Et personne ne résiste à la ten-tation du “Je vole, donc je suis”.

Giorgio Rocca

SU ISSE

Après les minarets, haro sur les AllemandsDopée par sa victoire électorale contre les mosquées, la droite populiste enfourche un nouveau cheval de bataille : les envahisseurs allemands sur le marché du travail. Un thème qui connaît un redoutable succès.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 15 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

▲ Dessin de Mix & Remix paru dansL’Hebdo, Lausanne.

Page 16: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

DIÁRIO DE NOTÍCIASLisbonne

Tous les jeudis, le rituel serépète. Des dizaines d’ha-bitants de Lordelo passentla nuit devant l’entrée du

centre de soins afin de pouvoir prendrerendez-vous pour la semaine suivante.Les premiers arrivent vers 23 heures.Certains prennent place dans la filepour, le matin venu, revendre leur“place” 5 euros. Celui qui n’a pas d’ar-gent pour ça est pour sa part obligé depasser la nuit dehors dans le froidavant de retourner à son travail, lelendemain matin. Cette scène a lieunon dans un bourg perdu du Portu-gal profond, mais dans une ville de10 000 habitants à 30 kilomètres dePorto, et dans un pays où on peutprendre rendez-vous par Internet.

Maria Manuela Milheiro, 35 ans,est arrivée la première. “Le médecinm’a prescrit des examens et je lui apporteles résultats”, explique-t-elle. Origi-naire de Lisbonne, elle vit à Lordelodepuis près d’un an et n’a toujourspas de médecin traitant*. “Il y a quinzejours, je suis également venue à cetteheure-ci pour prendre rendez-vous pourla semaine suivante.” Alzira Nunes Fer-reira s’est jointe à elle. Employée dansun restaurant, elle est en arrêt mala-die après une opération à l’épaule,mais ce n’est pas pour cette raison quecette femme de 53 ans est là depuis23 h 30. “Ma petite-fille est née il y a

trois mois et n’a pas eu de consultationdepuis. Ma fille n’a pas de médecin trai-tant et le mien m’a dit qu’il ne pouvaitpas la prendre car il avait déjà trop depatients”, raconte-t-elle. Elle va en pro-fiter pour prendre rendez-vous pourelle, pour sa petite-fille et pour sonbeau-frère. Les deux femmes confir-ment que l’afflux de personnes devantle centre de santé dans la nuit du jeudiau vendredi est une habitude. Cer-tains viennent avec leur couvertureet leur oreiller. Le bruit provoqué parles discussions jusqu’à 8 heures dumatin est tel que les habitants desimmeubles voisins en arrivent parfois

à appeler la gendarmerie. Cette nuit,la patrouille est passée en voiture vers2 heures, sans s’arrêter.

Gracinda Almeida, âgée de 45 ans,est sans médecin traitant depuis troisans, date de son installation à Lordelo.Souffrant d’hypertension, elle doitconsulter le médecin au moins unefois par mois. “Mais, comme je n’ai pasde médecin traitant, je viens toujours icià 3 heures du matin. En moyenne, il y aquarante à cinquante personnes qui atten-dent.” Gracinda est venue avec uneamie, Maria Rosário Esteves, dontl’état de santé exige un suivi régulier.“Cela fait deux ans que je dois venir

la nuit pour prendre rendez-vous”,déplore-t-elle, ajoutant qu’il lui est déjàarrivé pour cela de laisser ses enfantsde 4 et 9 ans dormir seuls à la maison.Fernando Lopes n’a pas ce problème,mais il se voit obligé, à 57 ans, de tra-vailler toute la journée dans une scie-rie après une nuit blanche. Arrivé vers3 heures, avec un tabouret à la main,il est venu prendre rendez-vous poursa femme, sa fille et lui.

Les heures passent et le rythmed’arrivée des patients augmente. A3 h 10, c’est le tour d’António Coelho.“Je suis obligé de venir ici chaque mois ;ça fait trois ans que je suis en arrêt mala-die et il faut le renouveler tous les mois.Si je n’ai pas de rendez-vous, je perds mesdroits”, explique-t-il. Cinq minutesplus tard, voilà Ernesto Santos. Lui adéjà passé la nuit à la belle étoile lasemaine précédente, mais l’absencedu médecin désigné pour sa consul-tation l’a obligé à revenir. “Ça se passetoujours comme ça quand un médecin nevient pas”, se lamente-t-il.

Le jour se lève, des dizaines de per-sonnes attendent. Tous se plaignent dumanque de médecins. Nul doute que,le jeudi suivant, le rituel se répétera.

Roberto Bessa Moreira

* Cela concerne environ 1 million de Portugais,

en raison de la pénurie de médecins. (Un

médecin traitant, s’il est surchargé, peut

refuser de prendre un patient.) Le syndicat

des médecins généralistes estime que 3 millions

de Portugais se retrouveront sans médecin

traitant en 2015.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 16 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

europe

À LA UNE Chaos à l’hôpital

Qui paie le plus ?” interrogel’hebdomadaire Visão, qui

consacre sa dernière une à laconcurrence que se font l’hôpitalpublic et le privé au Portugal.Tous cherchent à recruter desmédecins à tout prix. En autori-sant les médecins hospitaliers àsortir de la fonction publique, legouvernement a ouvert la boîtede Pandore : ces médecins peu-vent ainsi continuer à travaillerpour le public en étant mieux payé via descontrats individuels, tout en ayant la possi-bilité d’œuvrer dans le privé, en plein booméconomique. Beaucoup d’entre eux ont préféré

franchir le Rubicon pour de bon,attirés par des rémunérations pou-vant atteindre 30 000 euros parmois. Les établissements privés(environ 50 % du total) font lachasse aux spécialistes. Un gyné-cologue en fin de carrière peut sevoir proposer 10 000 euros men-suels, soit quatre fois plus que sonsalaire dans le public. Les syndi-cats dénoncent une atteinte à laqualité des soins dans l’hôpital

public, la majorité des services fonctionnantavec deux fois moins de médecins qu’au-paravant, ce qui rallonge des listes d’at-tente déjà surchargées.

PORTUGAL

Nuit longue et blanche pour les maladesFaute de médecins, l’accès aux soins est devenu un véritable parcours du combattant pour les Portugais. Un journaliste a passé la nuit avec des patients faisant la queue pour obtenir un simple rendez-vous.

ROYAUME-UNI

Un médecin de garde pour 650 000 personnes

Il n’y a pas qu’au Portugal qu’il fautpatienter pour voir le médecin. AuRoyaume-Uni, un médecin de garde

peut assurer seul la couverture de plu-sieurs centaines de milliers de personnes.Une enquête du quotidien britanniqueThe Daily Telegraph révèle que, dans lesdistricts londoniens de Barnet et d’En-field, dont la population s’élève à 650 000personnes, un seul et unique médecingénéraliste était de garde pendant la nuitdu samedi 30 au dimanche 31 janvier. La

semaine précédente, dans le Suffolk, dansl’est de l’Angleterre, deux médecins assu-raient la garde pour une population de600 000 personnes.

Le service des gardes médicales duNHS, le système de santé publique duRoyaume-Uni, est sous les feux des cri-tiques depuis la mort de deux patientstraités par un médecin généraliste rem-plaçant venu d’Allemagne. Daniel Ubani,qui a administré une dose létale de dia-morphine à un patient, a été reconnu cou-

pable d’homicide involontaire le 4 févrierpar la police judiciaire. Mais celle-ci aaussi mis en cause les méthodes de sélec-tion des médecins. Ubani, qui assurait sapremière garde au Royaume-Uni, par-lait très peu anglais.

“Cette affaire pose beaucoup de questionssur la gestion de ce service de garde. Depuis2004, date des changements contractuels[avec le NHS], les médecins peuvent choisirde ne pas travailler la nuit ou le week-end.Les services sont tellement débordés et en

manque de personnel qu’ils font appel à desmédecins généralistes venus de l’étranger pourassurer des gardes. Cela pose des problèmesdu point de vue de leurs compétences et deleur niveau d’anglais.”

Ce sont des organisations locales duNHS qui gèrent désormais ce service, et ladisponibilité des soins est très variable selonles régions : pour le même nombre d’ha-bitants, certaines d’entre elles peuvent avoirjusqu’à huit fois plus de médecins de gardeque d’autres régions, précise le quotidien.

▲ Dessin paru dansThe Economist,

Londres.

Page 17: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

ROYAUME-UNI

Reading ou le brassage ethnique heureuxDepuis cinquante ans, cette ville proche de Londres attire des immigrants venus du monde entier. On y parle 150 langues et on y cohabite pour le meilleur ou presque.

THE DAILY TELEGRAPHLondres

Depuis peu, Reading acessé d’être la ville desembouteillages et desassurances pour devenir

la Mecque des mordus de sociologieet de linguistique : une étude récentey recense 150 langues différentesdans les écoles de la ville. Le bras-sage ethnique est d’une telle richesseque, dans certaines écoles, à peine lamoitié des élèves ont l’anglais pourlangue maternelle. S’agit-il d’unebonne nouvelle, d’un désagrémentpratique ou d’une menace pour letissu social et économique ?

Depuis la révolution industrielle,Reading s’est construite grâce à l’im-migration. Mais, là, le phénomèneest d’une ampleur considérable. Lacommune compte le plus grandnombre de locuteurs de bajan (créolede la Barbade) au monde en dehorsde la Barbade. Aux immigrants desCaraïbes des années 1950 sont venuss’ajouter ceux du Pakistan et d’Indedans les années 1960 ; à la vague deceux d’Afrique de l’Est dans les années1970 a succédé le raz de marée desVietnamiens, Indonésiens, Polonais etPhilippins. Les derniers arrivés vien-nent des endroits les plus malmenésdu globe, comme le Rwanda, l’Ethio-pie et l’Afghanistan.

Sur Oxford Road, on entend par-ler pendjabi, yoruba, guarani, temneou ouzbek. On peut y lire le DziennikPolski, boire un verre dans un pubpolonais, faire des abdos dans unesalle de gym tenue par des Hongrois,se faire faire des tresses africaines,acheter des spécialités portugaisesou de la viande halal.

Sur les hauteurs de Reading,l’école primaire de Battle compte442 enfants issus de 42 pays diffé-rents ; moins des deux tiers desenfants ont l’anglais pour languematernelle. La cour de récréation est

une véritable tour de Babel où secôtoient des dialectes et des languesdont la plupart des habitants deReading ignoraient l’existence,comme le pachto, le tagalog, le mara-thi, le kikuyu. Le personnel de l’éta-blissement est également à l’imagede la cour de récréation : il y a desPolonais, des Asiatiques, des Pakis-tanais et des Indiens, bilingues outrilingues pour la plupart.

Contre toute attente, ces enfantsparviennent à maîtriser parfaitementl’anglais en deux ans, surtout s’ils sontarrivés tôt. La seule chose que l’équipepédagogique n’accepte pas, c’est dene pas pouvoir communiquer avec sesélèves. Pour cela, les enfants qui ontune langue en commun travaillent enbinôme. Les leçons ne sont pas tra-duites. Les techniques d’enseigne-ment privilégient des méthodes plusvisuelles et les enfants apprennentl’anglais grâce à des jeux de rôle. Aveccette approche, même ceux qui ontl’anglais pour langue maternelle déve-loppent leur vocabulaire et ont demeilleurs résultats.

CELA APPORTE UNE ÉNERGIEINCROYABLE À LA VILLE

Mais, si les enfants d’immigrés fontdes progrès remarquables, ils sontencore loin d’atteindre les niveauxrequis dans les écoles où l’anglais estla langue maternelle de la majoritédes élèves. “Nous ne sommes pas surun pied d’égalité avec les autres écoles”,constate le directeur adjoint del’école, Colin Lavelle. “Nous partonsavec plus de handicaps que les écoles desquartiers aisés de Reading. Si c’est frus-trant ? Seulement si vous comparez lesrésultats nationaux.”

Le flot incessant d’immigrés quise déverse sur Reading a créé un sen-timent de dislocation, voire un cer-tain ressentiment chez ceux qui viventlà depuis des années. “Cette situationapporte une vitalité et une énergieincroyable à la ville”, explique RobWilson, député des quartiers est deReading. “Pourtant, depuis quelquetemps, le rythme et l’ampleur de ce phé-nomène sont devenus une source d’in-quiétude pour nombre de mes électeurs.Cet afflux humain a engendré une pres-sion énorme sur certaines écoles, sur le loge-ment, les services médicaux et les servicespublics en général. Les gens pensent quel’on a été trop loin et que le gouvernementdoit reprendre le contrôle de la situation. ”

Le conseil municipal de Readingpropose des cours d’anglais pour dessommes vraiment modiques, dansl’espoir que ces compétences lin-guistiques donneront aux chômeurs,aux nouveaux arrivants et aux parentsd’enfants scolarisés suffisammentd’assurance pour s’intégrer à la com-munauté.

La municipalité de Reading et lestravailleurs sociaux sont catégo-riques : Reading n’est pas différentedes autres villes qui attirent les étran-gers. Dans la ville voisine de Slough,qui accueille la plus grande diversitéde cultures après Londres, 40 % dela population est d’origine étrangère.Au sein d’une classe de primaire, lesenfants parlent 22 langues différentes.Et pourtant, les résultats des écolesl’année du GCSE [examen de fin dusecondaire] sont parmi les meilleursdu pays.

“Cet afflux de personnes désireusesde travailler est une chance pour notreville”, explique Ruth Bagley, à la têtede la municipalité. “Comme les gensde différentes cultures sont habitués à vivrecôte à côte, notre cohésion sociale est bonnenon pas malgré cette diversité, mais biengrâce à elle.” Elisabeth Grice

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 17 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

europe

▲ Dessin de GermánMenino paru dans El Periódico

de Catalunya,

Barcelone.

RepèresAu XIXe siècle, on venait à Rea-

ding de la campagne an glaisepour trouver du travail dans lesusines de la révolution indus-trielle. Les années 1950 et 1960ont connu une importante vagued’immigration des pays du Com-monwealth, dont les habitantsbénéficiaient automatiquementde la citoyenneté britannique.Aujourd’hui, cette ville de près de200 000 habitants est un pôlepour les industries high-tech et lesservices financiers.

Page 18: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

BALKANS

Quelque chose en nous de profondément ottomanLes pays balkaniques doivent reconsidérer sereinement leur histoire et cesser de honnir tout ce qui a trait à l’Empireottoman. Leurs langues, leurs cuisines ou leurs attitudes sont d’ailleurs profondément imprégnées de cette culture.

GLOBUS (extraits)Skopje

Lorsqu’il s’agit de définirl’influence du passé et del’héritage ottomans dans lacomposition de l’identité

contemporaine de nos nations, nos his-toriens passent sous silence des élé-ments essentiels. Presque tous lespeuples balkaniques minimisent cetteinfluence, qui est pourtant omnipré-sente. Maria Todorova, auteure du livreImagining the Balkans (Oxford Uni-versity Press, 1997), a jeté un pavé dansla mare lorsqu’elle a accusé les histo-riographes et autres sociologues offi-ciels des Etats balkaniques de dégui-ser la vérité sur leur passé ottoman etl’héritage de cette période, qu’ils consi-dèrent avec dédain ou déni [en Bul-garie, pays dont Marie Todorova estoriginaire, l’historiographie officiellene tolère que l’expression de “jougturc” pour qualifier cette période]. Elleva encore plus loin et nous enseignequ’il ne faut plus étudier “l’héritage otto-man dans les Balkans”, mais “les Bal-kans comme héritage ottoman”.

Cet héritage est perceptible à tousles niveaux de la vie sociale. Dans lavie politique, il se traduit par larecherche exclusivement extra-insti-tutionnelle d’une solution aux pro-blèmes (le pazarlik [marchandage]),une pratique typiquement ottomane.L’absence d’élites culturelles autoch-tones en fait également partie. Danstoutes les régions de l’Empire otto-man, les élites étaient composéesessentiellement d’intellectuels formésà l’étranger, une situation qui n’a guèreévolué depuis l’accession des diffé-rentes nations à l’indépendance. L’ab-sence de bourgeoisie et d’aristocra-tie locales ainsi que l’industrialisation

ratée de l’époque ottomane sont unedes raisons de la faiblesse économiquedes pays des Balkans.

La période ottomane a aussi laisséénormément de traces dans les cou-tumes et les gestes quotidiens qui sontdes caractéristiques inévitables denotre code culturel. Si l’on oublie lesturcismes [mots d’origine turque]dont sont truffés nos propos, le dis-cours non verbal de tous les “post-Ottomans” a tout pour étonner unOccidental. Certaines façons d’agir,comme le fait de cracher pour mon-trer sa déception ou son indignation(le tout appuyé d’un tonitruant Yazik !

[Malheur !]) sont bien plus compré-hensibles pour un Oriental que pourun Occidental. La cuisine est un autredomaine de la vie quotidienne qui nemanque pas d’influences turques : lasarma (feuilles de vigne ou de choufarcies), la moussaka, la tourlitava(ratatouille) et le börek (feuilleté) sontavant tout des spécialités orientales.Nous buvons du café turc et noussommes tous friands de baklavas, detouloumba et de boza, ces douceursorientales. Sans oublier la kafeana (duturc kahvehan), qui est l’institution oùse crée l’opinion publique, que ce soiten ville ou à la campagne, et qui, bienque semblable aux bars et aux res-taurants, restera toujours une kafeanacar elle n’a pas d’homologue dans lemonde occidental.

Une introspection plus pousséenous donnera d’autres exemples : lepatriarcat, la corruption, la dépen-dance de la justice à l’égard des poli-ticiens et des personnes influentes, lesaffaires “au noir” et le marchandagesont des éléments indissociables de laculture ottomane. Les cinq siècles etdemi d’autorité et, plus globalement,de présence turques ont laissé dansnos cultures des traces profondes. Cecontexte ottoman est la raison princi-pale pour laquelle la transition de nospays au modèle libéral occidental sefait difficilement – “différemment”serait plus exact. C’est aussi la raisonpour laquelle, à une époque où nousutilisons tous Internet et considéronsl’anglais comme notre seconde langue,les débats continuent de tournerautour de l’opportunité de construirede nouvelles églises et de nouvellesmosquées. Atanas Vangeli*

* Leader informel de la jeunesse antinatio-

naliste macédonienne.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 18 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

europe

BILATÉRAL Sofiarefroidit AnkaraLa visite, début février, du Premierministre bulgare Boïko Borissov enTurquie avait essentiellement pourbut de marquer la différence avecses prédécesseurs, analyse le quo-tidien à grand tirage 24 Tchassa,de Sofia. En juillet 2009, le gou-vernement de centre droit deBorissov a succédé à une coali-tion tripartite menée par le Partisocialiste, dans lequel le parti dela minorité turque en Bulgarie, leDPS, était fortement représenté.“Le message de Borissov à Ankaraétait que, désormais, il ne faudraitplus compter sur le DPS dans lesrelations bilatérales”, poursuit lejournal. Ce qui signifie de facto unrefroidissement entre les deuxpays. De nombreux sujets épineuxrestent donc en suspens, commele paiement des retraites des nom-breux Bulgares d’origine musul-mane qui ont fui le régime com-muniste en Turquie. Côté bulgare,Sofia conditionne son soutien à lacandidature turque à l’Union euro-péenne par la résolution de nom-breux contentieux, dont certainsdatent de la fin du XIXe siècle.

GÉORGIE

Une partie de l’opposition renoue avec l’“occupant” russe

Aquelque trois mois des électionsmunicipales, que certains analystesgéorgiens considèrent comme po -

tentiellement à risque pour le pouvoiractuel, les enjeux politiques en Géorgie seconcentrent sur l’avenir des relations avecMoscou. Si les uns, comme le Parti conser-vateur de Kaha Koukava, ou le Parti dupeuple de Koba Davitachvili, prônent lerétablissement du dialogue, d’autres s’ac-crochent à l’Histoire et alimentent lesvieilles rancunes.

Le 9 février, à Moscou, Zourab Nogaï-deli, ancien Premier ministre, fondateur duparti d’opposition Pour une Géorgie équi-table, et Boris Gryzlov, dirigeant du partiau pouvoir Russie unie, président de laDouma russe, ont signé un accord decoopération entre leurs deux partis. Commes’il ne suffisait pas de “choisir l’occupant pour

partenaire”, comme le déplore le quotidiende Tbilissi 24 Saati, l’ex-bras droit duprésident Mikheïl Saakachvili a qualifiécet accord d’“historique”, affirmant que“d’autres mouvements d’opposition étaient prêtsà nouer une relation sérieuse avec la Russie”.Affirmation qui n’est pas tombée dansl’oreille d’un sourd : Boris Gryzlov a de soncôté appelé à la coopération “toutes les forcessaines [d’opposition] de Géorgie”. En guisede symbole, il a offert à Zourab Nogaïdeliun CD comportant la chanson Deux voix[Dva golossa] enregistré en Russie par OlegGazmanov et Sosso Pavliachvili, deuxvedettes de la variété russe (le second estoriginaire de Géorgie). “Ce disque résume-t-il à lui seul le programme de Nogaïdeli ?” iro-nise 24 Saati.

Pionnier géorgien du rétablissement desrelations russo-géorgiennes, rompues depuis

la guerre en Ossétie du Sud en août 2008(et très mal en point depuis la “révolutiondes roses” à Tbilissi en décembre 2003),Nogaïdeli est pourtant plus que sérieux.Dans une interview au journal moscoviteIzvestia, il affirme ne pas avoir peur de pas-ser pour un “traître” et un “agent du Krem-lin”, et argumente : “En Géorgie, la fin decette confrontation avec la Russie est une exi-gence sociale. Les citoyens en ont plus qu’assezde cette animosité entre nos deux pays. Cetaccord interpartis jette les bases des futures rela-tions entre nos pays.”

Les autres partis qui composent l’échi-quier géorgien (mais qui ne soutiennent paspour autant le régime de Saakachvili) nevoient quant à eux aucune possibilité decoopération avec Moscou avant le retoursous le contrôle de Tbilissi des républiquesséparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie.

Des représentants de la société civile et del’opposition, membres du “Comité dedésoccupation”, créé en 1996 pour mettrefin à la présence militaire russe en Géorgie,envisagent de créer un Front uni pour lalibération de la Géorgie, rapporte le sited’information géorgien Grouzia Online.“L’agression de la Géorgie par la Russie adébuté le 11 février 1921, lorsque l’Armée rougea soviétisé la république démocratique indé-pendante de Géorgie. Une occupation militairede quatre-vingt-cinq ans s’est ensuivie, doubléede la violation de l’intégrité territoriale de notrepays et de l’instauration d’un pouvoir totali-taire”, tonne Irakli Tsereteli, militant dumouvement. “Nous condamnons égalementl’agression russe d’août 2008, qui est un pro-longement de l’invasion bolchevique de 1921.Nous exigeons une désoccupation totale, incon-ditionnelle et immédiate de la Géorgie.” ◼

TURQUIE

Istanbul

Athènes

BucarestBelgrade

BudapestVienne

GRÈCE

BULGARIE

BOSNIE-HERZ.

HONGRIE

MONTÉNÉGRO

ALBANIE

ROUMANIE

SERBIE

MACÉDOINE

KOSOVO

AUTRICHE

SLOVÉNIE

SLOVAQUIEUKRAINE

MOLDAVIE

R. TCHÈQUE

M e r N o i r e

M e r I o n i e n n e

dans la zoneEn 1683 (apogée)

Frontières actuelles

Pays appartennanten totalité ou en partie à lapéninsule des Balkans En 1878

d ldandandans ls ls la za za oneoneodans la zonedans la zoneEEn 1683 (ap

En 1878

En 1911

CROATIE

L’héritage ottoman en Europe orientale

0 400 km

RETROUVEZ CET ARTICLE EN NEUF AUTRES LANGUES SUR

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Page 19: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

ROMÂNIA LIBERABucarest

Parfois, faire bâtir une nou-velle église compense la cul-pabilité ressentie pour lamarginalisation de l’Eglise

par les communistes pendant cesdécennies où les symboles religieuxétaient proscrits. D’autres fois, pen-sent les experts, la construction d’uneéglise apporte un capital politique.

Le fait est que la Roumaniecompte aujourd’hui deux fois plusd’églises que d’institutions éducativesou de soins. Au cours des vingt der-nières années, les statistiques mon-trent que le nombre d’églises a aug-menté vertigineusement, tandis quele nombre d’écoles et d’hôpitaux n’acessé de décroître. Une étude menéepar l’ONG Suisse APADOR montreque près de 4 000 nouvelles églisesont vu le jour en Roumanie depuis1989 – soit deux cents par an, ou unetous les deux jours. Durant la mêmepériode, le nombre d’écoles a été di -visé par trois, et, dans les hôpitaux,le nombre de lits a été réduit demoitié ou presque. Statistiquement,1 056 écoles ont disparu chaque année,

soit trois par jour. Le nombre de litsd’hôpital a diminué en moyenne de3 835 par an. La santé a ainsi large-ment perdu le match face à la prière.

Entre églises, d’une part, et écoleset hôpitaux de l’autre, la balancepenche donc résolument en faveur des

premières. En 2008, l’Eglise ortho-doxe roumaine disposait à elle seulede 16 000 édifices religieux, dont80 % avaient été construits récem-ment. Au-delà des statistiques, les spé-cialistes considèrent que diverses rai-sons – spirituelles, psychologiques etparfois bassement matérielles – expli-quent cette tendance. L’anthropo-logue Vintila Mihailescu explique quela religion a été fortement oppriméesous le communisme ; après 1989, “ilexistait un réel besoin d’églises et la cul-pabilité était tout aussi réelle vis-à-vis del’Eglise”. Au-delà de cette culpabilitéexplicable et du besoin d’églises aprèsquarante-cinq ans de communisme,le sociologue Mircea Kivu confie nepas considérer comme allant de soi lefait que l’Etat octroie des fonds pourla construction ou la restauration deséglises, à l’exception des monumentshistoriques. L’anthropologue VintilaMihailescu explique que les Roumainsconsidèrent l’Eglise et la religioncomme leur affaire, tandis que leshôpitaux et les écoles sont l’affaire del’Etat. Ainsi, l’initiative privée s’orientesurtout vers les églises.

Mais l’Etat et les responsablespolitiques font eux aussi quotidien-

nement leur profession de foi. L’Egliseest l’une des institutions qui bénéfi-cient du plus haut degré de confiancepopulaire en Roumanie. Les poli-tiques “ne voudraient pour rien aumonde se mettre l’Eglise à dos, et les can-didats aux élections assistent à de nom-breuses célébrations religieuses afin debénéficier de son image, explique Mir-cea Kivu. La relation entre l’Eglise etl’Etat est ambiguë. La Roumanie est offi-ciellement un Etat laïc, mais, même auParlement, une croix trône au-dessus dusiège du président.”

Vintila Mihailescu estime quede nombreux Roumains – gens dupeuple, politiques ou hommes d’af-faires – voient l’Eglise et la pratiquereligieuse “comme une sorte de policed’assurance : une hostie, un cantique, unedonation font du bien”.

Adrian Moraru, directeur adjointde l’Institut des politiques publiques,parlant de l’essor des églises en Rou-manie, propose un autre argument :“Les diplômés en théologie, dont lenombre a explosé ces dernières années,exercent une forte pression. La ruée pourune paroisse et pour l’argent qui y couleest une lutte sans merci.”

Andrei Luca Popescu

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 19 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

europeROUMANIE

Moins d’écoles, moins d’hôpitaux, mais plus d’églisesEn vingt ans, le pays a vu pousser 4 000 églises et disparaître bien plus d’écoles et d’hôpitaux : tels sont les chiffresissus d’une étude menée par une ONG suisse. Dieu pourvoira à tout ?

◀ Dessin de Kazanevsky,Ukraine.

■ GoupillonJusqu’en 1989,

l’éducation

religieuse s’est

bornée à la présence

dans chaque classe

du portrait de

Nicolae Ceausescu,

seul culte autorisé.

Aujourd’hui,

la religion est

étudiée pendant

les douze années

d’école, de collège

et de lycée. Il s’agit

d’un enseignement

qu’on pourrait

qualifier

de “catéchisme

orthodoxe”,

dispensé

par des prêtres

en soutane.

Page 20: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

HAÏTI

A Port-au-Prince, la tôle remplace la toileLa peur de la pluie et du vent pousse de nombreux sinistrés hébergés sous des tentes à bâtir des abris plus pérennes. Au risque de créer de nouveaux bidonvilles.

LE MATINPort-au-Prince

Gilbert, la quarantaine, leregard vif et les musclesnoueux, se débat avec unlong morceau de bois pour

le fixer à un autre. Par terre, des toilesqui ne servent plus à grand-chose s’en-tassent. L’homme est l’un des sinistrésdu séisme. Il est las d’attendre une aideconcrète pour son relogement et adécidé de passer à l’action. Tout le longde la rue Oswald-Durand, devant lafaculté de médecine et de pharmaciede Port-au-Prince, s’étendent désor-mais à perte de vue des petitesconstructions de toutes les couleurs nemesurant pas plus de 4 mètres sur 4.Le bruit des marteaux cognant sur lebois résonne dans tout le secteur.

Certains “propriétaires” ont mêmepu se payer une couche de peintureblanche. Ici, la plus grande précaritérègne et le dénuement est total. Leshabitants semblent prendre leur mal enpatience. Devant une de ces baraques,un jeune homme fournit du service àla communauté avec son ordinateur. Ilest entouré de clients qui veulent taperun CV pour chercher du boulot oucopier un morceau de musique ou unfilm. La peur des pluies, et surtout duvent, qui provoque des maladies pul-monaires, force ceux qui en ont lesmoyens à construire des habitationsplus pérennes. En cette période de l’an-née, les nuits sont fraîches. “J’ai tout

perdu et chaque soir mes deux enfants, quiont moins de 6 ans, passent la nuit à tous-ser. Ils ne dorment pratiquement pas”,confie Gilbert. Il explique qu’il a dûrécupérer ces matériaux dans les ruinesde ce qui était naguère sa maison. Ilavoue qu’il tremble de peur lorsquele ciel se charge de nuages sombres car,lorsque la pluie s’est abattue sur la capi-tale [le 11 février], la grande majoritédes gens ont été trempés.

Cela fait déjà plus d’un mois queles sinistrés dorment dans des abris de

fortune. L’incertitude sur leur sort etl’apathie du gouvernement les pous-sent à prendre des initiatives. “Une foisqu’on nous aura donné une place décentepour vivre, nous laisserons ces petites mai-sons. Nous savons pertinemment que cen’est pas légal”, admet l’un d’entre eux.Ces cases entassées les unes à côté desautres donnent une image peu relui-sante de la zone. “Que voulez-vous, ences temps difficiles, ce n’est pas l’aména-gement qui compte, mais la survie des vic-times”, lâche un passant.

“Nous ne pouvons plus attendre. Cematin, la pluie nous a réveillés et nous noussommes réfugiés dans les tentes de certainsamis. Une grande majorité n’ont eud’autre choix que de se laisser mouiller”,raconte Anise, une jeune femme d’unevingtaine d’années qui porte son enfantsur le bras. Son conjoint est mort dansla catastrophe et, comme des centainesde milliers de compagnons d’infortune,elle se débat pour trouver un abri plussûr afin de protéger son enfant desintempéries.

La grogne de la population com-mence à s’amplifier. Les pluies ontpoussé plusieurs milliers de personnesà manifester dans les rues pour récla-mer des tentes. “Nous admettons que,dans un premier temps, nos dirigeantsaient été pris au dépourvu, mais, aprèstout ce temps, il faut penser à nousreloger dans des conditions décentes”,fustige Yvener, un étudiant. Pour lemoment, de rares annonces officiellesévoquent la région de la Croix-des-Bouquets (au nord-ouest de la capi-tale) comme lieu retenu pour d’éven-tuels centres d’hébergement.

Dans cer tains campements,quelques constructions en dur trans-paraissent au milieu de l’océan detentes de fortune. Car, comme le sou-ligne un sinistré, tous les camps ne seprêtent pas à la pérennité. “Le Champ-de-Mars, par exemple, sera l’un des pre-miers endroits à être évacué en cas d’uneéventuelle relocalisation”, explique-t-il.

Jean Panel Fanfan

amériques ●

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 20 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

DEMAIN

“On ne peut pas simplement reconstruire ce qui a été détruit”Un peu plus d’un mois après le séisme du 12 janvier, le Premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive, sort de son silence. Il évoque les besoins du pays et les pistes pour le reconstruire, en privilégiant notamment la décentralisation.

LE NOUVELLISTE (extraits)Port-au-Prince

Près d’un mois après la catastrophe,quelle évaluation peut-on faire ?JEAN-MAX BELLERIVE Nous avonsà peu près 1 million de personnes dans lesrues, plus de 500 000 personnes déplacées,plus de 400 000 blessés, près de 500 campsde fortune, même, si au fur et à mesure, il ya une prise en charge de ces centres par lacommunauté internationale en coordina-tion avec le gouvernement et souvent avecl’appui des mairies. La situation est extrê-mement préoccupante, notamment d’unpoint de vue sanitaire.A-t-on déjà un plan pour les zonesaffectées et pour le pays entier ?Premièrement, on ne peut pas simplementreconstruire ce qui a été détruit. Il est indis-pensable de regarder comment Haïti a étéconstruit, pourquoi tant de morts dans un

espace aussi petit. Il est clair que la questionde la densité de la population vient en pre-mier lieu, de même que l’éducation. Lapopulation n’était pas prête pour ce qui estarrivé. Il faut décentraliser le pays. On s’estrendu compte qu’en trente-cinq secondeson a perdu 30 à 40 % du PIB nationalparce que tout était concentré sur les35 kilomètres de la zone métropolitaine. Ilfaut décentraliser avec des plans très pré-cis, vers des régions qui ont des opportu-nités. Il faut que les gens puissent trou-ver des centres de santé, des écoles pourleurs enfants. Il y a beaucoup de personnesqui sont mobilisées sur la définition d’unplan très précis permettant la relocalisationdes populations, la création d’emplois etun développement plus harmonieux surtout le territoire national.Certains parlent de déplacement de lacapitale vers une autre région, est-ceen discussion ?

Pour l’instant, ce n’est pas la solution envi-sagée par l’Etat haïtien. Déplacer Port-au-Prince pour aller où, et avec quelles garan-ties ? Nous pensons que la meilleuresolution, c’est de reconstruire une Port-au-Prince qui soit sûre pour ses habitants.Pour reconstruire Port-au-Prince, ilfaut des projets à court, à moyen età long terme.Bien avant le séisme, des projets d’urba-nisme pour la capitale et certaines villes deprovince existaient. Ces plans étaient en fili-grane, difficiles à mettre en application àcause de la densité de la population et dela précarité des moyens. Ils sont dans lestiroirs. Il faut rapidement les adapter à lasituation. Il faut voir, avec l’aide du systèmefinancier et bancaire, comment on peut per-mettre au système privé de se reconstruire.Comment est assurée la gestion del’aide internationale au niveau gou-vernemental ?

Beaucoup d’amis d’Haïti se sont mobili-sés pour apporter de l’aide. La premièrechose qu’il faut leur dire c’est : “Merci !”Néanmoins, cette aide a apporté ses propresproblèmes, puisque la coordination de lacoopération est un thème mondial de dis-cussion. Dans notre cas, cette aide a été tel-lement massive, importante et immédiatequ’Haïti n’a pas été en mesure de l’absor-ber avec la rapidité nécessaire et de mettreen place le processus de distribution.Certains parlent d’occupation ou demise sous tutelle d’Haïti. Qu’en est-il ?Il y a peut-être des gens qui veulent cela.Mais, quand je discute avec nos partenairesinternationaux, je suis persuadé que ce n’estpas leur souhait. Les représentants de lacommunauté internationale sont là pouraider la population et le gouvernement haï-tien à se remettre le plus rapidement pos-sible d’une situation extrêmement difficile.

Propos recueillis par Samuel Baucicaut

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W E B +Plus d’infos surcourrierinternational.com

Les médiashaïtiens se relèventet témoignent

▲ Port-Au-Prince, le 15 février 2010.

Page 21: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

ÉTATS-UNIS

Obama prêt à faire cavalier seulFace à un Congrès qui traîne des pieds, le président entend userde son pouvoir pour faire avancer certains dossiers.

THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

Alors qu’une bonne partiede son programme législa-tif est bloquée au Congrès,Barack Obama et son

équipe se préparent à user du pou-voir présidentiel afin de faire avancerleurs priorités en matière de politiqueenvironnementale, budgétaire et dansd’autres domaines de politique inté-rieure. Selon ses collaborateurs, le pré-sident n’a pas renoncé à s’appuyer surle Capitole. Il a d’ailleurs programméune session sur la santé avec les chefsde file républicains à la fin du mois defévrier. Mais cela n’empêchera pas laMaison-Blanche d’avancer seule surd’autres questions afin de contrecar-rer l’obstruction parlementaire qui nemanquera pas de s’intensifier à l’ap-proche des élections de mi-mandat, ennovembre prochain.

“Nous travaillons actuellement surune série de décrets présidentiels et de direc-tives afin de pouvoir avancer sur certainspoints”, a confié Rahm Emanuel, lesecrétaire général de la Maison-Blanche. Directives administratives,réglementations et décrets présiden-tiels permettent en effet au chef del’Etat d’influer sur la politique du paysen se passant des législateurs. Derniè-rement, en brandissant la menaced’utiliser son pouvoir de nominationpendant les vacances parlementaires,Obama a réussi à obtenir du Sénat la

confirmation de vingt-sept nominésà de hautes fonctions, preuve que leprésident peut parfois contraindre leCongrès à l’action. Il a égalementdécidé de créer une commission bipar-tisane sur le budget, soumise à saseule autorité, après le refusdu Congrès d’accepter lacréation d’une telle com-mission. Concernant la loiqui interdit à toute per-sonne ouvertement homo-sexuelle de servir dans l’ar-mée, la Maison-Blanche a faitsavoir qu’elle avait l’intention d’utili-ser son pouvoir discrétionnaire pourque son application soit assouplie, alorsmême que le Congrès est en train dedébattre de l’abrogation de cette loi.Quant à l’Agence fédérale de protec-tion de l’environnement (EPA), elle esten train d’étudier la mise en place desréglementations sur les gaz à effet deserre, le projet de loi sur cette questionétant au point mort au Sénat.

UNE SIMPLE SIGNATURE PEUTABOUTIR À DE GRANDES CHOSES

A en croire la Maison-Blanche, cettemontée en puissance de l’exécutif estune évolution naturelle lors de ladeuxième année d’un mandat prési-dentiel. “Les enjeux auxquels nous fai-sions face en 2009 étaient tels que leCongrès ne pouvait que jouer un rôlecentral”, souligne Dan Pfeiffer, le di -recteur de la communication de laMaison-Blanche. “En 2010, l’exécutif

jouera un rôle clé pour faire avan-cer les priorités.” L’utilisation dupouvoir présidentiel en périodede blocage législatif ne date pasd’hier. Bill Clinton et George

W. Bush ont également mis enavant leurs prérogatives à différents

moments de leur présidence. BarackObama avait d’ailleurs beaucoup cri-tiqué le penchant de Clinton à gaspillerson capital présidentiel pour des brou-tilles, comme lorsqu’il avait pris fait etcause pour les uniformes scolaires. Ilavait aussi vilipendé l’autoritarismedont M. Bush avait fait montre, notam-ment avec son programme secretd’écoutes téléphoniques sans mandatde justice. Il lui faudra donc être pru-dent et agir avec circonspection. Luiqui, lors de sa campagne présidentielle,avait déploré le recours excessif du pré-sident Bush aux décrets présidentielspour contourner la loi, se retrouvemaintenant à faire la même chose.

Autre inconvénient d’un exécutiffort, les décisions prises de manièreunilatérale s’inscrivent moins dans ladurée, à la différence des lois ratifiéespar le Congrès, puis promulguées parle président. Si l’EPA est déterminéeà réglementer les émissions de CO2, la

Maison-Blanche préférerait de son côtéun système fondé sur un marchéd’échanges de droits à polluer (cap andtrade). Mais, pour cela, il est nécessairede passer par le Capitole. Cependant,une simple signature du président peutparfois aboutir à de grandes choses.En 1996, de sa propre autorité, BillClinton a transformé un territoire deprès de 6 800 kilomètres carrés dansle sud de l’Utah en une réserve natu-relle, le Grand Staircase – EscalanteNational Monument, ce qui fut àl’époque son pari le plus audacieux enfaveur de l’environnement. GeorgeW. Bush lui a emboîté le pas en 2006,en décidant de protéger plus de360 000 kilomètres carrés d’océan etd’îles près de Hawaii. La plus granderéserve sous-marine au monde resterasa plus grande réussite en matière d’éco-logie, sinon la seule.

Peter Baker

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 21 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

amériques

THE GUARDIAN (extraits)Londres

Agée de 33 ans et mère de troisenfants, Tess Pennington vit dans labanlieue de Houston, au Texas. Mais

elle ne se laisse pas berner par la paisiblesécurité de sa vie de banlieusarde. Depuisquelque temps, elle apprend à faire pousserses propres légumes et stocke des rationsd’urgence chez elle. “J’ai pris en charge lasécurité de ma famille, explique-t-elle. Nousavons décidé d’être prêts. Toutes sortes de catas-trophes peuvent survenir, naturelles ou provo-quées par l’homme.”Tess Pennington est uneprepper, elle pense qu’il vaut mieux prévenirque guérir et qu’il est normal de se prépa-rer au désastre, qu’il s’agisse d’un ouraganou de la fin du monde. Contrairement auxsurvivalistes des années 1990, les preppersviennent de tous les milieux et on les ren-contre partout aux Etats-Unis. On peutaussi bien les croiser en banlieue que dansles centres-villes ou dans des ranchs per-dus dans les montagnes. Des réseaux de

prepping sont apparus dans tout le paysces dernières années. Ils fournissent desinformations sur les moyens de constituerdes réserves de nourriture, de cultiver sonjardin, de chasser et de se défendre.

John Milandred anime le site InternetPioneer Living [La vie de pionnier]. Il pro-digue des conseils à ceux qui veulent sim-plement stocker de la nourriture en cas decoupure de courant, mais aussi à ceux quiveulent adopter le mode de vie autosuffisantdes pionniers de la conquête de l’Ouest. “Lesgens qui se tournent vers nous viennent de tousles horizons, assure-t-il, nous avons des méde-cins, des pompiers, des avocats.” John Milan-dred vit dans l’Oklahoma. Sa maison estéquipée d’un puits creusé par ses soins quilui garantit de l’eau potable, il a construitun four qui n’a besoin ni de gaz ni d’élec-tricité. Il sait aussi chasser pour se procurerde la viande. “S’il arrivait quelque chose, celane m’affecterait pas vraiment”, assure-t-il.

Le succès du prepping a plusieurs expli-cations. La première tient au fait que,depuis le 11 septembre 2001, de nombreux

Américains craignent des attentats à grandeéchelle. Alors que la diplomatie américainefait tout pour empêcher l’Iran de dévelop-per des armes nucléaires et que les spécia-listes du terrorisme continuent de mettre engarde contre l’éventualité de “bombes sales”sur le territoire des Etats-Unis, il n’est pasétonnant que beaucoup d’Américains sesentent menacés. La récession est venues’ajouter à cette paranoïa. Le fait que desmillions de personnes aient perdu leuremploi et leur maison a renforcé l’idée quela société n’était plus aussi stable qu’au-trefois. Même les autorités admettent quela crise financière représente une menacepour l’ordre social. Témoignant il y a peudevant le Congrès, le ministre des Finances,Tim Geithner, a reconnu que des discus-sions avaient eu lieu à un haut niveau poursavoir si le gouvernement américain seraiten mesure de faire respecter la loi et l’ordreen cas d’effondrement du système financier.

Un scénario catastrophe envisagé parTom Martin. Ce chauffeur routier résidedans l’Idaho. Il dirige le Réseau des preppers

américains et est persuadé que les rangs dece mouvement vont continuer de grossir.“Aujourd’hui, des millions d’individus pensentqu’il faut se préparer à quelque chose, même s’ilsne savent pas à quoi”, explique-t-il. Tess Pen-nington ne peut qu’approuver. Dans lesannées 1990, le survivalisme était une doc-trine réservée aux milices antigouverne-mentales et aux solitaires qui vivaient dansles bois. Les preppers, eux, se soucient davan-tage de stocker des vivres et de l’eau. Ils cher-chent également à redécouvrir des savoir-faire qui leur permettront de se débrouillerpar eux-mêmes. Dans ce but, Tess Pen-nington a lancé le site Ready Nutrition, surlequel elle donne des trucs pour la prépa-ration des aliments, pour le jour où l’on netrouvera plus de nourriture conditionnéedans les supermarchés. “Contrairement ausurvivalisme, le prepping n’a pas de conno-tation négative. Sous bien des aspects, nosancêtres étaient des preppers. Nous revenonssimplement en arrière pour apprendre à mieuxnous occuper de nous-mêmes”, conclut-elle.

Paul Harris

ÉTATS-UNIS

Ces Américains qui se préparent au pireVivant dans la crainte d’un attentat, d’une catastrophe naturelle ou même de l’apocalypse, un nombre croissant de personnesstockent des vivres chez elles et apprennent l’autosuffisance.

▶ Barack Obama.Sur le tee-shirt : Les ours polaires pour Obama.Sur le biceps :Etats-Unis, Agencepour la protection de l’environnement.Sur le boulet :Congrès des Etats-Unis.Dessin de Hachfeld et McInerney paru dans Neues

Deutschland,

Berlin.

Page 22: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

ARGENTINE

Le dernier des grands comiquesEnvahie par des programmes de plus en plus vulgaires, la télévision argentine a presque tué la tradition du showhumoristique. Le succès du comédien Diego Capusotto n’en est que plus réconfortant.

LA NACIÓN (extraits)Buenos Aires

Si un homme aux cheveuxblond filasse, au regard désa-busé, dégageant une certaineangoisse intérieure et vêtu

d’un pull-over informe s’avance versvous, n’ayez aucun doute : il s’agit deDiego Capusotto, survivant d’une racedisparue, celle qui peuplait le territoireaujourd’hui désert des programmeshumoristiques.

Au sein d’une télévision qui rit detout mais qui a supprimé jusqu’au der-nier vestige du noble genre des sérieshumoristiques – telles que nous lesavons connues à l’époque où les capo-comici [en italien, chef de trouped’artistes] vivaient parmi nous etn’étaient pas seulement un souvenir–, Capusotto poursuit son œuvre avecpeu de moyens et des apparitionsinversement proportionnelles à leursrépercussions imparables.

Les bêtisiers stupides, les camérascachées perverses, les journaux télévi-sés bêtifiants, le scandale pourvoyeurde potins parodié jusqu’à la nausée parMarcelo Tinelli [présentateur qui offi-cie depuis plus de vingt ans à la télé-vision argentine] et dans des émissionspeople ou d’archives obscènes, lasexualité dégradée, les séries légèreset le cynisme incurable de Caiga quiencaiga [programme satirique connu sousle nom de CQC] ont tué d’une balledans la nuque l’humour télévisuelque défendaient si bien Pepe Biondi,Tato Bores, Alber to Olmedo etquelques autres.

Avec son humour “politiquementincorrect” et légèrement intellectualisé,

il est étonnant que Capusotto ait pucontinuer sa route (d’abord sur lecâble, puis sur la chaîne publiqueCanal 7) dans ce bourbier plein de riresde hyènes et de neurones exténués. Lafaçon dont il est arrivé jusque-là est unvéritable miracle. Toute la nouvellegénération d’acteurs comiques appa-rus dans De la cabeza (diffusé sur lachaîne América en 1992) ont vu leurtalent gâché dans des disséminationssans fin provoquées par les délires degrandeur prématurés de la majorité deses membres et par la télévision de van-dales qui a tout ravagé par la suite.Beaucoup ont disparu ou sont tombés

dans la déchéance, d’autres se sontrecyclés. Le seul à être resté debout,lucide et cohérent avec lui-même,c’est Capusotto.

Il s’est fixé une mission quasiimpossible, qu’il est le seul à pouvoirremplir quelquefois : réunir deux sœursséparées par un grand malentendu,l’angoisse et le rire. Jouant sur un ter-rain étroit – entre humour et folie –,il manie à tour de rôle l’absurde, leparadoxe et même le monstrueuxà coups de petites phrases, demimiques et de gestes dictés par undélire bien calculé, avec un regard quidissèque sans pitié mais qui est à lafois ingénu et scatologique, et des

subtilités idéologiques que certainscomprendront et que d’autres refu-seront toujours de comprendre.

Mais la réussite la plus prodigieusede Capusotto jusqu’à présent estd’avoir associé l’humour et le péro-nisme, deux matériaux qui semblaientincompatibles et difficiles à faire fusion-ner, et encore moins en utilisant enguise de colle l’absurde surréaliste.Avec Bombita Rodríguez, Pomelo,Violencia Rivas, Artaud, Micky Vai-nilla, Latino Solanas, Emo et les autrespersonnages bizarres de sa collectioninépuisable, Capusotto remet le rireà la bonne place.

Pablo Sirvén

amériques

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 22 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

RIRE Records d’audience

Né le 21 septembre 1961 à Cas-telar, dans la province de Buenos

Aires, Diego Capusotto rêvait dans sonenfance de devenir joueur de football.Il a fait tous les métiers avant de com-mencer une carrière d’acteur, à 25 ans,et de devenir un supporter affiché del’un des trois principaux clubs de foot-ball argentins : le Racing. Mais c’està la télévision qu’il a fait carrière : en2008, il y est devenu, selon Clarín, “leplus grand phénomène de la télévisionen faisant rire tous les âges”. Ses émis-sions humoristiques ont atteint desrecords d’audience, notamment l’émis-sion Peter Capusotto et ses vidéos[un épisode peut être visionné surhttp://www.lanacion.com.ar/nota.asp?nota_id=1169134], danslaquelle il présente une collection declips de rock des années 1970, en

alternance avec des sketchs où ilincarne divers personnages : Pomelo,une étoile rock paresseuse dont la vietourne autour du sexe, de la drogue etde l’alcool ; Micky Vainilla, un chanteurde pop très raciste portant une mous-tache à la Hitler, etc. Utilisant lecontexte musical, il se moque de toutet de tous (pas seulement des stars)en pointant du doigt le côté artificielde la vie contemporaine, en égrati-gnant au passage les idiosyncrasiesdes Argentins, sans épargner les poli-tiques de tous les bords, n’hésitantpas à désacraliser Perón ou le mythedu guérillero. Sa définition du “kirch-nérisme” – “du ménemisme [de CarlosMenem, président de 1989 à 1999]avec les droits de l’homme en plus” –a notamment été reprise par beaucoupde commentateurs politiques.

EL PAÍS (extraits)Madrid

Il n’y a plus de place pour la compassiondans la politique argentine. Lundi8 février, alors que l’ex-président Néstor

Kirchner [2003-2007] se remettait d’uneopération de la carotide pratiquée enurgence dans un hôpital privé de BuenosAires, la députée de l’opposition MargaritaStolbizer n’a pas hésité à dire que Kirchnerressemblait tellement à l’ancien présidentCarlos Menem [dont les mandats, de 1989à 1999, ont été marqués par la corruption]qu’il avait fini par connaître les mêmes pro-blèmes de santé. Le même jour, dans sonémission de radio, très suivie, le journalisteVíctor Hugo Morales exprimait son troubleface aux dizaines de messages que les audi-teurs avaient laissés sur la boîte vocale de la

radio, se réjouissant de l’accident vasculairede l’ancien président, quand ils n’allaientpas jusqu’à lui souhaiter une issue fatale.

Deux jours plus tard, l’ancien coureurautomobile et ancien gouverneur de SantaFe Carlos Reutemann, péroniste et prochede Kirchner jusqu’à encore tout récemment,lâchait cette petite perle sur le couple Kirch-ner : “On pourra s’estimer heureux si d’ici àleur départ, en 2011, ils n’ont pas volé la CasaRosada [le palais présidentiel] et la place deMai.” Ce ne sont là que trois illustrationsdu ras-le-bol qu’éprouvent de plus en plusd’Argentins à l’égard d’un gouvernementau discours progressiste, celui de la prési-dente Cristina Fernández de Kirchner, arri-vée au pouvoir en 2007 en promettant deredistribuer les richesses du pays et de lut-ter contre la corruption endémique. Le dis-crédit du couple présidentiel s’aggrave de

semaine en semaine. Des accusations quimenacent d’éclipser toutes leurs initiativespolitiques. “Il y a un rejet viscéral très frappantqui s’explique par la déception des attentes desclasses moyennes”, estime la sociologue Gra-ciela Römer. Selon elle, le gouvernementcommet l’“erreur monumentale” d’“aggraverle malaise au lieu de reconnaître ses erreurs et decréer des ponts avec l’opinion publique”. La pré-sidente Cristina Kirchner a accusé à maintesreprises les médias d’avoir orchestré un com-plot contre elle. Mais l’indignation que sus-cite son patrimoine multiplié par 7 depuisl’arrivée au pouvoir de Néstor Kirchner, en2003, n’est pas étrangère à la chute de sacote de popularité, qui n’est plus que de20 % d’opinions favorables. D’autres accu-sations, comme celles selon lesquelles lesKirchner et leur entourage familial auraientengrangé des bénéfices illégaux à El Calafate

[leur ville d’origine, en Patagonie] grâce à lavente de terrains publics acquis à un prix 10à 15 fois inférieur au marché, viennent encoreternir l’image du couple Kirchner.

Les quatre secrétaires privés de la prési-dente font également l’objet d’une enquêtepour enrichissement illicite présumé aprèsqu’a été constaté un accroissement de leurpatrimoine allant de 750 % à 11 000 % encinq ans. Le gouvernement actuel a pour-tant quelques réussites à son actif, en matièrede réforme judiciaire et de droits de l’hommenotamment, ou avec l’adoption récente, àdestination des chômeurs et des familles àfaibles revenus, de l’allocation universellepour enfant. Mais, à seulement un an et demide la prochaine présidentielle, de nombreuxpartisans de Cristina Kirchner craignent queces affaires ne fassent totalement oublier cesmesures positives. Pedro Cifuentes

ARGENTINE

Ras le bol des Kirchner !Les plaintes pour enrichissement illicite s’accumulent contre le couple présidentiel et éclipsent les mesures positives du gouvernement.

▲ Diego Capusotto.Dessin d’Alvarezparu dans Clarín,

Buenos Aires.

Page 23: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

PAKISTAN

Le village qui dit non aux talibansDevant l’influence des islamistes, le gouvernement encourage la formation de milices villageoises. C’est le cas à Shah Hassan Khel, où l’on a décidé de lutter contre eux malgré les sanglantes représailles.

THE GUARDIANLondres

Qui pourrait croire qu’onjoue au volley-ball dans leLakki Marwat, région fré-quentée par des barbus

armés jusqu’aux dents à la frontièreentre le Pakistan et les Zones tribales[région semi-autonome du nord-ouestdu Pakistan qui abrite des talibanspakistanais et afghans et des combat-tants d’Al-Qaida] ? Pour jouer au vol-ley, il n’y a ni besoin d’équipementsophistiqué ni de terrain, ce qui estparfait quand on est pauvre. Et lesmatchs peuvent avoir lieu dans lespetites cours fermées des maisons enpisé. Malheureusement, ces rassem-blements constituent également unecible idéale pour les talibans.

Le 1er janvier 2010, un kamikaze alancé son camion piégé au milieu d’unefoule venue assister à un match de vol-ley-ball à Shah Hassan Khel, un vil-lage frontalier du Lakki Marwat. L’ex-plosion a été la plus meurtrière de cesdernières années – 97 morts et 40 bles-sés, soit environ la moitié des per-sonnes présentes sur les lieux. Ce mas-sacre était un acte de vengeance. Sixmois auparavant les habitants de ShahHassan Khel avaient tourné le dos auxtalibans de leur village et livré vingt-quatre d’entre eux à l’armée. A peineles quarante jours de deuil étaient-ilsterminés que les villageois étaient prêtsà se faire justice. Les anciens ont forméun “comité de paix” pour rassembler

armes et munitions. “Nous ne les lâche-rons pas. Nous les capturerons un par un.Et ensuite nous les tuerons”, expliqueMushtaq Ahmed, le chef de ce comité.La police l’a prévenu qu’un autre kami-kaze était peut-être à ses trousses. “Jesuis très recherché”, plaisante-t-il. Cegenre de représailles n’est pas unique.Les milices tribales, les lashkars, opè-rent dans d’autres secteurs de la Pro-vince-de-la-Frontière-du-Nord-Ouestet dans les Zones tribales – les districtsde Swat, de Buner et de Khyber. Cer-taines fonctionnent bien, d’autres non,et elles pourraient bien être être enmesure de repousser les talibans. Mais

la prolifération de milices de ce genre,qui s’explique également par une tra-dition de vengeance très enracinée chezles Pachtounes, met en lumière unefaille plus inquiétante : l’échec de l’Etatpakistanais à endiguer les avancées destalibans. L’exemple de Shah HasanKhel est révélateur. Pendant plusieursannées, cet endroit misérable, était unnid de sympathisants talibans, avec àleur tête Maulvi Ashraf Ali, un religieuxlocal charismatique. Mais les villageoisont rapidement déchanté quand ils ontdécouvert que les combattants isla-mistes finançaient leurs actions grâceà la contrebande, au vol de voitures et

aux enlèvements. “Ali disait qu’il vou-lait faire respecter la charia, mais tout cequ’il voulait c’était le pouvoir”, raconteRehim Dil Khan, un chef tribalmembre du comité de paix. L’été der-nier, sous la pression de l’armée, lesvillageois ont évacué Shah Hasan Khelpour faciliter une offensive militairecontre les talibans. Les talibans ont prisla fuite et Ali, blessé, a été évacué dansune charrette tirée par un âne. Les vil-lageois sont désormais à la recherched’Ali et de ses comparses. Leur mobi-lisation est soutenue par Anwar Kamal,un puissant chef de guerre qui incarnebien les contradictions du pouvoirlocal. Avocat et pilote, il dort avec unlance-roquettes sous son lit et il lui estarrivé de lancer ses propres lashkarscontre une tribu rivale pour leur “don-ner une leçon”, ce qui ne l’empêche pasde siéger au parlement local. Aujour-d’hui, il aide les villageois de Shah Has-san Khel à pourchasser les talibans.“Ici, la force prime sur le droit”, explique-t-il. La tâche n’est pourtant pas si facile.Selon Tariq Hayat Khan, représentantdu gouvernement dans les Zones tri-bales, débusquer Ali risque de prendredu temps et nécessitera des négocia-tions complexes entre tribus. “Envoyerdes mercenaires ne suffira pas.” A Shah Hassan Khel, les talibans ont déjà rem-porté une petite victoire. Plus personnene joue au volley-ball, ce sport qu’ilsméprisent tant, car la plupart desjoueurs sont morts.

Declan Walsh

asie ●

Nad AliNad Ali

MarjahMarjah

IslamabadIslamabad

BunerBuner

* Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest * Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest

Lashkar GahLashkar Gah

A F G H A N I S T A N

P A K I S T A N

TADJIKISTAN

INDE

Kaboul

Kandahar

Quetta

Opération Mushtaraklancée le 13 février2010

Nad AliLashkar Gah

Marjah

Peshawar

Shah Hassan Khel

Passe de Khyber

“Cou

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l”

Source : BBC

0 300 km

HINDOU KOUCH

Islamabad

C

AC

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BALOUTCHISTAN

Z.T.

HELMAND

Z.T.

PFNO*

KhyberNord-Waziristan

Sud-Waziristan

SwatBuner

Lakki Marwat

* Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest

Opération Mushtarak : effectifs engagés

8 500 Américains1 200 Britanniques (+ 3 000 en réserve)

4 400 Afghans

500 autres dont 70 Français

INDE

Le roi de Bollywood fait plier l’extrême droite

Le 12 février, sortait en salle MyName is Kha, le dernier film de lastar de Bollywood Sha Rukh Khan.

De quoi faire hurler de joie les plus grandsfans du célèbre acteur. Mais, à Bombay, lefilm n’était à l’affiche que dans quelquessalles, les propriétaires ayant cédé aux pres-sions du parti d’extrême droite du Maha-rashtra, le Shiv Sena, qui appelait à son boy-cott depuis déjà plusieurs jours. Ce qui n’apas manqué d’inquiéter Karan Johar, le pro-ducteur de ce film à gros budget, qui, lorsd’un rendez-vous avec le chef de la policelocale, a demandé de garantir la sécurité desspectateurs à la sortie des cinémas. Car lessainiks, comme on appelle les membres dece parti, font peur. Ils avaient déjà violem-ment attaqué plusieurs salles obscures, brûlédes affiches et assailli la résidence du célèbreacteur durant la semaine précédant la sor-tie du film. Le 12 février, 1 825 sainiks ontété arrêtés par la police alors qu’ils mena-çaient de s’en prendre aux spectateurs dansles files d’attente.

Les raisons de leur ire ?La prise de position de ShaRukh Khan sur la sélectiondes joueurs de la Ligue decricket indienne (IPL, IndianPremier League). Celui-ci aregretté qu’aucun joueurpakistanais n’ait été engagé.Aussitôt, le Shiv Sena a saisil’occasion de discréditer lepatriotisme de l’acteur endéclarant qu’il pouvait “allerau Pakistan s’il voulait parleren faveur des joueurs pakista-nais”. Mais Khan a tenu bon,refusant de s’excuser malgréles pressions de l’organisationd’extrême droite.

Derrière “l’affaire Khan”,on retrouve la débâcle d’un parti qui, en rai-son de la balka nisation du populisme régio-naliste, perd son influence dans cette par-tie du pays. “Il était clair dès le départ quecette affaire n’avait pas grand-chose à voir

avec le cinéma ou le sport,mais qu’il s’agissait d’une ten-tative de la part du Shiv Senade redonner vie à un parti enperte de vitesse depuis sesdéfaites électorales”, indiquele quotidien Asian Age. Lesmots du roi de Bollywoodne sont donc rien d’autrequ’une occasion pour leShiv Sena de redorer saréputation de nationalistehindouiste antimusulmanet antipakistanais que lui aravie le MNS [MaharashtraNavnirman Sena], nouvelleformation xénophobe répu-tée pour ses positions vio-lentes envers les habitants

de Bombay qui ne sont pas originaires duMaharashtra. “Le mouvement anti-Khan estun outil bien utile pour redéfinir l’équation poli-tique de l’Etat”, rappelle pour sa part lemagazine Outlook. Le 7 février, le ministre

de l’Agriculture, Sharad Pawar, membredu Nouveau Parti du Congrès et présidentde l’association de cricket de Bombay, arendu visite au chef du Shiv Sena, Bala-saheb Thackeray, afin d’apaiser les tensionset redéfinir de nouvelles alliances. Pourbeaucoup, cette rencontre illustre la bana-lisation de la politique mafieuse.

Mais cette fois, le remue-ménage causépar les extrémistes hindous n’a pas remportél’adhésion des habitants de Bombay, quisont sortis en masse pour s’opposer aux agi-tateurs. “Les gens n’ont pas réagi selon leurappartenance à la communauté hindoue oumusulmane, ou bien selon qu’ils parlaient ounon marathi. Finalement, ils ont gagné, et leShiv Sena a perdu”, analyse avec opti-misme l’Asian Age. De même, de nombreuxcitoyens de toutes origines, habitants deBombay, se mobilisent actuellement surInternet et dans les milieux associatifs pourdéfendre un “Bombay pour tous” et pouvoiraller voir le dernier film de Sha Rukh Khansans crainte. ■

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 23 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

■ OffensiveThe New York Times

rapportait,

le 16 février,

la capture

au Pakistan du chef

militaire des talibans

afghans, le mollah

Abdul Ghani

Baradar. Washington

espère que

cette arrestation

permettra d’affaiblir

l’insurrection

en Afghanistan, alors

que les forces

de l’OTAN et l’armée

afghane ont lancé

le 13 février

l’opération Mushtarak

[Ensemble] dans

la province

du Helmand, l’un

des plus importants

bastions talibans.

L’objectif est non

seulement de libérer

la zone, mais aussi

de mettre en place

des programmes

de développement

dans la région.

■ ▲ “Il ne s’agit pas seulement de

Sha Rukh Khan”, affirme Outlook

en couverture, pointant ainsi la

responsabilité de l’extrême droite.

Page 24: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

SISA IN (extraits)Séoul

Bread and Roses [que l’onpeut traduire par “Du painet des roses”], film de KenLoach, s’intéresse à la lutte

qu’ont menée les travailleurs immi-grés en 1985 aux Etats-Unis, en par-ticulier le personnel d’entretien majo-ritairement hispanique qui travaillaitdans le quar tier coréen de LosAngeles. Il montre la façon dont ils sesont organisés, en dépit de nombreuxobstacles, pour dénoncer leurs exé-crables conditions de travail. Dans lesderniers moments du film, au coursd’une manifestation, on voit des étu-diants d’origine coréenne défiler auxcôtés des manifestants.

Au moment où la politique ré -pressive du gouvernement de LeeMyung-bak met en échec les plusgrands syndicats d’enseignants et defonctionnaires, il y a en Corée du Suddes travailleurs qui obtiennent gainde cause. Ce qui se passe pourraits’appeler “Du riz et des roses”. Etla réalité est tout aussi scandaleuseque celle décrite par le film.

Le 24 décembre 2009, à l’uni-versité Korea, un des meilleurs éta-blissements privés du pays, quelquecinquante étudiants se tenaient auxcôtés des femmes de ménage, toutesâgées d’une soixantaine d’années.Elles occupaient le bâtiment prin-cipal depuis trois jours pour protes-ter contre la dégradation de leursconditions de travail. A cet endroitmême, certains étudiants avaient, enmai 2005, manifesté contre l’attri-bution du titre de docteur honoriscausa à Lee Kun-hee, président dugroupe Samsung. Les plus détermi-nés d’entre eux avaient par la suiteété expulsés de l’école.

10 000 ÉTUDIANTS SIGNENT LA PÉTITION EN TROIS JOURS

Les jeunes, qui ne figurent pas parmiles plus politisés, ont créé un comitéde soutien à “celles qui embellissentl’environnement”, comme on lesappelle par euphémisme. La prési-dence de l’université, embarrassée,a finalement exhorté la société sous-traitante à accéder aux modestes exi-gences de ses employées : pouvoirtravailler jusqu’à l’âge de 70 ans, récu-pérer les menus profits provenant dela vente du papier recyclable et main-tenir leur syndicat. Les “mamies” ontremporté une victoire complète.

Le conflit avait commencé unmois auparavant, quand la nouvelledirection de l’entreprise avait voulumettre la main sur les recettes pro-venant de la vente du papier de rebut,sous prétexte que l’université avaitréduit le budget réservé à l’entretienà la suite du gel des frais d’inscrip-tion des étudiants. Les femmes deménage les ramassaient et les ven-daient pour améliorer leurs repas,

pour lesquels la société ne déboursaitque 35 000 wons [22 euros] par mois,soit environ 700 wons [0,40 euro] parrepas ! “Cet avantage existe depuis lafondation de la faculté, il y a un siècle”,explique Yi Yong-suk, 64 ans, prési-dente du syndicat des femmes deménage de l’université. En trois jours,10 048 étudiants ont signé la pétition.“C’est merveilleux ! On n’avait pas ren-contré un tel succès depuis la pétitioncontre l’augmentation des frais d’ins-cription”, note un des étudiants ducomité de soutien.

OUVRIR ENFIN LES YEUX SUR LE MONDE

Tout a commencé en mai 2002. Al’occasion de la Journée du travail,les étudiants de l’université Koreaont mené une enquête sur la situa-tion des femmes de ménage. Un sa -laire mensuel moyen de 400 000 wons[246 euros], une salle de reposgrouillant de cafards…

Le constat était plus qu’accablant.Ils les ont alors incitées à créer un syn-dicat, mais cette tentative s’est soldéepar le licenciement des meneuses. Ilssont néanmoins restés en contact et,en 2004, le syndicat a enfin vu le jour.

Depuis cette date, ces dames sou-tiennent en retour avec ferveur lescauses des jeunes. Elles ont participéaux réunions contre l’augmentationdes frais d’inscription. Cette solidaritéexplique que les étudiants leur aientsacrifié la soirée de Noël. “Les étu-diants, ceux qu’on appelle la générationdes 880 000 wons [la génération précaire ;voir CI n° 952, du 29 janvier 2009], sontinquiets pour leur propre avenir. Beau-coup d’entre eux ont déjà fait l’expériencecruelle du monde de travail à travers depetits boulots. Certains ont vu leurs parentsse faire licencier par suite de la crise éco-nomique”, rappelle l’un d’entre eux,Kwon Tae-hun. Réunies sous la ban-nière de la Confédération coréennedes syndicats [la plus à gauche desdeux confédérations du pays], les“embellisseuses de l’environnement”ont participé le 30 décembre 2009 aurassemblement contre la réforme dela loi du travail initiée par le parti aupouvoir, en entonnant le Chant desvieux ouvriers. “Autrefois, je voyais d’unmauvais œil ces jeunes manifestants, maisj’ai compris qu’ils avaient leurs raisons.J’ai l’impression d’ouvrir enfin les yeuxsur le monde”, lance avec fierté MmeYi.

Ko Chae-yol

asie

■ EtudiantsComme dans

beaucoup d’autres

pays, l’emploi est

une préoccupation

majeure chez

les étudiants

sud-coréens

d’aujourd’hui.

Le quotidien

Kyunghyang Sinmun

a récemment publié

un sondage

montrant qu’ils

sont de plus en plus

critiques à l’égard

de la classe

dirigeante.

Selon Yi Myong-jin,

professeur à

l’université Korea,

c’est surtout vrai

“depuis l’été 2008,

quand une

mobilisation

nationale contre

le nouveau

gouvernement

libéral a réveillé

leur conscience

politique”.

THAÏLANDE

Les chemises rouges préparent leur retour au pouvoirTandis que la tension monte à l’approche du verdict du procès portant sur la saisie de la fortune de Thaksin Shinawatra, prévu pour le 26 février, ses lieutenants ont engagé dans les campagnes un travail d’endoctrinement politique.

THE STRAITS TIMES (extraits)Singapour

De la sensibilisation politiqueaux réseaux d’aide, en pas-sant par les comités de vil-

lage, de sous-district, de district et deprovince, les “chemises rouges” duFront uni pour la démocratie contrela dictature (UDD) sont plus orga-nisées que jamais. Le mouvementsurfe sur l’émergence spectaculaired’une conscience politique en Thaï-lande. Dans les régions rurales duNord et du Nord-Est, les militantsmettent le doigt sur les frustrationsnourries par cette société hiérarchi-sée, où l’histoire a toujours été pré-sentée à travers le prisme d’élites qu’ilest tabou de remettre en question.Frustrations qui ont explosé après lecoup d’Etat de septembre 2006, quia vu l’armée renverser le Premierministre Thaksin Shinawatra, pour-tant élu à trois reprises.

En ce dimanche de févr ier ,700 personnes (agriculteurs, pê-cheurs ou petits commerçants) sontrassemblées pour un stage d’éduca-tion politique d’une journée. Celui-ci a lieu dans une école à Sakhon

Nakhon, à une centaine de kilo-mètres d’Udon Thani, dans le nord-est du pays. Les participants ontreçu des exemplaires du programmede l’UDD et écoutent attentivementles exposés, qui portent sur dessujets allant des “mensonges” poli-tiques aux stratégies de l’aristocra-tie, en passant par l’organisationpolitique. La formation accueilleaussi trois parlementaires du PueaThai, le parti d’opposition pro-Thaksin, dont Wichien Khaokhan,parlementaire depuis près de vingtans. “Nous pouvons mobiliser 1 millionde personnes dans les rues de Bangkok,assure-t-il. S’il y a des élections, nousles remporterons” [les chemises rougesont annoncé la tenue d’une mani-festation massive à la vei l le du verdict, le 26 février, du procès portant sur la saisie des avoirs de Thaksin Shinawatra].

En avril 2009, l’armée les avaitchassés des rues de Bangkok. Loind’entamer l’ardeur du mouvement,ces incidents ont incité de nouveauxmilitants à le rejoindre. Des dînersde levée de fonds, des rassemble-ments autour de concerts et desmeetings politiques sont organisés.

Thaksin lui-même s’y exprime partéléphone depuis son exil volontaireà Dubaï dans l’espoir de parvenir àrentrer en Thaïlande. “Merci de medonner de la force, a-t-il déclaré. Jereviendrai et remplirai vos poches. J’aiun projet pour l’éducation des jeunesenfants. Je ferai de la Thaïlande l’égalede l’Europe.”

Un rassemblement à UbonRatchathani, dans l’est du pays, aréuni quelque 100 000 personnes.A Khon Khaen, dans le centre, ilsétaient 50 000. Pas moins de six deces “écoles” informelles ont ouvert,et des cours sont dispensés dans unlieu différent chaque semaine. Retourà l’école de Sakhon Nakhon. Lepoète et ancien militant étudiantVisa Kunthap scande les parolesd’une chanson, reprises en chœur parles chemises rouges. La chansonparle de répression et de la lutte quemènent les plus démunis sans leuraide à “eux”. Une vieille chanson dela région d’Isan, précise Visa Kun-thap. Et c’est dans ces racines pro-fondes et anciennes que les chemisesrouges puisent aujourd’hui leur nou-velle conscience politique.

Nirmal Gosh

▲ Dessin d’EulogiaMerle paru dans El País, Madrid.

CORÉE DU SUD

Les femmes de ménage font leur révolutionGrâce au soutien actif des étudiants, le personnel d’entretien de l’université Korea, à Séoul, a obtenu gain de cause. Une mobilisation inédite, qui illustre les tensions sociales dans le pays.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 24 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Page 25: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

ASAHI SHIMBUNTokyo

Le célèbre grand champion(yokozuna) de sumo d’ori-gine mongole Asashoryu,dont le comportement a

souvent alimenté la polémique, vientd’annoncer sa retraite. L’agressionrécente à l’égard d’un simple citoyenen état d’ivresse a été la goutte d’eauqui a fait déborder le vase. Son départdu monde des sumos est ainsi laconséquence de ses attitudes égoïsteset de ses mauvaises manières. Denombreux fans sont attristés par laretraite précipitée de ce lutteur espièglequi, brûlant d’ardeur, a su enflammerle public. Il est évident qu’il est res-ponsable de son sort tout autant quele maître de son écurie, qui n’a su lemaîtriser. Toutefois, l’agitation au sujetd’Asashoryu au sein de la commu-nauté du sumo révèle qu’il y existe denombreux problèmes inhérents à lacommunauté elle-même.

Le sumo est un sport profession-nel dans lequel gagner des combats estle seul moyen de grimper les échelonset d’obtenir un meilleur salaire. Maisil représente en même temps une tra-dition qui s’appuie sur des rites et desvaleurs spirituelles. Sans cela, la disci-pline perdrait toute sa raison d’être.Voilà pourquoi la force n’est pas laseule qualité exigée d’un lutteur. Asa-shoryu n’a pas su respecter ces valeurspar manque de volonté. Pourtant, enconsidérant qu’il était encore très jeuneen arrivant au Japon et qu’il a accédéau rang de grand champion en seu-lement quatre ans d’efforts, nous pou-vons nous demander s’il a été suffi-samment formé pour tenir un tel rang.N’importe quel débutant aurait eubesoin d’être dirigé soigneusement, surle plan physique tout autant que men-tal, pour devenir le représentant de cequi est considéré comme un art natio-nal. Cela était d’autant plus nécessairequ’il s’agissait d’un étranger peu habi-tué à la langue et aux coutumes japo-naises. Cette tâche n’aurait pas dûincomber uniquement au responsabled’écurie, mais aussi à toute l’Associa-tion japonaise de sumo.

Aujourd’hui, le sumo dépendbeaucoup de talents étrangers, quireprésentent 40 % des lutteurs dumakuuchi, la division la plus élevée. Sinous souhaitons qu’ils incarnent notretradition, nous ne pouvons pas nouscontenter de critiquer leur manque de“dignité”. Il est nécessaire de leur expli-quer concrètement et minutieusementce que signifie la “dignité” dans cesport, un concept que même les Japo-nais ont du mal à saisir parfois. Toutrituel et code ont leurs raisons d’être.L’assimilation d’une tradition passed’abord par la compréhension pro-fonde de ces raisons, avant de se lesapproprier. Il ne s’agit nullement de

les imiter. Pour ce genre de formationet de réflexion, l’Association ne devraitpas hésiter à avoir recours aux idées età des soutiens extérieurs. De nombreuxautres éléments devraient être réviséspour laisser le dohyô ouvert aux étran-gers. Par exemple, quel que soit le pal-marès des lutteurs étrangers, une foisretraités, ils ne peuvent devenir res-ponsables d’écurie ni participer à lagestion de l’Association s’ils n’adop-tent pas la nationalité japonaise. Cerèglement devrait être revu.

Actuellement, les brillants lutteursétrangers soutiennent la communautéjaponaise d’hommes portant un chi-gnon. Nous pouvons dire que cetteimage illustre le problème inhérentauquel le Japon est confronté actuel-lement et qu’il devra affronter à

l’avenir. Le nombre de ressortis-sants étrangers au Japon continueà augmenter. Il est tout simplementinacceptable que nous n’accueillionsque ceux qui veulent bien pensercomme nous et que nous rejetions lesautres. Nous devons tous les respec-ter en tant que membres d’une mêmesociété et essayer de leur expliquersoigneusement nos habitudes et tra-ditions singulières pour les aider às’adapter. Si nous nous apercevonsqu’il existe des éléments à changer,nous ne devons pas hésiter à le faire.Poursuivant ces efforts, nous par-viendrons à construire une relationde confiance mutuelle. Pour bâtir unesociété multiculturelle, il y a en réa-lité bien des leçons à tirer du “scan-dale Asashoryu”. ■

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 25 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

asieLE MOT DE LA SEMAINE

“KANBAN”LA DEVANTURE

Certes, d’autres lutteurs avantlui ont pu jouir du même regard

perçant, du même mariage entrepuissance musculaire et fulgurancedes mouvements, du même mentald’acier, toutes choses qui concou-rent à l’invincibilité d’un yokozunalorsque, parvenu au sommet de sonart, il domine en tant que grandchampion le monde du sumô. Ilreste qu’Asashôryû, le premier Mon-gol à avoir jamais atteint le gradesuprême, faisait néanmoins montred’une présence toute particulière.En un mot, son style relevait toutaussi bien de la bagarre que de lalutte. Sa façon de toiser l’adversaireavant de le terrasser laissait trans-paraître autre chose que la simpleenvie de gagner un combat dans lerespect des rituels, des règlementset de la philosophie qui caractéri-sent le sumô ; on pouvait y voir uneforce irrépressible faisant fi du poidsde la tradition qui érige le yokozunaen un représentant moralement irré-prochable d’un art national – qui enfait sa “devanture”, pour employerune expression japonaise. Cetteforce a fait d’Asashôryû un lutteurredoutable et redouté ; avec vingt-cinq tournois remportés, il a sou-tenu à bras-le-corps l’univers dusumô tout au long de la décennie.Mais sa rage de vaincre s’est expri-mée aussi sous forme de multiplesfrasques, dans le dohyô, le cerclequi délimite l’espace sacré de l’af-frontement, et en dehors de celui-ci. La dernière en date – ivre mort,il aurait frappé en janvier dernier legérant d’un club, lui fracassant lenez – lui a été fatale : il a étécontraint à la démission, alors qu’ilavait en ligne de mire le recordabsolu de tournois gagnés (trente-trois). De toute évidence, l’annoncede sa destitution vient s’inscriredans la série de mauvaises nou-velles (Toyota, JAL) qui accablentl’archipel : les Japonais ont déci-dément le moral en berne.

Kazuhiko Yatabe

Calligraphie de Kyoko Mori

SPORT En quête d’une nouvelle légitimité

L e Japon avait déjà connu des lutteurs desumo étrangers avant la dernière guerre. Mais

leur arrivée massive est plutôt un phénomènerécent. Depuis 1945, on recense 167 lutteursde 21 nationalités. C’est en 1992 que l’Asso-ciation japonaise du sumo (AJS) a décidé de fixerun quota de 2 étrangers par écurie, puis 1 seulà partir de 2002, afin de limiter la présence delutteurs étrangers. Parmi eux, les Mongols sontaujourd’hui les plus nombreux (33 lutteurs), puisles Brésiliens (6) et les Chinois (6). En jan-vier 1993, Akebono, lutteur d’origine hawaïenne,a été le premier à obtenir le titre de yokozuna.Actuellement, la plupart des tournois sont rem-portés par des lutteurs venus de Mongolie. AucunJaponais n’a réussi à décrocher de victoire depuiscelle de Tochiazuma en 2006. Les adeptes sontconfrontés désormais à un dilemme. Soit le sumodevient un sport international et populaire, soit ilconserve sa tradition séculaire pour un public

restreint. Quoi qu’il arrive, ils doivent se déci-der rapidement, car il y a de moins en moins delutteurs (quelle que soit leur origine) qui excellentdans leur art, et le nombre de spectateurs dimi-nue de plus en plus. “Les écuries qu’on trouvaitun peu partout dans le pays ont disparu. Lesenfants d’aujourd’hui n’ont plus l’habitude de jouerau sumo. Ils font aussi moins de sport. Ce sontlà des facteurs qui ont contribué à diminuer lenombre de disciples. Pourtant, on continue à trou-ver du charme à l’univers du sumo”, souligne leTokyo Shimbun. C’est dans ce contexte que l’élec-tion de la direction de l’AJS a été organisée audébut du mois de février 2010. A cette occasion,Takanohana, le célèbre grand champion desannées 1990, a été élu administrateur. A 37 ans,il est le plus jeune à avoir accédé à cette fonc-tion. Au Japon, les fans de sumo espèrent qu’ilréussira à donner un nouvel élan qui permettraà cette discipline de continuer à exister.

▲ Dessin de No-rio,Aomori, Japon.

JAPON

Etre sumo, une question d’identité nationaleJugé indigne de son rang, le grand champion d’origine mongole Asashoryu a annoncé sa retraite anticipée. Cette décision relance le débat sur l’accueil et l’intégration des étrangers dans un archipel encore frileux.

Page 26: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

MAARIV (extraits)Tel-Aviv

Laissons de côté les menacesvoilées [contre la Syrie] duministre des Affaires étran-gères israélien, Avigdor Lie-

berman, et concentrons-nous sur sonanalyse à court terme. Force est deconstater qu’il a raison : si une guerredevait éclater entre Israël et la Syrie,il ne faudrait que quelques minutespour que la famille Assad perde lepouvoir. Cela étant, je suis convaincuqu’un sort tout aussi funeste attendraitles Assad s’ils parvenaient à conclureun accord de paix avec Israël. C’est laraison pour laquelle Bachar Al-Assadest coincé, tout comme BenyaminNétanyahou. Le président de la Syriene veut pas de paix réelle, mais il neveut pas davantage la guerre. Tout cequi l’intéresse, ce sont les processusde paix, qui lui permettent de restau-rer sa légitimité dans le monde, maisaussi les menaces de guerre, qui luipermettent en même temps de conso-lider son régime tyrannique.

Commençons par la paix. Bacharsait parfaitement que le pouvoir desa communauté minoritaire alaouitene repose que sur l’état de belligé-rance avec Israël. La légitimité durégime des Assad est le combat contrel’ennemi sioniste. Pendant de nom-

breuses années, ce régime aservi de refuge aux criminelsnazis et on le voit mal expli-quer tout à coup à la popu-lation syrienne une paixavec l’Etat des Juifs. Untel accord de paix ris-querait de déstabiliserle régime baasiste en tour-nant le dos à ce qu’il considèrecomme sa “mission historique”.

“Si Ehoud Barak l’avait vrai-ment voulu, un accord de paix auraitété conclu avec les Syriens dès la finde l’année 2000”, déclarait Yossi Beilin[ancien ministre de gauche] le 7 févrierdernier sur les ondes de la radio mili-taire israélienne. Selon lui, Barak [l’ac-tuel ministre de la Défense] aurait étéconsterné par les sondages qui indi-quaient qu’une majorité d’Israéliensétaient opposés à tout retrait du Golan.Beilin a tout faux. Tout le monde sait,même Beilin, que, si les Assad avaientréitéré l’acte fort entrepris par [l’an-cien président égyptien] Anouar El-Sadate en prenant l’avion pour atter-rir sans préalable en Israël et prendrela parole à la tribune de la Knessetpour y prononcer un discours propo-sant une paix véritable et définitiveentre Israël et la Syrie, nous aurionsrestitué depuis longtemps le plateaudu Golan. Mais Assad n’est pas venuet il ne viendra sans doute jamais, tant

il n’est pas sûr qu’après une telledémarche il pourrait s’en retournerchez lui. Toutefois, les Assad conti-nueront sans doute à courir derrière le

processus de paix. Bachar conti-nuera de parler de l’importancedu processus diplomatique, sans

pour autant cesser de faire du retraitdes territoires syriens occupés une

condition préalable. Et il se fera unmalin plaisir de prendre son temps enrecevant et en faisant passer des mes-sages secrets via les principaux chefsd’Etat européens, comme récemmentencore avec Berlusconi et Sarkozy.

Il continuera de recevoir dans sonpalais des dizaines d’entremetteurscomme Ronald Lauder [président duCongrès juif mondial], Miguel ÁngelMoratinos [ministre des Affaires étran-gères espagnol], lord Michael Levy[parlementaire travailliste britannique]et Fred Hoff [envoyé spécial américainen Syrie]. Pourquoi pas ? Après tout,c’est ce jeu cynique et hypocrite qui luipermet de sortir peu à peu de l’isole-ment international tout en maintenantson alliance avec l’Iran. Bref, le renardsyrien est au meilleur de sa forme.

Parlons à présent de la guerre. Lesresponsables militaires israéliens saventqu’une guerre contre la Syrie risque-rait de nous causer des dégâts consi-dérables. Assad sait pertinemmentqu’une telle guerre détruirait la Syrie

et sonnerait le glas du régime dominépar sa famille. C’est la raison pourlaquelle la ligne d’armistice israélo-syrienne est plus calme que les fron-tières nées de nos accords de paix avecl’Egypte et la Jordanie. C’est égalementla raison pour laquelle la Syrie a pré-féré faire preuve de retenue plutôt quede réagir au bombardement d’un réac-teur à Deir Ez-Zor en septembre 2007.Leur guerre contre Israël, les Assadpréfèrent et préféreront toujours lamener via le Hezbollah [au Liban]. Desmilliers de terroristes seront tués surle sol libanais, tandis que des centainesde soldats et de civils israéliens per-dront la vie. Mais, bien entendu, aucunsoldat syrien ne tombera.

Les Assad ne tolérant aucune formed’opposition en leur royaume, la dic-tature qu’ils ont mise en place est sansdoute l’une des plus cruelles de larégion et écrase d’une main de fer lemoindre désordre. Le plus étonnant estque même les Juifs de Syrie y trouventleur compte. Si les Juifs restés à Damasy jouissent d’une protection [contred’éventuelles atteintes à leur sécurité],c’est sans doute parce que le régimebaasiste n’a pas intérêt à se montrerfaible. Voilà ce que veut Assad, un statuquo perpétuel et avantageux, mais quine tolérera jamais le moindre désordrede la part des pacifistes comme desbellicistes. Shalom Yerushalmi

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 26 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

moyen-orient ●

ÉGYPTE

Choses vues dans le wagon des femmesLe métro du Caire réserve deux voitures de chaque rame à l’usage exclusif des passagères. Reportage.

ASHARQ AL-AWSAT (extraits)Londres

Au milieu des bavardages qu’onentend dans le wagon réservé auxfemmes dans le métro du Caire,on assiste parfois à des scènes

comiques et affligeantes à la fois. C’est unspectacle qui se répète tous les jours, qua-siment à l’identique. Seuls les visages desfigurantes changent. Nagwa Mohamed estenseignante dans le secondaire. Elle vit aunord du Caire, à Aïn Chams, et n’a pas sou-vent besoin d’utiliser le métro, si ce n’est pourse rendre chez ses parents dans le quartierde Hélouan, dans le sud. Comme le trajetest long – vingt-six arrêts, une heure entout –, elle tient à prendre le wagon desfemmes avec ses deux filles, tandis que sonfils va chez les hommes avec son mari. Maisils essaient de communiquer par signes à travers la vitre intérieure, surtout pour indi-quer quand il faut se préparer à descendre.

Nagwa se sent plus à l’aise dans cetespace exclusivement féminin, puisqu’ellepeut y donner le sein à son enfant sans se

gêner. Elle ne comprend pas que certainsdemandent la suppression de la séparationafin d’éviter la mise à l’écart des femmes.Pour elle, au contraire, c’est un rassemble-ment qui crée une ambiance chaleureuse etconviviale. Elle se rappelle le jour où elleavait la tête qui tournait et où les autresfemmes s’étaient occupées d’elle jusqu’à sonrétablissement. Quand elle était descendueet avait retrouvé son mari, elle lui avaitraconté l’incident. Il avait remercié Dieuqu’elle n’ait pas été dans le wagon mixte, oùla situation, à son sens, aurait été extrême-ment embarrassante.

Les rames de métro du Caire sont com-posées de sept wagons, dont deux, au milieu,sont marqués l’un d’un signe rouge et l’autred’un signe vert, c’est-à-dire réservés auxfemmes, le premier en permanence, lesecond de 9 heures du matin à 9 heures dusoir, sachant que les femmes ont évidem-ment le droit de monter également dans lesautres wagons.

Le spectacle le plus curieux est celui desleçons de religion qui se déroulent dans lemétro et qui durent le temps de quelques

stations, comme si le wagon était une chaireà partir de laquelle il était possible d’entre -prendre une rectification des mauvaises pensées. Dès que les portes se refermentderrière une de ces prédicatrices, celle-ci selance. Elle peut aussi clamer des prières spé-cialement dédiées aux usagers des trans-ports. Après chaque phrase, elle garde lesilence pendant quelques secondes pour permettre aux passagères de reprendre enchœur. Ces prédicatrices s’adressent surtoutaux femmes non voilées, auxquelles ellesoffrent parfois de petits livres ou fasciculessur les vertus du voile.

A la station Moubarak, un arrêt centralsitué à l’intersection de deux lignes et géné-ralement très encombré, une trentenairemonte, avec un masque hygiénique lui cou-vrant le visage et portant une boîte pleinede prospectus. Dans le wagon, elle enlève lemasque et distribue ses prospectus avecun sourire affable, se prêtant volontiers auxquestions. Les prospectus, c’est elle quiles a écrits. Elle y a inscrit son numéro de portable et toute une liste de services :maquillage, coiffure, retouches, décors pour

soirées, organisation de fêtes. “C’est unebonne idée”, estime une des passagères. “Ona tous besoin de ces services, et les prix sont inté-ressants.” Ce genre de publicité est fréquent,surtout en période d’examens, quand il s’agitde proposer des cours particuliers.

L’un des prospectus les plus curieux surlequel on peut tomber est celui de l’“entre-metteuse du métro”, qui affirme : “Si Dieule veut, vous trouverez votre fiancé chez nous.”Elle promet à chaque jeune fille de lui trou-ver un compagnon pour la vie, à conditiond’être accompagnée de son tuteur au cas oùune rencontre est organisée. Sinon, l’entre-metteuse ne voit pas d’inconvénient àdemander aux clientes potentielles de luienvoyer une photo par Internet.

Selon Mohamed Fawzi, l’un des res-ponsables techniques du réseau, la directiona décidé d’embaucher des femmes pour leservice de sécurité en cette année 2010. Carles agents mâles actuellement employés nepeuvent pas intervenir quand une femmeen accuse une autre de vol ou quand desbagarres éclatent entre elles dans le wagonqui leur est réservé. Rania Saadeddine

SYRIE-ISRAËL

Pourquoi Assad ne veut ni la paix ni la guerreS’il veut se maintenir au pouvoir, le régime baasiste ne doit pas prendre de risques. Il est donc condamné à maintenir le statu quo avec Israël. Les explications d’un commentateur israélien réputé.

▲ Dessin de Glezparu dans leJournal du jeudi,

Ougadougou.

Page 27: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

IRAN

Ce que signifierait une réforme du régimeEn trente et un ans, le pouvoir islamique a consolidé ses positions. Mais le vent de contestation qui souffledésormais dans le pays pourrait changer les rapports de force dans toute la région.

THE WALL STREET JOURNALNew York

Comme prévu, les manifes-tants antigouvernementauxsont descendus dans les ruesiraniennes, le 11 février,

pour célébrer à leur façon le trenteet unième anniversaire de la révolu-tion islamique. Mais les forces gou-vernementales ont réussi à réprimerces manifestations. Aussi significatifsqu’aient été les actes des opposants encette journée, leur portée va bien au-delà d’une journée, d’un anniversaire.La révolution iranienne de 1979 a étél’événement le plus marquant des trentedernières années au Moyen-Orient,et fut à l’origine de conflits et d’uneradicalisation qui ont remodelé larégion et, à certains égards, le mondeentier. Si ce qui se passe aujourd’huiest bien le lent détricotage de cetterévolution, les conséquences seronttout aussi colossales.

Il s’agit là d’un enjeu à long terme.Le gouvernement islamique iraniendans sa forme actuelle est solidementen place, et les gardiens de la révolu-tion qui le soutiennent sont de loin laforce la plus puissante du pays. Le gou-vernement du président MahmoudAhmadinejad a montré qu’il pouvaitrecourir de façon décisive à la forcepour écraser la contestation. Lente-ment toutefois, les choses semblentchanger. Tout d’abord, la communautéinternationale considère de plus en plusla brutalité avec laquelle l’Iran traiteses dissidents comme un problèmeaussi grave que son programmenucléaire. Pour preuve de cette évolu-tion, le 11 février, un groupe de séna-teurs américains des deux partis aannoncé un projet de loi qui contrain-drait le gouvernement Obama à adop-ter des sanctions économiques contrel’Iran pour les violations des droits de

l’homme commises par des fonction-naires sur des citoyens, et pas seule-ment pour les violations liées au pro-gramme nucléaire.

Les enjeux aussi sont énormes.Pour bien prendre la mesure desconséquences de la fin éventuelle dela révolution islamique, il faut se rap-peler combien ces événements ontimmédiatement modifié le cours del’Histoire. La révolution de 1979 estl’événement qui, plus que tout autre,a favorisé l’essor du fondamentalismeislamiste dans tout le Moyen-Orientet dans le monde musulman en géné-ral. Cet essor a ébranlé des gouver-nements dans toute la région, les inci-

tant tantôt à faire des compromis avecles fondamentalistes et à leur accor-der du pouvoir, tantôt à réprimer cesmouvements, créant du même coupun regain de sympathie à leur égarddans la population. C’est dans cecontexte que le gouvernement saou-dien a offert, en 1979, pour la pre-mière fois, pouvoir, argent et liberté àson clergé conservateur. Ainsi, les élé-ments les plus conservateurs de lathéocratie saoudienne ont pu répandreleur philosophie fondamentaliste nonseulement dans leur pays, mais aussiau Pakistan ou au Yémen, semant lesgermes des troubles que l’on observeencore aujourd’hui. La montée du

pouvoir islamiste en Iran a aussiconduit les Etats-Unis et les richespays arabes à faire de Saddam Hus-sein le rempart contre la contagionrévolutionnaire iranienne.

Un peu plus loin, au Liban, larévolution iranienne eut pour consé-quence directe la création du Hez-bollah, mouvement islamiste arméqui représente désormais pour Israëlune menace militaire plus réellequ’aucun des Etats arabes voisins. Aufil du temps, le gouvernement révo-lutionnaire de Téhéran a financésinon inspiré le Hamas, qui a affaiblile mouvement palestinien laïque dansla bande de Gaza et le menace enCisjordanie.

Il s’agit dès lors d’imaginer ce quesera le monde si la fin du régime ira-nien annule du même coup les effetssecondaires de la révolution. Evi-demment, les meneurs de l’opposi-tion iranienne eux-mêmes ne veulentpas défaire la révolution iranienne,mais plutôt la réformer et la démo-cratiser. Cela soulève des interroga-tions quant à l’ampleur du change-ment qu’ils favoriseraient. La questionla plus décisive, pour les dirigeantsaméricains, est de savoir s’il estencore réaliste de penser que l’op-position iranienne peut durer ets’étendre ou s’il ne s’agit que d’unpétard mouillé. Pour le dire autre-ment, ce qui compte le plus aujour-d’hui ne tient plus au nombre exactde manifestants descendus dansles rues de Téhéran le 11 février. Cequ’il faut savoir, c’est si le vent del’Histoire a tourné contre le gou-vernement islamique iranien tel qu’ilexiste depuis trente et un ans.

Gerald F. Seib

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 27 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

moyen-orient

CONTESTATION Le jour de gloire n’est pas arrivé

La place Azadi de Téhéran, qui accueille traditionnellement les célébrations du

11 février, était cette année entourée degrillages. Elle était pleine de partisans du gou-vernement, qu’il avait fait venir par cars entiersdepuis les provinces voisines”, rapporte lereporter de Rooz, journal d’opposition en exil.Le 11 février, jour anniversaire de la révo-lution islamique de 1979, les contestatairesiraniens espéraient pouvoir perturber lescélébrations officielles, notamment le dis-cours d’Ahmadinejad. Mais le déploiementde bassidjis, la milice du régime, les en aempêchés. “Toutes les forces gouvernemen-tales avaient été utilisées pour bloquer lesroutes menant à la place. Les policiers et lesbassidjis contrôlaient les groupes de jeunesgens dans la rue”, ajoute le journaliste.Plusieurs sites d’opposition, dont Rahesabz(aussi appelé Jaras), ont évoqué le mêmejour une attaque menée par les forces de

l’ordre contre l’un des chefs de file de lacontestation, Mehdi Karoubi. Ali, son fils, quitentait de le protéger, a été arrêté en com-pagnie d’autres opposants. Selon la lettrediffusée par sa mère sur Sahamnews, le sitedu parti réformateur Etemad-e Melli, “Ali aété arrêté sans raisons, puis emmené à lamosquée Amir Al-Momenin [dans le nord dela ville], où il a été frappé et insulté”. Elleaffirme que l’officier l’a aussi menacé de violet de faire de lui “un cadavre”. “Mon fils n’estqu’un exemple parmi d’autres des crimes com-mis contre les enfants de ce pays”, écrit-elle.L’échec relatif de la grande journée de pro-testation, qui avait été annoncée depuis plu-sieurs semaines, semble néanmoins ne pasavoir découragé les partisans du Mouvementvert. “Mehdi Karoubi et Mir Hossein Mous-savi, les dirigeants du Mouvement vert, sontà la recherche d’une nouvelle stratégie”,affirme d’ailleurs le site d’opposition Green

Voice. “Nous ne pouvons pas abandonnernotre lutte pour les droits des Iraniens. Néan-moins, nous devons trouver une manièreappropriée de répondre à leurs demandes”,explique Mehdi Karoubi. Le journaliste Ebra-him Nabavi, partisan de l’opposition, consi-dère que le 11 février représente tout demême une forme de victoire pour le Mou-vement vert. Sur son blog, il affirme que “descentaines d’Iraniens sont descendus dans larue pour faire valoir leurs droits, et ce malgréles avertissements du pouvoir. C’est un pasde plus. Personne ne peut dire : ‘Vous n’êtespas descendus dans la rue, vous avez aban-donné.’ Mais nous faisons face à de nouveauxdéfis. Le Mouvement vert doit à présentinduire un mouvement de toute la société ira-nienne. Ce mouvement n’est pas révolution-naire, il ne fait que réclamer le droit du peupleà être entendu. C’est une idée dans laquelletous les Iraniens peuvent se reconnaître.”

▶ Ahmadinejads’accroche. Dessin de Danziger paru dansThe New York

Times, Etats-Unis.

■ Nucléaire“Les Etats-Unis,

la Russie et la

France ont fait une

nouvelle proposition

après la décision

de l’Iran d’enrichir

sur place l’uranium

à 20 %”, annonce

en première page

le quotidien

Mardomsalari.

Les autorités

iraniennes ont

largement diffusé

cette information

dans les médias

officiels,

ce qui a été

aussitôt démenti

par les trois pays

intéressés. Ces

derniers ont rappelé

que la seule offre

sur table était

celle formulée

par l’Agence

internationale de

l’énergie atomique

le 1er octobre 2009.

Celle-ci exclut

l’enrichissement

à un tel niveau

sur le sol iranien.

CW

S

Page 28: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

MAROC

Le français revient en forceDe plus en plus de parents de tous les milieux encouragent leurs enfants à apprendre la langue de Molière. Une façon pour eux de leur assurer de meilleurs débouchés.

DE VOLKSKRANTAmsterdam

Elle est marocaine, mais elleapprend le français pourmieux comprendre sa fille.Hakima, âgée d’une trentaine

d’années, vit à Rabat, la capitale duroyaume. Avec son mari, elle a choisid’élever leur enfant en lui parlant fran-çais. Mais la fille a déjà dépassé samère… La situation d’Hakima et desa fille n’a rien d’exceptionnel auMaroc. Les Marocains sont de plus enplus nombreux, surtout dans lesgrandes villes, à parler à leurs enfantsuniquement en français. Selon unrécent article paru dans le quotidienAl-Massae, il s’agit d’une nouvelle ten-dance. “Ces jeunes rêvent et parlent enfrançais. Ils maîtrisent cette langue mieuxque les Français”, affirme le journa-liste Abdellah Damoune. L’Institutfrançais de Rabat confirme cette évo-lution. Les Marocains manifestent unintérêt croissant pour les cours, sur-tout les garçons, explique la directriceadjointe, Muriel Augry. “C’est frap-pant, dit-elle. Autrefois, au Maroc, lefrançais était une langue parlée parl’élite. Dans les cours, il était question dela tour Eiffel, de fromages et de tous lesclichés qu’on peut imaginer. Maintenant,au Maroc, le français est devenu unelangue pour tout le monde.” Il n’y aquasiment aucun autre pays où l’Ins-titut français, qui compte treize éta-blissements au Maroc, n’est autantreprésenté. “Depuis une dizaine d’an-nées, tous les Marocains ont compris quele français est un outil d’ascension sociale.

Pour faire carrière au Maroc, il estindispensable de maîtriser la langue deMolière”, poursuit Muriel Augry.

Cela s’explique par la complexitéde la situation linguistique du pays. Enréaction à la colonisation française,après 1956, quand le Maroc s’est pro-clamé indépendant, l’enseignementdans le pays a été arabisé. Dans lesécoles primaires et secondaires, uneattention croissante a été accordée àl’arabe. Or, à l’université et pour tousles emplois dans l’administrationpublique et les entreprises, le françaisrestait la langue véhiculaire, du moinsà l’écrit. Par conséquent, le fait d’avoirdéjà acquis dans son parcours unebonne connaissance du français était

un avantage. De plus en plus deparents en ont pris conscience. “Je veuxque mes enfants progressent dans la vie”,affirme Youssef Bendaoud, qui habiteKénitra, une ville située à 40 kilomètresau nord de Rabat. Sa femme et lui ontparlé en français à leurs filles dès leurnaissance ; c’est donc devenu leurlangue maternelle. Les filles fréquen-tent à présent une école française, cequi est une véritable performance, carces écoles sont très sélectives au Maroc.

Youssef Bendaoud souhaite queses enfants partent ensuite faire leursétudes en France. Propriétaire d’unhôtel, il en a les moyens. “Ensuite,toutes les portes leur seront ouvertes”,pense-t-il. Elles pourront rester enFrance si elles y trouvent un emploiou revenir au Maroc, où elles trouve-ront facilement du travail grâce à leurformation. Cet engouement pour lalangue de Molière a cependant unrevers dont un certain nombre d’ha-bitants commencent à s’apercevoir :la nouvelle génération de Marocainsfrancophones connaît mal l’arabe,voire pas du tout. Au Maroc, cettelangue se présente sous deux formes :l’arabe marocain, qui est la languevéhiculaire, et l’arabe classique, qu’uti-lisent les journaux, les magazines etla télévision. “Tant pis”, estime poursa part Youssef Bendaoud. Ses enfantsapprennent l’arabe marocain parléchez eux par les domestiques, mais ilne voit pas l’intérêt d’apprendrel’arabe classique. D’autres parentsenvoient leurs enfants francophonessuivre par ailleurs des cours cora-niques, afin qu’ils apprennent l’arabe

en étudiant les versets du Coran. Maisl’arabe reste malgré tout pour cesenfants leur deuxième langue.

Abdellah Damoune qualifie sescompatriotes francophones d’anal-phabètes. Youssef Bendaoud n’est pasde cet avis. Dans son hôtel viennentparfois des Marocains d’un certain âge.Ils sont très cultivés, mais, quand ilsdoivent remplir un formulaire en fran-çais, ils demandent de l’aide au per-sonnel de l’hôtel. “Dans ce cas, qui sontles analphabètes ?” s’interroge-t-il.

Greta Riemersma

afr ique ●

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 28 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

LE PAYSOuagadougou

En dissolvant le gouvernement et laCommission électorale indépendante(CEI), le président ivoirien Laurent

Gbagbo a joué et gagné. La nouvelle équipegouvernementale, dirigée par GuillaumeSoro, le Premier ministre sortant, reconduitdans ses fonctions, aura du pain sur laplanche : reprendre le travail, mettre enplace de nouvelles instances consensuelleset préparer les élections sur des bases saines.Or la preuve est faite que jamais Gbagbone voudra organiser d’élections tant qu’ilne sera pas sûr de les remporter. Les der-niers événements le confirment. Le prési-dent ivoirien a toujours disposé d’un agendasecret. En visionnaire atypique, il sera donc

parvenu à provoquer la crise et à écarter lesopposants. Il a toujours fait montre de sarépugnance à aller aux élections. Aujour-d’hui, il montre ouvertement que la CEIprésidée par un opposant a toujours étéun boulet pour lui. Il a réussi à se servirde cette commission électorale commed’un instrument pour se débarrasser d’unautre fardeau : les opposants. Ces derniers,embusqués au sein du gouvernement et del’appareil d’Etat par le biais des accords poli-tiques de Ouagadougou [signés le 4 mars2007, ils visaient à ramener la paix et à réuni-fier le pays], l’ont toujours empêché deparvenir à ses fins.

La Côte-d’Ivoire entre ainsi dans unenouvelle phase d’ébullition, que ne semblepoint redouter son premier magistrat. Souf-flant comme toujours le chaud et le froid, le

président ivoirien montre que lui seul décidedu sort et de la date des élections. “Un vraidictateur”, affirme un opposant ivoirien. Lau-rent Gbagbo n’a plus peur de rien, surtoutpas de l’armée, qu’il donne l’impression detenir en laisse. Et il ne cache pas sa volontéde contrôler la CEI. Malgré tout, peut-ons’attendre à voir l’opposition tourner le dosaux élections ? Un tel scénario sera uneaubaine pour lui. Il pourra dès lors savourerune victoire sans gloire. La communautéinternationale, quant à elle, est occupéeailleurs. Du reste, ici, cette communautéinternationale se résume à la France, quireconquiert progressivement ses marchésperdus à l’avènement du régime Gbagbo.

En s’adonnant à son jeu favori d’allerde report en report, Laurent Gbagbo espère-t-il gagner l’électeur ivoirien à l’usure ? C’est

probable. Passer le temps à dribbler lesautres, remettre continuellement à demaince qui pourrait se résoudre aujourd’hui, pro-duira inévitablement un effet boomerang.Celui-ci se révélera, à terme, dangereux pourle président Gbagbo et ses partisans. Pourl’heure, le numéro un ivoirien continue ànarguer l’opinion ivoirienne, l’Afrique et lacommunauté internationale. Lui seul sembledécider du sort de la Côte-d’Ivoire et desIvoiriens. Lui seul veut écrire un nouvelévangile sur la Côte-d’Ivoire. Les carottessemblent donc cuites pour l’opposition,dont les ténors prennent de l’âge. Certainsfiniront bien par perdre leurs dents, à forcede voir reculer les échéances du fait d’unadversaire politique qui se montre chaquejour plus roublard. Dur, dur, l’évangileselon saint Gbagbo. ■

CÔTE-D’IVOIRE

Laurent Gbagbo impose son rythmeDepuis 2005, le président ivoirien a tout fait pour repousser les élections. Après les avoir reportées à plusieurs reprises, il a décidé, le 12 février, de dissoudre la Commission électorale indépendante.

Francophonie

Après Yaoundé, au Cameroun, en2009, les 42es Assises inter-

nationales de la presse francophonese tiendront cette année du 1er au4 juin à Rabat. Cette édition célé-brera les soixante ans de l’Unioninternationale de la presse franco-phone (UPF), un regroupement deprès de 3 000 journalistes répartisdans 110 pays francophones et ori-ginaires de tous les continents. Lethème sera “la responsabilité poli-tique et sociétale des médias”. Cetteannonce a été faite par Khalid Naciri,ministre de la Communication maro-cain, alors que le pays est en pleindébat national sur le rôle de lapresse et que Le Journal hebdo-madaire, magazine d’oppositioncréé en 1997, a été contraint, selonses dirigeants, à la fermeture.

▲ Dessin de Royerparu dans Le Soir,

Bruxelles.

Page 29: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

AFRIQUE DU SUD

Les mamies se mobilisent contre le sidaFaute du soutien de l’Etat, des grands-mères ont créé des réseaux de solidarité. Ceux-ci leur permettentnotamment de récupérer des fonds pour élever leurs petits-enfants quand les parents ont été victimes du VIH.

THE SUNDAY INDEPENDENT (extraits)Johannesburg

Au début des années 1980,une rumeur a commencéà circuler dans la vallée desmille collines, un lieu où la

beauté des paysages contraste avec lapauvreté qui y règne. Cette rumeurdisait qu’un nouveau virus avait faitson apparition. Ce sont les grands-mères qui ont compris les premièresqu’il se passait quelque chose d’in-quiétant, de terrifiant même. Poury faire face, un projet original et inté-ressant, rassemblant tous les habi-tants de la vallée et s’inscrivant dansune initiative plus vaste ayant desramifications sur l’ensemble du conti-nent et à l’étranger, a alors vu le jouret s’est développé. Il s’agit de la cam-pagne intitulée “Les grands-mèresparlent aux grands-mères”, qui meten relation des femmes qui s’occu-pent de leurs petits-enfants orphelinsdu sida. Elle a été lancée à l’initiativede la Fondation Stephen Lewis,implantée à Toronto, au Canada.

Cwengetile Myeni est infirmièreau Hillcrest Aids Centre Trust. Elleest aussi grand-mère, mais ses enfantssont vivants et prospères. “Même si jene vis pas les mêmes problèmes que lesautres grands-mères, qui doivent s’oc-cuper des orphelins de leurs propresenfants, je sais comment elles vivent parceque nous allons régulièrement chez elles.Ce qui est difficile, c’est que les grands-mères veulent parler, mais d’autres per-sonnes de la communauté préfèrent setaire. Les gens veulent cacher ce qu’ilssavent du VIH. Et ce qui compliqueencore plus les choses, c’est qu’ils ne vien-nent à la clinique que lorsqu’ils sont trèsmalades. Il est parfois trop tard pourfaire quoi que ce soit”, raconte-t-elle.Elle pense que le projet “Les grands-mères parlent aux grands-mères”a offert un exutoire à plusieurs deces femmes, en leur permettant dese retrouver et de discuter de leursexpériences.

“IL ÉTAIT DOULOUREUX POURELLES D’ÉCOUTER NOS HISTOIRES”

En outre, l’argent distribué dans lecadre de la campagne accorde à cer-taines assez de liberté pour leur per-mettre de renforcer leurs liens avecleurs petits-enfants. “Souvent, lesgrands-mères utilisent leur pension pourfournir aux enfants ce dont ils ont besoin,rappelle Cwengetile Myeni. Rares sontcelles qui reçoivent une aide de l’Etat. Lors-qu’elles en reçoivent une, ce n’est pas tou-jours suffisant. Certaines mamies élèventdix ou douze enfants en même temps…”

En 2006, année où la campagne aété lancée, la Fondation Stephen Lewisa invité Cwengetile Myeni et deuxautres grands-mères sud-africaines àvenir à Toronto pour y rencontrerd’autres mamies africaines et cana-diennes. “Les grands-mères canadiennes

voulaient entendre ce que nous avions àdire, même s’il était douloureux pour ellesd’écouter nos histoires”, explique Cwen-getile Myeni. Lancée à la veille de laJournée internationale de la femmeen 2006, le projet “Les grands-mèresparlent aux grands-mères” a obtenule soutien des Canadiens. A l’heureactuelle, plus de 220 groupes defemmes du Canada ont rassembléplus de 6 millions de dollars [4,4 mil-lions d’euros] de fonds destinés auxorganisations communautaires dequinze pays subsahariens. Cet argentservira à aider les grands-mères de cespays à nourrir, loger, habiller et édu-quer leurs petits-enfants orphelins.

L’une de ces organisations, Grand-mothers Against Poverty and Aids(GAPA), une ONG du Cap gérée pardes Sud-Africains, œuvre dans lestownships de Khayelitsha et de Gugu-lethu depuis 2001. Selon sa directrice,Vivienne Budaza, la collaboration avecles Canadiens a permis le renforcementdes liens avec d’autres grands-mèresafricaines. “Notre modèle, qui consisteà organiser des ateliers et offrir un soutiendurable pour subvenir aux besoins psy-chologiques de ceux qui prennent soin deleurs petits-enfants rendus orphelins par leVIH/SIDA, est maintenant reproduit dansd’autres pays africains, assure-t-elle. Laplupart de ces grands-mères ne savaientpas grand-chose de la maladie. Au début,nous n’étions même pas autorisés à pro-noncer le mot VIH, parce que les stigmatesqui y sont associés étaient très forts.”

Cwengetile Myeni raconte que lesgrands-mères sud-africaines qui sesont rendues au Canada ont été trèssurprises de constater qu’elles étaientles seules, parmi les femmes africaines,

à pouvoir bénéficier d’aides ou depensions de l’Etat. “Le problème, c’estque les gens peuvent développer unecertaine dépendance envers ces aides,indique-t-elle. Les grands-mères desautres pays africains utilisent le peuqu’elles ont pour se relever et saisissentau passage tout ce qu’elles peuvent. C’estpourquoi nous plaçons les gens dansdes programmes générateurs de revenuspour qu’ils n’aient pas à dépendre deces aides.” Mais, pour des grands-mères qui n’ont jamais travaillé deleur vie – sauf dans leur foyer et leurschamps – , il n’est pas toujours faciled’acquérir de nouvelles compétences.Elles sont nombreuses à n’être jamaissorties de leur vallée. Et, même s’ilarrive que des grands-mères cana-diennes viennent leur rendre visite,leur monde se limite à cette seulerégion.

Janet Smith

afr ique

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 29 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

◀ Nouvelle famille africaine.Grand-mère et enfant.Dessin d’Aislinparud dans The

Gazette, Montréal.

W W W .▶ ◀

courrierinternational.comL’anticipation au quotidien

Page 30: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

tion de fumer dans les établissements, qui déplace

des légions de fumeurs sur les trottoirs à toute

heure de la nuit. Les plaintes pour tapage et les

amendes ont fortement augmenté, disent les

acteurs de la nuit ; la préfecture de police de Paris

a refusé de fournir des chiffres.

“ON N’A PLUS LE DROIT DE FAIRE QUOI QUE CE SOIT DANS CE PAYS”

“Je suis dans le secteur depuis quinze ans, et c’estla première fois que je me prends un coup pareil”,raconte Xavier Simon, 40 ans, le propriétaire de

La Mécanique ondulatoire, un bar à concerts sur

trois niveaux. Après une plainte pour tapage

déposée par les nouveaux occupants d’un appar-

tement voisin, le club a fait l’objet d’une fer-

meture administrative de neuf jours en août –

soit un manque à gagner de 20 000 euros, selon

Xavier Simon – et vient de recevoir l’ordre d’in-

sonoriser son établissement pour la modique

somme de 110 000 euros. La Mécanique ondu-latoire risque par ailleurs une nouvelle fermeture,

depuis que la police a découvert, en octobre,

qu’on y dansait – or Xavier Simon ne possède

pas la licence adéquate. Selon lui, cette ferme-

ture signifierait la fin définitive de son club. “Ily a une véritable volonté de voir fermer les établis-sements un peu underground”, estime Xavier

Simon, qui envisage de déménager ses activi-

tés à Berlin, où les autorités sont moins rigides

et l’opinion plus ouverte. Un rapport récent sur

l’économie de la nuit a d’ailleurs placé Paris loin

derrière Berlin (et derrière Londres, Amsterdam

et Barcelone) en termes de “compétitivité noc-turne”. Fêtards, DJ et musiciens fuient ainsi Paris

depuis des années.

en couverture●

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 30 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

LES PARISIENS

Confrontés à un nombre croissant de plaintes

pour tapage, d’amendes et de fermetures admi-

nistratives, de nombreux bars et salles de concert

parisiens ont du mal à garder la tête hors de l’eau.

DJ et musiciens boudent également la capitale

française, suscitant chez les professionnels de

la nuit une conclusion étonnante : Paris sera sans

doute bientôt morte la nuit.

“La loi du silence généralisée qui s’abat sur nosévénements et nos lieux de vie est en passe de reléguerla Ville lumière au rang de capitale européenne dusommeil”, écrit un collectif de musiciens dans

une pétition en ligne soumise au maire de Paris

et à plusieurs ministres du gouvernement le

31 janvier dernier. Ses quelque 15 000 signa-

taires appellent avant tout à davantage de tolé-

rance de la part des voisins et des autorités. “Lais-ser penser que la nuit parisienne pourrait ou devraits’épanouir sans troubler la parfaite quiétude d’unseul riverain, estime la pétition, est une hypocri-sie dangereuse.”

Petit aperçu des problèmes de Paris : des

quartiers à vocation mixte et très denses, l’ab-

sence de transports publics de nuit (le dernier

métro est à 2 heures le week-end, à 1 heure en

semaine) et un impossible embrouillamini de lois

et de règlements encadrant les bars et boîtes

de nuit, appliqués avec un zèle formidable par

une police répressive.

Pour les propriétaires de club, le problème

essentiel est l’embourgeoisement accéléré de la

capitale. Les prix de l’immobilier ont plus que

doublé au cours des dix dernières années, et

les riverains exigent de plus en plus souvent le

calme le plus total, déplorent-ils. Autant de ten-

sions qu’est venue exacerber en 2008 l’interdic-

THE NEW YORK TIMESNew York

Les habitants du quartier n’aiment pas le

Zéro Zéro, un bar à la façade couverte de

graffitis situé sur un tronçon par ailleurs

calme de la rue Amelot, dans le XIe arron-

dissement. Cela n’a rien à voir avec l’ap-

parence du lieu, disent-ils, ni avec une

aversion quelconque pour sa jeune clientèle. C’est

le bruit. Les voisins sont connus ici pour lan-

cer des œufs sur les clients du Zéro Zéro et leur

jeter de l’eau depuis leur balcon. Un soir, un

homme a même attaqué au tuyau d’arrosage les

noctambules réunis sous ses fenêtres.

“C’est dingue, les gens nous prennent pour desfous”, déplore Nicolas Dechambre, 26 ans, copro-

priétaire et barman du Zéro Zéro. Le bar a déjà

dû payer plus de 8 500 euros d’amendes pour

tapage depuis un an et demi, précise-t-il, et a dû

fermer sur ordre de la police à plusieurs reprises,

pendant près de deux mois en tout, en raison des

plaintes déposées par les voisins. “Paris, ce n’estplus la Ville lumière, dit Nicolas Dechambre. Ellese couche à 23 heures.”

Une opinion que beaucoup partagent

aujourd’hui. En dépit de sa réputation de creu-

set bouillonnant de la bohème, la ville a perdu

sa fantaisie pour devenir plus guindée, plus

bourgeoise, assurent les propriétaires de club.

La capitale se couche tôt et empêche les noctambules de vivre leurs passions. La faute aux règlements et à l’embourgeoisement général.

■ Ah, si la capitale pouvait se passer de ses habitants ! ■ Les Parisienscumulent tous les défauts : bonnet de nuit pour The New York Times, dragueurslourdingues pour The Daily Telegraph, rustres mal habillés pour l’hebdomadaireroumain Dilema Veche, etc. ■ Juchés sur des Vélib’, ils sont un vrai dangerpublic, assure Time. ■ Heureusement, il reste quelques librairies anglophones,ironise le New Statesman, et des restaurants casher, comme à Londres.

Ils ont tué la nuit

Quelques raisons de les détester

◀ Dessin de Jean-Philippe Delhomme pour Courrier international.

■ Chez l’habitant“Toute la journée, les

touristes côtoient les

Parisiens dans la rue,

mangent dans leurs

restaurants,

admirent leur art,

mais ils ne savent

pas comment

les Parisiens vivent,

à quoi ils pensent.”

Cette lacune est

désormais comblée :

Die Zeit (Hambourg)

a testé les services

de l’agence Meeting

the French, fondée

en 2005 dans

la capitale. Par son

biais, des touristes

peuvent s’inviter à

la table de Parisiens.

Pour tout apprendre

sur l’art d’entamer

le camembert

(les Allemands

le débitent

en tranches)

et plus si affinités.

Page 31: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 31 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

ADRESSE Le resto le plus casse-bonbons de la villeQuand un site satirique britannique s’en prend

aux travers de nos débits de boissons.

Le plat : froid. Le service : désagréable. Lelieu : le Café des Connards, dans la célèbre

rue des Merdes, à Paris, qui se vante d’êtrel’établissement où le service est le plus gros-sier de la planète. D’ailleurs, le garçon vientjuste de me dire que je les lui broutais grave.Depuis que les Connards ont affirmé, à la sur-prise générale, que leurs serveurs étaient lesplus impatients, les plus malotrus et carrémentles plus insolents du monde entier, les tou-ristes se bousculent. “C’est tout simplementune facette de notre culture”, explique PhilippeOuainqueu, maître d’hôtel. “Quand vous allezau restaurant à Paris, ce n’est pas pour baignerdans une onctuosité servile. C’est pour vousfaire insulter. Mais nous, nous le faisons avecpanache. Aller au restaurant pour se faire humi-lier, ça fait partie de la culture parisienne. Maisnous, on en rajoute. Des caisses.”Le café est connu pour avoir refusé l’entrée àdes touristes américains en leur assénantqu’ils ne connaissaient “rien à la gastronomie”,pour avoir prévenu des clients britanniquesqu’ils n’auraient droit qu’à “de la crèmeanglaise et de la jelly”, parce que c’est tout cequ’ils comprennent, et pour accueillir les visi-teurs français d’un coup de genou dans lesparties. Julien Mesfesses, le critique gastro-nomique français, reconnaît toutefois qu’il com-

mence à s’attacher à l’établissement. “La pre-mière fois que j’y suis venu, j’ai eu droit à moncoup de genou réglementaire, puis le serveur n’apas cessé de m’administrer des chiquenaudessur l’oreille. Quand j’ai réclamé cinq minutes pourfaire mon choix, il m’a traité de chieur* et aajouté que tant que j’y étais je n’avais qu’àconsulter le menu pendant trente minutes deplus. Quand il est revenu, au bout d’une heure,il n’y avait plus rien à la carte. J’ai dû me conten-ter d’un steak cru.”“Mais j’ai fini par apprécier. A chacune de mesvisites, le coup de genou dans l’entrejambe se faitplus convivial, et, à mes yeux, c’est un peu devenuune institution parisienne.”Se retrouver impliqué dans le spectacle fait par-tie de l’expérience d’un dîner aux Connards. Aveccinquante couverts par soirée, les serveurs peu-vent faire la démonstration de l’éventail completde la grossièreté parisienne.Nicolas Tammère, le chef de salle, explique enquoi il est plaisant de travailler aux Connards :“Pour moi, ce n’est pas un boulot comme lesautres, comme si je travaillais dans n’importe quelcafé. C’est l’occasion de défendre des valeurs bienfrançaises, menacées par tous ces employés quisourient dans les Burger King. La politesse, ça n’arien de parisien. La grossièreté, voilà notre tra-dition, et les gens viennent de loin pour y goû-ter. J’adore mon métier, et je hais mes clients.C’est comme ça.” The Daily Shame, Londres

* En français dans le texte.

SORTIES Londres est tellement plus fun !

Dans Casablanca, quand Humphrey Bogartplonge son regard dans celui d’Ingrid Berg-

man en lui disant : “Nous aurons toujours Paris”,il évoque une ville débordante de vie, de rires etd’amour. Ceux d’entre nous qui ont la chanced’être nés dans la capitale française ont toujoursété fiers de sa réputation d’exubérance gauloise,qui laissait dans l’ombre les villes froides, griseset puritaines, comme Londres.C’en est terminé. Plus qu’un centre d’affairesanglo-saxon, Londres acquiert de plus en plusl’image d’une ville où l’on fait la fête toute la nuit.Du vieux pub au sol couvert de sciure au clubbranché, il y a toujours quelque chose d’ouvert,vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jourssur sept. Les fêtes ont lieu un peu partout, y com-pris sur les trottoirs, dans le froid, où les fumeurstransforment une interdiction décriée en uneoccasion de passer un bon moment et de rireensemble, là où les Français préfèrent râler.La réputation internationale de la capitaleanglaise attire les noctambules du monde entier,et son charme cosmopolite se traduit par uneoffre immense : à Londres, les clubs VIP sontmoins fermés que ceux de Paris, où la liste d’at-tente s’étend parfois sur plusieurs semaines.La vie nocturne londonienne semble aussi plusnovatrice que celle de sa voisine française : lascène musicale et les clubs britanniques sont

bien moins compassés et démodés – les dan-seuses de cancan aux seins nus ont peut-êtredes airs de nouveauté pour certains, mais leMoulin-Rouge a été construit en 1889.Les transports de nuit à Londres sont bien plusfréquents et plus sûrs qu’à Paris, avec une fortefréquentation à toute heure qui améliore le sen-timent de sécurité. Pour toutes ces raisons, descentaines de Parisiens (et pas uniquement lesplus jeunes) achètent à bas prix des billets d’Eu-rostar ou d’avion avec easyJet pour traverserla Manche le week-end et faire la fête toute lanuit avant de rentrer chez eux au petit matin.Et il est également beaucoup plus facile de trou-ver à se loger à prix modiques à Londres.Personnellement, je crois qu’il y a une explica-tion philosophique à l’ascendant de Londrescomme capitale européenne du fun. C’est ceque Jean-Paul Sartre, le grand existentialiste pari-sien, appelait l’“ennui”* : un sentiment d’abat-tement, voire de dépression, plus susceptiblede se manifester en période d’inactivité. Alorsque les Parisiens consacrent une grande par-tie de leur vie sociale à ce genre de choses,les Britanniques d’aujourd’hui préfèrent de loinfaire la fête – comme les clients du bar de Bogartdans Casablanca.

Nabila Ramdani, Evening Standard, Londres

* En français dans le texte.

“Le mouvement de migration vers Berlin estabsolument colossal”, souligne Eric Labbé, orga-

nisateur de concerts et disquaire, qui est l’un des

coauteurs de la pétition. Le DJ hip-hop Anouar

Hajoui, plus connu sous le nom de Cut Killer,

dit avoir quasiment renoncé à mixer ici il y a plu-

sieurs années déjà. “Ça bouge, mais pas beaucoup”,regrette-t-il.

Il y a quelques semaines, un vendredi soir

peu après minuit, ça bougeait un peu trop, en

termes de bruit en tout cas, aux yeux des rive-

rains, devant le Pop In, un bar à quelques mètres

du Zéro Zéro. Il y a eu une plainte. “C’est le fou-toir”, a dit un policier au personnel du bar, sorti

sur le trottoir au milieu d’une foule de jeunes

fumeurs, buveurs et autres fauteurs de troubles.

Un peu plus tard, l’un des propriétaires était à

la porte, implorant les clients de parler plus bas

et de laisser leur verre à l’intérieur quand ils sor-

taient. “On n’a plus le droit de faire quoi que ce soitdans ce pays”, a objecté un jeune homme – avant

de jeter un regard entendu à ses amis et de sor-

tir, sa bière cachée sous son manteau.

Scott Sayare et Maïa de la Baume

▲ Dessin de Jean-PhilippeDelhomme pour Courrier

international.

▼ Dessin de FrançoisSaintamon pour Courrier

international.

Page 32: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

din du Luxembourg, par une belle journée

ensoleillée, j’ai vu un homme d’une cinquan-

taine d’années debout devant les urinoirs se

masturber sans se soucier le moins du monde

des mamans avec poussettes et des bambins qui

jouaient autour. Un comportement isolé, me

direz-vous. Que nenni. Quelques jours plus tard,

sur le boulevard Saint-Germain, un homme en

costume d’une cinquantaine d’années, d’ap-

parence parfaitement respectable, ouvrait sa

braguette devant nous. Après plusieurs épisodes

de ce genre, j’ai commencé à croire que c’était

la norme à Paris. Ou était-ce moi qui attirais les

vieux cochons ?

“NOUS SOMMES TOUS DES CASANOVA,QUEL QUE SOIT NOTRE ÂGE”

Après avoir posé la question à des amies et col-

lègues, je me suis aperçue que toutes avaient

des histoires du même genre à raconter. Et si

c’était Paris qui était la capitale universelle des

pervers ? Pourquoi les Français pensent-ils avoir

le droit de draguer sans vergogne des femmes

qui ont la moitié de leur âge et/ou de jouer les

exhibitionnistes ? Faut-il incriminer la nour-

riture ? Du Viagra a-t-il été glissé à leur insu

dans le foie gras ? S’agit-il d’une exception cul-

turelle, ou Paris est-elle simplement une ville

excitante ?

THE DAILY TELEGRAPH (extraits)Londres

Paris est peut-être la ville des amoureux,

mais c’est aussi la capitale des obsédés.

Pour en faire la regrettable expérience,

il vous suffit d’être une femme et de

marcher dans la rue. Vous obtiendrez

rapidement votre quota de vieux per-

vers et, surtout si vous vivez sur la rive gauche,

vous n’aurez pas à aller bien loin. En seulement

quelques semaines, on m’a proposé la botte

une bonne dizaine de fois. Un jour, devant le

passage piéton à Saint-Michel, j’attendais que

le feu passe au vert quand un homme qui aurait

pu être mon grand-père s’est penché vers moi

et m’a susurré à l’oreille : “Joli cul.”Les Français n’hésitent pas non plus à vous

faire admirer leurs attributs quand bon leur

semble, de préférence en plein jour et dans des

endroits publics. Ainsi lors d’une balade au jar-

J’étais en train de réfléchir à cet étrange phé-

nomène en feuilletant des magazines chez mon

libraire quand, soudain, je me suis retrouvée

nez à nez avec une femme nue, imprimée sur

le tee-shirt de mon voisin. Il n’avait pas l’air

d’un vieux pervers. Il s’agissait de l’écrivain Fré-

déric Beigbeder. Peut-être allait-il pouvoir

décrypter ce phénomène typiquement français.

“Bonjour, Frédéric. Pouvez-vous expliquer à uneétrangère indignée pourquoi il y a tant de pervers àParis ?” Il hausse un sourcil puis me sourit :

“Mademoiselle, dit-il, c’est le sport national fran-çais. Nous sommes tous des Casanova, quel que soitnotre âge. La France a une longue tradition deséduction. Vous n’avez pas lu le Don Juan deMolière ?”

Guère convaincue, j’ai poursuivi mon che-

min. En passant devant le Café de Flore et LesDeux Magots, hauts lieux de l’existentialisme,

j’ai profité de mes lunettes de soleil pour étu-

dier attentivement les fronts concentrés, les

regards perdus dans de lointaines réflexions

et le tabagisme frénétique des personnes en ter-

rasse. Etaient-elles toutes en train de réfléchir

au sens de la vie ? Non. Je parierais plutôt

qu’elles examinaient cette question existentielle :

comment réussir, sans se faire prendre, à pin-

cer les fesses des filles dans le bus ?

Emily Rose

en couverture

Tous des pervers et des cochonsLes Parisiens n’ont qu’une obsession : pincer les fesses des filles, exhiber leurs attributs,susurrer des obscénités aux passantes.Et Frédéric Beigbeder n’y trouve rien à redire.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 32 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

CIRCULATION Bienvenue dans le monde cruel du Vélib’Un grand magazine américain

se penche sur ces dangers publics

que sont les nouveaux cyclistes.

Une femme, la soixantaine, roule à bicy-clette dans la rue de Rivoli. Avec ses

cheveux gris ramenés en chignon, elle atout de la grand-mère idéale ou de l’ins-titutrice à la retraite. Mais la voilà qui grilleun feu rouge et fonce à toute allure sur lafoule qui traverse au passage piéton. Sla-lomant entre les passants avec sonénorme vélo, elle fulmine contre ceux quirestent en travers de sa route – le feu estpourtant vert pour les piétons. “Dégagez !hurle-t-elle. Mais pourquoi les gens sont-ils aussi abrutis ?”L’avènement du Vélib’ a accéléré le rythmede la ville, permettant aux piétons de sedéplacer à toute allure. Et ces dernierssont d’autant plus irresponsables que lesvélos ne leur appartiennent pas. Selon deschiffres récemment publiés ; 11 600 Vélib’ont été vandalisés, démontés, cassés etmême jetés à la Seine depuis le début duprogramme ; 7 800 autres ont été volés.Tout aussi navrant : certains cyclistes ontmême commencé à mettre en ligne desvidéos “free ride Vélib’ “ ou “Vélib’ extrême”,où l’on voit de jeunes casse-cou soumettreces vélos certes solides mais peumaniables à des épreuves habituellementréservées aux BMX ou aux VTT.“C’est malheureusement révélateur del’état d’esprit de nombreux utilisateurs. Ils

pensent que pouvoir disposer de la pro-priété d’autrui quand bon leur chante lesautorise à ne pas respecter le Code dela route et à se conduire comme desidiots”, déplore Nathalie Dubois, unesecrétaire médicale de 45 ans qui rouleà vélo, le sien, depuis plus de dix ans.“Neuf fois sur dix, quand vous voyez quel-qu’un enfreindre le Code de la route ou seconduire comme un imbécile, vous pouvezêtre sûr qu’il roule en Vélib’.”En effet, pas besoin de se promener lon-guement dans Paris pour voir des cyclistes– comme la furie de la rue de Rivoli – grillerdes feux rouges ou couper des passagespiétons encombrés au mépris du Code dela route.Un nombre incroyable de cyclistes ont éga-lement l’air de penser que les sens inter-dits ne sont réservés qu’aux voitures. Etil faut l’avoir vécu pour le croire : sur lestrottoirs, certains cyclistes n’hésitent pasà houspiller les piétons pour qu’ils les lais-sent passer.La prolifération des vélos dans Paris acréé une nouvelle forme de comporte-ment irresponsable et agressif qui n’arien à envier à celui des automobilistesparisiens. Le nombre d’accidents pari-siens impliquant des cyclistes a augmentéde 37,2 % depuis que le Vélib’ a été créé(entraînant la mort de six utilisateurs).Un chiffre qu’il faut relativiser, puisqueaprès tout la circulation en vélo a aug-menté de plus de 70 % depuis le lance-

ment du Vélib’. Les Vélib’ sont-ils des dan-gers publics ? La polémique risque decontinuer à faire rage pendant encore unmoment, et ce sont surtout les très snobspropriétaires de vélo qui sont les plus viru-lents. Beaux joueurs, les adeptes du Vélib’sont les premiers à admettre qu’ils méri-tent cette mauvaise réputation. “Le Vélib’,c’est soit pour le fun, soit pour aller vite,alors on ne pense pas beaucoup au Codede la route, surtout quand on ne le connaît

pas”, plaisante Lolo après avoir été arrêtépar un piéton parce qu’il roulait sur le trot-toir dans la rue des Archives, en sens inter-dit. “Je sais que je ne suis pas censé faireça, mais bon, c’est pas si grave ?”demande-t-il en souriant. Tout dépend devotre tolérance à l’incivilité.

Bruce Crumley, Time, New York

©2010 Time Inc. All rights reserved. Reprinted/Translated fromTime Magazine with permission.

▲ Dessin de Jean-Philippe Delhomme pour Courrier international.

Page 33: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

THE GUARDIAN (extraits)Londres

L’association Parisien d’un jour, Parisien

toujours poursuit les mêmes buts que le

Big Apple Greeter, mis en place à New

York en 1992 – avec le succès que l’on

sait – pour surmonter le problème

d’image de la ville. La Grosse Pomme

avait en effet la réputation d’être dangereuse,

chère, étouffante. De sympathiques New-

Yorkais se sont donc mis en quatre pour aider

les visiteurs à se sentir bien accueillis, propo-

sant de les guider dans leur propre quartier.

A Paris, ce sont les habitants eux-mêmes

qui sont le cœur du problème. Paris Greeter

s’est ainsi donné pour objectif de vaincre un

préjugé qui a la vie dure : loin d’être accueillants,

les Parisiens seraient grossiers. L’association fait

appel à des bénévoles parisiens qui acceptent

d’accompagner les visiteurs dans leurs lieux

favoris, de partager leur amour de la ville, de

leur fournir conseils et bonnes adresses. Pour

reprendre la formule du site lui-même, les béné-

voles “sont des Parisiens enthousiastes et sympa-thiques, qui connaissent leur quartier sur le bout desdoigts et qui ont envie de partager leur temps et leursconnaissances, comme le ferait un ami à qui l’onrend visite”.

Etant moi-même parisienne, j’étais scep-

tique. Mais j’avoue que ma curiosité a été pi -

quée. Enfin, de courageux Parisiens allaient

changer la déplorable image que nous avons

d’eux à l’étranger : un sacré défi à relever ! J’ai

voulu rencontrer ces nobles âmes. J’ai donc rem-

pli le formulaire en ligne, indiqué mes coor-

données, mon âge, mon sexe, mes centres d’in-

térêt, j’ai proposé quatre plages horaires, sur

quatre jours différents en l’espace d’un mois,

où je serais disponible, et ai demandé un guide

francophone ou anglophone. Un courriel auto-

matique m’a répondu qu’on allait me trouver

un bénévole et que je devrais avoir de ses nou-

velles très rapidement.

J’ai attendu, attendu, attendu. Enfin, j’ai

reçu un message m’informant qu’on me cher-

chait toujours un bénévole. J’avais une telle

hâte de rencontrer un Parisien accueillant que

j’ai proposé d’autres dates et créneaux possibles

pour que nous nous rencontrions. Rien. Je le

savais, le Parisien accueillant est un mythe – la

preuve, même une association dont le seul but

est d’accueillir les étrangers ne parvient pas à

recruter un seul bénévole. Ça pourrait même

être un sujet de bonne blague : celle du Pari-

sien accueillant qui ne tient pas à accueillir qui

que ce soit. D’un autre côté, cela ne devrait pas

m’étonner. Nous, les Parisiens, nous sommes

grincheux. Nous sommes prêts à aider les tou-

ristes égarés si ça nous chante, mais pas par

principe. Ils ont déjà bien de la chance d’être

à Paris, non ? En tout cas, il faut dissiper un

malentendu – notre grossièreté n’est pas xéno-

phobe. Nous sommes aussi extrêmement gros-

siers entre nous. Et puis je me mets à la place

de l’étranger qui vient à Paris pour la première

fois, qui a entendu parler de Parisien d’un jour,

qui cherche à découvrir le vrai Paris avec de

vrais Parisiens, et qu’on envoie balader. Per-

sonne ne veut vous accueillir, M’dame. C’est

même pire que de se faire rabrouer par un gar-

çon de café – au moins, on s’y attend, car leur

grossièreté est légendaire. Mais se faire envoyer

sur les roses par des Parisiens dont la seule rai-

son d’être est de vous accueillir, voilà qui est

vraiment désespérant.

Agnès Poirier

Aimables ? Et puis quoi encore !

LES PARISIENS

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 33 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Enthousiastes, accueillants, sympathiques : rien n’estmoins approprié pour qualifier les habitants de la capitale.La chroniqueuse du Guardian l’a vérifié à ses dépens.

DÉSILLUSION Pour l’émerveillement, on repasseraParis n’est pas une destination de rêve

pour un Roumain qui voudrait

oublier les vicissitudes de Bucarest.

Un week-end à Paris, histoire de seremettre ou d’oublier l’élection pré-

sidentielle roumaine de décembre,quelle bonne idée ! Troquer la fraudeélectorale contre le plaisir, les lumières,les paillettes, le foie gras, les musées,les spectacles et, bien sûr, un peu deshopping. On sait bien qu’en un week-end le temps va manquer pour faire toutcela. Mais le vrai plaisir de Paris estailleurs. La capitale française, ce seracomme une révélation. Le miroir queParis tend au visiteur l’oblige à plus d’élé-gance, plus de dignité, plus de consi-dération de soi-même. En un seul week-

end, les petites mesquineries roumainessont oubliées et l’on découvre le véri-table sens de la vie : plaisir et qualité.On oublie la grisaille vestimentaire et onaspire à l’élégance parfaite et lumineusedes Parisiens. Voilà pour le rêve.La réalité est un peu différente. D’abord,je me suis perdu dans le métro. Ensuite,j’ai littéralement mangé et bu avec lesclochards parisiens, si nombreux. J’aiaimé les vitrines de Noël des GaleriesLafayette, j’ai mangé et bu dans lesbaraques foraines du Trocadéro et je suisallé voir tourner la Grande Roue de laplace de la Concorde. La nuit, j’ai rêvéen découvrant les lumières de la ville.Dans la rue : pas de Porsche ou de 4 x 4mais de banales Toyota, Renault, Citroën,Peugeot… Les vêtements sont aussi gris

qu’ailleurs. Les Parisiens sont prag-matiques. Ils ne font pas les paons,et l’invasion des vêtements chinois bonmarché est évidente, comme à Buca-rest. Les grands magasins ? J’ai étégêné par la cohorte de gardes de sécu-rité à l’entrée. Mais c’est comme ça par-tout. En revanche, question écologie etrecyclage, les Parisiens n’ont aucuneleçon à donner aux Roumains : la villeest pleine de détritus. Le matin, tout estpropre comme un sou neuf. Mais, dèsmidi, les ordures envahissent les ruesgrouillantes de monde. Ce week-end parisien fut passable. Rienn’est parfait, même à Paris. Néanmoins,les lumières, les vitrines et les pâtis-series ont su réveiller mon âme d’en-fant. Eugen Istodor, Dilema Veche, Bucarest

▲ Londres, Bruxellesou La Courneuve ?La gare du Nord se classe au troisièmerang mondial en termes de trafic.Dessin de FrançoisSaintamon pour Courrier

international.

Page 34: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

en couverture

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 34 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

STYLE Bourgeoise et débrailléePour Dylan Jones, rédacteur en chef

de l’édition britannique du masculin GQ,

Paris est terriblement has been.

Berlin m’apparaît comme une ville authen-tiquement bohème, qui donne l’impres-

sion, tant dans son apparence que dans sonambiance, de s’être réunifiée hier, et non ily a vingt ans. Paris, en revanche, malgrétoutes ses sculptures urbaines raffinéeset son architecture audacieuse, malgré sesvelléités de modernisme intégrateur (surle plan politique aussi bien que culturel),reste une ville gravement bourgeoise, unparadis de la désuétude obstinée, déterminéà maintenir le statu quo (même s’il faut pourcela fréquenter les grands antiquaires duquartier Saint-Germain).Si vous n’y êtes pas allé depuis quelquetemps, vous aurez très probablement oubliéen quelle haute estime se tiennent les Fran-çais – et je ne parle pas seulement de laconfrérie des garçons de café, qui persiste àporter l’impolitesse à des niveaux inégalés– pourquoi essayer de prendre la commandede quelqu’un quand vous pouvez l’ignorer ?“Le service est compris ? Très bien, pourrais-je en avoir un peu, s’il vous plaît ?”Il est donc rassurant de découvrir ici ou làquelques poches de résistance bohème,comme celle que j’ai trouvée la semaine der-nière avec Merci, une librairie-espace maison-fleuriste-boutique de mode nichée entre lescafés débraillés et le mauvais goût du bou-levard Beaumarchais, à côté du Marais. Depuisun an, ce lieu pensé par Marie-France et Ber-nard Cohen (créateurs de la marque de vête-ments Bonpoint) est devenu une Mecque pourles objets de créateurs, 1 500 m2 d’un conceptstore qui semblent tout droit venu de Man-hattan. Emblème du shopping contemporainsophistiqué, Merci serait dans toute autre villeune bonne adresse, sans plus. A Paris, c’estune vraie révolution.

Dylan Jones, The Independent, Londres

LE TEMPSGenève

Le Columba livia (pigeon biset) a long-

temps régné sur son espèce autant que

sur les squares et les jardins parisiens

(90 % des colombidés en Ile-de-France).

Effet de la pollution, du réchauffement

de la planète ou d’une adaptation des

autres animaux à la vie urbaine, ce règne est

menacé depuis une vingtaine d’années par la

multiplication des corneilles. Ces oiseaux noirs

et braillards monopolisent les poubelles, sur-

tout les sacs transparents installés après la

vague d’attentats de 1995, dont ils déchirent

le plastique avec leur bec tranchant pour récu-

pérer les aliments.

Le chef des pigeons du Jardin des plantes,

une charge qui se transmettait de père en fils

jusqu’à la fin des années 1980, a déposé une

protestation auprès de son propriétaire, le

Muséum d’histoire naturelle. Après avoir

dénoncé la confiscation de la nourriture et les

nuisances de toutes sortes, il a déclaré : “Nosroucoulements ne font de mal à personne, alors quele cri des corneilles effraie les petits enfants.” Sans

succès. Il a été débouté en raison, dit-on, d’une

charte locale sur la diversité biologique rédigée

par des précurseurs.

Les pigeons ne savaient pas encore que le

pire surviendrait une dizaine d’années plus tard.

Entre pigeons et mouettes, la lutte est sans merci.Surtout lorsque les premiers, avec l’accent parigot, se plaignent de l’invasion provinciale des secondes.

Ce furent d’abord des signaux ténus, mouettes

isolées remontant le cours de la Seine depuis

Le Havre. Elles planaient élégamment dans

le sillage des bateaux-mouches, se posaient sur

les berges, vivaient sans déranger les habitants.

Cette nouveauté fut accueillie avec indulgence

par la communauté des pigeons, qui les consi-

déraient comme des touristes car elles repar-

taient au printemps vers leur Normandie natale

– les corneilles, elles, s’en fichaient, ne fré-

quentant pas les bords de Seine.

Soudain, les mouettes furent de plus en plus

nombreuses. Elles se déplaçaient en formation,

polluaient les monuments avec une conscience

supérieure à celle des pigeons ; elles se mirent

à faire des incursions dans les bois parisiens

et au Jardin des plantes, qui donne directement

sur le fleuve. Le printemps venu, elles laissaient

en ville quelques spécimens qui préparaient l’hi-

ver suivant. Ce n’était plus du tourisme, c’était

de l’immigration.

“CES MOUETTES N’ONT QU’À RENTREREN NORMANDIE !”

En ce dimanche, un soleil matinal éclaire le bas-

sin circulaire du Grand Carré du jardin des Tui-

leries, non loin de l’arc de triomphe du Car-

rousel. Une nuée de mouettes recouvrent

l’étendue d’eau, observées par des pigeons qui

en occupent piteusement le pourtour. En s’ap-

prochant, il est possible d’entendre des mur-

mures : “Nous ne sommes plus chez nous, c’estinsupportable, ces mouettes n’ont qu’à rentrer enNormandie… Que fait le gouvernement ?”

Non loin, juchés sur la copie d’une statue

de Prométhée signée du Genevois James Pra-

dier, deux pigeons de souche noble sont venus

prendre l’air depuis les arrière-cuisines d’un

hôtel de luxe tout proche, où ils ont établi leurs

quartiers. “Regarde cette pétaudière”, dit un

ramier de grande taille. “Il faudrait plus de dia-logue, une meilleure connaissance de l’identité jar-dinière, sinon ça finira mal”, répond un colom-

bin, le bec dressé vers le ciel pour exhiber son

jabot rose pâle. En bas, la situation est tendue,

les protagonistes semblent prêts à en venir aux

ailes. Un jeune garçon sans surveillance déboule

alors en hurlant, et fait s’envoler les oiseaux.

Laurent Wolf

La guerre des volatiles a commencé

▼ De Neuilly à la Défense, la RN 13, avec ses 190 000 véhiculespar jour.Dessin de FrançoisSaintamon pour Courrier

international.

■ Les SDF, chez les autres !“Simple plan incliné

ou bac à cactus,

amoncellement ou

grillage aux pointes

acérées” : à Paris,

“tous les moyens

sont bons

pour éloigner

les squatteurs

clochards

des entrées

bourgeoises”,

constate Le Soir.

Les techniques

utilisées s’inspirent

de “celles

imaginées

pour empêcher les

pigeons de se poser

sur certains

édifices. Mais de là

à développer l’idée

pour l’appliquer

à nos congénères,

il fallait oser”,

conclut, choqué, le

quotidien bruxellois.

Page 35: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

NEW STATESMANLondres

Je visite Paris avec ma fiancée. C’est mon

premier voyage à l’étranger depuis plus

de deux ans, et je suis tellement fou de

joie que ça m’est égal de devoir me lever

à 4 heures du matin. Je vous passerai les

détails de notre séjour, sauf pour dire

que Paris est comme il l’a toujours été, mais

encore plus bourré de touristes et affreuse-

ment cher. Jusqu’à présent, je pensais que

l’euro et la livre n’avaient pas encore atteint la

parité, mais, une fois qu’on s’est fait escroquer

de la commission, on s’aperçoit qu’avec

100 livres, soit 90 euros, on a de quoi s’of-

frir deux gin-tonics et un croque-monsieur,

sans laisser de pourboire.

Nous nous arrangeons pour éviter les frais

d’hôtel grâce à la grande générosité de mon ami

Amel. Pourtant, même avec un hébergement

gratuit, Paris vous aspire votre pognon comme

un Dyson.

Je me demande même, regardant une addi-

tion avec effarement, si je ne vais pas, comme

George Orwell, finir plongeur* dans un restau-

rant, condamné à dormir dans un hôtel miteux

infesté de vermine. Le livre d’Orwell Down andOut in Paris and London [Dans la dèche à Paris età Londres] est d’ailleurs un livre à déconseiller

avant un séjour à Paris. On y lit des phrases du

genre : “Je n’invente rien en disant qu’un cuisinierfrançais n’hésitera jamais à cracher dans la soupe– à moins, bien entendu, qu’il ne compte en mangerlui-même.” Je ne commande donc pas la moindre

soupe, mais à un moment donné je joue avec

ma vie en mangeant un steak tartare, ce qui me

laisse mal à l’aise pendant un ou deux jours.

Cela dit, le retour à Londres est cafardeux,

et pas seulement parce que je me retrouve

séparé quelque temps de ma fiancée, devenue

ma femme. Je lance donc un grand débat sur

Facebook en demandant à mes amis de me

citer une seule raison de préférer Londres à

Paris. Mis à part les taxis, qui ne comptent pas

parce qu’à Paris on peut s’en passer, le seul

exemple convaincant est fourni par mon amie

Louisa, qui dit que Londres est mieux “parcequ’il nous a”, mais ce n’est pas vraiment la

faute de Paris. Tout est mieux à Paris : l’am-

biance, la nourriture, le sexe, la lumière, flâ-

ner le long des rues main dans la main. On

pense même mieux à Paris. J’ai perdu le

compte du nombre de librairies sur lesquelles

je suis tombé. On a même parfois l’impression

qu’il y a plus de librairies anglophones à Paris

qu’à Londres.

Nicholas Lezard* En français dans le texte.

LES PARISIENS

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 35 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

SAVOIR-FAIRE Et la hautecouture fout le camp !

Plantons le décor : Paris, rue de Rivoli, salondu Bois du musée des Arts décoratifs,

juillet 2009. Le défilé de Christian Lacroix sem-blait parrainé par une ONG. Les couturièresont travaillé bénévolement, les maquilleurs etles coiffeurs ont baissé leurs tarifs, les chaus-sures ont été offertes par Roger Vivier, le ser-vice de restauration a été assuré gratuitementpar la cafétéria du coin et le musée a prêté lasalle par amour de l’art. En musique de fond ?La version originale, en français, de My Way,de Frank Sinatra. Lorsque Lacroix a déposéson bilan, en mai 2009, les “Oh, mon Dieu !”*ont fusé de tous les coins de la place Vendômeet la haute couture telle que nous la con nais-sons s’est déclarée “espèce en voie d’extinction”.Aujourd’hui, le but des défilés de haute cou-ture n’est pas de vendre des modèles uniquesavec un pailletage sur mesure, mais de valo-riser l’image des maisons*. Les robes en taf-fetas brodées à la main donnent aux marquesbeaucoup de prestige. Mais à quel prix ? S’iln’y a pas d’argent pour faire une ligne de vête-ments, quelle est l’utilité d’en faire la publi-cité ? C’est l’histoire de la poule et de l’œufversion “fashionista”. Qu’est-ce qui est venuen premier ? Le produit ou l’image ?Dans ce cas précis, c’est le confort qui a finipar primer. La clientèle chic semble avoir pré-féré la facilité au raffinement. Il faut dire queles séances d’essayage dans les ateliers pari-siens sont amusantes la première fois, mais,à la 56e, on envisage sérieusement d’acheterdu prêt-à-porter de luxe. Et, dans cette sociétéde consommation qui veut tout tout de suite,les délais de livraison sont devenus insup-portables. En clair, l’obsolescence guette cetultime recoin du raffinement parisien. Sur lescent six maisons* de haute couture* existanten 1946, il en reste moins de dix aujourd’hui.Son avenir est voilé d’incertitude, mais la hautecouture est à Paris ce que la corrida est àSéville : une institution qui n’a peut-être pasdit son dernier mot. Ana Ureña, ABC, Madrid

* En français dans le texte.

SAVEURS Heureusement, il reste les restos… casherDu point de vue gastronomique, Paris

l’emporte encore sur Londres ! Enfin,

pour la cuisine casher, c’est sûr. Pour

le reste…

Je vis la moitié de la semaine en pleinMarais, à Paris. Ma vie dans le centre

historique de la capitale, et aussi dansla communauté juive de France, changeradicalement de celle que je peux menerà Guidford ou dans mon bureau de SouthBank, à Londres. Et pour moi qui mangecasher, l’un des premiers avantages decette vie parisienne tient à l’incompa-rable qualité de la cuisine et des vins.Paris compte plus de 200 restaurants

casher s’adressant au demi-million deJuifs qui résident dans la capitale fran-çaise. Un Juif parisien m’a précisé avecfierté que cela faisait de sa ville la ca -pitale mondiale de la gastronomiecasher, avec proportionnellement unplus grand nombre de restaurants qu’àNew York, Los Angeles ou Londres. Lapolitesse m’a retenu d’évoquer Jéru-salem ou Tel-Aviv.Attablés devant des sushis casher, noussommes tous tombés d’accord : la cui-sine japonaise et chinoise casher s’estconsidérablement améliorée à Paris cesdernières années, avec l’arrivée aux four-neaux de chefs plus talentueux. Ici, la

qualité de la cuisine semble compter etles mauvais restaurants n’ont pas leurplace. A Londres, nous avons beaucoupmoins de restaurants casher et, depuisdes années, en bons Britanniques quenous sommes, nous avons accepté lamédiocrité en souriant au motif que, sinous n’y allions pas, nous perdrions cesétablissements. Nous encaissons, à lafaçon des banlieusards qui se sont rési-gnés à supporter l’éternel manque deplaces assises dans les transportspublics. Et, comme les trains, les res-taurants londoniens s’améliorent lente-ment mais restent chers.

Alexander Goldberg, The Observer, Londres

Entre Londres et Paris, son cœur balance, nous dit le chroniqueur littéraire Nicholas Lezard.

Très cher mais incomparable

▲ Défilé Margielaautomne-hiver 2008,à Paris. Dessin de Jean-PhilippeDelhomme.

Page 36: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

réseaux sociaux, les blogs et les portails ; peu après, les

grandes chaînes de télévision – les américaines CNN

et CBS, la BBC britannique, les allemandes ZDF et

ARD – la diffusent dans le monde entier. Le lendemain

matin, la photo de Neda Soltani se retrouve dans les

journaux de dizaines de pays. Les jours suivants, les

manifestants défilent en brandissant des panneaux avec

la photo agrandie de la présumée martyre. Bientôt,

Neda Soltani apparaît sur des tee-shirts et des autels

dressés dans la rue. Les manifestants

baptisent la femme du cliché “l’angede l’Iran”. La photo devient le sym-

bole de la lutte pour la liberté et

Neda Soltani, son icône.

Soltani est un nom courant en

Iran, et le prénom Neda n’a rien

d’inhabituel non plus. Toutes deux

sont de jolies femmes aux longs che-

veux bruns. La confusion est com-

préhensible – surtout dans l’émotion

que provoque la mort d’une jeune

femme. Mais la morte s’appelle en

fait Neda Agha-Soltan et celle de la

photo de Facebook, Neda Soltani.

Cette différence aurait dû faire tiquer

les journalistes expérimentés. Cette

confusion en dit long sur le journa-

lisme dans les moments d’hystérie.

Le matin du 21 juin, soit un jour

après la mort de Neda Soltan, Neda

Soltani constate avec surprise qu’une

foule de gens souhaitent devenir ses

amis sur Facebook. Ils sont des cen-

taines, du monde entier. Puis vien-

nent les premiers coups de télé-

phone. Un ami professeur fond en

larmes de soulagement lorsqu’il

entend sa voix. Neda Soltani pense

d’abord à une mauvaise blague, puis

elle apprend ce qui s’est passé avec

sa photo. Neda Soltani écrit à Voice

of America, la télévision américaine

à destination de l’étranger, très sui-

vie par les sympathisants de l’opposition en Iran. Elle

explique qu’il s’agit d’une erreur, que ce n’est pas la

bonne photo qu’on a montrée. Comme preuve, elle

envoie une autre photo d’elle, pour qu’on puisse la com-

parer à la première. Pas une seconde, elle n’imagine la

suite : Voice of America fait circuler cette deuxième

photo comme étant celle de la défunte Neda, CBS la

reprend. Neda Soltani commence à prendre peur. Elle

efface la photo de son profil Facebook pour que per-

sonne ne puisse plus la télécharger. Grave erreur : les

blogueurs voient dans cette suppression la censure des

autorités, copient la photo sur des centaines d’autres

pages Facebook et la font circuler sur Twitter. Neda

Soltani échoue lamentablement à récupérer son image.

Le 23 juin, les parents de Neda Agha-Soltan

mettent à la disposition de tous des photos de leur fille.

Le cliché de Neda Soltani continue malgré tout à cir-

culer. Des amis à elle tentent de rectifier l’erreur sur

Sa photo d’identité montre une jeune femme aux

yeux bruns légèrement maquillée. Le foulard, obliga-

toire en Iran, est un peu en arrière et laisse entrevoir

une chevelure fournie. Elle a un léger sourire sur cette

photo, doux et innocent. C’était le cliché idéal pour

une martyre : l’été dernier, la photo de Neda Soltani a

fait le tour du monde et est devenue le symbole de la

révolution iranienne réprimée dans le sang. Mais la

femme de la photo n’est pas morte. Neda Soltani est

attablée dans un café près de Francfort.

Il y a six mois encore, Neda Soltani vivait à Téhé-

ran. Elle enseignait la littérature anglaise à l’univer-

sité islamique Azad. Elle venait d’achever un long tra-

vail sur la symbolique féminine dans l’œuvre de Joseph

Conrad. Ses parents font partie de la classe moyenne.

Neda Soltani ne souhaite pas raconter ce que fait exac-

tement sa famille, ni d’où elle vient, car elle a peur pour

ceux qui sont restés là-bas. Elle savait qu’il y avait beau-

coup de choses qui n’allaient pas en Iran, mais elle

ne faisait pas partie de l’opposition active. Pendant que

les étudiants manifestaient dans les rues, en juin, elle

corrigeait son manuscrit. “J’ai travaillé dur pendant dixans pour obtenir ce poste de maître de conférences. Je gagnaisma vie moi-même, je sortais avec des amis, je m’amusaisbien.” Neda Soltani a perdu travail, argent et amis. A

32 ans, elle se retrouve demandeuse d’asile en Alle-

magne – à cause de cette photo.

L’histoire de la photo commence le 20 juin 2009.

Vers 19 heures, une jeune femme est abattue près de

l’avenue Kargar, à Téhéran. Elle tombe sur le dos, du

sang coule de sa bouche. Elle regarde fixement la

caméra d’un téléphone portable, blessée, sans défense,

apeurée. Elle meurt sur le chemin de l’hôpital. Le site

Twitter et certains blogs sont les premiers à rappor-

ter les faits. Peu de temps après les coups de feu, le film

de cette femme agonisante est déjà sur YouTube.

Les grandes chaînes de télévision souhaitent iden-

tifier la mourante et cherchent des photos de la jeune

femme. Sur le film, on entend son prénom, Neda, et

un nom de famille apparaît rapidement sur la Toile :

Soltan, étudiante à l’université islamique Azad de Téhé-

ran. Quelqu’un cherche Neda Soltan sur Facebook.

Neda Soltani a elle aussi un profil sur le réseau

social. La plupart des informations sur sa page ne sont

accessibles qu’à ses amis, mais tout le monde peut voir

sa photo. Qui, le premier, a confondu Neda Soltani,

l’enseignante vivante, avec Neda Soltan, l’étudiante

morte ? Difficile à dire. La nuit du 20 au 21 juin, quel-

qu’un copie la photo du profil Facebook de Neda Sol-

tani et la fait circuler en affirmant que c’est celle de

la défunte Neda Soltan. Le cliché se répand sur les

les forums Internet. L’un d’entre eux se fait insul-

ter : “Enfoiré, tu ne nous prendras pas l’ange de l’Iran.” Il

n’est plus possible de rétablir la vérité. Les opposants

au régime assurent, sur la Toile, que leur photo est la

bonne. Seuls quelques journalistes interrogent Neda

Soltani, sur sa page Facebook, à propos de l’origine

de la photo. Aucun ne parvient à rectifier l’erreur. Neda

Soltani a perdu sa photo.

Le régime iranien finit par faire pression sur elle.

Aujourd’hui encore, alors qu’elle réside en Allemagne,

elle refuse de préciser comment et par qui elle a été

menacée, de peur que sa famille n’en subisse les consé-

quences. Les autorités entendent utiliser la confusion

des photos contre l’opposition, faire croire que les mani-

festants sont instrumentalisés par les falsificateurs de

l’Occident. Neda Soltani panique, tombe malade et

décide de quitter l’Iran. Elle s’enfuit le 2 juillet, sans

même dire au revoir à ses parents. Elle paie les passeurs

avec toutes ses économies. Après avoir transité par la

Grèce, elle se retrouve en Allemagne avec pour seul

bagage un petit sac à dos. L’un de ses cousins vit à

Bochum. C’est désormais sa seule famille.

Le 3 juillet, le site de la BBC mentionne enfin la

confusion au détour d’un article consacré aux forums

sur Internet, dans un paragraphe sur les théories du

complot auxquelles a donné lieu la mort de Michael

Jackson. On peut y lire : “Le cas de Neda Soltani montreà quel point il peut être dangereux pour les médias d’utili-ser des images tirées des réseaux sociaux.”

L’histoire de la photo aurait dû se terminer au plus

tard le jour même. “Mes amis m’ont dit : ‘Attends encore

un jour et tout va s’arranger.’ Mais les jours passaientet ça ne s’arrangeait pas”, raconte Neda Soltani. Sa

demande d’asile en Allemagne est examinée depuis déjà

six mois. Elle ne voulait pas émigrer, assure-t-elle. Jamais

elle n’était allée en Occident auparavant. Elle a le mal

du pays. L’Etat allemand lui verse aux alentours de

180 euros par mois. Cela ne suffit pas vraiment pour

acheter des fruits et des légumes, pour s’alimenter sai-

nement comme au pays, à Téhéran. Elle vit aujourd’hui

dans un foyer pour réfugiés. Elle a toujours peur pour

sa famille restée à Téhéran et peur pour elle-même en

Allemagne. Sa chambre, qui porte le numéro 11, est

étroite et comporte deux lits et une étagère. Elle ne veut

y faire entrer personne. Elle souhaite oublier ces mois

passés “dans un camp” le plus vite possible.

La bonne photo, celle de Neda la morte, est connue

depuis des mois, mais la mauvaise, celle de Neda la

vivante, continue de circuler : sur le magazine SpiegelOnline, dans The New York Times ou encore via l’AFP

[certains ont publié entre-temps un rectificatif sur leur

site]. En novembre, CNN a produit la photo de Neda

Soltani dans le cadre d’un reportage sur l’Iran. L’inté-

ressée a écrit à la chaîne pour la prier d’effacer son

image. Elle a reçu en guise de réponse un courriel auto-

matique la priant de comprendre que la chaîne ne pou-

vait répondre personnellement à tous les courriers. Le

texte était signé “CNN, The Most Trusted Name In News”[CNN, le média le plus digne de confiance]. Neda

Soltani a perdu la bataille de son image.

David Schraven

SÜDDEUTSCHE ZEITUNG (extraits)Munich

Neda Soltani

portrai t

La femme de la photo

Elle est censée être morte.

Pourtant, elle est là, toujoursbelle. Ses traits se sont durcis et

elle ne porte plus le voile. On distingue

quelques mèches grises dans ses cheveux noirs. Neda

Soltani a vieilli ces sept derniers mois.

■ Chrono 1978 Naissance

de Neda Soltani.

1982 Naissance

de Neda

Agha-Soltan.

Juin 2009 Le 20,

Neda Agha-Soltan

est tuée au cours

d’une manifestation

à Téhéran.

Le 21, la photo

de Neda Soltani

est diffusée

par erreur

dans les journaux

du monde entier.

Les manifestants

surnomment

la jeune femme

de la photo “l’ange

de l’Iran”.

Le 23, Neda Soltani

tente en vain

de rétablir la vérité

au sujet de sa photo.

Juillet 2009 Neda

Soltani quitte l’Iran

et demande l’asile

en Allemagne.

Février 2010Elle accorde

une interview

à la Süddeutsche

Zeitung.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 36 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Page 37: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

▲ ■ Ces deux clichés, issus du site

de partage de photos Flickr, ont été présentés

comme des portraits de Neda Agha-Soltan,

l’étudiante tuée à Téhéran.

En réalité, sur le cliché de droite, il s’agit

de Neda Soltani, l’enseignante réfugiée

en Allemagne.

◀ ■ Neda Soltani,

32 ans, enseignait

la littérature anglaise

à Téhéran. Elle

est aujourd’hui

exilée en Allemagne,

où elle a déposé

une demande d’asile.

▲ ■ A Zurich, le 24 juin 2009,

des manifestants iraniens brandissent

la photo de Neda Soltani, qu’ils confondent

avec Neda Agha-Soltan, l’étudiante tuée

le 20 juin à Téhéran lors d’affrontements

avec les forces de l’ordre. Neda est devenue

“l’ange de l’Iran”, et sa photo le symbole

de la lutte pour la liberté.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 37 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

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Page 38: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

PAKISTAN

Le village qui dit non aux talibansDevant l’influence des islamistes, le gouvernement encourage la formation de milices villageoises. C’est le cas à Shah Hassan Khel, où l’on a décidé de lutter contre eux malgré les sanglantes représailles.

THE GUARDIANLondres

Qui pourrait croire qu’onjoue au volley-ball dans leLakki Marwat, région fré-quentée par des barbus

armés jusqu’aux dents à la frontièreentre le Pakistan et les Zones tribales[région semi-autonome du nord-ouestdu Pakistan qui abrite des talibanspakistanais et afghans et des combat-tants d’Al-Qaida] ? Pour jouer au vol-ley, il n’y a ni besoin d’équipementsophistiqué ni de terrain, ce qui estparfait quand on est pauvre. Et lesmatchs peuvent avoir lieu dans lespetites cours fermées des maisons enpisé. Malheureusement, ces rassem-blements constituent également unecible idéale pour les talibans.

Le 1er janvier 2010, un kamikaze alancé son camion piégé au milieu d’unefoule venue assister à un match de vol-ley-ball à Shah Hassan Khel, un vil-lage frontalier du Lakki Marwat. L’ex-plosion a été la plus meurtrière de cesdernières années – 97 morts et 40 bles-sés, soit environ la moitié des per-sonnes présentes sur les lieux. Ce mas-sacre était un acte de vengeance. Sixmois auparavant les habitants de ShahHassan Khel avaient tourné le dos auxtalibans de leur village et livré vingt-quatre d’entre eux à l’armée. A peineles quarante jours de deuil étaient-ilsterminés que les villageois étaient prêtsà se faire justice. Les anciens ont forméun “comité de paix” pour rassembler

armes et munitions. “Nous ne les lâche-rons pas. Nous les capturerons un par un.Et ensuite nous les tuerons”, expliqueMushtaq Ahmed, le chef de ce comité.La police l’a prévenu qu’un autre kami-kaze était peut-être à ses trousses. “Jesuis très recherché”, plaisante-t-il. Cegenre de représailles n’est pas unique.Les milices tribales, les lashkars, opè-rent dans d’autres secteurs de la Pro-vince-de-la-Frontière-du-Nord-Ouestet dans les Zones tribales – les districtsde Swat, de Buner et de Khyber. Cer-taines fonctionnent bien, d’autres non,et elles pourraient bien être être enmesure de repousser les talibans. Mais

la prolifération de milices de ce genre,qui s’explique également par une tra-dition de vengeance très enracinée chezles Pachtounes, met en lumière unefaille plus inquiétante : l’échec de l’Etatpakistanais à endiguer les avancées destalibans. L’exemple de Shah HasanKhel est révélateur. Pendant plusieursannées, cet endroit misérable, était unnid de sympathisants talibans, avec àleur tête Maulvi Ashraf Ali, un religieuxlocal charismatique. Mais les villageoisont rapidement déchanté quand ils ontdécouvert que les combattants isla-mistes finançaient leurs actions grâceà la contrebande, au vol de voitures et

aux enlèvements. “Ali disait qu’il vou-lait faire respecter la charia, mais tout cequ’il voulait c’était le pouvoir”, raconteRehim Dil Khan, un chef tribalmembre du comité de paix. L’été der-nier, sous la pression de l’armée, lesvillageois ont évacué Shah Hasan Khelpour faciliter une offensive militairecontre les talibans. Les talibans ont prisla fuite et Ali, blessé, a été évacué dansune charrette tirée par un âne. Les vil-lageois sont désormais à la recherched’Ali et de ses comparses. Leur mobi-lisation est soutenue par Anwar Kamal,un puissant chef de guerre qui incarnebien les contradictions du pouvoirlocal. Avocat et pilote, il dort avec unlance-roquettes sous son lit et il lui estarrivé de lancer ses propres lashkarscontre une tribu rivale pour leur “don-ner une leçon”, ce qui ne l’empêche pasde siéger au parlement local. Aujour-d’hui, il aide les villageois de Shah Has-san Khel à pourchasser les talibans.“Ici, la force prime sur le droit”, explique-t-il. La tâche n’est pourtant pas si facile.Selon Tariq Hayat Khan, représentantdu gouvernement dans les Zones tri-bales, débusquer Ali risque de prendredu temps et nécessitera des négocia-tions complexes entre tribus. “Envoyerdes mercenaires ne suffira pas.” A Shah Hassan Khel, les talibans ont déjà rem-porté une petite victoire. Plus personnene joue au volley-ball, ce sport qu’ilsméprisent tant, car la plupart desjoueurs sont morts.

Declan Walsh

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Nad AliNad Ali

MarjahMarjah

IslamabadIslamabad

BunerBuner

* Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest * Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest

Lashkar GahLashkar Gah

A F G H A N I S T A N

P A K I S T A N

TADJIKISTAN

INDE

Kaboul

Kandahar

Quetta

Opération Mushtaraklancée le 13 février2010

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Peshawar

Shah Hassan Khel

Passe de Khyber

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Source : BBC

0 300 km

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KhyberNord-Waziristan

Sud-Waziristan

SwatBuner

Lakki Marwat

* Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest

Opération Mushtarak : effectifs engagés

8 500 Américains1 200 Britanniques (+ 3 000 en réserve)

4 400 Afghans

500 autres dont 70 Français

INDE

Le roi de Bollywood fait plier l’extrême droite

Le 12 février, sortait en salle MyName is Kha, le dernier film de lastar de Bollywood Sha Rukh Khan.

De quoi faire hurler de joie les plus grandsfans du célèbre acteur. Mais, à Bombay, lefilm n’était à l’affiche que dans quelquessalles, les propriétaires ayant cédé aux pres-sions du parti d’extrême droite du Maha-rashtra, le Shiv Sena, qui appelait à son boy-cott depuis déjà plusieurs jours. Ce qui n’apas manqué d’inquiéter Karan Johar, le pro-ducteur de ce film à gros budget, qui, lorsd’un rendez-vous avec le chef de la policelocale, a demandé de garantir la sécurité desspectateurs à la sortie des cinémas. Car lessainiks, comme on appelle les membres dece parti, font peur. Ils avaient déjà violem-ment attaqué plusieurs salles obscures, brûlédes affiches et assailli la résidence du célèbreacteur durant la semaine précédant la sor-tie du film. Le 12 février, 1 825 sainiks ontété arrêtés par la police alors qu’ils mena-çaient de s’en prendre aux spectateurs dansles files d’attente.

Les raisons de leur ire ?La prise de position de ShaRukh Khan sur la sélectiondes joueurs de la Ligue decricket indienne (IPL, IndianPremier League). Celui-ci aregretté qu’aucun joueurpakistanais n’ait été engagé.Aussitôt, le Shiv Sena a saisil’occasion de discréditer lepatriotisme de l’acteur endéclarant qu’il pouvait “allerau Pakistan s’il voulait parleren faveur des joueurs pakista-nais”. Mais Khan a tenu bon,refusant de s’excuser malgréles pressions de l’organisationd’extrême droite.

Derrière “l’affaire Khan”,on retrouve la débâcle d’un parti qui, en rai-son de la balka nisation du populisme régio-naliste, perd son influence dans cette par-tie du pays. “Il était clair dès le départ quecette affaire n’avait pas grand-chose à voir

avec le cinéma ou le sport,mais qu’il s’agissait d’une ten-tative de la part du Shiv Senade redonner vie à un parti enperte de vitesse depuis sesdéfaites électorales”, indiquele quotidien Asian Age. Lesmots du roi de Bollywoodne sont donc rien d’autrequ’une occasion pour leShiv Sena de redorer saréputation de nationalistehindouiste antimusulmanet antipakistanais que lui aravie le MNS [MaharashtraNavnirman Sena], nouvelleformation xénophobe répu-tée pour ses positions vio-lentes envers les habitants

de Bombay qui ne sont pas originaires duMaharashtra. “Le mouvement anti-Khan estun outil bien utile pour redéfinir l’équation poli-tique de l’Etat”, rappelle pour sa part lemagazine Outlook. Le 7 février, le ministre

de l’Agriculture, Sharad Pawar, membredu Nouveau Parti du Congrès et présidentde l’association de cricket de Bombay, arendu visite au chef du Shiv Sena, Bala-saheb Thackeray, afin d’apaiser les tensionset redéfinir de nouvelles alliances. Pourbeaucoup, cette rencontre illustre la bana-lisation de la politique mafieuse.

Mais cette fois, le remue-ménage causépar les extrémistes hindous n’a pas remportél’adhésion des habitants de Bombay, quisont sortis en masse pour s’opposer aux agi-tateurs. “Les gens n’ont pas réagi selon leurappartenance à la communauté hindoue oumusulmane, ou bien selon qu’ils parlaient ounon marathi. Finalement, ils ont gagné, et leShiv Sena a perdu”, analyse avec opti-misme l’Asian Age. De même, de nombreuxcitoyens de toutes origines, habitants deBombay, se mobilisent actuellement surInternet et dans les milieux associatifs pourdéfendre un “Bombay pour tous” et pouvoiraller voir le dernier film de Sha Rukh Khansans crainte. ■

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 23 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

■ OffensiveThe New York Times

rapportait,

le 16 février,

la capture

au Pakistan du chef

militaire des talibans

afghans, le mollah

Abdul Ghani

Baradar. Washington

espère que

cette arrestation

permettra d’affaiblir

l’insurrection

en Afghanistan, alors

que les forces

de l’OTAN et l’armée

afghane ont lancé

le 13 février

l’opération Mushtarak

[Ensemble] dans

la province

du Helmand, l’un

des plus importants

bastions talibans.

L’objectif est non

seulement de libérer

la zone, mais aussi

de mettre en place

des programmes

de développement

dans la région.

■ ▲ “Il ne s’agit pas seulement de

Sha Rukh Khan”, affirme Outlook

en couverture, pointant ainsi la

responsabilité de l’extrême droite.

Page 39: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

la capitale. Il y en avait pour plus de 1,5 million d’euros.

Et pourtant, dans l’esprit de la plupart des Russes,

vendre et acheter du caviar n’a rien d’un crime. Ce n’est

quand même pas de la drogue ou des armes ! C’est

ainsi que la demande reste élevée, d’autant que, chez

nous, consommer du caviar noir n’est même pas un

signe de richesse, tout au plus un symbole de réus-

site, une récompense normale dans l’existence. Cela

fait immanquablement songer à la fameuse affiche sur

laquelle un slogan tracé en caviar noir sur fond de caviar

rouge proclame avec allégresse : “Ça, c’est la belle vie !”“Le gros problème, c’est qu’il existe une vraie demande

pour le caviar illégal”, confirme Alexandre Novikov,

patron du groupe Tchernoïé Zoloto [Or noir]. “Je nesaisirai jamais ce qui pousse tous ces gens, pour la plupartaisés, à acheter de la contrefaçon. Sans entrer dans des consi-dérations morales, c’est tout simplement dangereux pour leursanté ! Il est navrant de voir des personnes honnêtes trom-pées sur la marchandise qu’elles achètent, ou plutôt que leurscuisiniers ou leurs domestiques achètent pour eux. Ils croientavoir affaire à un produit de luxe, alors que c’est de la contre-bande de deuxième catégorie sortie d’un congélateur.”

Pour produire du bon caviar, deux conditions sont

indispensables : l’extraire d’un poisson vivant et com-

mencer à le traiter dans les dix minutes. Les braconniers

ne peuvent pas répondre à ces exigences, ce qui les oblige

à arroser leur caviar d’urotropine et autres conservateurs

à hautes doses, le transformant en poison. Alexandre

Novikov nous assure que de nombreux restaurants ser-

vent ce caviar illégal : “Les restaurateurs sont beaucoup plusenclins à se tourner vers nos produits au moindre cas d’in-toxication de clients. Ainsi, ils peuvent produire nos documentsofficiels et attester qu’ils ne se fournissent qu’auprès d’entre-prises en règle. Je pense que les restaurateurs qui ne mettentjamais de contrefaçon à leur carte sont peu nombreux.”

Officiellement, le commerce du caviar noir est très

réglementé. Les entreprises aquacoles agréées doivent

répondre à toute une série d’exigences sanctionnées

par des certificats sanitaires. Leur production doit être

pesée au gramme près avant d’entrer dans le circuit

commercial. En théorie, une traçabilité totale est ainsi

assurée. Mais la pratique est tout autre. D’après notre

enquête, la Russie compterait à ce jour une cinquan-

taine de fermes piscicoles élevant des esturgeons, mais

seules une dizaine d’entre elles produiraient effecti-

vement du caviar. Parmi celles-ci, les cinq “leaders” sont

l’entreprise Diana, située dans la région de Vologda (avec

7,5 tonnes de caviar produites l’an dernier), la

société Belouga à Astrakhan (2 tonnes), Raskat, égale-

ment à Astrakhan (1,2 tonne), l’élevage de

Karmanovo, au Bachkortostan (900 kilos), et le com-

plexe de production d’esturgeons de Kalouga

(200 kilos). Alors, que font les quarante-cinq autres ?

La police pense que certaines d’entre elles n’ont été

créées que pour écouler les produits du braconnage.

Il est facile de vérifier cette hypothèse, car l’aqua-

culture est un secteur qui exige de gros moyens et des

investissements sur le long terme.

Il existe deux façons d’obtenir du caviar d’élevage.

La manière traditionnelle, barbare, consiste à tuer la

femelle, prendre les œufs et vendre la chair. L’autre façon

de faire est celle qu’ont aujourd’hui adoptée la plu-

part des grandes fermes : prélever le caviar sans tuer

l’animal, qui reste capable de se reproduire durant plu-

sieurs années. Les œufs sont récoltés juste avant le

moment où le poisson est prêt à les expulser. Cela

demande une petite incision de son ventre au scalpel,

dans un environnement parfaitement stérile. Ce caviar

est le plus précieux, le plus proche de la maturité, et

exige un traitement d’un professionnalisme exemplaire.

Pour arriver au stade de productrice de caviar, une

femelle aura réclamé des années de soins minutieux.

La plupart des élevages n’ont ni les moyens ni les spé-

cialistes nécessaires. Ils servent donc de couverture,

simples façades pour dissimuler le trafic. Les produc-

teurs légaux sont peu nombreux, bien connus, ils tra-

vaillent dans la transparence et les organismes de

contrôle connaissent exactement le nombre et la nature

des poissons que chacun élève.

Chaque individu est répertorié selon

son espèce et son âge. Et, pour

chaque espèce, il existe une quan-

tité normative de caviar qu’il est

possible de produire en fonction de

l’âge. Donc, pas question de vendre

plus (moins, oui, sans problème).

C’est ainsi que le marché est inondé

de boîtes de caviar contrefait por-

tant des étiquettes parfaitement imi-

tées. Pourtant, Alexandre Novikov

demeure persuadé qu’il est possible

de vaincre le braconnage et le tra-

fic, à condition que le contrôle des

élevages soit strict. Les lois existent.

Reste à les faire appliquer.

Timour Mitoupov, qui dirige la

société d’investissements et d’ana-

lyses Khladoprodoukt [Produits

frais] et fait partie du conseil d’ex-

perts du Rosrybolovstvo [l’admi-

nistration nationale chargée de la pêche], ajoute pour

sa part : “Depuis 2007, nous poussons à l’adoption d’uneloi qui instaurerait un monopole d’Etat sur la production,la vente et l’exportation du caviar noir. En vain. Cette loipermettrait à la Russie de produire 300 à 400 tonnes decaviar par an d’ici dix à quinze ans.” A ce jour, le volume

annuel des ventes légales sur le marché mondial est

estimé entre 350 et 370 tonnes. La Russie y est inexis-

tante. Mais l’Iran, voyant la déliquescence de notre

industrie du caviar, en a profité pour créer un réseau

de fermes piscicoles et d’usines de transformation –

calqué sur le modèle soviétique, un comble ! Ainsi, en

Occident, on est désormais persuadé que le caviar ira-

nien est largement supérieur au caviar russe. Nous

n’avons malheureusement pas les moyens, pour l’ins-

tant, de prouver le contraire…

Grigori Sanine, Vladimir Krioutchkov et Dmitri Serkov

◀◀ En merCaspienne, des employés sur un bateau-usine.▲▲ Pêcheurclandestin près d’Astrakhan. ◀ Un en-cas au borddu fleuve Amour.▲ Un inspecteur de la brigade de surveillance de la pêche.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 39 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

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Page 40: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

êtes conditionnés de telle sorte que vous faites forcément ceque vous avez à faire. Et ce que vous avez à faire est dansl’ensemble si agréable, on vous laisse donner libre cours àtant de vos impulsions naturelles, qu’il n’y a pas vraimentde tentations auxquelles vous devez résister.”

Le démocrate-chrétien moyen formulerait bien sûr

différemment l’intérêt du conditionnement. Il parlerait

de stimuler le citoyen de façon adéquate. Et aucun poli-

tique n’oserait affirmer qu’il ne faut pas trop s’attacher.

Presque personne n’oserait, du reste. Plus on s’aime,

mieux cela vaut. De nos jours, même le fait de s’oc-

cuper d’un canari gravement malade ou d’une per-

sonne âgée passe pour un acte héroïque, mais, autre-

Que font les Néerlandais en Afghanistan ? Un texte de l’écrivain Arnon Grunberg à propos des images duphotographe Ad Van Denderen.

NRC HANDELSBLAD (extraits)Rotterdam

Le roman dystopique Le Meilleur des mondes (1932),d’Aldous Huxley, pose au lecteur contemporain

des problèmes inattendus. La civilisation qu’en-

trevoit Huxley est-elle si effrayante que cela, après

tout ? N’est-elle pas, par certains aspects, agréable et

séduisante ?

Huxley met en scène Mustapha Menier, qui parle

au nom de la civilisation : “La civilisation n’a pas lemoindre besoin de noblesse ou d’héroïsme. Ce sont des symp-tômes d’une politique inefficace. Dans une société conve-nablement organisée comme la nôtre, personne n’a l’occa-sion d’être noble ou héroïque. Il faudrait que les circonstancessoient particulièrement instables pour que l’occasion se pré-sente. Là où il y a des guerres, là où les sentiments de loyautésont divisés, là où il faut résister à des tentations, là où il fautse battre pour conquérir ou défendre des objets d’amour, c’estlà que la noblesse et l’héroïsme ont nécessairement un sens.Mais de nos jours il n’y a plus de guerre. On prend le plusgrand soin à éviter que vous vous attachiez trop à qui quece soit. Les sentiments de loyauté ne sont plus divisés ; vous

ment, les idéaux de la civilisation décrits dans Le Meilleurdes mondes ne sont pas fondamentalement différents

des nôtres. Tout compte fait, les idéaux de Mustapha

Menier – si tant est que le monde qu’il décrit puisse

être jugé idéal – sont plus ou moins identiques à ceux

des démocrates-chrétiens, des sociaux-démocrates, des

libéraux, des démocrates et, naturellement, des artistes

d’aujourd’hui, car il est rare l’artiste qui n’est pas, d’une

manière ou d’une autre, nappé d’une petite sauce démo-

crate-chrétienne ou qui n’en nappe pas son travail.

Le voile pudique de l’engagement doit recouvrir une

œuvre d’art, médiocre ou pas, pour qu’elle ait une

chance d’être jugée pertinente ; une sculpture sur bois

contre l’excision, une installation vidéo parrainée par

Kraft, dans laquelle l’artiste montre à quel point il est

scandaleux que les banquiers continuent d’empocher

des millions, un volumineux roman montrant les effets

dévastateurs de l’absence d’un bon système de santé

aux Etats-Unis – je n’ai rien contre l’empathie, je n’ose-

rais pas, pas même dans la littérature ou les arts plas-

tiques, mais, dans le monde de l’art, on a du mal à dire

où s’arrête l’engagement et où commence le marke-

Soudain, la porte est ouverteREGARDS CROISÉS SUR UNE GUERRE

(suite page 42) ▶

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 40 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Page 41: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

◀◀ Des soldatsnéerlandaisrécemment arrivés enAfghanistan reçoiventune formation sur les motos piégées.◀ Interroger etfouiller la populationlocale, c’est la routinedes hommes enpatrouille.▼▼ Aux Pays-Bas,avant de partir, lesofficiers apprennent à donner l’accolade à la façon afghane.▼ Lors d’un contrôle,l’examenprécautionneux d’unbaluchon de paysan.

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COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 41 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Page 42: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

ting. Et je crains que ce ne soit guère mieux dans le

monde politique. Avons-nous vraiment besoin de l’art

pour nous rappeler que ce qui est affreux est affreux ?

Si la civilisation de Huxley dans Le Meilleur desmondes ressemble tant à la nôtre, c’est que leur enjeu

est le même : il s’agit de domestiquer l’être humain au

nom du bonheur de tous. Dans les deux mondes, c’est

ce que signifie la vertu, et tout le reste en découle.

Quand on en prend conscience, on comprend par

exemple que le conflit entre croyants, moins croyants

ou apostats, dont les médias et les livres parlent abon-

damment depuis quelques années, n’est tout au plus

qu’un léger désaccord sur l’idée que nous nous faisons

de l’être humain domestiqué. Savoir si l’être humain

domestiqué doit passer son temps libre dans un lieu de

prière, un stade de foot ou un musée, avec ou sans voile,

à moitié nu ou couvert de la tête aux pieds, n’est que

du détail, un hoquet de l’Histoire.

Que ce soit Dieu qui parle ou la raison, c’est du

pareil au même. La raison dit : “Domestiquez-vous

vous-mêmes, et si vous n’y parvenez pas, allez à la biblio-

thèque.” Dieu dit : “Je brille par mon absence, mais j’ai

sur terre des prêtres, des rabbins et des imams qui sont

là pour vous domestiquer en mon nom.”

Il y a toujours des nietzschéens pour voir dans l’être

humain domestiqué un animal dégénéré, mais soit ils

sont complètement ironiques, soit ils se sont retirés

dans les recoins poussiéreux de l’université, d’où ils sor-

tent de temps en temps pour une conférence ou un

congrès, afin de provoquer des remous. Si tout le monde

professait des idéaux démocrates-chrétiens, même la

vie universitaire mourrait d’ennui. Et là où règne l’en-

nui, on coupe dans les budgets.

Je ne donne pas tort aux démocrates-chrétiens

déguisés en artistes, en imams, en footballeurs, en libé-

raux ou en généraux. Moi aussi j’aime vivre aux côtés

d’un animal dégénéré qui se couche à 11 heures du

soir, mais je soupçonne l’être humain de vouloir de

temps en temps se perdre dans quelque chose pour

soulager la souffrance associée à la domestication.

Jésus, disent les chrétiens, a pris sur lui les souf-

frances de l’humanité. Du point de vue de la technique

narrative, et personne ne m’en voudra d’examiner l’his-

toire du Christ à travers le prisme de la technique nar-

rative, il me paraît probable que Dieu ait créé la souf-

france sur terre pour trouver un emploi à son fils. Sans

la souffrance de l’humanité, Jésus serait resté sans

emploi, il aurait été un moins que rien, un nul, comme

l’ensemble de ses confrères prophètes. Nous souffrons

parce que Dieu a voulu lutter contre le chômage dans

sa famille. C’est tout de même autre chose que de pré-

senter Dieu comme un monstre cruel et irrationnel.

Je nous soupçonne d’être accros à la souffrance

d’une drôle de manière et d’exalter cette souffrance par

toutes sortes de moyens détournés – par la religion, par

l’art, par le nationalisme, par l’héroïsme – parce que,

sans cette souffrance, nous ne pourrions plus croire à

la possibilité d’être libre. Nous sommes domestiqués,

mais nous sommes accros à l’idée que nous pouvons

nous échapper comme ça, du jour au lendemain. Et

parfois nous nous échappons un peu, nous mettons

le gros orteil dans l’océan, nous lisons un livre, nous

allons à Rome à vélo alors que nous avons les moyens

de prendre le train ou l’avion, nous nous promenons

au pôle Nord, ou nous prenons place dans les plus

longues, les plus nouvelles, les plus bruyantes et les plus

effrayantes montagnes russes du monde.

Quand un indompté se manifeste vraiment, nous

sommes pris d’effroi. Un attentat à la bombe dans une

ville où vivent des gens comme nous, ou bien un sau-

vage blanc qui veut la peau de la reine* et qui, visi-

blement, est passé entre les mailles du filet de toutes

les machines à domestiquer, oui, cela nous fait terri-

blement peur. Mais c’est le prix que nous payons pour

l’illusion de la liberté. Un prix élevé ? Je ne sais pas : la

liberté est une Fata Morgana précieuse, peut-être même

indispensable.

Nous pourrions tous nous mettre à prendre du

soma, le comprimé qui procure un sentiment de bon-

heur dans la dystopie de Huxley, mais nous aimerions

pouvoir atteindre l’état légèrement comateux que sus-

cite un bonheur modéré sans que les autorités nous

bourrent de comprimés pour que les quelques sauvages

qui sont encore parmi nous renoncent à leurs derniers

désirs d’état sauvage.

Nous sommes fiers de refermer nous-mêmes la

porte de la cage. C’est la quintessence de ce que nous

appelons civilisation. L’être humain civilisé s’écrie :

“Non, non, je n’ai pas besoin de gardien. J’ai déjà fermé

la porte à clé et je suis très confortablement allongé là,

sur la paille.” Ce n’est pas une critique, n’allez pas

me prendre pour un nietzschéen. Comme je l’ai déjà

dit, je suis très content de ces cages.

Certaines personnes élèvent des cochons d’Inde,

d’autres des gerbilles, d’autres encore des lapins, mais

tous les êtres humains civilisés s’élèvent eux-mêmes,

c’est ce qu’on le leur a appris. Il y a des endroits sur cette

Terre – je les appellerai des oasis – où la domestica-

tion s’interrompt : ce sont les zones de conflit armé. Le

mot “oasis” pourrait laisser croire que je glorifie la guerre.

Je ne glorifie pas plus la guerre que la domestication.

Presque tous ceux qui pénètrent dans une zone

de conflit armé, que ce soient des infirmiers, des diplo-

mates, des correspondants de guerre, des photographes,

des militaires, des travailleurs humanitaires ou des tech-

niciens, savent qu’entrer dans une de ces zones c’est

comme ouvrir la cage. Soudain, la porte est ouverte.

Le temps d’un instant, tout semble possible.

Oui, bien sûr, la guerre est atroce, la cage n’est

ouverte qu’un instant puis elle se referme vite et la pro-

menade à l’extérieur de la cage est strictement régle-

mentée, le droit de la guerre existe, peut-être pas tou-

jours dans la pratique, mais en théorie du moins. De

même qu’il est ridicule de dire au lion : “Hou, le

méchant lion qui a dévoré une antilope”, il est ridicule

de dire à l’être humain : “Hou, le méchant humain qui

a envie de guerre.”

On fait la guerre parce que l’envie de guerre existe.

Par la suite, on invente des raisons et on évoque des

nécessités et toutes sortes d’intérêts géopolitiques que

je ne veux pas totalement balayer mais qui, à vrai dire,

ne m’intéressent guère. Je laisse ces discussions à ces

messieurs-dames des pages Opinion qui, après avoir

étudié plusieurs journaux et magazines étrangers, met-

tent leur grain de sel.

Un être humain ne tombe pas amoureux parce qu’il

voit la personne A ou B, il tombe amoureux parce qu’il

a envie d’être amoureux et que cette envie lui fait recher-

cher un objet sur lequel porter son amour. Qu’il se

raconte une autre histoire est compréhensible et très

vraisemblablement utile aussi, mais il s’agit d’une forme

de fiction qui doit être considérée pour ce qu’elle est.

Le plus grand désir de Mme Bovary est le désir lui-même.

Je soupçonne l’envie de guerre de provenir non pas tant

de la nature foncièrement mauvaise de l’être humain –

les références obligées au mal polluent le débat – que

du besoin d’échapper, temporairement ou pour tou-

jours, à l’état de domestication.

Ad Van Denderen a photographié l’armée néer-

landaise en Afghanistan et en route pour l’Afghanistan.

Il a photographié aussi les amis et les parents qui

n’étaient pas autorisés à les accompagner. Un coup

d’œil rapide à ses photos pourrait mener à des conclu-

sions classiques : la guerre n’est pas héroïque, l’ar-

mée est absurde, les soldats sont souvent laids. C’est

ainsi que l’on décrit la guerre depuis des décennies

et, pourtant, il y a suffisamment d’hommes (et aussi

quelques femmes) qui sont prêts à y participer. Ils veu-

lent voir sur place ce qu’elle a d’héroïque et de palpi-

tant, ils veulent en faire l’expérience en personne.

La radicalité de Van Denderen, qui se manifeste

avec plus ou moins d’intensité dans toutes ses pho-

tos, consiste à rendre visible l’illusion de la cage ouverte.

Ses soldats ont des armes et des uniformes, mais ils

sont aussi domestiqués que le crémier.

Le plus poignant, ce sont ces photos de civils néer-

landais qui, grâce à la chaîne MAX, peuvent enregis-

trer des messages de vœux pour Noël et le nouvel an à

l’intention de leurs amis, de leurs chéris et des membres

de leur famille qui se trouvent en Afghanistan. En regar-

dant ces photos, je n’ai pu m’empêcher de penser : voilà

l’essence même de notre guerre en cette première

décennie du XXIe siècle. Prenez la photo des deux

femmes et de la petite fille dans un studio de la chaîne

MAX, toutes les trois coiffées d’un bonnet de père Noël.

Il n’y a qu’une seule conclusion possible : Afghanistan

ou pas, la civilisation a triomphé. La cage ne s’ouvrira

plus jamais. Arnon Grunberg

* Le 30 avril 2009, aux Pays-Bas, un homme avait foncé sur la foule

avec sa voiture lors de la fête de la Reine, faisant 4 morts et 13 blessés.

(suite de la page 40)▶

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COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 42 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Page 43: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

▲▲ Des jeunesNéerlandais tentéspar la carrièremilitaire participent à une journée portesouvertes au camp de Schaarsbergen.▶ A l’aéroportd’Eindhoven, unsoldat en partancepour la provinced’Orozgan fait sesadieux à sa famille.

▲ Familles et amisdes soldats en missionenregistrent leursmessages de Noël.◀ Une nouvellerecrue de la brigadeaéroportéenéerlandaise.◀ L’enrôlement d’unjeune policier afghan,qui va être formé par les Néerlandais.

■ Le photographeMembre de l’agence

VU, Ad Van Denderen

(Pays-Bas, 1943)

est réputé

pour ses reportages

sur l’apartheid,

les Palestiniens

ou l’immigration

en Europe.

En 2008-2009, il a

travaillé sur l’armée

néerlandaise

à la demande

du Rijksmuseum

et du quotidien

NRC Handelsblad.

Il en a tiré le livre

Occupation: Soldier

(éd. Paradox, 2009).

■ L’écrivainBrillant romancier,

Arnon Grunberg,

né en 1971

aux Pays-Bas,

est aussi l’auteur de

grands reportages,

notamment en

Afghanistan, en Irak

et à Guantanamo.

Il est édité en France

chez Actes Sud, qui

a publié en 2009

son avant-dernier

roman, Tirza

(traduit par Isabelle

Rosselin, comme

le texte ci-contre).

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 43 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Page 44: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

THE ECONOMISTLondres

Après les banques, c’est mainte-nant le tour des Etats. La criseéconomique, qui a semblé perdrede sa vigueur à la fin de 2009, fait

rage de nouveau, alors que se profile àl’horizon la menace de faillites sou-veraines. Les dirigeants européens s’ef-forcent de prévenir le plus granddésastre financier de l’histoire de l’euro.Tous les projecteurs sont braqués surla Grèce. Si un plan de sauvetage dece pays se concrétise, d’autres candi-dats européens se bousculeront peut-être au portillon. Les marchés obli-gataires doutent de la capacité del’Espagne, de l’Irlande et du Portu-gal à rembourser leurs dettes [et récla-ment donc des taux d’intérêt plus élevés], ce qui contraint ces pays à aug-menter les impôts et à réduire leursdépenses, alors qu’ils sont toujoursembourbés dans la récession.

Les ennuis de l’Europe ont dequoi inquiéter les investisseurs, et cequi se passe ailleurs dans le monden’est pas de nature à les rassurer. Ainsi,le gouvernement chinois, préoccupépar l’accélération de l’inflation et lesbulles d’actifs, a commencé en janvierà tempérer la frénésie de prêts. Labanque centrale indienne a relevé le niveau des réserves obligatoiresdes banques commerciales, tandis quele Brésil met un terme à son plan derelance. Les banques centrales despays riches suppriment petit à petit lesfacilités de trésorerie qu’elles avaientmises en place au plus fort de la crise.L’assouplissement quantitatif, quiconsiste à faire marcher la plancheà billets pour acheter des actifs[emprunts d’Etat ou obligations d’en-treprises, afin d’injecter des liquiditésdans l’économie], tire à sa fin.

Tous ces changements affectent leprix des actifs. Les Bourses sont enforte baisse, les cours des matières pre-mières plongent, la volatilité des mar-chés s’accentue. L’espoir d’une reprise“en V” s’est envolé, remplacé par lacrainte d’une récession en doublecreux [avec une faible reprise suivied’un nouveau plongeon]. Car onredoute de plus en plus que les auto-rités ne soient forcées – ou ne fassentl’erreur – de mettre prématurémentfin aux mesures de soutien monétaireset budgétaires.Ce pessimisme est-iljustifié ? Tout dépendra de trois fac-teurs : la solidité de la reprise, l’am-pleur de la dette souveraine (la Grèceest-elle le seul pays en déroute ?) etl’habileté avec laquelle les banquescentrales et les ministres des Financesvont concevoir et coordonner la sor-tie des plans de relance.

L’économie mondiale présente untableau de plus en plus contrasté. Lesgrands pays émergents sont ceuxqui s’en sortent le mieux, avec unedemande intérieure soutenue et peude capacités de production non utili-sées. L’Inde et le Brésil sont quasimentsortis de la récession. Après avoir étéabreuvée de crédit, sous la houlette del’Etat, l’économie chinoise risque desouffrir de la sévérité soudaine desbureaucrates. Rien, toutefois, n’indiqueune contraction trop forte et troprapide de l’activité. Un ralentissementest possible, et même souhaitable, maisun effondrement est peu probable.

LES STATISTIQUES AMÉRICAINESSONT TROMPEUSES

Il n’en est pas de même pour les paysriches, où un rebond de la demandedu secteur privé se fait toujoursattendre. Les statistiques américaines,à première vue excellentes, sont trom-peuses. Si la croissance a atteint 5,7 %en taux annualisé au dernier trimestrede 2009, c’est principalement parceque les entreprises reconstituaient leursstocks. Les destructions d’emplois sepoursuivent (quoique à un rythmemoindre), la Bourse continue de bais-ser, le marché immobilier demeure fra-gile et les ménages remboursent leursdettes. Dans ces conditions, la consom-mation restera probablement atone. Etles capacités de production disponiblessont tellement importantes qu’il estpeu probable que les entreprises semettent à investir à tout-va.

L’Europe et le Japon sont dans unesituation encore plus difficile. Mêmesi les exportations reprennent, la défla-tion sévit de nouveau au Japon. Dansla zone euro, la reprise marquait déjàle pas bien avant que ne se déclenchela crise grecque. Même en Allemagne,où les ménages n’ont pourtant pasde lourdes dettes à rembourser, lademande a calé.

La disparité entre pays émergentset pays riches devrait se refléter dansleurs politiques macroéconomiques.Les premiers peuvent (et doivent) sup-primer les mesures de soutien et rele-ver les taux d’intérêt avant que l’infla-tion ne reparte. Mais, dans les grandeséconomies affaiblies, il est encore troptôt pour donner un tour de vis. Risquer

de reproduire les erreurs commises par les Etats-Unis en 1937 et le Japonen 1997 – quand un alourdissementde la fiscalité et un resserrement dela politique monétaire décidés de façonprécipitée ont fait revenir la récession –serait bien plus dangereux que le statuquo. Quand l’activité est tellement endeçà de son potentiel et que le créditstagne, le retour de l’inflation est peuprobable. Il ne faut pas non plus queles craintes des détenteurs d’obliga-tions ne conduisent les gouvernementsà recourir soudainement à la rigueurbudgétaire. L’enseignement à tirer desmalheurs de la Grèce, de l’Espagne etdu Portugal, ce n’est pas que tous lesdéficits actuels sont dangereux, maisqu’il faut s’efforcer de les contrôler touten soutenant la croissance.

La plupart des grands pays déve-loppés ont retenu la moitié de la leçon.Le 6 février, les ministres des Financesdu G7 ont conclu à juste titre qu’il étaittrop tôt pour cesser de soutenir leurséconomies. Mais aucun Etat n’a définiune politique budgétaire à moyenterme qui soit crédible. La prioritéabsolue devrait être donnée auxréformes, comme le recul de l’âge dela retraite ou le calibrage des futuresprestations en fonction des ressources,qui améliorent les perspectives bud-gétaires sans étouffer la demande. LaFrance s’engage dans la bonne direc-tion, avec sa réforme contestée du système des retraites. Mais le budgetaméricain, qui ne prend pas en consi-dération le moyen terme, représente dece point de vue un échec consternant.

Il est tout aussi important demettre en œuvre une politique de crois-sance plus explicite. Il faut favoriser laproductivité, l’investissement et laconcurrence. Ce qui souligne de nou-veau la nécessité de libéraliser le com-merce, de réduire les dépenses plutôtque relever les impôts et de parvenir àun accord sur de nouvelles réglemen-tations financières.

La nervosité qui règne est due, enpartie, au “risque politique”. Personne– des entreprises aux banques, en pas-sant par les citoyens – ne sait vraimentoù vont les gouvernements. Plus lesEtats parviendront à réduire cetteincertitude, plus la reprise aura deschances d’être vigoureuse. ■

économie ●

i n t e l l i g e n c e s

Ne tuez surtout pas la reprise dans l’œuf !REPRISE ■ Dans le climatd’incertitude financière et monétaire actuel, les pays riches doivent encoresoutenir leur économie. Sans oublier les réformes.

▶Reprise économique.Dessin de Hajjaj paru dans Al-Doustour,

Amman.

■ A la une “L’économie

mondiale

confrontée

à de nouveaux

dangers”, titre

The Economist.

“Quand la crise

a commencé, ajoute

l’hebdomadaire

britannique,

les gouvernements

ont contribué

au sauvetage

de l’économie.

Mais, maintenant,

ce sont eux

qui constituent

le principal

problème.”

inte

llig

en

ce

s■ économieLes chasseursde phoquesmisent sur lemarché chinoisp. 46

■ sciencesDétecterinstantanémentles tsunamisp. 47

■ écologieEn Ecosse, le whisky sertà tout p. 48

■ multimédiaLes scénaristesvietnamiens en manqued’imaginationp. 49

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Syn

dica

te

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 44 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Page 45: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

Certaines tactiques de Wall Streetqui ont alimenté la crise des sub-primes aux Etats-Unis ont égale-ment renforcé la tempête finan-

cière qui secoue aujourd’hui la Grèceet mine l’euro. C’est en effet la banqued’affaires américaine Goldman Sachsqui a aidé Athènes (au cours des dixdernières années) à contourner lesgarde-fous mis en place par l’Europeen dissimulant des milliards d’eurosde dettes aux contrôleurs budgétairesde Bruxelles.

A l’heure même où la situationdevenait explosive en Grèce, lesbanques s’efforçaient encore de trouver des moyens de permettre àl’Etat de retarder le moment où ilse trouverait au pied du mur. Débutnovembre – soit trois mois avantqu’Athènes ne devienne l’épicentrede l’angoisse financière mondiale –,une équipe de Goldman Sachs estarrivée dans la cité antique avec uneproposition très moderne pour cetEtat qui avait du mal à payer ses fac-tures. La délégation, qui était dirigéepar le président de la banque en per-sonne, Gary Cohn, a présenté un ins-trument financier qui aurait repousséle remboursement de la dette socialeloin dans le futur – tout comme unpropriétaire aux abois prend unsecond crédit hypothécaire pour rem-bourser le premier.

LES PRODUITS DÉRIVÉS SONT AU CŒUR DU PROBLÈME

Cela avait marché auparavant. En 2001, juste après l’adhésion dela Grèce à l’Union économique etmonétaire européenne, GoldmanSachs, selon des personnes bien infor-mées avait aidé l’Etat grec à emprun-ter discrètement plusieurs milliards.Ce schéma, dont le public n’avait paseu vent parce qu’il était conçu commeune transaction sur devises et noncomme un prêt, avait permis à Athènesde respecter les règles européennes enmatière de déficit tout en continuantà vivre au-dessus de ses moyens.

Athènes n’a pas donné suite à ladernière proposition de GoldmanSachs. Mais, à l’heure où le paysgémit sous le poids de sa dette et oùses voisins plus riches promettent devenir à son secours, les montages réalisés ces dix dernières années sou-lèvent des questions sur le rôle deWall Street dans le dernier dramefinancier mondial.

Comme dans la crise des subprimeset l’implosion de l’American Interna-tional Group [en 2008, le Trésor amé-ricain a injecté 180 milliards de dol-lars dans ce géant de l’assurance pour

lui éviter la faillite], les produits déri-vés sont au cœur du problème. Lesinstruments développés par GoldmanSachs, JPMorgan Chase et toute unesérie d’autres banques ont permis auxresponsables politiques de Grèce,d’Italie et peut-être d’autres paysencore de masquer des emprunts.

Si les agissements de Wall Streetn’ont suscité que peu d’intérêt de cecôté de l’Atlantique, ils ont fait l’ob-jet de critiques acerbes en Grèce etdans des magazines comme Der Spie-gel, en Allemagne [qui a révélé l’affairesur son site Internet].

Ce n’est pas Wall Street qui a crééle problème de la dette européenne.Mais les banquiers ont permis à laGrèce et à d’autres Etats d’emprun-ter au-delà de leurs moyens – grâceà des contrats parfaitement licites. Ilexiste peu de règles qui régissent lafaçon dont un pays peut emprunterl’argent dont il a besoin pour financerpar exemple son armée et son systèmede santé. Le marché de la dette sou-veraine – le terme de Wall Street pourles prêts accordés aux Etats – est aussidépourvu d’entraves qu’il est vaste.

Les banques se sont empresséesd’exploiter ce qui était pour elles unesymbiose fort lucrative avec certainsEtats dépensiers. La Grèce a ainsi verséà Goldman Sachs quelque 300 mil-lions de dollars de commission pour lemontage réalisé en 2001, selon plu-sieurs sources bancaires. Celui-ci repo-sait sur un type de produit dérivéappelé swap. Le swap de taux d’intérêt,par exemple, peut permettre à uneentreprise ou à un Etat de faire faceaux fluctuations du coût de sesemprunts en échangeant des rem-boursements avec intérêts fixes contredes remboursements à taux variableou vice versa. Un autre, le swap dedevises, peut minimiser l’impact de lavolatilité des taux de change.

Avec l’aide de JPMorgan, l’Italiea pu faire davantage. Malgré des défi-cits persistants, elle a pu ramener sonbudget dans le droit chemin en échan-

geant des devises avec cette banqueaméricaine à un taux de change favo-rable, ce qui a effectivement mis del’argent dans ses caisses. En contre-partie, Rome s’est engagé à des rem-boursements futurs qui n’étaient pascomptabilisés comme des dettes.

DES MONTAGES PORTANT LE NOMDE FIGURES DE LA MYTHOLOGIE

“Les produits dérivés sont très utiles”,commente Gustavo Piga, un profes-seur d’économie qui a rédigé un rap-port sur la transaction italienne pourle Council on Foreign Relations [uncercle de reflexion américain]. “Maisils deviennent néfastes s’ils servent àmaquiller les comptes.” En Grèce, où lesmontages de ce type portent le nomde figures de la mythologie, la sorcel-lerie financière est allée encore plusloin. Les autorités ont tout simplementhypothéqué les aéroports et les auto-routes du pays pour emprunter desfonds dont elles avaient désespérémentbesoin – l’équivalent d’un vide-grenierà l’échelle nationale. Le contrat Eole aainsi permis à l’Etat de réduire le mon-tant de sa dette en 2001. La Grèce areçu des fonds immédiatement et s’estengagée à reverser à la banque lesrecettes futures des taxes d’aéroport.L’année précédente, c’étaient les reve-nus tirés de la loterie nationale quiavaient été engloutis par un schémasimilaire, baptisé Ariane. Le gouver-nement avait alors classé ces opérationsdans la catégorie des ventes, et nondans celle des emprunts.

Ce genre de transactions faitcontroverse depuis des années dansles cercles gouvernementaux. Dèsl’an 2000, les ministres des Financeseuropéens avaient débattu de la néces-sité de rendre publique l’utilisationdes produits dérivés par la “compta-bilité créative” [l’art d’arranger lescomptes sans pour autant violer laréglementation].

La réponse fut non. Mais, en 2002,de nombreux instruments qui, commeEole et Ariane, n’apparaissaient pas

dans les budgets nationaux, furent sou-mis à une obligation d’information, cequi poussa les Etats à les requalifier enprêts. “Dans plusieurs exemples, la titri-sation [transformation de créances en titresnégociables] semble avoir été délibérémentconçue pour obtenir un certain résultatcomptable sans tenir compte de l’in t - érêt économique de l’opération”, rele-vait en 2008 Eurostat, l’office statis-tique de l’Union européenne.

Si ces astuces comptables sontsans doute intéressantes à court terme,elles peuvent s’avérer désastreuses àlong terme. George Alogoskoufis, quiétait ministre des Finances [dans legouvernement conservateur Cara-manlis] avait dénoncé devant le Par-lement, en 2005, le montage réaliséen 2001 par Goldman Sachs, estimantqu’il contraignait l’Etat à rembourserde grosses sommes à la banque amé-ricaine jusqu’en 2019.

M. Alogoskoufis, qui a quitté sesfonctions début 2009, nous a déclarépar courriel que Goldman avaitaccepté par la suite de reconfigurerl’opération “pour restaurer ses bonnesrelations commerciales avec la Répu-blique”. D’après lui, la nouvelle ver-sion était plus favorable à la Grèce.En 2005, Goldman a vendu le swapde taux d’intérêt à la National Bankof Greece (NBG), la plus grandebanque commerciale du pays, selondeux personnes bien informées.Ensuite, en 2008, Goldman Sachs l’aaidée à intégrer le swap dans une entitéjuridique nommée Titlos. Selon lefournisseur d’informations financièresDealogic, la NBG a conservé les titresensuite émis par Titlos, afin de s’enservir comme gage pour des empruntscontractés auprès de la Banque cen-trale européenne.

Selon Edward Manchester, del’agence de notation financière Moo-dy’s, ce swap, qui impose à la Grècedes remboursements à long terme, “nesera jamais rentable pour l’Etat”.

Louise Story, Landon Thomas Jr. et Nelson D. Schwartz

Comment Wall Street a aidé la Grèce à tricherCRÉATIVITÉ ■ La banque GoldmanSachs proposait à l’Etat grec des produits financiers complexespour lui permettre d’empruntermassivement à l’insu de la BCE.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 45 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

▶ “L’économie est une fiction.”“Tous les bilans sont falsifiés.” Dessin d’El Rotoparu dans El Periódico

de Catalunya,

Barcelone.

économie

■ Confusion“Entre 2001

et 2004, 4 milliards

d’euros ont été

levés par la Grèce

via toute une série

d’opérations

de titrisation”,

afin de réduire

sa dette et son

déficit, explique

le Financial Times.

Des montages

réalisés par le

ministre socialiste

des Finances Nikos

Christodoulakis

avec l’aide de

multiples banques.

Le plus gros contrat,

qui a permis

au pays d’emprunter

2 milliards d’euros

en 2001, était

adossé aux

financements

qu’Athènes

prévoyait de recevoir

des fonds structurels

européens au cours

des sept années

suivantes. Il avait

été mis au point

par BNP Paribas,

la Deutsche Bank

et deux banques

locales. Selon

un responsable grec

de l’époque,

le bureau européen

des statistiques

“Eurostat savait

tout de ces accords,

qui étaient

parfaitement

légaux”. Mais

d’après Le Temps,

à Genève, “Eurostat

se défend d’avoir

‘été au courant

de telles

transactions’,

enjoignant à la

Grèce de fournir

tous les détails d’ici

à la fin du mois.”

Page 46: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

THE GLOBE AND MAIL (extraits)Toronto

Oublions le respect des animauxsi cher au Vieux Monde. Doré-navant, le Canada va envoyer lesdépouilles de ses phoques en

Chine. Quelle qu’ait été l’agitation sus-citée au Canada par les sanctions euro-péennes contre la chasse au phoque,l’Europe ne constitue de toute façonqu’un marché relativement restreint.La Chine est un bien plus gros ache-teur, avec un fort potentiel. Ce pays esten outre totalement étranger aux pro-testations des défenseurs des animaux,qui ont diabolisé l’industrie du phoquedans le monde occidental.

A la mi-janvier, la ministre desPêches et des Océans, Gail Shea, ainsique les dirigeants de cinq sociétés spé-cialisées se sont donc rendus en Chine.La ministre a présenté une collectiond’articles en fourrure de phoque lorsdu Salon chinois de la fourrure et ducuir, à Pékin. Et elle s’est efforcée defaire assouplir les formalités adminis-tratives nécessaires à l’importation deviande de phoque. “Ils ont là-bas uneapproche complètement différente”, sou-ligne Bernard Guimont, le présidentde Tamasu, un exportateur de produitsdérivés du phoque établi aux îles de laMadeleine, au Québec. “Pour nous, cemarché représente un grand avenir.”

Dénonçant la cruauté de la chasseaux pinnipèdes, les manifestations enfaveur des droits des animaux – desprotestations de Paul McCartney aux

images de sang maculant la neigeblanche – ont poussé l’Europe à inter-dire la vente des produits dérivés duphoque. [L’interdiction, qui entrera envigueur en août 2010, prévoit uneexception : “Les produits dérivés duphoque provenant de formes de chasse tra-ditionnellement pratiquées par les com-munautés inuites et d’autres communau-tés indigènes à des fins de subsistance”.]

Le mouvement de défense des ani-maux tente de reproduire ces cam-pagnes à Hong Kong, mais il doitencore prendre pied dans la culture chinoise, et c’est une autre paire demanches. La population, qui mangetoutes sortes d’animaux, y compris deschiens, est peu sensible aux campagness’appuyant sur l’émotion. “Les Chinoismangent de tout. Et ils ne comprennenttout bonnement pas pourquoi il faudraitplacer un animal au-dessus des autres”,affirme Wayne Mackinnon, présidentde DPA Industries, qui exporte descapsules d’oméga-3 à base de graissede phoque du Groenland. “Je croisqu’au cours de la prochaine décennie lemarché chinois pourrait à lui seul absor-ber tous les produits dérivés du phoque quenous serons capables de fabriquer.”[Traditionnellement, les Chinois ne

mangent pas de phoque. Par ailleurs,le phoque commun et le phoquetacheté – différents du phoque duGroenland chassé par les Canadiens –sont des espèces protégées en Chine.]

UNE TOURNÉE DE LOBBYINGDÉSESPÉRÉE

Les ventes de produits à base d’huilepourraient dépasser celles des articlesen fourrure, une denrée qui a long-temps été la raison d’être de la chasse.Pourtant, l’effondrement du secteurde la pelleterie menace également lesaffaires de Wayne Mackinnon : pourqu’il puisse acheter la graisse dephoque à un prix raisonnable, il fautque la fourrure soit commercialisée àun bon prix. Une peau ne valant plusqu’une quinzaine de dollars canadiens[10 euros], de nombreux chasseurssont restés chez eux en 2009. Résul-tat : le nombre de prises n’a atteint quele quart du quota autorisé par Ottawa,et la valeur au débarquement de l’ensemble des fourrures s’est chiffréeà moins de 1 million de dollars[670 000 euros].

Or Ottawa a dépensé une fortunepour lancer une campagne contre l’in-terdiction européenne. Loyola Sulli-

van, ambassadeur pour la conservationdes pêches du gouvernement [conser-vateur] de Stephen Harper, a engloutides centaines de milliers de dollarspour envoyer des délégations parcou-rir les capitales européennes lors d’unetournée de lobbying désespérée.

L’an dernier, le gouvernement aaussi contesté l’interdiction européenneauprès de l’Organisation mondiale ducommerce (OMC), démarche qui coû-tera probablement des millions. Or, surle plan commercial, le marché euro-péen représente trois fois rien. La plupart des ventes canadiennes enEurope étaient destinées à des four-reurs qui revendaient leurs produitsdans d’autres pays. Le Vieux Mondene représentait ainsi que 10 % desventes de détail. En fait, cette cam-pagne ressemblait davantage à uneguerre culturelle qu’à des négociationscommerciales. Le gouvernement fédé-ral entendait faire cesser les sanctionsafin de protéger la réputation interna-tionale de la chasse. De plus, se rangerau côté des petits chasseurs contre lescélébrités européennes qui défendaientles animaux constituait un choix poli-tique évident pour les conservateurs.

Un choix un peu vain, car aujour-d’hui, dans leur majorité, les expor-tations du Canada se répartissent entrela Russie et la Chine. Et l’empire duMilieu est depuis dix ans le centremondial de la production d’articles enfourrure. Grâce à ses millions d’ha-bitants nouvellement aisés, c’est aussidevenu le premier marché de détail,rappelle M. Guimont.

Le Salon de la fourrure de Pékinest en passe de devenir l’un des plusimportants du monde. Le premier, lui,se trouve à Hong Kong. C’est pour-quoi la campagne contre la chasseau phoque lancée sur l’île en 2009inquiète le secteur de la pelleterie, quiredoute que le mouvement gagne duterrain. “Nous prenons ces choses très ausérieux”, confie Rob Cahill, directeurexécutif de l’Institut de la fourrure duCanada. Campbell Clark

Les chasseurs de phoques misent sur le marché chinoisCOMMERCE ■ Faute de pouvoir exporter la viande, la graisse et les peaux de pinnipèdes en Europe, le Canadacherche des clientsplus coopératifs.

▶ “Simplement pas assez mignon.”Sur la casquette :Chasseurs de phoquescanadiens. Dessin de Cummings paru dansWinnipeg Free

Press, Canada.

■ Scepticisme“Alors que la Chine

envisage d’interdire

la consommation

de chien et de chat,

explique le Global

Times, des

responsables

canadiens sont venus

à Pékin à la mi-janvier

dans le but d’ajouter

un nouveau mets

à la cuisine chinoise :

la viande de phoque.”

Ce n’est pas gagné,

si l’on en croit

une militante

hongkongaise

de l’organisation

People for the Ethical

Treatment of Animals

(PETA), citée

par le journal,

édition anglaise

d’un quotidien

chinois. “Si le Canada

pense que nous

accepterons

les produits issus

d’une chasse cruelle

qu’il veut nous

fourguer parce

que personne d’autre

n’en veut,

il se trompe”,

affirme-t-elle.

économie

CAI

-NYT

Syn

dica

te

Page 47: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

PÚBLICOMadrid

Le 26 décembre 2004 au matin,un séisme de magnitude 9,3ébranla les fonds sous-marinsnon loin de l’île indonésienne de

Sumatra. Deux vagues gigantesquesdéferlèrent alors dans l’océan Indienvers l’ouest et vers l’est, et s’abatti-rent sur les côtes, entraînant la mortde 265 000 personnes. Or uneéquipe de chercheurs a dernière-ment constaté que ce tsunami avaitgénéré un courant électrique, quiavait voyagé à la vitesse de la lumièredans les câbles sous-marins en fibreoptique traversant cette zone. Unmessage d’alerte était donc arrivé– sans être perçu – sur les côtes bienavant les immenses vagues qui lesont dévastées.

Dans une étude de la revue Earth,Planets and Space publiée en février,une équipe de scientifiques russes,américains et indiens a démontré quela mesure du potentiel électriquesous-marin pouvait permettre dedétecter les tsunamis [voir schéma].L’eau salée est un milieu qui conduittrès bien l’électricité. Si la tensionélectrique dans chaque zone du globedépend de nombreux facteurs (laposition par rapport au champ élec-tromagnétique de la Terre, les tempêtes solaires ou l’ionisation atmo-sphérique, entre autres), ses fluctua-tions restent faibles. Dans des condi-tions normales, elles ne dépassentpas 2 millivolts (mV). Ce matin du26 décembre, la différence de poten-tiel électrique a dépassé 500 mV. Leschercheurs soutiennent que, d’aprèsles variations d’intensité observées,cette oscillation brutale provoquée

par le raz de marée présentait unepériodicité caractéristique.

Le tsunami, ce colossal déplace-ment d’eau, a interféré avec le champélectromagnétique des câbles de télé-communications posés sur les fondsmarins. Cette interférence a voyagétout le long des câbles à la façon d’uncourant électrique secondaire.

Comme l’explique Manoj Nair,professeur à l’université du Colorado,aux Etats-Unis, et principal respon-sable du projet, le bruit de fond élec-trique dépend de nombreux facteurs,

comme la longueur du câble ou lescourants électriques d’origine nonocéanique. De fait, on est obligé decalculer une tension moyenne danschaque zone. Mais, une fois cettemoyenne établie, on peut enregistrerla moindre oscillation avec des volt-mètres installés dans un relais côtierdu réseau de fibres, et qui feraientdonc office de capteurs.

“Le grand avantage est que cette fluc-tuation d’intensité électrique voyage le longdu câble à une vitesse très proche de cellede la lumière”, ajoute-t-il. Le tsunami

de 2004 est parvenu en quinze minutesà Aceh, dans le nord de l’île de Suma-tra, et il a atteint deux heures plus tardles côtes de Thaïlande et du Sri Lanka(les deux autres pays les plus touchés).Avec ce système d’alerte par fibreoptique, il resterait donc une marge suffisante pour prévenir les populations.En outre, la carte des câbles sous-marins coïncide avec celle des zones– la Méditerranée orientale, l’océanIndien ou la mer de Chine – où lesrisques de raz de marée sont élevés.

Miguel Angel Criado

sciences ●

i n t e l l i g e n c e s

CYTOLOGIE

Qu’est-ce qui fait accélérer les spermatozoïdes ?Des biologistes américains ont trouvé le mécanisme qui permet à ces cellules reproductrices de nager plus vite quand elles doivent atteindre l’ovule.

SCIENCE NEWSWashington

Pour un spermatozoïde en route versl’ovule à féconder, pas besoin de bon-net de bain ou de combinaison der-

nier cri. Selon une étude récemment publiéedans la revue spécialisée Cell, ce qui permetà cette minuscule cellule de nager plus viteest un canal à protons [particules chargéespositivement].

La concentration des protons à l’intérieurd’une cellule spermatique est environ millefois plus élevée qu’à l’extérieur, explique l’undes auteurs de l’étude, Yuriy Kirichok, cher-cheur en biophysique à l’université de Cali-fornie à San Francisco. Quand les protonssortent du spermatozoïde, l’intérieur de la cel-lule devient moins acide. Divers processus se

mettent alors en place et accroissent la vitessede déplacement du spermatozoïde. Mais, jus-qu’à présent, le mécanisme de cette fuite deprotons restait une énigme.

Kirichok et ses collègues ont examiné lespropriétés électriques du spermatozoïdehumain arrivé à maturité. Ces caractéristiquesse sont avérées très proches de celles de cer-taines cellules immunitaires, dont on saitqu’elles se délestent de leurs protons via uncanal appelé Hv1. Kirichok et ses collèguesont découvert ensuite que le flagelle des sper-matozoïdes – le filament qui leur permet dese mouvoir – contenaient une concentrationimportante de canaux Hv1.

L’équipe a également étudié des sub-stances capables d’influencer le comporte-ment du canal Hv1. Un composé appeléanandamide, similaire au principe actif du

cannabis, ouvre le canal. “On sait depuis long-temps que le cannabis réduit la fertilité, mais per-sonne ne savait pourquoi”, rappelle Kirichok.En ouvrant le canal Hv1, cette substanceactive prématurément les spermatozoïdes ; sibien que, épuisés, ils ne peuvent plus nagercorrectement au moment fatidique.

Cette découverte pourrait permettre demieux comprendre l’activité de ces cellules– en particulier la façon dont les signauxmoléculaires contrôlent leur comportementdurant la fécondation, commente Dejian Ren,de l’université de Pennsylvanie à Philadel-phie. De plus, en identifiant les composés quipeuvent influer sur la nage des spermato-zoïdes, en ouvrant ou en fermant le canal àprotons Hv1, les scientifiques pourraient trou-ver de nouveaux moyens pour contrôler lafertilité masculine. Laura Sanders

Variation électrique

Câble sous-marinen fibre optique

Relais côtier(réceptiondu signal)

Vitesse : de 600 à 800 km/h

RAZ DE MARÉE

SÉISME

En temps normal, les fluctuationsdu potentiel électrique de la mer sont faibles : en moyenne de l’ordre de 2 millivolts (mV).

A la suited’un séisme sous-marin,un raz de marée se produit.La vague déferleà une vitesse comprise entre 600 et 800 km/h.

Sous l’effet dela vague géante, le potentiel électrique dela mer augmente (jusqu’à 500 mV dans le casdu tsunamide 2004en Indonésie).

Cette variationde potentielest détectéepar le câble sous-marin,qui la relaieà une vitesse proche de cellede la lumière.

L’information parvient pratiquementau moment où le tsunami se forme, en haute mer,ce qui permetde prendre des mesures beaucoup plus rapidement.

Le signal est transmisà la vitesse de la lumière

Sour

ces

: “Pú

blic

o”, N

OAA

Détecter instantanément les tsunamis

PRÉVENTION ■ Les câbles en fibreoptique qui traversent les océanspourraient servir de capteurs pour la détection des raz de maréeen formation.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 47 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Page 48: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

THE TIMESLondres

Fabriquer de l’électricité avec duwhisky ? Les amoureux de l’al-cool ambré penseront certaine-ment qu’il s’agit là de la pire idée

qu’aient jamais eue les écologistes.C’est pourtant ce qu’on veut faireà Islay, l’île la plus méridionale desHébrides, à l’ouest de l’Ecosse, oùse fabriquent certains des whiskysécossais les plus réputés. La distille-rie de Bruichladdich compte en effetinstaller des digesteurs anaérobiesdestinés à transformer les milliers detonnes de déchets issus de la fabri-cation de whisky en méthane, puisbrûler celui-ci pour produire del’électricité. Et sept autres distilleriesde l’île – Ardbeg, Laphroaig, Laga-vulin, Bowmore, Caol Ila, Bunna-habhain et Kilchoman – envisagentd’utiliser des systèmes similaires. Sile principe fonctionne, les produc-teurs de whisky pourront générer unegrande partie de l’électricité consom-mée dans l’île.

Cette innovation est motivée parplusieurs facteurs. D’une part, les pro-ducteurs de whisky se soucient de plusen plus de leur empreinte carbone,qui, selon les estimations, est l’unedes plus importantes de l’industriealimentaire. Aucune des principalesentreprises ne veut donner de chiffres,mais le seul processus de distillationconsomme une énorme quantité

d’énergie. A cela s’ajoute le fait quela majeure partie du whisky est expor-tée dans des bouteilles lourdes et desemballages sophistiqués.

L’UN DES WHISKYS LES PLUSÉCOLOGIQUES DE LA PLANÈTE

Sur Islay, il y a également l’impactenvironnemental des nombreusestonnes de déchets qui sont déverséeschaque semaine dans le détroit parun pipeline. Mark Reynier, le pro-priétaire de Bruichladdich, dont ladistillerie produit 46 000 caissesde 12 bouteilles par an, paie une facture annuelle de 20 000 livres[22 700 euros] pour le seul transportde ses déchets en camion-citerne jus-qu’au terminal du pipeline. La diges-tion anaérobie devrait permettre à lafois de supprimer cette dépense etde fournir 80 % de l’électricitéconsommée par la distillerie, dont lafacture s’élève à 36 000 livres par an.A ces économies s’ajouteront les sub-

ventions accordées par le gouverne-ment pour la production d’énergierenouvelable. D’après Reynier, “lesdigesteurs représenteront environ300 000 livres en dépenses d’équipementet il ne faudra donc que trois à cinq anspour récupérer leur coût”. Il compteutiliser cette innovation pour pré-senter le Bruichladdich comme l’undes whiskys les plus écologiques dela planète.

Cette technique intéresse aussiles producteurs de whisky pourd’autres raisons. Le réseau d’ali-mentation en électricité d’Islay estobsolète : il consiste en un câbleunique qui relie la petite île à laGrande-Bretagne. Du coup, lessautes de tension, amplifiées par lesbesoins importants des distilleries,peuvent nuire au fonctionnementdes ordinateurs et autres équipe-ments électroniques. Produire del’électricité sur place permettrait derésoudre en partie ce problème.

En Ecosse, le whisky sert à toutÉNERGIE ■ En produisantdu biogaz à partir de leurs déchets, les distilleries de l’îled’Islay pourraientfournir d’énormesquantités d’électricitéà la région.

écologie ●

i n t e l l i g e n c e s

491 m491 m

785 m785 m

ArdbergArdbergLagavulinLagavulin

LaphroaigLaphroaig

IRLANDEIRLANDE

ArdbergLagavulin

Laphroaig

Bowmore

Portnahaven

Bruichladdich

Kilchoman

Les huit distilleriesd’Islay

Bunnahabhain

Caol Ila

491 m

785 m

0 15 km

I S L A Y

J U R A

5555555555555555555555555555555555,,,,,,,8888888888888888800000000000000000°° NNN

666666666666666,20

° O

Sound of Islay

Iles Hébrides

IRLANDER-U

ÉCOSSE

POLÉMIQUE

Moins de chameaux, moins de CO2Faut-il éliminer les camélidés sauvages, gros producteurs de gaz à effet de serre ? Les sénateurs australiens sont appelés à se prononcer.

THE AUSTRALIAN (extraits)Sydney

Selon les scientifiques, le chameauferait partie des animaux les plusgros producteurs de dioxyde de

carbone au monde. Il se placeraitmême au troisième rang après le bœufet le buffle. En termes de réductiondes gaz à effet de serre, l’éradicationdu million de chameaux sauvages quierrent dans le bush australien équi-vaudrait au retrait de 300 000 voituresde la circulation.

Pourtant, selon Penny Wong, laministre de l’Environnement austra-lienne, il serait vain de recourir à une

telle extrémité. Après tout, seul le gazcarbonique émis par les chameauxdomestiques est comptabilisé dans lecadre du protocole de Kyoto. Cela nereprésente qu’un nombre limité d’ani-maux, du genre de ceux qui promè-nent les touristes sur la plage de CableBeach, à Broome, dans le nord-ouestde l’Australie, ou au zoo de Monarto,au sud-est d’Adélaïde. Ce n’est là quel’une des nombreuses aberrations desnormes internationales de comptabili-sation du CO2.

Le gouvernement“a perdu la boule”,dénonce Gregg Hunt, porte-parole del’opposition pour l’action climatique.“On en est arrivé à la situation absurde

dans laquelle un chameau est considérécomme dangereux pour la planète s’il viten captivité, mais serait parfaitement inof-fensif s’il se balade dans la nature.”

Un chameau émet 0,97 tonned’équivalent carbone par an. Or, selonun rapport préparé par le CarbonReduction Institute, une voiture decatégorie moyenne, équipée d’unmoteur à essence de 1,8 litre de cylin-drée et roulant 20 000 kilomètres paran rejette environ 3,5 tonnes de car-bone chaque année. Alors, faut-il ounon massacrer les chameaux sauvagesaustraliens ? Au Sénat australien, laquestion est loin d’être tranchée.

Ean Higgins

C’est Biowayste, une société duNorthamptonshire, qui va équiperBruichladdich en digesteurs. “Il y a5 000 petites entreprises alimentaires enGrande-Bretagne”, explique le PDGde Biowayste, Barry Howard. “Toutesgénèrent des déchets et paient pour s’endébarrasser. Nous pouvons transformerces déchets en électricité sur place et faireéconomiser ainsi de l’argent aux entre-prises sur leur élimination et sur les fac-tures d’électricité. Nous pouvons éga-lement utiliser le système pour générerde la chaleur.”

UNE FORTE RÉDUCTION DE LA POLLUTION MARINE

Ces équipements s’avèrent lucratifs :pour chaque mégawatt/heure généréà partir d’une source d’énergie renou-velable, l’entreprise qui le fournitreçoit du gouvernement deux “certi-ficats d’obligation pour les énergiesrenouvelables” [mesures d’incitationà la production d’électricité à partird’énergies renouvelables mises enplace au Royaume-Uni en 2002], l’unpour la production d’électricité etl’autre pour l’utilisation de la chaleurgénérée. Ces certificats peuventensuite être revendus à d’autres entre-prises qui ont besoin de compenserleur pollution.

Selon David Protherough,respon sable de projet pour la sociétéRe-JIG (Recycle-Jura/Islay Group),installer des digesteurs dans les dis-tilleries permettrait de réduire la pol-lution marine et de diminuer la cir-culation des camions-citernes sur lesroutes de l’île : “Les producteurs sontemballés, déclare-t-il. Nous espéronsmaintenant que les distilleries fabrique-ront tellement de biogaz qu’il y en auraassez pour alimenter également une par-tie des véhicules de l’île. Si nous ajou-tons cette source d’énergie aux systèmesmarémoteurs et aux hydroliennes déjàinstallés sur les côtes, Islay deviendral’une des régions les plus vertes duRoyaume-Uni.”

Jonathan Leake

▲ La distillerieLagavulin sur l’îled’Islay comptes’équiper d’undigesteur anaérobie.

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■ TransformationLa digestion

anaérobie,

ou méthanisation,

est un processus

de dégradation

de la matière

organique par

des bactéries

dans un milieu

sans oxygène.

Dans ces conditions,

les micro-organismes

transforment

la matière

organique

en méthane.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 48 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

Page 49: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

THANH NIÊNHô Chi Minh-Ville

Il y a quelques années, les produc-tions étrangères faisaient férocementconcurrence à celles qui étaient pro-duites localement. Les chaînes Viet-

nam Television (VTV) et Hanoi TV(HTV) ont même été accusées denuire à la croissance de l’industrie ciné-matographique nationale en accordantbeaucoup de temps d’antenne auxséries venues de l’étranger. Pour ten-ter de remédier au problème, les heuresde grande écoute (entre 20 et22 heures) ont été réservées aux filmsvietnamiens. Mais c’était sans comp-ter la pénurie de bons scénarios pourla télévision. Il a donc fallu trouver dessolutions temporaires. L’une d’elles faitactuellement le bonheur de l’industrielocale. Elle consiste à adapter des sériestélévisées étrangères.

Ces dernières jouissent d’unepopularité inouïe. Les feuilletons sud-coréens, chinois et sud-américains ontfourni la matière première de cesremakes, qui jouent un rôle crucialdans le renouveau de la productionvietnamienne. Depuis 2003, les socié-tés de production vietnamiennes fontaussi appel à des acteurs, des scéna-ristes et des réalisateurs étrangers pourqu’ils participent à des projets télévi-sés. Certains studios de cinéma ontégalement entamé une collaborationavec des groupes étrangers dans le butd’améliorer la qualité de leurs pro-ductions. Mais le problème initial sub-siste : le Vietnam manque de bons scé-naristes. D’après un réalisateur qui asouhaité garder l’anonymat, les chosesn’évolueront pas dans les cinq annéesà venir. “Le temps qu’une nouvelle géné-ration de scénaristes vietnamiens atteigneune certaine maturité et sache créer desséries qui s’étalent sur des centaines d’épi-sodes”, explique-t-il.

SEULS 30 % DES SCÉNARIOS SONTDES PRODUCTIONS ORIGINALES

Parmi les séries les plus populaires, onpeut notamment citer les deux réali-sations de Vu Ngoc Dang : Bong dungmuon khoc (Suddenly Wanna Cry) etNgoi nha hanh phuc (Full House). Leréalisateur a lui-même écrit le scéna-rio de la première et adapté celui de laseconde à partir d’une série coréenne.D’après lui, le succès d’un feuilletondépend à 60 % de son scénario. “Il fautd’abord et avant tout considérer le scéna-rio, puis les acteurs et, enfin, le réalisa-teur”, affirme-t-il. Les bons scénarios

dustrie locale. On attendait beaucoupde la comédie Nhung nguoi doc than vuive (Funny Singles), adaptée de la sériechinoise à succès New Living Quartersin Sunshine. Mais la production viet-namienne n’a pas été à la hauteur desattentes. La série, qui devait compter500 épisodes – un record au Vietnam –s’est terminée en septembre dernieraprès seulement 171 épisodes. D’aprèsson réalisateur, Do Thanh Hai, ceremake n’a pas réussi à frapper l’ima-gination du public vietnamien malgréune ressemblance étroite entre les deuxcultures.

EN FINIR UNE BONNE FOIS POURTOUTES AVEC LES REMAKES

Le scénariste, Pham Ngoc Tien,blâme quant à lui la difficulté derendre le comique des expressionschinoises et des références histo-riques en vietnamien. Selon NguyenQuang Minh, directeur général de laCat Tien Sa Media and TelevisionCompany, dont les films se fondentsur des scénarios vietnamiens, il estpossible de “vietnamiser un nom chi-nois, mais il est très difficile de faire demême avec des personnages ou des élé-ments culturels typiques d’un autrepays”. D’après lui, l’absence de pro-gramme de formation spécialisé dansla production de séries télévisées, etnotamment dans la rédaction de scé-narios, constitue un grave problème.Même pour les adaptations, on

expliquent aussi la popularité desremakes. En 2009, environ dix adap-tations vietnamiennes de séries étran-gères ont été réalisées, notamment FullHouse, venue de Corée, Ugly Betty (Cogai xau xi), de Colombie, et Lalola (Conang bat dac di), d’Argentine. La ten-dance semble être la même cetteannée. M & T Pictures, l’un des plusimportants producteurs de séries télé-visées, a débuté le tournage de Loi songsai lam (Misguided Lifestyle), une adap-tation d’une production coréenne quiavait remporté un grand succès en2005. Les producteurs vietnamienss’attaquent donc à un défi de tailledans la mesure où le feuilleton a sus-cité un véritable engouement dupublic, il y a trois ans. “Pour plusieursentreprises de production privées, le faitd’acheter et d’adapter des feuilletonsconnus est une solution qui leur permetd’assurer leurs arrières”, affirme le réa-lisateur, qui s’exprime anonymement.Il rappelle que les scénarios originauxcomptent pour seulement 30 % desproductions locales, contre 80 % enCorée du Sud.

Vu Ngoc Dang estime qu’en plusde contribuer à satisfaire la demandenationale – soit quelque 3 000 épisodespar an – les adaptations permettent auxVietnamiens de se familiariser avecl’écriture de scénarios et la productionde séries pour le petit écran. Ces nou-velles connaissances pourraient, à l’ave-nir, favoriser le développement de l’in-

déplore une pénurie de scénaristestalentueux et bien formés capablesd’adapter des scénarios étrangers àla culture vietnamienne.

L’écrivain Tran Thuy Linh, direc-trice adjointe du Centre de produc-tion des téléfilms du Vietnam (VFC),prend l’exemple de la sexualité. Ellenote que ce sujet est abordé beau-coup plus ouvertement dans les filmsoccidentaux que dans les productionsvietnamiennes, qui adoptent uneapproche beaucoup plus conserva-trice. Les scénaristes doivent êtreconscients de ces différences, estime-t-elle. Voilà pourquoi les adaptationsvietnamiennes peuvent pâtir de lacomparaison avec leur version origi-nale. Malgré sa popularité, Ngoi nhahanh phuc (Full House) a été critiquéeparce que le jeu de la chanteuseMinh Hang et de l’acteur LuongManh Hai ne souffrait pas la com-paraison avec les idoles coréennesSong Hye-kyo et Bi-Rain. VietnamTelevision a annoncé, le 8 janvier,qu’elle ne produirait plus de sériesadaptées de scénarios étrangers àcause des critiques du public. Maisde nombreux producteurs ont éga-lement rappelé que l’engouementpour les remakes n’était pas dû àune mode quelconque, mais répon-dait à une situation de pénurie enmatière de scénarios originaux. Lesadaptations ne devraient être, seloneux, qu’une solution temporaire.Pour se développer, l’industrie localea d’abord intérêt à se débarrasser deson complexe d’infériorité.

Cat Khue, Kim Phuong Anh

Les séries vietnamiennes s’écrivent en coréenTÉLÉVISION ■ Faute de scénarios dignesde ce nom, les chaîneslocales préfèrentproduire desadaptations de sériesétrangères. Mais la qualité n’est pastoujours au rendez-vous.

mult imédia●

i n t e l l i g e n c e s

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 49 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

◀ Cô Gái xâú xi

est la versionvietnamienne de la série à succèsUgly Betty, qui est d’abord apparueen Colombie avant de connaîtredes adaptations dans plusieurs autres pays.

DR

Page 50: Courrier International N°1007 du 18 au 24 fevrier 2010

lui, se demande à quoi bon aller à Jérusalem puis-

qu’ils sont chez eux au Yémen. Fatima se pose la

même question.

Quand la communauté de Fatima est en ébul-

lition parce que celle de Salem a vendu du vin à

des musulmans, alors qu’ils ne sont autorisés à en

vendre qu’aux juifs, ceux-ci répondent que de riches

musulmans les y ont contraints. Cela ne calme pas

les esprits, et le vin est déversé dans les rues, jus-

qu’à ce qu’intervienne la voix de la raison, incar-

née par un juge musulman qui ordonne de dédom-

mager les pertes subies.

Fatima et Salem ne sont pas seuls. Il y a éga-

lement Qassem, le fils du muezzin, qui s’est épris

de Nachoua, la fille de Haïm le juif. Tandis que les

deux jeunes échangent des billets doux, leurs pères

se vouent une haine réciproque. Dès qu’ils appren-

nent ce qui se trame entre leurs enfants, ils se

retrouvent unis par une même colère. Tous les deux

veulent mettre fin au “scandale”. Les amoureux

disparaissent et on les retrouve, enlacés, après leur

suicide. Les deux familles poussent un profond

soupir de soulagement parce que la “honte” d’un

mariage mixte a été évitée. Après un bref instant

de répit et d’union face à l’ennemi commun

– l’amour entre Qassem et Nachoua –, tout le

monde reprend ses habitudes de haine de l’autre.

Quant à Fatima et à Salem, ils s’enfuient. Ils

s’installent à Sanaa, où ils vivent sous la protection

d’un oncle de Salem. Fatima choisit un nom hébreu

afin de tromper son entourage sur sa religion. Mais

elle et “le beau juif” n’ont que faire des limites, des

catégorisations et des normes. Ils vivent comme

sanctuarisés dans la citadelle d’un amour à part.

Mais Fatima meurt en couches, laissant un fils du

nom de Saïd qui ne sera accepté par personne. A

sa naissance, Saïd pleure de ne pas trouver le sein

de sa mère. Salem pleure avec lui, se demandant

à qui le confier. Sa famille lui dit que son fils n’est

pas juif et sa belle-famille lui dit qu’il n’est pas

musulman. Quant à la dépouille de Fatima, ni le

cimetière juif ni le cimetière musulman n’en veu-

lent. Son corps est transféré de tombe en tombe,

même après la conversion du “beau juif” à l’islam,

au seuil de ses 90 ans. Quand les tombes refu-

sent d’accueillir quelqu’un comme Fatima, nos

pays deviennent ce qu’est le Yémen aujourd’hui.

Khaled Hroub

* Ed. Dar Al-Saqi, Beyrouth, 2009. Pas encore traduit

en français.

RUSSIE ■ La solianka,une soupe melting-pot

Eh, l’ami ! Le paradis existe, mais, avec mespéchés, on ne m’y acceptera jamais. Buvonsun coup ! Voilà justement la solianka

qui arrive !” Selon ce personnage d’Oblomov[roman d’Ivan Gontcharov, 1858], la soliankaétait tout indiquée pour vous distraire de vossombres réflexions existentielles. On est tentéd’être de son avis. D’autant qu’avec le froid qu’ilfait en ce moment, une telle source de cha-leur est la bienvenue.La solianka composite [dont le nom vient de sol,“sel” en russe] est une soupe fantaisie, à lafois épaisse et complexe. Les ingrédients, incom-patibles au prime abord, se plient à des règlesdu jeu précises, et même si la recette ressembleà un collage sans souci d’harmonie, le résultatest un puzzle parfait, le gras étant contrebalancépar l’aigre, le neutre par le salé, l’épicé par ledoux, la simplicité par le raffinement. La solianka est aigre, relevée et salée toutà la fois. Elle peut être à base de viande, depoisson ou de champignons.Nous opterons pour la solianka de poissons.Son corps est consistant, avec une infinité depossibles : les têtes de toutes sortes de pois-sons et de l’esturgeon royal, par exemple. Sonâme est constituée de touches d’olives, decitrons et de poivrons marinés qui font imman-quablement leur effet. Moins liquide qu’unesoupe normale, elle est bouillie deux fois ettrès parfumée. Le bouillon comporte en outreune bonne dose de saumure, qui vient de lachoucroute, des concombres au sel, destomates. Il faut suivre un certain ordre de cuis-son : d’abord les têtes et les poissons, quivont donner du fumet, puis les poissonsnobles. Ensuite, on écarte les poissons ordi-naires et on garde les bons.La différence avec les autres soupes, c’estque ses ingrédients sont variés et ont desdurées de conservations différentes : du saumon et du sandre frais, de l’esturgeonfumé et des bolets marinés. Plus l’assorti-ment est varié, plus la solianka est riche. Lesconcombres (pelés si la peau est trop dure)sont indispensables. Mieux vaut faire bouillirla saumure d’abord, l’écumer, et seulementensuite l’ajouter au bouillon. On peut allerjusqu’aux pommes macérées ! L’autre légumeabsolument essentiel est l’oignon. Bruni, avecde la tomate et du poivre moulu, ou simple-ment revenu dans l’huile. Pas de pomme deterre, en revanche, ce ne serait pas de lasolianka russe.Evitez d’avoir la main trop lourde sur les aro-mates, juste un peu de poivre et quelquesfeuilles de laurier. Pour finir, des câpres, un peu de persil etd’aneth, et du citron. Une fois dans lesassiettes, ce plat sublime sera assaisonnéde crème fraîche. Et arrosé de vodka, commenous l’avons déjà précisé.

Macha Privezentseva, Izvestia (extraits), Moscou

é p i c e s e t s a v e u r s

AL-ITTIHAD (extraits)Abou Dhabi

Fatima est comme une fraîche rosée pour un

Yémen prometteur. Elle se laisse charmer par

Salem, le fils de l’orfèvre juif, qu’elle appelle

“le beau juif”. Lui, du haut de ses 12 ans, est

ébahi par la gentillesse que lui témoigne la fille du

mufti. Elle demande à son père, vénérable homme

de religion, l’autorisation d’enseigner l’arabe litté-

raire à Salem, en expliquant que cela l’amènera

à l’islam. Le père accepte. Salem se met à fré-

quenter la maison du mufti et son cœur à battre

pour Fatima, de cinq ans son aînée. Son amour

l’amène à aimer la langue arabe. Fatima lui

demande en retour de lui apprendre l’hébreu et de

lui expliquer sa religion et sa culture. Mais Salem

ne connaît pas l’hébreu. C’est seulement parce que

son père, ses oncles et quelques rabbins se méfient

du mufti et de sa fille, et qu’ils l’envoient apprendre

la langue et la religion hébraïques dans une école

religieuse qu’il pourra instruire Fatima.

Son âme aspire à s’unir à la sienne. Fatima

lui dit qu’elle ne voit en lui que beauté, ce qui

lui vaut le surnom qu’il gardera jusqu’à sa mort :

“le beau juif”.

Voilà ce que nous relate le poète et roman-

cier yéménite Ali Al-Muqri dans son nouveau

roman, Al-Yahoudi Al-Hali* [Le beau juif]. Il

dépeint les relations entre musulmans et juifs dans

le Yémen du XVIIe siècle. A l’époque, à Raydah,

musulmans et juifs vivaient en bonne intelligence

[cette localité, à environ 200 kilomètres au nord

de la capitale, Sanaa, abrite une partie des derniers

représentants de la communauté juive yéménite].

Il y avait de la beauté et de la laideur, du dialogue

et du repli, de la chaleur humaine et des crispa-

tions. Et il y avait Fatima et Salem, minoritaires

face à l’écrasante majorité. Si l’esprit de Fatima

s’était étendu à tous les musulmans de Raydah,

tous les juifs de la ville seraient devenus beaux

comme Salem. Et si l’esprit de Salem s’était étendu

à toute sa communauté, tous les musulmans

auraient ressemblé à Fatima. Si cela s’était produit

non seulement à Raydah, mais aussi dans l’en-

semble du pays, ainsi qu’au Maroc, en Tunisie, en

Algérie et en Irak, cela aurait créé une unité que

les étrangers venus du nord, ceux qui ont arra-

ché la tribu de Salem au Yémen pour la transplanter

à Tel-Aviv [en 1949, juste après la création de l’Etat

d’Israël], n’auraient pas pu ébranler.

Quand les fanatiques de la communauté de

Fatima agressent celle de Salem, les fanatiques de

celle-ci jurent à celle-là que le retour du Messie est

proche, qu’ils seront réunis à Jérusalem et qu’à par-

tir de là ils leur infligeront une bonne leçon. Salem,

Amours impossiblesUN MESSAGE DE TOLÉRANCE

Salem le juif peut-il épouser Fatima la musulmane ? A travers ce roman situé dans le Yémen du XVIIe siècle, Ali Al-Muqri évoque le monde arabeactuel, incapable d’accepter les différences.

■ BiographieAli Al-Muqri est né

en 1966 à Taiz,

dans ce qui était

à l’époque le Yémen

du Nord. Dès l’âge

de 18 ans, il publie

des nouvelles

et des poèmes

dans la presse.

Son premier recueil

de poésie, jugé trop

érotique, est

interdit. En 1990,

il publie une étude

qui fait grand bruit

dans le monde

musulman,

Al-Khamr wa

an-nabidh fil-islam

(L’alcool et le vin

dans l’islam).

Il devra toutefois

renoncer à publier

le deuxième volet

de cette étude,

où il concluait que

l’islam n’interdisait

pas l’alcool. Dans

son premier roman,

Ta’am aswad, ra’iha

sawda’ (Goût noir,

odeur noire), paru

en 2008, il traite

du sort tragique

des Akhdams,

la minorité noire

du Yémen, victime

d’une très forte

discrimination.

Al Yahoudi Al-Hali

(Le beau Juif)

est son deuxième

roman. Ali Al-Muqri

a travaillé pour

les pages culture

de nombreuses

publications et

dirige depuis 2007

la revue littéraire

Ghaiman.

le l ivre ●

COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 50 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

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Tout feu tout flamme

Davender Ghai, 71 ans, ne se tient plus de joie. Cet hindou britanniquepourra être brûlé sur un bûcher funéraire, a décidé la justice anglaise.“Si je m’en vais demain, ce sera en paix, parce que je sais que j’aurai un bondépart. Tout le monde devrait vivre et mourir selon sa religion”, a-t-il déclaré

au terme d’une longue bataille juridique. Voilà quatre ans, la mairie de New-castle refusait de lui accorder l’autorisation de se faire incinérer post mortem surun bûcher funéraire en bois et en plein air, comme le veut la religion hindoue.Pour le conseil municipal, l’incinération devait avoir lieu dans un crémato-rium en dur. L’an dernier, le tribunal de grande instance rejetait son recours.Un compromis a finalement été trouvé. M. Ghai demandait que la lumière dusoleil – denrée rare dans le Tyneside – tombe sur son corps, écrit The Guar-dian. Le juge Neuberger a proposé que le bûcher soit entouré de murs et sur-monté d’un toit muni d’une ouverture. “M. Ghai est ravi, écrit le quotidienbritannique, Newcastle beaucoup moins. Plusieurs administrations locales vont devoirassumer le coût de la cérémonie.” Pour la municipalité, citée par The Sikh Times,le problème reste entier : la réglementation sur la qualité de l’air prend seule-ment en compte les crématoriums fonctionnant au gaz et à l’électricité. Les auto-rités devront donc prendre de nouvelles dispositions pour garantir que l’usagedu bûcher satisfasse aux normes sanitaires et d’environnement. Bref, estimele site, le septuagénaire n’est pas au bout de ses peines. D

epuis la mi-janvier, les élèves de la Ton-bridge School, située dans le Kent, enAngleterre, ont droit chaque semaineà des cours de méditation et de lutte

contre le stress dans le cadre d’un programmemis au point par des psychologues des uni-versités d’Oxford et de Cambridge.

Ce projet – le premier à introduire la médi-tation à titre régulier dans le programme sco-laire – a été conçu spécialement pour les ado-lescents après le succès rencontré par une étudepilote menée l’an dernier dans l’établissement.Ce cours de “pleine conscience” [mindfulness]destiné aux classes de secondes vise à accroîtrela concentration et à combattre l’anxiété ; ilmontre aux ados les bénéfices du silence, lesaide à prendre conscience et à s’affranchir desattitudes mentales négatives qui peuvent pro-voquer dépression, troubles de l’alimentationet addiction. Des exercices permettent auxélèves de développer leur attention au lieude se laisser parasiter par des problèmes émo-tionnels, des regrets ou des inquiétudes liéesau passé et à l’avenir. Ils apprennent notam-ment à se concentrer sur leur respiration, lesdifférentes parties de leur corps, ou leursmouvements.

Si la pleine conscience tire son origine destraditions de méditation orientales comme lebouddhisme, il s’agit désormais d’une disci-pline laïque bien établie. De plus en plus dechercheurs souhaitent que cette méthode soitemployée plus largement pour lutter contre lestress passager et certains problèmes mentauxplus profonds. Le National Institute for Healthand Clinical Excellence recommande au ser-vice de santé public de proposer la méditationde pleine conscience aux malades souffrant dedépression.

Richard Burnett, professeur d’éducationreligieuse, assure le cours de méditation à Ton-bridge. Cette pratique exige “un changementculturel” de la perception du silence pour lesenseignants et pour les élèves, explique-t-il.“Dans les écoles, le silence est associé au pouvoir

– le professeur demande aux élèves de se taire. Cequ’il faut, c’est faire comprendre que le silenceest une activité positive à savourer.” Si certainsadolescents participant à l’étude étaient ini-tialement sceptiques, la plupart ont relevé ledéfi. Ils comptent sur la pleine consciencepour combattre le stress et relativiser leschoses. Ils trouvent qu’ils s’endorment plusfacilement grâce à la méditation et qu’ils sontmoins tendus avant les matchs de cricket.

Pour le professeur Williams, qui dirige leMindfulness Centre d’Oxford, “il ne s’agitpas de convertir les gens au bouddhisme. L’uti-lité de ces pratiques est scientifiquement prouvée,alors pourquoi s’en priver ?” Selon AndrewMcCulloch, directeur de la Mental HealthFoundation, la pratique de la méditation depleine conscience permet aussi de prévenirl’apparition de la dépression et de l’anxiétéà l’âge adulte. La première leçon s’intitule“Eduquer le chiot” : on compare l’esprit à unchiot qui doit apprendre à ne “pas bouger”et à se concentrer sur une seule chose au lieude courir dans tous les sens. On apprendensuite à parvenir à un état de calme et deconcentration, à identifier les ruminationsnégatives, à développer la conscience dumoment présent, à ralentir et à savourer sesactivités, à se détacher des pensées envahis-santes, à s’autoriser des émotions difficiles etles vivre, à réfléchir et à se pencher sur soi.

Pour démontrer les bénéfices de laméthode, le cours fait appel à des person-nages comme Jonny Wilkinson, le joueur derugby, qui utilise des techniques de médita-tion pour se concentrer avant de botter,ou Po, le panda léthargique qui se méta-morphose dans Kung Fu Panda, le film deDreamworks.

Les cours sont dispensés à raison de qua-rante minutes par semaine [jusqu’au11 mars]. Les élèves reçoivent en outre desexercices sur MP3 qu’on leur conseilled’écouter avant de faire leurs devoirs le soir.

Sam Lister, The Times (extraits), Londres

130foisouiAkuku “Danger”, 92 ans, a 130 épouseset 415 enfants. “Onm’appelle Dangerparce que les femmessavent que, si jem’approche, ellesvont tomber à mespieds”, a confiéle Kényan à ElMundo. Maissouvent femmevarie. “Beaucoupm’ont été infi-dèles”, concèdele nonagénaire.

Haïti, Tahiti, c’est kif-kif

Retirer leur permis de conduire aux

fraudeurs fiscaux ? L’idée du député

Martin Landolt n’a pas convaincu le

gouvernement suisse. Le conseiller

national souhaitait punir les contri-

buables indélicats “en les privant de

l’usage d’équipements financés par

les collectivités publiques, en l’oc-

currence les routes”. Le retrait du

permis vise à accroître la sécurité

routière : il n’a aucun lien avec le

non-paiement des impôts, a décrété

le Conseil fédéral.

(Le Matin, Lausanne)

Avendre, cocaïne toutes qualités : 60, 70, 80,90 % de pureté. Pour particuliers et reven-deurs. Prix intéressants. Sérieux garanti.Curieux s’abstenir. Si intéressés, envoyer

e-mail.” Cette annonce publiée sur des forumset des chats Internet fréquentés par des ado-lescents paraissait tellement énorme que lespoliciers espagnols ont d’abord cru à unesimple arnaque. Or l’offre tenait bien ses pro-messes, écrit El País. La brigade des stupéfiantsa démantelé un réseau de narcotrafiquants quivendait de la coke et du haschisch sur la Toile.

Le groupe, passé maître dans l’art du cryptagede messages, officiait à Madrid à partir decybercafés – où les traces des clients sont sys-tématiquement effacées – ou de serveurs ins-tallés dans des pays comme Taïwan, où lapolice espagnole est impuissante. Les “cyber-dealers” se déplaçaient dans toute l’Espagnepour livrer leur marchandise. L’enquête adémarré l’an dernier après l’interceptiond’un paquet posté de Colombie, renfermant900 grammes de cocaïne. Elle a abouti à l’ar-restation de 29 personnes.

De la blanche sur la Toile

Angleterre : la méditation s’invite au collège

Fisc, torchons et serviettes

Ric

hard

Poh

le

El M

undo

La Roumanie a confondu Haïti et Tahiti et

envoyé un bataillon et 2 000 tonnes d’aide

humanitaire en Polynésie française, révèle

le site roumain Times.ro.

“Ce n’est pas la peine d’en faire un plat,

franchement, Haïti, Tahiti, Papeete, toutes

ces îles ont des noms qui se ressemblent”,

a déclaré le ministre de la Défense rou-

main, Gabriel Oprea. La bourde a fait un tabac

sur la Toile russe, et la télévision colombienne

a illico épinglé l’affaire, comme le montre

l’extrait de JT mis en ligne sur YouTube (http://

www.youtube.com/ watch?v=n2BnRv9gI_s).

Seul hic, la nouvelle était bidon : Times.ro

est un site satirique, rappelle le quotidien

roumain Adevarul.

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COURRIER INTERNATIONAL N° 1007 51 DU 18 AU 24 FÉVRIER 2010

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