contaminations microbiologiques par les dispositifs médicaux dans les unités dentaires

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Contaminations microbiologiques par les dispositifs médicaux dans les unités dentaires Microbiological contamination induced by medical devices in dental care units R. Djeribi a,* , M. Zaghez b a Groupe de recherche en procédés biotechnologiques appliqués à l’environnement, département de biochimie, Faculté des sciences, Université d’Annaba, Algérie b Département de chirurgie dentaire, Faculté de médecine, Université d’Annaba, Algérie MOTS CLÉS Unité dentaire ; Infection ; Instrument ; Eau KEYWORDS Dental unit; Infection; Instrument; Water Résumé Les micro-organismes qui adhèrent aux surfaces sont responsables de la conta- mination des instruments et donc de plusieurs types d’infections microbiennes et de maladies. Une étude sur la contamination des conduits des unités dentaires (résultats non publiés) a révélé l’existence, dans les conduits d’eau, d’une souche de Corynebacterium pseudotuberculosis. L’isolement de cet agent pathogène respiratoire opportuniste nous a conduit à réfléchir sur sa provenance ainsi que sur son mode de dissémination. L’hypo- thèse d’une origine autre que l’eau est apparue probable. Cette présente étude a été menée afin de mettre en évidence l’existence d’un phénomène d’aspiration, par les instruments, d’aérosols contaminés provenant des cavités buccales de patients. Les résultats obtenus ont révélé que les instruments utilisés en soins dentaires peuvent être responsables de dissémination d’agents pathogènes provenant des cavités buc- cales. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The contamination of medical instruments, and thus many types of microbial infections and diseases are due to surface-adherent micro-organisms. A previous study on the contamination of conduits in dental care units (results non published) has revealed the presence of Corynebacterium pseudotuberculosis strain in water conduits. The isolation of this opportunist pathogenic agent led us to analyse its origin and dissemina- tion process. The present study has been carried out to give evidence to the existence of a possible instrument-induced aspiration of contaminated aerosols from buccal cavities of patients. The resuts indicate that the instruments used in dental care may be responsible for the dissemination of pathogenic agents originating from buccal cavities. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Djeribi). EMC-Dentisterie 1 (2004) 378–381 http://france.elsevier.com/direct/EMCDEN/ 1762-5661/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcden.2004.07.002

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Contaminations microbiologiquespar les dispositifs médicaux dans les unitésdentaires

Microbiological contamination inducedby medical devices in dental care unitsR. Djeribi a,*, M. Zaghez b

a Groupe de recherche en procédés biotechnologiques appliqués à l’environnement,département de biochimie, Faculté des sciences, Université d’Annaba, Algérieb Département de chirurgie dentaire, Faculté de médecine, Université d’Annaba, Algérie

MOTS CLÉSUnité dentaire ;Infection ;Instrument ;Eau

KEYWORDSDental unit;Infection;Instrument;Water

Résumé Les micro-organismes qui adhèrent aux surfaces sont responsables de la conta-mination des instruments et donc de plusieurs types d’infections microbiennes et demaladies. Une étude sur la contamination des conduits des unités dentaires (résultats nonpubliés) a révélé l’existence, dans les conduits d’eau, d’une souche de Corynebacteriumpseudotuberculosis. L’isolement de cet agent pathogène respiratoire opportuniste nous aconduit à réfléchir sur sa provenance ainsi que sur son mode de dissémination. L’hypo-thèse d’une origine autre que l’eau est apparue probable. Cette présente étude a étémenée afin de mettre en évidence l’existence d’un phénomène d’aspiration, par lesinstruments, d’aérosols contaminés provenant des cavités buccales de patients. Lesrésultats obtenus ont révélé que les instruments utilisés en soins dentaires peuventêtre responsables de dissémination d’agents pathogènes provenant des cavités buc-cales.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract The contamination of medical instruments, and thus many types of microbialinfections and diseases are due to surface-adherent micro-organisms. A previous study onthe contamination of conduits in dental care units (results non published) has revealedthe presence of Corynebacterium pseudotuberculosis strain in water conduits. Theisolation of this opportunist pathogenic agent led us to analyse its origin and dissemina-tion process. The present study has been carried out to give evidence to the existence ofa possible instrument-induced aspiration of contaminated aerosols from buccal cavities ofpatients. The resuts indicate that the instruments used in dental care may be responsiblefor the dissemination of pathogenic agents originating from buccal cavities.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (R. Djeribi).

EMC-Dentisterie 1 (2004) 378–381

http://france.elsevier.com/direct/EMCDEN/

1762-5661/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.emcden.2004.07.002

Introduction

Si le risque infectieux au cours des soins dentairesexiste, il semble plus concerner la transmission devirus que de bactéries.1 Les infections transmisesen milieu dentaire, du fait d’une part de leur raretéet d’autre part de la difficulté à les mettre enévidence chez les sujets traités en ambulatoire,sont probablement sous-estimées. Une contamina-tion par le sang des instruments utilisés en dentis-terie n’est pas rare. Il faut rappeler que même unequantité très faible de sang dont le praticien neréalise pas forcément la présence au niveau d’uninstrument peut entraîner une hépatite B chez lepatient suivant si l’instrument ne subit pas, avantde resservir, un traitement adapté.2

Le risque viral le plus élevé semble être lié àl’usage des porte-instruments rotatifs. Diversesétudes expérimentales ont montré qu’un refoule-ment des liquides biologiques vers les canaux et lachambre internes se faisait même avec les appa-reils équipés de système antiretour. Ensuite, lorsde la réutilisation de l’appareil, un relargage pro-gressif de produits biologiques potentiellement in-fectants s’effectue dans la bouche du patient sui-vant.3–6

Une étude sur la contamination des conduits desunités dentaires (CUD) réalisée sur des unités desoins dentaires (résultats non publiés) a révélél’existence, dans l’un des multiples conduits d’eau,d’une souche de Corynebacterium pseudotubercu-losis. L’isolement de cet agent respiratoire nous aconduit à réfléchir sur sa provenance ainsi que surson mode de dissémination. L’hypothèse d’unesource autre que l’eau, provenant des réseauxd’aqueduc, apparaît probable. Pour cela, un proto-cole expérimental a été mis au point afin de mettreen évidence l’existence de phénomènes d’aspira-tion, par les instruments, d’aérosols contaminésprovenant des cavités buccales de patients.

Matériels et méthodes

Le protocole expérimental a été réalisé en colla-boration avec les collègues du service de parodon-tologie du centre hospitalier universitaire d’An-naba. Une unité dentaire a été mise à notredisposition tout au long de la réalisation de l’expé-rimentation. Le travail expérimental a été réalisédans des conditions similaires à celles effectuéespar le praticien lors d’un traitement de routineréalisé au niveau de la cavité buccale d’un patient.

Seulement, pour des raisons de sécurité et de fai-sabilité, la cavité buccale du patient s’est vue, pournotre recherche, substituée par une cavité buccaleanimale. Ce choix est justifié par le fait que cettecavité buccale de substitution présente des simili-tudes structurales avec celle de l’homme.

Préparation et désinfection de la cavitébuccale animale

La désinfection de la cavité buccale a été réalisée àl’aide d’une solution antiseptique commerciale(Hextril®) dans le but de neutraliser la microflorebuccale naturelle de l’animal. Après un temps decontact avec l’agent chimique (2 à 3 min), une sériede rinçage des mâchoires à l’eau distillée stérile aété réalisée afin d’éliminer toute trace du désin-fectant.

Contamination artificielle de la cavitébuccale

L’inoculation des mâchoires de l’animal a été réa-lisée aseptiquement à l’aide d’une suspension deStaphylococcus aureus. La souche bactériennepréalablement isolée, identifiée et purifiée a étésoigneusement entretenue au laboratoire grâce àune série de repiquages successifs sur milieu Chap-man à 37 °C. La contamination a été réalisée parune simple aspersion des différents composantstissulaires et dentaires de la mâchoire de l’animal(gencives, dents et muqueuses) avec la suspensionbactérienne contenue dans une seringue stérile.

Simulation de soins et inoculation du milieude culture

Pour la réalisation de l’expérimentation, il a étédemandé au praticien de simuler, dans les condi-tions identiques à celles réalisées en pratique cou-rante sur des patients, des soins sur la dentition del’animal par l’utilisation d’une turbine (fraise)équipée d’un dispositif de refroidissement à eau.Outre l’action mécanique de la fraise sur la struc-ture dentaire, l’eau s’introduisant dans la cavitébuccale à forte pression a pour conséquence lagenèse de microaérosols dans la cavité buccale del’animal. Les micro-organismes initialement pré-sents adhèrent aux microgouttelettes d’eau for-mées au cours des soins utilisant cet instrument. Leprincipe de la manipulation fut d’actionner à plu-sieurs reprises la turbine et par conséquent l’eau derefroidissement émergeant de l’ouverture située àl’extrémité inférieure du dispositif.

379Contaminations microbiologiques par les dispositifs médicaux dans les unités dentaires

Les multiples actions de la turbine sont entre-coupées par des inoculations directes et simulta-nées des milieux Chapman et gélose nutritive préa-lablement coulés et refroidis dans des tubes enverre de 2,8 cm de diamètre interne. Le surplusd’eau émergeant de la turbine au moment de l’en-semencement et ayant été en contact quasi instan-tané avec les milieux de culture a été aseptique-ment éliminé avant l’incubation des tubes. Cesderniers sont incubés à 37 °C pendant 24 à 48 heu-res.

Le tube en verre inoculé est considéré comme unpotentiel patient susceptible d’être contaminé ul-térieurement par un instrument utilisé chez unprécédent patient (l’animal utilisé dans notre ex-périmentation) porteur d’un micro-organisme pa-thogène. Une éventuelle contamination de la tur-bine par Staphylococcus aureus sera sans aucundoute mise en évidence au niveau des tubes ense-mencés.

Résultats et discussion

Au bout de 48 heures d’incubation à 37 °C, descolonies diffuses, compte tenu du mode d’ense-mencement adopté dans notre manipulation, decoloration jaune sont apparues sur la gélose Chap-man avec virage de la couleur du milieu de culture.Des examens microscopiques réalisés sur la culturebactérienne après coloration de Gram ont permis lamise en évidence de cellules en forme de cocciregroupées en amas et gardant le violet de gentianeaprès décoloration à l’alcool (Gram +). Ces carac-téristiques macroscopiques et microscopiques sontcelles de l’espèce Staphylococcus aureus initiale-ment inoculée dans la cavité buccale de l’animal etqui a été retrouvée au niveau des tubes aprèsmanipulation de la turbine par le praticien. Lepourcentage de transfert de la bactérie a été es-timé à 70 % (pourcentage des tubes dans lesquels aété constatée l’apparition de colonies de Staphylo-coccus aureus). Sur le milieu de culture gélosenutritive, aucune croissance bactérienne n’a étédécelée, ce qui explique l’efficacité de la neutrali-sation de la microflore buccale par l’antiseptiqueutilisé. L’absence de croissance du staphylocoquesur ce milieu est due au fait que la gélose nutritive,compte tenu de sa composition, ne permet pas lacroissance de bactéries exigeantes.

Le phénomène physique responsable du transfertdes particules bactériennes de la cavité buccale del’animal vers les tubes utilisés et considérés, dansnotre expérimentation, comme un deuxième pa-

tient succédant au premier, est exclusivement as-socié aux aérosols qui sont constitués de particulesmicrobiennes présentes au niveau des mâchoires etdes muqueuses associées aux divers éclats issus dutraitement mécanique de la dent du patient. Cesaérosols peuvent : soit adhérer aux structures ex-ternes de l’instrument dans une région voisine del’émergence de l’eau et qui sont plus tard expul-sées avec l’eau au moment de l’action de la tur-bine ; soit se retrouve aspirés à l’intérieur duconduit d’eau de la turbine suite à l’arrêt de l’ac-tion de celle-ci. Ce dernier phénomène est dû àl’absence de clapet de non-retour sensé prévenirtoute pression négative dans les conduits d’eau etéliminer la réaspiration de l’eau. Ce résultat ob-tenu montre que les instruments utilisés en soinsdentaires peuvent être à l’origine de disséminationd’agents pathogènes provenant des cavités bucca-les de patients.

L’insuffisance de la décontamination basée uni-quement sur la diffusion passive de produit dedésinfection doit inciter à réfléchir sur la nécessitédu nettoyage de l’intérieur des tubes et des cavitésporeuses afin de réduire la charge bactérienne dessécrétions du patient. Ce principe fondamentald’hygiène est, depuis plusieurs années, prôné parles fabricants de matériels dentaires, et a pourexemple conduit à la prescription de la Commu-nauté dentaire canadienne (CDC, 1985) que lesinstruments rotatifs soient stérilisés après chaqueutilisation au même titre que les autres instrumentsdentaires entrant en contact avec les éléments dela cavité buccale.

Conclusion

À l’issue de cette expérimentation, le résultat ob-tenu montre effectivement que les instrumentsutilisés en soins dentaires peuvent être responsa-bles de dissémination d’agents pathogènes prove-nant des cavités buccales de patients.

L’insuffisance de la décontamination basée uni-quement sur la diffusion passive de produits dedésinfection doit nous inciter à réfléchir sur lanécessité du nettoyage de l’intérieur des tubes etdes cavités poreuses afin de réduire la charge bac-térienne des sécrétions du patient. Les instrumentsrotatifs doivent être stérilisés après chaque utilisa-tion au même titre que les autres instruments den-taires entrant en contact avec les éléments de lacavité buccale. En outre, les clapets de non-retourpeuvent également être utilisés afin de diminuer lerisque de transfert de matières infectieuses.

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Références

1. Runnel RR. Maladies d’actualité. In: Runnel RR editor,Risque infectieux et responsabilité au cabinet dentaire ou« le syndrome des doigts mouillés ». (1ère édition) Genève:Unident SA; 1985.p. 15–23.

2. Cash RG. Trends in sterilisation and desinfection proce-dures in orthodontic offices. Am J Orthod Dentofac Orthop1990;98:292–9.

3. Lewis DL, Arens M, Appeleton S. Cross-contaminationpotentiel with dental equipment. Lancet 1992;340:1252–4.

4. Watson CM, Whithouse RI. Possibility of cross contamina-tion between dental patients by means of the saliva ejec-tor. J Am Dental Assoc 1993;124:77–80.

5. Lewis DL, Boe RK. Cross-infection risks associated withcurrent procedures for using high-speed dental hand-pieces. J Clin Microbiol 1992;30:401–6.

6. Lewis DL, Arens M. Resistance of microorganisms to disin-fectant in dental and medical devices. Nat Med1995;1:956–8.

381Contaminations microbiologiques par les dispositifs médicaux dans les unités dentaires