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Corse noire M M M Ma a au u u up p pa a as s s ss s s sa a a an n n nt t t t A A A Ar rè è è ène e C C C Ca a a as sa a an n no o ov v v a a a D D D Da a a au u u ud d de e et t t t F F F a a a ar r r rr rè è è èr r e e F Fl la au ub be er rt t P Po ns so on d du u T T e er rr a ail l L L L Le e e er r r r o o o ou u u ux x x x G G G Gl l l la a at t ti ig g gn n ny y y M Mo on nd do olo on ni i G Gue er rr a az zz zi i M M M Mé é é ér ri i im mé é é ée e Ren nu ucc ci i S S S Sa a a ai i in n n nt t t t - -H H Hi i il l l la a a ai i i ir r r r e e e e B B B Bo o o on n na a ar r d d di i i T T o om mm ma as se eo o V Vi ia ale e Présenté par Roger Martin

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TToommmmaasseeoo • VViiaaleePrésenté par Roger Martin

9 €ISBN : 978-2-84698-359-4

En couverture : Robert Falcucci, Le berger. Coll. particulière.

AUVAGE, BELLE ET HOSTILE… et pourtant si proche ! Voici la Corse, ou plutôt son image, et son inquiétante étrangeté… familière et lointaine… Comment résister à ce mystère ?

Nombreux sont ceux qui dès le XVIIe siècle « furent du voyage », administrateurs, explorateurs ou simples curieux et, parmi eux, de très nombreux écrivains parfois fameux : Mérimée bien sûr, Maupassant évidemment, mais aussi Balzac, Daudet et, plus proche de nous, Gaston Leroux. Des Français donc, mais aussi des étrangers – Italiens notamment (Guerrazzi, Tommaseo) – et même parfois… Corses ! (Viale, Farrère, Bonardi, Casanova, Mondoloni, etc.). Et chacun se mit à dire sa Corse, celle qui l’inspirait.

Ainsi, celle-ci a-t-elle – parfois bien involontairement – donné à la littérature un certain nombre d’archétypes (le bandit maudit, la vendetta inextinguible, le maquis impénétrable, le berger et son pilonu, la femme tout de noir vêtue, le meurtre d’honneur, la famille, le clan, la « mafi a », etc.) qui fi rent fl orès avec le courant romantique du XIXe siècle et qui continuent pour certains à produire toutes sortes de fruits… plus ou moins savoureux !

Les textes réunis ici sont une invitation à redécouvrir ce monde ténébreux fait de drames « antiques » qui brillent dans le ciel littéraire comme autant de « soleils noirs ».

Roger Martin est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages – romans noirs, enquêtes, documents et scénarios de B.D. – parmi lesquels AmeriKKKa, Voyage dans l’Amérique néo-fasciste et Jusqu’à ce que mort s’ensuive.

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In Canti corsi de Niccolò Tommaseo, 1841

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Découverte littéraire de la Corse

DANS SA PRÉFACE à l’ouvrage indispensable de Pierrette Jeoffroy-Faggianelli, L’Image de la Corse dans la littérature française, Paul Silvani

écrit : « De 1729 à 1840, deux cents écrivains et auteurs sont venus au chevet de la Corse ».

Les dates en question sont, bien sûr, celles de la révolu-tion corse et du retour des cendres de Napoléon.

On ne surprendra personne en affi rmant que l’intérêt des écrivains était avant tout politique et devait beaucoup à la fi gure légendaire de Napoléon Bonaparte.

Pays du héros, de l’Empereur pendant l’Empire ou plus tard chez les opposants à la royauté puis chez les partisans du Prince-Président, pays de l’usurpateur, de l’Ogre de Corse, à la Restauration, l’île, irrémédia-blement confondue avec le plus illustre de ses fi ls, ne cessa d’être l’objet de campagnes de propagande ou de dénigrements intenses qui s’exprimèrent en général par le biais de la littérature.

Quant aux Corses eux-mêmes, ils restèrent longtemps considérés comme des barbares « remuants, vindicatifs et belliqueux ». Une étymologie fantaisiste, qui eut d’ailleurs cours pendant deux siècles, ou presque, ne prétendait-elle pas que l’état d’esprit des habitants de l’île avait autorisé le glissement du mot corse à celui de corsaire ?

Quoi qu’il en fût, la Corse fit couler beaucoup d’encre et généra une littérature abondante.

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Elle fut d’abord militaire, topographique et statis-tique, historique et géographique, politique et écono-mique, avec d’innombrables récits de voyages ou mémoires souvent commandés ou suscités par les autorités françaises, comme le Voyage en Corse et vues politiques sur l’amélioration de cette Isle par l’abbé Gaudin, vicaire général de Nebbio, publié en 1787 ou le Mémoire sur la Corse que soumettait en 1819 le comte de Bradi au roi Louis XVIII.

Aux brûlots anticorses présentant les habitants de l’île comme des êtres diaboliques et malfaisants, à l’aune du plus célèbre de leurs compatriotes – Le Brigand corse ou Crimes, forfaits, attentats de Nicolas Bonaparte, depuis l’âge de treize ans jusqu’à son exil à Sainte-Hélène (anonyme) – répondaient des plaidoyers pro domo enfl ammés écrits en général par des insulaires. Ainsi La Buonapartiana ou Petite Histoire d’un grand homme, tout aussi anonyme, mais aussi les œuvres de la famille de l’empereur déchu. La Cirnéide, poème épique en douze chants, publiée en 1819 par Lucien Bonaparte ou Napoléon, poème historique en dix chants dû à la plume de Joseph, le frère aîné de l’Empereur.

Sur le continent, cependant, l’image de la Corse était assez peu favorable. Le temps était déjà loin où Jean-Jacques Rousseau, pressenti pour devenir son législateur, pouvait susciter l’intérêt et la sympathie autour d’elle en se livrant à un vibrant panégyrique du caractère et des vertus de ses habitants…

En simplifi ant un peu, nous dirons qu’il fallut attendre la fi n des années vingt – du XIXe siècle naturellement – pour que les écrits politiques et polémiques fassent une place à une authentique création littéraire qui s’exprima alors par de multiples truchements : chanson, poésie, nouvelle, roman, théâtre, récit de voyage.

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DÉCOUVERTE LITTÉRAIRE DE LA CORSE

Le nom de Mérimée monte spontanément aux lèvres, même si le père de Mateo Falcone ne fut pas le premier à choisir la Corse pour décor. Il le fi t en tout cas avec assez de succès pour créer une mode qu’il n’hésita pas à relancer lui-même quelques années plus tard avec sa Colomba. Viennent ensuite des noms de poètes : Béranger – le chansonnier oublié considéré par ses contemporains comme l’égal des plus grands –, Victor Hugo, Auguste Barbier ; des romanciers – Balzac, Flaubert, Stendhal, Dumas –, et même un musicien – Berlioz – qui prit la plume pour composer ses Soirées de l’orchestre.

Mais en dehors du cercle restreint des spécialistes, on ignore généralement une foule d’autres auteurs, une multitude d’autres œuvres.

Ainsi des nouvelles et romans de la comtesse de Bradi – Une Mouche de Corse, Colonna ou le beau Seigneur (1825) –, les Novelle Storiche Corse de Francesco Renucci (1827), les Lettres sur la Corse et quatre nouvelles écrites par Rosseeuw Saint-Hilaire entre 1827 et 1831, dont Le Lasso et Le Déjeuner du bandit…

On ne se souvient pas davantage des drames et mélodrames historiques inspirés par la Corse, comme Paoli ou Les Corses et les Génois, signé Dupetit-Méré (1822), La Famille corse de Jules Dulond (1829), La Vendetta ou La Fiancée corse de Victor-Henri Ducange (1831), San Pietro di Bastelica ou La Nuit infernale de Gustave Delahaye (1837). Pas plus que des opéras, dont La Vendetta de Léon Pillet et Adolphe Vannois, qui rencontra un franc succès en 1839…

Incontestablement, la Corse était devenue un fi lon littéraire et devait le rester longtemps. Ses particularités

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historiques ou géographiques avaient cependant été progressivement délaissées au profi t d’un exotisme qui devait beaucoup à ses faits divers et à la présence sur le sol de l’île de personnages jugés anachroniques certes mais si pittoresques et si hauts en couleur ! Les attraits de la Corse peuvent alors se résumer en peu de mots : source intarissable d’histoires dramatiques, tragiques, violentes, terre de mœurs antiques que l’écrivain arpente avec la loupe de l’entomologiste, vivier inépuisable d’individus hors du commun, proscrits et banditi… Et, pour les écrivains qui ne se satisfont pas de connais-sances livresques puisées dans les rayons poussiéreux des bibliothèques et qui oseront le voyage en Corse, on ajoutera un dépaysement total sous un climat favorable aux santés ébranlées…

Les Banditi constitueront bientôt pour nos littéra-teurs la principale attraction de l’île. Qu’ils s’y rendent dans le but avoué de leur rendre visite au cœur du maquis ou qu’ils les rencontrent à l’insu de leur plein gré, ce sont eux qui auront les honneurs de la plupart des œuvres rapportées.

Sur les traces de Prosper Mérimée, on verra ainsi marcher un jeune homme qui n’est pas encore devenu le roi du roman-feuilleton, Ponson du Terrail. Et puis un poète saltimbanque, Albert Glatigny, victime malheu-reuse à Bocognano d’une fâcheuse bavure policière. Ou encore Alphonse Daudet et Guy de Maupassant, dont les écrits inspirés par l’île seront assez nombreux pour que les spécialistes puissent évoquer un « cycle corse » dans leur œuvre, et, plus tard, Gaston Leroux, pour un texte inspiré par Nodier et Dumas, qui, délaissant les histoires de brigands, entremêle savamment Histoire et fantastique.

Mais, aux côtés de ces « continentaux », on aura le plaisir de découvrir des Corses authentiques. Salvatore

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DÉCOUVERTE LITTÉRAIRE DE LA CORSE

Viale, qui formera avec l’Italien Niccolò Tommaseo le couple fondateur de la littérature corse écrite ; Emmanuel Arène, dont le surnom de Vice-roi est révélateur de l’infl uence qu’il exerça dans l’île ; Claude Farrère, né Frédéric-Charles Bargone ; sans oublier le presque contemporain Santu Casanova qui ne compta pas pour peu dans la résurgence de la langue corse.

Enfin, on aura garde de tenir pour secondaire l’apport d’auteurs italiens, Niccolò Tommaseo, déjà cité, et surtout Francesco Domenico Guerrazzi, dont un abondant extrait du roman L’Histoire d’une mouche est présenté ici dans sa première traduction française.

Qu’on ne s’attende pas que le présent volume retrace trois cents ans de littérature « corse ».

Son intitulé, Corse noire – l’adjectif étant à prendre dans l’acception qu’on lui connaît dans l’expression « roman noir » – dit assez que nous avons voulu présenter quelques textes qui tournent – presque – tous autour d’une des plus célèbres réalités corses, celle des banditi. Le « bandit » dans tous ses avatars : proscrit ici, bandit d’honneur là, héros romantique ou vulgaire assassin usurpant une épithète prestigieuse ailleurs.

La rareté et la variété des récits présentés ne nous semblent pas le moindre intérêt de cette anthologie.

Si Mateo Falcone, texte fondateur du genre, n’y fi gure qu’à ce titre, si le récit de Maupassant, les notes de voyage de Flaubert ne constituent pas vraiment des incunables, qui se rappelle le texte de Ponson du Terrail ou même celui de Daudet ?

Encore n’évoquons-nous pas les autres auteurs ! Qui se souvient d’Albert Glatigny, fort estimé de ses pairs et complètement oublié aujourd’hui, qui ne doit qu’à

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quelques textes « sulfureux » de fi gurer dans certains recueils célébrant les amours homosexuelles ?

Qui, hors de Corse, a jamais entendu parler de Francesco Ottaviano Renucci ou de Pierre Bonardi ? Hors d’Italie, quelles résonances peuvent prendre les noms de Tommaseo ou Guerrazzi ?

Quant à Rosseeuw Saint-Hilaire, si son patronyme éveille quelque vague souvenir dans les mémoires, ce n’est que par homonymie avec les noms du célèbre zoologiste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, de son fi ls Isidore, ou encore de Jules Barthélemy Saint-Hilaire, écrivain et homme politique…

Cette anthologie n’avoue donc d’autre prétention que de combler un vide et réparer quelques injustices de la postérité en proposant des récits variés, pittoresques, et, dans leur majorité, introuvables.

Roger Martin

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Francesco Ottaviano

Renucci(1767-1842)

Le Délateur est un récit tiré du deuxième volume des

Novelle Storiche corse, œuvre de Francesco Ottaviano

Renucci. Édités à Bastia en 1827, traduits de l’italien et

publiés chez Hachette en 1841, ces textes font partie du

fonds considérable de documentation que Mérimée, qui

lisait l’italien, comme Stendhal ou Paul-Louis Courier, eut

à sa disposition lorsqu’il écrivit Mateo Falcone.

Les spécialistes s’accordent généralement à dire que

cette « histoire » constitue la quatrième version de l’anec-

dote tragique qui inspira l’écrivain en 1829.

La version primitive avait été fournie en 1771 par l’abbé

de Germanes dans son Histoire des Révolutions de la Corse,

depuis ses premiers habitants jusqu’à nos jours.

L’abbé Gaudin, vicaire général du Nebbio, l’avait reprise

en 1787 dans son Voyage en Corse et vues politiques sur

l’amélioration de cette île, avant que le capitaine de la Marine

royale anglaise, Robert Benson, qui commandait le yacht

de lord Byron, La Mazeppa, lors d’un voyage du poète en

Sicile, en Corse et en Sardaigne en 1821, ne lui fasse à son

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tour un sort dans ses Sketches of Corsica, publiés à Londres

en 1823.

En juillet 1828, la Revue trimestrielle en offrira un nouvel

avatar dans un article non signé intitulé Des Devoirs de la

France envers la Corse.

La sixième mouture, ce sera, bien sûr, celle de

Mérimée.

Il nous a semblé intéressant de proposer ici l’une des

deux versions – l’autre étant celle de l’abbé Gaudin – dont

Mérimée a vraisemblablement tiré le plus de profi t.

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Francesco Ottaviano Renucci

Le délateur

L’infâme délation qui de tout temps a infesté la société humaine était jadis presque inconnue dans cette contrée. Nos aïeux l’abhorraient tellement, qu’ils marquaient du sceau de l’ignominie, non seulement celui qui en était coupable, mais encore (mesure injuste peut-être) toute sa famille et ses descendants. De nos jours, je ne sais par quelle fatalité les délateurs se multiplient en Corse, et l’on ne voit plus désor-mais que dénonciations secrètes, accusations voilées, souvent fausses, toujours viles et haineuses. Serait-ce là, par hasard, le signe, à Dieu ne plaise, d’une odieuse corruption dans nos anciennes coutumes ? Qu’on en juge par cet exemple qui est la preuve éclatante de la haine de nos ancêtres pour cette vilaine iniquité.

Deux grenadiers du régiment de Flandres, auxiliaire de la république de Gênes, en garnison à Ajaccio, désertèrent leur drapeau. Pour échapper à la sévère peine ainsi méritée, ils se réfugièrent dans la montagne qui domine Ajaccio, vivant là de la charité des bergers d’Appietto.

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La saison automnale commençait avec l’aspect riant qu’elle prend dans cette île. M. de Nozières, le colonel du régiment, accompagné de plusieurs de ses officiers, chassait, un jour, sur la montagne où se tenaient cachés les deux grenadiers. Voyant de loin le colonel, ils se dissimulent aussitôt derrière un rocher couvert de broussailles. Un petit pâtre qui gardait près de là son troupeau, voyant l’arrivée de gens armés et la fuite précipitée des déserteurs, demeure interdit, M. de Nozières, qui l’a remarqué, conçoit des soupçons ; il lui demande impérieusement s’il n’a pas vu quelque militaire caché dans les environs. Pas de réponse. Ce silence augmente les soupçons du Français : il réitère sa demande avec des menaces. Le jeune Corse, effrayé, n’ouvre pas la bouche. Mais d’un geste de la main il indique la retraite des grenadiers. Le colonel ne comprend pas et insiste : le pâtre répète ses indications tacites de la main et de l’œil. Alors les autres officiers, pensant peut-être, en bons chasseurs, que quelque gibier se cachait, lâchent leurs chiens et découvrent ainsi les deux soldats qui surgissent, tout tremblants, et sont aussitôt reconduits à la ville, bien garrottés. Quatre louis d’or sont la récompense de l’espion. Plein de joie, celui-ci raconte, le soir même, l’aventure à son père et à ses frères et leur montre son trésor. À cette vue et en entendant un tel récit, ceux-ci frémissent. L’horreur et la fureur se manifestent dans toute leur conduite et dans toutes

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LE DÉLATEUR

leurs paroles. Le jeune garçon pâlit ayant compris la gravité de son méfait.

Le père assemble les membres de la famille pour décider du sort d’un traître, qui, selon lui, désho-nore sa famille et sa nation. L’infortuné vieillard se désespère et s’exclame de temps à autre : « Malheur à moi ! un fils de moi, livrer deux hommes à la mort et recevoir le prix de leur sang, comme Judas ! Non, tu n’es pas mon fils ; non, tu n’es pas un Corse. Mais notre souillure sera lavée dans ton sang. » Ainsi pense unanimement l’assemblée et la peine de mort est prononcée sans ciller.

Le condamné est traîné sans pitié sous les murs d’Ajaccio, dans un lieu écarté. Tous les parents étant rassemblés, le vieux père demande qu’on suspende un moment l’exécution et dit qu’on l’attende : « Je veux tenter de fléchir le cœur du commandant français, je veux implorer la grâce des deux déserteurs et, s’il m’exauce, la vie de mon fils sera sauvée. »

Dans ce but, il se rend chez M. de Nozières et, se jetant à ses pieds, le visage couvert de larmes, il le conjure de faire grâce aux deux militaires. Rempli d’admiration, le colonel répond brièvement que les lois sont inexorables et qu’il ne peut rien. « Vous appren-drez donc bientôt, répond le vieillard, comment un père corse punit le fils qui déshonore sa famille et sa patrie et comment sur ce sol, où l’honneur est sacré, on supporte les traîtres et les espions. »

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Revenu près des siens, il leur annonce que sa démarche a été infructueuse et engage son fils à se préparer à la mort. Celui-ci, reconnaissant l’énormité de sa faute, se résigne au châtiment. Un religieux, expressément appelé, le confesse et lui donne les derniers secours dont notre auguste Religion est une si douce et généreuse dispensatrice. Et pendant que les deux malheureux déserteurs expirent sous les verges, au milieu de cris et de gémissements, le petit pâtre, repentant et courageux, présente sa poitrine à l’arquebuse des membres de sa famille. Cet acte de justice accompli, l’infortuné père remet en pleurant au confesseur les quatre maudits louis d’or, en lui demandant de les restituer au colonel du régiment de Flandres et de lui dire : « Monsieur, nous croirions salir nos mains et notre âme en gardant cet argent d’iniquité. N’est pas corse qui pourrait s’en réjouir ; et la famille de celui qui l’a si vilement gagné changera de nom afin de ne pas être, pour la postérité, un objet d’opprobre et d’horreur. »

Novelle Storiche corseFascicolo Secondo, Bastia, 1827

Traduction : Maria Kosko

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