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THÉOLOQIE. Discours sur Dieu. Il sera question ici de la théologie chrétienne, catholique. On peut la définir provisoirement : une discipline où, à partir de la Révélation et sou» sa lumière, les vérités de la religion chrétienne se trouvent interprétées, éla- borées et ordonnées en un corps de connaissances. Après une section consacrée au nom, cet article com- portera un exposé historique, col. 346, et une étude spéculative, col. 447. 1. INTRODUCTION ! LE MOT. Comme beau- coup de mots de la langue ecclésiastique, le mot théologie est passé tel quel, par simple transposition, du grec et du latin dans les langues modernes. Avant

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THÉOLOQIE. — Discours sur Dieu. Il seraquestion ici de la théologie chrétienne, catholique. Onpeut la définir provisoirement : une discipline où, àpartir de la Révélation et sou» sa lumière, les véritésde la religion chrétienne se trouvent interprétées, éla-borées et ordonnées en un corps de connaissances.Après une section consacrée au nom, cet article com-portera un exposé historique, col. 346, et une étudespéculative, col. 447.

1. INTRODUCTION ! LE MOT. — Comme beau-coup de mots de la langue ecclésiastique, le motthéologie est passé tel quel, par simple transposition,du grec et du latin dans les langues modernes. Avant

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T H É O L O G I E 342de s'y fixer dans son sens actuel, le mot OeoXoYÎ0'!tout

comme les mois 6ciA6yoç et OeoAoyeïv, a connu desusages assez divers, qu'il n'est pas commode dé rame-ner à quelques lignes simples. On se rétérera nu Thé-saurus de Suicer et aux excellentes études de Petau,Dogmata theologica, 1.1, Proleg., c. i; de Mattès, art.Théologie, dans le Dicl. encyclopéd. de la théol. Mlh. deWetzer et "Welte, trad. Goschler, t. xxni, p. 310 sq.;de F. Kattenbusch, art. Théologie, dans la Bealency-klop&die de Hauck, t. xxi, p. 901 sq. ; de J. Stigimayr,Mannigfache Bedeutung won » Théologie » und • Theo-logm v, dans Théologie und Glaube, t. xi, 1919, p. 296-309; df P. Batiffol, Theologia, Iheologi, dans Ephem.theol. lovan., t. v, 1928, p. 205-220; de F. Katten-busch. Die Bnfstetivng einer christlichen Théologie. ZurGeschichie der A usdriicke OcoXoyIa, OeoA.oyeÏM, OscAôyoç,dans Zeiisch. f . Theol. u. Kirche, nouv. série, t. xi,1930, p. 161-205.

I. DANS LE PAGANISME. — Le mot 6eoî.oy[a n'a querarement, dans l'antiquité païenne, le sens qu'ilprendra dans le christianisme de doctrine sur Dieu.Les païens n'envisagent la divinité que du point de vued'une explication des choses de ce monde; ils appel-lent théologiens les poètes du passé qui, comme Orphée,Homère et Hésiode, ont composé des théogonies, ouencore les prosateurs qui ont formulé des spéculationssur l'origine du monde. Aristote oppose à ces « théolo-giens », qui donnaient du monde une explication my-thologique, les « philosophes » comme Thaïes ou Anaxi-mandre et les « physiologues », qui cherchaient l'expli-cation des choses dans les choses elles-mêmes et dansles éléments physiques. Platon, qui emploie lui-mêmeune fois le mot OsoXoyia pour désigner la mythologieen sa valeur éducative profonde, Rép., 379 a, sera classépar les néoplatoniciens, el même par certains Pères del'Église, parmi les « théologiens ». Stigimayr, art. cité,p. 296-297; Kattenbusch, art. cite, p. 163.

Aristote, en un passage fameux. Met., VI, i, 1025 a,19, distingue trois parties dans la philosophie < théo-rique » : la mathématique, la physique et la théologie;celle-ci, qui est évidemment la plus digne des trois, estidentique à la « philosophie première », c'est-à-dire.à la métaphysique. De fait, Aristote nous a livré, dansle livre XII de la Métaphysique, une doctrine philo-sophique sur Dieu qui a une réelle valeur de science.Un énoncé semblable concernant les trois sciencesthéoriques se trouve à Met., XI, vin, 1064 b, 2; le pas-sage esl peut-être inauthentique. Il est certain que,dans le reste de son œuvre, Aristole emploie 8Eoï.oylaet les mots apparentés pour désigner la mythologie,et non plus la métaphysique. Kattenbusch, art. cité,p.167.

L'emploi du mot au sens de doctrine concernantDieu est donc, sinon douteux, du moins, exceptionnelavant les stoïciens. Zenon divisait la philosophie enlogique, éthique et physique, el Cléanthe, son suc-cesseur, subdivisant chacune de ces espèces en deux,distinguait dans la dernière la physique et la théolo-gie. Vers la fin du n" siècle avant Jésus-Christ, Pané-tius de Rhodes distinguera trois sortes de théologie ;du moins semble-t-il être l'auteur de cette distinclionqu'on retrouvera chez son disciple indirect, Varron,dans un texte auquel tait allusion Tertullien, Adii. na(.,il, 1 et 2, et que nous a conservé saint Augustin :Tria gênera theologise dicit esse, id est rationis quce dediis explicatur, eorumque wum mylhicon appellari,alterum physicum, lertium civile..., .De civ. .De;', 1. VI,c. v, F. L., t. xu, col. 180; cf. 1. IV, c. xxvit, et 1. VI,c. xn. Ainsi les stoïciens ont-ils connu un emploi dumot theologia comme désignant, d'après l'équivalentque donne saint Augustin, la ratio quse de diis explica-tw, l'explication qu'on donne des dieux, laquelle peutêtre prise de trois points de vue : du point de vue

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343 T H É O L O G I E . LE MOT 344poétique, qui correspond à la mythologie, du point devue rituel, c'est-à-dire quant au culte essentiellementpolitique des cités païennes, enfin du point de vue desthéories que les philosophes ont élaborées, qui revien-nent à donner une valeur et une formulation ration-nelles à la religion poético-mythologique et au cultepublic des cités et que Varron appelle theologia nafu-ratis, parce que cette théologie consiste à faire desdieux des personnifications des forces de la nature. Onsaisit là ce qui caractérise toute « théologie » païenne,où la divinité est toujours considérée comme unetransposition ou une explication des choses de cemonde et non dans son mystère personnel ou sa na-ture intime : on n'obtient ainsi, remarque saint Augus-tin, qu'une pht/siotogia, et non une theotogia. De cio.Dei. 1. VI, c. vin, col. 186; comparer Contra Faus-tum, 1. XII, c. XL, t. xui, col. 275.

Parmi d'autres acceptions plus particulières desmots OsoXAyoç. Qsoî-ofla., OeoXoYeÏv, celle qui se rap-porte au culte public devait, sous l'Empire, connaîtreun emploi considérable et qui se rapproche de certainsemplois chrétiens.Ces mots se réfèrent alors au culteimpérial et signifient : attribuer la qualité de dieu (àCésar), reconnaître pour dieu, louer et honorer commedieu. Stigimayr, art. cité, p. 299; Kattenbusch, art.cité, p. 201.

II, DANS LE CHRISTIANISME. — Les chrétiens ontune révélation portant sur le mystère de Dieu : celledu Père, du Fils et du Saint-Esprit; aussi eussent-Ilsété portés, normalement, à entendre par théologie letait de parler de Dieu en lui-même, s'ils n'avaientété plus ou moins longtemps gênés par les emploispaïens du mot. Ceci est très sensible chez un Clémentd'Alexandrie ou un saint Augustin, où le mot est toutproche de prendre son sens ecclésiastique définitif,mais se trouve encore déterminé par les emplois païensd'hier. Il est notable d'ailleurs que les Pères grecs sesont dégagés plus vite que les latins de cette espèce deprescription païenne.

1° Les Pères grecs. — Clément d'Alexandrie parledes « vieux théologiens « ; ce sont Orphée, Linus,Musée, Homère, Hésiode et autres ' sages ». Ils ont prisleur sagesse aux prophètes, en l'enveloppant d'allé-gorie, et ont ainsi appris auprès de ces prophètes 'ri;vOecAoyIav, Strom., v, 4, éd. Stâhlin, p. 340. Ici,eeoXoyia est pris absolument, pour signifier la connais-sance des choses divines. Clément croit que les philo-sophes ont voulu réaliser une science de Dieu qui serait« la vraie théologie ». Strom., v, 9, p. 364. « La philoso-phie, soit barbare, soit hellénique, a fait de la véritééternelle une parcelle, non de la mythologie de Diony-sos, mais de la théologie du Verbe éternellement exis-tant. » Sirom., i, 13, p. 36. « On voit comment, pourClément, de l'acception païenne du mot théologie sedégage une acceplion abstralLo qui pourrait s'appli-quer à la connaissance chrétienne de Dieu. Mais l'ac-ception païenne est encore la seule reçue, et c'est ain»ique le théologien par excellence est pour les pythago-riciens Orphée, Strom., v, 8, p. 360. i P. Batiflol,art. cité, p. 213. Origène, lui, parle bien des «vieuxthéologiens des Grecs », comme aussi de * la théologiedes Perses », etc.; les théologiens sont pour lui le»auteurs païens qui ont traité de religion et dont la doc-trine s'appelle théologie. Mais, si Origène n'emploie paseeoÂôyoç dans un sens chrétien, 11 commence à puri-fier l'acception des mots esoXoyIa, OeoXdyeîv, et il enconnaît un emploi chrétien : dans le Contra Ce/suffi,VI, 18, éd. Koetschau, p. 89, et le Comm. in. Joan.,n, 34, éd. Preuschen, p. 92, la théologie est une doc-trine véritable sur Dieu; puis, plus spécialement, unedoctrine sur le Christ Sauveur, où celui-ci est vraimentconsidéré comme Dieu. Comm. in Juan., i, 24, p. 30.Quant au verbe ÔeoÀOYsîM, il est très fermement em-

ployé, en parlant de Dieu ou du Christ, pour signifier :reconnaître, proclamer et confesser comme Dieu, unpeu dans lé sens où les païens parlaient de la divinisa-tion de César. Batiffol, art. cité, p. 313-217. Chez Eu-sèbe de Césarée, la décantation des mots et leur accep-tion chrétienne sont chose acquise : il appelle saintJean « le théologue > parce que son évangile est émi-nemment une doctrine sur Dieu, De ecclesiastica theo-logla, I, xx; II, xn; il connaît l'usage païen du motthéologie, mais 11 donne aussi délibérément à ce motun sens proprement chrétien : « Je vais commencerpar une manière plus sublime et plus excellente quetout ce qui est selon l'homme, c'est à savoir l'économieet la théologie selon le Christ. » H. E., 1, i, 7; cî. II,prol. Cela signifie : traiter du Christ comme Dieu.» La théologie est pour Eusèbe si exclusivement lascience du vrai Dieu et du Christ, que l'on ne sauraitplus appliquer le mot aux faux dieux sans lui donnerune épithète qui exprime que pareille théologie estune fausse théologie... Cet emploi constant par Kusèbede eeoXoytix et OeoXoysïv, au sens de science du vraiDieu et du Christ, prépare une innovation qui va êtred'Eusèbe lui-même, dans un de ses tout derniers écrits(337 ou 33S) qu'il intitulera Ilepi -rijç èxxî.^a[,aoTi)fî)î6EoXoytaç. Eusèbe a consacré là le terme que le pseudo-Aréopaçite reprendra à son compte dans son Ilepi[iU(TTtXT)ç ôsoAoytaç. » P. Batiffol, art. cité, p. 218-319.

Quant à Denys, s'il reste dans la ligne d'un emploides mots OEo^oyte, OeoXéYOî, fréquent chez les Pèresgrecs, pour désigner l'Écriture sainte et les auteursinspirés de l'Écriture, il crée cette expression célèbrede « théologie mystique » et formule la distinctionclassique entre « une théologie cachée, mystique, sym-bolique et qui unit à Dieu, l'autre manifeste, plusconnue, philosophique et démonstrative ». Ëpist., ix.Il ne s'agit pas là de différentes parties de ce que nousappelons la théologie, mais de diverses manières deconsidérer et d'aborder son mystère. Denys est encorecélèbre en méthodologie théologique par sa notion de« théologie négative ». Mais, plus encore qu'une posi-tion de méthode, cette notion représente une positiondoctrinale liée à toute la synthèse de l'Aréopagite.

Dès lors, l'acception chrétienne de •: doctrinevéritable sur le vrai Dieu ' est acquise pour les Pèresgrecs. Une certaine spécialisation du mot va s'opérercependant, chez quelques-uns d'entre eux (Athanase,Grégoire de Nazianze), du fait des luttes trinitaires.Athanase emploie cinq tois le mot OecAoyta, et tou-jours au sens de sacra doctrina de Trinilale. Aussi trou-vons-nous le mot, chez saint Basiie, De ••spir. sancto,1845, pour désigner la divinité commune aux troispersonnes. Stigimayr, ar(. cité, p. 303. Grégoire deNazianze, survivant aux grands champions de l'ortho-doxie trinitaire, leur donnera le nom de ' théologiens ».Ibid., p. 304. C'est chez ces Pères de la fin du iv siècleque se fixe la distinction, demeurée classique dans lathéologie byzantine, entre la « théologie «, ou doctrineportant sur la divinité des trois personnes au sein dela Trinité, et 1' " économie », ou doctrine portant sur leVerbe dans le mystère de son incarnation.

Le mot ôeo^oyto prendra un sens spécial chez lesmoines et les écrivains mystiques; il désignera uneconnaissance de Dieu, la forme la plus haute de la« gnose » ou de cette illumination de l'âme par leSaint-Esprit qui est, plus que l'effet, la substancemême de sa divinisation ou transformation déiforme.Chez Évagre le Pontique, suivi par Maxime le Confes-seur et d'autres, la OeoÀoyÉa est le troisième et le plusélevé des degrés de la vie, c'est-à-dire celte connais-sance parfaite de Dieu qui s'identifie avec le sommetde la prière; et. M. Viller, Aux sources de la spiritualitéde saint Maxime, dans Revue d'ascétique et de mystique,1930, p. 164-165, 347 sq., 254.

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345 T H É O L O G I E . É T U D E H I S T O R I Q U E 346Chez Diadoque de Photicée, milieu du v" siècle, la

OeoXoyIcc implique, avec une semblable connaissancesupérieure de Dieu, une certaine Impulsien et une cer-taine grâce qui font exprimer en louange la douceur etla gloire du Dieu contemplé. Kaltenbusch, arl. cité,p. 203-204 ; D. M. Rothenhaeusier, La doctrine de la' Theologia i chez Diadoqae de Photikè, dan» Irénthon,1937, p. 536-553.

2" Les Latin!,. — Jusqu'à saint Augustin inclusive-ment, le mot theologia n'a pas, chez les Latins, son sensecclésiastique propre. Plusieurs Pères ne le connaî-tront même pas : ainsi Minucius Félix, saint Cyprien,saint Ambroise, Arnobe, Boèce et saint Grégoire. Onl'utilise, dans la polémique avec les païens, au sens oùceux-ci l'entendaient. Augustin, cependant, empruntele mot aux païens, s'appuie sur son sens étymologiquepour argumenter contre eux et, au nom des exigencesd'une vera theologia, les orienter vers le christianisme.De civ. Dei, 1. VI, c. vin, P. L., t. xi.ï,col. 186. Batiffol,art. cité, p. 209-210. Mais cette uera theologia n'estpour lui qu'une philosophie digne de ce nom, dont iltrouve un exemple authentique chez les platoniciens.Au delà de la iheologia falitilosa des poètes, au delàmême de la theologia naturaiis de Varron et des stoï-ciens, qui n'est qu'une interprétation du monde et unephysique, Augustin revendique une théologie plusfidèle à son objet. Dieu, et qui est pour lui la philoso-phie platonicienne. De civ. Dei, 1. VIII, c. i et v,col. 223 sq., et 229.

Il semble bien qu'il faille attendre jusqu'Abélardpour trouver le mot theologia avec le sens qu'il a pournous. J. Rivière, Theologia, dans Revue des sciencesTél., t. xvi, 1936, p. 47-57, qui a tait une étude critiquedétaillée de ce point, écarte les auteurs qu'on auraitpu faire prétendre à une priorité, comme Raoul Ardentet Honorius d'Autun avec son Elucidarium sive dia-logus, P. L., t. CLXXII, dont le sous-titre, De suimnatolius christianas théologies, est d'une authenticité dou-teuse; il montre que, si les titres à'Introdwtio ad ffieo-logiam et il'Epitome théologies christianse sont dus nonpas à l'auteur, mais aux éditeurs, si ce dernier ouvrage,désigné par Ahélard comme un Théologies iraciatus,est une monographie sur le dogme trinitaire où thw~logia n'aurait que le sens admis par plusieurs Pèresgrecs, par contre Abélard avait conçu une Somme dela doctrine chrétienne, dont il ne put rédiger que lespremières parties et qu'il désignait lui-même et lais-sait désigner par les autres du nom de theologia. En-core le mot sert-il ici à désigner le contenu concretd'un ouvrage portant sur l'ensemble des dogmes chré-tiens et non, abstraitement, une discipline comme lagéométrie ou la philosophie. Ibid,, p. 54. Au reste, dan»l'école d'Abélard, la tradilion se maintiendra, selonlaquelle theologia ne désigne que la doctrine portantsur le Dieu invisible, un et trine; ce qui concerne lachristologie et les sacrements sera désigné par le motbénéficia : ainsi en est-il dans les Senfentius Florianen-ses, éd. Ostlender, Bonn, p. 13; dans les SententiteParisienses, éd. LandgraÏ, dans Écrits théologiques liel'école d'A bélard, Louvain, 1934, p. 29; dans les Sen-tentsse Rolandi, éd. Gictl, p. 154-155, moins le motbénéficia; enfin, cl. Abélard lui-même, Jntrod. intheoL, l. 1, c. iv, P. L,, t. CLXXvm, col. 986 D et Epi'tome, a, nr et xxui, col. 1697 et 1730; mais VEpitomeest, d'après Ostlender, l'oeuvre du disciple d'Abélard,Hermann.

Il taudra quelque temps encore pour que theologiaprenne son sens cpistémologique. H semble bien quecelui-ci ne sera définitivement acquis que dîms le cou-rant du xm6 siècle. Et même trouverons-nous long-temps encore la théologie désignée par l'une ou l'autredes expressions qui avaient servi jusque là à la nom-mer : docirina christiana (saint Augustin), sacra scrip-

tura, sacra eruditio, sacra ou divina pagina, voirci-dessous, col. 354, enfin, sacra doctrina, qui est leterme dont saint Thomas se sert dans la première ques-tion de la Somme fMiilogique.

Les éditeurs ont, dans la suite, introduit le mot theo-logia dans le titre de plusieurs articles de cette ques-tion; mais, dans le texte authentique, ce mot ne se ren-contre que trois fois, I«, q. i, a- 1, obj. 2 et ad 2°°1;a. 3, sed contra, tandis que l'expression sacra doctrtnaou hœc docirina se rencontre près de quatre-vingts fois :et encore theologia n'y est-il pas pris au sens actuel dumot théologie, mais au sens étymologique de considé-ration ou discours sur Dieu. Dans d'autres œuvres desaint Thomas, on rencontre Iheotogia, soit au sensmoderne, pour désigner une certaine discipline biendéfinie, l'explication rationnelle du révélé, ainsi InBoet. de Trin., q. n, a. 3, ad 7""1; Contra Genl., ï. IV,c. xxv, soit dans le sens objectif concret d'une consi-dération faite du point de vue de Dieu ou de la causepremière, et non du point de vue de la nature propredes choses créées prises en elles-mêmes, ainsi Sum.Iheol., l'-II", q. LXXI, a. 6, ad Si»"', soit encore dans unsens qui comprend les deux précédents, Resp. superÎLII art. ad Mag. Ord., art. 42; enfin, il arrive à saintThomas d'évoquer la distinction des trois théologiesde Varron, Sum. theol., II»-!!16, q. xciv, a. 1 ; Com. inRom.,c. t, lect. 7 fin, et aussi d'éviter l'emploi des motstheologia, theologus, comme à Contra Cent., 1. II,c. iv, où l'opposition entre la connaissance naturelle etla connaissance surnaturelle n'est pas exprimée parl'opposition entre theologia et philosophw, mais parl'opposition entre doctrina philosophise et doctrinaftdei d'une part, philosophus et fidelis d'autre part.Mais, évidemment, seule une enquête exhaustivc per-mettrait des conclusions termes. Ce que nous venonsde dire suffit à inciter à la circonspection dans l'inter-prétation du vocabulaire de saint Thomas sur ce point,

II. LA THÉOL.OQIE. ÉTUDE HISTORIQUE. -~-Lorsqu'on aborde l'histoire de la notion de théologieproprement dite, on est tenté de prendre son point dedépart a la fin de la période patristique : saint JeanDamascène (f 749), pour l'Orient, le siècle qui s'étendentre, la mon de saint Isidore (f 636), et celle de saintBède (f 735), pour l'Occident. C'est ce que fait, parexemple. M, Grabmann dans sa Geschichie der katho-lischen Théologie, Fribourg-en-Br., 1933. Peut-être unetelle manière de procéder est-elle Inspirée par une con-ception un peu rigide de la thé,ologle, entendue d'em-blée comme une synthèse systématique des doctrineschrétiennes. Par quoi plusieurs auteurs sont amenés ànoter que les Pères n'ont guère tait de la « théologie s,puisque nous ne trouvons guère chez eux une synthèsesystématique de l'ensemble du dogme, mais plutôt destraités spéciaux visant à illustrer, pour l'édificationdes âmes, ou à défendre contre l'erreur, tel dogme par-ticulier : ainsi Dublanchy, à l'art. DOGMATIQUE, ici,t. iv, col. 1540 sq,, vt 1547; Grabmann, op. cit., p. 16.En conséquence, ces auteurs, lorsqu'ils énumèrent lesœuvres théologiques des Pères, s'en tiennent-ils àrecueillir les synthèses systématiques ou ce qui s'enrapproche le plus. L'exposé suivant justifiera, pen-sons-nous, un traitement plus large, et commenceraavec les origines mêmes du christianisme.

I.Avant saintAugustin. II. Saint Augustin (col. 350).III. L'herbage du VIe siècle (col. 353). IV. D'Alcuin auxir1 siècle (col. 360). V, La Renaissance du xu* siècle :la théologie sons le régime de la dialectique (col. 364).VI. L'âge d'or de la scolastique : la théologie sous lerégime de la métaphysique (col. 374). VII. Problèmesnouveaux et lignes nouvelles de la théologie moderne(col. 411) VIII. Coup d'œil sur la théologie du xvn»siècle à nos jours (col. 431 ).

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347 T H É O L O G I E — A V A N T S A I N T A U G U S T I N 348

I. AVANT SAINT AUGUSTIN. — Le christianisme seproposait, dans les origines, comme un f a i t , et un laitnouveau : le fait d'une vie nouvelle donnée par Dieudans le Christ et au nom du Christ. Le Christ était tou-tes choses et l'on trouvait en lui tout ce qu'on pouvaitdésirer de beau, de vrai et de pur. « Aussi le premiersentiment chrétien était, trouvant tout dans le Christ,de ne rien chercher en dehors de lui, c'est-à-dire endehors du Christ crucifié. »

Cette idée de la suffisance du Christ se répercutaiten celle de la suffisance de l'Écriture : idée qui seracommune aux Pères et aux scolastiques. Aux origines,cette idée était poussée jusqu'à la volonté non seule-ment de ne rien dire d'autre, c'est-à-dire de différent,que ce qu'on trouve dans l'Écriture, mais même de nerien dire de plus. L'idée traversera le Moyen Age et onla retrouvera encore chez les augustiniens du xin" siè-cle : Richard Fishacre, Roger Bacon, saint Bonaven-ture. Mais il faut bien ajouter que la manière de traiterl'Écriture donnait à cette restriction des limites rela-tivement larges et surtout que ce principe de la suf-fisance de l'Écriture sera partagé par des chrétiens quiferont une place aux sciences humaines et qu'il n'im-plique pas par lui-même la position radicale que nousvenons d'évoquer.

Pour les partisans de cette position, la philosophieet les philosophes étaient les grands ennemis, ou dumoins des maîtres Insuffisants et généralement trom-peurs. Petau a rassemblé, loc. cit., Proleg., c. m, p. 15-21, un grand nombre de textes des Pères contre laphilosophie; cf. Thomassin, Dogmata théologien, t. v,De proleg. theol., c. XXXV, éd. Vives, 1868, p. 211 sq.,et c. XLIV, n, 9, p. 275 sq. Il faut ajouter d'ailleurs quecette attitude à l'égard des philosophes et même dela philosophie ne repose pas, chez les Pères, sur unethéorie de la corruption radicale de celle-ci, mais plutôtsur le sentiment que les choses du salut appartiennentà un ordre supérieur à celui de la sagesse païenne,qu'elles ne sont pas un objet de pure spéculation ou depure curiosité intellectuelle. On sait d'autre part que,suivant une voie ouverte par l'apologétique juive,l'apologétique chrétienne déclarera empruntées auxLivres saints les vérités élevées qu'elle trouvait expri-mées par les philosophes grecs, idée que le MoyenAge héritera de saint Augustin, soit directement, soitpar l'intermédiaire de Cassiodore, Inst.,1. I, c. xvn,et qu'on retrouvera encore chez saint Thomas.

II y avait donc, dans le christianisme primitif, toutun courant défavorable à une démarche proprementspéculative en matière de foi et donc à la constitutiond'une théologie. Et cependant c'est un tait que, dansle christianisme, une science a procédé de la foi etqu'on s'y est formé très tôt une conception systéma-tisée au sujet de Dieu et du monde. Ad. Harnack,Dogmengesch., 1.1, 3' éd., p. 123 sq. ; -Die Entstehung derchristl. Théologie und des kircht. Dogmas, Gotha, 1927,p. 3 sq., et cf. aussi p. 78 sq., 84-87; F. Kattenbusch,art. Théologie, dans la Prot. Realencyktopâdie, t. xxi,p. 903 sq., et Zw Entstehung einer chrisilichen Théolo-gie, dans Zeitsch. /. Théologie und Kirche, 1930,p. 174 sq. A la source de cette nécessité, pour la foichrétienne, de se produire en une théologie, ces deuxauteurs reconnaissent l'existence d'un fait ; le faitdu Christ, et l'obligation où les chrétiens étaient, pourcroire, de concevoir le fait du Christ et, bientôt, deconstruire Intellectuellement le mystère lu Christ-Jésus.

Au vrai, plusieurs raisons rendaient nécessaire uneffort pour exprimer et élaborer l'intelligibilité hu-maine du mystère du Christ et du christianisme lui-même, c'est-à-dire rendaient nécessaire une activitéproprement théologique. Et nous voyons ces raisonsjouer effectivement dans l'antiquité chrétienne.

Et d'abord, la philosophie païenne était un fait, laculture païenne existait. Fatalement, une confronta-tion du christianisme avec elle devait s'imposer tôt outard. Voir dans cette philosophie et cette culture unemprunt à l'Écriture ou une appartenance du christia-nisme engageait plutôt à ne pas les rejeter et à com-poser avec elles. De fait, la théorie de l'emprunt ou del'appartenance tut d'abord celle des apologètes. Aussile christianisme que nous présentent les écrits desPères apologistes du IIe siècle, s'il est en son fond reçude la tradition apostolique et vécu dans l'Église, estaussi intellectuellement reconstruit selon des catégorieshomogènes à celles de la culture païenne. Gela est par-ticulièrement sensible chez Justin, cf. ici, t. vin, col.2228, mais aussi chez Tatien, Athénagore, MinuciusFélix. Les apologistes ont ainsi donné, dans l'Église,la première construction théologique de la fol chré-tienne.

Tout n'était pas dû, dans cette construction, aubesoin de la défense et au désir de lancer un pont entrela foi et le paganisme. Un second motif était dès lorsà l'œuvre ; le besoin spontané qu'a le croyant de pen-ser sa toi, même pour son propre compte, d'une ma-nière qui en mette les données en liaison avec sesconnaissances humaines et au niveau de sa culture. Lecas typique, Ici, est celui de Clément et de l'Écoled'Alexandrie. Clément, en effet, a conçu sinon avecune totale clarté, (lu moins avec résolution, un rapportpositif entre le christianisme et l'activité de la raison.De ce rapport, il a donné une formule concise en di-sant ; « La philosophie grecque, pour ainsi dire, purifiel'âme et la prépare d'avance à recevoir la foi, sur la-quelle la vérité édifie la gnose, n Strom., vu, 20,éd. Stàhlin, t. ni, p. 14. La philosophie et les scienceshumaines ont pour lui une valeur de propédeutique àl'égard de cette contemplation ou gnose, laquelle estl'état le plus élevé de la toi et de la vie chrétienne.Ainsi la philosophie coopère-t-elle à l'appréhension dela vérité, laquelle s'obtient sur la base de la foi com-mune, mais au delà d'elle, dans cette foi développée etparfaite qu'est la gnose. Clément définit les rapportsde la foi et de la gnose d'une manière qui montre quesa notion de gnose et notre notion de théologie sont deproches parentes : « La foi est pour ainsi dire une con-naissance, gnosis, élémentaire et abrégée des chosesnécessaires. La gnose est une démonstration ferme etstable de ce qu'on a reçu par la foi ; elle s'édifie sur latoi, par l'enseignement du Seigneur et passe à un étatde fermeté et de saisie intellectuelle. » Strom., vu, 57,p. 42; cf. aussi vu, 55, p. 40. Nous sommes loin del'atttlude intransigeante et raide de Tertullien.

Ce n'est pas que Clément n'admette, lui aussi, lasuffisance du christianisme. Le christianisme est pourlui « la vraie philosophie »; selon lui aussi, le Christ estnotre seul maître : « Puisque le Verbe lui-même estvenu du ciel vers nous, nous ne devons plus aller versun maître humain, ni nous occuper indiscrètementd'Athènes et du reste de la Grèce, ni non plus de l'Io-nie... Maintenant le Maître enseigne et désormais toutest devenu pour nous Athènes et la Grèce, grâce auVerbe. » Proirep., 112, éd. Stâblin, p. 79. Mais, à l'in-térieur de la foi, une forme de contemplation intel-lectuelle se constitue, qui en développe supérieure-ment l'intelligibilité, les virtualités. Le portrait dugnostique ou chrétien parfait est aussi celui d'uncontemplatif de la foi et serait, assez bien le portraitidéal du théologien.

E. de Faye, Clément d'Alexandrie. Stude sur les rapportsdu christianisme et de la p/iiîosophifl grecque au l ï 9 siècle,Pari'», 1906; H. Mayer, Jûdiscll-alexandriinsclle îieligions-philosophie wd christliche VSIerspekulation, dans FestgabeG. von Hertiing, Fribourg, 1913, p. 211-235; P. Camelot,Les idées de Clément d'Alexandrie sw l'utilisation des sciences,

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349 T H É O L O G I E . S A I N T A U G U S T I N 350et de la littérature profane, dans Rech. de science relig., t. xxi,1931, p. 38-66; le même. Clément d'Alexandrie tt l'utilisa-tion de la philosophie grecque, ibid., p. 6H-669.

Il faut dire d'ailleurs que, si Clément a esquissé déjàune théorie de la spéculation théologique, il n'a paslui-même composé cet exposé synthétique et systé-matique de la vérité chrétienne que son programmeappelait. Les Stromates, comme leur nom l'indique,tonnent plutôt « une esquisse bigarrée ». Mais le mou-vement était créé, la valeur propédeutique de la philo-sophie et des sciences humaines par rapport à uneactivité contemplative du croyant, nettement déflnie.Tout un mouvement de spéculation va se développer.Vers la fin du n" siècle, nous trouverons en Orient desécoles de théologie : en Gappadoce, à Édesse, Jéru-salem, Césarée, Antioche, mais surtout à Alexandrie, oùle « didascalée de la science sacrée » remonte au delà dePantene. On avait déjà pu voir, à Rome, avec Justin,Tatien, Rhodon, une sorte d'école catéchétique etapologétique; on a maintenant en Orient de véritablesécoles de spéculation religieuse ayant chacune sa tra-dition et son esprit.

Ortgène est le créateur de la première grande syn-thèse de théologie scientifique.

Du point de vue méthodologique, il occupe, dans ledéveloppement de la notion de théologie, une placeautrement importante qu'Irénée. Rt ceci à trois titres :il a (onde l'exégèse scientifique de l'Écriture; il a for-mulé une théorie de la connaissance religieuse; il acomposé le premier écrit de théologie proprement sys-tématique. — 1" Origène est demeuré, jusqu'en sesspéculations les plus hasardées, un bibliste; sonœuvre systématique, le Ilepi àp^ûv, est un commen-taire de textes bibliques qui a engagé la théologie, telleque la pratiqueront Athanase et les Cappadociens,dans un sens profondément ecclésiastique et biblique.— 2° Origène a proposé et mis en pratique une théoriede la connaissance religieuse qui accentuait la distinc-tion faite par Clément entre la foi et la gnose. Beau-coup moins philosophe que Clément, beaucoup plushomme d'Église aussi, il a pourtant séparé davantagela connaissance supérieure de la gnose et la foi com-mune, mettant ces deux connaissances en relationavec les deux sens de l'Écriture, le sens matériel et lesens allégorique ou spirituel. La gnose représenteainsi, chez Origène, un mode de connaissance et unmotif d'adhésion autres que le mode et le motif dela simple toi. Comme la toi pure, elle concerne certesles mystères, mais elle les aborde et s'en nourrit nonpar la vole des faits historiques et de leurs énoncés,mais par la voie d'une spéculation et dé raisons d'ordreidéologique, que seule la sagesse discerne.— 3° Origènea composé le premier grand ouvrage de théologie sys-tématique, le lispl àp^ûv, en quatre livres, où il esttraité successivement de Dieu et des êtres célestes, dumonde matériel et de l'homme, du libre arbitre et deses conséquences, enfin de l'Écriture sainte. Aprèsavoir, dans le prologue, distingué les objets que la pré-dication ecclésiastique impose à la croyance et ledomaine des élaborations ou des explications laissé àl'initiative du chercheur, Origène profite largement dela liberté de recherche ainsi définie. Mais on a notésupra, art. ORIOÈNE, t. xi, col. 1527 sq., et R. Cadiou,Le développement d'une théologie. Pression et aspirationdans Rech. de science rel., t. xxm, 1933, p. 411-429,qu'Origène a su se corriger lui-même et qu'en lui lecroyant et l'homme d'Église ont rectifié plusieurs foisle philosophe ou le spéculatiî hardi. Il a eu le soucitrès vif, dans son œuvre, d'assumer tout ce qu'il étaitpossible d'assumer. Un maître de pensée exigeante etexacte, un homme soucieux d'assimiler synthéllque-ment dans la pensée religieuse tout élément de véritéet de profiter de tout pour grandir spirituellement, tel

nous paraît Origène dans le souvenir fidèle de Grégoirele Thaumaturge, évêque de Néocésarée. Oral. paneq,,et. surtout n. 8, 11, 13, 14 fin, P. G., t. x, col. 1077,1081, 1087,1093.

Malgré leur grande importance au point de vue dog-matique, nous ne nous arrêterons pas sur les Cappado-ciens qui, ayant exercé vraiment une activité spécu-lative, n'en ont pas fait la théorie méthodologique.Mais Basile affirme très vigoureusement la nécessité decroire d'abord, Hom. in p s , czv, n. 1, P. G., t. XXX,col. 104 sq.; Epist., xxxvni, n. 5, P. G., t. xxxn,col. 336; mais quand on voit, par exemple dans cetteEpist., xxxvin, col. 335, 340, la fermeté et l'acri-bic avec lesquelles il distingue les notions d'essenceet d'hypostase, on doit conclure que la pensée chré-tienne est armée pour élaborer, construire et sys-tématiser le révélé, sur la base de la toi. Bien au delàd'une simple répétition des affirmations scripturaires,bien au delà d'un concordisme apologétique avec laphilosophie païenne, nous avons ici, au service d'uneperception et d'une expression plus précises du donnéchrétien, un usage de la raison et de ses ressources,qui est d'authentique théologie. P'ailleurs, Grégoirede Nazianze dira expressément qu'il ne faut pas crain-dre d'innover en matière d'expressions, pour les be-soins de la clarté. Oral., xxxix, n. 12, P. G., t. xxxvi,col. 348 B.

De saint Jérôme nous ne ferons mention que pour salettre fameuse à Magnus, qualifié d'Orator urbis Roms,P. L., t. xxn, col. 6G4-668. Cette lettre, en effet, oùJérôme justifie l'usage des lettres profanes, fut pourl'Église occidentale et singulièrement pour le MoyenAge latin, le ' lieu » propre où l'on alla chercher la tra-dition sur le point de l'utilisation des sciences humai-nes, des lettres et, d'une manière générale, des élé-ments rationnels dans les sciences sacrées.

II. SAINT AUGUSTIN. — Saint Augustin a conçu unethéorie très forte de la contemplation théologique;l'ayant lui-même appliquée, il a eu, sur le développe-ment de la théologie dans l'Église d'Occident, une in-fluence absolument prépondérante.

Les textes concernant cette conception de la théologiesont épars, mais on peut sa référer à quelques exposés plusexplicites et plus formels, qu'on trouvera par exemple dans ;Serm., xi-iu, P. L., t. xxxvill, col. 254 sq. (commentaire duNisi credideritls, non intelllgetis): Serm., cxv-n, n. 5 et 6,col. •'65 sq. (sur l'usage des similitudes) ; Epist., cxx, adConsendum, t. xxxill, col. 452-402 (sur les rapports de laratio et de la ftdes; 410); Eiiarr. in ps, G X V I I I , serin. xvin,surtout n. 3, t. xxxvn, col. 1552 (sur les rapports ducredere et de l'inlellectUs; 415); De Trinitate (entre 398et 416), surtout le 1. XV, t. XLII, col. 1057-1098; De dwtrina.christiana, 1. II, t. XXXTV, col. 35-66 (397 ; seconde réductionen 427).

Sur la contemplation théologique chez saint Augustin ;M. Schmaus, Die psychologische Trinitittsiehre des hl. Augua-tinus. Munster, 1937, surtout p. 169-190 (sa position tiléo-lugique) et 285-291 (scientia et sapifntia); F. Cayré, Lacontemplation augustinienne. Principes de la spiritualité desaint Augustin, Paris, 1927, surtout les c. vit-ix; Et. Gil-son. La philosophie de saint Augustin, Paris, 1929, chap. surla foi, sur la sagesse, at conclusion sur l'augustitiisme (surle point de vue do Gilson, et. les remarques de B. H'imeyer,dan» Archives de philos., t.. vu, 19:10, p. 201-213); Ch, Boyor,Philosophie et (f|('i>;09ic chez saint Augustin, dans Jitiiiic deptlilos., 1930, p. 503-518; H.-I. Marrou, Saint Augustin etla f t n de la culture antmue, Paris, 1938, surtout la II* et laIII* partie; B. Gagnebet, La nature de lit théologie spécula-tive, dans Revue thomiste, 1938, p. 3-17.

M. H.-I. Marrou, op. cit., a établi que saint Augustins'était d'abord converti, en 386, à la recherche exclusive dela sagesse, comportant la seule connaissance de soi-mêmeet de Uleu, et se subordonnant, pour cette connaissance,l'usage des arts libéraux, puisque, en 391, ordonné prêtreet évoque, il s'était ouvert au souci de l'action et à co quecelle-ci exigeait de connaissanco de l'ordre temporel, c'est-à-dire de scientia : le De diicirina christiana et la seconde

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351 T H É O L O G I E . S A I N T A U G U S T I N 352partie du De TrinHate sont l'expression de cotte introduc-tion do la seieittia au service d'une recherche, d'abordexclusive, de la sapientia, avec prédominance de colle-ci.En sorte que, finalement, ce changement dans la positiond'Augustin, capital au point de vue de ses idées sur la cul-ture, n'affecte pas la structure de sa pensée sur l'in(el;ec(ustidisi, sur la contemplation théologique et sur le rapport desconnaissances humaines à cette contemplation, qu'ellesallient ou non jusqu'à englober les sciences profanes. Nouspouvons donc prendre la pensée de saint Augustin en sonétat le plus développé, celui du De doctrina christiana et duDe Trinitale, 1. VIII sq., qui seront d'ailleurs les sourcesprincipales du Moyen Age, pour définir sa position sanstenir autrement compte du changement introduit dans sesvues vers 391.

Saint Augustin est un homme qui a trouvé la lu-mière, la vie et la joie de son intelligence dans la toi.Il a lui-même fait l'expérience que la toi ouvre lesyeux intérieurs de l'âme. Il y a une accession à la foi,dans laquelle la raison et les raisons jouent un rôle etil y a, par la toi et dans la foi, une guérisou, un appro-fondissement, un élargissement de l'esprit par uneffort d'intelligence et une activité de contemplation,en quoi consiste ce que nous appelons théologie. Cesdeux temps ont été très nettement marqués dans ladouble formule bien connue : intellige ut credas, credeut intelligas. Serm., XLIU, c. vu, n. 9, t. xxxviu,col. WS. La seconde partie de cette formule a été elle-même reprise un très grand nombre de fois par Augus-tin, sous la forme d'un texte d'Isaïe cité d'après lesSeptante, Nisi credideritis, non intelligetis (l'hébreueût voulu : non sutisisletis), Is., vu, 9. Augustin cite oucommente ce texte, par exemple : Serm., XLI«,t. xxxvtii, col. 254-258; Serin., cxxvi, n. 1, col. 698;De lib. arb., 1. I, c. n, n. 4, et 1. II, c. il, n. 6, t. xxxii,col. 1324 et 1243; De doctr. christ.. 1. II, c. xn, n. 17,t. xxxiv, col. 43; Epist., cxx, n. 3, t. xxxni, col. 453;En. in. ps. cxviii, serm. xviii, n. 3, t. xxxvn, col. 1552 ;Tract, xxix in Joan,, n. 6, t. xxxv, col. 1630; Demagisiro, c. xi, n. 37, t. xxxii, col. 1216. Cette for-mule augustinienne est reprise très souvent au MoyenAge. Par exemple chez saint Anselme, Proslogion, c. i,P. L., t. CLVIII, col. 227; De fide Trinitatis, c. «,col. 263; Hugues de Saint-Victor, Miscell; v, tit. 104,P. L., t. CLXXVII, col. 804; Richard de Saint-Victor,De Trin., i, 4, P. L., t. cxcvt, col. 892; Guillaumed'Auxerre, Summa aurea, prwî. ; Alexandre de Haies,Sum. fheol., 1. I, tract, intr., c. i, ad 3°111 et c. n, contra,b, éd. Quaracchi, t. i, p. 3; Kilwardby, De naturatheol.., éd. Stegmuller, p. 36; Saint Thomas, tn IwSent., prol-, a. ni, sol. 3; Stim. theol., II*-II", q. iv,a. 8, obj. 3 et q. vin, a. 5, obj. 3; Saint Bonaventure,Sernto « Chrisius unus omnium magtster », n. 15, éd.Quaracchi, t. v, p. 571 ; Hervé Nédellec, Dépensa doctr.S. Thomee, I» pars. De cous/s theol,, a. v, éd. Krebs,1912, p. 13*, etc.

Nous ne nous étendrons pas sur la première activitéde l'esprit, prenant place dans l'accession à la fol.Saint Augustin lui donne une grande importance etcela suffit à montrer le simplisme de tout jugementattribuant à Augustin une méconnaissance de lanature; cf. Epist., cxx, n. 3, P. L., t. xxxm, col. 453,etc.; Schmaus, op. cit., p. 172; Gitson, op. trt., p. 34;Romeyer, arl. cité; enfin ici, art. AUGUSTIN, t. i,col. 2338.

La foi ayant été reçue dans l'âme n'y est pas sansvie ni mouvement. Elle est, au contraire, une entréedans le monde de la vie éternelle et son mouvementinterne va à une certaine pénétration, une appréhen-sion, bref une intelligence de son objet. De lili. arb.,1. II, c. n, n. 6, t. xxxii, col. 1243. Augustin appelleintellecfiis ce fruit de la foi.

Augustin note d'ailleurs constamment que cetinlelleclus n'est pas le fruit d'une foi quelconque, une

pure connaissance ou un pur renseignement. Il est lefruit d'une foi « pieuse », c'est-à-dire pour laquelleDieu n'est pas un pur objet connu, mais aussi une finaimée vers laquelle s'oriente toute la vie. C'est cettepia fides, qui nous revêt de piété, qui a pour effet depurifier l'âme, de la guérir, de la mener enfin à cettevision ou à cette intelligence qui est le commencementde la vie céleste; cf. Schmaus, op. cit., p. 174; Cayré,op. ci(., p. 219 sq. ; Gilson, op. cit., p. 36-39.

Tel est Yintellecius augustinien : une contemplationde l'esprit croyant, aimant, qu'une vie conforme à safol et à son amour purifie et dilate. La foi, ici, joue sonplein rôle de forme totale de la vie humaine. L'hommese perfectionne, même en son intelligence d'homme,en croyant et en obéissant au mouvement de la toi.On tient là une attitude spécifiquement augustinienne:le refus de séparer la connaissance, qu'elle soit' science » ou « sagesse », de son usage et de sa valeurmorale, le refus d'en taire une pure réalité épistémo-logique, n'ayant pas, dans sa substance même, uneréférence à la fin dernière, à la béatitude; ultérieure-ment, le relus (l'une philosophie autonome et séparée;cf. Gilson, op. cit., p. 148 sq., et L'idée de philosophiechef saint Augustin et ches saint Thomas d'Aquin, dansActa hebd. augustinianse-thomistics (Romse, 1930),Turin-Rome, 1931, p. 75-87.

Cependant, pour englober toute la réalité de la viemorale, la contemplation théologique augustiniennen'en implique pas moins l'usage de toutes les ressour-ces des sens et de l'esprit. Augustin a conçu ici touteune dialectique de l'ascension de l'esprit vers Dieu,dont la vision d'Ostle constitue un immortel exemple,et le De Trinitate une mise en œuvre systématique.Pour monter vers Dieu dans ce mouvement, de re-cherche en quoi consiste l'exercice de la sagesse, l'âmeutilise d'abord les objets corporels, puis les ressourcesde la mémoire, c'esl-à-dire les acquisitions de l'esprit,enfin elle trouve Dieu en soi, dans la partie supérieurede la mémoire. Cf. Cayré, op. cit., p. 201 sq. Ce qui nousIntéresse ici, c'est l'utilisation, par l'âme en quêted'intelligence des mystères, de similitudes sensiblesd'abord, de toutes les ressources des sciences et desarts ensuite. C'est cet aspect de la théologie qu'Au-gustin qualifie de science, parce qu'il concerne direc-tement l'usage des choses créées, en vue de la com-préhension des divines, et dont il dit que la toi, la foisalutaire, qui mène à la béatitude, en est engendrée,nourrie, défendue et renforcée. De Trin., 1. XIV, c. i,n. 2, t. XLII, col. 1037. Augustin a fait de cet usagedes connaissances créées, pour la nourriture de la con-templation théologique, une application au mystèrede la Trinité. Le plan du De Trinitate est à cet égardsignificatif. Les sept premiers livres représentent assezbien le stade du credere; Augustin y établit l'existencedes trois personnes, étudie leurs attributs et répondaux objections qu'on peut taire au dogme, tout cela enmettant en œuvre les sources de la théologie, l'Écri-ture d'abord, les Pères ensuite; et. Schmaus, op. cit.,p. 179 sq. Les 1. VIII à XV forment une secondepartie, dont Augustin dit lui-même qu'il y procéderamodo interfère et qui répond assez bien à la recherchede l'intellectus. Or, l'intelligence du mystère sera cher-chée par l'examen et l'élaboration extrêmement pous-sée des images ou analogies du mystère que nouspouvons connaître. Ainsi tendra-t-on à l'inicllectusde la foi, c'est-à-dire à ce que videatiit mente ynod te-netur fide, 1. XV, c. xxvii, n. 49, col. 1096, grâce à desanalogies multiples et de plus en plus élevées allant,suivant un ordre qui n'exclut pas les digressions, desimages tirées des activités naturelles de l'homme,1. IX-XI, en passant par les images tirées de l'activitémorale du chrétien, 1. XII-XIII, jusqu'à l'image laplus parfaite, qui est celle de la sagesse, 1. XIV. Bien

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T H É O L O G I E . L ' H É R I T A G E D U Vie S I È C L E 354entendu, ces analogies ne sont pas des preuves, maisdes moyens de tendre à l'intelligence, qui ne valentque pour le croyant ; de ce chef, elles ne sont enten-dues que des dures poputi christiani et Vévêque d'Uip-pono les présente fidelibus, non infidelibus loquens.L. XV, c. xxvn, n. 48, col. 1095 et 1096. Au reste, onne soulignera jamais trop que tout cela suppose latoi, que l'intellectus repose essentiellement sur le cre-dere dont il est le fruit, et que ce credere lui-même estprincipalement réglé et défini par les Écritures.

C'est dans cette perspective qu'Augustin a revendi-qué très vivement la légitimité et l'utilité des étudesprofanes pour l'œuvre même de la sagesse chrétienne.Attitude capitale, qui devait déterminer, avec desnuances diverses, celle de tout le Moyen Age et detoute l'Église d'Occident; avec des nuances diverses,disons-nous, car l'antiintellectualisme extrême enprocédera, ou du moins s'en réclamera, tout autantque l'humanisme chrétien d'un saint Anselme ou desVictorins, ou même l'initiative de saint Thomas. Letexte essentiel est ici celui du De docfrina chrisfiana,1. II. Augustin veut mettre, au service de l'intelligencedes Écritures, toutes les ressources aptes à procurer ceservice : la connaissance des langues sacrées, celle dela nature des êtres, celle de la dialectique, qui permetde déceler et de réfuter les sophismes et enseigne l'artde la définition et de la division dus matières, sans le-quel aucune exposition de la vérité n'est possible; laconnaissance de l'éloquence, la science des nombres,l'histoire et le droit. Ct. Gilson, op. ct'(., p. 151 sq. Pro-gramme Immense, dont Augustin lui-même, puis leMoyen Age, ne réaliseront en somme qu'une partie, leMoyen Age théologique se limitant, dans son ensem-ble, à la culture de la grammaire et de la dialectique;cf. Marrou, op. c;(., p. 237-275. Ainsi Augustin a-t-ilsu, sans rejeter le principe primitif do la suffisance duchristianisme et des Écritures, assumer dans l'étudedo celles-ci et dans la pratique de celui-là, toutes lesressources viables du monde antique. Le programmeet l'esprit encyclopédiques du Moyen Age procéderonttout entiers de cette attitude.

III. L'nÉRiTACtE DU vr SIÈCLE. — La chrétientélatine, au point de vue de la manière dont elle conce-vra et pratiquera la théologie pendant près de dixsiècles, est déterminée, au vi" siècle, par deux grandsfacteurs : d'une part, l'héritage des Pères, au sein du-quel s'affirme incontestablement l'hégémonie reli-gieuse de saint Augustin, d'autre part l'héritage phi-losophique reçu de l'antiquité et en particulier de cer-tains écrits d'Aristote traduits et transmis par Boèce(f vers 525).

1° .L'héritage patrislique. •— Avant d'aborder l'his-toire de la notion de théologie dans la préscolastique,puis dans la scolastique médiévales, il est bon de fixerquelques-uns des traits de l'époque qui commence,principalement en son attitude à l'égard du donnéthéologique, telle que cette attitude s'est trouvéedéterminée par l'héritage reçu des Pères, et singuliè-rement de saint Augustin. L'influence de celui-ci a étéImmense. Grabmann, Gesch. der schol. Méthode, t. i,p. 125 sq., caractérise par ces quatre points les prin-cipaux aspects de cette influence : 1. L'idée de lavaleur propédeutique de la dialectique; 2. Une idéolo-gie de l'autorité s'appliquant aux rapports de la raisonet de la foi et tondant une manière positive d'envisagerces rapports; 3. L'exemple eti'influence d'une synthèsefortement systématisée, formulée dans des oeuvres quis'imposeront comme des modèles; 4. L'élaboration deplusieurs grandes questions, la création de la procé-dure à suivre dans les controverses, de. manières d'ar-gumenter, de toute une théorie de la connaissance reli-gieuse, enfin d'une langue dogmatique. Cf. aussiM. Grabmann, Augustiw Lehre von Glauben und Wis-

sen und ihr Einfluss auf das miffelalferliche Denken,dans Mittelalierliches Geisfesleben, t. Il, Munich, 1936,p. 35-62 ; W. Schulz, Der Einfluss der Gedanken Au gus-tins liber das VerhSItnis von ratio und fides in der Théo-logie des S. und 9. Jahrhunderis, dans Zeitsch. f . Kir-chengesch., t. xxxiv, 1913, p. 323-359; ...im 11. Jahr-hundert, ibid., t. xxxv, 1914, p. 9-39.

Du point de vue qui est le nôtre Ici, l'héritagepatrislique semble comporter particulièrement lespoints suivants :

1. Utilisation de l'Écriture.—L'activité théologiqueest un effort pour pénétrer le sens et le contenu del'Écriture, qui est la parole de Dieu. Le principe de lasuffisance de la Bible est le premier legs des Pères. Ceprincipe sera maintenu et vécu par le Moyen Age sansatténuation : saint Anselme n'introduira des activitésde spéculation qu'en disant que l'Écriture les contient,De cône. prassc. Dei cum lib. arb., q. ni, c. vi, P, L,,t. CL vin, col. 528 C; Abélard présentera la synthèsethéologique qu'il tente pour la première fois commeune i Introduction à l'Écriture sainte » :

SU tibi, quaeso, Trequens Scripturae lectio sacrée,Caetera si qua logas otilnia propter eain (P. L,, t. CLXXVIII,

col. 176(ft.

Jusqu'à la fin du xii" siècle, la théologie sera essentiel-lement et, on peut dire, exclusivement biblique; elles'appellera sacra pagina ou suera scriplura (voir plusloin).

Le Moyen Age héritera aussi des Pères, et singuliè-rement de saint Augustin cl: de saint Grégoire, les mé-thodes d'aborder et de traiter le texte scripturaire. Cesméthodes lui seront transmises tant par les textesoriginaux que par les florilèges, les Senienliy. et ulté-rieurement par les Gloses. Cette exégèse est carac-térisée en particulier par :

a ) Un usage des transpositions allégoriques, devenu,au delà du sens historique, comme une secondemanière de lire ou d'entendre le texte. Exemple : dufait que les proportions assignées par la Genèse àl'arche de Noë sont celles-là mêmes que la traditionattribue au corps humain, Augustin déduit que l'archeest la figure de l'homme par excellence, le ChristJésus, auquel nous devons le salut comme Noé auvaisseau de bois. De du. Dei, 1. XV, c. xxvi, n. 1,P, L., t. XLI, col. 472; cf. Marron, op. cit., p. 44S sq.

b ) Un traitement du texte biblique avec les res-sources de la grammaire latine beaucoup plus qu'aveccelles de l'histoire, de la connaissance des languesbibliques, hébreu el grec, et du milieu géographique,historique et culturel dans lequel les faits bibliques sesont déroulés et les récits bibliques furent rédigés.D'où un effort et une subtilité d'interprétation dé-pensés pour des textes dont la connaissance de l'his-toire aurait livré le sens exact, sans mystère. Exem-ple : l'interprétation, par saint Augustin, Enar. in ps.vin, n, 10, P. L., t. xxxvi, col. 113, de cet hébraïsme :« Qu'est-ce que l'homme pour que tu te souviennes delui, le fils de l'homme pour que tu en prennes soin? n

2. Utilisation des arts libéraux. — Le Moyen Agereçoit des Pères, et surtout de saint Augustin, l'idéeque les sciences ou les arts profanes, les arts libéraux,appartiennent de droit au Christ et qu'il faut les rendreà leur vrai maître en les faisant servir à une intelli-gence plus approfondie des Écritures. Les anathèmesdu début contre le savoir humain ne se sont pas géné-ralisés et n'ont pas duré. Très tôt on a su, sans rienabandonner du principe de la suffisance du christia-nisme et du caractère absolument original et nouveaudes faits chrétiens, leur annexer et leur subordonnerles ressources élaborées par la raison païenne. On atrès tôt exploité en ce sens l'allégorie des Hébreuxemportant les vases d'or et d'argent des Égyptiens,

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Ex., xi, 2; in, 22 et XTI, 35, ou encore l'alléfiorle de.David tuant Goliath proprio mueront, ou enfin, à lasuite de Philon, l'allégorie de Sara et d'Agar, celle-cireprésentant la science humaine dont il fallait qu'Abra-ham eût un fils avant d'en avoir un de la femme libre.Ces symboles illustrant l'idée de la valeur propédeu-tique et auxiliaire (les sciences profanes, traverseronttout le Moyen Age; on les retrouve jusqu'en pleinXIIIe siècle.

Celle conception <le la valeur auxiliaire et propé-deutique des diverses branches du savoir humain estcommune dans la période que nous abordons. Formu-lée par saint Augustin, De ordine, 1. II, c. xvi, P. L,,t. xxxii, col. 1015, et par Cassiodore, Institutiones,P. L., t. LXX, i;ol. 1105 sq., par saint Grégoire, I n1 Reu. expot., v, 30, P. L., t. LXXIX. col. 355 D etEpist,, 1. XI. cp. LIV, P. L., t. LXXVU, col. 1171. et parsaint lsi(^o'•e. 0*0.. celte conrcption s'exprimera a l'étatd'institu'ion riiins le régime scolaire ëiabli par Alcuin.D'une manit'n' pl ' is aéiu'r;dr. cette notion existeraian Moyen Agi', il.in-i l:i structure mêmr de la culture,laquelle est <';>r;>clt''risé'' comme un ordre déterminépar la sulxi" 'i : i l i i>n a la scienrr sacn'e et la mise àson servi^•t•dl ' !•l^l ' . l"s cléments de ruUure.allirsqu'ellp-même ' s rsscii.it'ilument conçue Comme l'explica-tion, la pénéirati ' .n ci l'illusir.'ition d'un texte, la Bible,Ceci est carart érii'i Klue du Moyen Age et de sa civilisa-tion essenlidieincnl Ihcologique. Sans nier que cettecivilisation n'ail englobé bien des tendances laïques,sans affirmer que la cullurc protanc ou scientifique n'yait jamais été conçur ou pratiquée que comme unechose subordonnée à la théologie, la culture médiévale«era en effet, dans son ensemble, caractérisée par sa ré-férence à la Révélation et au salut. Aussi bien est-elleessentiellement une chose d'P-gliie. un bien de chré-tienté, puisque le monde cullivé s'identifie à celui desclercs et que l'enseignement est exclusivement auxmains (le l'Église. Les écoles et les universités obéiront,bien ou mat. à la loi de cette culture théologique et àl'idéal de la théologie-reine, servie et précédée par lesarts et les sciences, ses servantes; et, H. Déni Ile, DieEntstehung der Uniiiersitaten des Mittelalters tlis 1400,t. i, Berlin, 1895, p. 98 sq. Nous retrouverons auxiil8 sièc.le, dans cette pure ligne augustinienne, lalettre de Grégoire IX à l'université de Paris et l'opus-cule de saint. Bonaventure, au titre étonnamment sug-gestif, même s'il n'est pas de Bonaventure lui-même,Reduclio arlium ad theologiam.

On connaît la formule célèbre dans laquelle la tradi-tion a fixé le rapport à la théologie des autres élémentsde culture : Philosiiphia ancilla théologies, scientiaanrilla théologie. Cette formule n'est pas une créationdu Moyen Age. On la trouve chez Philon pour expri-mer l'effort d'un premier humanisme théologique aubénéfice de la sacra pagina ()e l'Ancien Testament juif,E. Bréhter, Les idées philosophiques et religieuses dePhilon d'Alexandrie, 2e éd., Paris, 1925, p. 287-293; onla trouve équivalemment. chez les Pères grecs, utiliséedans le même sens : chez Clément d'Alexandrie, Gré-goire de Nazianze, Jean Damascène; et. Grabmann,Gesch. der itchol. Meth., 1.1, p. 109; on la trouve chezles auteurs médiévaux avec une telle abondance qu'ondoit renoncer ici à faire un relevé des textes.

3. Importance du « texte v et du commentaire. — Onen revient complètement de l'idée d'un Moyen Agequi ne serait, entre deux grandes époques créatrices,l'Antiquité et les Temps modernes, qu'une longueléthargie de l'esprit. Il est cependant indéniable, aupoint de vue de la pensée religieuse et plus spéciale-ment de la théologie, que le Moyen Age s'est considérésurtout comme ayant reçu un héritage et devant legarder et l'assimiler. On a noté, comme l'un des traitsdu Haut Moyen Age, une certaine passivité dans l'uti-

lisation des sources, la rareté des traductions nouvellesd'œuvres anciennes, un certain caractère de mondefermé. A. Van de Vyver, Les étapes du développementphilosophique du haut Moyen Age, dans Revue belgede philologie et d'histoire, t. vin, 1939, p. 425 sq. Plustard encore, même lorsqu'ils feront effectivementpreuve de la plus grande initiative, les penseurs duMoyen Age couvriront leur production personnelled'une étiquette homologuée. Il y a là un fait notableel qui intéresse au premier chef le développement de laméthodologie théologique. Pour le Moyen Age il ya un donné qui doit, être reçu tel quel et qu'on doitseulement chercher à commenter. L'oeuvre intellec-tuelle se présente comme l'assimilation d'un texte, lecommentaire d'un auteur reçu. L'enseignement, dansles écoles, revêt essentiellement la forme d'une expli-cation de texte. L'acte essentiel et le régime normal dela pédagogie médiévale sera la lecture, lectio; le maître,le docteur, s'appellera un lector. Paré-Brunet-Trem-blay. op. cit., p. 110 sq.

Qu'on relise le prologue des Sentences de PierreLombard ; on verra que ce livre, qui servira lui-mêmede « texte » jusqu'en plein xvn" siècle, se présentecomme une pure compilation de ce que les Pères ontdit : In quo majorum exempta doctrinamque reperies...hrevi volumine compticans Patrum sententias, éd. Qua-racchi, t. i, p. 3. Ailleurs, se demandant quid si!originale peccattim, le Lombard fait cette réflexion quien dit long sur les catégories habituelles et l'attitudespontanée de son esprit : De hue sancti doctores subob-scure lortili sunt, atque 'scholastici lectures varie senserunt,1. II, di-it. XXX, c, vi, p. 462. Ainsi, pour un homme duMoyen Age, l'ensemble des penseurs chrétiens se diviseen deux cal cgories : il y a d'une part les sancti doctores,ou tout simplement les sancti, qui lont désormaisautorité, et, d'antre part, les scholastici lectores, ceuxqui, dans le régime scolaire en vigueur dans l'Église," lisent ', c'est-à-dire commentent les précédents.Abélard lui-même, dans le prologue du Sic et non,laisse percer la conviction générale du Moyen Age, se-lon laquelle 11 taut interpréter les Pères, dont on n'aplus l'inspiration et la grâce créatrice. Il est importantà cet égard de noter que les œuvres des Pères furentsouvent rangées dans la Scriptura sacra, avec les con-ciles et les canons faisant, avec la Bible elle-même,l'objet de la lectio ou du commentaire : assimilationrelative, dont personne ne sera dupe cl qu'un saintThomas mettra plus tard au point. Sum. theol., I»,q. i, a. 8, ad 2"".

Les auctores, ou adores, ou aulores, sont les écrivainsqui, en chaque matière, font « autorilé », auciorilates,et servent de modèle. Déjà, dans la langue classique,auctor désignait non seulement celui qui avait faitune œuvre quelconque, mais celui qui avait qualitéjuridique ou dignité pour la faire. Le Code de Justinlenopposait aux exempta les aulhenlica el originalia re-scripta et, dans le droit ecclésiastique, le pape Grégoireemploiera ce même vocabulaire. Par métonymie, lemot aucloritas signifiera non plus la dignité dont estrevêtu un auteur ou son œuvre, mais le texte mêmequ'on invoque. C'est avec cette ultime significationque le mot circule, appliqué aux textes patristiques,dans tout le haut Moyen Age chez les compilateurs desentences, d'aucloritates. Le mot implique, avec celled'origine, l'idée d'autorité. Le fameuit Decretum delibris recipiendis et non recipiendis attribué au papeGélase, qui pénètre au ix" siècle dans les collectionscanoniques, apportait officiellement un premier dis-cernement entre les livres rejetés et ce qu'on appellerala descripfio authenUcarum scripturarum ('Hincmar deReims), les libri authenlici quos recepif Ecclesia (Yvesde Chartres). Abélard s'y référera pour composer sonSic et non, P. L., t. CLVIII, col. 1549. L'usage attribua

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357 T H É O L O G I E . L ' H É R I T A G E D U Vie S I È C L E 358d'une manière assez constante la qualité d'auctorliâtesaux textes des Pères et de certains auteurs ecclésias-tiques. Et ces auctwilates furent considérées comme undonné indiscuté, qu'on pouvait bien interpréter, maisnon récuser ou nier. Ct. M.-D. Chenu, « Authenfica » et« Magisiralia n. Deux lieux théologiques aux xil"-zilt' siècles, dans Dious Thomas, Plaisance, 1925,p. 257-285.

Le Moyen Age reprendra un procédé déjà employéavant lui : il constituera, de ces textes qui étalent pourlui un donné de base, des recueils accessibles et pra-tiques. On recourra d'abord au procédé de la defloratio,constitution de flores des Pères, de « chaînes » et de* florilèges », puis aux recueils de Sententise, assumantun certain travail d'harmonisation. Beaucoup decitations, d' ' autorités « reproduites dans les œuvresthéologiques du Moyen Age viendront non d'une lec-ture directe des textes intégraux, mais d'une utilisa-tion de florilèges et île recueils. CI. Grabmann, Gesch.der sehol. Méthode, t. i, p. 92, 114-116 et t. n, p. 82,pour le» Grecs; t. i, p. 182-188 et t. n, p. 81 sq. pourles Latins.

Dès qu'on travaille sur un donné considéré commen'imposant sans discussion, on doit en affirmer l'homo-généité et l'on est ainsi conduit à s'engager dans lavoie d'une exégèse plus ou moins laborieuse, qui ré-duise les discordances et résolve les conflits. Dès ledébut, les Pères avaient tait ce travail pour le textebiblique, en particulier en vue d'établir la concordancede l'Ancien et du Nouveau Testament; quand lesPères turent, eux-mêmes traités comme un « texte », untravail analogue fut poursuivi à leur sujet. Le MoyenAge, en effet, ignorait le point de vue historique quipermet, en situant un texte dans les circonstances deses origines, d'établir son sens et sa portée et ainsi deréduire son apparente opposition avec un autre textede sens et de portée différents. D'où, à côté d'interpré-tations d'un sens historique et critique tout à faitnotable, toute une jurisprudence théologique d'inter-prétation des textes. La fortune d'un auteur de secondordre, comme Pierre Lombard, viendra en partie deson succès à établir une espèce de nia média théologi-que et à concilier, dans un respect total, les autorités.On consultera sur tout cela ; J. de Ghellinck, op. cit.,p. 22-28, 45 sq., 73 sq., 102 sq. (Sic et non d'AbéIard),137 sq. (Pierre Lombard), 317-338 (les canonistes),351-355 (sur le principe Non sunt adversi, sed diuersi,qu'Abélaril évoque au début du S;'c et non, en suggé-rant son insuffisance et son inefficacité) ; Chenu, art.cité, en particulier p. 276 sq. (sur Vexpositio rêverons);M. Riquet, Saint Thomas et les i Aactorilales » en phi-losophie, dans Areh. de philos., t. ni, 1925, p. 117-155;J. Cottiaux, dans Revue d'histoire ecclés., 1932, p. 796.

2° L'héritage philosophique. — II ne s'agit pas pournous ici de relever le contenu matériel de l'apport phi-losophique à la pensée des Pères ou même du MoyenAge : voir les articles ARISTOTÉUSME DE LA SCOLAS-TIQUE et PLATONISME DBS PfeREs; mais bien de noterbrièvement l'héritage que le Moyen Age reçoit del'Antiquité quant à la structure méthodologique dutravail théologique. De ce point de vue, il s'agit sur-tout d'Aristote.

1. Aristote chez les Pères. — Aristote intervient rela-tivement peu chez les Pères; ceux-ci le soupçonne-raient plutôt d'inspirer des hérésies. Si l'on se place aupoint de vue de la méthode, son influence se montraplus considérable, mais elle fut plutôt tardive. Laméthode aristotélicienne du problema et de l'apories'imposa et eut une influence dans le néoplatonismedes premiers siècles chrétiens avant d'en avoir unedans la patristique proprement dite des vi* et vu' siè-cles; dès lors, Aristote joue un rôle, en techniquethéologique, dans la pensée des Pères orientaux : ainsi

chez Léonce de Byzance, chez qui l'on trouve nonseulement la technique de la « question » aristotéli-cienne, mais une utilisation, d'ailleurs nullement ser-vile, des catégories philosophiques du Stagirite dansl'approfondissement de la christologie. Cf. M. Richard,Léonce et Pamphile, dans Revue des sciences philos, cifhéol; t. xxvn, 1938, p. 27-52.

Mais c'est surtout chez saint Jean Damascène quecette double influence d'Aristote, méthodologique etidéologique, est remarquable. On a pu faire, entreJean Damascène et les scolastiques, des rapproche-ments qui ne sont pas tout extérieurs. De fait, laSource de la connaissance représente un exposé synthé-tique de la doctrine chrétienne. Mais il est encore plusnotable que Jean Damascène commence par desKeçàXaiix quXoooywà, des chapitres philosophiques,qui groupent, à titre d'introduction à l'exposé desdogmes, des définitions philosophiques empruntéesaux philosophes, surtout à Aristote et à Porphyre,ainsi qu'aux Pères de l'Église. Par ce souci de précisiontechnique, par l'usage fait de la philosophie d'Aristoteen plusieurs questions théologiques, par exemple enmorale, par une certaine élaboration du traité métho-dologique De nominibus Dei, Jean Damascène a exercéune réelle Influence sur le développement de la théo-logie. Influence d'ailleurs assez tardive pour ce quiest de l'Occident, puisque notre docteur n'y fut connuque vers le milieu du xii" siècle.

Sur Aristota chez les Pères ; P. d'Héroiiville, Quelquestraces d'aristotélisme chez saint Grégoire de Naîianie, dansRech. de science relig,, 1918, p. 395-398; G. Bardy, Pau; deSamosate, Paris, 1923, p. 292 sq.; P. Hendrix, De Alexon-drijnsche Hmesiarcit Basilides..., Dordrecht, 1826, p. 114-117; V. Valdenberg, La philosophie byzantine aux IV' etV siècles, dans Bmcaitwn. t. iv, 1829, p. 237-268; J. deGhellinck, Quelques appréciations de ia dialectique d'Aris-tote durant les conflits trinitaires du IV' siècle, dans Hevued'hist. ecclés., 1930, p. 5-42; G. Hardy, Origéne et l'aristoté-lisme, dans Mélanges Gloti, Paris, 1932, t. i, p. 75-83;A.-M. Featugière, L'idéal reltyieux des Grecs et l'Evangile,Paris, 1932, p. 221-263; R. Arnou, Unité numérique etunité de native chei les Pères après le concile de JVicAs, dans(îrefforfoniini, 1934, p. 242-254.

2. Introduction d'Arislote en Occident par Soèce. —On ne sait exactement si Boèce (f vers 525) traduisitl'œuvre entière d'Aristote, mais il est bien certain queseules furent connues du Moyen Age les œuvres logi-ques du Philosophe dans la traduction de Boèce : àsavoir les Catégories et le Périherménéias, à quoi il fautajouter une traduction revue par Boèce sur celle deMarius Victorinus de YIsagogè de Porphyre ; le toutformant la Logica vêtus en attendant qu'une traduc-tion des Analytica priora et posferiora, des Topiques,des Sophistici elenchi donne, entre 1120 et 1160, laLogica nova. C'est donc comme un maître de penserqu'Aristote est reçu par le haut Moyen Age; plus pré-cisément d'abord comme un maître de grammaire,ensuite comme un maître de raisonnement, en atten-dant qu'il le soit, au xin6 siècle, comme un maître dansla connaissance de l'homme et du monde.

Boèce apportait encore au Moyen Age, outre unexemple d'application des catégories rationnelles auxdogmes chrétiens, qui aura une grande influence, uneclassification des sciences inspirée d'Aristote, qui dis-tinguait, dans la philosophie, très spéculatives partes,naluralis, mathemaiica ei theologica, cf. De Trinitate,c. n, P. L., t, LXIV, col, 1250; comp. In Porphyr.,t. LXIII, col. 11 B. Cette division sera adoptée d'unefaçon courante au xii" siècle : on la retrouve chezGerbert, Hugues de Saint-Victor, Raoul Ardent, Cla-rembald d'Arras, etc. Mais il n'y a là qu'une division dela philosophie, et la « théologie » n'y est nullementconsidérée comme une élaboration systématique durévélé, mais comme une partie de la philosophie

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359 T I ï É O L O G I E . D ' A L C U I N AU XIIe S I È C L E 360jouissant d'un defiré défini d'abstraction et de spiri-tualilé. Clarembald d'Arras, éd. Jansen, p. 29* sq.,identifie formellement, theologiîare et [Jhilosophari deDM, sans d'ailleurs qu'on doive introduire dans untel texte notre actuelle distinction entre philosophieet théologie.

J. Mariétan, Problème de la classification des sciencesd'Arislote à saint Thomas, Silint-Mauricu, 1901, p. 63 sq.(Buèce), 133 sq. (Hugues do Saint-Viclor); L. liaur, Domi-nicus Oundissalinus, De divisiiine philosophias, Munster,1903, p. 201, 3.îl.etc.; (ïrabinann, Gesctt, dcrschol, Méthode,1.1, p. 253 sq. (Raoul Ardent, qu'à tort txrahmann croyaitalors antérieur à Iluaues), t. n, p. 30 îiq., 42 sq., etc.; DcrKommentare des Ctarettbaldtts von Arras zu HoetIliusDe Tri-nilale, hrsg. von W. Jnnsen, Bresiau, 1926, p. S* et 9*, 27"-30*, 36*. p. 36-37 et 42.

3. Les trois « entrées « d'Arislote, — S'il est vraiqu'une théologie se caractérise, du moins pour sa par-tie spéculative, par l'usage qu'elle lait de la raisondans la construction du donné chrétien. 11 faut bienavouer que le travail théoloKiquc devait se trouvermodifié dans son statut même par l'application quilui serait faite tour à tour de ferments philosophiquesdifférents. Dans la mesure où Aristote fut par exrel-lence le ferment philosophique de la théologie médié-vale, on peut dire que les différents aspects que l'onconnut successivement du lui déterminèrent pour cettethéologie différents régimes méthodologiques. Or,l'oeuvre d'Aristote tut transmise en trois élapes à lapensée théologique de l'Occident. C'est ce qu'on peutappeler les trois « entrées » d'Arislote.

La première entrée est celle île la Logira vêtus quiapporte, dans les Catégories, une analyse et une clas-sification des notions et, dans le Périhermenélas, uneanalyse des propositions. C'étaient donc surtout desinstruments rationnels d'analyse textuelle des énon-cés, dont le Haut Moyen Age disposait ainsi. Aussiconçoit-on que, orienté par ailleurs vers la Bible etles écrits des Pères, il ait conçu la théologie surtoutcomme une connaissance de la Bible fondée sur lagrammaire. L'exemple de saint Augustin l'engageaiten ce sens et, si ce docteur avait (ail place à une con-naissance « scientifique « de la nature des choses, cettepartie de son programme, mal observée par lui-même,ne devait être remplie qu'après la troisième entréed'Aristote, dans l'effort d'Albert le Grand et de saintThomas. L'élude IhéolciRique, jusqu'à saint Anselme,reste en gros sous le régime de la grammaire.

La deuxième « entrée « d'Aristole apporte, auxii° siècle, les trois autres livres de VOrganon : les/"• et II" Analytiques, c'est-à-dire une étude scienti-fique du syllogisme et des différentes espèces dedémonstration, les Topiques cl les Problèmes sophis-tiques, c'esl-à-dire une étude scientifique du raisonne-nient probable et de ses différents « lieux '. Au total,une théorie du savoir et de la démonstration. A quoirépondra, avec la naissance des écoles urbaines, unethéologie qui se formulera en « problèmes », en « ques-tions », par une application de la raison qui discourt,d'abord au texte, puis aux problèmes spéculatifs eux-mêmes, Indépendamment du texte. C'est ce qu'onpourrait appeler une théologie sous le régime de ladialectique, en entendant ce mot au srns général detraitement par le raisonnement logique. Ceci dit sansméconnaître le caractère encore profondément tradi-tionnel de la théologie au xii" siècle et sa continuitéavec les procédés hérités de l'époque patristiquc et desécoles du haut Moyen Age.

La troisième « entrée » d'Aristote, au début duxin" siècle, apporte à la science sacrée un formentphilosophique qui n'est plus purement formel, maisqui concerne l'ordre même des objets et le contenu dela pensée : Aristole s'introduit dans la pensée chré-

tienne non plus comme un maître de raisonnement,mais comme un maître en la connaissance de l'hommeet du monde; il apporte une métaphysique, une psy'chologie, une éthique. La théologie se constitue alors,du moins avec Albert le Grand et saint Thomas, sousle régime de la philosophie. Nous verrons quels pro-blèmes un semblable apport ne pouvait manquer deposer. Du jour où Aristote apportait une philosophiede l'homme, des natures et de la réalité, ne mettait-ilpas en péril la souveraineté exclusive du révélé dansla teneur même de la pensée théologique? La craintequ'il en fût ainsi inspira, comme nous le verrons, unmouvement de réaction qui était en même temps unmouvement de fidélité à saint Augustin et aux Pères.

IV.. D'ALCUIN AU XIIe SIÈCLE. — 1° A/CliI'/l. Lathéologie sous le régime de ta grammaire. — Le travailthéologiquo dans le haut Moyen Age est principale-ment dépendant de la résurrection des écoles sous l'ins-piration de Charlemagne et la direction d'Alcuin.Cette réforme, qui stabilise dans la Chrétienté occi-dentale l'institution d'un enseignement des sept artsrépartis en trivium et quadrivium en vue de l'étude dela sacra pagina, s'inspire explicitement de saint Au-gustin, de Cassiodore, et subsidiairement d'Isidore :Augustin, De ordine, 1. II, c. xvi, P. L., t. xxxii,col. 1015; Cassiodore, Institutiones, P. L., t. LXX,col. 1105-1250 et -De artibiis ac disciplinis, t. i.xix,col. 1149-1220; Isidore, Eigmologise, I. I-ITI, P. L.,t. LXXXII, col. 73-184. Par ces hommes d'Église, c'estl'héritage de la culture gréco-romaine qui est transmisaux chrétientés nées parmi le.s peuples barbares. Lesarts libéraux comportent un premier groupementplutôt llltéralrc, grammaire, dialectique et rhétorique,le trivium, et un second groupement plutôt « scienti-fique », arithmétique, géométrie, musique et astro-nomie, le quadriuium. Ces arts sont étudiés pour eux-mêmes dans les écoles carolingiennes et il n'est nul-lement prescrit qu'ils se terminent par l'étude de lathéologie; mais on tient que, pour cette étude, ilsont une valeur propédeutique. Car l'Écriture contienttoute sagesse et toute vérité, mais elle constitue aussiun livre obscur, pour l'intelligence duquel il y a lieud'utiliser le service des sciences humaines. C'est latradition héritée de saint Augustin. Cf. Alcuin, Degrnmmaiica, P. L; t. ci, col. 853 sq.; cf. col. 952, 959.Même enseignement sur la suffisance ou la perfectionde l'Écrilure chez Raban Maur, De cleric. inst., 1. III,c. n, P. L., t. cvn. col. 379; sur la valeur pédagogiqueet auxiliaire des arts libéraux chez Bède, De schem,et tropis, P. L., t. xc, col. 175; chez Raban Maur,op. cit., I. III, c. xviii sq., col. 395 sq.; chez ScotÉrigène, s'inspirant de Denys, Expos. super Hier. csel.,t. cxxn, P. L., col, 139.

Alcuin parle en général des sept arts libéraux; il a,dans son De f t d e S. T-initatis, revendiqué, P. L., t. ci,col. 12, et pratiqué l'usage de la dialectique dans letraitement des mystères; mieux, il a lui-même écrit unDr. diatfclica, P. L., t. ci, col. 951 sq., où il montreun sentiment exact du rôle de cet art. La dialectique,c'est le raisonnement qui conclut avec nécessité.Cependant, la pensée théologique de l'époque carolin-gienne est indiscutablement caractérisée par uneapplication au donné chrétien non tant de la dialec-tique que de la grammaire, non tant du raisonnement,qui prouve, que de la science de;; mots et des énoncés,qui explique. L'emploi de la dialectique, entre l'épo-que d'Alcuin et celle d'Abélard, restera en sommesporadique et occasionnel. Saint Augustin avait déjànoté l'utilité, pour une Intelligence plus précise del'Écriture, do la connaissance des schemafa et des/rop; ; De doctr. christ., 1. III, C. xxix, n. 40, P. L.,t. xxxiv, col. 80; De Trin., 1. XV, c. ix, t, XLII, col.1068. La réforme carolingienne faisait, de cette con-

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361 T H É O L O G I E . D ' A L C U I N A U XII<- S I È C L E 362viction, une institution : Cum aillent in sacris paginisschemala, tropi et caetera his similia inserla iwenianlur,nulli dubium est quod ea unasquisque tegens tantocitius spintualiter intelligit, quanta prins in litlerarummagislerio plenias instructw fuerit. Capilulaire « Delitteris colendis », dans Mon. Germ. hist.,Leges, Capi~tnlaria, t. i, p. 79. Comparer Bède, De schematiset tropis Sacras Scripturs liber, P. L., t. xc, col. 175;Comm. in Pentateuehum, Ex., vin, P. L; t. xci,col. 302; In Samuelem prophetclm allegorica expos,, i, 4et iv, 9, col. 510 et 706; Raban Maur, De cler. inslil.,I. III, c. xvii, P. L., t. cvii, coi. 395-396, qui a aussiun c. xx, de dialectica, col. 397-398, où la dialectiqueest abondamment vantée, mais d'un point de vueplutôt détensif et apologétique.

Comme l'ont vigoureusement souligné les PP. Paré,Brunet et Trernblay dans leur Renaissance du zit" siè-cle, toute œuvre de la pensée est liée à un « milieu » :milieu économique, politique, institutionnel, culturel,lequel n'est pas seulement un « cadre », mais vraimentune condition de naissance et de développement. Or,d'une part, le lieu de l'enseignement théologique cesont alors les écoles attachées aux abbayes et aux évê-chés : milieu de tradition plus que de progrès etd'initiative. Tant que l'enseignement théologiquereste dispersé et sous le contrôle immédiat des évêquesou des abbés, le développement d'une science théolo-gique proprement dite était pratiquement impossible.De plus, le personnel enseignant était composéd'hommes d'Église agissant comme tels, plutôt que desavants, fussent-ils clercs, agissant comme savants.La science théologique, pour se développer, suppo-sera un certain processus de détachement des écolesvis-à-vis de la hiérarchie, de centralisation urbaine etde constitution d'un personnel de savants. Au total,la théologie de l'époque carolingienne est d'alluretraditionaliste; les œuvres y ont un caractère dereproduction et de compilation ; c'est l'époque desCalenœ, des Sentenfise, des Flores, des Exr.erpla, etc.La théologie consiste en une étude de l'Écriture àtendance morale et allégorisante, pour laquelle onemploie, d'une part, des extraits des Pères, d'autrepart, les ressources des arts libéraux, mais particu-lièrement de la grammaire.

On s'accorde à dire que le seul penseur vraimentoriginal par le contenu de sa doctrine y fut Jean ScotÉrigène (•f vers 870) ; mais, au point de vue méthodolo-gique, il n'apporte rien de bien particulier. Il assignecomme tâche à la philosophie, confondue avec la reli-gion, d'interpréter les symboles sous lesquels, dansl'Écriture principalement, dans la nature ensuite,nous est livrée une révélation sur Dieu : conception oùse conjuguent une tradition augustinienne et l'in-fluence de Denys et de Maxime le Confesseur, en unevue de Dieu et du monde uniftée par la notion d'cxem-plarisme ou de symbolisme. Voir ici, t. v, col. 422 sq.,et É. Gilson, Éludes de philos, médiévale, Strasbourg,1921, p. 1-14; M. Cappuyns, Jean Sco( Érigène. Savie, son œuvre, ses écrits, Louvain, 1933.

2° Dialecticiens et antidialecticiens. — La dialec-tique, revendiquée mais peu mise en œuvre à la renais-sance carolingienne, gagne lentement du terrain. Lexi" sièi'le, au point de vue de sa notion de la théologie,est sous le signe de la lutte entre dialecticiens et anti-dialecticiens. Il se produit alors une poussée du besoinde raisonner. Les partisans de la dialectique veulentappliquer telle quelle aux choses chrétiennes une ma-nière abstraite et ralde de raisonner; ils arrivent à descatastrophes. Une application Intempéranle de laméthode dialectique au dogme eucharistique aboutit,chez Bérenger de Tours, à une pensée que l'on a pucroire hérésie négatrice de la transsubstantiation.Bérenger met l'évidence par dessus tout, par dessus

l'autorité, même en matière de théologie: Ratione agerein perceplione veritatis incomparahililer siiperiiis esse,quia in euidenti res est, ...niilltis negaverit: aussi veut-ilper omnia ad diatectictim confugere, quia confugere adeam ad rationem est confugere. De sacra cana, p. 100et 101. Dès lors, lu débat qui s'élève est celui que ren-contre fatalement toute théologie qui veut vraimentêtre une théologie, et non une pure transcription dela foi, débat que nous verrons désormais se dévelop-per : les choses chrétiennes peuvent-elles être com-prises par une application des catégories de la raison?Si non, que) statut donnera-t-on à cette raison, quiest une création de Dieu et qui est l'honneur del'homme, puisque, comme le dit encore Bérenger,sewndutn ralionem sic factus ad imagiaem Dei, ibid.,p. 101 ; si oui, n'est-ce pas faire des réalités chrétiennesun cas de lois plus générales que la raison peut attein-dre, et alors, où est le mystère, où est le caractèresuprême, unique et souverain des realités chrétiennes?

Tel est bien, alors, l'enjeu de la bataille entre dia-lecticiens et antidialec.ticierts. Parmi ces derniers, lesuns prennent une altitude extrême. Ils soulignent trèsfortcmenL, avec saint Pierre Damien, De dirina omni-potentia, c. v, P. L., t. CXLV, col. 603, que la raisonn'a pas de /"s magisferii en christianisme et qu'elledoit s'y comporter, selon sa condition, en pure ser-vante. Ils considèrent comme sacrilège tout empiéte-ment de la dialectique sur le texte sacré. Ils affirmenttrès haut. la transcendance, le caractère de véritéunique de la foi chrétienne, qui nous a été donnée nonpour que nous en fussions une science, mais pour quenous en vivions, dans la pcnilence et l'oubli du monde.C'est la solution ascélico-monastiquc que nous re-trouverons bientôt chez un saint Bernard et plus tardclu'z Pascal, C'est une attitude imprescriptibicmentchrétienne. Mais une autre attitude est encore possi-ble : c'est rellf, que l'Église favorisera plus lard sifort, d'un juste milieu, qui lient toutes les données,hiérarchisées. C'est celle que prit un homme commeLaiifranc, l'adversaire de Bérenger et le fondateur decette abbaye du Bec où fleurira bicnlôt la haute pen-sée de saint Anselme. Lanfranc est un « converti »,en ce sens qu'ayant été naguère adonné à la dialec-tique, il est maintenant tout livré à l'étude des Écri-tures. Mais c'est un homme modéré, il veuf y regarderde près et, comme saint Paul, tout en rejetant l'abusde la dialectique, en conserver l'usage légitime. I nl Cor., 1, P. L., t. CL. col. 157; In Col., 2, P. L.,col. 323. L'usage de la dialectique serait pervers s'ilaboutissait à énerver ou à dominer le donné chrétien,ù vider le mystère de la foi. Cf. De corp. et sang.Domini, c. vu, P. L., col. 417; c. xvn, col. 427.

3° Saint Anselme. — C'est une position semblableque prend, dans ce déhat, saint Anselme de Cantorbéry.Avec Anselme, nous entrons dans une conception dela théologie d'une 1res haute qualité. Anselme réunitle courant monastique augiistinien, favorable à lasuffisance de la foi, et le courant de pensée spéculative,avili chez les dialecticiens extrêmes, Niillus christianusdébet disputare quomodo qiwd calbolica Ecclesia cordecrédit et ore confitclur vsrum sil, sed simpliciter eamdem/Idem ifidubilanfer tcnendo. amando et secundiim illamvinendo humUiler quantum potcst qtiierere ratinnemqiiomodo sit. Si poiesl inielligere, Deo gratins agat; sinon potest, non millat cornua ad ventilandnm, sed sub-miltal caput ad venerandam. De fide Tn'nit. et de incarn.Verbi, c. n, P. L , t. CLVIII, col. 2C3, A'on tenio. Domine,penetrare allitudinem tuam.,. Srd desidero aliquatenusintelligere verilatem tuam, quam crédit et amal cormeim. Neque enim quaTo inteliigere, ut credam; sedcredo, ut inti'Iligam,,, Ergo Domine qui das f i d e i intel-lectum, du mihi ut, quanlutn scis crpedire, intelliiiamquia es sicul credimus, et hoc es quod credimus; ainsi

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363 T H É O L O G I E . LA R E N A I S S A N C E DU XII e S I È C L E 364débute le Proalogion, c. i et n, col. 227. Il y a, eneffet, un intetlectus fldei, une raiio fidei, disons uneIntelligibilité de la fol, dont celui qui croit et quiaime désire se délecter. Anselme s'explique sur cetintellectus, ce savoir ou cette connaissance que désirela toi qui aime : il est intermédiaire inter fidem ettptciem, entre la toi et la vue. îbid., col. 261. Il sup-pose la loi, plus précisément la toi aimante, el procèded'elle ; il est le fruit d'un effort de pénétration où l'es-prit utilise toutes les ressources dont il dispose : ana-logies du monde créé, principes métaphysiques etdialectique; il a pour ternie une perception joyeusequi est, à l'état inchoatif et plus ou moins précaire,du genre de la joie béatifique; cf. les c. xxiv à xxvi duProslogion, P. L., t. CLVIII, col, 239-242. Dans sesœuvres théologiques, Anselme se montre vraimentthéologien ou, si l'on veut, métaphysicien du dogme.Mais c'est un métaphysicien qui n'a pas lu la Méta-physique d'Aristote et, s'il est tel, ce n'est pas parl'application d'une philosophie au donné chrétien;c'est plutôt sous la pression de ce que la foi elle-même,directement et sans médiation proprement ration-nelle, contient d'intelligibilité.

Considérée ainsi, cette méthode théologique ne posepas de difficulté et on a pu la considérer comme don-nant sa charte à la spéculation scolastique (J.-B. Bê-cher), tout comme on a appelé Anselme lui-même « lepère de la scolastique ». Mais Anselme va plus loin.Il tait de 1' intelligere basé sur le credere certains usagesplus précis : nous voulons parler du fameux argumentdu Proslogion en faveur de l'existence de Dieu et desrationes necessaris par lesquelles Anselme penseprouver la vérité des mystères de l'incarnation et dela Trinité. Les interprètes ont généralement commentéet glosé l'usage qu'Anselme en a tait de manière àfournir un apaisement à toute accusation de rationa-lisme; le problème que pose la méthode d'Anselme aété abordé plus franchement par le biais de la preuvedu Proslogion, c. n et ni. K. Barth y voit une démar-che purement théologique, c'est-à-dire ne s'appli-quant pas à prouver que Dieu existe, mais, tenant parla foi le tait de cette existence, à comprendre et àmontrer pourquoi et comment il en est ainsi : non unepreuve, mais une reconnaissance de l'existence de Dieu.

Nous serions inclinés à penser, avec M. Gilson,qu'on ne rend pas assez compte ainsi des caractèresspécifiques des démonstrations en question, et d'aborddu tait qu'Anselme les présente expressément commedes démonstrations : Ad astruendum quia Deus uereest. Le fait que ces démonstrations partent de la foln'empêche pas Anselme de les considérer comme desdémonstrations dont la valeur ne repose pas sur la toi,mais sur la ratio, qui resteraient même si leur point dedépart était soustrait et qui s'imposent à Vinsipiens,c'est-à-dire à l'incroyant, autant qu'au fidèle. En réa-lité nous avons là une forme spéciale de preuve desobjets de la fol. Une preuve qui est l'œuvre de la« raison » et qui, si elle ne se construit qu'au sujet d'unmystère dont un énoncé véritable a été fourni par lafoi, vaut cependant par le jeu même et comme par laforce de l'adéquation de l'esprit à un objet vrai. Ilreste que saint Anselme se croit fondé à affirmer cer-tains mystères au nom de i raisons nécessaires » dontla nécessité tient à ce que l'affirmation en questionn'est finalement qu'une imitation et comme un reflet,dans la connaissance, de la vérité réelle et réellementexistante du mystère considéré.

Sur le débat pour ou contre la dialectique. — M. von Bôch,Oit sieben freien Kûnste im e(/ten Jalwhundert, Donauwôrlh,1847; Prantl. Geschichte der Logik, t. n, p. 73 sq.; J.-A. En-dres, Die Dialektiker und iltre Gegner im 11. Jahfhunderl,dans PAiIot. Juhrtmcfl, t. xix. 1906, p. 20-33; Th. Heitz,Esiai histor, sur les rapports de la philosophie et de la f o i de

Bértnger de Tours à saint Thomas d'Aquin, Paris, 1909,p. 3 sq. ; J. de Ghsmnck.Dialectique et dogme aux Z'-XH* siè-cles, dans Festgabe Cl, Baeumker, dans Beitriïffe, Suppl. Bd.,l. Munster, 1913, p. 79-99; W. Schulz.Uer Einfluss der Ge-danken Augustins Uber dos Verhaltnis von ratio und /idesim 11. Jvhrhundert, dans Zeitsdt. I , Kirchengesch., t. xxxv,1914, p. 9-39; J.-A., Endres, Forschungcn aw Gescilichtc derfruhmittelalterlichen Philosophie, dans HetMge, t. xvn,fasc. 2-3> Munster, 1915, c. m-v, p. 26-129.

Sur les antidialecliciens.—J.-A. Endres, Lanfrank's Ver-haitnis iur Dicdektik, dans Der Katholik, 3" série, t. xxv,1902, p. 215-231; Peirus Damtani und die iveltllche Wissen-schajt, dans BeitrUge, t. viii.fasc. 3, Munster,1910; É. Gil-son, La servante de la théologie, dans Études de philosophiemédiévale, Strasbourg, 1921, i). 30-50.

Sur saint Anselme. — Ici, art, ANSBLME, t. l, col. 1343-1344 et art. DOGMATIQUE, t. iv, col. 1556; J.-B. Bêcher, DtrSatz des M. Anseim : Credo ut intelligam, dans Philos.Jahrbach, t. xix, 1906, p. 115-127, 312-326; M. Grabmann,(ïesch. drr scholast. Méthode. 1.1, p. 258-334 (riche bibliogra-phie); E. Beurlior, Les rapports de la raison et de la loi damla philosophie de saint Anselme, et J. Bainvel, La théologiede saint Anselme, esprit, méthode et procèdes, points de doc-trine, dans le n° de la Revue de philosophie consacré en 1909à saint Anselme, respectivement p. 692-723 et 734-746;É. Gilson, Études de philosophie médiévale, Strasbourg,1921, p. 15 sq.; R. GuardinI, Anseim von Canlorberg und dosWesen der Tlieotofl(e, dans Au/ dem Weye, Mayence, 1923;W. BelïendBrIer, Glauben und Wissen bei Anseim vonCanterbur!!, dans Zeitsch. f . Kirchengesch,, t. xi/vili, 1929,p. 354-370; K. Barth, Fides tiuierens inlelleclum, AnselmsBelveis der Existons Gottes im Zusammetihang stines theolo-gischen Programms, Munich, 1931; A.-M. Jacquin, Les• rationes aecessarise » de saint Anselme, dans MélangesMandonnet, t. n, Bibl. thomiste, t. xiv, Paris, 1930, p. 67-78; A. Stolz, Zur Théologie Anselms im Prosloyion, dansCalholica. t. Il, 1933, p. 1-24; ' Vere esst • im Prosloyion desU. Anseim, dan» Scholastik, t. ix, 1934, p. 400-409; É. Gil-son, Sens et nature de l'argument de saint Anselme, dansArchives d'hist. doctr. el littér. du Moyen Age, t. ix,1934, p. 5-51 ; A. Stolz, Binleituny, dans Anseim von Can-terbnry, Munich, 1938, p. 30-42. — Apres la rédaction d«cette partie du présent article, sont parus : G. Sôhngen, DieBinheit der Théologie in Anselms l'roslogion, Braunsberg,1938; A. Kolping, Anselms Proslogion-Beu/eis der ExistentGottes. Im Ziisammenhang seines spekulativen ProyrammsFfdes quserens intellectum, Uonn, 1939.

V. LA RENAISSANCE DU XII» SIÈCLE. LA THÉOLOOIBSOUS LE RÉGIMB DE LA DIALECTIQUE. —— 1° L'ÉFole deLaon ei Abélard. — Les recherches récentes ont mieuxmis en lumière le rôle de l'École de Laon dans le mou-vement théologique. II est bien certain que beaucoupdes maîtres qui vont marquer le plus au xii" siècleétaient passés à l'école d'Anselme de Laon, lui-mêmeélève de saint Anselme à l'abbaye du Uec. Au pointde vue de la notion et. de la constitution de la théolo-gie, Anselme de Laon a une double importance.D'abord parce que, dans les Sententise éditées partiel-lement en 1919 par Fr. Bliemetzrleder, dans Beitrâge,t. xvm, fasc. 2-3, un effort est fait dans le sens de lasystématisation, le vocable de Sentenlite recouvrantdès lors moins une sorte de florilège, qu'une œuvreconstruite, dans le sens que reprendront, au delà desSentences du Lombard, les Sommes. La théologieprend ainsi plus complètement possession de son objet.Par ailleurs si, dans cette œuvre systématique, An-selme ne semble pas être un véritable initiateur aupoint de vue méthodologique, se contentant de donnerun enseignement qui est surtout une explication destextes au moyen de gloses et de commentaires, on ren-contre aussi chez lui un début d'application du pro-cédé de la qusestio, c'esl-à-dire du débat dialectique.

Essai timide encore, et qui ne satisfera pas Abélard,Celui-ci, venu à l'école de Laon, trouvera devant luiun homme « très fort pour ceux qui ne venaient quel'écouter », mais inexistant devant qui lui posait vrai-ment des questions. On connaît la scène qui décida dudépart d'Abélard : celui-ci, interrogé par le maître

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365 T H É O L O G I E . LA R E N A I S S A N C E D U X I I ® S I È C L E 366sur ce qu'il pensait de divinomm lectione librorum, luiqui n'avait étudié que in physicis (ou in philosophicis),et répondant qu'une telle étude pouvait bien être desplus salutaires, mais qu'il ne voyait pas comment 11 yavait besoin d'un commentaire cl d'un enseignementpour comprendre les écrits ou les gloses des Pères.Et Abélard, mis en demeure d'expliquer les textessacrés sans le secours des commentaires et des maîtres,commençant à Laon, par les moyens de son propreingenium, une explication qu'il devait continuer àParis. Abélard, Histwia calamUcitum ou Epist., i, 3,P. L., t. CLXXVIII, col. 123-125. Telle tut la manièredont Abélard aborda la théologie. Bien qu'il n'eûtfait, dès lors, que gloser l'Écriture, il l'entreprenaitavec les ressources de son propre esprit. Quelque sixans plus tard, à Saint-Denys, il pousse plus loin l'inno-vation et l'emploi de la raison naturelle. « II arrivaalors, raconte-t-il, que je m'appliquai à disserter surles fondements de notre foi à l'aide de comparaisonsfournies par la raison humaine et que je composai,sur l'unité et la trinité divines un traité de théologieà l'usage de mes disciples. Ceux-ci, en effet, récla-maient des raisons humaines et philosophiques et illeur fallait des explications Intelligibles plus que desaffirmations. Ils disaient qu'il est inutile de parler sil'on ne donne pas l'intelligence de ses propos, qu'onne peut croire ce que l'on n'a pas d'abord compris elqu'il est dérisoire d'enseigner aux autres ce dont nisoi ni ceux qu'on enseigne n'ont l'intelligence. » Uisl.calwn.,9, col. 140-143.

1. La thi'niogie chez Abélard, — Ce n'est pas d'hierqu'on a commencé à mieux apprécier le « rationalisme •d'Abélard, mais on s'est tait une idée beaucoup plusexacte de sa position depuis qu'on a dans les mains,pour l'interpréter, les textes logiques récemment éditéspar B. Geyer, Peler Ahatlards philosophische Schriflen,dans Heitrûge, t. xxi. Munster, 1919-1933. Abélardest plus dialecticien et logicien que philosophe. Aussiest-ce dans sa position de logicien que nous compren-drons sa position de théologien, et dans son « nomina-lisme » la vraie nature de son « rationalisme ».

Nous avons vu Abélard requis par ses étudiants dene pas énoncer des paroles que n'accompagnerait pasune intetligentia : l'œuvre théologique est précisémentd'aboutir à cette intelligence. Mais de quoi s'agit-il?De pénétrer et de démontrer les mystères par la seuleraison, une raison antérieure à lu foi et indépendanted'elle? Nullement. A quelque état de son expressionque l'on considère la pensée d'Abélard, on ne rencontrepas chez lui l'affirmation que le travail théologique sepoursuivrait par les seules forces de la raison el sansprendre appui sur la Révélation. Voir tout le prologuede l'Introduclio et Cottiaux, art. cités infra, p. 272 &q.Ce n'est pas pour se donner les objets de la foi que laraison intervient dans le travail théologique, c'estpour constituer une explication critique de leursénoncés. Ahélard est moins un philosophe s'intéressantau fond des choses et, par exemple, à la réalité ou àl'irréalité des universaux, qu'un grammairien-logiciens'intéressant à une étude critique des propositions etde leurs rapports. 11 dit lui-même que la uocum pro-prietas el recta impositio est à considérer magis giiamrerum essentia. Dialectica, pars III, éd. Cousin, p. 349.Il faut interpréter sa théologie en fonction de salogique. Dès lors, quand Abélard donne comme fonc-tion à la théologie d' « assigner les causes des noms di-vins », Tract, de unitate et de trinHafe dipina, éd. Stolzle,1891, p. 4; Theologia, 1. I, c. il, P. L., t. CLXXVIII,col. 1126, il faut bien voir qu'il ne s'agit nullementd'apporter la raison objective des mystères, mais seu-lement de fournir une justification logique des énoncésde la foi, de montrer que les propositions dogmatiquessont conformes aux lois de la prédicabilité.

Abélard, à vrai dire, ne se contente pas de pour-suivre un commentaire critico-logique des énoncesdoctrinaux; 11 apporte aussi des raisons en faveur dtsobjets mêmes de la foi, du mystère trinitaire en par-ticulier. Quelle était, à ses yeux, la valeur de ces rai-sons? Celle d'une vraisemblance, oii'çuid verisimiteatqw. humanse rationi vicinum, née sar.rse fldei contra-rium : soit qu'il vise un usage apologétique de la rai-son, adversus eos qui humants rationibus ftdem se impu-gnare gloriantur; soit qu'il applique la raison à unethéologie constructive en s'efforçant de définir, pardes raisons de vraisemblance et de convenance, ce quipeut faire question à l'esprit. Quelle qu'ait été laprétention d'Abélard à une démonstration de la Tri-nité, voila où il arrête consciemment sa pensée sur letravail théologique.

2. Le sic ST SON. — Dès l'époque carolingienne onavait éprouvé le besoin d'accorder des textes faisantautorité et qui, sur une même question, se présentaientcomme discordants. L'élaboration des règles pour cetravail d'interprétation et d'accord a été, au cours duxi" siècle, l'oeuvre des canonistes. On n'a plus le traitéoù Hincmar de Reims a fixé ses critères d'interpréta-tion, mais la substance semble bien en être passée chezBcrnold de Constance (+ 1110), qui. dans ses écritsthéologico-canoniques, P. /-., t. cxLvni, donne desrègles précises. Chez lui et chez les canonistcs qui lesuivent, Yves de Chartres en particulier, c'est touteune jurisprudence d'intcrprélation des « autorités »qui se formule. Abélard, dans son Sic et non, introduitle problème de l'accord des autorités au cœur de laméthode théologique et lui donne une forint,' techniqued'une rigueur nouvelle. Le point de vue d'un dévelop-pement historique reste, en somme, étranger auxrègles d'interprétation qu'il propose, mais il a le sen-timent du sens authentique d'un texte rt ses critères,dans l'ensemble, restent orientes vers 1:> détermina-tion du sens génuine. Par quoi il preparf la méthoded'interprétation et de réduction des oppositions tex-tuelles qui sera employée dans la scolastique.

Chez Ahélard, non seulement le problème de l'ac-cord des autorités opposées devient un problème pro-prement théologique, mais il devient une pièce tech-nique de la méthode; le sic et no;i est érigé en système.s'intégrant au procédé dialectique que nous allons voirdès lors prendre corps dans la gwstio cl devenir l'ar-mature du travail Ihéologique de la scolasiiquc.

Abélard occupe une place considérable dans le déve-loppement de la théologie et de sa méthode. Il a, dansles trois livres de l'Introdiictio, dans la Theolfigia chris-tiana et dans YEpitome, donné l'exemple d'une élabo-ration théologique qui n'est plus le commentaired'un texte, mais une construction systématiquementdistribuée. Avec lui, on est passé de la Sacra pagina àla Theologia, La théologie s'achemine vers sa consti-tution véritablement scientifique. De fait, un écritcomme le 1. III de î'Infroduclio, malheureusement peudéveloppé, s'approche de la manière qui sera plus tardcelle de saint Thomas : la méthode de la quasstio, fondéedans les Analytiques d'Aristote. Celui-ci y est appelédialecticorum primeps, P. L., t. CLXXVIII, col. 1112 B.De fait, Abélard commence à introduire dans sescommentaires textuels eux-mêmes, des queesliones :c'est une initiative tout à fait notable, et qui ferasouche. Avec son Sic et non, Abélard est près de fairede la difficulté suscitée par le heurt de raisons oppo-sées un procédé systématique de recherche et de pro-grès.

II faut bien voir ce que fut alors l'influence d'Ariï-tote et les limites dans lesquelles elle se tint. Le pro-pos abélardien d'une théologie qui fournit humanas etphilosophions rationes se produisait dans le temps mêmeoù se diffusait en Occident la seconde partie de l'Or-

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ganon d'Aristote : les / et I I Analytiques, les Topiqueset les Problèmes sophistiques. Cette diffusion s'opèreentre 1120 et 1160. Les premiers écrits d'Abélard sontpeu marqués par Aristote : le philosophe par excel-lence y est plutôt Platon, Mais, tandis que la.Dialecticad'Abélard (vers 1120 sq.) ignore encore pratiquementla seconde partie de VOrganon, Adam du Petit-Pontutilise les / Analytiques en 1132, Robert de Meluncommente les Topiques vers 1140 et, dès lors, tout uncourant se forme d'application de la nouvelle logiqueaux sciences sacrées. Or cette logica. nosa n'apporteplus seulement une table des prédicaments et une tech-nique d'analyse des propositions, mais une théorie dusyllogisme et de ia démonstration scientifique et pro-bable- Aristote est en voie d'entrer dans la théologieelle-même qui, précisément, devient vraiment « théo-logie », savoir systématisé et non plus simple com-mentaire ; mais il n'y entre encore que comme maîtrede pensée logique : il n'y en trépas encore comme maîtrede pensée tout court, docteur es vérités anthropo-logiques, psychologiques, morales et métaphysiques.Ce sera l'oeuvre des premières années du xui6 siècleet, pour ce qui est de la notion de théologie, l'objetd'une nouvelle étape, comme aussi l'occasion d'unecrise.

2" Saint Bernard. — La réaction ne manqua pas dese produire. On sait ce que tut la lutte passionnée desaint Bernard contre Abélard. En saint Bernard, c'estla vieille conception ascético-mon astique qui s'ex-prime : celle selon laquelle le moine n'a qu'à garder latradition commune et, la méditer, pour en vivre, enfaisant pénitence. « Les sept arts du moine, c'est sonpsautier... », dit le Bx Guillaume d'Hirschau, Prsef. inAstronomica, éd. Pez, Thés, anecd., t. vi, p. 261.Saint Bernard lui aussi n'admet pas qu'on use des artset de la philosophie sinon comme d'un moyen pourl'édification de soi-même et des autres. In Cant. Cant.,serm. xxxvi, n. 2, P. L., t. CLXXXIII, col. 967 : il neveut de science que celle des saints, et d'attitude de-vant Dieu que celle de l'admiration, non celle de larecherche curieuse, quasi admirons, non quasi scrutons,ibid., serm. LXII, n. 4 et 5, col. 1077, et comp. Deconversions ad clericos sermo, t. CLXXXII, col. 834-856;Epist,, CLXXXVIII, ibid., col. 353.

Cette réaction se prolongera et, tout au cours duxii° siècle, nous entendrons une protestation formellecontre l'introduction de la dialectique et de la logique,non sans doute dans la pédagogie des clercs, mais dansla trame du travail théologique. Cf., entre autres, Gau-thier de Saint-Victor, Contra quatuor labyrinthesFranciss, P. L., t. cxcix, col. 1129-1172; Manegold deLautenbach, Opusc. contra Wolfelmum, P. L., t. CLV,col. 149-176; Étienne de Tournai, abbé de Sainte-Geneviève, Epist. ad Alexandrum I I I , P. L., t. ccxi,col. 517, etc.

Avant de quitter saint Bernard, notons ici que cerefus d'un traitement scientifique du donné chrétienva de pair, chez lui, avec une manière d'interpréterle texte sacré qui, pour être spirituelle et mystique,n'en est pas moins discutable. Puisqu'il s'agit avanttout d'édification, on pourra donner le pas, dans l'in-terprétation et l'usage de l'Écriture, au sens spirituelou accommodé à la vie spirituelle de l'âme. Ainsivoyons-nous saint Bernard non seulement mettre enpratique cette préférence, de laquelle procèdent tantde ses considérations sur la vierge Marie, mais en tairela théorie. Cf. In vigilia Nativitatis, P. L., t. CLXXXIII,col. 94. On sait quelle exégèse il a donnée du troptameux passage Sunt duo gladii hic : cf. De considera-tione, 1. IV, c. in, n. 7, P. L., t. CLXXXII, col. 776. Avecune pareille exégèse, on pourrait trouver dans la Biblen'importe quoi. Notons dès maintenant qu'Albert leGrand et saint Thomas affirmeront nettement la non-

valeur scientifique, en théologie, de l'interprétationpurement mystique de l'Écriture.

3° Les Vicforins et Pierre Lombard. — L'accordn'était-il pas possible entre le courant mystique tradi-tionnel et le courant logique ou philosophique nou-veau? Si, et il aboutira finalement à saint Thomas quidéclarera : Oportet rationibus inniti tnuesligantibasoeritatis radicem et facieritibus scire quomodo sit verumqwd dicilur, Alioquin, si nudis auctoritalibus magislerqussstionent determinet, certificabitur quident auditorquod ita est, sed nihil scienfise uel intellectus acquiret, etvacuus abscedel. Quodi. iv, a. 18. Seulement, saintThomas ne procède pas d'Abélard sans intermédiaireni addition. Entre les deux, il fallut justement que,reprenant l'effort d'Anselme, la raison philosophiquelût assumée dans la tradition spirituelle qui procèdede saint Augustin ; ce sera l'oeuvre des Victorins et dePierre Lombard. Comparer <'e qui est dit ici, t. t,col. 51 sq., sur les relations entre l'école d'Abélard etcelle de Saint-Victor.

On a dit de Pierre Lombard qu'il était « Abélardparvenu et devenu évêque ». De tait, il ne sera pasindifférent que l'effort d'Abélard qui présentait ledanger de toute oeuvre trop personnelle, soit assumédans un cadre de vie monastique et mystique fer-ventes et dans la pensée d'un homme d'Église, d'unhomme de gouvernement même, tout livré au soucid'une via média. Les grandes initiatives ne sont plei-nement viables que lorsqu'elles sont reprises dansl'institution et la tradition ecclésiastiques.

Hugues de Saint-Victor comprendra combien leprocédé trop uniquement dialectique d'Abélard estinadéquat à l'œuvre de la théologie. Certes, il y a lieude connaître la grammaire, la logique et la dialec-tique et d'en faire usage en science sacrée; mais ily a autre chose à pénétrer dans l'Écriture et. il nesuffit pas, pour cela, de n'être que philosophe. Philoso-phas in aliis scripturis solam vocum nouit significatio-nem; sed in sacra pagina cxcellentior valde est rerumsignificatio quam vomm. De Scripluris, c, xiv, P. L.,t. CLXXV, col. 20. Il ne suint pas, pour faire œuvre dethéologie, de traiter l'Écriture sainte absolumentcomme un autre texte et de s'y appliquer avec lesseules ressources de la philosophie, comme Abélards'est vanté de pouvoir le (aire. Par ailleurs, si Huguesrend le travail théologique à son véritable milieu reli-gieux, il sait combien lui sont nécessaires les diversesressources du savoir humain. Il reprend avec unemagnifique plénitude la tradition augustinienne sur laformation du théologien par les arts libéraux. Desacram., prol., c. v et vi, P. L., t. CLXXVI, col. 205; DeScripturis, c. xiii-xvi, P. L., t. CLXXV, col. 20-24;Erud. didasc., 1. III, c. ni, t. CLXXVI, col. 768, etcf. ici, t. vn, col. 260-261. Mais cette philosophia dessept arts n'est plus, quant à son contenu, ce qu'elle aété du Ve à la fin du XIe siècle. Elle s'est enrichie del'apport méthodologico-scientiflque d'Aristote. Aulieu des sept arts, c'est à un classement rationnel devingt et une disciplines que le Victorin aboutit, défi-nissant ainsi un nouveau programme d'enseignementoù se trouve annoncée une ample conception dusavoir humain. Cf. Didasc., 1, II, c. n, et 1. III, c. i,col. 752 et 765.

L'effort abélardien de constituer un corps des doc-trines chrétiennes logiquement systématisé est, luiaussi, repris et il aboutit à ces œuvres classiques quesont la Summa sententiarum, le De sacramentisd'Hugues de Saint-Victor et les Sentenlise de PierreLombard. Le mot même de Summa, qu'Abélard avaitdéjà employé en définissant son Introduclio commealiquam sacras eruditionis summam, reparaît ainsi pourdésigner un ensemble ordonné, un corps de doctrine :non plus une lecture de la sacra pagina, mais vraiment

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369 T H É O L O G I E . LA R E N A I S S A N C E D U X I I ® S I È C L E 370une œuvre du » théologie r. Ce que Hugues a réaliséainsi dans son 71e sacramenfis, il l'a expliqué et justifiédans son Didascalion,' à savoir d'ajouter à une simplelecture du texte, domaine de l'historia, une explica-tion systématique (lui en procède, s'y appuie, mais ensoit une élaboration et une mise en ordre ; Hanc quasibrevern quamdam summam omnium in unam. serie.mcompegi ut animus aliquid certum haberei cui intenlio-nem a f f m g e r e et confirware valeret, ne per varia scrip-twarum volumina et lectionum divortia sine ordine etdirections raperetw. De sacrum., prol., P. L., t. CLXXVI,col. 183. On croirait presque lire le prologue de laSomme de saint Thomas.

Nous ne nous arrêterons pas à Pierre Lombard; lestraits généraux de sa théologie et la conception qu'ils'en est faite, ont été exposés ici même en détail,art. PIERRE LOMBARD, t. xii, col. 1978 sq. En PierreLombard, ce n'est pas seulement le propos abélardiende systématiser qui passe, mais de notables morceauxdu Sic et non, grâce à quoi les Sentences représenteront,pour )a théologie ultérieure, une grande synthèse dethéologie positive. Ses Sentences deviendront un livrede texte qui, coexistant à la Uible, donnera à l'appli-cation de la méthode dialeclique sa matière la pluspropre. Si cette méthode a donné tous ses fruits dansla théologie du xin6 siècle, c'est que, au delà de quses-tiones de sacra pagina, elle a pu s'organiser plus libre-ment sur la base d'un second livre de « texte » pourlequel, comme le dira Fishacre, non d i f f e r t légère etdispuiare. Par là, l'importance des Sentences de PierreLombard dépassera de beaucoup celle de son apportpersonnel à l'élaboration de la méthode théologique.

4° Gilbert de La Porrée et Alain de Lille. — Le besoinde méthode et de classement est remarquable danstout le deuxième et le troisième tiers du xir8 siècle. Lesouci pédagogique pousse à constituer des ouvragesméthodiques, où soit ordonné ce qu'on trouvait, ail-leurs à l'état dispersé et occasionnel. C'est l'époqueoù, par exemple, on tentait de constituer un ensemblethéologique organique et systématique avec des textestirés de saint Anselme : cf. H. Weisweiler, ûer ers(esyslemalifiche Kompendium aus den Werken Anselmsvon Canterbari], dans Revue bénédictine, 1938, p. 206-221. Hugues de Saini-Victor avait aussi composé unouvrage de ce genre, ainsi qu'il nous l'apprend auprologue du De sacramentis, P. L., t. CLXXVI, col. 183,et, vers 1173, Pierre le Mangeur rédigeait, à la de-mande de ses socii, sa fameuse Historia scolastica, quiapplique au récil historique de l'Écriture le besoin degrouper et de classer ce qui se trouve épars : cf. lePrologus, P. L., t. cxcvm, col. 1053-1054. Mais, audelà des accommodements pédagogiques, la théologie,en celte seconde moitié du xu6 siècle, prend véritable-ment conscience d'elle-même, de sa place parmi lesdiverses branches du savoir. Depuis quelque temps,déjà, on distingue, sous le nom de « facultés «, lesdiverses disciplines qui font l'objet de l'enseignement.Gilbert de La Porriie dira par exemple : Cvm facilitâtessecundum yenera rerum de quitus in ipsis agitur diver-ss s in f , id est, natiirali!!, mathematica, théologien, civilis,rationalis... Com. in libr. Koet. de Trin., P. L., t. LXIV,col. 1281 A; comp. Étienne de Tournai, Epist. adpapam, dans Chartul. iiniv. Paris., t. l, p. 47-48.

De là à tenter de déterminer avec précision laméthode et le régime propres de chacune de ces« facultés » (= disciplines), il n'y avait pas loin. Aussivoyons-nous le même Gilbert esquisser la premièreIdée d'une méthodologie. Ibid., col. 1315. Son idée estqu'en toute discipline il faut recourir à des règlesinitiales qui lui sont propres et correspondent à sonobjet : règles proprement dites en grammaire, lieux.communs en rhétorique, théorèmes ou axiomes enmathématiques, énoncés généraux en dialectique,

principes indémontrables en philosophie. De même enthéologie. Et Gilbert de s'attacher, dans son commen-taire, à dégager ces règles, qui sont plulôt de méta-physique ou de théologie au sens aristotélicien du mot.

L'idée de Gilbert ne restera pas sans écho. Jean deSalisbury la reprendra. Cf. Polycralicus, 1. VII, c. vu,éd. Wcbb, t. ii, p. 115 sq. Mais c'est surtout Alain deLille (f 1202), qui lui donnera sa réalisation la plusachevée. C'est l'objet de ses Régulée de sacra theologia,où il déclare, dans le prologue ; Supercsiestis [vero]scienlia, id est Ihwlogia, suis non fraudatnr (regiilis);habet enim régulas digniores, sui obscurilate et sublUi-tale aeteris prieeminentes; et l'uni cœlerarum regularumIota nécessitas niitet, quia in. consurtudine sola estconsistons pênes consuetum natarss decursum, nécessitastliMiogicarum maximarum absoluia est et irrrjrcigiitlilis,quia de his fidem faciuni quee aciu vel naturel mutari nonpossunt. Regulse, prol., P. /.., t. ccx, col. 621 sq. Cetexte marque bien la considérable nouveauté del'idée : assimiler la théologie à une « science » de mêmestructure que les autres sciences humaines. « Je n'aitait, avait déjà dit Gilbert de La Porrée, que ce qui sefait dans toutes les autres sciences... i Com. in lihr.Quomodo suhsf., P. L., t. LXIV, col. 1316 C. Le texted'Alain de Lille marque de plus la différence de cer-titude et de sources qui distingue la théologie des au-tres sciences. Mais il faut avouer que, sur ce point,son effort, comme celui de Gilbert, demeure bien im-parfait. Les regulx qu'il explique dans son livre sontplutôt philosophiques et le P. Chenu a pu remarquer,à propos de Gilbert : « Les caractères spécifiques de larégula en théologie ne se dégagent pas de la communefonction des axiomes; et sous cette notion vague semêlent des observations généralisées, des principespremiers, des thèses particulières, des opinions com-munes, des articles de foi, toutes choses fort disparatesdans leur origine, dans leur valeur d'évidence, dansleur qualité de certitude, cl donc dans leur fonctionscientifique. » Revue des sciences philos, et théol., 1935,p. 265.

Un autre ouvrage d'Alain de Lille mérite d'êtresignalé ici, ses Dislinctiones dictionum tbeoloyicalinm,P. L., t. ccx, col. 685 sq., sorte de dictionnaire destermes théologiques. L'ouvrage serait plutôt, en unsens, préabélardien ou prcanselmien, se situant dansla ligne d'une explication textuelle ou verbale de laSacra pagina. Mais le goût de définir la virtiis nomi-num et de distinguer les verbwum significationes estbien caractéristique de la théologie à la fin du xn8 siè-cle.

5° Le développement de la QV^SSTIO, — La méthodedes apories, pratiquée par les philosophes de l'Anti-quité et surtout par Aristote, se rencontre chez nom-bre d'auteurs chrétiens : Origèrac, Kusèbc de Césarée,l'Ambrosiaster, saint Jérôme, saint Augustin. Ce genred'écrits n'est pas spécial aux matières scripturaircs etil en existe de semblables un matière morale, ascétiqueou même grammaticale. En réalité, il s'agit là de ré-pondre à des difficultés script uraires, exégétiqucs, unpeu comme Abélard répondra aux Problemuta Hclois-sa, P. L., t. CLXXVIII, col. 677 sq., et saint Thomasrédigera ses Responsio de Z X X Y I I articulis, Hesponsiode XL!! articulis, etc. Nous ne sommes pas ici en pré-sence d'une application systématique de la méthodedialectique au travail théologique.

Dès l'âge patristique, cependant, le commentairescripturaire laisse souvent la place à de véritables« questions ». Si nous feuilletons, par exemple, lesdouze livres du De Genesi ad lilteram de saint Augus-tin, nous constatons que le commentaire proprementdit est sans cesse interrompu par une proliférationde qusesfiones théologiques qui, à propos du textesacré, mais en marge de celui-ci, discutent pour lui-

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371 T H É O L O G I E . LA R E N A I S S A N C E D U XII e S I È C L E 372même un point de doctrine. Encore faut-il noter queces " questions i sont souvent introduites pour desmotifs apologétiques ou pour satisfaire une curiositésubtile, et non par une élaboration systématique dusavoir.

Ce qui fut le cas d'Augustin reste encore le cas desauteurs du xn8 siècle. Chez eux aussi, des « questions »viennent interrompre les commentaires, tendant ày prendre une place de plus en plus grande. Cettehistoire peut aujourd'hui se suivre aisément. La dis-pute méthodique ou l'usage de la giiasstio sont nés dansle cadre de l'explication textuelle ou lectio. Forcément,en effet, des difficultés survenaient dans cette expli-cation et un débat s'instituait. Sans doute, de telsdébats contradictoires avaient toujours été pratiqués;on en trouve des exemples caractérisés dans l'écoled'Anselme de Laon et de Guillaume de Champeaux,Grabmanti, Gesch. der schot. Méthode, t. n, p. 151-154;mais c'est d'Abélard qu'il faut faire partir, semble-t-11,l'emploi méthodique (et méthodologique) de la quses-tio. Non seulement, en effet, Abélard a usé du procédédans son commentaire sur saint Paul, mais il en a taitle thème de son Sic et non; cf.pri)log.,P.Z,.,t. CLXXVIII,col. 1349. Une question naît d'une opposition de pro-positions, par quoi l'esprit est mis dans l'état de douteet, pour sortir de cet état, doit trouver un motif quil'emporte en faveur de l'un des termes de l'alternative,se délivrer du poids de la raison contraire, ou recon-naître à chacune des deux positions sa part de vérité,en donnant son adhésion en conséquence. Dans soncommentaire sur le De Trinitate de Boèce, Gilbert deLa Porrée nous donne, du procédé de la qusestio, uneformule plus philosophique et plus précise ; Ex afJir-malione si ejus wntradicloria neQalione qusestio constat.P. L., t. LXIV, col. 1253; mais, col. 1258, il ajoute :Non omnis contradictio quseslio est. Cum enini altéra( p a r s ) nulla prorsus habere argumenta veritatia vide-lur... aut cum neutra pars verifatis et falsitalis argu-menta potest habere, tune contradictio non est qusstio.Cujus oero utraque pars argumenta oerilalis haberevidelw, qusestio est. Comp. la définition du problemadialecticum chez Jean (le Salisbury, Metalogicus, 1. II,c. xv, éd. Wcbb, p. 88; Clarembald d'Arras, /n librumBoetii de Trinitate, éd. W. Jansen, 1926, p. 69-75,33*-35*. Il y a guiestio lorsque deux thèses contradic-toires ou contraires sont l'une et l'autre appuyéesd'arguments et qu'il s'ensuit un problème que l'espritveut tirer au clair.

Dès lors, dans l'enseignement de la théologie, deuxprocédés se différencient, en coexistant d'abord, lecommentaire et la dispute ou qusestio : //i tribus con-sistit exercilium sacres Scripturse, dira Pierre le Chantrevers la fin du siècle, ci'rca lectionem, disputationem etpnedicationem. Verbum abbr., c. i, P. L.,t. ccv, col. 25,où nous trouvons énumérés les trois exercices pro-pres au maître. Simon de Tournai, qui enseigne vers1165, sera, scmble-l-il, un des premiers à faire de ladispute un exercice spécial, né de la lectio, sans doute,mais distinct d'elle. J. Warichez, Les Disputalimes deSimon de Tournai, p. XLIV. L'école de Saint-Victorboudera bien le procédé dialectique et Hugues nementionnera pas, ou à peine, voir par exemple 1. I,c. xn, P. L., t. CLXXVI, col. 749, la disputatio dans sonDidascalion; un Guillaume de Saint-Thierry tiendra àsupprimer, dans son commentaire sur l'Épttre auxRomains, les quseslionum molesiise, P. .L., t. CLXXX,col. 547. Mais, dans l'ensemble, la qusestio gagnera deplus en plus. Non seulement dans l'explication del'Écriture, mais bientôt dans celle des Sentences dePierre Lombard. Ici comme là, les qusestiones, d'abordattachées au texte, tendent à se multiplier, puis àprendre leur indépendance, à s'organiser en un sys-tème à part, réduisant le commentaire proprement

dit à un rôle infime. On peut suivre ce progrès de laqusestio tant dans l'explication du Lombard que danscelle de la Bible.

Chez un Odon de Soissons (ou d'Ourscamp), vers1164, la dispute intervient encore dans le cadre de laleçon et ses Qussstiones sont probablement un recueildes quaestiones primitivement posées à l'occasion del'explication textuelle ou lectio. Les pères de Qua-racchi éditeurs des Sentences de Pierre Lombard ontrelevé la liste (les ' questions » soulevées par le Maîtredans ses commentaires scripturaires, t. i, 1916,p. xxvn-xxix. Robert de Melun a rédigé des Quscs-tioncs de divina pagina, éditées par le P. Martin en1932, et des Qusestiones de epistolis Pauli, éditées parle même en 1938, dont le contenu et jusqu'au titrelui-même montrent que les qusestiones ont été poséesà partir d'un texte et à son occasion, au cours d'uncommentaire de ce texte. Il est même assez probableque des œuvres plus systématiques n'ont été, dans leurorigine, qu'une mise en ordre des questions posées dansl'enseignement de la lectio. Des Sommes comme cellesde Simon de Tournai, de Pévostin, du Bamberg.Patr. 136, de Pierre de Poitiers, de Pierre le Chantre,ou même de Godetroid de Poitiers, jusqu'à quel pointne dérivent-elles pas de questions?

Un processus semblable de détachement et de sys-tématisation s'opérera pour les qucestiones qui inter-viendront dans le commentaire des Sentences duLombard devenues, à côté de la Bible, livre de « lec-ture t en théolofiie. Chez les disciples les plus rappro-chés du Maître, un Pierre de Poitiers, un Odon d'Ours-camp, les questions restent attachées au texte commedes gloses plus élaborées. Nous verrons chez Hugue» deSaint-Cher, mort en 1263, le commentaire consisterpresque uniquement en une Expositio textus; chezsaint Thomas, au contraire, la part de commentaireproprement, dit, qui se réfugie dans la diuisio et ï'ex-positio iextus, est relativement minime et le traité secompose de qusestiones logiquement distribuées et quisont une construction scientifique originale. De mêmechez Kihvardtiy, saint Bonaventure et les grands sco-lastiques. Il est d'ailleurs très instructif de comparerles questions soulevées par chaque auteur : cf. infra,bibliographie, P. Philippe et F. Stegmuller. Chez undisciple et ami de saint Thomas, Annibald de Annibal-dis, il n'y a plus de divisio ni d'exposilio Iextus, maisseulement des queesiiones; chez d'autres, il y a unvolume de commentaire par divisio et exposilio textus,et, à part, un volume de qusestiones.

Ainsi, dans le dernier tiers du xir8 siècle, une évolu-tion se produit dans l'enseignement de la théologie etdans la conception de celle-ci. Au lieu de vivre surtoutde commentaire textuel, la théologie se constitue, àl'instar de tout autre savoir, dans une recherche en-gagée par une « question ». Elle est entrée dans la voiequ'Abélard ouvrait et qui consistait à traiter la ma-tière théologique par le même procédé épistémologiqueque tout autre objet de connaissance vraiment scien-tifique.

L'opposition ne manqua d'ailleurs pas. A la fln duxii" siècle, Étienne de Tournai, abbé de Sainte-Gene-viève, dénonce le péril en des termes véhéments :Disputatur publiée contra sacras constituliones deincomprehensibili deiiate... Individuel Trinitas et intriviis secatur et discrepitur... Epist. ad papam, dansCharlul. univ. Paris., t. i, p. 47-48. Tel auteur, qui serattache à la ligne de Saint-Victor et que cite Land-grat, dans Scholasfik, 1928, p. 36, demande qu'on s'entienne aux auctoritates ou à ce qu'il y a de plus proched'elles. Plus tard, nous entendrons Robert Grossetêteet Roger Bacon protester contre le fait que la Bible,qui est le texte de la faculté de théologie, est sup-plantée par le commentaire du livre des Sentences, qui

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373 T H É O L O G I E . L ' A G E D ' O R DE LA S C O L A S T I Q U E 374n'est qu'une Summa magistralis. Robert Grossetête,Epistuls, éd. Luard, p. 346-3,47; Roger Bacon. Opu*minus, éd. Brewer, p. 328 sq., texte amélioré parA.-G. Utile dans Arch. francise, hist., 1926, p. 808 sq.

Mais le mouvement est donné. Le triomphe de laqimesiio sera la Somme rie saint Thomas; on sait quecelle-ci est essentiellement à base de " questions »,chacune des parties que nous appelons « article » etqu'il vaudrait mieux appeler question étant construitesur le lype du problema aristotélicien, et l'ensembleétant organisé, divisé et articulé d'une manière sys-tématique et rationnelle. L'enseignement par mode delectio, que saint Thomas pratiquera d'ailleurs, pour sapart, quotidiennement et qui nous a donné des com-mentaires scripturaires, est ici abandonné pour desraisons pédagogiques. Nous avons vraiment uneœuvre de « théologie », une science humaine de laParole de Dieu, ainsi que nous le verrons plus loin.

Pour l'ensemble du X I I ' siècle. — F.. Michaud, Débuts dela méthode théologique au SU* siècle, dans le Correspondant,t. xxxiv, 1867, p. 122-152 et les ouvrages généraux deM. Grabmann, J. da Ghellinck, Paré-Brunet-Tremblay,É. Gilson.

Sur Anselme de Laon et son école. — J , de Ghellinck, ThéSentences of Anseim o/ Laon and their place in thé codifica-tion ol theology during thé I I I t h Cenlury, dans Thé Irishtheological quorlerlu, t. vi, 1911, p. 427-441 ; Fr. Bliometzrle-der, Autour de l'œuwe d'Anselme de Laon; Trente-trois piècesinédites de l'osuvre d'Anselme de Laon; Théologie et théolo-giens de l'école épiscopale de Paris avant Pierre Lombard,respactivement dans Recherches de théol. ancienne et médié-vale. 1.1,1929, p. 450-483, t. il, 1930, p. 54-79, et t. ni, 1931,p. 273-291.

Sur l'entrée de la • Logica nova • d'Aristote. —- B. Geyer,Rie allen lateinischm Uebersetlungen deraristotelischen Ana-lytik, Topik und Elenchik, dans Philos. Jahrbuch, t. xxx,1917, p. 23-43; Ch.-H. Haskins, Versions of Aristotle's Fas-terior Analylics, dans Studies in Ihe Historu of Médiévalscience, 1924, p. 223-241 ; Fr. Bliemetzrieder, Noch einmaldie allé lateinische Vebersetzung der Analytica posteriorades Aristoteles, dans Pilitos. Jahrbuch., t. xxxvili, 1925,p. 230-249, et t. XL, 1927, p. 85-90.

Sur Abélard. -— E. Kaiser, Abélard critique, 1901; Tli.Heitz, La philosophie et la loi dans l'oeuvre d'Abélard, dansRevue des sciences philos, et (fléol., t. i, 1907, p. 703-727;G. Robert, Abélard créateur de la méthode et de la théologiescolastiques. ibid., t. ni, 1909, p. 60-83; J. Cottiaux, Laconception de la théologie chez Abélard, dans Revue d'hist.ecclés., t. xxvin, 1932, p. 217-295, 533-551 et 788-828.

Sur Gilbert de La Porrée et Alain de Lille. — M.-D. Chenu,Un essai de méthode tbéologique au Xtl'siècle, dans Revue dessciences philos, et théol., t. xxiv, 1935, p. 258-267.

Sur (a • Queestio : — M. Grabniann, Einftihrung in dieSumma theologia! des hl. Thomas von Aquin, Fribourg, 1919fl,a Somme théologique de saint Thomas d'Aguin. Introduc-tion historique et pratique, tr. Ed. Vansteenberghe, Paris,1925); Fr. Elirle, .Micolaus Trivet, seine Quodiibet undQusstiones ordinan'a", dans ^'estgabe Cl. Baeiimker, dansHeltrâge..., 1923, p. 1-63; P. Glorieux, La littérature quodii-bétique de ISSU à. 132(1, Pari», 1925; P. Mandoirnet, Jntro-duction aux S. Thomœ Aq. quasstiones disputâtes, Paris,1925, 1.1, p. 1-12; iSffint Thomas créateur de la dispute guod-libéttque, dans Ueuue des sciences philiis, et théol., t. xv, 1926,p. 477-506, et t. XVI, 1927, p. 5-38; L'enseignement de laBible selon l'usage de Paris, dans Revue thomiste, 1929,p. 489-519; F. Blanche, Le vocabulaire de l'argumentation etla structure de l'article dany les ouvrages de saint Thomas,dans Revue des sciences philos, et théol; t. xiv, 1925, p. 167-187; Al. Denipt, Die Hauptformen mittelaltarlicher Weltan-schaltung, 1925 (sur la naissance des Sommes théologiques);B. Geyer, Der Uegriff der schvlastischen Théologie, dansSynthesen i" der Philosophie der Gegenwart, l'estgabeA. D y r o f f , Bonn, 1926, p. 112-125; G. Lacombe, Thé Quœs-tiones of cardinal Siephen Langton, dans Thé New Scholas-ticism, t. in, 1929, p. 1-18; G. Lacombo et A. Landgral,même titre, ibid., p. 113-158, el t. iv, p. 115-164; P. Phi-lippe, Le plan des Sentences de Pierre Lombtird d'après saintThomas, dans t)ull. thomiste, juillet 1932, Notes et comm.,p. 13f-154*; J. Waricliez, Les Disputottoncs de Simon deTournai, texte Inédit, Louvain, 1933, Intr., p. XLIII sq.;

R.-M. Martin, Œuvres de lîobert de Melun, 1.1, Quicstiones deDivina pagina. Texte inédit, Louvain, 1932, Intr., p. xxxrvsq,; l'are, op. ci(., p. 123 sq.; Fr, Siegmiiller, Les Questionsdu Commentaire des Sentences de Robert Kilwardby, dansRecherches de théol. anc. et med., t. vi, 1934, p. 55-70 et 215-228; A. Landgraf, Quelques collections de • Queestiotws • riein seconde moitié du 3:11' siècle, ibid., t. VI, p. 368-393, ett. vu, 1935, p. 113-128.

VI, L'AGE D'OR DE LA SCOLASTIQUE, LA THÉOLOGIESOUS LE RÉGIME DT: LA MÉTAPHYSIQUE. —— Cette nOU-velle période est extrêmement féconde au point devue de la théologie, et les positions concernant l'objetel la méthode de celle-ci sont particulièrement dis-cutées. La théologie est-elle une science, est-elle spé-culative ou pratique, quel est exactement son " sujet »?Cependant, au delà de ces discussions techniques, undébat d'une très grande importance se poursuit : c'est,en gros, le débat entre aristotélisme et augustinisme.Nous verrons successivement : 1, Aristote maître depensée rationnelle; 2. La ligne augustinienne ; 3. Posi-tions et débals d'école; 4. Le xiv' siècle. La critiquethéologique; 5, Appréciation sur la scolastique.

/. AKISTOTE UAITHE DS FfJfSÉE RATIOIfSELLB. —1° La troisième « entrée « d'Aristote. — La réalité nou-velle qui s'impose à la théologie au xin" siècle est laphilosophie d'Aristote. Celte philosophie s'est d'abordlimitée à l'Organon, c'est-à-dire à un enseignementportant sur les instruments et les voies de la pensée,II est vrai que, au cours du xii" siècle, îles éléments dela philosophie proprement dite d'Aristote commencentà pénétrer dans les ouvrages de théologie : Simon deTournai met celui-ci au dessus de Plalon, il connaît,outre YOrganon, le De anima, peut-être quelques frag-ments de la Métaphysique et commence à faire uncertain usage des catégories aristotéliciennes dans leclassement des notions, en morale par exemple.J. Warichcz, op. ci7., p. xxiv-xxv et xxix. A la fin dusiècle, un Pierre de Poitiers fera de même une place àla Métaphysique d'Aristote, Grabmann, op. cit., t. n,p. 508; Étienne Langton à l'Éthique, ibid., p. 499,tandis que le Stagirite aura déjà reçu, chez Jean dtSalisbury, le titre sous lequel il sera cité dorénavanttant de fois, « le Philosophe ». Ibid., p. 447, n. 1. Mais11 ne s'agit, en tout cela, que d'utilisations sporadiques.

Ce changement, qui commence dans une bonnemesure chez un Guillaume d'Auxerre ou un Philippele Chancelier, au début du xin" siècle, sera l'œuvred'Albert le Grand et de saint Thomas. Il supposerad'ailleurs une connaissance beaucoup plus complètedes œuvres philosophiques d'Aristote que celle donton pouvait jouir au xii° siècle.

Malgré des recherches très actives, l'histoire exacte destraductions latines des œuvres du Stagirile et, comme ondit, de 1' • entrée • d'Aristote en Occident comporte encoredes lacunes et des incertitudes. On trouvera dans la 6" éd.de l'Histoire de la philosophie médiévale de M. De Wull, 1.1,1934, p. 64-80, el t. n, 1936, p. 25-38, un résumé de ce quiest acquis à ce jour, avec la bibliographie afférente.

Il existait, avant 1200, outre des traductions anonymesdes Lifrri naturales d'Aristole (Physique, De anima. Desensu et sensaio. De mrmoria et reminiscentia. De morte etvita), une traduction des 1. II et Itl de l'Éthique à Nicoma-que, nommée Ethica velils, et deux traductions successives,ou peut-être davantage encore, du début de la Métaphysi-que jusqu'au 1. III, c. iv, nommées Metaphgsica vetustissimaet Metaphysica vêtus. Deux vagues de traductions nouvellesse produisent entre 1200 et 1240. Une première, de traduc-tions généralement anonymes et faites sur le grec, amèneentre 1200 et 1210 un texte latin de la Métaphysique,excepté le I. XI; vers 1315, des traductions du De anima,De somno et vigilia. De generatione et corruptione; vers 1220-1230, VEthica nova, c'est-à-dire le 1. I de l'.fa/iigue à Mico-maque, et des fragments des 1. IV el suivants; enfin, desgloses et des commentaires (Adam deBocfeld et anonymes).Une seconde vague est formée de traductions faites del'arabe, en particulier par Michel Scot, à Tolède.avant 1220

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375 T H É O L O G I E . L ' U T I L I S A T I O N D ' A R I S T O T E 376(De animalibus, De partibus animalium; De senerationeanimalium; puis. Dp cœlo et mundo, De anima. Physique etMétaphysique avec le commentaire d'Averroès), par Michell'Allemand (Éthique à Nicomaque avec commentaired'Averroès), etc. C'est aussi cette vague qui apporte unetraduction faite sur l'ilébreu du Guide des égarés de Mnï-monide, primitivement rédigé en arabe. Enfin un mouve-ment tort actif de traductions, signées Belles-là et parfoismême datées, prend place entre 1340 et 1270; elles sontl'œuvro ae Robert Grossetéte qui, aux environs de 1240,traduit, outre Denys et saint Jean Damascèno, le texteintégral de VÊlhiqae à Nicomaque et du De cifio et mundoJusqu'au 1. III, c. i; de Barthélémy dé Messine qui, vers1358-1260, traduit les Magna Moralia et divers pseudépl-graplui» aristotéliciens; de UuillaumedeMœrbeke en fin, quirévise le^ traductions existantes do la AîéttIpansiqLie, de laMorale à Nicomaque, des Libri naturales, et traduit pour lapremière fois, outre un grand nombre de commentateursgrecs, la Politique, la Rhétorique, le 1. XI des Métaphysiques,peut-êtrç les Économiques.

Mais cette entrée matérielle d'Aristotc sous la (ormede traductions n'était que la condition et le moyend'une autre » entrée «, spirituelle et Idéologique celle-là, du philosophe païen dans la Sacra doririna. C'estcette entrée qu'il faut nous appliquer à hien narac-Lériser.

Ainsi que nous l'avons déjà indiqué, on avait bienappliqué à la théologie, discours humain sur les chosesde Dieu, la logique, la- grammaire et la dialectique,mais une telle application n'introduisait dans ledomaine sacré aucun contenu propre, aucun objetproprement dit. La nouveauté de 1' « entrée » d'Aris-tote qui s'opère au tournant du xn° et du xrn» siècle,c'est l'application, en théologie, de la physique, de lamétaphysique, de la psychologie et de l'éthique d'Aris-tote, application engageant un certain apport de con-tenu et d'objet dans la trame même de la sciencesacrée. Dès lors, Aristote n'apportera pas seulement,de l'extérieur, une certaine organisation des objetsrévélés, mais encore, dans le domaine même (les objetsdu savoir théologique, un matériel idéologique quiintéressera non plus seulement les voies, mais le termeet le contenu de la pensée-

On saisit les premiers etEets caractérisés de cetteintroduction d'une vue rationnelle du monde dans lesécrits de Philippe le Chancelier (+ 1236) et de Guil-laume d'Auxerre (f 1231); à un degré moindre chez unSimon de Tournai ou un Pierre de Poitiers, voire unGilbert de La Porrée. Aristote apporte principale-ment, dans la science sacrée des principes d'interpré-tation et d'élaboration rationnelles du donné théolo-gique, une possibilité d'organisation systématiquevraiment rationnelle, une structure scientifique.

1. Drs principes d'interprétation et d'élaborationrationnelles du donné théologique. — La chose se voitau mieux dans les parties de la théologie qui, concer-nant les rapports de la nature et de la grâce ou l'orga-nisme surnaturel de la grâce et des vertus, engagentune psychologie et une anthropologie. Si l'on se re-porte, par exemple, aux études publiées par A. Land-graf et dom 0. Lotlln, on constate que des questions,embrouillées chez les théologiens du xii" siècle, sont,chez un Philippe le Chancelier ou un Guillaumed'Auxerre, résolues par l'application d'une catégoriearistotélicienne qui, d'emblée, organise et construitle donné d'une façon rigoureuse et claire. C'est ainsique l'on confondait généralement, jusque vers la findu XIIe siècle, la grâce sanctifiante avec la foi et lacharité, tandis que l'on méconnaissait d'ordinaire lapossibilité de vertus qui ne se manifesteraient pas. Degraves difficultés s'ensuivaient ; là où 11 n'y avait pasexercice des vertus, pouvait-il y avoir encore vertu,et donc grâce? Si non, quelle serait la situation desenfants baptisés mais encore incapables d'exerceraucun acte vertueux? Au delà d'un timide essai

d'Alain de Lille, c'est au chancelier Philippe qu'il re-vint de distinguer non seulement entre les trois étatsdans lesquels peut se trouver la vertu, natura, habitu,actu, mais de distinguer les vertus et la vie surnatu-relle de l'âme, qui opère la justification, à la manièredont sont distinguées, en philosophie aristotélicienne,l'essence de l'âme et ses puissances; cf. A. Landfirat,dans Scholastik, 1928, p. 52, 59 sq.; 1929, p. 205 sq.Ainsi un principe d'analyse de l'ontologie surnaturellede l'âme est-il trouvé, qui permettra une constructionscientifique de l'anthropologie chrétienne; et il esttrouvé par un recours aux catégories de l'anthropologienaturelle d'Arislote, sous le bénéfice de ce principequ'entra la nature et la surnature il y a une similitudestructurale profonde. Philippe de Grève aboutit immé-diatement à saint Thomas, Sum. theol., l'-II», q. ex,a. 3 et 4; Q. disp. de uirl. in communi, a. 1.

On comprendra d'ailleurs qu'un tel progrès dans laquestion que nous venons de dire supposait une dis-tinction terme entre nature et surnature. Là encore,c'est Philippe le Chancelier qui, reprenant la distinc-tion entre vertus naturelles et vertus surnaturelles,lancée par Gilbert de la Porrée et admise par Guil-laume d'Auxerre, et faisant appel à la philosophiearistotélicienne de l'amour élicite, put distinguer unamour naturel, consécutif à la connaissance naturelleque nous pouvons avoir de Dieu et un amour surna-turel consécutif à la connaissance de toi. Un des pre-miers, sinon le premier, 11 fondait ainsi dans une philo-sophie des vertus spécifiées par les objets, l'idée d'unedistinction ontologique entre nature et surnature etcelle de l'ordination au Dieu révélé comme fondementessentiel de l'ontologie surnaturelle. Cf. Scholatsik, t. ni,1929, p. 380 sq., 389, et A. Landgraf, Die Erkenntnisder heiligmachenden Gnade. in der Frûhscholasiik, dansScholasiik, t. ni, 1929, p. 28-64 ; Studien zur Erkenntnisdes Uebe.rnatQrlichen in der Frûhscholastik, iÈid., t. iv,1929, p. 1-37, 189-220, 352-389. Comp. Th. Graf, Desubjecto psychico gratis et virlulum, t. i, Rome, 1934.

2. Une possibilité d'organisation systématique vrai-ment rationnelle. — Quand on compare l'ordre intro-duit dans le donné de la théologie par les grandes syn-thèses médiévales, on est frappé de voir comment,d'une part, un passage s'opère d'une collocation plusou moins arbitraire des questions à un enchaînementvraiment rationnel et comment, d'autre part, la théo-logie bénéficie, dans ce travail de mise en ordre, desapports philosophiques. Qu'on pense, par exemple,à l'étude des vertus. Elle intervenait, chez PierreLombard, dans la christologie, par le biais de cettequestion ; le Christ a-t-il eu la toi, l'espérance, etc...?Et d'ailleurs, dans le traité de la foi ainsi engagé,1. III, dist. XXIII sq., il n'était point parlé de l'héré-sie, dont la considération intervenait à propos del'eucharistie. 1. IV, dist. XIII. De même la considéra-tion du péché en général n'intervcnait-elle, chez leLombard, qu'à l'occasion du péché originel, 1. II,dist. XXXV sq. C'est chez Prévostin et surtout Guil-laume d'Auxerre que les vertus forment un traité dis-tinct. Chez saint Thomas, il devient le système quel'on sait, étonnamment charpenté et fouillé, avec à lafois une simplicité de lignes et une variété dans lessubdivisions, où rien, pour ainsi dire, n'est plus arbi-traire. Arislote, soit par lui-même, soit par saint JeanUamaseene, est passé par là. Le P. Merkelbach acomparé, pour le plan, la perfection de l'analyse etl'ordre rationnel, le traité de la moralité des actionshumaines de saint Thomas à celui des principaux théo-logiens du Moyen Age : le progrès est évident et il estdû principalement, en ce domaine, à l'Éthique d'Aris-tote.

J. Simier, Des Sommes de théologie, Paris, 1871 (étude desprincipales œuvres systématiques du Moyen Age, des Pères

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377 T H É O L O G I E . L ' U T I L I S A T I O N D ' A R I S T O T E 378à Vincent de Beauvah et Raymond Sebond); V. Me Nabb,SI. Thomas and moral theology, dan» Thé Irish Iheologicalguarlerlu, 1919, p. 326-336; E.-H. Markelbach, Le traité desactions humaines dans la morale thomiste, dans Revue dessciences philos, et théol: t. xv, 1926, p. 185-207; 0. Lottin,Les premières définitions et Classifications des vertus auMoyen Age, iftid., t. xvill, 1929, p. 369-407; La psychologiede l'acte humain chef saint Jean Damascèw et les théologiensdu X I I f siècle occidental, dans lîevue thomiste, ly31, p. 631-661; R.-M. Martineaii, Le plan de (a ' Sumnia aiirea » deGuillaume d'Auxerre, dans le recueil Théologie, I, Ottawa,1937, p. 79-114.

3. Une structure scientifique. — Le développementde l'influence d'Aristote devait engager un jour lathéologie à se donner un statut épistémologique aris-totélicien. A vrai dire, cette évolution ne sera pas ac-quise d'un coup; elle ne sera vraiment consommée quechez les commentateurs de saint Thomas. Cf. L. Char-lier. Essai sur h problème théologique, Thuillies, 1938.

Jusqu'Ici, la théologie est conçue comme constituéepar un certain usage de la raison s'appliquant auxchoses de la toi, & l'intérieur de la loi. Ce sont lesénoncés de foi qui forment son objet. Aussi posait-onen ces termes la question de l'usage de la raison ensacra doctrina : la raison peut-elle fournir des preuvesde la fol, peut-elle apporter des arguments qui prou-vent les énoncés de foi? Propter quid ad probalionemftdei adducantar raiiones?

Cette position s'exprime chez Guillaume d'Auxerre,au début de sa Summa aurea. La théologie y est conçuecomme une promotion de la foi, /ides laciens rationem,laquelle est présentée comme un don surnaturel delumière qui a en sol, de par Dieu, sa justification, etqui ouvre au fidèle un monde nouveau de connais-sances. Summa aurea, prol., éd. Pigouchct, Paris, 1500,(ol. 2. Cette notion de la toi engage Guillaume à mettrecelle-ci en parallèle avec la lumière naturelle des pre-miers principes, qui s'imposent par eux-mêmes, c'est-à-dire sont per se nota et ouvrent à l'intelligence toutl'ordre des connaissances naturelles : Ilabel ergo(fheologia) principia, scilicet articulas, qui tamen solisftdetibus sunt principia, quibus fldelibus siint per senota, non aliqua probatione indigentia. L. III, tract, ni,c. i, q. i, toi. 13l'1; cf. aussi tract, vin, cap. de sapien-tia, q, i, fol. 189e et 1. IV, tract, de baptismo, cap. debapl. paruul.. q. i, fol. 254e. Mais, en ces trois passages,pris à des questions qui concernent la foi, Guillaumen'a qu'un souci : rendre compte de l'immédiateté dela toi, qui ne s'appuie à rien (l'autre qui lui seraitsupérieur. Même au fol. 13l11 où il déclare ; si in theolo-gia non essent principia, non esset ars vel scientia, et autoi. 254'1 où il dit : S;c«( alise scientise habeiit suaprincipia et conclusiones suas, ita eliam theologia, il nepense pas à développer le parallèle entre la foi et lesprincipes premiers en ce sens quu la théologie partiraitdes principes de la foi, comme la science des principesde la raison, pour se livrer à une opération de déduc-tion et pour tirer, à partir de ces principes, de nou-velles conclusions qui seraient son objet propre. Ceparallèle, où il est toujours parlé des principia per senota, et non proprement des principia scientise, estInvoqué en faveur de la foi et n'est pas développé enfaveur de la théologie, dont les raliones semblent bienavoir pour rôle, simplement, de probare /idem, osten-dere fidem; cf. prol., fol. l*.

Dans cet usage des rationes naturales, Guillaumeinarque très fortement le primat du donné de toi. Leshérésies, dit Guillaume, sont venues d'une applicationindue des principes et des catégories naturels auxchoses de Dieu. Il y a des considérations qui valent enphilosophie, mais qu'on ne peut appliquer en théolo-gie; par exemple : Illa régula Aristolelis, quod per se estlaie. magis est taie quam Ulud quod non est per se taie,tenel in naluralibus, ubi naturalia natwalibus confe-

runinr. Sed ubi naturalia conferuntur primse causse, nontenet. L. II, tract, v, q. l, fol. 46". Ainsi Guillaume a-t-ilsenti le problème de la théologie rationnelle que nousallons rencontrer désormais dans toute sa force. Il luia donné une solution clairvoyante. Nous verrons, danstout le xin» siècle et jusqu'à Luther, se développerl'idée que la philosophie et la théologie représententdeux compétences dont il faut respecter les exigences etla spécificité. Sur Guillaume d'Auxerre, cf. Th. Heitz,Essai histor, sur les rapports de la philosophie et de laf o i , Paris, 1909, p. 92 sq,; J. Stracke, Die scholastischeMéthode in der « Summa aurea » des Wilhcim vonAuxerre, dans Théologie und Glaube, l. v, 1913,p. 549-557; M.-D. Chenu, La théologie comme scienceau ni/' siècle, dans Archives d'hist. dcictr. et liltér. duMoyen Age, t. il, 1927, p. 31-71, cf. p. 49 sq.

Le parallèle, lance par Guillaume, entre la foi etles principes per se nota sera repris et développé dansun sens qui cherchera à concevoir la théologie sur letype de la science aristotélicienne. Le F. Cuervo apeut-êire un peu exagère la portée de quelques textesd'Albert le Grand en ce sens. Cependant, si l'ensembledu Corn. in 1 Sent.. dist. I, éd. Borgnet, t. xxv, p. 15-20,n'est guère explicite pour une théorie de la théologie-science, plusieurs passages de la Summa theologine, derédaction plus tardive, sont plus formels et plus rigou-reux; cf. I* pars, tract, i, q. iv, sol.; q. v, menit). 2,ad 2"°; memb. 3, surtout contr. 3, éd. Borgnet,t. xxxi, p. 20, 24-26. Albert ne fait d'ailleurs pas inter-venir l'idée de science subalternée. Nous n'insisteronspas autrement sur sa notion de théologie, qui n'estpas, techniquement, d'une très grande originalité.Par contre, Albert commence l'espèce de révolutionque saint Thomas fera aboutir, en faveur d'une dis-tinction netle entre philosophie et théologie et surtouten faveur de la consistance des natures créées et de laconnaissance rationnelle qui leur fait fac.c.

Le parallélisme suggéré par Guillaume d'Auxerreest plus nettement marqué, peut-être, dans les qusss-fiones de quelques auteurs franciscains aniérieures àla Summa d'Albert et même à celle de saint Thomas.Soit dans les Qusstiones d'Odon Rigaud, vers 1241-1250, soit dans celles de Guillaume de Méliton, vers1245-1250. soit dans celles du Cod. Vatic. lai. 78S,l'idée aristotélicienne de science se trouve appliquéeà la théologie et l'objection caractéristique tirée desobjets singuliers de celle-ci, abondamment dévelop-pée ; Theoloflia, quantum ad acceplionem ilîarum di-gnitatum, quae menti hominum sunt impressœ, quasefiam ab aliis scienliis non mcndicat, dicilur sapimiiaquasi cognilici cnusarum altissiinarum; serf quantum adconclusiones ex illi.'; principiis illcitas est scienfia..., ditOdon Rigaud.

Sur Albert le Grand : cf. Cuervu, La teologia como ciencia,etc., dans Ciencia tomisia, t. XLVI, 1932, p. 173-19Ï); W.Betzenddi-rer, Glailben und Wissen bei Albert dem Grossen,dans Zeitsch. f . Theol. u, Kirclie, t. vil, 1926, p. 280-300;G. Pèches, Glmiben u'vl Vlaubensmissenschatt nnch Albertdem Grossen, dans '/.eilsr.h. j . katliol. Theul., t. T.IV, 1930,p. l'â9; M. Grabmnnn, De queestione • Utrum theotugla sitscientia speculativa an praclica « a u . Alberto Magno et S.Thoma Aquinaie pertractata, dilils Atti dellii Seltimiula alber-tina. Rome, 1932, p. 107-120; A, Hotiiier, De nadiru tlieolo-Iliic jwla S, Albertum Magnum, dtuis Angdicum, t. xvi,1939, ]). 3-23.

Sur les auteurs franciscains cités ; B. Pergattio, De quœs-tlonihus ineditis Fr, Odonis Hiyaldi, Fr. Gidielmi de Meli-lima et Codicis Vat. lat, 7S3 circu naturain titrulosiie disqueewuia relatione ad Summum ttteologiciw Fr. AlfxandriHalensis, dans Arch. francise, hist., t. xxix, 183G, p. 3-54,308-36-t.

2° La théologie chez saint Thomas d'Aquin. — Sansentrer dans un grand détail, nous nous arrêterons unpeu sur la notion de théologie chez saint Thomas, car

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379 T H É O L O G I E . S A I N T T H O M A S 380elle marque une orientation décisive, quoi qu'il en soitdes interprétations assez divergentes que les coinrncn-tatliurs ont données de la pensée du maître.

Saint Thomas a traité trois fois de la méthode théo-logique : dans le prologue du Commentaire sur les Sen-tences (1254), dans le commentaire sur le De Tfinitatede Boèce, q. n; enfln dans la Somme théologique, I',q. i (vers 1265). A ces textes majeurs s'en ajoutentd'autres et en particulier Contra Gentiles, 1. I, c. m-ix; 1. II, c. n-iv; 1. IV, c. i (1259); Sum. theol., r,q. xxxn, a. 1, ad 2™; lit-Il», q. i, a. 5, ad 2°"1; Quodi.,iv, a. 18 (1270 ou 1271).

Voici, en bref, nos conclusions : 1. Saint Thomasn'a pas changé la manière, reçue de saint Anselme,d'Abélard et de Guillaume d'Auxerre, de concevoir lerapport du travail théologiquo au révélé ; la théologieest pour lui la construction rationnelle de l'enseigne-ment chrétien lui-même. 2. Mais il a transformé lerendement et l'apport de la raison dans ce travail,parce que, grâce à Aristote, la raison, chez lui, estautre chose qu'avant lui. Elle connaît une nature deschoses et a une philosophie. 3. Ce qui, d'ailleurs, ne vapas sans engager des présupposés et sans poser desproblèmes dont l'ensemble représente bien, pour lathéologie, une nouveauté et une occasion de crise.

1. Saint Thomas n'a pas changé le rapport du travailthéologique au révèle. — C'est. ce que nous verrons dansla théorie qu'il a proposée de la théologie; dans l'exer-cice qu'il en a tait; à Litre de conflrmatur, dans cequ'en ont dit ses disciples immédiats.

a ) La théorie de saint Thomas. — La première ques-tion de la Somme débute par un article où saint Tho-mas établit qu'il est nécessaire (d'une nécessité hypo-thétique, mais absolue) que, élevé à l'ordre surnaturel,l'homme reçoive communication d'autres connais-sances que les connaissances naturelles. Cette commu-nication, c'est celle de la Révélation, c'est-à-dire cellede la doctrina fidei, ou sacra doctrina, ou sacra scrip-turct. Toutes ces expressions, prises unîvoquement danstoute la q. i, sont en gros équivalentes et. saint Tho-mas les considère si bien comme telles qu'il les prendl'une pour l'autre au cours d'un même raisonnement :cf. par exemple a. 3. La sacra doctrina est l'enseigne-ment révélé, doctrina secundum revelationem divinam,a. 1, dans toute son ampleur, dont l'objet est ea qusead christianam religionem pertinent, prol. ; elle s'opposeaux philosophicse (ou physicas) disciplinse, a. 1 etCont, Gent., 1. II, c. iv; elle comprend aussi bienl'Écriture sainte, Scriplura sacra Au/us doctrina', dit leprologue de la q. i, la catéchèse et la prédication chré-tienne, que la théologie proprement dite en sa formescientifique.

Nous soupçonnons dès lors ce que signifie l'a. 2,Utrum sacra doctrina sit scientia? En posant cettequestion, saint Thomas prend sacra doctrina au sens del'a. 1, celui d'enseignement chrétien, et il entend sedemander ceci ; Est-ce que l'enseignement chrétien esttel qu'il a la forme et vérifie la qualité d'une science?Il ne s'agit pas d'identifier, sans plus, enseignementchrétien et science, car l'enseignement révélé comportebien des aspects ou des actes qui n'appartiennent pasà l'ordre de la science; mais il s'agit de savoir si l'en-seignement chrétien, au moins en l'une de ses fonc-tions, en l'une de ses activités, en l'un de ses actes,peut vérifier la qualité et mériter le nom de science.A cette question, saint Thomas répond affirmative-ment et, dans la Somme tout au moins, il se contentepour cela de dire que la sacra doctrina vérifie la qualitéde science selon cette catégorie, étudiée et définie parAristote, des sciences « subalternëes ».

Dans le commentaire sur le De Trinifafe de Boèce,cependant, q. n, a. 2, il nous indique plus expressémentce qu'il veut dire lorsqu'il revendique pour la sacra doc-

trina la qualité de science. Il y a science quand cer-taines vérités moins connues sont rendues manifestesà l'esprit par leur rattachement à d'autres véritésmieux connues. Dieu a, de toutes choses, une scienceparfaite, car il voit le fondement des effets dans lescauses, des propriétés dans les essences et finalementde toutes choses en lui, dont elles sont une participa-tion. La foi est bien, en nous, par grâce, un connaîtredivin, une certaine communication de la science deDieu. Mais cette communication est encore bien im-parfaite et laisse l'esprit dans le désir d'une saisieplus pleine des objets qu'elle révèle. Cette saisie peutêtre recherchée soit par une activité surnaturelle,de mode vital et qui tend à s'assimiler au mode desaisie de Dieu lui-même, soit par une activité pro-prement intellectuelle qui suit notre mode à nouset qui est, en gros, le travail théologique. Nous avonsainsi, à partir de la toi et sous sa direction positive,une activité qui suit notre mode à nous, qui estmode de raisonnement. Est-ce à dire que les véritésde la toi seront en nous comme des principes à partirdesquels, sortant du domaine de la fol pour entrer danscelui de la théologie, on déduira des vérités nouvelles?Sans doute n'y a-t-il pas lieu d'exclure de la perspec-tive de saint Thomas ces conclusions théologiques« proprement dites 11, aboutissant à des vérités qui nese trouvent pas énoncées dans l'enseignement révélé.Mais ce n'est pas cela que saint Thomas a dans l'es-prit. Tout simplement, la sacra doctrina prend uneforme de science et en mérite le nom lorsqu'elle rat-tache certaines vérités de l'enseignement chrétien,moins connues ou moins intelligibles en soi, à d'autresvérités, également de l'enseignement chrétien, plusconnues ou plus intelligibles en soi, comme des conclu-sions à des principes, mode propre du connaître hu-main. Peu importe que les vérités-conclusions soientou non expressément révélées. L'important c'est quees aUquibus notis alia ignotiora cognoscuntur. Alors queDieu connaît toutes choses en lui-même, modo suo, idest simplici intuiiu, non discurrendo, et qu'il a ainsiune science intuitive, nous connaissons les mêmeschoses, selon notre mode à nous, discurrendo de princi-piis ad conclusioness. C'est ainsi que, dans l'enseigne-ment sacré, certaines vérités joueront le rôle de prin-cipes et d'autres, que nous rattacherons aux premièrescomme des effets à leur cause ou des propriétés à leuressence, le rôle de conclusions.

Ainsi l'enseignement sacré vérifie la qualité descience lorsqu'il se produit en une activité proprementdiscursive, dans laquelle le moins connu ou le moinsintelligible est rattaché au plus connu ou au plusintelligible. Ainsi nous rejoignons l'a. 8 de la Somme,où saint Thomas définit en quoi l'enseignement sacrédémontre ou argumente. Et saint Thomas d'ajouter,comme dans les lieux parallèles, l'exemple de saintPaul qui, dans la Ve épître aux Corinthiens, c. xv,établit notre propre résurrection en argumentant àpartir de la résurrection du Christ, mieux connue etsurtout cause et fondement de la nôtre. Comp. Sum.theol., I*, q. i, a. 8, curp.; De verilate, q. xiv, a. 2, ad9°»; In Ji" Sent., prol., a. 5, ad 4""1. La qualité scien-tifique de l'enseignement sacré consiste donc en cecique, à partir de vérités de foi prises comme principes,on peut, par raisonnement, établir ou fonder d'autresvérités qui apparaîtront certaines de par la certitudedes premières. Et, répétons-le, il ne s'agit pas poursaint Thomas de savoir si ces vérités rattachées dis-cursivement comme des conclusions à des vérités-principes ajoutent matériellement au révélé. Il s'agitde voir que l'enseignement sacré comporte, dans sonlabeur total, ce travail, qui est le plus spécifiquementhumain, de construire la doctrine chrétienne selon unmode de science, en rattachant à ce qui est, en elle,

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381 T H É O L O G I E . S A I N T T H O M A S 382premier, tout ce qu'on peut y rattacher comme uneconclusion.

Par ce travail, la sacra doctrina reproduira, autantqu'elle le pourra, la science de Dieu, c'esl-à-dire l'ordreselon lequel Dieu, dans sa sagesse, rattache touteschoses les unes aux autres, selon leur degré d'Intelli-gibilité et d'être, et finalement toutes à lui-même.Nous sommes ici au cœur de la notion thomiste dethéologie et. ce ne sont plus seulement les a. 2 et 8 dela Somme que nous y trouvons, mais aussi l'a. 7 et lesaffirmations de saint Thomas sur les articuli et les perse credibilia. Il s'agit, pour le théologien, de retrouveret de reconstruire, dans une science humaine, leslignes, les enchaînements, l'ordre de la science deDieu. Dans l'enseignement sacré, le sage chrétiens'appliquera à rattacher les choses plus secondaires,qui ont en sol moins d'être et moins de lumière, auxréalités plus premières qui en ont davantage.

Ce rattachement des vérités-conclusions aux vérités-principes, saint Thomas l'a conçu selon le schème quevoici : les principes sont les articuli f lde i , qui sont perse et directe objets de Révélation et donc de toi, c'est-à-dire, essentiellement, les articles du Symbole pro-mulgués par l'Église : cf. Sum. Iheol., II'-II", q. i,a. 8 et 9. Ces articles du Symbole ne sont qu'une pre-mière explication (par voie de révélation, et non parvoie de science théologique : cf. Sum. theol., II'-II»,q. ii, a. 6) de deux credibilia absolument premiers etqui contiennent implicitement toute la substance dela foi chrétienne. Ces deux credibilia premiers sontceux qui énoncent le mystère de Dieu lui-même, sonmystère nécessaire, à savoir celui de son existencecomme Être Trine et Un, et son mystère libre, à savoirl'incarnation rédemptrice et déiflcatrice des hommes.Au delà des articuli fldei qui sont essentiellement lesénoncés du Symbole, c'est à ces deux credibilia quetout le reste sera ramené et suspendu. Ce sont ces deuxcredibilia qui, étant révélés et faisant l'objet de notrefoi directement, en raison de ce qu'ils sont et de leurcontenu, sont comme un critère pour toute l'économiede la Révélation; une chose, en effet, est révélée etproposée par l'Église à notre toi, en tant qu'elle a rap-port à ces deux vérités premières : et. Sum. iheol.,II'-II", q. i, a. 6, ad l»" et a. 8, corp.; q. n, a. 5 et7;Camp, iheol., I, c. i; De artic, fidei et Ecoles, sacrum,,in pr. Ces deux objets premiers nous apparaissentainsi comme fournissant un principe de définition desreuelabilia : rentrent dans les revelabilia et donc dansla considération de la science sacrée, loul ce qui, ayantrapport aux deux mystères de Dieu et du Christ-Sau-veur, tombe sous la Révélation dont ces deux mystèresfont l'objet essentiel.

Ainsi la doctrine sacrée, en tant qu'elle est science,reproduit-elle autant qu'il est possible, mais par unordre de remontée au principe, la vision de la sciencede Dieu, finissant par tout rattacher à Dieu lui-même,en son mystère nécessaire et libre. Le sujet de lasacra doctrina, c'est Dieu, car c'est en vertu de leurrapport à Dieu lui-même que toutes choses la concer-nent. L'effort de la théologie, c'est, par les articles defoi, de lout rattacher à Dieu comme celui-ci, r-n sascience, voit toutes choses en lui-même.

De tout cela il découle encore que la doctrine sacréeest sagesse, qu'elle est la sagesse suprême. Mais,comme saint Thomas le remarque, Sum. Iheol., I1,q. i, a. 6, ad 3°", cette sagesse est une sagesse acquise,de mode intellectuel, au titre de science suprême, eton doit la distinguer de la sagesse infuse, île natureproprement mystique, qui constitue cette promotionde la charité qu'est le don de sagesse. Cf. II'-Il»,q. XLV, a, 1, ad 2°° et a. 2, et cf. Gagnebet, La naturede la théologie spéculative, dans Revue thomiste, 1938,qui a mis en lumière l'originalité de la position de

saint Thomas sur ce point au regard des autres doc-teurs du XIIIe siècle.

Il convient de compléter cet expose de la théologie-science en résumant ce que dit saint Thomas desdiverses manières dont la raison intervient dans ladoctrine sacrée. Voir In 1'"" Sent., prol,, a. 3, sol. 2 eta. 5, sol. et ad 4°-»; In Boet. de Trin., q. il, a. 2 et 3;Cont. Cent., 1. I, c. ix et x; Sum. theol., I*, q. i, a. 2 et8; q. xxxir, a. 1, ad 2""1; Quodt., iv, a. 18. D'après cestextes, la raison, outre un rôle préliminaire, a troisfonctions en théologie :

a. Rôle préliminaire : établir, par une démonstrationphilosophique rigoureuse, les prseambula fldei : exis-tence et unité de Dieu, immortalité de l'âme, etc.Cf. Sum. theol., H'-II», q. n, a. 10, ad 2°»; In Boet. deTrin., q. il, a. 3.

b. Mie de dépense des articles de f o i : non pas en prou-vant la vérité de ces articles, ce qui est impossible,mais en montrant qu'ils découlent nécessairement desparties de la Révélation qu'admet l'adversaire, s'ilen admet quelqu'une, par exemple l'Ancien Testa-ment pour les Juifs et qu'en tous cas les raisons ap-portées en difficulté par le contradicteur ne valentpas. .Sum. theol., I", q. i, a. 8; II'1-!!", q. il, a. 10,ad 2»'°; q. vin, a. 2, corp.; Contra Cent., 1. I, c. n, vuet vin; In Boet. de Trin., q. n, a. 3; Quodl,, iv, a, 18.

c. Râle de déduction, par quoi une vérité encore in-connue ou mal connue est éclairée par son rattache-ment à une vérité mieux connue qui joue, à son égard,le rôle du principe à l'égard d'une conclusion. C'estcette fonction que saint Thomas exprime en ces ter-mes : Inomtio utritatis in qussstionibus ex principiisfldei, In I»" Sent., prol., a. 5, ad 2""; et encore :Procedit ex principiis ad aliquid aliud probandum,Sum. theol., I1, q. i, a. 8; ex articulis fidei hsec doc-trina ad alia argumenlalur. Ibid., ad l""1. Cette argu-mentation peut se taire à partir de deux principes detoi et aboutir à une vérité qui ne se trouve pas énoncéedans la Révélation. Il semble même qu'on doive direque, pour saint Thomas, la doctrine sacrée puisse, danscette fonction discursive, employer des principes deraison, des prémisses philosophiques : I s f a doctrinahabet pro primis priricipiis articulas f t de i , et ex istisprincipiis, non respiiens communia principia, proceditisia scientia. In I"" Sent., prol., a. 3, qu. 2, ad 1"°';cf. //; Boet. de Trin,, q, n, si. 3, ad 7""1; Com, in Gâtât.,c. nî, lecl. 6, et Contra impugn., part. III, c. xii, xivet xv. Il ne nous paraît donc pas légitime de restrein-dre, comme certains ont voulu le faire, l'argumental ionthéologique selon saint Thomas au rattachement d'unevérité révélée secondaire à un article de foi. Par exem-ple, In I I I " » Sent., dist. XXIII, q. n, a. 1, ad 41"11, saintThomas distingue le cas de la manifestation d'unarticle de foi par un autre article et le cas d'un rai-sonnement par lequel es articulis qusedam alia intheologia sylloghantur.

d. Rôle explicatif et déclaratif s'exerçant à l'égardmême des principes que sont les articuli et visant à lespénétrer, à lus rendre, autant que faire se pcul, com-préhensibles à l'esprit (le l'homme, en en fournissantdes analogies, des raisons de convenance. Saint Tho-mas s'exprime ici avec Une grande netteté : cet apportd'éléments rationnels est ordonné ad majorent mani-festalionem eorum quse in hac scientia trndunfur. Sum.theol., I», q. i, a. 5, ad 2""; In Boet. de Trin., q. n,a. 2, ad 4"111. Reprenant le mol. qu'on a tant reprochéà Abélard sur les arguments analogiques et moraux,saint Thomas parle d'une mise en valeur de la véritépour laquelle suni rationes alignas uerisimiles addu-cendse, Cont. Gent., 1. I, c. x; seras similitudines colli-gere. Ibid., c. ix. Ailleurs, il illustre cette fonction parl'exemple de saint Augustin qui, dans son De Trini-tale, a cherché à manifester le mystère des Trois par

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de multiples analogies empruntées à l'ordre naturel,In Boel. de Trin., q. n, a. 3. Ajoutons que de tels argu-ments, s'ils ne constituent pas des preuves, ont cepen-dant une réelle valeur apologétique et apportent uneaide à la foi. In /"B Sent., prol., a. 5; In Boet. de Trin.,q, n, a. 1, ad 5"°1; Sum. theol., II'-II", q. i, a. 5, ad2™.

b) La pratique de saint Thomas. — La méthodethéologique que saint Thomas a réellement pratiquéerépond à ce programme. Nous ne traiterons pas icila question de la documentation de saint Thomas,ni même celle de sa manière de se référer au donnérévélé et de traiter les documents de ce donné et enparticulier les Pères; cf. ici, art. FRÈRES-PRÊCHEURS,t. vi, col. 876 sq.; l'art. THOMAS n'AouiN. Mais nousvoulons reprendre rapidement les quatre chefs d'in-tervention de la raison distingués plus haut et voircomment saint Thomas en a entendu l'usage.

a. Les prœambtila fideî. — On sait que, là où il peutprouver des vérités transcendantes, saint Thomas yapporte une rigueur jamais surpassée. Ainsi de l'exis-tence de Dieu, Sum. theol., I», q. n, a. 1, du pouvoircréateur réservé à Dieu seul, q. XLV, a. 5, de l'immor-talité de l'âme, q. LXXV, a. 6, de l'impossibilité pourl'homme de trouver la béatitude dans un bien créé,I"-II*, q. n, a. 8, etc. Par ailleurs, il est utile de noterque des expressions telles que opmlet, patet, necesseest, ne comportent pas toujours, chez saint Thomas,le sens le plus rigoureux; cf. P. Rousselot, L'intellec-tualisme de saint Thomas, 2e éd., p. 149 sq.

b. La fonction de défense. — On sait avec quellerichesse d'argumentation saint. Thomas l'a exercéecontre les Genliles, Mais il y a lieu de souligner, dansson travail spéculatif lui-même, l'Importance de lafonction de défense. La garde de la pureté de la doc-trine, la poursuite et la réfutation des hérésies lui onttoujours paru être au premier plan dans la mission dudocteur chréllen. Dans beaucoup d'articles, l'élabo-ration spéculalive est destinée à bien montrer dequelles méconnaissances ont procédé les erreurs sur lesujet et comment il faut construire intellectuellementle mystère pour éviter Icsdites erreurs. Cf. Q. disp. depolentia, q. il, a. 5; q, x, a. 2; Sum. theol., I', q.xxvn,a. 1 ; Camp. theol., i, c. 202 sq., et surtout le 1. IV duContra Gentiirs et tout l'opuscule De arlic. fidei etËcclesise sacram,

c. Ruie d'injérence et de démonstration. — SaintThomas semble avoir peu exercé cette fonction de lathéologie dans le sens de l'obtention de conclusionsthéologiques objectivement nouvelles par rapport audonné révélé. Sans doute faudrait-il ranger dans cettecatégorie certaines thèses concernant la morale ou lachristologie, où l'introduction de principes éthiqueset anthropologiques a permis une élaboration nou-velle. Ainsi la distinction des vertus et des dons, lesystème des vertus dans la II'-II", l'affirmation del'unité d'être dans le Christ, de l'exercice d'un intel-lect actif en lui, etc.

Mais, dans la pratique, saint Thomas s'en tient leplus souvent à fonder une vérité qui tait partie del'enseignement sacré sur une autre vérité mieuxconnue, qui en fait également partie, de manière àjoindre à la connaissance du pur fait la connaissancede sa raison, propter quid sit verum, et à doubler lespures adhésions de la foi d'une connaissance scienti-fique établie à l'Intérieur même de ces adhésions, parune mise en ordre rationnelle des dogmes. Tel est évi-demment le cas pour les vérités accessibles à la raisonqui rentrent dans les prssambula fidei et dont saintThomas n'établit pas Van sint sans donner la raisonpropfer quid sint; mais tel est aussi le cas de puresvérités de toi et d'abord de celle dont il donne lui-même l'exemple, notre résurrection en tant que nonseulement affirmée comme un tait, mais fondée dans

celle du Christ comme dans son principe. Cf. Com. in1 Cor., c. xv, lect. 2 (où saint Thomas institue préci-sément sur ce sujet une véritable qusestio); Sum. theol.,III'1, q. LVI. C'est vraiment investigare radicem etfacere scire quumodo sit uerum que de rattacher, dansla construction théologique, notre résurrection à celledu Christ. Chercher la raison des uns dans les autres,telle est cette fonction de la théologie, quand saintThomas, par exemple, rattache le f a i t des perfectionset des faiblesses du Christ à sa mission de Rédempteur,sur quoi il en assigne la raison et en dégage l'intelligi-bilité.

Ainsi le travail théologique établit-il une sorte dedouble scientifique des énonces de la foi : non certesen prouvant par la raison le fait des vérités révélées,mais en trouvant, à l'intérieur de la loi et sous sa con-duite, le fondement des vérités secondaires dans lesvérités principales. De cette manière, ce qui étaitd'abord seulement cru devient à la fois cru et su : entant que fait révélé, il est toujours cru, et non su; entant que rattaché à une autre vérité révélée et ex-pliqué par la raison théologique, il est devenu, dansdes conditions certes imparfaites, objet d'une scienceet d'un habilus scientifique; cf. De ueritale, q. xiv,a. 9, ad 3"'°; Siim. theol., II'-II", q. i, a. 5, ad 2™.

d. Rôle explicatif et déclaratif. — C'est une fonctionextrêmement riche de la théologie, qui va de la simpleexplication, grâce à des analogies et des arguments deconvenance, jusqu'à l'explication essentielle. Nous ytrouvons d'abord des explications des énoncés de lafoi; elles consistent & interpréter en catégories jus-tifiées en science humaine, les énoncés non systéma-tiques de l'enseignement chrétien, soil qu'il s'agissedes notions premières mises en œuvre dans chaquetraité, soit qu'il s'agisse de tout un mystère dont laconstruction intellectuelle se poursuit, à travers toutun traité. C'est ainsi que les catégories d'une anthro-pologie scientifique servent constamment, dans lotraité du Christ, à interpréter et à organiser ration-nellement le donné révélé, ou, dans le traité des sacre-ments, les catégories de cause et de signe. Quant aupremier cas (interprétation systématique des notions),la Somme en présente de nombreux exemples, en par-ticulier dans la II", où la plupart des traités commen-cent par une définition de la vertu dont il s'agit.Cf. I*-Il"1, q. LV, a. 4; q, LXXI, a. 6; q. xc, a. 1 ; II'1-!!",q. iv, a, 1 ; q. xxin, a. 1 ; q. LVIII, a. 1; q. x-xxxi, a. 1.

Les arguments de convenance, qui s'efforcent defaire admettre et comprendre un mystère chrétien paranalogie avec ce que l'on remarque dans l'universconnu, sont fréquents dans l'œuvre de saint Thomas.Ils constituent une des tâches principales de sa théo-logie et peut-être même sa tâche principale. SaintThomas excelle à manifester ces harmonies du mondesurnaturel avec le monde naturel et à insérer un faitparticulier dans une loi universelle débordant l'ordremoral lui-même et régissant tout ce qui est. Exemples :Sum. theol., IIr-I]», q. n, a. 3, pour la question :Utrum credere aliiJitid supra rafionem nafuralem sitnecessariam ad salutem? q, civ, a. 1, pour la question :Utrum homo deheat obedire homini? III», q. vil, a. 9,pour la question ; Ufrum in Christo fueril plénitudegratise ? etc.

Certes il sait très bien que la loi générale invoquéen'est pas ce qui rend raison de l'existence du faitchrétien. Quand il invoque ce principe que plus unrécepteur est proche d'une cause qui influe sur lui,plus il participe de cette influence, III», q. vu, a. 9, ilsait très bien que ce n'est pas pour cela que le Christa la plénitude de la grâce, mais il pense que cela peutaider quiconque sait déjà, par la foi, que le Christ estplenus gratise, à construire intellectuellement et àcomprendre en quelque mesure ce mystère. El, de

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385 T H É O L O G I E . S A I N T T H O M A S 386même, lorsqu'il se demande, III*, q. XLÏX, a. 6, si leChrist a, par sa passion, mérité d'être exalté : ce n'estpas en vertu du principe de justice selon lequel celuiqui a été mis plus bas qu'il ne méritait doit être exailéau delà de son strict dû, qu'il affirme le mystère, maisbien en vertu du texie de Phil., n, 8, cité au sed contra :le fait chrétien n'est pas un cas de la loi générale invo-quée et ce n'est, pas à cause de cette loi qu'il est vrai;mais la loi générale sert à l'interpréter intellectuelle-ment et, en quoique mesure, à en comprendre les rai-sons. Nous tenons une ratio qua non sufflcienter probatradicem, sed quse radici jam posifx ostendat congruereconséquentes effectus. Sum. theol., I", q. xxxn, a. 1.

Il faut remarquer cependant que, dans les cas lesplus heureux, l'argument de convenance sera tout prèsde devenir une explication véritable et se joindra à cesrationibus inuestiganfibus veritafis radicem et facienfi-bus scire quomodo sil verum qwd dicitur, Quodi. iv,a. 18. Dans la mesure où l'analogie invoquée estrigoureuse, elle devient en effet une analyse indirectede structure cl fait connaître vraiment une natureprotonde des choses; la théologie dégage alors desconnexions qui, fondées dans la nature des choses, ontla nécessité de cette nature. Ainsi quand saint Thomas,l'-II", q. i.xxxi, a. 1, se demande si le péché d'Adamest transmis à sa postérité par voie de génération etqu'il argue de ce fait que l'humanité est comme un seulhomme dont nous sommes comme les membres, ilfournit une analogie qui est bien proche d'une expli-cation de structure. Il faut d'ailleurs noLer que cetteexplication ne prétend nullement prouver rationnelle-ment le f a i t , mais veut seulement, le tenant par la foi,tenter d'en rendre compte ]e plus profondément pos-sible. L'article même que nous venons de citer illustrebien cette remarque, lui qui est introduit ainsi : Se-cundum /idem caiholicam est (enendum qwd... Ad inues-tigandum aatem qualifer...

Au total, la théologie telle que saint Thomas l'aentendue et pratiquée nous apparaît comme uneconsidération du donné révélé, de mode rationnel etscientifique, tendant à procurer à l'esprit de l'hommecroyant une certaine intelligence du ce donné. Elle est,si l'on veut, un double scientifiquement élaboré de latoi. Ce que la foi livre d'objets dans une simple adhé-sion, la théologie le développe dans une ligne de con-naissance humainement construite, cherchant la raisondes faits, bref reconstruisant et élaborant, dans lesformes d'une science humaine, les données reçues,par la foi, de la science de Dieu qui crée les choses.Ainsi, par son esprit dirigé par la foi, l'homme prend-ilune intelligence proprement humaine des mystères,utilisant leur liaison ou leur harmonie avec le mondede sa connaissance naturelle; il fait rayonner l'ensei-gnement révélé dans sa psychologie humaine avectoutes ses acquisitions légitimes et authentiques qui,finalement, sont aussi un don de Dieu. ComparerR. Gagnebet, dans Revue thomiste, 1938, p. 229 sq.

c ) Les disciples de saint Thomas. — De l'interpré-tation précédente de la pensée de saini Thomas noustrouvons une confirmation dans les écrits de ses dis-ciples immédiats. Annibald de Annibaldis, disciple etami de saint Thomas, dans son commentaire du pro-logue des Sentences, développe une notion de la theolo-gia ou sacra doctrina tout à fail dans la ligne que nousavons dite. Texte imprimé dans les œuvres de saintThomas, éd. de Parme, t. xxn. — Remi de Girolamo(+ 1319), autre disciple immédiat de saint Thomas,pour autant que l'exposé de sa pensée que faitMgr Grabmann permet d'en juger, est dans la mêmeligne. Die Lehre von Glauben, Wissen und Glwbens-wissenschajt bel f r a lîemigio de Girolami, dans DiuusThomas, 1929, p. 137 sq. — Encore plus nette est laposition d'un autre disciple de saint Thomas, Bombo-

lognus de Bologne, qui d'ailleurs reprend ad verbumcertains textes des Sentences du Maître; cf. les textespubliés par Mgr Grabmann dans Angelicum, 1937,p. 44 sq., 55. — Encore qu'il ne soit sans doute pas undisciple immédiat, l'auteur du Correctorium Corrup-torii « Quare > est à coup sûr l'un des premiers tho-mistes; on relèvera donc ici son témoignage, op. cit.,in Z"° part., a. 6, éd. Glorieux, p. 35-36. — Enfin, bienqu'ils relèvent, chacun de son côlé, d'autres influencesque celle de saint Thomas, on joindra encore ici Ulrichde Strasbourg, Summa de bono, 1. I, tract. 2, éd. Da-guillon, p. 27 sq., et surtout p. 30, et Godefroid deFontaines, Quodl, ix, q. xx, concl. 1.

Sur la théologie selon saint Thomas, outre les étude»citées supra, col. 383, on verra : J. Engerl.Die Théorie derGlaubenswisseivschalt bei Thomas von Aguin, dans FestgabeSeb. Merkie, 1933, p. 14-117; V. Blanche, Le vocabulaire dei* argumeJïtaiion et la structure de l^ariicie dans les ouvragesde saint Thomas, dans Repue des sciences philos, et théol.,t. xiv, 1925, p. 167-187; R. Garrigou-Lagrange, De methodoS. Thomas, spécial im de structura arliculorum Summis theolo-gicse, dans Angelicum, t. v, 1928, p. 499-524; A. d'Alès,art. Thomisme, dans Dict. apolog; t. iv, col, 1694-1713;H. Meyer, Oie Wissenschajislehre des Thomas von Aquin.B. Die Glaubensu'issenschalt (sacra doctrina), dans Philos.Jahrbuch, t. XLVIII, 1935, p. 12-40.

2. Saint Thomas a transformé le rendement du travailrationnel en théologie. — Aussi bien la raison qu'il yemploie connaît une nature des choses.; elle a une phi-losophie. On ne peut nier qu'Albert le Grand et Tho-mas d'Aquin apparaissent comme des novateurs auxiii8 siècle. Ce qui les met à part, c'est qu'ils ont unephilosophie, c'est-à-dire un système rationnel dumonde qui, dans son ordre,, a sa consistance et sesuffit.

Mgr Grabmann a très heureusement souligné, dansDie Garresgeselischaft und der WissenschaftsbegrifJ,Cologne, 1934, p. 8* sq., la formation scientifique aris-totélicienne de Thomas et de ses maîtres; les premiersécrits du jeune dominicain seront un De ente et un Deprincipiis nafurse. Tandis que Ronaventure, d'aprèsson propre témoignage, débutera par une expérienced'Aristote beaucoup plus négative, à savoir l'expé-rience d'un maître d'erreurs. Collât, de decem prsecep-tis, coll. n, n. 28, éd. Quaracchi, t. v, p. 515, saintThomas est mis d'emblée à l'école d'Aristote commeà celle d'un maître en la connaissance rationnelle dumonde. Aussi relève-t-on bien des traits de relationsamicales entre Thomas d'Aquin et les professeurs dela Faculté des Arts. Inversement pour les philosophesde la Faculté des Arts, saint Thomas était l'un d'eux.Finalement, il sera englobé avec plusieurs d'entre euxdans les condamnations des années 1270 et 1277, quivisent pour une bonne pari des positions philosophi-ques. Voir art. TEMPIER, ci-dessus, col. 99 sq.

Au vrai, qu'ont fait Albert et Thomas d'Aquin?Quel est l'objet du débat qui s'est institué entre eux etles augustiniens? Quand Bonaventure, Kilwardby,Peckham et d'autres s'opposent à Albert le Grand et àsaint Thomas, que veulent-ils et pourquoi agissent-ils?Il faut y regarder de près. D'une part, en effet, cesopposants sont loin de rejeter la philosophie et ils sontaussi philosophes que ceux qu'ils combattent; d'au-tre part, il est clair que ni Thomas ni Albert ne refu-sent de subordonner la philosophie à la théologie; laformule ancilia Iheologiw est commune aux deuxécoles. Et pourtant, il y a bien deux écoles. Pourquoi?

A la suite d'Augustin, les augustiniens considèrenttoutes choses dans leur rapport à la fin dernière. Uneconnaissance purement spéculative des choses n'a pasd'intérêt pour le chrétien. Connaître les choses, c'estles connaître en référence à Dieu, qui est leur fin; lesconnaître vraiment, pour nous, c'est les référer nous-mêmes à Dieu, par la charité. Aussi, dans la per-

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387 T H É O L O G I E . S A I N T T H O M A S 388spective augustinienne, considérera-t-on les choses nondans leur pure essence, mais dans leur référence à lafin dernière, dans leur état concret, dans l'usage qu'entait l'homme du point de vue de son retour à Dieu;ainsi la nature ne sera-t-elle pas distinguée de son étatconcret d'Impuissance à l'égard du bien et d'incerti-tude à l'égard du vrai, dont les chrétiens ont l'expé-rience. De même, si » connaître les choses, c'est déter-miner l'Intention de leur premier agent, qui est Dieu »,on considérera les choses dans leur relation au vouloirde Dieu, qui les fait ce qu'il veut et en use comme ilveut. Du point de vue de la connaissance du monde,le miracle est aussi vrai et aussi normal qu'un ordrenaturel : en un sens, tout est signe et tout est miracle.Chez les augustintcns nominallstes, nous retrouverons,dans cette ligne, un développement de la considérationde la potentia absoluta qui entrera dans leur critiquede la théologie de saint Thomas.

Pour celui-ci, au contraire, et pour Albert le Grandson maître, s'il est vrai de dire que toute chose a rap-port à la fin dernière, c'est-à-dire à Dieu, c'est sous lerapport de la cause finale, sous celui de la causalitéexemplaire, c'est-à-dire d'une cause formelle extrin-sèque ; ce n'est pas sous le rapport de la forme mêmepar laquelle l'être, proprement, existe. Les choses ontleur nature propre qui ne consiste pas dans leur réfé-rence ou leur ordre à Dieu. Ainsi, s'attachant à ce queles choses sont en elles-mêmes, on considérera en ellesla nature, le quid, en distinguant cette forme du modeou de l'état concret ou encore de l'usage ou de la réfé-rence à une fin. Les choses, dans cette perspective, etsingulièrement la nature humaine, restent ce qu'ellessont sous les différents états qu'elles revêtent et, parexemple, sous le régime de la chute comme en régimechrétien. A la considération de ce que sont les choses,répond la distinction thomiste entre les principianalwse et le status; cf. In II^ Sent., dist. XX, q. i,a. 1; Sum. theol., I»-!!", q. LXXXV, a. 1 et 2. Ce n'estpas que des augustiniens comme saint Bonaventureméconnaissent la distinction entre la nature et sonétat, mais ils se refusent à traiter comme une connais-sance valide celle de la nature pure, en sol, et à théo-logiser sur de pures formes, dégagées de leur état con-cret. Chez saint Thomas, au lieu d'une considérationplus ou moins globale des choses du point de vue de lacause première et de la fin ultime, on aura une consi-dération formelle et propre, du point de vue des choseselles-mêmes. C'est à l'égard de cette nature des chosesqu'on définira le miracle, l'usage miraculeux des êtrescréés par Dieu n'ayant plus à entrer en considérationdu point de vue d'une connaissance de cette nature deschoses. On aura, non plus une dialectique des inter-ventions de Dieu et de la potentia absoluta, mais unecontemplation de la hiérarchie des formes sous lasagesse ordonnée de Dieu.

Si l'on se place au point de vue do la connaissance,dans la ligne augustinienne, la connaissance vraie deschoses spirituelles est aussi amour et union. De plus,la vérité de la connaissance vraie ne lui vient pas del'expérience et de la connaissance sensible, qui n'at-teint que des reflets, mais d'une réception directe delumière venant du monde spirituel, c'est-à-dire deDieu. C'est la théorie de l'illumination. Or, cela esttrès important pour la notion de théologie, pour ladistinction entre philosophie et théologie et pourl'usage du savoir « naturel », en science sacrée. Danscette perspective, entre l'illumination de la connais-sance naturelle et celle de la foi il y a approfondisse-ment dans le don de Dieu et secours nécessaire, maisaussi quelque continuité. Une théorie de l'illuminationInvite à supprimer pratiquement toute barrière entrela philosophie et la théologie et à ne concevoir la pre-mière que comme une préparation relative à la se-

conde. Cette liaison entre ces diverses positions s'ob-serve tout au cours de l'histoire des rapports entre laraison et la foi; cf. Th. Heitz, Essai historique sur lesrapports de la philosophie et de la f o i de Bérenger deTours à saint Thomas d'Aquin, Paris, 1909, p. xi, 22,23, 38, 44, 62, 82, 83, 87, 108 sq., 120 sq.

Saint Thomas travaille sous le régime, spécifique-ment aristotélicien, de la distinction entre l'ordre del'exercice et celui de la spécification. Pour lui, leschoses sont l'objet légitime d'un connaître purementspéculatif. Le connaîlïe vise les choses en elles-même'i,chacune pour ce qu'elle est; et c'est des sens qu'ilreçoit son contenu, étant capable de capter ce que,par eux, les choses présentent d'intelligible, grâce àune lumière qui, donnée par Dieu, ne laisse pas d'êtrevraiment nôtre et de se trouver en nous comme unepuissance permanente. Cf. S, Thomas, Qusest. disp. despiritualibus creafuris, a. 10, ad 8"°. Cs texte estcélèbre; mais on n'a pas encore remarqué que le traitéde méthodologie de l'/n Boct. de Trinitate commence,q. i, a. 1, par un article où saint Thomas met au pointla question de l'illuminalion, en précisant les condi-tions différentes de la lumière infuse de la toi et de lalumière naturelle, et la manière dont l'une et l'autredoit être référée à Dieu. Ainsi, dans la perspectivealbertino-thomiste, la lumière naturelle et la lumièresurnaturelle n'étant pas considérées seulement parrapport à une source unique, mais par rapport à unenature définie, leur distinction est beaucoup plusferme et beaucoup plus effective. Cf. C. Feckes, Wis-sen, Glauben und Glaubertswissenschaft nach Albertdem Grossen, dans Zeitsch. f . kathol. Theol., t. LIV,1930, p. 1-39.

Enfin, si nous considérons l'utilisation en théologiedes sciences et de la philosophie, nous voyons qu'enrégime augustinien leur statut suit le statut deschoses elles-mêmes. Comme celles-ci ne valent quedans leur rapport à Dieu, les sciences n'apporterontpas à la sagesse chrétienne une connaissance de lanature des choses en elle-même, mais des exemples etdes illustrations; elles ont une valeur symbolique pouraider à l'intelligence de la vraie révélation, laquellevient d'en haut et est spirituelle. Ceci nous fait com-prendre encore en quel sens les augustiniens parlerontde la philosophie ancilla théologies : les sciences n'exis-tent que pour servir et on ne leur demande que deservir, non d'apporter quelque vérité en leur nompropre. Tel est bien le sens de l'expression, par exem-.ple, dans les lettres de Grégoire IX et d'Alexandre IVà l'université de Paris. Chartular. uniu. Paris., t. i,p. 114-116, 143-144, 343.

Pour Albert le Grand et saint Thomas, les sciencesreprésentent une véritable connaissance du monde etde la nature des choses, qui ont leur consistance et leurintelligibilité propres, et cette connaissance est valablemême dans l'économie chrétienne. Aussi les sciencesont-elles, dans leur ordre, une véritable autonomied'objet et de méthode, comme elles comportent, dansleur ordre, leur vérité. Dans cette perspective, l'ex-pression à'ancilia théologies, que saint Thomas emploielui aussi, Sum. theol., I1, q. i, a. 5, ad 2"°', a un sensassez difïérent de son sens primitif augustinien, car» pour mieux s'assurer les services de son esclave, lathéologie vient de commencer par l'affranchir ». Gil-son. Et. de philos, mêd., p, 114.

Pour l'ensemble de ce paragraphe ; É. Gilson, PourquoiS. Thomas a critiqué S. Augustin dans Arch. d'hist, doctr.et littér. du Moyen Age, t. l, 1926, p. 5-127; A. Gardail,S. Thomas et l'illuminisme augustinien, dans Reuue dephilos., 1927, p. 168-180; J.-M. Bisson, L.'cxcmplarisine divinselon S. Bonaventure, Paris, ia29; É. Gilaon, Études dephilosophie médiévale, Strasbourg, 1931, p. 1-2H; 30-50;76-134; A. Forest, La. structure métaphysique du concret

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389 T H É O L O G I E . S A I N T T H O M A S 390selon S. Thomas d'Aguin, Paris, 1931, p. 6-10; M.-J. Congar,La déification dans la tradition spirituelle de l'Orient, dansVie spirituelle, mai 1935, suppl., p. 91-108; É. Gilson,'Réflexions sur la controverse S. Thotnas-S. Augustin, dansMélanges Mandonnet, t. l, Paris, 1930, p. 371-383; M. UeCorte, L'anthropologie platonicienne et l'anthropologie aristo-télicienne, dans Éludes carmélitaines, t. xxv, 1938, p. 54-98;M.-D, Chenu, Tfie reoolutionary intellectuàlism of St. Albert(he Gréât, dans Blaciciriars, 1938, p. 5-15.

Nous comprenons mieux, maintenant, le sens decette démarche par laquelle Albert et saint Thomas semettent à l'école d'Aristote, cherchant en lui non passeulement un maître de raisonnement, mais un maîtredans la connaissance/de la nature des choses, du mondeet de l'homme lui-même. Certes, saint Thomasn'ignore pas plus que saint Bonaventure que touteschoses doivent être rapportées à Dieu. Mais, à côté decette référence à Dieu dans l'ordre de l'usage, il recon-naît une bonté inconditionnée à la connaissance, spécu-lative de ce que sont les choses, œuvre de la sagessede Dieu. I) s'agit de reconstruire spéculativemcnt l'or-dre des formes, des rationes, mis dans les choses et dansles mystères du salut eux-mêmes, par la sagesse deDieu. Un tel programme ne peut se réaliser que parune connaissance des formes et des natures en elles-mêmes, et c'est pourquoi l'aristotélisme de saint Tho-mas n'est pas extérieur à sa sagesse théologique et à

. la conception même qu'il s'est faile de celle-ci.Et Voici comment le rendement de la raison en

théologie va en Être transformé. Les éléments du tra-vail Ihéologique sont fournis par la philosophie d'Aris-tote, non sans correction et purification d'ailleurs.Toutes les notions de cause, d'essence, de substance,de puissance, de mouvement, d'habitus, viennentd'Aristote. Et non seulement dans l'ordre des sciencesde la nature, mais dans celui de l'anthropologie et del'éthique : notions d'intellect agent, de volonté libre,de fin, de vertu, de justice, etc. Certes, d'autres quesaint Thomas, et les « augustiniens » eux-mêmes, utili-sent et citent Aristote. Dans la seconde moitié duXIIIe siècle, à quelques exceptions près peut-être, touspensent en termes aristotéliciens. Mais il faut bienprendre garde et ne pas croire que, sous cette termi-nologie, ce soient vraiment la pensée d'Aristote et saconception des choses qui se trouvent réellement. Sousune unité littéraire et peut-être psychologique, lesécoles gardent une profonde diversité de pensée phi-losophique et de système du monde, et cela à l'inté-rieur d'un même ordre religieux, par exemple, dont onferait volontiers une école unique. Les catégories dematière et de forme et de composition hylémorphiquc,par exemple, recouvrent chez les divers auteurs desnotions fort diverses, et l'on pourrait multiplier lesexemples. A saint Thomas, par contre, an delà d'uncadre purement formel de pensée, Aristote a apportéune vue rationnelle du monde qui devint, dans lapensée du docteur chrétien, l'instrument d'élaborationde ce double humain de la science de Pieu, que nousavons vu être l'idéal de sa théologie. Aristote a ap-porté au xin6 siècle et spécialement à saint Thomasune nature, la science d'un ordre de natures. Et c'estcela qui, sans modifier dans sa structure formelle laconception du rapport de la raison à la foi, a modifiéle rendement de la raison et a transformé la théolo-gie. Avec saint Thomas, nous avons vraiment un sys-tème théologique. Cf. ici, t. i, col. 778-779; Hila'rin(Felder), Histoire îles études dans l'ordre de S. Fran-çois, trad. par Eusèbe de Bar-lc-T)uc, Paris, 1908,p. 462 sq.; Ê. Gilson, Éludes de philos, méd., p. 29.

3. Présupposés et questions engagés par celle position,— a) La théologie qui entrait dans cette voie étaitforcée de justifier sa démarche par une théorie del'analogie et des « noms divins ». Historiquement, à

mesure que progresse l'application de la techniquerationnelle et philosophique dans le domaine théolo-gique, le besoin s'affirme de tirer au clair la questionde la légitimité d'une attribution a Dieu de nos con-cepts et de nos vocables créés. Le souci en est mani-feste chez les théologiens de la fin du xii" siècle et ducommencement du xiii6, comme le montre E. Schlen-ker. Die Lehre von den gStilictien Namen in der SummaAlexanders von Haies, Fribourg-en-B., 1938. Cf. Pierrede Poitiers, Sent., 1. I, c. m-vii, xii, xviir, etc., P. L,,t. ccxi, col. 794-812, 834-840, 866; Piore de Capoue,Summa (Vat. Idt. 1296), c. v, vi, vin, ix, xxvn, xxvni,voir Grabmann, Gesch. d. schol. Melh., t. n, p. 533,n. 1 ; Prévostin, qui a de multiples questions sur cesujet, Summa, 1. I, voir G. Lacombe, La vie et lesomtires de. Prévoslin, t. l, Paris, 1927, p. 168-Î69;Guillaume d'Auxerre, Summa aurea, 1. 1, De nomini-bus Dei; de illi's quss dicunlur de Deo sine comparalionead creafuras. Chez saint Thomas, cette justification dudiscours rationnel en théologie est proposée avec uneconscience parfaitement lucide. Elle repose sur uneconception de la nature et de la grâce qu'on peutconsidérer comme classique dans le catholicisme. VoirIn Boetium de Trin., q. n, ad 3"" :

Dona gratiarum hoc modo naturso adduntur quod eaninon tollunt, sed magis poruclunt... quamvis autem lumenmentis humaiia! sit insufïiciens ad manitestationem eorumquffî per lidom manifostantur, tamon impossibile est quodea quae per fidein nobis traduntur divinttus, sint contrariahis quai por naturam nobis sunt indila : oporiet emm alto-rum esse taisum, et cum utftimque sit nobis a Deo, Deusesset nobis auclor falsitaLis, quod est impossibile ; sed magiscum impertectis inveniatur aliqua similitude pertectorum,quamvis imperlecla, in his quae per rationem naluralemcognoscuirtur, sunt quasdam similitudines eoruni qute parfidein tradita sunt.

La justification de la théologie comme expressiondu mystère de Uicu repose tout aussi bien sur unethéorie de l'analogie et une étude critique des « nomsdivins ». Saint Thomas y est revenu maintes fois, maisplus particulièrement, par ordre chronologique : In I™Sent., dist. XXII; Cont. Gent., 1. I, c. xxixsq.; In ï-"°Sent., dist. II, a. 3, qui représenterait une question dis-putée à Rome et ultérieurement insérée à cet endroit;Q. disp. de pofentia, q. vu; Sum. theol., I«, q. xlil.

b ) Si le problème de la théologie chez saint Thomasengageait des présupposés qui sont, en somme, ceuxde toute théologie, cette position n'allait pas, cepen-dant, sans poser de très sérieuses questions, qui sont denature à nous faire pressentir, dans la théologie duXIIIe siècle, des possibilités de crise.

Le procédé consistant à abstraire quelque chose de« formel i> en le dégageant de ses modes, puis d'appli-quer ce formel aux mystères de la foi sous le bénéttcede l'analogie, repose tout entier sur la distinctionentre une ratio et son mode et sur la conviction qu'uneratio ne change pas en ses lois essentielles lorsqu'elleest réalisée sous des modes différents. Bref, une théo-logie rationnelle repose tout entière sur la convictionque, dans la transposition d'une notion à un plan deréalités transcendantes, dont le mode positif nouséchappe, ï'eminenter ne détruit pas le formaliter. Parexemple, on sait très bien que la manière dont leChrist influe et agit sur Ifs hommes est quelque chosed'éminent et d'unique; ou encore que la procession duVerbe en Dieu se réalise d'une manière éminente,unique et inaccessible à l'esprit. Mais l'on sait aussi que,à condition de purifier ces uolions et d'atteindre à laconception de pures rationes formelles, il est possibleet légitime d'appliquer à l'action du Christ la méta-physique de la causalité et à la procession du Verbela philosophie de la génération et de l'intellection.

Or, un tel procédé pose une sérieuse question. Ne

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391 T H É O L O G I E . LA L I G N E A U G U S T I N I E N N E 392risque-t-on pas d'être amené à considérer les choseschrétiennes par le côté qui leur est commun .avec leschoses naturelles et d'en faire un simple cas de loisplus générales qui les engloberaient comme les variétésd'une espèce? Et, dès lors, ne risque-t-on pas d'oublierle caractère de « tout » unique et original qui revientà l'ordre de la foi, pour transférer ce caractère à lamétaphysique et à une explication rationnelle deschoses dont l'ordre chrétien ne serait plus qu'un cas?Si, par exemple, je construis la partie de la théologiequi me parie de l'homme selon les catégories anthro-pologiques de la philosophie, en termes de matière etde forme, essence et facultés, etc., ne risque-je pas detrahir l'anthropologie révélée que me livre la Bible,saint Paul par exemple : anthropologie si caractérisée,avec les catégories de l'homme intérieur et extérieur,de la chair et de l'esprit, etc. Et, si les catégoriesanthropologiques que j'utilise ne sont pas même cellesde Platon, mais celles d'Aristote...

Or, il suffit de voir comment procède saint Thomaspour apercevoir le danger. Il tait tellement confianceaux catégories des sciences philosophiques et auxenchaînements rationnels, que non seulement il lesintroduit dans l'élaboration de l'objet de la foi, maisqu'il leur fait diriger en quelque façon cette élabora-tion. Deux exemples de cette méthode : 1. Sum. fheol.,l'-II", q. LXXIII, a. 1, saint Thomas se demande si lespéchés et les vices sont connexes. Or, l'Écriture pré-sente un texte qui se réfère, semble-t-il, à ce sujet :Quicumque totam legem servaverit, offendat autem in(iTio, factus est omnium reus. Jac., n, 10. Il semble quele théologien n'ait, en cette question, qu'à commenterce texte et à en tirer les conséquences. Saint Thomas,lui, ne procède pas ainsi; il construit sa réponse surune analyse psychologique de la condition du ver-tueux et de celle du pécheur, c'est-à-dire sur l'anthro-pologie, et il ramène le texte de saint Jacques dans lapremière objection, se réservant de le gloser d'unemanière critique, en fonction de sa théologie généraledu péché. — 2. Se demandant, III», q. xm, a. 2, si leChrist a eu la toute-puissance par rapport aux change-ments qui peuvent affecter les créatures, saint Thomasse trouve devant le texte de Matth., xxvlll, 18 :» Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur laterre. » Là encore, on s'attendrait à ce que saint Tho-mas fît de ce texte le pivot de son article. Or, il le citeseulement, en première objection, et construit la théo-logie du cas en appliquant, en trois conclusions, deuxdistinctions fondamentales dont les catégories sontempruntées à sa philosophie générale.

La rançon d'une telle confiance en la raison ne sera-t-elle pas un danger de perdre le sens du caractèreunique, original et transcendant des réalités chré-tiennes? La question qui se pose, c'est de savoir si,dans la ligne de la distinction introduite par saintThomas, par exemple, entre l'acte charnel considéréen sol, qui est bon, et sa modalité pécheresse en état denature déchue, nous ne trouverons pas l'affirmationde la bonté de l'acte charnel en lui-même tel qu'il estconcrètement. Pour avoir donné consistance aux na-tures, à l'ordre des causes secondes, bref à une natureconstituée par l'ensemble organisé des natures,n'aboutirons-nous pas à perdre le sens de la nouveautédu christianisme, de son originalité et de sa souverai-neté sur la nature elle-même? Telle sera toujours,contre le naturalisme des aristotéliciens, la crainte etla protestation des augustiniens : saint Bernard, saintBonaventure, Pascal, Luther lui-même.

Nous pensons que saint Thomas a réellement sur-monté le danger que nous signalons. En effet, chez lui :a) ce n'est pas Aristote qui commande, mais bien ledonné de foi. Saint Thomas a noté lui-même qu'onpourrait user Indûment de la philosophie en doctrine

sacrée, d'une double façon : soit en appliquant unephilosophie erronée, soit en ramenant la foi aux me-sures de la philosophie, alors que c'est la philosophiequi doit être soumise aux mesures de la foi. Aristoten'intervient que pour fournir à la foi un moyen de seconstruire rationnellement en liaison avec le savoirnaturel de l'homme. Qu'on applique au Christ la phi-losophie de l'homme, au vice et au péché l'analysephilosophique de l'acte humain et des éléments dela moralité, il est clair que c'est le donné chrétien quicommande et qui « mène », l'apport philosophiquejouant un rôle de moyen. Chaque fois qu'on y regardede près on voit que, dans cette utilisation, Aristoteest dépassé ou corrigé. Ce qui eût été grave, c'eût étéde laisser Aristote, à supposer qu'il représentât laphilosophie, en dehors de l'élaboration de la foi, carc'eût été introduire entre le christianisme d'une part,la raison et la culture, d'autre part, une scission desplus dangereuses ; cf. Charlier, Essai sur le pro-blème théniogique, p. 8G. — (3) La pensée théologiquede saint Thomas, comme du Moyen Age, au moinsjusqu'à son temps, est essentiellement à base bibliqueet traditionnelle. On n'insistera jamais assez sur lefait que le statut de l'enseignement théologique étaitalors profondément biblique. La leçon ordinaire dumaître était consacrée au commentaire de l'Écriture :c'est ainsi que les commentaires scripturaircs de saintThomas représentent son enseignement public ordi-naire comme maître.

//. LA LIGUE AEOVSTINISNNE. — 1° La traditionaugustinienne des hommes d'Église. — II n'est guère depériode dans la vie de l'Église où l'on saisisse mieux ladifférence d'attitude entre les hommes de science, quireprésentent les initiatives de la pensée, et les hommesd'Église, qui représentent la tradition et tiennent despositions ordonnées à l'édification des âmes. AuXIIIe siècle, tradition et positions des hommes d'Églisesont d'inspiration nettement augustinienne. Elles peu-vent se résumer ainsi : La raison est compétentepour les choses terrestres, dont la possession n'inté-resse pas le chrétien, mais non pour les choses spiri-tuelles et éternelles. D'où une constante distinctionentre deux plans, deux orientations et deux puissancesde l'esprit, deux manières de penser.

Aussi, quand s'opère 1' « entrée » d'Aristote dans lapensée chrétienne, ces hommes d'Église augusiiniensréagissent. Ils ne peuvent permettre ni que des gensde la Faculté des arts traitent des sujets qui ne sont pasde leur compétence, c'est-à-dire qui dépassent non pas-tant l'objet de la raison que ses forces; ni que ceux dela Faculté de théologie empruntent aux sciences deschoses créées un vocabulaire et des catégories depensée pour concevoir el exprimer les .choses de Dieu.Tels sont très expressément les deux thèmes de laréaction augustinienne contre la crue de l'aristoté-lismc.

Cette réaction s'en prit d'abord aux théologiens quiIntroduisaient dans la doctrine sacrée les catégoriesde pensée et le vocabulaire des philosophes. C'estl'objet des récriminations, par exemple, du domini-cain Jean'de Saint-Gilles (1231), cf. M. M. Davy, lessermons universitaires parisiens de 1230-1331, Paris,193l, ou d'Odon de Châteauroux, en diverses occa-sions, cf. Hauréau, Notices et extraits de quelques ma-nuscrits latins de la Bibl. nat., t. vi, Paris, 1893, p. 215;Chartul. unio. Paris., t. i, n. 176, p. 207 (21 décembre1247). C'est l'objet, surtout, des avertissements lesplus véhéments des papes s'adressant aux maîtres dela Faculté de théologie à l'Université de Paris. Gré-goire IX écrit, le 13 avril 1231 : Née philosophas se osten-tent... sed de illis tantum in scolis qusestionibus dispu-tent, guse per libros theologicos et sanciorum patrum trac-tatas valsant terminari. Chartul. univ. Paris., t. i,

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393 T H É O L O G I E . S A I N T B O N A V E N T U R E 394n. 79, p. 138. Cependant, la crue aristotélicienne sepoursuivant, les protestations et les avertissementscontinuent; cf. Mandonnet, Siger de Brabant, 2e éd.,t. i, p. 33-36, 95-98, 243, 298-300, texte et notes;A. Callebaut, Jean Pecham, 0, F. M., et l'aiigustinisme,dans Archiv. francise, hist., t. xviii, 1925, p. 441-472.

Dans la seconds moitié du xni6 siècle, les maîtres dela Faculté des arts, trouvant dans Aristote toute uneinterprétation purement rationnelle du monde et del'homme lui-même, prétendront proposer sur ceschoses une doctrine indépendante et qui se suffise,soit qu'ils aient tenté de traiter par une pure appli-cation de la philosophie, les questions de théologi'e,cf. Chartul., t. i, n. 441, p. 499, soit que, faisant de laphilosophie une science non seulement indépendante,mais souveraine, ils en aient théoriquement ou pra-tiquement déclaré la suffisance, dogmatisant en sonnom sur la destinée de l'homme, la règle de sa vie, etc.Cette tendance, nette déjà chez Jean de Mcung, Andréle Chapelain, se trouve à son paroxysme dans le Devita philosophi de Boèce de Dacte édité par M. Grab-mann, Arch. d'hist. doctr. et litter. du Moyen Age, t. vi,1931, p. 297-307. C'est ce dangereux courant, allié àl'averroïsme latin, que vise la condamnation portée en1277 par Étienne Tempicr, laquelle, dès ses premièreslignes, déclare : Nonnulli Parisius studentes in artibus,proprie facultatis limite!; excedentes... Charful., t. i,n. 473, p. 543.

Voir Jules d'AIbi, Saint Bonaventure et les luttes doc-trinales de I Z S f - 1 2 7 7 , Tamines et Paris, 1923; M.Grab-mann, Eine f u r Examinarzivecke abgefassfe Qusestio-nensammiung der Pariser Artistenlakultât aus derersten Hâifte des 13. Jahrhunderts, dans Revue néoscol,de philos,, t. xxxvi, 1934, p. 211-229, surtout p. 225.

Quand on pense que cette réaclion atteignait l'ef-fort d'Albert le Grand et de saint Thomas, tel que nousavons cru le comprendre, on sera tout disposé à inter-préter, avec le P. Mandonnet, la canonisation de saintThomas, survenue en 1323, comme la consécrationde son hégémonie doctrinale et, tout d'abord, de saposition en méthodologie théologique; cf. P. Mandon-net, La canonisation de saint Thomas, dans Mélangesthomistes, Paris, 1923, p. 1-48. De fait , cette positionde saint Thomas inspire maintenant l'enseignementde la théologie dans l'Église catholique et la divisionde cet enseignement en philosophie et théologie érige,en quelque sorte, en institution cette méthodologiethomiste.

2° Position générale des maîtres au.gu.stin iens. — Lesprincipaux maîtres augustiniens, outre saint Bona.-venture, sont Alexandre de Haies, Fishacre, Kil-wardby, d'une part, Robert Grossetête et RogerBacon, d'autre part : cinq anglais.

Alexandre de Haies (+ 1245), Fishacre, qui rédigevers 1236-1248, et Kilwardby, vers 1248-1261, s'accor-dent pour le fond. La théologie est pour eux une con-naissance inspirée par le Saint-Esprit, d'ordre affectifet moral. Elle concerne le vrai sous l'aspect de bien :Alexandre, Sum. tbeol., 1.1, tract, introd., q. i, c.i, sol. etc. iv, a. 2, sol. et ad 2'"»; Kilwardby, éd. Stegmilller,Munster, 1935, p. 27 sq. On peut bien l'appeler science,niais en un sens qui n'est pas celui d'Aristote; c'estd'abord une science qui n'arrive à l'intelligence qu'àpartir de la foi, Alexandre, ibid., c. i, ad 3'"°, et mêmeà partir de la foi vive, opérant par la charité, ibid.,ad 4"°1; c'est ensuite une science de mode non pasrationnel et démonstratif, mais affectif, moral, expé-rimenta] et religieux, Alexandre, ibid,, c. n, obj. f etresp. ad obj.; c. iv, a. 1, sol. et ad 2°'"; Kilwardby,p. 27 sq. et 41 sq. ; c'est enfin une science dont la cer-titude ne tient pas à une inférence rationnelle à partirde principes évidents, mais à la lumière du Saint-Esprit dont l'homme spirituel a l'expérience inté-

rieure. Alexandre, ibid., c. iv, a. 2; Kilwardby, p. 31.Kilwardby reprend, Cd. citée, p. 26, l'idée augusti-

nienne que toute science est dans l'Écriture. Bacon etGrossetête apparaissent comme les protagonistesd'une théologie strictement scripturaire. La théologie,dit Bacon, a, comme toute faculté, son texte et sonactivité doit consister, comme celle de toute faculté,à commenter ce texte : la Bible. On peut, en effet, trou-ver dans le texte sacré l'occasion de poser les ques-tions de tous les traités de la théologie. Celle-ci doitdonc êfre ramenée au texte, duquel on ne doit pas,comme on le fait depuis cinquante ans, isoler les« questions "; cf. Opus minus, éd. J.-S. Brewer, Lon-dres, 1859, p. 329-330. Pour cette théologie du texte,Bacon préconisait la connaissance des langues an-ciennes, grec et hébreu, et celle des sciences ou de laphilosophie. Opus tertium, c. xxiv, éd. Brewer, p. 82.L'Écriture, en effet, qui est le trésor de la Révélationet donc le lieu suprême de l'illumination, renfermetoute vérité. En elle sont contenues et la théologie etla philosophie, celle-ci n'étant que le contenu ou l'as-pect physique de la Révélation, comme celle-là estla vérité ou la dimension mystique des connaissancesscientifiques que rassemble la ptrilospphie. D'où il suitque les deux connaissances ne sont pas extérieuresl'une à l'autre. La philosophie n'a toute sa vérité quein usu Scripturse, de même que l'Écriture n'a toute sonexplication que dans la connaissance des sciences dontl'ensemble constitue la philosophie; d'où le pro-gramme réformiste de Bacon. Unité de la sagessechrétienne (Bacon n'emploie pas ce mot) dont le fon-dement, comme l'ont souligné R. Carton et Walz, estla théorie de l'illumination.

C'était de bonne tradition augustinienne, selon la-quelle les sciences et la philosophie n'ont à entrer dansl'élaboration théologique qu'au titre de propédeuti-que, pour aiguiser ou former l'esprit, et aussi d'illustra-tion, pour expliquer les symboles bibliques empruntésau monde créé : cf. en ce sens les textes de Jean de laRochelle, 0. F. M., Jean de Saint-Gilles, 0. P., dansI-lilarin (Felder), Hist. des études, p. 475, n. 4 et 5,et p. 476.

3° Saint Ronaventure. — L'art. UONAVENTURE neparlant pas de la notion bonavcnturicnne de la théolo,-gie, il faut nous y arrêter quelque peu. Les principauxtextes où Bonaventure nous livre cette notion sont :In /'lm Sent., proœm., éd. Quaracchi, t. i, p. 1-15(1248); Breuiloguium, prol., t. v, p. 201-208 (avant1257); [tinerarium mentis in Deum, t. v, p. 295-313(octobre 1259); De reductione arlium ad Iheologiam,t. v, p. 319-325 (d'après Glorieux, 1268); Collai, dedonis Spiritus Sancfi, surtout coll. iv et vin, t. v,p. 473 sq. et 493 sq. (1268); les Co;;o(. in Hexaemeron,coll. i-ili et xix, t. v, p. 329-348 et 420 sq. (1273);Sermo Christus unus omnium magister, t. v, p. 567-574.De même que chez saint Thomas, on ne remarque pasd'évolution véritable chez saint Bonaventure. Il sem-ble bien, cependant,, que Bonaventure, avec letemps, prit mieux conscience de l'inspiration vrai-ment propre de sa doctrine.

Pour saint Bonaventure, la théologie est une pro-motion de la grâce; elle est à considérer dans la suitedes communications que Dieu nous fait de lui-même.Bien que la théologie se situe, pour saint Bonaventurecomme pour saint Anselme, inter fldem et speciem,peut-être la formule bonavcnturiennc de la théologieserait-elle moins Fides qussrens intellectum, qui con-vient encore à saint Thomas, qu'un texte du genre deIn imaginem transformamur a claritate in claritatem,fanquam a Domini Spiritu, II Cor., ni, 18 : Bonaven-ture ne fait pas de ce texte la devise de la théologie,qu'il distingue de la foi, mais il le cite fréquemment;cf. Opéra, éd. Quaracchi, t. x, p. 253.

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395 T H É O L O G I E . S A I N T B O N A . V E N T U R E 396

La première lumière reçue de Dieu est celle de laraison. Seulement, lorsqu'il envisage non plus la dis-tinction de droit, mais les possibilités concrètes dela raison, il en marque sévèrement les limites : car,en son état actuel, l'homme ne peut, par la seuleraison, connaître les vérités supérieures. Aussi Bona-venture a-t-il, de la façon la plus explicite, marqué sonrefus d'une philosophie séparée, d'une efficacité de laraison au regard des vérités spirituelles : ce fut là sonmotif d'opposition au* naturalisme d'Albert » et de Tho-mas d'Aquin. Cela n'empêche pas que la philosophiene soit le premier pas vers la sagesse. Le désir de lasagesse qui la suscite ne pourra être satisfait que parla grâce et la foi, mais l'homme ne doit pas pour celamanquer d'y répondre et. d'aller, dans sa recherche,aussi loin qu'il lui sera possible.

Dans l'ordre de la grâce et de la sagesse chrétienne,le mouvement vers la possession parfaite de la sagesse,c'est-à-dire vers l'union parfaite avec Dieu et vers lapaix, est marqué par trois étapes ou degrés : le degrédes vertus, où la foi nous ouvre les yeux pour nousfaire retrouver Dieu en tout, le degré des dons et enfincelui des béatitudes. Or, les actes des vertus, des donset des béatitudes sont respectivement définis par :Credere, infelligere crédita, videre intellfcta. Drevil.,part. V, c. iv, t. v, p. 25(i; Scrmo IV dr rébus fheol.,n. 1 et 15, t. v, p. 567 et 571; In JJ/"" Sent., dist.XXXIV, p. 1, a. 1, q. i, t. m, p. 737. Il y a donc, surla base de la toi et tendant à un état d'union et deconnaissance parfaites, une activité d'infelligere quirelève de l'illumination des dons, plus spécialementdes dons de science et d'intelligence.

Cette intelligence des mystères, objet de la théo-logie, est donc pour Bonavcnture une étape intermé-diaire entre le simple assentiment de la foi et la vision.Elle s'applique à l'objet de la toi, mais en y ajoutantquelque chose; elle concerne, en eiïet, le credibile prouttransit in rationem intelligibilis per additionem ratio-nis. Sent., proœm., q. i, sol., t. i, p. 7; ad S""1 et 6"",p. 8; cf. Rrevil., part. I, c. i, t. v, p. 210. Aussi cetteintelligence des mystères, fruit du don d'intelligenceet, subsidiairenient, du don de science, suit-elle unmode rationnel, cognilio collaiiva, Sernio IV de rébustheol., n. 1, t. v, p. 568; modus ratiocinativus sive inqui-sitiuus, In Sent,, proœm., q. n, sol., t. i, p. 11; perdiscursum et inquisitioncm, In JJ/""1 Sent., dist.XXXIV, p. 1, a, 2, q. m, t. m, p. 751.

Bonaventure dit du don d'intelligence que miillislaboribus habetur. In Hexaem., coll. ni, n. 1, t. v, p. 343;il affirme qu'on s'y dispose et que la nature et l'expé-rience y collaborent avec l'illumination divine.De donis Spir, Sancti, coll. vin, n. 1 sq. et 12 sq., t. v,p. 493 sq. Mais, si la nature y collabore, son dévelop-pement ne s'opère cependant pas selon les lois desautres sciences, Brroil,, prol., t. v, p. 201 ; c'est unescience qui est le fruit, eu nous, d'une illuminationsurnaturelle : Theotoffia, tanquam scientia supra fldemfundala et per Spiriïum Sancium revelata... ibid., et§ 3, p. 205; scientia philosophica et théologien est donumDei, De danis Spir. Sancii, col), iv, n. 4, t. v,p. 474(à propos du don de science). I.a théologie, pour saintBonaventure, est un don de Dieu : un don de lumière,certes, descendant du Père des lumières, mais nonun don purement intellectuel : elle suppose non la foinue, mais la foi vive, la prière, l'exercice des vertus,la tendance à une union de charité avec Dieu.

Nous touchons là à un point essentiel, où la théo-logie de lionavcnture et celle de Thomas d'Aquin sedistinguent nettement. Pour celui-ci, la théologie estle rayonnement, dans la raison humaine comme telle,des convictions de la foi et la construction de cesconvictions par la raison du croyant, selon 11; mode quiest connaturel à cette raison. Elle se tait, comme

toute chose, sous la motion de Dieu et elle a pourracine la foi surnaturelle; niais, par elle-même, elleest une activité de la raison. La sagesse qu'est lathéologie se distingue du don infus de sagesse, lequelfonde une connaissance de mode expérimental etaffectif; elle est une sagesse intellectuelle, acquise parl'effort, qui s'attache à comprendre et à reconstruireintellectuellement l'ordre des œuvres et des mystèresde Dieu, en les rattachant au mystère de Dieu lui-même.

Pour Bonaventure, la matière de cette sagesse peutbien être la même; le sens du mouvement est différent.La théologie comporte bien aussi une synthèse dyna-mique de la foi et de la raison; mais plutôt qu'uneexpression de la foi dans la raison, de la lumière révé-lée dans l'intellect humain, elle est une réintégrationprogressive de l'homme intelligent et de tout l'universconnu de lui dans l'unité de Dieu, par amour etpour l'amour. Elle est une réalisation, plus parfaiteque celles qui précèdent, moins parfaite que celle àlaquelle l'âme aspire encore, de la lumière et de lagrâce de Dieu. Sans éliminer l'activité et l'effort del'homme, elle s'identifie aux dons infus du Saint-Rs-prit. Il ne s'agit plus tant de reconstruire par l'espritl'ordre de la sagesse de Dieu, que de reconnaître cetordre, afin de s'en servir pour monter à Dieu et, plutôtque de le connaître, de le réaliser en soi. Cf. plus par-ticulièrement Itirw., c. ni, n. 3 et 7, t. v, p. 304-306;c. iv, n. 4 cl 8, p. 307 et 308; c. vu, n. 6, p. 313.

Dès lors, on peut s'attendre à ce que la connaissancedes créatures qui entre dans la constitution de la théo-logie ne soit pas considérée et requise de )a mêmemanière cher. Bonaventure et chez Thomas d'Aquin.Pour celui-ci, c'est la connaissance scientifique et phi-losophique des lois et de la nature des choses, à based'expérience sensible, qui entre dans la constructionobjective elle-même de la théologie. Pour Bonaven-ture, notre connaissance de Dieu n'est pas dépendante,en sa source, de la connaissance des créatures par lessens; elle n'a besoin de celle-ci que pour s'étoffer et,pour ainsi dire, se nourrir, en demandant aux créa-tures simplement une occasion de lui rappeler Dieu etun moyen d'en mieux réaliser la révélation intime.C'est pourquoi, bien que )a théologie se constitue grâceaux deux dons de science et d'intelligence, cependantelle réside principalement dans l'usage du don d'intel-ligence, qui regarde vers le haut, et moins dansl'usage du don de science, qui regarde les créaturessensibles. Le domaine propre de la théologie n'est pas1,'intelligence des choses spirituelles qu'on peut avoirpar la connaissance des choses sensibles qui en sont lessymboles ou par celle de la nature des choses, objet dela philosophie, à quoi est ordonné le don de science,In I I I " " Sent., dist. XXXV, a. 1, q, ni, ad l™, t. ni,p. 778 ; son domaine propre est l'intelligence des chosesde Dieu qu'on peut avoir par un bon usage des intel-ligibles, à quoi est ordonné le don d'intelligence.

Aussi, pour Bonaventure, l'usage de la philosophiereste, pour le fond, extrinsèque à la constitution desobjets révélés en objets d'intelligence, qui est l'oeuvre dela théologie. Nous retrouvons ici ce que nous avons déjàtouché plus haut à propos de l'augustinismc : une ma-nière de considérer les créatures dont le Docteur séra-phique a fait la théorie dans le De reduciione ariium adtlir.vhigiam, qu'il a lui-même mise en œuvre dans Vîti-nerarium, et qui consiste à exciter en nous la connais-sance spirituelle de Dieu en prenant occasion et ma-tière de tout ce que les créatures nous offrent commeimage et miroir de lui. Certes, les sciences profanesserviront à la théologie, mais celle-ci en fera une utili-sation, en somme, assez extrinsèque; elle ne reçoit, aufond, que île son donné propre et le livre des créaturesne lui apprend rien. Ce n'est pas la connaissance des

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397 T H É O L O G I E . DÉBATS D ' É C O L E 398natures qui lui fait comprendre quelque chose auxmystères de Dieu, mais bien plutôt l'Écriture inspiréequi lui révèle la vraie valeur symbolique des créaturesà l'égard de Dieu. In ilexaemernn, coll. xm, n. 12, t. v,p. 390; Hreuil., part. II, c. xii, t. v, p. 230. Seulement,la théologie doit lire le livre de la création, pour enréaliser la finalité, pour tout ramener à Dieu de ce qu'ila répandu de lumière jusqu'aux extrêmes franges duvêtement de la création : Sic Scriplura sacra, per Spiri-tum Sctncttim data, assumit librumcreatur3e,relerendo infînem. Breuil,, prooem., § 4, t. v, p. 206.

Comme pour saint Thomas, on pourrait retrouver lanotion de théologie de saint Bonaventurc dans ses dis-ciples ; Matthieu d'Aquasparta, Jean Pecham, RogerMarston; ultérieurement, sans qu'il soit disciple immé-diat et en lui reconnaissant son originalité propre,dans Raymond Luile. Matthieu d'Aquasparta suit saintBonaventure de très près et, au delà de lui, saint Au-gustin, saint Anselme, les Vietorins. Si Matthieu repré-sente, de saint Uonaventure, le côté le plus positif,Pecham représente surtout le côté de réaction augus-tinistc contre le naturalisme philosophique de saintThomas et de ses disciples dominicains. C'est lui qui,en 128fi, inculpait Richard Clapwell d'hérésie pourdifférentes thèses dont la onzième (au moins dans larédaction primitive, le texte définitif n'ayant quehuit thèses) est : Se non feneri in his quse sunt fidei,alicujils nuctoritale, Augusiini vel Gregorii seu papa;,Oui rujuscumque magistri, excepta aucloritate canonisBiblix vel necessaria ratione, subjicere sensum suiirn,Revue thomiste, 1927. p. 279.

M.-O. nierbaum, Zur MetîlodiTf der Théologie des 1ll. Bona-uenfura., dilns Uer Katholik, lv« sér., t. XL, 1909, p. 34-52;E. Longpro, La théologie mystique de S. Bonauenture, dansArc/i. francise, /lis;., t. xiv, l9ai, p. 30-108; B. Trimolé,Deutung und Bedeutung der Scfirift * De reductione arïium f t dthéologien» ' des hl. Konase'nlura, dans Framisk. Studien,t. vin, 192-1, p. 172-189; autre étude du même auteur et demOme tiLro dans Fiînfte Lektorenkonferenî d. deutschenFramiskaner /. Philos, u. Theol., Sigmaringen-Gorheim,193U, p. 98-iai; R. Guarrtini, Dos argumenlum ex pietalebeim Itl, lîonu.venlwa und Anselmus Dezembeuieis, dans T7ieo-logie imd Glaube. t. xiv, 1022, p. 156-165; B. Rosenmoller,Jielidiôse Erkenntnis nach Bonauentura, dans Beitr/ige...,t. xxv, 3-4, Munster, 1925; iî. Gllson, La philosophie deS. lîotïaueîîture, Paris, 1924; J,-M, Bissen, L'exemplarismedivin selon S, Bonmienlwe, Paris, 1929; J.-Pr. Bonuetoy,Le Salitt-Esprit et ses dona selon S. Bonauenture, Paris, 1929 ;D. Seraph. S. Bonauentune Prolegomerïa ad sacram theolo^giam, ex operibas f . j u s collecta, éd. Th. Soiron, Bonn, 1932;Th'. Suiron, Vofft Geiste der Théologie Bonaoenluras, dansWissmsc.ha.it und Weisheit, 1.1,1934, p. 28-38; G. Sohngen,Bonavenlura aïs Klussiker der analogia fldei< ibid., t. li,1935, p. 97-111; Th. Soiron, Heilige Théologie. Grundsatzil'che Darli'lîungen, Ratisbonne, 1935; F. Tinivella, De impos-sibili sapienlilB adeptione In philosophia pagana juxtaColtationes in IIcxaemeron S, Bonauenturee, dans Antonia-num, t. xi, 1936, p. 27-50, 135-186, a77-318; I-'. Lansberg,La philosophie d'une expérience mystique. L'Itinerarium,dans La Vie spirit,, mai 1937, suppl., p. 71-85; E. Sauer,Die religiose Wertung der Well in Uonaventuras Itinerariummentis ad Ueum, Werl-in-W., 1937; E. Longpré, art. Bonn-senture dans le Dict. de spiritualité, t. l, Paris, 1937, co],176S sq.

Pour les disciples de saint "Bonaventure, cf, Matthfei abAqwvtparta Quiestiones disputâtes sélects', t. l, 0. de flde etcoQnilwinî, Quaracchi, 1903; M, Grahmaniit Die philoso-phische und theologische l'.rkenntnislehre des Kardinals^îattheeus ab Aquasparta. Ein Beitrag Zur Geschichte desVerhâltnisses zwischen Augustinismus und Arislotelismus immitteialterliehen Denken, Vienne, 1906; Fr. Rogeri MarstonQuiestiones dispulalfe, éd. Quaracchi, 1932; Fr. Polster,Roger Marston, 0. F. M., ein englischer Vertreter des Auffus'tinismiis, dans Scliol<islik, t. ni, 1928, p. 526-556; Fr. Etirle,John Pecham tibcr den Kampf des Augustinismus und desAristotelisnius itt der suiritm Hiiljle des 13. J àhrhunderts,dans Zeitsch. I . kathoL TheoL, t. xm, 1889, p. 172 sq.;A. Callebaut, Jean Fecham, 0. F. M., et l'augustinisme,

Aperçus historiques (lse3-J3SSI,daïisArchi». francise, hist.,t. xvm, 1925, p. 441-472; T. Carreras-Artau, Fondanienismetafisics de la Filosofia lulliana, dans Miscellânia Luiliana,Barcelone, 1935, p. 446-466; M. Flori, Las relaciones entrela Filosofia g la teologia o concepto de Filosofia crisliana en el• Arte magna 'del D. R. Luilo, dans Raîàn i} Fe, t. cvi, 1934,p. 289-296, 450-468; t. cvii, 1935, p. 171-177.

I I I . POSITIONS ET DÉBATS D'ÉCOLE. — 11 serait vainde consacrer à la méthodologie théologique de chaquethéologien du XIIIe siècle et du début du XIVe, une sortede monographie, si brève soit-elle. Aussi, avantd'aborder le monde en partie nouveau inauguré parScot et les nominalistes, voulons-nous grouper Iciquelques renseignements sur les points les plus dispu-tés de la notion de théologie. Nous suivrons l'ordre desquatre causes, comme les scolastiques eux-mêmes ai-maient à le faire.

1° La cause efficiente, qui est le Saint-Esprit lorsqu'ils'agit de l'Écriture, et, pour chaque ouvrage, celui quil'a écrit, ne pose pas de question particulière, ainsi quele remarquent eux-mêmes Hervé Nédellec et AlphonseVargas.

2" La cause /ormefîe et le mode propre, c'est-à-dire lestatut interne de la théologie, de quoi dépend sa spé-cification. Le débat, au xni6 siècle, s'institue sur cettequestion : la théologie est-elle une science? SaintThomas peut donner à cette question une réponse affir-mative. Non qu'il soit pour cela nécessaire que la théo-logie démontre, à partir de la foi, des conclusionsobjectivement nouvelles, mais en ce sens qu'elles'applique à une construction, de mode' rationnel etscientifique, de tout ce qui tombe sous la lumière dela Révélation (revelabile). Ainsi la théologie vérifie-t-elle la qualité d'un habifus scientifique acquis, étantbien entendu qu'elle rentre dans la catégorie, prévue etdéfinie par Aristote, des sciences subalternées.

Maints débats curent lieu sur la question de savoirsi la théologie était vraiment une science au sensaristotélicien. Non, disaient un grand nombre, puis-qu'elle n'apporte aucune évidence. A quoi les paitisansde la théologie-science répondaient : la théologie n'ap-porte aucune évidence sur les mystères dont elle parle,mais, la foi étant supposée, elle apporte l'évidence for-melle du rattachement de ses conclusions à leurs prin-cipes : Non rat scienlia cûtisequenfium, sed est sciisniiaconsequentla.ru.m. Cette distinction a rencontré defortes objections de Godefroid de Fontaines, Quodi.,IX, q. xx, éd. J. Hotïmans, Louvain, 1928, p. 282 sq.;Gérard de Sienne, Thomas de Strasbourg, François deMayronis, Alphonse Vargas, etc. Cf. E. Krebs, Théo-logie und Wissenlichaji,,,, Munster, 1912, p. 32* sq.;J. Kurzinger, Alfonsus Vargas Tolelcinus,,,, Munster,1930, p. 164 sq.

De telles discussions n'étaient pas sans attirer l'at-tention sur les conclusions théologiques. De fait, chezles auteurs du début du xiv siècle, la notion et l'ex-pression de conclusion théologique prennent un reliefqui est nouveau: on les rcncontie dès lors fréquem-ment : ainsi chez Jacques de Thérines, Quodi., 1, q. xvn,Jean de Uasoliis, disciple immédiat (et indépen-dant) de Scot, Pierre Auriol, Hervé Nédellec, en (InAlphonse Vargas (f 1366); cf. E. Krchs, op. cit.,p. 29*-30* (Jean de Basoliis), p. 34* (Auriol), p. 361- et47* (Hervé); Kurzinger, op. cit., p. 136 et 139 (Var-gas), p. 164 (Jean de Basoliis), etc.

Au total, la plupart des maîtres donnent à la théo-logie le titre de science, mais entendent par là deschoses assez diverses. Peu lui dénient purement etsimplement la qualité de science : ce sera le cas d'Al-phonse Vargas, augustinien assez influencé, semble-t-il, par Durand de Saint-Pourçain. La majorité tientque la théologie est science, soit en un sens large, soiten un sens propre mais d'une manière imparfaite.

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399 T H É O L O G I E . P O S I T I O N S D ' É C O L E 400II est clair qu'à moins de faire de la théologie une

dialectique purement formelle et d'aller jusqu'à ad-mettre, comme on le fera plus tard, qu'il peut y avoirthéologie sans la foi, on ne pouvait soutenir sa qua-lité de science qu'en marquant fortement sa jonctionà la science de Dieu et des bienheureux, c'est-à-direen affirmant son caractère de science subalternée. Plustard, Cajétan soulignera cette exigence de continuatiomoyennant quoi la science des théologiens ne se réduitpas à scire UIationes tantum : Cotn. in J«", q. i, a. 2,n. 12 ; cf. Bafiez, Com. in /•m, q. i, a. 2, éd. de 1934, p. 20 ;Jean de Saint-Thomas, etc. Cette qualité de sciencesubalternée, attaquée par Duns Scot, Op. Oxon., 1. III,dist. XXIV, q. unie., n. 2-4, est critiquée par beaucoupde théologiens du début du xiv' siècle et n'est admisepar eux que dans un sens large et impropre.

Parmi les docteurs de la fin du xin" siècle, Henri deGand demeure assez isolé dans sa position quant à lacause formelle de la théologie et plus précisémentquant à sa lumière. Elle consiste à admettre, entre lafoi et la vision, une lumière intermédiaire spéciale,Infusée par Dieu, illustratio specialis, lumen superna-fiirale, qui serait la réalité propre de la science théolo-gique.

3° Cause matérielle. — C'est la question, maintes foisagitée et sur laquelle tout théologien devait bienprendre parti, du sujet de la théologie, c'est-à-dire : dequi ou de quoi parle-t-on en théologie? La question estposée en référence aux classifications d'Aristote, A7ia/.Pos(., 1. I, c. vu et x. Nous ne pouvons ici que classerles opinions d'une manière documentaire. On peut,scmble-t-il, en dénombrer sept, que nous énuméreronssans souci de classement selon la chronologie ou selonla valeur :

1. Christus tolus ou Christus integer. — Position at-tribuée à Cassiodore, lu Psalmos, piset., c. ni, P. L.,t. LXX, col. 15, et qui eût pu se réclamer aussi de saintAugustin. Elle est partagée par Robert de Melun,Sententw, 1. l, part. I, c. vin (Cod. Brugen. 191, fol. 11'',cité par Mersch, art. cité infra, p. 137); Roland deCrémone (et. E. Filthaut, Roland von Cremona, Ô. P.,und die Anfânge der Sclwlastik im Predigerorden,Vechta, 1936, p. 122) ; Kilwardby, De naiura Ihealogw,éd. Stegmûller, p. 13 sq. ; Odon Rigaud, dans ses Quses-tiones fheol., q. ni, cité dans Archiv. francise, hist.,1936; Guillaume de Méliton, Qusest. lheol.,q. iv, n. 1;Robert Grossetête, Hememeron, in princ., texte éditépar J.-G. Phelan, An unedited lext of Robert Grosse-teste on thé subject-matter of theology, dans Revue nêo-scol. de philos., t. xxxvi, 1934, p. 172-179; plus tardenBn, par Gabriel Biel et Pierre d'Ailly. Cf. E. Mersch,L'objet de la théologie et le « Christus totus », dansliech. de science relig., t. xxvi, 1936, p. 129-157.

2. Res et signa. — C'est la division techniquementaugustinienne, Augustin, De doctr. christ., 1. I, c. n,n. 2, P. L., t. xxxiv, col. 19, reprise par Pierre Lom-bard.

3. Opéra conditionis et reparationis. — C'est la divi-sion d'Hugues de Saint-Victor, de Pierre le Mangeur, deceux qui dépendent de l'un et de l'autre. Hugues, Desacram. christ, fidei, prol., c. Il, P. L., t. CLXXVI,col. 183; De Scripturis, c. n, P. L., t. CLXXV, col. 11 ;Excerp. prier., 1. II, c. i, P. L., t. CLXXVII, col. 203.

4. Deus inquantum est a et (ii, principium et finis. —Opinion d'Albert le Grand, In J»°1 Sent., dist. I, a. 2,et de son disciple Ulrich de Strasbourg, Summa debono, I, tract, n, c. n, éd. Daguillon, p. 33. Albertsemble bien, dans sa Summa tbeol., tr. I, q. in, memb.2,critiquer la position de saint Thomas sur l'unité de lathéologie prise dans le revelabile.

5. Deus; omnia sub ratione Dei. — C'est la positionvigoureuse et simple de saint Thomas, Sum. theol., r,q. i, a. 7. Elle a été aussi, fin du xiir et début du

xiv siècle, celle de Duns Scot, Opus Oxon., prol.,q. nilater., n. 4; Report. Paris., q. il, n. 4, et de son discipleJean de Basollis, de Hervé Nédcilec, Henri de Gandet Godefrold de Fontaines, etc. Cf. Krebs, op. ci(.

G. Une position que l'on pourrait appeler synthé-tique et qui, malgré leur indéniable tendance christo-logique, est celle d'Alexandre de Haies, saint Bona-venture, Odon Rigaud et Pecham. Alexandre, Sum.fheol,, 1. I, trac. intr., q. l, c. ni, accueille à la fois lesopéra reparationis, Christus et aussi Deus sive divinasubsfantia, il se résume lui-même, en fin de question,p. 13 : Doctrina théologie' est de subsfantia Dei efficienteper Chrislum opus reparafionis humanse. Bonaventurepropose une vue synthétique encore plus complète,distinguant le sujet auquel tout se réfère ut ad prin-cipium, et c'est Dieu; celui auquel tout se réfère ut adtoturn integrum, et c'est le Christ total; celui enfinauquel tout se réfère ut ad totum uniuersale, et c'e'.tres et signa, ou credibile prout transit in rationem intel-ligibilis per addiiionem raiionis. In /°111 Sent., proœm.,q. l, t. i, p. 7; Brevil., prol., § 4, t. v, p. 205.

7. Enfin, nous aurons la réponse d'Olieu, qui repré-sente une autre manière de mettre tout le monde d'ac-cord, en disant qu'il n'y a pas lieu de rechercher uneunité de sujet dans une matière sublime, transcendensomnem materiam et genus; cf. Krebs, p. 56*-57*.

4° La cause finale peut être abordée de deux pomtsde vue, ainsi que le fait, par exemple, Hervé Nédellec.Du point de vue de la nécessité d'une science surna-turelle et, à cet égard, comme le dit le même Hervé(Krebs, p. 84*), il n'y a pas de difficulté. Du point devue de la finalité de cette science, et c'est la question,fort discutée, du caractère spéculatif ou pratique de lathéologie. Il est très notable, que, sous des positionssystématiques diverses et dont la diversité n'est certespas superficielle, nos théologiens obéissent tous au sen-timent du caractère original de la théologie, qui nepeut rentrer univoquement dans les catégories d'Aris-tote. Rares sont ceux qui acceptent de dire purementet simplement que la théologie est une science prati-que, ainsi Odon Rigaud, Guillaume da Méliton, Auriol,Scot enfin, mais en élargissant la notion aristotéli-cienne de science pratique par l'idée de praxis circafinem.

Le plus grand nombre des théologiens médiévauxvoient dans la théologie une science d'un genre spécial,à la fois spéculative et pratique, ordonnée principale-ment à nous unir à notre Un, et qu'ils appellent affec-tive. Albert le Grand a, mieux que tous, formulé cettequalité originale de la théologie : 7s(a scientia proprieest affectiva id est perifatis quse non sequestratur a ra-tione boni, et ideo perficit et intellectum et affectum,In J™ Sent,, dist. I, a. 4, éd. Borgnet, t. xxv, p. 18.

Saint Thomas fut presque seul, au xin6 siècle, àaffirmer le caractère principalement spéculatif de lathéologie, tout en soulignant que, au titre de sagessecommuniquée de la science île Dieu, elle comprenaità la fois et dépassait le pratique et le spéculatif. Sum.theol., I», q. l, a. 4 et 6. Mais le plus grand nombre desthéologiens dominicains de la fin du xni° siècle et dudébut du XIVe furent fidèles à la position du Docteurcommun.

Sur la question; « spéculative ou pratique?', cf. E. Krebs,op. ci(., p. 85* sq. ; M. Grabmann, De quseslione : « Utrum theo-logiasit scientia, spéculation seu practica.' a B, Alberto Magnaet S. Thoma Aq. pertractata, dans Alberto Magno. Atti déliaSeftimana albertina. Rome, 1932, p. 107-126 (textes desaint Thomas, Albert, Ulrich de Strasbourg, Bombolognus,Jean Quidort, Gilles de Rome, Thomas de Strasbourg,Prosper de Reggio); L. Amor6s, La teologia como cienciapràctica en la esciielo francisciuia en los tiempos que precedena Escoto, dans Archives d'hist. doctr. et littér. du MoyenAge. t. ix, 1934, p. a61-303 (textes d'Alexandre de Haies,Bonaventure, Gauthier de Bruges, Richard de Mediavllla,

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401 T H É O L O G I E . LA C R I T I Q U E , SCOT 402Roger Marston, Gony.alve de Balboa ou Valbonne; textesinédits d'Odon Rigaud, .leail Pecham, Matthieu d'Aqua-sparta, Piorre de Trabibus, Guillaume de Ware); R. Gagne-bet. La nature de la théologie spéculative, dans Revue tho-miste, 1938, p. 1-39, 213-255.

Sur l'ensemble des débats concernant la théologie quenous venons d'évoquer : E. Krebs, Théologie und Wissen-schaft nach der Lettre der Hochscholastik an der Hand lier bis-her ungrdriicktmUefensa doctrinal S, Thomas, dans Beitrage,t. xi.lasc. 3-4, Munster, 1912; A. Bielmeier, Die Stellung-nalime des Heroxus Natalis.O. F. (f 1323), in der Fraye nachdem Wtssenschaftscharakter der Théologie, dans Divus Tho-mas, Fribourg, 1925, p. 399-414; R. Kgentcr, Vemunfl undGlaubensivahrheit im Au/tau der theologischcn Wissenschaftnach Aegidius Itoinanus, dans Philosophia perennis, FestgabeGeyer, t. i, p. 195-208; .1. KUrzinger, Alfonstis VargasTolefanus und seine theologische EInleUungslehre, Ein Bei-trag sur Geschichte der Scholastik im 14.Jahrllunderl, dansBeitrdge, t. xxil, fasc. 5-6, Munster, 1930; B. Pergamo, Dequtestionibus ineditis FT. Odonis JitgaliH, Fr. Guglielmi deMelilona et Cad. Vat. lat. 7S2 circa naturam théologies dequeearmn rnlatione ad Summam theol. Fr. Alexandri Halensis,dans Archiv. francise, hist., t. xxix, 1936, p. 3-54, 308-364.

IV, LE XIV* aiîXSLS.LA CRITIQUE TBSOWOKÎPE, —1° Duns Scot, — Scot a exposé sa notion de théologiele plus expressément dans l'Opus Oxoniense (avant1302), prol. et 1. III, dist. XXIV, éd. Vives, t. vin,p. 8-293, t. xv, p. 32-53, et dans les lîr.poriataFarisiensia, prol., t. xxn, p. 6-63.

La position de Scot est originale par l'accent qu'ellemet sur une critique de notre connaissance naturelleet surnaturelle de Dieu, des conditions et des limitesde cette connaissance. Cette critique semble inspiréepar la réaction contre le « naturalisme » philosophiquealbertino-thomiste et contre le naturalisme absolu dest artiens » d'inspiration avcrroïste. De ce côté, Scotcontinue la ligne de Uonavcnture, Matthieu d'Aqua-sparta et Jean Pecham et reprend la direction quivenait de s'affirmer dans les condamnations de 1270et 1277. D'autre part, Scot esquisse une réaction dedéfense contre le nominalisme naissant : d'où, chez lui,le souci de déterminer le domaine des certitudes méta-physiques, ce qu'il ne peut faire qu'en rentrant lui-même, fût-ce avec une intention résolument réaliste,dans le courant critique qui va miner la théologie.

Très tôt, l'école franciscaine a senti cl affirme la dif-férence radicale entre le Dieu des philosophes et celuides chrétiens. Ce sentiment s'est exprimé dans unchoix, non seulement en faveur d'Augustin contreAristote et la philosophie, mais dans le choix, parmi lescommentateurs d'Aristote, d'Avicenne contre Aver-roès. Ceci est vrai en particulier dans la question del'objet de l'intelligence et de l'objet de la métaphy-sique. Il est remarquable que déjà Odon Rigaud, vers1245, ait indiqué que peut-être l'objet, subjectum,de la métaphysique n'était pas Dieu, mais l'être;cf. Archiv. francise, hist., 1936, p. 27-28. Scot reprendcette idée : la métaphysique a pour objet l'être déter-miné par les catégories et dénommé par les transeen-dentaux. Aussi elle ne porte pas directement sur Dieuqu'elle n'atteint que confuse, dans son idée généraled'être, et, lorsqu'elle veul poser des aftirmations surDieu, elle ne peut que constater son impuissance.Cf. Op. Oxon., prol., q. i, n. 17, t. vin, p. 36; q. m etq. iv lat., n. 29, p. 189; Hep. Paris., prol., q. m, a. 1,t. xxil, p. 47, et n. 15, p. 52; Theoremata, xiv, 1, t, v,p. 39.

Seule la théologie parle directement de Dieu. Encorefaut-il distinguer. Ce dont il s'agit ici, c'est de con-naître Dieu en lui-même, dans son individualité pro-pre, connaître Dieu non plus confuse, mais u( Aie. Oi,une telle connaissance ne peut être en toute vérité lefait que d'une intuition de l'essence divine. Dieu seul,dont l'essence correspond à l'inLeUfKl, a par naturecette intuition. Ainsi, à considérer ce qu'on peut

appeler la théologie en soi, doit-on dire que Dieu seulest théologien. Op. Oxon., prol., q. 11 latcr., n. 4 et 23,t. vin, p. 122 et 175; Rep. Paris., prol., q. i, n. 40,t. xxn, p. 28. Mais nous pouvons, par révélation, enatteindre l'objet, Deus ut hic, non pas intuitivement,mais à travers l'idée d'en.î infinitum, qui est l'idée laplus haute que nous puissions nous former de Dieu. Telest le statut de notre théologie. Op. O-con-, prol., q. nlater-, n. 4 et 12, t. vin, p. 123 et 150 sq. N'atteignantDeus ut hic, et donc n'étant théologie que par révéla-tion, elle sera nécessairement positive et scripturaire,et ne pourra poser d'affirmation valide sur Dieu que dece qui noua est livré, e.x voluntate Dei revelantis (notionà'objeclum voluntaritim). Op. Oxon., prol., q. n, n. 24,t. viii, p. 179. Scot accentue fortement le caractèresingulier de tout ce qui concerne Dieu lui-même,esseniia ut husc, sur quoi la métaphysique, qui ne saitrien de cet être singulier et de son vouloir particulier,ne peut nous renseigner. Mieux, l'Écriture et la Tra-dition qui la complète ne nous étant données que danset par l'Église, notre théologie sera nécessairementecclésiastique, dépendante de l'Église.

Mais, bien que Scot ait reçu la marque du milieuplus positif d'Oxford et qu'il développe la critiquetliéclogique, nous n'en sommes pas avec lui aufidéisme qui sera la conséquence de cette même criti-que et surtout du nominalisme. Impuissante à fonderune science portant sur Dieu, lorsqu'elle est livrée àses seules forces, la raison redevient, dans l'utilisa-tion qu'en fait le théologien, une efficace pourvoyeusede rationes necessariœ. Ce n'est pas que Scot pensequ'on puisse démontrer d'une façon évidente, mêmepar la raison fortifiée par la foi, les vérités de la toi.Il faut en effet distinguer : on peut très bien proposerdes rationes necessarise qui cependant n'apportentpas l'évidence de la nécessité sur laquelle elles se fon-dent : Ad auclorilales Richardi et Anselmi dicendum,quod adducunt ipsi, sicut et cceieri doctores, rationesnecessarias, sed non evidenter necessarias; non cnimomrie necessariiim Ksi evidenler necessarium. Rep.Paris., prol., q. n, n. 18, t. xxn, p. 43. Il ne peut yavoir, dans notre théologie, aucune démonstration parune raison nécessaire évidente, car une telle démons-tration doit se faire ex aliquibus necessariis per se notismédiate vel immédiate. DÈS lors, ce que nous pouvons,c'est atteindre autant que possible la substance desraisons nécessaires, tendre le plus possible du moinsprobable au plus probable et au presqu'évident, maissans jamais atteindre à l'évidence : Dieu seul est plei-nement théologien. Il semble que, dans les meilleurscas, de telles raisons' puissent aboutir normalement,selon Scot, à montrer la possibilité, non pas le fait dumystère, mais sa possibilité; cf. Rep. Paris,, 1. II,dist. I, q. iv, n. 18, t. xxil, p. 547 et Op. Oxon., 1. II,dist. I, q. ni, n. 10, t. xi, p. 76. .

Ce manque d'évidence dans les arguments de la théo-logie empêche radicalement celle-ci, selon Scot, d'êtreune science, du moins dans le sens propre du mot. Op.Oxon., prol., q. ni et iv later., n. 26, t. vin, p. 183;1. III, dist. XXIV, q. Unie., n. 13. On ne peut sauverla qualité scientifique de notre théologie par l'idée descience subalternée, dont il n'est pas sûr, à vrai dire,que Scot fasse une critique efficace. Op. Oxon., prol.,q. ni et )v later., n. 14 sq., t. vin, p. 192 sq.; Rep.Paris., prol., q. il, n. 4 sq., et 1. 111, dist. XXIV,q. unic.,n. 3sq-, t. xxil, p. 35 et t. xxm, p. 447 sq.

Ainsi la théologie n'est-elle pas science, du moins ausens propre et rigoureux du mot. Mais, si Dieu n'estvraiment scibilis que par lui-même, dans la visionintuitive de son essence singulière, il est operabilis,a f f i n g i b i l i s par nous dès cette vie : Nos (par oppositionau Philosophe) nuleTn ponimus cognoscibUe operabile,hoc est atfingibile per operationem, quse est vere praxis,

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403 T H É O L O G I E . L A , C R I T I Q U E , LES N O M I N A L I S T E S 404;'n se esse maxime cognoscibile... Op. Oxon., prol., q. iv,n. 43, t. viiî, p. 286. Le chrétien sait que l'amour estla fin de tout, que Dieu lui-même ne se connaît quepour s'aimer et que notre théologie, soit celle qui apour objet les mystères nécessaires de Dieu, soit cellequi a pour objet les vouloirs contingent') de Dieu, estune science pratique. Cf. Op. Oxon., prol., q. iv, toutentière, à partir du n. 31, t. vin, p. 259 sq.; q. i,n. 8, p. 15, la pensée de Scot lui-même.

Telle est en bref la notion scotiste de la théologie.Si nous la comparons à celle de saint Thomas, nouspourrons remarquer ceci. Chez saint Thomas, la con-naissance des choses est conçue de telle manière(analogie) que les notions, purifiées et dégagées de leurmode, peuvent être appliquées validement aux chosesde Dieu; il y a à la fois parfaite distinction entre laphilosophie et la théologie et une certaine continuitéentre notre connaissance du monde et notre connais-sance, même surnaturelle, de Dieu. Chez Scot, lamétaphysique a pour objet l'être des catégories et nepeut porter d'affirmation valable sur la réalité singu-lière de Dieu; certes, le théologien rend à la philoso-phie la possibilité de fournir des preuves, mais c'est enla transportant dans un ordre nouveau : il y a dis-continuité.

Par un autre côté, la théologie scotiste se présenteracomme beaucqup plus systématique et dialectique quela théologie de saint Thomas. La continuelle critiquedes arguments et l'intervention de perpétuelles dis-jonctions entre l'ordre en soi et l'ordre de fait, de per-pétuels renversements de positions, donnent à la théo-logie de Scot une allure extrêmement philosophiqueet dialectique. On est frappé, quand on lit Scot, devoir combien le vocabulaire de la théologie courante,de la théologie « scojastique » actuelle, par les commen-tateurs des différentes écoles, remonte à lui. Peut-êtrefaudrait-il, d'ailleurs, en plus d'un cas, remonter audelà de lui, à Henri de Gand par exemple. On estfrappé aussi de voir combien le point de vue critiquede Scot introduit sans cesse dans un « donné » qu'onprenait, avant lui, beaucoup plus « tel quel », une inter-prétation systématique; cette théologie, qui se veut aumaximum positive et scripturaire, donne de primeabord l'impression d'êlrc construite au maximum,par une dialectique « subtile », à partir de quelquesprincipes d'ordre systématique.

Il n'y a pas encore d'étude satisfaisante sur la conceptionscotlate du travail théolosîiqiio. H. Seeberg, de Théologiedes Johannes Duns Scotus, Leipy.ig, 1900, p. 113-129; P. Min-gBS,Das Verlialtnis wischen Glauben und Wissen, Théologieund Philosophie nach Duns Scotus, Paderbom, 1908;Déodat de Basiy, Scotus docens, Paris et Le Havre, 1934,p. 111-136; M. Millier, Theciloge und Théologie nach DunsScotus, dans Wissenschalt unil Weisheit, t. i, 1934, p. 39-51 ;A. Dietershagen, Kirche uwl theologisches Denken nach DunsSkotus, ibid., p. 273-286; Tn. S^iiron, Die theologische Inten-tion des Uuns Scotus, dans Sechste u. siebte Lektorenkonfe-retiz d, deutschen Franiiskaner I , Philos. 11. Theol., Sigina-ringen-Crorlieim, 1931, p. 71-79; M. Millier, Die Théologieaïs Weisheit nach Scotus, ibid., p. 39-52. Beaucoup plus neufset remarquablement concordants sont : P. Viynaux, Huma-nisme et théologie cheî Jean Uuns Swt, dans La Francefranciscaine, 1936, p. 209-223; La pensée au Moyen Age,i'aris, iy38, p. 141-155; {•'„ UKiion, Les seize premiers T/teore-mata et la pensée de Duns Scot, dan;» Are/t. d'hist. doctr. etlittér. du Mofien Age, t. xi. 1937-1938, p. 5-86, partiellementrepris par le même, dans Metaphysik und Théologie nach DunsScutus, des Framiskanisclle Sludifn, 1935, p. 2U9-231.

a0 Les nominalisles. — C'est une question sur la-quelle on n'est pas encore bien au clair, de savoirdans quelle mesure il faut ranger Durand de Saint-Pourçain (f 1334), parmi les nominalistes. II distinguetrois habitas relatifs à l'objet de la théologie ; llabiiusqui) sulum vel principaliler asseniimus his quse in sacraScriptura tradunlur et proui in ea traduntur..., habitus

quo fides et ea qwe in sacra Scriptura traduntur defen-diinlw et declarantur ex quibuadam principiis nobisnotioribus... tertio accipitur Iheologia pro habitu eorumquse deducuntur ex articulis /Idei, ex dictis sacr» Scrip-turie sicut conclusiones ex principiis... In Sent,, prol.,q. i, éd. Paris, 1508, fol. n E-G. Dans cette partiedéductive, la théologie ne peut être dile une sciencequ'au sens large, A la q. vu, fol. xm G sq., Durand re-jette l'idée de science subalternée. Du reste, en cettepartie déductive, la théologie ne déduit que des con-clusions pratiques, car les vérités spéculatives ne fontl'objet que de défense et d'explication, c'est-à-dire dusecond habitus. Ibid., fol. v K et q. v, fol. xi en haut.A ces trois habifus correspondent trois sujets ; au pre-mier, qui s'identifie réellement avec la foi, l'actusmeritorius vel saluiaris; au second. Dieu sub râlionsSaluaforis (incluant la Trinité), tandis que Dieu subrafione absoluta est le sujet de la philosophie; au troi-sième enfin, pour les vérités spéculatives. Dieu sutratione Saivatnris, pour les vérités pratiques, l'opusmeritorium. Srni., prol., q. v, fol. ix F; fol. x B-F et. K.Après quoi l'on ne sera pas étonné que, pour Durand,la théologie au premier et au troisième sens soit pure-ment cl simplement pratique; au second sens, spécu-lative. Se;i/., prol., q. vi, fol. xii F-G. Tout cela, évi-demment, enlève à la théologie son caractère d'unitéet d'homogénéité : Theologia non est una scientia, sedplures. Ibid., q. iv, fol. vin, I.

Sans nous arrêter à Pierre Auriol (f 1322), voir icit. xn, col. 1847-1849 et 1857-1858, et P. Vignaux, Lapensée au Moyen Age, p. 158-159, considérons commetype de la pensée nominaliste Guillaume d'Occam(f 1319), qui est d'ailleurs le chef de l'école.

La pensée d'Oecam relativement à la théologie pro-cède de la conjonction ou de la juxtaposition de deuxchoses; sa foi religieuse d'une part, sa philosophiegénérale d'autre part, laquelle est essentiellement unephilosophie de la connaissance et de la démonstration,qui est d'abord une épreuve critique de notre manièred'énoncer les choses.

Occam est d'abord un croyant et, pour lui. Dieu estd'abord l'Absolu tout-puissant et souverainementlibre. On a fortement souligné, ces derniers temps, lavaleur religieuse de l'attitude nominalisle. Réactioncontre Scot et contre les distinctions qu'il introduisnitdans la connaissance et le vouloir de Dieu, la penséed'Occam rentre aussi, comme celle de Scol lui-même,dans le courant de réaction qui a suivi la condamna-tion de 1277, contre le traitement philosophique desmystères. Si la philosophie d'Occam, et le rapport decette philosophie à la foi, est différente de la philoso-phie ds Scot, le Dieu d'Occam et des nominalistes estle même que celui de Scot (et de Durand de Saint-Pourçain) : une toute-puissance souverainement libre,une pure libéralité créatrice. Chez Occam, la notion duDieu souverainement puissant et libre se développeplus spécialement dans ce sens, qui a une immédiaterépercussion en méthodologie théologiquc ; Dieu peutfaire tout ce qui peut être tait sans impliquer contra-diction et donc il peut faire directement tout ce quepeuvent taire les causes secondes, ce qui élimine touteconsidération valable de la nature des choses, etl'usage confiant de l'analogie tel que nous avons vuque saint Thomas l'avait conçu.

Avec cette notion de Dieu va interférer, pour définirle statut de la théologie, l'épistémologie critique et no-minaliste d'Occam; cf. les art. NOMINALISME et OCCAMà quoi on ajoutera P. Vignaux, La pensée au MoyenAge, p. 161 sq. Le résultat en est que tout ce que nouspouvons distinguer et formuler en usant de notreraison ne dépasse pas nos concepts et nos mots et nepeut s'appliquer à la réalité divine. Celle-ci, en effet,est simple et tout ce qui lui est attribuable s'identifie

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405 T H É O L O G I E . LA C R I T I Q U E , LES N O M I N A L I S T E S 406en vérité à cette réalité simple. Il ne peut s'agir, danscette perspective, d'une théologie qui soit une tenta-tive de reconstruire à partir de la connaissance deschoses et de la Révélation, les lignes de la sciencede Dieu. La simplicité divine s'y oppose et la raison yesl impuissante. C'est ainsi,' par exemple, qu'Occamconsidère comme illusoire toute tentative d'entrevoirle nttystère de la prédestination, dont on ne peut direqu'une chose, c'est qu'elle est, comme la création, unacte absolument gratuit. C'est ainsi encore que laraison no poul venir à bout de la contradiction qu'ellevoit dans un énoncé tel que celui-ci : • L'Essence estle Fils », « Le Père n'est pas le Fils », et cependant<i Le Père est l'Essence ». Devant ce mystère, l'esprits'arrête soit dans la négation, soit dans la foi pure etsimple.

Quel sera, dès lors, le statut de la théologie, que latradition mettait, à la suite de saint Augustin et desaint Anselme, inter fidem et speciem, en une fldesqua'reng intelleclum? De la théologie entendue en cesens, il ne reste, en somme, rien chez Occam. Pourlui, il y a bien la toi d'une part, les savoirs scientifiquesou dialectiques d'autre pari; il y a bien un certain en-tre-deux, qui est précisément la théologie, mais en cetentre-deux, les extrêmes restent juxtaposés, hétéro-gènes et extérieurs l'un à l'autre; il ne s'opère pas cetteconjonction organique el vitale qui est, précisément,aux yeux d'un thomiste, la théologie. Occam s'en ex-prime avec une parfaite clarté à la q. vu du Prologue(s= q. ni principalis). Dans le croyant, il n'y a de sur-naturel que la foi et il n'existe aucun autre habitus seréférant aux credibilia que la foi. Quel est donc l'ha-bitus do théologie, et qu'acquiert donc le théologienau delà de la foi? Deux choses : 1. une augmentationde sa foi acquise, c'est-à-dire de sa foi humaine, noninfuse ni salutaire, et c'est ce qui est propre au théolo-gien croyant; 2. de multiples hahitus scientifiques qu'iltrouve dans et par l'étude de la théologie, mais qu'àvrai dire il aurait pu acquérir par l'élude directe deces sciences, et que le théologien non-croyant peuttout aussi bien se procurer.

Comme l'a remarqué R. Draguet, dans la Revuecathol. des idées et des faits, 7 février 1936, p. 6, les ,nominalistes gardent le sens de la provenance diverseet de la valeur différente des éléments qui entrent dansla construction théologique. Mais, derrière une heu-reuse attention donnée au révélé originel, derrière cesentiment de l'inégale valeur des éléments qui intègrentl'activité théologique, n'y a-t-il pas une perte du sensprotond de cette activité et de son unité? Au total,cette théorie tort logique ne revient-elle pas à juxta-poser à un croyant un pur savant, qui est surtout,d'ailleurs, un logicien? Ne méconnaît-elle pas, aumoins en partie, cette tradition augustinienne de con-templation religieuse qui avait jusqu'alors régné enOccident et dont l'infeiiectus fidei, le quofides saluber-rima nulritur avaient donné la formule? Pour Occam,les rationes probabiles ne sont plus la nourriture de latoi salutaire qui nous unit au Christ, mais seulementcelle de la filles acquisi(a. Op. cit., q. vu Z.

Certes, il ne faut rien exagérer. Le besoin spéculatifest, dans l'homme, imprescriptible et il s'affirmecomme ailleurs chez Occam et chez ses disciples, Pierred'Ailly (f 1420), plus tard Gabriel Biel (f 1495). Occam,Pierre d'Ailly et surtout Biel veulent chercher'quelqueintelligence des vérités de la foi, si obscure que soitcette intelligence et si pauvres qu'en soient les moyensrationnels (probabile). On prendra une idée de cettepauvreté des moyens rationnels tenant à une critiquede toute considération de la nature des choses, dansM. Patronnier de Gandillac, Usage et valeur des argu-ment probables chex Pierre d'Ailly, dans Archivesd'hisl. doctr. et UWr. du Moyen Age, t. vm, 1933,

p. 43-91. Il reste vrai que, si le besoin de spéculationn'est pas dorénavant tué, les possibilités d'une spécu-lation théologique sont considérablement réduites oumodifiées.

De très graves conséquences vont s'ensuivre, qui sedévelopperont jusqu'au xvi8 siècle.

1. Une certaine rupture entre philosophie et théolo-gie et même entre philosophie ou connaissance ration-nelle et religion. D'où disjonction entre deux ordres dechoses qui tendent à se distribuer ainsi : d'un côté uneréalité purement religieuse, une spiritualité de la foi,une mystique de l'expérience intérieure, qui n'est plusalimentée par une activité proprement spéculative outhéologique; de l'autre, une spéculation purement dia-lectique et formelle, où une logique très fortement cri-tique s'applique à des questions d'école passablementsystématiques. Dans la première ligne, on trouveraGerson, lequel est d'ailleurs nourri de saint Bonaven-ture, puis les mystiques de la devofio moderna, oùLuther trouvera quelque consolation spirituelle; dansla seconde ligne, les traités des nominalistes eux-mêmes, d'Oceam par exemple, car, malgré l'inspira-tion religieuse de leur attitude critique elle-même,l'oeuvre théologique se présente chez eux comme untraitement logique, dialectique et critique, de ques-tions d'école. L'etîet de cette critique sera de trans-former beaucoup de questions, telles que celle de lagrâce infuse, du caractère sacramentel, de la trans-substantiation el divers points dans celle de la péni-tence, en schémas vides.

La défiance, sinon à l'égard de la raison elle-même,du moins à l'égard des excès commis dans son usagedialectique amènera, au XIVe siècle, à préconiser, parsens religieux beaucoup plus que par exigences scien-tifiques, une réforme de la théologie dans une ligneprincipalement orienté.e vers les besoins spirituels desâmes. Ainsi Gerson, Nicolas de démanges, le char-treux Nicolas de Strasbourg, (ilc. D'autres, tels Nicolasde Cues el Guillaume Durand le jeune, réclameront,comme remède à un état de la théologie qu'ils jugenttrès sévèrement, un retour à l'étude des sources, voireune décision de l'autorité fondée dans l'Écriture et lescanons, qui dirime tant de vains débals : et. A. Posch,Die lîeformvorschiâge des Wilheim Durandus f u n . au]dem Konzil von Vienne, dans Mitteilungen des ôster-reich. Inst. f . Gcschic.htsforsch., Festschrift f , 0. Red-lich, Inspruck, 1929, p. 288-303, cf. p. 301-302.

2. A la dévalorisation de la connaissance rationnellerépond nécessairement une attitude fldéiste. Les deuxchoses se suivent selon une proportion rigoureuse. Nonqu'il taille taxer tous les nominalistes de fidéisme total,mais, dans l'ensemble, le fidéisme est une attituderépandue chez eux.

3. Un grand développement des questions de métho-dologie critique, pour lesquelles on peut distinguertrois poinis d'application principaux ; a ) le rapportdes certitudes rationnelles et de la logique naturelle auxcertitudes et à la logique de la foi; la question de savoirsi la logique, la logica naturalis, vaut en théologie ets'accorde avec la logica f ide i . Question grosse, déjà,peut-être, de certaines positions luthériennes. — b) Al'intérieur même des données et des problèmes propre-ment théologiques, application systématique d'unecritique qui s'inspire le plus souvent du principe de latoute-puissance divine et de la distinction entre po-(en/ia absolubi et la poleniia ordinata. Exemple : est-ilpossible, de puissance absolue, que le péché et la grâcecoexistent, ou que le pécheur soit justifié sans recevoirla grâce, etc.? Les certitudes et les possibilités de laspéculation théologiquc sont de ce chef considérable-ment réduites. — c ) Le point de vue critique nepouvait pas ne pas se porter sur les sources propres dela théologie elle-même ; d'autant que la tendance

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fldéiste accentuait davantage la dépendance à l'égardde ces sources positives et du magistère. On a signalé,au XIVe siècle, un certain développement des questionscritiques de sources et de méthode, bref de ce qui seraplus tard le traité des lieux théologiques.

G. Manser, Die Geisteskrise des ZIV. Jahrhunderts, Fri-bourg, Suisse, 1915; J. Wtirsdôrter, Erkewen uni! Wissennncft Gregor von Rimint, dans Beitrage. t. xx, fasc. 1, Muns-ter, 1922; M.-C. Michalski, Les courants philosophiques à Ox-ford et à Paris pendant le SI T' siècle. Le criticisme et le scepti-cisme dona laphilosophie du XIV'siècle. Les courants critiqueset sceptiques dans la philosophie du XIV* siècle. La physiquenouvelle et les dtflèrents courants philosophiques au II V'siè-cle, dans le Bulletin de l'Académie polonaise des Sciences etdes Lettres, Classe d'hist. et do philos., respectivement en1921,1926,1927 et 1928; C. Michalski, Les sources du criti-cisme et du scepticisme dans la philosophie du XIF" siècle,extr. de La Pologne au congrès intern. de Bruxelles, Cracovie,1924; Ïï. Elirle,de Scholastik und ihre Aufgaben tu unsererZeit, Fribourg-en-B., 1933, p. 17-25; M. Grabmann, Ge~schichte der katholischen Théologie, Fribourg-en-B., 1933,p. 92-95.

r. APPK&CIATIOÎI SUR LA THÊOLO aiE DE LA FSRIODSsoOLASriQue. •— Ce qui caractérise la théologie de cetteépoque, c'est la confiance dans la spéculation etd'abord dans la connaissance humaine. Que cette con-naissance ait signification par elle-même, comme chezsaint Thomas, ou qu'elle ne reçoive validité que par latôt et la théologie, comme chez Scot, elle a toujours va-leur en elle-même. L'oeuvre de spéculation est égalementconsidérée comme se justifiant par soi, même lorsquel'œuvre de spéculation est intrinsèquement mise enrapport avec la vie de charité ; nous voulons dire que letravail théologique est poursuivi pour lui-même, pourla valeur intrinsèque de la connaissance vraie, mêmesi celle-ci a une relation nécessaire à la charité, et qu'iln'est plus subordonné aux besoins directs de l'Église,à la défense de la doctrine, à l'instruction des fidèles ouà l'évangélisation. La théologie de la grande époquescolastique est le produit d'une activité qui s'est déve-loppée pour elle-même. Nous n'avons pas à justifierici ce point de vue. Mais il faut nous demander ici cequ'a valu, de fait, cet effort, et si certains signes dedécadence théologique, à l'époque où nous sommesparvenus, ne viennent pas du développement logiquede dangers ou d'excès que la théologie de la scolastiqueportait en soi. Trois points nous paraissent, à cetégard, plus spécialement notables ;

l» Excessive prépotence d'une méthode trop exclusive-ment rationnelle et logicienne. — Nous avons vu quel'Introduction de la dialectique, avec la qusestio commeinstrument technique, avait déterminé en théologiel'usage de deux méthodes parallèles, celle du commen-taire et celle de la dispute. Dès le début, à chaqueprogrès du second procédé, une réaction se produit, àtelles enseignes qu'on peut jalonner le développementde la méthode dialectique par le témoignage des réac-tions qu'elle suscite : Robert de Melun (f 1167) s'enprend à ceux qui négligent le texte pour les gloses; lecommentaire de Pierre de Poitiers sur les Sentencessoulève la protestation indignée du prieur des béné-dictins de Worcester; la première Somme, celled'Alexandre de Haies, soulève la critique de RogerBacon, etc. L'objet de ces inquiétudes était le mêmeet il se dédoublait ainsi : n'allait-on pas soumettre lemystère de Dieu à une curiosité tout humaine, n'al-lait-on pas supplanter la parole de Dieu, le texte dela Bible, par des écrits ou des exercices plus rationnels,qui n'étaient pas même toujours des commentaires?

Le XIIIe siècle avait senti l'acuité de ces problèmeset leur avait donné une solution méthodologique etpédagogique. Cette solution comportait le maintientrès ferme d'un enseignement biblique à côté d'unenseignement de la théologie du type rationnel et dia-

lectique. Non seulement la leçon ordinaire du maître,d'ailleurs peu fréquente, était une « lecture » de quel-que livre de l'Écriture, mais, pour remédier au carac-tère fragmentaire de cette étude de la Bible, on avaitinstitué une lecture rapide du texte qui permettaitde le parcourir tout entier, légère Bibliam biblice ousecundum morem studii Parisiensis. Cependant, ilsemble que ces dispositions aient été, avec le temps,tournées ou rapportées. On en viendra, dans les règle-ments de l'Université de Paris de 1387, à autoriser lesbacheliers bibliques à échanger l'enseignement de deuxlivres de la Bible contre deux disputes. Chartut. uniu.Paris., t.* ii, p. 699, n. 28. Dans le même temps, c'est-à-dire au cours des XIVe et xv« siècles, la lecture desPères dans le texte, originalia, va en décroissant et,comme le note le P. de Ghellinck, « la place faite auxPères dans l'Église diminue en raison de l'extensiondes ouvrages d'Aristote et des scolastiques ». Patris-tique et argument de tradition au bas Moyen Age, dansAns der Geistesweit des Miftelalters, Fetsg. Crabmann,1.1, p. 421 sq. Le P. Denifle remarque de même qu'onne fréquente plus guère, au XVe siècle, les grandsouvrages des Pères, la théologie étant devenue unechose logique. On ne voit plus guère, comme manus-crits des Pères, que les extraits, ou bien des ouvragespurement moraux. Chartul., t. ni, p. ix.

Cette régression croissante du donné textuel devantla construction logique et le système se double d'unecertaine débilité quant aux procédés par lesquels lathéologie doit prendre possession de son donné. Lagrande faiblesse de la théologie scolastique est den'avoir guère le sens historique. Celui-ci consiste àpouvoir lire un texte ou comprendre un tait non dansla perspective qu'on a soi-même dans l'esprit, maisselon la perspective dans laquelle ce texte ou ce taitse sont réellement trouvés, à rechercher le contextepropre de chaque chose; l'absence de sens historiqueconsiste à situer les choses dans son propre contexte àsoi. Or, le Moyen Age n'a eu que rarement ce senshistorique. Ce qui l'intéresse, c'est seulement lavérité objective, l'absolu de l'objet, l'adéquation del'esprit à la vérité idéale et en soi.

Certes, le Moyen Age a merveilleusement connul'Écriture et sa culture pourrait à bon droit être appe-lée une culture biblique ; certes, les grands théologiens,et en particulier saint Thomas dans ses commentairessur saint Jean et saint Paul, sont de bons exégètes.Mais l'absence de sens historique a aussi bien des foispoussé les médiévaux à interpréter les termes et lesénoncés de la Bible en fonction non de la Bible elle-même, mais des idées de leur temps et de leur milieu,ou encore d'idées théoriques parfois étrangères au senslittéral et historique des textes. A la limite, nous au-rons l'invraisemblable usage de textes comme Spiri-tualis judicat omnia; Sunt duo gladii hic, dans la ques-tion des rapports du pouvoir spirit.uel et du temporel.Mais, en deçà de ces dangereuses aberrations, nousaurons le danger d'interpréter les mots de l'Écriturenon par une enquête sur le sens génuine des catégoriesbibliques, mais par un recours à ce que signifie ouévoque le même mot chez d'autres auteurs, Aristotepar exemple, et dans le milieu médiéval latin. Exem-ples : saint Thomas applique d'emblée les analysesd'Aristote dans le VIe livre des Éthiques aux dons intel-lectuels 'de sagesse, science et intelligence dont parlel'Écriture ; dans la question de la « grâce capitale » duChrist, il interprète le mot caput non par une étudeexégétique de son emploi, mais par une analyse sys-tématique de l'idée de « tête » en soi. L'interprétationsystématique rejoint-elle l'interprétation exégétiqueîEn substance, oui, et il est certain que les grands sco-lastiques n'ont pas dévié doctrinalement. Mais onconcédera qu'il y aurait facilement là un vice de

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409 T H É O L O G I E . A P P R É C I A T I O N S U R LA S C O L A S T I Q U E 410méthode, un danger d'en venir à pratiquer la théolo-gie d'une manière purement dialectique et déductive,les textes bibliques ne venant plus qu'à titre décoratif,d'une façon accidentelle.

On pourrait faire des remarques semblables au sujetde l'usage des écrits des Pères. Alors que les grandsscolastiques des xii" et xm" siècles lisaient souventles Pères dans le texte ou la traduction latine, origi-nalia, on on arrive, au cours des xiv" et xv" siècles, àne lire que des extraits et à revenir au régime des ex-cerpta ou des deflwationes. D'où un regrettable déve-loppement d'une méthode dont la meilleure scolasti-que n'avait pas été totalement exempte et dont lascolastique de nos jours ne s'est pas encore complète-ment guérie et qui consiste à citer, à l'appui d'unethèse systématique développée pour elle-même et pardes procédés purement logiques, un ou deux textesfragmentaires, extraits d'extraits, empruntés à desauteurs de contexte historique fort divers et qui,traités ainsi, ne représentent qu'une caricature dudonné positif.

Rappelons-nous comment les théologiens de la findu XIIIe siècle tondaient le caractère scientifique de lathéologie en disant qu'elle est une scientia conse-quentiarum, et non une scientia conseyuentiuTn, c'est-à-dire une perception de la vérité non des choses elles-mêmes, mais de la démonstration des conclusions.Position, à coup sûr, irréprochable dans la mesure oùon demeurait fidèle à un contact sans cesse enrichi etrenouvelé avec le donné positif, scripturaire et patris-tique. Au cours des xiv et xv6 siècles, ce contact sefaisant moins actif, le danger s'accusait en proportionde s'attacher plus à la construction systématique età son appareil dialectique qu'à la perception des mys-tères dont doit vivre la foi. L'objet de la sacra doctrinarisque ainsi de devenir non plus les choses essentielle-ment religieuses, mais les propositions plus ou moinsrationnelles. C'est essentiellement contre cela que sefera, d'abord, la réaction de l'humanisme et mêmecelle de Luther. Aussi peut-on dire que le défaut ou ladéviation que nous venons de signaler, dans la mesureoù ils furent effectifs, constituent la responsabilité dela scolastique dans les grandes déchirures du xvi" siè-cle.

2° Danger de subtilité inutile. — La méthode dialec-tique de la iJtisestio était sans aucun doute un grandprogrès. Elle offrait cependant un risque, celui de sedévelopper pour soi-même et d'envahir tout le champdu travail théologique. En effet, tout peut être mis en« question n et, une question résolue, on peut en soule-ver quantité d'autres sur chacun de ses éléments etainsi à perte de vue. Que l'on arrive, à partir d'une con-sidération fruste et globale, à analyser tous les aspectset à envisager toutes les difficultés d'un sujet par laméthode dialectique de la quwstio, il y a là un bienfait.Mais la méthode risque de continuer à fonctionnerpour elle-même. Historiquement, ce danger s'est pré-senté après chaque progrès de la méthode dialectique :ainsi, au xii" siècle, où Jean de Salisbury donne untrès sûr diagnostic du mal. M. Grabmann, Gesch. d.schol. Meth., t. u, p. 112 sq., 516 et 522-523. Mais les« Corniflcicns » ont survécu et se renouvellent d'âge enâge. C'est contre ceux de leur temps que réagirontsurtout les humanistes ou les théologiens soucieux defaire droit à leurs plaintes, par exemple Cano, Delocis theol., 1. IX, c. vu; 1. XII, c. v. Si l'excès de senshistorique a ses inconvénients, l'érudition fin en soiet l'hisloricisme, l'absence de sens historique a aussiles siens. Dans la scolastique médiévale, les difficultésque pouvaient soulever les textes, ceux des « autorités 11en particulier, ont été trop fréquemment résolues, nonpar le recours .au « contexte », avec le relativismequ'implique, en vérité, cette loyale méthode, mais par

des distinctions s'établissant à un plan idéologiqueintemporel.

Les grands théologiens médiévaux ont généralementévité de s'engager dans la voie d'une applicationintempérante de la méthode dialectique et du procédéde la qusestio. Mais le risque do vaine curiosité et desubtilité dialectique n'était pas imaginaire, comme lemontrent des avertissement tels que celui-ci, formulépar le chapitre général des frères prêcheurs de 1280 :Monemus guod leciores et magistri et fratres alii quses-tionibus ihwlogicis et moralibus potius quam philoso-phicis et curiosis intendant. Acfa capit. gen., éd. Rei-chert, t. i, p. 209.

3° Danger de cristallisation en systèmes pétrifiés. —Ce danger découle du précédent. Chez les grands sco-lastiques, le système vit des grandes intuitions généra-trices, comme l'appareil dialectique est au service deproblèmes réels. Mais les maîtres font école et 11 setrouve, parmi leurs disciples, ceux qui s'appliquentsurtout à exploiter et plus encore à fixer, gloser etdéfendre leurs conclusions. Il y a « scolastique » ausens étroit et péjoratif du mot, quand, au lieu desentir quel est le sens protond des problèmes, ontraite ceux-ci d'une façon purement académique;quand, au lieu dv vivre des principes pour sonpropre compte, on discute pour les conclusions d'unautre, pour les conclusions tenues dans un groupe,avec l'âprelé et l'élroitesse, le formalisme et l'impuis-sance à assimiler, qui sont en tout ordre de choses lesmarques de l'esprit de corps. Ce n'est pas un hasardsi le nom de « scolastique » est lié à celui d' « école ». Ona remarqué justement qu'en se développant dans desécoles, en devenant une affaire de magistri, la théologieavait aussi perdu le contact avec la vie de l'Égliseet était devenue une affaire de spécialistes. Et comme,de fait, le clergé diocésain eut toujours beaucoup demal à donner des théologiens, comme les écoles dethéologie furent en très grande majorité alimentéespar les ordres religieux, la théologie se constitua enécoles pratiquement identifiées aux grands corps reli-gieux : dominicains, franciscains, augustins, etc. Versle milieu du xv6 siècle, la théologie était devenue uneaffaire de couvents et de maisons spécialisées en cegenre, une question d'écoles rivales, de disputes entresystèmes. C'est d'écoles de ce genre, et précisément enparlant du thomisme et du scotisme, que M. Gilson apu écrire : « Des deux côtés on a commis la faute dephilosopher sur des phllosophies au lieu de philosophersur les problèmes... » L'esprit de la philosophie médié-vale, Paris, 1932, t. n, p. 267.

Les déviations que nous venons de signaler ne sontpas d'ailleurs le fait de la grande scolastique, maiscelui de sa décadence. Cependant, toute décadenced'une institution dénonce, dans cette institution,quelque chose qui, indépendamment des dangers quipeuvent venir du dehors, représente en elle un risque,un risque qu'elle court de par sa nature même et quilui est, pour ainsi dire, essentiel. La sco'astique, néede la promotion la plus franchement confiante de laraison dans la science de la foi, entraînait un problèmequi était plus spécialement son problème ; en exploi-tant à fond, pour mieux comprendre les mystères, lesressources de la raison naturelle, comment garderaux choses chrétiennes leur caractère dominateur etleur valeur oe « tout »? en introduisant loyalement lejeu de la dialectique dans la sacra doctrina, commentconserver la primauté effective du « donné »? en utili-sant la connaissance des réalités de notre monde pourconstruire intellectuellement les mystères révélés,comment garder à ces mystères leur spécificité, leurcaractère de nouveauté et de révélation d'un autremonde? Le problème de la scolastique est au fond leproblème de toute théologie.

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411 T H É O L O G I E . P R O B L Ê M E S N O U V E A U X 412

VII. PROBLÈMES NOUVEAUX ET LIGNES NOUVELLESDE LA THÉOLOGIE MODERNE. — L'époque à laquellenous arrivons est caractérisée, en sa notion de la théo-logie, comme d'ailleurs en tout, par 1. la naissancede problèmes et de besoins intellectuels nouveaux;2. par la dissociation de la synthèse et de l'unité carac-téristiques du Moyen Age, cl ceci en tous les domai-nes ; 3. par la naissance de formes nouvelles d'acti-vité et de recherche. Ces dissociations, commencées PUxv6 siècle, continueront de s'opérer activement jus-que vers le milieu du xix" siècle où commenceront às'élaborer des tentatives de nouvelle synthèse.

Après avoir évoqué rapidement les problèmes nou-veaux qui se posent nous exposerons les réponses quifurent laites et qu'on peut classer en cinq types : hu-maniste, luthérienne, scolastique traditionnelle, mys-tique, scolastique progressiste.

A. Huinbert, Les origines de la théologie moderne, i. Larenaissance de l'antiquité chrétienne ( 3 4 S O - J ô 2 l > , Parla,1911 ; Ch. Gœning, La théoloyie d'après Érasme et Luther,Paris, 1913; A. Renaudat, Preréforme et humanisme à Parispendant les premières guerres d'Italie ( l f 9 4 - l S 1 7 1 , Paris,1916; A. Lang, Die Locl theologici des Melchior Cano unddie Méthode des dogmaiischen ISeweises, Munich, 1925;K. Esctiweiler, Die ïioei Wege der neueren 'rhéologie. Einckritische Untersuchung des JProblems der thvologischen Er-kemitnis, Augsbourg, 1926; P. Pulman, L'élément historiquedans la controverse religieuse du XVI'siècleiGemùloux., 1932.

/. LES PROBLÈMES ET LES BESOINS, — C'est un faitqu'à la flu du xv1' siècle, pour de nombreuses cons-ciences, les formes anciennes de la synthèse médiévalene paraissent plus satisfaisantes. On éprouve le besoinde renouveler, de trouver pour la vie et la pensée desformes nouvelles. C'est alors que prend naissance unedes catégories caractéristiques de la « consciencemoderne », celle d'un passé périmé, dont on a définiti-vement tourné le cap, et de l'entrée dans une ère nou-velle et définitive.

Cette époque, marquée par un besoin général derenouvellement, nous paraît poser trois problèmes,d'ailleurs solidaires, où la théologie classique se trouvemise en question jusqu'en sa structure : un besoinspirituel et vital; la nouveauté du contact critiqueavec les textes et du sens historique; une orientationculturelle cl anthropologique nouvelle.

'1. Un besoin spirituel et vital. — Le nominalisme etla scolastique excessivement dialectique et subtile duMoyen Age déclinant aboutissaient, chacun de soncôté, à disjoindre l'intellectuel et le religieux : le nomj-nalisme.bien qu'il se doublât d'une attitude religieuseprofonde, disjoignait l'objet de la religion et l'orarc denotre connaissance et se rendait incapable de consti-tuer pour le croyant un statut religieux intellectuel; lascolastique décadente se développait d'une façonexcessive et presque exclusive au pian des conclusionssystématiques et ainsi vile étouffait les intuitions reli-gierses indispensables à la théologie. On est Irappé, àla fin du xv° siècle, de voir que la spéculation, commela lutte des écoles, se place presque uniquement sur leterrain de la philosophie, le thomisme et le scotismo,par exemple, étant entendus en fonction des positionsphilosophiques de saint Thomas ou de Scot, beaucoupplus qu'en fonction de leur synthèse théologique.Aussi, quand on éprouvait le besoin de dépasser le plande la ratio, pour retrouver celui de l'inieltectus, desintuitions dont aucune pcnsue discursive ne dispense,on était tenté de recourir non à la théologie, mais à unmysticisme tel que celui des Alexandrins (ainsi fai-sait-on à Florence), de Raymond Luile, de Nicolas deGués (ainsi Lefèvre d'Étaples, par ailleurs aristotéli-cien assez littéral), de Dcnys l'Aréopagite, voire d'Al-bert le Grand. On considérait encore Aristote commemaître de l'appareil conceptuel et dialectique; on

demandait à d'autres et l'on cherchait ailleurs quedans la théologie les éléments d'une connaissancesupérieure. On sent partout la recherche d'un contactplus direct et plus simple avec l'objet religieux, l'as-piration à rendre aux âmes cet objet en un état decertitude, c'est-à-dire de pureté, et sous un modenon plus philosophique ou intellectuel, mais reli-gieux, chaud, consolant.

2. La nouveauté du contact critique avec les textes etdu sens historique. — A. Humbert a décrit le mouve-ment de retour aux sources, c'est-à-dire surtout auxtextes et d'abord au texte de la Bible, qui se fait jouralors partout. Cela commenÉe-dans les premiers travauxde philologie et d'érudition critique, avec Pic de LaMirandole et Ficin, en Italie, de qui procèdent plusou moins directement un John Colet en Angleterre, unLetèvre et un J. Clichtoue en France, un Reuchlin enAllemapie et finalement Érasme lui-même. De làtoute une activité d'édition de textes, la fameuseédition du Nouveau Testament en grec par Érasme,1516, et les innombrables publications des écrits desPères qui se firent alors, en particulier à Baie.

Certes les textes. Bible et Pères, étaient fort loin.d'être ignorés de la scolastique; on a remarqué que,bien souvent, les humanistes ne firent qu'imprimerdes manuscrits du Moyen Age. Mais, dans ce recoursau texte, dans cette fréquentation des auteurs, lagénération de 1500 apporte un point de vue nouveau.Elle inaugure une lecture des textes faite d'un pointde vue non plus intemporel et inconditionné, maishistorique, du point de vue non plus d'une traditionacquise, mais critique et euristique. Et d'abord, il fautêtre sûr de son texte et que ce texte est bien de l'au-teur. D'où tout un travail de critique textuelle et lit-téraire, d'édition, d'interprétation critique, avec re-cours au contexte historique, philologique, etc. C'estcela qui marque la différence, dans la façon d'aborderle même texte biblique, entre Nicolas de Lyre, sou-cieux du seul sens théologique, et Laurent Valla ouà plus forte raison J. Colet et Érasme. Celui-ci s'élèveen particulier contre les théologiens qui empruntentquelques mots à l'Écriture et les accommodent à leurdoctrine, sans s'inquiéter du contexte de ces mots etde leur sens dans ce contexte. Encomium Marias,c. LXIV.

3. Une orientation culturelle et anthropologique nou-velle. — W. Dilthey, E. Cassirer et après eux K. Esch-weiler ont écrit sur l'homme nouveau de la Renais-sance, caractérisé par le point de vue subjectif. Nousne retiendrons ici que quelques traits qui intéressentimmédiatement la conception du travail théologique.L'homme est conçu moins volontiers selon ce qu'il y aen lui de spéculatif et de rationnel; on a moins de con-fiance en la preuve logique et l'on tend à substituer àl'esprit déductif et spéculatif un esprit plus intuitif etplus vital. Au cours du xvn" siècle et ensuite, cettetendance reparaîtra comme le besoin de ne pas dis-tinguer seulement, dans l'ordre des objets, entre ledomaine des vérités de la foi et le domaine des véritésde la raison, mais, dans les conditions subjectives, en-tre le mode propre de la connaissance religieuse et lemode propre des activités rationnelles.

Ceci est fort important et intéresse la théologie nondu dehors, mais structurcllement. Car la théologie,par définition, implique à sa racine l'acte de foi etdans son élaboration un usage de l'esprit humain. Or,la poussée que nous signalons tend à modifier plus oumoins la notion de ces deux éléments : celle de l'actede foi et celle du.travail humain et des actes de l'es-prit. Les requêtes nouvelles, peu développées dans lareligion des pays demeurés catholiques, se développe-ront plutôt dans les pays germaniques et anglo-saxons,passés en grande partie au protestantisme, et elles en

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413 T H É O L O G I E . S O L U T I O N S DES H U M A N I S T E S 414reviendront, vers la fin du xix^iècle, sous la forme desproblèmes et. des tentatives de solution qui, mal enga-gés dans les déviations du « pragmatisme » et du« modernisme «, battent encore le seuil de notre théo-logie.

I I . LES SOLUTIOSS. — 1° L'humanisme. — L'huma-nisme comporte un aspect très marqué de réaction :réaction contre la forme extérieure, peu élégante etfort appauvrie dans ses modes littéraires, de la sco-lastique. Souvent, le nom de n scolastique » sera donnéà la théologie qui en reste à la forme » barbare » duMoyen Age. Mais, au delà de la question de style, c'estle procès de la méthode dialectique, de la guseslio cl dela disputatio que l'humanisme institue. Car les « ques-tions » sont barbares, excessivement et inutilementsubtiles, elles n'ont apporté et n'apportent aux espritsque division et incertitude. De plus, ces questions nereprésentent qu'une attitude sèchement intellectuellede l'esprit, elles se prêtent à l'invasion de la philoso-phie et des problèmes purement philosophiques dansla théologie, alors que celle-ci ne doit que parler duChrist, mener au Christ, ouvrir le sens profond desÉcritures à l'âme intérieurement illuminée. Voir sur-tout le traité typique de Leonardo Bruni, Libellasde disputatiottum exereiialion'isque studiorum usu, de1401 (cf. Ph. Monnier, Le Quattrocento, t. i, 6» éd.,p. 105 sq.); Érasme, tSncomium Marias et la préfacede son édition du Nouveau Testament, 1516, publiée àpart en 1518 sous le titre de Ratio seu methodus com-pmdio pwneniendiadveram iheologiam; en un, A. Lang,Die Lad theologici..., p. 32 sq., 50 sq.; Petau, Thml,dogm., Proleg., c, iv, n. 1 (t. I, p. 21), et c. v, n. 6, p. 33,qui répond aux critiques d'Érasme.

Les humanistes n'attaquent que pour remplacer.Au lieu de la disputatio et de la méthode dialectique,ils veulent voir cultiver les textes et la méthode exé-gélique, le teste de la Bible d'abord, celui des auteursanciens ensuite. La sincera theologia, la philosophiaChrisii, c'est l'Écriture lue pour elle-même, dans sontexte original, grec ou hébreu et, en second lieu, lesécrits de ceux qui, plus proches des origines, avaientun sens plus pur et plus simple de l'Évangile. Il nes'agit, pour le théologien, que de les comprendre et deles proposer. Aussi r'est on pas étonné de voir leshumanistes reprendre, pour nommer cette doctrinechrétienne sans adjonction, le vocable par lequel déjàles Pères, les Pères grecs surtout, avaient désignél'Évangile : Philosophin Christi ou Philosophia chris-fiana. Ainsi, après son Epislola de philosophia chris-iiana, 1518, Ét-asme publiera une Evhortallo ad philoso-phia: chrisliaiw sludium, 1519-1520, qui, en moins devingt ans, connaîtra trcnle-cinq éditions.

Il y avait d'abord, dans 1c programme humaniste,tout un côté positif, correspondant à l'apparitiond'une ressource nouvelle de l'esprit humain que lathéologie se devait d'assimiler. Comme avènement dupoint, de vue et de la méthode historiques, comme rap-pel aux sources de la théologie et comme pourvoyeurde textes, l'humanisme représentait un mouvementnormal et fécond. Aussi bien le progrès réalisé parÉrasme ou grâce à son influence dans les études bibli-ques fut-il, en partie du moins, consacré dans laVe session du concile de Trente; cf. Allgeier, Erasmusund Kardinal Ximrnes in dm Verhandiungen des Kon-îils l'on Tmnt, dans Ges. Au/sdbe t. Kallurgesch. Spa-niens, hrsg. von H. Finke, t. iv. Munster, 1933, p. 193-205.

Cependant, le programme érasmien ne se contentaitpas de réformer ou de compléter la scolastique; il laremplaçait et donc, en somme, la supprimait. Il n'yavait en effet plus de place, chez Érasme, pour uneconstruction intellectuelle de la doctrine chrétiennesous une forme scientifique correspondant aux exi-

gences de la raison spéculative. Il n'y avait place quepour une connaissance détaillée des textes, inspira-trice de vie morale, non pour une spéculation s'ap-pliquant à élaborer une connaissance scientifique dela nature des choses chrétiennes. Aussi A. Humberta-t-il dit 1res justement de John Colet et de ses émulesque, catholiques d'intention et de position, « ils ne sai-sissent plus l'ensemble doctrinal de la foi ». Op. cit.,p. 102; cf. p. 194 sq., et surtout Gœrung, op. cit.,p. 148 sq., 186 sq., 214 sq., et R. Gagnebet, La naturede la théologie spéculative. Le procès de la théologiespéculative au X V I e siècle : Luther et Érasme, dans Revuethomiste, 1938, p. 615-674.

Certes, l'humanisme avait représenté, lui auss), sur-tout en son premier état, chez l^'icin et chez Pic, uneunion de la Révélation chrétienne et de la penséephilosophique païenne. Mais cette union s'opérait ende toutes autres conditions que dans la scolastique,Dans celle-c.i, Platon et Aristote intervenaient pour leseul contenu de vérité spéculative que leurs écritsrévélaient; leur pensée pouvait ainsi entrer dans laconstitution même d'une doctrine proprement théolo-gique. Ici, même lorsqu'on le joint à l'Évangile, Platonreste lui-même, Aristote reste lui-même; ils ne sontpas réduits à un contenu de vérité spéculative qui nesoit plus ni Platon ni Aristote comme tels, mais véritéobjective acquise par l'esprit. D'où le caractère dejuxtaposition que présentent les traités humanistes,leur caractère composite, leur allure d' « essai «, leuraspect apologétique; lés philosophies païennes y sem-blent des illustrations ou des étais du dehors plutôtqu'un ferment interne de la pensée en travail de cons-truction.

Chez Érasme lui-même, il n'est même pas questionde cela. Il n'est pas seulement antiscolastique, il estantispéculatif et, sans qu'on puisse dire qu'il ait étéantidogmatique, il se serait contenté volontiers d'uncertain fidéismc, avec une tendance à réduire la reli-gion aux éléments moraux; voir, par exemple. Deseruo arbitrio, éd. de Leyde, Opéra, t. ix, col. 1217. Parcet aspect antithéologique, malgré leur attachement àl'Église, Érasme et l'humanisme ont préparé la reli-gion sans dogmes qui, après Spinoza, sera celle dudéisme moderne et sera d'un si grand rôle dans l'ins-piration de 1' « incroyance » actuelle.

2° Luther. — Nous voulons seulement caractériserla position du réformateur, qui représente un augusti-nisme exaspéré et sorti de ses attaches catholiques. Onpeut résumer sans la schématiser à l'excès, la positionde Luther en ces lignes :

1. Il ne s'agit, dans le christianisme que du salut. Or,mon salut est dans le Christ seul et il suppose que jeme convertisse à lui, ce pour quoi nous a été donnée saParole, dans l'Écriture, et la prédication de cette Pa-role, dans l'Église. Ni l'Écriture, ni l'enseignement desdocteurs n'ont d'autre but que de nous convertir dece qui n'est pas le Christ à ce qui est le Christ et denous mettre le Christ sauveur, c'est-à-dire crucifié,dans le cœur. Il y a là une double affirmation ; 1° lesalut, qui est le Christ, suppose qu'on se convertissede ce qui n'est pas lui, c'est-à-dire de l'extérieur, detout ce que saint Paul appelle la » l.oi » et qui englobe,selon Luther, tout ce qui est œuvre extérieure àl'Évangile, à une foi qui consiste essentiellement en unetotale défiance de soi et en une confiance éperdue dansle Christ sauveur et miséricordieux. 2° L'Écriture et ladoctrine chrétienne, qui ne concernent que le salut,c'est-à-dire la conversion susdite, ne nous apportentpas une connaissance spéculative des choses, mais sontpurement orientées à nous faire faire cette conversiondu sensible et de notre monde au monde du salut etdu Christ. Il y a donc, entre la manière dont la philo-sophie, science de notre monde, et la théologie ou la

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415 T H É O L O G I E . S O L U T I O N DE L U T H E R 416

doctrine chrétienne, science du salut, parlent deschoses, une différence radicale; ce sont deux ordresde pensée hétérogènes, en sorte qu'aucune applicationde nos connaissances naturelles n'est valable en théo-logie.

Voir, comme textes caractéristiques, pour toutes cesnotions ; Dictata super Psalt., in ps.LXxm, Weimar,t. ni, p. 508-509; In ps.LXXxir, in eos qui convertunturad cor, Weimar, t. IV, p. 10-11; In ps.LX.vill, t. ni,p. 419. Voir encore la Disputafio théologien an hxcpropositio sit vera in philosophia : Verbum caro factumest, de 1539, éd. Erlangen, Opéra varit arg.,t. iv.p. 458-461, ce texte ne figurant pas dans l'édition de 'Weimar.

2. Cette impossibilité d'appliquer à l'ordre chrétiennotre connaissance rationnelle des natures et de la loides choses est d'autant plus rigoureuse que la naturehumaine est pécheresse. Le salut ne s'opère pas par uneélévation de la nature à l'aide de la grâce, mais par uneaversion à l'égard des natures et par la foi seule, fidesola. C'est ainsi que se développe chez Luther, pardessus sa réaction antiecclésiastique, antiinstitution-nelle, une réaction antiscolastique, antirationnelle,dont la fameuse Disputatio contra scholoslicam theo-logiam de 1517, Weimar, t. i, p. 224 sq., est une desexpressions les plus caractérisées :

Prop. 43 : « Enor est dicere : s(ne Aristotele. non f t t theo-logus. • Prop. 44 : • Imo theologus non fit nlsf ld fiât sineAristotele. » Prop. 45 : • Theologus non logicus est monstruo-sus hœreticus est monatruosa et haeretica oratio. » Prop. 47 ;• Nulla tonna syllogistica tenot in divinis. » Comparer laDispittatio Heidelbergee habita (1518) : Prop. 19 : ' Non illedigne tileologus dieltur, qui invisibilia l)ei per ea yuas faclasunt, intellects conspicit, • Prop. 20 ! « Sad qui visibilia etposteriora Del per passiones et crucem conspecta Intelllgit. •Prop. 29 : • Qui sine periculo volet in Aristotele philoso-phari, necesse est ut ante bene stultlllcetur In Christo. *

On voit que c'est toute la théologie telle que la tra-dition chrétienne l'avait conçue, surtout depuis saintAnselme, qui est. sapée par la base, sa base étant pré-cisément la possibilité d'appliquer aux réalités surna-turelles les conceptions de la raison. Luther appelletoute théologie qui garderait quelque continuité etquelque rapport entre l'ordre des choses ou de la con-naissance naturelle et l'ordre des choses chrétiennes etde la foi, theologia gloris:, à quoi il oppose la theologiacrucis, caractérisée par la discontinuité radicale desdeux ordres et la soumission de tout l'ordre chrétien aucritère exclusif du salut sous la croix. La theologiaglorise, qui s'efforce de comprendre le plus par le moinset les purs intelligibles du Christ par les formes sensi-bles de la philosophie, est en réalité une théologie deténèbres, tandis que le vrai chrétien trouve la sagessedans la croix. Cf. Disp. contra theol. schol., prop. 21 ;Disp. Hsidelbergse habita, prop. 50.

3. A la place d'une théologie spéculative construi-sant intellectuellement le donné de la doctrine chré-tienne, que préconise Luther? Une théologie qui soitune vraie piété, préparée par une étude principalementtextuelle.

Une théologie qui soit une vraie piété ; car il nes'agit pas de connaître'la nature des choses, mêmechrétiennes, mais de vivre avec )e Christ. Dès 1509,il voudrait laisser l'étude de la philosophie pour cellede la théologie : lettre à J. Braun, 17 mars, éd. Weimar,Briefweehsel, t. i, p. 17. Or, quelle était pour lui cettemoelle de la théologie? Si te délectât puram, solidam,antiques simillimam theologiam légère in germanicalingua effusam, sermones Tauleri.,, tibi compwarepotes..., à Spalatin, 14 décembre 1516, ibid., p. 79. Lathéologie que veut Luther est une théologie pieuse,sensible au cœur, où il ne s'agisse pas de disséquerdes objets par la connaissance, mais d'adhérer dansune foi consolante et chaude. Disp. theol. an hwc pro-

positio..., de 1539, prop. 41. Il s'agit d'une théologiedu salut, qui porte à se détourner de notre mondepour se convertir au Christ dans une fiducialis despe-ratio su; et dans une confiance éperdue en notreSauveur. Une théologie sans cesse référée à l'expé-rience intérieure de la conversion des fausses réalitésà la seule vraie, une théologie du salut sola fide,Cf. A. Humbert, op. cit., p. 267 sq., 297 sq.; y ajouterle texte significatif, publié depuis lors, du commen-taire sur les Romains, éd. Ficker, t. n, p. 183, Quietio-ris solatii nos minière fovemur et scrupulis wnscientisefacilius medemur, et cet autre texte, que Ritschi etHarnack ont cité comme typique : « Christ a deuxnatures, en quoi est-ce que cela me regarde? S'ilporte ce nom de Christ, magnifique et consolant, c'està cause du ministère et de la tâche qu'il a pris sur lui ;c'est cela qui lui donne son nom. Qu'il soit par naturehomme et Dieu, cela, c'est pour lui-même. Mais qu'ilait consacré son ministère, mais qu'il ait épanché sonamour pour devenir mon sauveur et mon rédempteur,c'est où je trouve ma consolation et mon bien... "ïrad. J. Huby, dans Études, t. CLXIX, 1921, p. 290.

Cette théologie pieuse et salutaire se réalisait sur-tout dans les actes religieux de foi et (le la prière ; ellen'admettait pas qu'on lût la Bible, comme les scolas-tiques, propter cognitionem fanquam scriptusn histori-cum, mais propter meditationem. Tischreden, éd. Wei-mar, t. iv, n. 5135. Mais elle comportait, pour sa pré-paration et sa diffusion, une part d'étude principale-ment consacrée au texte de l'Écriture, subsidiaire-mcnt à celui de certains Pères, notamment saint Au-gustin. ûrielœechsel, t. i, p. 99; cf. p. 139, Pour répon-dre à un tel programme, des études littéraires sontnécessaires, la connaissance des langues anciennes enparticulier. C'est le côté par où Luther et la Réformesympathisent et collaborent avec Reuchlin, Érasmeet l'humanisme. Luther ajoute et continuera jusqu'àla fin de sa vie d'ajouter une certaine étude de la logi-que, de la rhétorique, de la dialectique et de la philo-sophie. Mais Luther en reste ici, comme en sa notionde théologie, à un augustinisme exaspéré. 11 était detradition augustinienne de traiter les'arts libéraux etla philosophie surtout comme des propédeutiquespréparant l'esprit à la contemplation. Luther reprendce point de vue en le poussant à l'extrême et les mêmestextes qui affirment le bienfait de la philosophie et dela logique, affirment plus fortement encore que celles-ci ne peuvent prendre aucune place dans la théologieelle-même.

Luther suscitera une double postérité, dont lesdeux lignes, opposées entre elles, nous semblent pouvoirse réclamer légitimement de lui. Par le côté où Luthera intériorisé le principe du christianisme, donnant àla théologie, comme double intérieur du texte, uncritère spirituel se référant au salut et à l'expérience dusalut, il a reçu pour postérité la lignée de Schicierma-cher et d'une «théologie de l'expérience », selon laquellela i Dogmatique » a pour objet de décrire et de systé-matiser l'expérience religieuse. Par le côté où, adhé-rant à un donné objectif. Écriture et symboles del'ancienne Église, il l'a systématisé selon une dialec-tique de radicale opposition entre notre monde et Uieu,la " Loi » el l'Évangile, il peut être reconnu comme lepère de la « théologie dialectique», animée par le rejetde toute analogia enlis et de tout « surnaturel » qui nesoit pas Dieu, l'Incréé, lui-même.

Au point de vue de l'évolution ultérieure de la théo-logie catholique, le rejet par Luther de toute normede la théologie autre que l'Écriture mettait en questionjusqu'en ses fondements la science théologique et de-vait amener celle-ci, nous le verrons, à créer touteune défense et toute une méthodologie critique de sesfondements : traités de la Tradition, des Iteux théolo-

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417 T H É O L O G I E . C O N T I N U A T I O N DE LA S C O L A S T I Q U E 418giques et justification apologétique tant (le la foi quede l'Église et de son magistère.

Sur la notion do théologie chez Luther ; A. Humbori,op. c«.; Ch. Gœrung, La théologie d'après Érasme et Luther,Paris, 1913; P. Vignaux, Luther commentateur des Sentences,Paris, 1935; R. Gagnebet, art. cité supra.—Sur la theologiacrucis et la Iheologia gloriœ, c f . les thèses 19 et 22 de laDIsputalio fleidelbergise habita, 1518, et W. von Lœwe-nich, Luther» Thi-oliiyia crucis, 2' éd., 1933, p. 11-20.

3° ConHnua/ion et développement de la scolasiiquemédiévale. — Des théologiens, dont plusieurs comptentparmi les très grands, continuent, non seulement quantaux principes, mais quant aux problèmes et à laméthode, la théologie de la scolastique médiévale. Cesont des commentateurs qui, s'attachant à la doctrined'un maître, la fixent par le fait même dans une tra-dition d'école. Incontestablement, l'autorité de saintThomas, depuis sa canonisation, s'alurine et s'étendd'une manière exceptionnelle; on peut mesurer sesprogrès au cours des xiv» et xv° siècles. Cette faveuraccordée à saint Thomas aura une grande répercussionsur la conception même de la théologie : d'abord parelle-même, par le développement de la tradition issuede saint Thomas; puis, d'une façon indirecte, parl'élimination qui s'opéra, dans la pensée ecclésiastique,d'une autre tradition, de ligne augustinienne, surtoutà la suite de la Réforme et du jansénisme, crises oùcette tradition joua un certain rôle. Cf. É. Baudin,dans Revue ries sciences religieuses, 1923, p. 233 sq-,328 sq-, et surtout 508 sq.

Les commentateurs se sont d'abord attachés auxSentences : ainsi Capréolus. Vers la fin du XVe siècle, laSomme théotogiqae commence à supplanter les Sen-tences, et les grands commentaires deviennent descommentaires de la Somme; cf. ici, art. FRÈREs-Puft-CIIEUBS, t. vi, col. 906 sq.; A. Michelitsch, Kommenla-ioren zur Summa théologies des M, Thomas von Aquin,Graz et Vienne, 1924 (répertoire bibliographique descommentaires et commentateurs); H. Wilms, Cafetanund Kallin, dans Angelicum, 1934, p. 568-592.

Étant donnée cette prééminence de la tradition tho-miste, nous nous en tiendrons à elle pour marquer lesétapes de ce développement de la scolastique médiévalequi va jusqu'au xvur siècle. Ses étapes sont jalonnéespar les grands noms <lc Capréolus (f 1444), Cajétan(t 1534), Rafiez (t 1604), Jean de Saint-Thomas(t 1644), des carmes de Salamanque (entre 1687 et ledébut du XVIIIe siècle), enfin, comme types d'une tra-dition désormais fixée, de Gonet (•(• 1681) et de Billuart(t 1757). Le développement de )a tradition scolastiquethomiste est caractérisé, en ce qui concerne la notionde théologie, par l'application de plus en plus fortede la notion aristotélicienne de science et par là défini-tion de plus en plus déterminée de la conclusion théo-logique. L'ensemble de cette histoire a été esquisséepar le P. L. Charlier, Essai sur le problème the.ologique,Thuillies, 1938, p. 14-31; cf. R.-M. Schultes, /n(ro-ductio in historiam dogmatum, Paris, 1923, p. 106 sq.

Le débat des écoles s'était vite fixé sur la questionde savoir si la théologie était une science. Les disciplesde saint Thomas, qui tenaient pour l'affirmative,avaient été amenés à définir la théologie-science parréférence à ses conclusions, comme science des conclu-sions ou scienlia consequentiarum; cf. supra, col. 398.L'attention se portait dès lors principalement, et par-fois exclusivement, sur les conclusions de la sciencethéologique. La qualité scientifique de la théologie estdéfinie ainsi par Capréolus ; Non est scientia articulo-rum fldei, sed conclusionum quse seyuunlur ex il!is.Q. i, a. 1, 5* concl., p. 4. Après avoir défendu la qualitéscientifique de la théologie, il défend sa qualité spécu-lative, puis son unité comme science, enfin l'assigna-tion de Dieu comme son sujet et son objet formel guod

principal et direct. Cependant, s'il insiste sur les con-clusions comme objet de la théologie-science, il nedéfinit pas celle-ci par le revelafillr. entendu commemcdiatement ou 'virtuellement révélé.

Cette précision n'est pas encore exprimée chezCajétan. Selon lui, la théologie se distingue de la foi,à l'intérieur du même enseignement révélé, en cequ'elle a pour objet les conclusions, tandis que la foia pour objet les articles ou les dogmes, qui sont commedes principes. In /•°1 partent, q, i, a. 2, n. xii. Lesprincipes ou vérités révélées contiennent les conclu-sions virtualiter; ainsi, tandis que les principes fontl'objet d'une adhésion de toi immédiate et simple, lesconclusions déduites d'eux font l'objet d'une adhésionproprement scientifique : d'une science, certes, diainolumine fulgens, a. 3, n. iv, où la lumière révélée desprincipes se communique aux conclusion;) ; mais cettelumière n'est que dérivée, asiirniimus cottclusionifluspropter articulas, et dérivée par un raisonnemiint hu-main. A. 2, n. xn. Cajétan nous semble, dans un voca-bulaire plus évolué, bien rendre la pensée de saintThomas. Il a bien vu le sens de sacra docirina, a. 1,et que, quand saint Thomas se demande si la sacradocirina est une science, il se demande en réalité sil'enseignement révélé, par le côté où il comporte unedéduction de conclusions, vérifie la qualité de science.A. 2, n. i. Comme saint Thomas encore, il n'envisagenulle part expressément que les conclusions de lascience théologique soient des vérités nouvelles, c'est-à-dire non-révélées : il suffit que, dans j'enseigncmentrévélé, elles aient une fonction et une valeur de véritédéduite ex principiis; il semble bien que, pour lui, lathéologie n'ait pas formellement pour objet le « vir-tuellement révélé », mais simplement les vérités qui,dans l'enseignement chrétien, sont fondées en d'autresvérités eon-une dans leur principe. Enfin Cajétan, pasplus que saint Thomas, ne parle expressément de pré-misses de raison concourant, avec une prémisse defoi, pour produire la conclusion théologique; commesaint Thomas d'ailleurs, il n'en exclut pas la possibi-lité, cf. a. 8, n. iv, comparé à n. vl-vin, I.e cardinalTolet (+ 1596), suit en toul ceci Cajétan; cf. Charlier,op. cit., p. 19, n. 10.

Raftez est le disciple de Melchior Cano; s'il défendla méthode scolastique contre les attaques humanis-tes, il écrit un latin soigné et il a développé son com-mentaire de la i" question, a. 8, en un petit De locistheologicis : Scbolastica conwienlaria in />"1 piirlemSumma' S. Thomse Aq., éd. L. Urbano, Bibl. de Tomis-las Espanoles, t. vin, Madrid et Valence, 1934. Cepen-dant il est résolument de ces théologiens scolastiquesqui succincte ci niore diale&lieo sacrum (loctrinam per-traclanl. De locis, p. 82. Rafteit s'applique à définir lelumen sub quo ou ratio formalis sut> qua de la théologie,c'est-à-dire la lumière qui fait d'un objet quelconqueun objet de la théologie; c'est, dit-il, divina revelatio.Il s'en explique, a. 3, a. 7, a. 8 et Com. in Il'm-n", q. i,a. 1, duh. 2, éd. Venise, 1602, col. 15-17 : Est ergo ratioformalis sub qua cognoscimus Deum et eu quse Dei sunt,lumen infusum a Deo, per quod formaliler illuminanlurea quse sunt in nostro intelleciu de esse inleltigiliilithéologies. P. 30. La lumière qui tait d'un objet quel-conque Un objet de théologie, c'est la lumière infusequi, dans le sujet, répond à la révélation surnaturelle.Qu'est-ce qui distingue, dès lors, la théologie et la foi'îD'abord, il est essentiel à 1' » illumination » (nous tra-duisons ainsi le mot revelatio tel que Rafte;! l'emploieici) de la toi d'être obscure, tandis que l'obscurité estaccidentelle à la théologie et que celle-ci demanderaitplutôt de posséder ses principes en pleine clarté. En-suite l'illumination infuse est, dans la foi, le motifimmédiat de l'adhésion qui atteint directement cha-cune des assertions de la foi, lesquelles seront les

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principes de la théologie. Mais la théologie se définitpar ses conclusions ; celles-ci en sont proprementl'objet. Or, de l'adhésion aux conclusion.',, objet de lathéologie, l'illumination infuse n'est le motif que me-diante consequenlia évidente alio lumine. El sic acquiri-tar Iwbitus théologiens et lumen theologicum quod vir-tualiter est ex dicina reoelatione. Quapropfer obfecfumproprie et formalifer theologise est oirlaaliter revelatum.Delocis, p. 33 ; cf. Com. in I I ^ - I I * , loc. cit., 3' concl., col. 16.L'objet formel qw de la théologie n'est donc pas celuide la foi, car c'est la lumière de la révélation vn tantqu'étendue par le raisonnement, et donc par uneintervention de la lumière naturelle de l'esprit, à uneconclusion dégagée des vérités de la foi. P. 33. 34.

L'homogénéité entre la théologie et la fol joue évi-demment à plein quand les conclusions sont tirées dedeux vérités de foi : c'est le cas que Bafiez envisagele plus volontiers. Mais il envisage aussi celui d'uneconclusion procédant ex altéra certa secundum fidemcatholicam, et altéra naturaliler cognita lumine naturalivel immédiate vel médiate, sive in philosophia nalurali,sivemorali,sii>einmetaphysica.A-3,p. 33;cf. a. 2, p. 21.

L'intervention de Jean de Saint-Thomas dans ladétermination définitive de la notion scolastique de lathéologie se fait sentir surtout en deux points : la défi-nition de la révélation virtuelle et la valeur de la con-clusion théologique tirée d'une prémisse de foi et d'unede raison. Le premier point est abordé In /•m partent,q. i, disp. II, a. 1, n. i et ni; a. 4, n. xvt, éd. de So-lesmes, Paris-Tournai, t. i, 1931, p. 347, 348, 361-362,et surtout a. 7, n. vi sq., et x-xn, p. 376-380 ; lesecond point l'est en de multiples passages; U répondévidemment, pour l'auteur, à une découverte person-nelle spécialement chère : ibid., a. 6, ri. i, x-xvn, xxn-xxiv, p. 369-374 ; a 7, n. xvin sq., p. 381 ; a. 9,n. vi, xi-xni, p. 391, 393; cf. aussi Logica, II* pars,q. yxv, a. 1, ad 3, éd. Reiser, p. 777.

La ra<;'o sub qua de la théologie est la révélationvirtuelle, c'est-à-dire la lumière de la révélation déri-vée à une conclusion par un raisonnement proprementdit. La conclusion théologique tient de cette lumièreune certaine qualité scientifique, scibilitas, qui permetde la situer dans le cadre des .science? hiérarchisées selonle degré d'abstraction. Ce uirtualiier revelalum estdéfini exclusivement comme une vérité non formelle-ment révélée, mais déduite de la Révélation par unraisonnement véritable. II y a donc, à l'égard de saintThomas et des commentateurs plus anciens, non certesune infidélité, mais une certaine spécialisation, uneprécision, au sens où ce mot implique une certaineélimination. La théologie est définie non plus simple-ment, comme chez saint Thomas, par le tait d'ordon-ner et de construire l'enseignement chrétien en princi-pes et conclusions, niais par la déduction de conclu-sions nouvelles,

Deuxième point, corrélatif au précédent : tandisque, pour Banez, les conclusions obtenues à partird'une prémisse de foi et d'une prémisse de raisonn'étaient pas éclairées par une lumière aussi purementthéologique que les conclusions rattachées à deux pré-misses de foi, Jean de Saint-Thomas met les deux casrigoureusement sur le même plan et l'on a le senti-ment que, pour lui, le plus purement théologique estpeut-être le premier. Son effort pour maintenir d'unepart l'unité d'un même lumen suti quo dans les deuxcas, et d'autre part la qualité pleinement théologiquede ce lumen, est très beau. Il recourt, pour cela. à l'idéed'instrumentalité et montre que les vérités de raisonemployées dans l'argument théologique n'y sont plusde pures vérités de raison. Car, bien qu'elles ne soientpas intrinsèquement transformées, elles sont, dansl'usage actuel qu'on en fait, assumées, corrigées, mesu-rées, approuvées par le principe de foi avec lequel on

les construit; avec lui, elles font un seul médium dedémonstration qui n'est pas une chose de foi et quin'est plus une chose de pure raison, mais très pro-prement un médium théologique, engendrant unescibilitas théologique. Par là Jean de Saint-Thomas serattache à la ligne suivie par Banez, selon laquelle lathéologie la plus scientifique se construit dans la f o iet, malgré l'intervention désoirnais très accusée desprincipes philosophiques dans sa construction, n'ajouteobjectivement rien au donné de la foi.

La position de Jean de Saint-Thomas est celle quiest passée chez les thomistes postérieurs : Gonet,Clijpeus theologise (homisticse. Disp. procemialls; Bil-luart, Summa S. Thomas..., I« pars, diss/Tt. proœmia-lis, qui définit la théologie : Doctrina rerum dioinarumex principiis fidei immédiate revelalis conclusiones dedu-cens.

Ni Suarez, ni les cannes de Salamanquc n'ont com-menté la Ï" question de la Somme. Leur pensée surla théologie est à chercher partie dans les écrits phi-losophiques auxquels ils se réfèrent, partie dans leurtraité de la fol. A cet endroit sont envisagées en par-ticulier la notion de révélé formel et de révélé virtuelet la question de la délinibilité de l'un et de l'autre.Voici comment le P. Charlier, op. cil., p. 24, en note,résume leur pensée :

Suarc7 distingue nettement Vasscnsus théologiens del'assensus fidei. Celui-ci a pour objet le révélé formel,celui-là, le révélé virtuel. Le révélé virtuel, au sensstrict, s'entend d'une conclusion déduite d'une propo-sition de toi uiriute et adminicuto alicujus principitnaluralis, ut qiiando colligitur una proprietas naluralisex altéra reuelata, De fide, disp. VI, sect. 4, n. x. Larévélation virtuelle se dit respecfu proprietatis qusenulli) modo continetur fwmrtiitcr in re dicta, sed fnntumin radiée, ut esi in exemple de risibilitate et similibus.De f i d r , disp. III, sect. 11, n. v. Dans ce cas, ï'assensttsthéologiens s'appuie sur le raisonnement proprementdit comme sur sa cause propre et formelle. La conclu-sion théologique stricte n'est pas, de soi, objet de foi;car elle s'appuie sur un motif formel distinct du motifformel de la foi. Elle ne devient objet de foi que dansle cas d'une définition de l'Église, qui la propose alors,non comme virtuellement révélée, mais comme révéléeformellement, immédiatement et en soi. Ibid., n. xi.

Les Salmanlicenses diront, à leur tour, qu'une con-clusion déduite d'un principe de foi et d'un principede raison par voie de démonstration n'est pas uneproposition de foi, mais une conclusion théologique. Defide, disp. I. dut). 4, n. 124. Quant à la vérité déduiterigoureusement de deux prémisses formellement révé-lées, il y a lieu de distinguer : cette vérité peut êtreconsidérée : 1. sous sa modalité de vérité déduite et,comme telle, elle est conclusion théologique; 2. ellepeut être envisagée en elle-même, au point de vue spé-cifique, en tant que vérité et, comme telle, elle estproposition de foi. Ibid., n. 127.

Il est inutile de poursuivre plus loin cette enquêtesur les commentateurs de saint Thomas qui, aux xvi6

et xvn" siècles, prolongent la ligne de la scolastiquemédiévale.

Produit des activités d'école, création, le plus sou-vent, de religieux défendant la tradition de leur ordre,représentant enfin la spécialité d'un monde à part,cette scolastique est, beaucoup plus que celle duxm° siècle, polémique. La division et le développe-ment des questions y sont, infiniment plus que chezsaint Thomas ou saint Bonaventurc, commandés parla controverse d'école. Cette scolastique est aussiappliquée exclusivement à développer le côté systéma-tique de la tradition théologique où elle s'insère. Ellese définit elle-même comme « scolastique », par untraitement dialectique et métaphysique des problèmes

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421 T H É O L O G I E . F O R M E S N O U V E L L E S 422tournis par la tradition de l'École, en s'attachant à lestraiter per paries avec les ressources et selon les exi-gences de la dialectique et de la métaphysique.Mgr Grabmann remarque, à propos de Capréolus que,des trois lignes suivies par saint Thomas, la lignespéculative, la ligne historico-positivc et la ligne mys-tique, il n'a prolongé que la première. Johanncs Ca-preolus, dans Jahrbuch f u r Pililos. u. spekul. Théo!.,t. xvi, 1902, p. 281. De fait, cette scolastique n'a guèreprofité des acquisitions nouvriles permises par l'huma-nisme; l'apport (lu donné scripturaire et patristique yest souvent médiocre; même chez un Cajétan, l'effortexégétique est resté, en somme, extrinsèque à l'activitéspéculative. Par contre, dans les belles questionsspéculatives, abondamment développées, l'interpré-tation et la construction philosophiques sont pousséesextrêmement loin. Chez Jean de Saint-Thomas, plu-sieurs grandes questions sont précédées de rrsenota-mina phHosiifihica fort considérables. Do plus, et dansleur exposé mernc de la notion de théologie, commedéjà Gabriel Biel l'avait fait, ces théologiens renvoientvolontiers à des traités de philosophie. C'est que l'ef-fort de la scolastique a abouti à une élaboration trèsforte des notions philosophiques engagées dans lathéologie spéculative; il s'est constitué ainsi une«philosophie chrétienne» scolastique, dont les notionsavaient été, pour ainsi (lire, faites sur mesure pour leurusage théologique. Et maintenant, la théologie n'avaitguère qu'à rt'courir, pour chacun de ses problèmes pro-pres, à cet arsenal qu'elle avait formé. C'est l'existenced'une « philosophie chrétienne » scolastique qui ex-plique et justifie l'allure extrêmement philosophiquede bien des traités de la scolastique dus xvr» etxvn" siè-cles.

Mais il n'empêche que ce sera toujours une tenta-tion, pour cette scolastique, de ne concevoir le travailde la théologie spéculative que comme une applica-tion à un donné spécial, tenu par ailleurs, de catégo-ries philosophiques. Quand Jean de Saint-Thomas,qui était certes un contemplatif de haut vol, exprimela fonction de la théologie-science en ces termes :lies supernulurales ad modum mctaphysicse scienligstractais', et discursu naturali collatas... Op. cit., disp. II,a. 8, n. 6, p. 38R, il dénonce, au sein d'une fonctionmagnifique et à coup sûr légitime, une menace dedéviation. Le danger existe de ne voir le rôle de la foidans la théologie que comme un rôle.préalable, néces-saiie pour fournir le point de départ, mais en sommeliminaire et extrinsèque, le travail théologique se fai-sant ensuite par la simple application de la métaphy-sique à ce donné tenu pour vrai. Comment, dès lors,tout en construisant une Intel prêtât ion rationnelle,garder au donné chrétien sa spécificité, son caractèrede tout et de réalité originale?

4° Formes nouvelles dans la théologie catholique. —1. E f f o r t d'intégration des exigences modernes. MelchiorCano. — Le mouvement humaniste, d'une part, lesnécessités de la controverse protestante, d'autre part,vont susciter dans l'Église un ensemble de questionset un effort aboutissant à créer une théologie fonda-mentale où les sources, les conditions, la certitude etla méthode de la pensée religieuse seraient étudiéescritiquement. A. Lang, Die Loci theologici.,., p. 41 sq.;P. Polman, L'élément biatorique..., p. 284. Cet effortfut le fait de l'école de Salamanque et singulièrementde Melchior Cano. Le renouvellement de la scolastiquequi s'est opéré à Salamanque au xvr° siècle est dû àFrançois de Viloria, lequel avait, à Paris, reçu l'in-fluence de Pierre Crockaerl el, par lui, celle du milieuhumaniste de Louvain. Comme les deux Soto, Canofut son élève puis. devenu maître à son tour, il fui leprofesseur de Médina et de Baflez. De Salamanquepartent aussi des maîtres qui porleront dans toute la

chrétienté la tradition d'une scolastique renouvelée :Tolet à Rome, Grégoire de Valence à Ingolstadt, Ro-drigue d'Arriaga à Prague.

L'œuvre de Cano, le -De locis theologicis, éditionposthume en 1563, a été analysée à l'art. LIEUXTHÉOLOGIQUES, t. ix, col. 712 sq. Cano est un théolo-gien de formation scolastique, mais qui veut tenircompte de l'humanisme et de ses conquêtes : l'his-toire, l'édition et l'appréciation des textes, etc. Cano,a, par bien des côtés, une sensibilité et une mentalitéhumanistes : psychologiquement, il est un moderne,et il veut fonder une théologie tempori aplior, L. XII,c. xi. C'est cette mentalité humaniste qui le porte àmettre au premier plan, dans la théologie elle-même,l'appréciation critique de la valeur d'une positiondéterminée et à déterminer celle-ci en faisant appelau donné positif. Ce n'est pas que Cano nie la vali-dité du raisonnement; il apprécie sévèrement touteattitude fidéiste, 1. II, c. xvm; i] critique ceux quivoudraient en rester à la lettre de l'Écriture, commeÉrasme, et il justifie l'usage de la raison en théo-logie. L. VIII, (.. n; 1. -IX, c. iv. Classiquement, ilassigne à la théologie scolastique trois buts : déductionde conclusions, défense de la foi, illustration et confir-mation du dogme à l'aide des sciences humaines.L. V1I1, c. n. Mais, comme tout élève de Vitoria, ilsait les abus qui ont discrédité la théologie ration-nelle, et il les dénonce. L. VIII, e. i. Il préconise uneréforme profonde : la ratio qui déduit les conclusionsest bonne, mais on ne peut rien savoir de plus dans lesconclusions que ce que donnent les principes, ni rienqui dépasse en certitude et en valeur la certitude etla valeur des principes; bref, la théologie rationnellene tire sa valeur que du donné positif, c'est-à-direde Vauctoritas. L. XII, -c. n. Le théologien ne sera doncun véritable savant, digne de ce nom, que s'il appréciecritiquement les données desquelles il part : cf. textesdans A. Lang, Die loci, p. 187. Cano réagit contre unethéologie qui ne serait que raisonnement, et il affirmetrès fortement que la théologie, comme toute autrescience, vit d'un donné, d'un point de départ positif,qui est tel ou tel, et qu'aucun raisonnement ne peutcréer. Cf. De locis, 1. II, c. iv, 2e partie du chapitre;!, XII,c. ni. Tout son effort porte donc sur une étude systé-matique et critique des différentes sources où le théo-logien doit prendre sa matière de travail et qu'il ap-pelle des « lieux ». C'est à déterminer la valeur propre,les critères, les conditions d'appréciation et d'utilisa-tion de ces lieux qu'il s'attache d'une manière presqueexclusive. On le voit bien quand, à la fin du 1. XII, ildonne lui-même trois exemples de sa méthode. Cesexemples vérifient tout à fait ce que dit, après leP. Mandonnet, art. CANO, ici, t. ti, col. 1539, le P. Jac-quin, Melchior Cano et la théologie moderne, dans Revuedes sciences philos, et théot., 1920, p. 121-141.

On peut se demander si la théologie spéculative, latheologia scholas, reste bien chez Cano ce qu'elle étaitchez saint Thomas. Cano abandonne le procédé de laqucestio et la manière dont il parle de la gusestio théolo-gies, 1. XII, c. v, laisse entendre qu'elle est, pour lui,non plus un instrument de science, mais un procédé depédagogie et de discussion. De même la manière dontil parle soit de ]a conclusion théologique, soit de lafonction d'explication et d'illustration, 1. VIII, c. n,semble ne se référer qu'à l'explication de ce qui setrouve tel quel dans les lieux principaux. Écriture etTradition, travail où l'argumentation ne serait guèrequ'un procédé d'explication parmi les autres et nonpas cette assomption des ressources authentiques dela raison dans la construction (le l'objet chrétienqu'elle était pour saint Tliomas. Cependant il seraitinjuste de rendre Cano responsable des excès ou desdéviations que son initiative aurait pu permettre. Une

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lignée de disciples authentiques procède aussi de lui;il a créé le traité scientifique et critique de la métho-dologie théologique, et tous les De locis sont tribu-taires du sien : cf. A. Lang, Die /oc;..., p. 228, n. 1, etp. 243; M.-J. Scheeben, La dogmatique, trad. fr., t. i,p. 11.

2. Désagrégation de l'ancienne unité de la théologie,Les spécialisations nouvelles. — Chez beaucoup, l'ef-fort de réponse aux requêtes nouvelles se fait nondans le sens du maintien de l'unité, mais dans celuid'une spécialisation et d'un morcellement. Le tait estgénéral et caractéristique de l'époque moderne à lafin du XVe siècle : la désagrégation de la synthèsemédiévale. Mais tout n'est pas » désagrégation » dansle processus que nous allons analyser et le fait de spé-cialisation qui s'y manifeste est, pour une grande part,la conséquence normale et bienfaisante des nouvellesacquisitions qui constituent le progrès.

Très tôt, le travail théologique perd son unité et semorcelle en spécialités. Cf. A. Humbert, op. cit., p. 3.Certes, la tradition de l'École continue : on rédige desCursus; non seulement on commente la Somme desaint Thomas, mais, jusqu'en plein xvn" siècle, oncommente encore les Sentences : ainsi Estius (•)• 1613).Mais, la plupart du temps, les traités qu'on publie por-tent diverses épithètes, qui accusent la spécialisationdes objets ou des méthodes : theologia biblica, catholica,chrisfiana, dogmatica, fundamentalis, moralis, mystica,naturalis, polemica, positiva, practica, scholastica,spéculation...., etc. Cf. une liste plus complète dans0. Ritschi, Literarhi'itorische Beobachtungen liber dieNomenkiatur der theologischen Disfiplinen im 17. Jahr-hundert, dans Studien t. systematischen Théologie,Festgabe Th. von Hsering, Tubingue, 1918, p. 76-85.Pour ne prendre que cet exemple, le jésuite T. Lohnerpubliera, en 1679, des Institutiones guintuplicis theo-logise, et ces cinq théologies seront : positiva, ascetica,polemica, speculaiiva, moralis. Nous nous en tiendronsici aux trois divisions de la théologie caractéristiquesde la théologie moderne, en scolastique et mystique,dogmatique et morale, enfin et surtout scolastique etpositive.

a) Théologie scolastique et théologie mystique. —Chez un saint Thomas, un saint Bonaventure, la mys-tique est intégrée à la théologie; dans un état de lathéologie où celle-ci remplit toutes les obligations desa fonction de sagesse, une théologie mystique ou spi-rituelle n'avait pas à se constituer à part. C'est cepen-dant ce qui arriva à partir surtout du xv* siècle.Cf. A. Stolz, Anseim von Canlerbury, 1938, p. 37-38.Vers la fin du xvi" siècle apparaîtront les Exercicesde saint Ignace, puis un peu plus tard les écrits duCarmel réformé, puis ceux de saint François de Sales,types d'ouvrages spirituels qui sont des chefs-d'œuvre,mais qui n'émanent pas de la théologie spéculativeclassique comme de leur source immédiatement inspi-ratrice et dont la valeur, semble-t-il, déborde de beau-coup la valeur de leurs auteurs comme théologiensproprement dits. Cf. J. Wehrié, Le doctorat de saintJean de la Croix, dans Revue apologétique, t. XLVII,1928, p. 5-22. Significatif est le fait que, dans leursTabulée fontium traditionis chrisfianse, les PP. Creusenet Van Eyen aient éprouvé le besoin, à partir duXVe siècle, d'ouvrir une nouvelle colonne pour y classerles écrits sous la rubrique de Theologia ascetica etmystica. Une spécialité nouvelle se crée dans la théo-logie et, serait-on tenté de dire, se sépare de la théo-logie : à la théologie scolastigue va s'opposer une théo-logie mystique ou affective qui aura ses docteurs, sesouvrages, ses sources et son style.

Le vocable de « théologie mystique », patronné parDenys, est courant depuis longtemps; dans sonopposition à « scolastique », il se réclame surtout de

Gerson, comme on le voit, par exemple, dans le Lexi-con Iheologicum de Jean Altenstaig, Anvers, 1576, s. v.Les expressions théologie ascétique ou théologie spiri-tuelle sont plus tardives. Cf. J. de Guibert, La plusancienne « Théologie ascétique », dans Rwue d'ascét.et de myst., t. xvm, 1937, p. 404-40S.

Chez les dominicains, un effort fut tenté pour satis-faire aux requêtes du mouvement spirituel tout enconservant à la théologie son unité. L'intention deparer à une disjonction entre une spéculation scolas-tique subtile et desséchée, d'une part, une spiritua-lité pure, d'autre part, est très nette chez Contensonqui veut, dans sa Theologia mentis et cordis, rendre à lathéologie dont on se détourne parce qu'elle ne nourritpas l'âme, sa valeur spirituelle : cf. op. cit., 1. I, diss. I,c. l, specul. 1, appendix n. Massoulié, qui achèveral'œuvre interrompue de Contenson, sera plus forte-ment encore soucieux de réintégrer dans la théologiela matière de la vie spirituelle. Quelques années avantContenson, L. Bail avait publié la Théologie affectiveeu saint Thomas en méditations, Paris, 1654, et quel-ques années auparavant encore, Louis Chardon'ïivaitdonné sa Croix de Jésus, 1647; cf. l'Introductionécrite par le P. Fr. Florand pour la réédition de LaCroix de Jésus, Paris, 1937, p. LXXII sq., et, du même,l'Introduction aux Méditations de Massoulié, Paris,1934, p. 94.

Théologie « affective » s'entend ici non plus d'unethéologie expérimentale des choses de Dieu, maisd'une théologie dogmatique traitée dans un esprit depiété et d'édification. En réalité, nous tenons, avec lechef-d'œuvre de Chardon, un type intermédiaire dethéologie. Certes, il s'agit pour lui de puiser dansl'étude contemplative des mystères l'explication etla régulation des choses de la vie spirituelle. Mais lechoix des mystères contemplés, le choix des « thèmes »de la contemplation et l'orientation de l'étude viennentchez Chardon, non du donné théologique tel quel, prisdans son objectivité, en soi et selon sa pure véritéd'objet; ils viennent de l'expérience spirituelle ou dela connaissance des âmes acquises par le directeurspirituel. C'est une théologie dont le « lieu théologi-que » finalement décisif est l'expérience des « âmessaintes », et non la pure vérité révélée, objectivementcontenue dans les lieux théologiqucs classiques.Cf. J.-M. Congar, La Croix de Jésus du P. Chardon,dans la Vie spir., avril 1937, suppl., p. 42-57.

Signalons ici d'un mot la position méthodologiquede Contenson dans sa Theologia mentis et cordis. Ildépend de la tradition de Salamanque et cite Soto,Médina, Cano. Conformément à cette tradition, ilsouligne fortement la liaison de la théologie à sessources et son homogénéité à la foi ; il mêle au raison-nement des citations de l'Écriture et des Pères. Maisson intention propre est de réintégrer à la scolastique,dans une unique théologie, les éléments spirituels etles valeurs mystiques. Il définit l'objet formel quo de lathéologie par la revelatio virtualis. L. I, diss. I, c. i,specul. 3. Il souligne si fortement l'homogénéité dela théologie à la foi que le raisonnement lui sembleêtre une pure condition d'application des prémisses detoi, en sorte que l'assentiment final ne relève, commede sa cause véritable, que des vérités de toi, ibid;c. n, specul. 3 ; position qui sera reprise par Schsezicr,et, à sa suite, par le P. A. Gardeil. Enfin, Contenson,isolé en ceci, veut que la théologie soit un habitusentitatioe supernatiiralis, acquis cependant, ibid.,opinion à laquelle il est entraîné par cette vue trèsaiguë qu'il a de la continuité objective entre la théo-logie et la foi.

t>) Dogmatique et morale. — On signale souvent larupture qui s'est introduite, dans la théologie post-tridentine, entre le dogme et la morale. Il n'est pas

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425 T H É O L O G I E . LES S P É C I A L I S A T I O N S 426aisé de préciser quand el comment est intervenue cettecoupure. Le Moyen Age avait connu cette distinction.C'est ainsi que, dans sa fameuse Summa Abel, Pierre leChantre dit : Theologin duplex est : superior sive ceeles-tis, quw divinorum noiiliam spondet..,, inferior sivesubcselestis, quse morum informalionem docet. Grab-mann, Gesch. ri. sf.holast. Méthode, t. n, p. 483, n. 3. Onretrouve une distinction semblable chez Guillaumed'Auxerre, ibid., p. 484; Robert de Courçon, p. 494;Jean de La Rochelle, p. 495 et 504; Pierre de Poitiers,p. 503, n. 2 et 504, et auparavant chez Yves de Char-tres, op. cit., t. i, p. 242. Cependant, cette division, auMoyen Age, était d'ordre purement pragmatique; elles'entendait à l'intérieur d'une même discipline et il nevenait pas à l'esprit d'en faire une séparation. Dansle dernier quart du xvi8 siècle, au contraire, la moraledevient, chez un grand nombre d'auteurs, un domaineà part, soustrait à l'influence directe et constante dudogme.

Quelles causes assigner à ce laifî Faute des étudesde détail indispensables, il est malaisé de le dire. LeP. A. Palmieri suggère en ceci une influence protes-tante, mais il ne donne, en ce sens, aucun fait, aucunejustification. Acta Academw Velehradensis, t. vin,1912, p. 157. La chose n'est pas impossible; de tait,l'ouvrage du calviniste Lambert Daneau, Ethicss chris-tianss libri très..., 1577, est sans doute un des premierstraités de théologie morale séparée. Fr. Tillmann, Kath.Sitlenlehre, t. ni, p. 33, souligne l'influenco des pres-criptions du concile de Trente relatives à la confessiondétaillée des péchés sur l'afflux des ouvrages de ca-suistique que l'on remarque alors. On peut remarquerenfin que les auteurs d'ouvrages de théologie moraleséparée sont presque tous des jésuites, et des jésuitesespagnols : Jean Azor, S. J., Instifutiones morales,1600, très nombreuses éditions; H. Henriquez, S. J.,Theùlogise rnoralis stimma, 1591; Th. Sanchez, S. J.,Opus morale in prcecepta Decalogi, 1613; L. Mendoza,0. C., Slimma tolius theulogis moralis, Madrid, 1598,etc., pour ne citer que les principaux parmi les pre-miers^ spécimens d'une littérature qui fut très abon-dante. Ces ouvrages comportent généralement untraité de la fin dernière et de la moralité des acteshumains, un traité des sacrements, un traité de la loinaturelle et positive (Décalogue, lois de l'Église), untraité des sanctions de droit ecclésiastique, enfin untraité des sanctions ou fins dernières.

Ces auteurs n'ont ni l'intention ni la conscienced'innover. Cependant, la différence est grande entrecette théologie morale séparée et l'ancienne partiemorale de la théologie. Auparavant, il y avait, d'unepart une étude scientifique de l'action humaine, abou-tissant à une science théologique de cette action capa-ble de la diriger, et, d'autre part, des manuels pratiquesfort résumés à l'usage des confesseurs. La nouvellethéologie morale reprend la ligne de ces manuels, maiselle veut y introduire la matière des traités théologi-ques; elle veut aussi mettre à la disposition des confes-seurs non plus seulement un aide-mémoire complé-tant les traités scientifiques de la théologie morale,mais un manuel complet, se suffisant à lui-même, où lamatière de ces traités scientifiques soit intégrée autitre de principes immédiatement applicables auxdécisions pratiques; le nouveau genre prend la succes-sion des manuels de casibus et il y absorbe, avec lamatière dont elle traitait, la partie morale de la sciencettléologique. Cf. l'art. PHOBABILISMB, col. 488 sq.;Fr. Werner, Gesch. der kathol. Théologie seit dem Trien-1er Concil,, 1859, p. 50 sq. Les anciennes Sommes oumanuels pour les confesseurs étaient des répertoiresassez brefs et essentiellement pratiques, le plus sou-vent disposés par ordre alphabétique. On aura désor-mais un ensemble systématique qui se suffira à lui-

même; la morale devient une spécialité parmi les dis-ciplines qu'on enseigne et sur lesquelles on écrit. Ils'agit d'une discipline particulière qui aura sa méthodeet ses données propres. On aura un traité de la findernière séparé du traité de Dieu, un traité des sacre-ments séparé du traité du Christ... Aussi les nouvellesproductions de théologie morale seront-elles, de soi,exposées au danger de subir, à la place de celle dudogme, l'influence de la philosophie. Déjà Vasquez nevoit, dans toute l'analyse de la moralité el des espècesde vertus et de péchés, que pure philosophie et, pource motif, considère la partie morale de la théologiecomme subalternée à la philosophie morale ou mieuxcomme appartenant à la philosophie. In Impart, Sum.theol., I" pars, disp. VII, c. v; cf. disp. XII, c. ni. Onpeut suivre, dans J, Diebolt, La théologie inorale catho-lique en Allemagne au temps du philosophisme el de laRestauration, 1750-1S50, Strasbourg, 1926, ce proces-sus auquel l'étude du Droit naturel, à la suite deGrotius, a donné une forte impulsion, et qui tendraità laïciser, si l'on ose dire, la théologie morale.

c ) Scolastique et positive. -— Grégoire de Valence,dans ses Coirunenfarii iheologici parus en 1591, parle dela division de la théologie en scolastique et positivecomme d'une division courante. Disp. I, q. i, punct. 1.Vers le même moment, Louis Carbonia dit aussi ;Theologia christiana diuidi solet in scholasticam «t posi-tivam. Iniroducfio in sacram theologiam, Venise, 1589,1. I, c. vin. Un peu auparavant, le maître général desfrères-prêcheurs, Sixte Fabri, dans une ordonnance du30 octobre 1583, prescrit qu'au couvent de Pérousc,prseter lectionem iheotogise scolasiicse habwluT guoguelectio theologw positios..., cité par Ed. Hugon, De ladivision de la théologie en spéculative, positive, histori-que, dans Revue thomiste, 1910, p. 652-656 (p. 653).L'expression doit être courante, puisqu'elle est em-ployée sans explication dans un document officiel.Cependant, elle est sans doute alors assez récente, carJean Altenstaig, dans son Lexicon Iheologicum, Anvers,1576, ne la mentionne pas ; Cano pas davantage,bien qu'il connaisse formellement la réalité qu'ellerecouvre el qu'il parle deux fois de ponere principia, Delocis, 1. II, c. iv; duas esse citjusque disciplinée partes...unam in qua principia ipsa tanquam fundamenta poni-mus, statuimus, flrmamus, alteram in qua principiispositis, ad ea quse sunt inde conseguentia proflciscimur;cf. 1. XII, c. ni, med. : Nulla enim omnino disci-plina sua principia ratiocinatione probat, sed ponit :idcirco enim positiones seu petitiones nuncupantur.

On trouve la division en théologie positive et sco-lasiiquc dans les règles d'orthodoxie ajoutées par saintIgnace de Loyola (f 1556), à la fin des Exercices,reg. xi : « Louer la théologie positive et scolastique,car, comme c'est particulièrement le propre des doc-teurs positifs, tels que. saint Jérôme, saint Augustin,saint Grégoire et les autres, d'exciter les affections etde porter les hommes à aimer et à servir de tout leurpouvoir Dieu, notre Seigneur, ainsi le but principaldes scolastiques tels que saint Thomas, saint Bona-venture, le Maître des Sentences et ceux qui les ontsuivis, est de définir et d'expliquer, selon le besoin destemps modernes, les choses nécessaires au salut éter-nel, d'attaquer et de manifester clairement toutes leserreurs et les taux raisonnements des ennemis del'Église. » On le voit, dans ce texte de saint Ignace, lathéologie positive et la théologie scolastique répon-dent moins à deux fonctions qu'à deux finalités, ouplutôt à deux genres et comme à deux tonnes de lathéologie.

On peut remonter au delà de saint Ignace et, jus-qu'à nouvel ordre, nous considérerons comme le pre-mier usage du terme celui que fait. Jean Mair dans soncommentaire sur les Sentences publié à Paris en 1509

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et réédité en 1512, 1516, 1521. Jean Mair désapprouveceux qui prolixe in theologia qusestiones inutiles exartibus inseruntad longum, cipiniones friuolas uerborumprodigalitale impugnant... Quocirca, statut pro viribusmaterias théologiens ferme totaliter in. hoc quarto nuncpositive, nunc scholastice prosequi. In 7V"" Sent., 1509,fol. 1-2, cité dans R.-G. Valloslada, Un leologo ovii-dado : Juan Mair, dans Estudios eclesia$ticos, t. xv,1936, p. 97 et 109. Ce texte est remarquable, et il nousmet sur la voie d'un sens du mol « positif « qui pour-rait bien être le sens originel. Le mot désigne, chezJean Mair, à la fois une matière et une méthode. IIindique un exposé bref, un exposé religieux, dépouillétant des questions inutiles que des questions princi-palement philosophiques réservées au point de vue« scolastique », un exposé apportant, non des chosesproblématiques ou controversées, mais des donnéestermes; il s'agit enfin d'un exposé portant sur unematière chrétienne, sur des vérités de fait, non déduc-tibles par des raisons.

A partir de là, il semble bien que le même mot aitrecouvert deux notions qui, pour se relier à une originecommune, n'en sont pas moins notablement diffé-rentes. Il y a une conception littéraire, selon laquellela théologie positive représente une certaine manièrede faire œuvre de théologie, et une conception métho-dologique, selon laquelle la positive est une certainefonction de la théologie. La première conception, quipeut se rattacher au texte de saint Ignace et même àcelui de Jean Mair, sera longtemps la plus répandue :il semble bien que ce soit celle que le mot « positif »portait alors le plus spontanément avec soi; la secondeconception représente un développement interne dela notion de théologie qui s'est amorcée chez Cano etqui aurait pu se dérouler ensuite, sans se couvrir dunom de « positive », mais qui s'est finalement pré-sentée sous cette enseigne.

Dans la ligne de Cano, la théologie positive désigneracette partie ou cette fonction par laquelle la théoloftieétablit ses principes et s'occupe de ses fondements, deson donné. Partie ou fonction qui concerne donc prin-cipalement l'Écriture et les Pères et qui vise, non àélaborer le contenu de leurs assertions, mais à le saisirtel quel en sa teneur positive; par conséquent, partieou fonction qui suit non une méthode d'argumentationdialectique mais une méthode d'exposition plutôtexégétique et simplement explicative. Par ce biais, lathéologie positive ainsi entendue rejoint la théologiepositive entendue au sens littéraire que nous allonsvoir : car elle se distingue de la théologie scolastiquepar la « manière » et finalement, par le style lui-même.Aussi, comme nous le verrons, un assez grand nombred'auteurs mêleront ou juxtaposeront les deux notions.

Les auteurs et les textes suivants se rattachent àcette manière d'entendre la distinction entre scolas-ttque et positive :

Secunda (divisio) oritur es. difterentia quadam methodiqua utitiir in ea (Idci explicatione... in positivant et scholas-ticam. Quilms appellationibus unus eH;im et idem hahitussignificatiir, prout diverse modo vcrsatur In silo munereexplicandi et coiiûi-mandi ndem. Positiva enim theologiadicitur, qualenm occupatur potissimuni in cxplicando )psoScriptural sacra; sensu, ad eumque eUciendum, tum nliisadminluulls, tum pra>cipue auctoritato sanctorum l'airumutitur. Qno ipso quasi principia Brmu aliarum conclusionumtheologicamm ponit; et ideo positiva videtur dicta, quiasclllcet ponit atque statuit ex Scriptura principia theologiaefirma. Scholastica voro thoologfa vocatur prout explicat etconfirmât ac défendit uberius et accuratius fidei senton-tiam, subtiliter ils etiam reluis animadversis, (liise vel exflde consoquontas sunt vcl lldet répugnant,,. Grégoire deValence, Comiaentarii theol., disp. I, q. l, punct. 1, comp.punct. 5.

Theologia positiva est Scripturae sacrae cognitlu rerumquedivuuirum expllcatio, sine argumeutatione opernsa. Po-

nendo sensum Scriptural et thèses conclusionesque theologl-cas sino araiimetitis convincentibus. Tlicologi;» scolastica estscieutia ex principlis fidei educens démonstrative conclu-sionos de Deo rebusque divinis... J. Polman, Ureuiailumtheologicum, Lyon, 1696, p. 4.

Positiva illa dicitnr quas concluaiones suas probat tumex Sacrse Scripturœ auctoritate, lum traditionibus, tumdefiiiilionibus conciliorum, tum deniquc sancla; Ecclosiaeet ponlincum delerniiiiationibiis, lileologorumvc un;inlmisententia... J.-V. 2ambaldi,/^isser(utîones llleoluyiea' scliolas-tica-doymaticce, Padoue, 172S, q. l.

La conception de la théologie positive prise dupoint de vue littéraire est déjà celle qui est sous-ja-cente au texte de saint Ipiace cité col. 426. Elle fut,et de beaucoup, la plus commune au xvn" et au débutdu xviii" siècle. Petau lui-même, bien qu'il soit effec-tivement le père de la théoloffie positive au sensmoderne du mot, lequel reprend la ligne de Cano, nodéfinit pas la théologie positive autrement.

On trouve cette notion dans les textes suivants :...Non illam (theologiam) contentiosam ac sublilem,quas aiiqiiot abhinc orta sceculis lam sola pêne srtwiasoccupavil, a quibas et srhotasIiciE proprium sibi nomenascivit; verum elegantiorem et ubvriorem alferam..,Dogm. theol., proleg., c. i, n. 1 ; et. c. ni, n. 1 et surtoutc. ix, n. 9, où son nom est donné à cette autre théolo-gie : Allerum genu.i est theologUe quod positivum vulgonuncupani, quod majori parti blanditiu' hominum eurumgui politis deleciantur arlibus et ahhorrere ub cimni bar-barie prse se ferunt. Voir aussi Billuart, Cursus théolo-gies, diss. proœm., a. 1 : Ex parle modi dividiliir inpositivam et scholasticam. Positiva tst quse cersalurcirca S. Scripturas, (raditiones, concilia, canones,SS. Ponlificum décréta, SS. Patrum opéra, antiquilalisfacta historica et praxim, ea expendendo, penetrando,vera a fa l s i s di.wrnendo, sensum Ugillmum explicando,mysteria fidei et vcrilates reuelatas ex eis eruendo, etex veritatibus revelati$ alias dediicendo; ei hsec omniaslylo fusion, eleganiiori et quasi oratorio, aique regulisdialecticis minus accomodalo... On pourrait enfin citerE. du Pin et ceux qui dépendent de lui : du Pin, Méthodepour étudier la théologie, Paris, 1716, c. n (éd. de 1768,p. 30 sq.); de La Chambre (t 1753), Introduction à lathéologie, diss. I, art. 6, dans Migne, Théo!, cursus com-plelus, t. xxvi, col. 1070. Si étrange que cela puisseparaître, ces différents auteurs définissent la théologiepositive comme la forme plus élégante et moins rigou-reuse de la théologie tout court, dont la scolastiquc estla forme exacte et plus sévère. Comme Billuart l'indi-que nettement, la théologie positive est représentée,en somme, par les auteurs ecclésiastiques antérieurs àsaint Jean Damascène pour l'Orient, à Pierre Lombardpour l'Occident. Mais, chez nombre de scolastiques,l'apport historique et textuel demeurera extrinsèqueau développement de la pensée; ils s'y résoudrontcomme à une exigence du temps, mais sans croire à safécondité et à sa valeur, Billuart lui-même ajouterabien à son commentaire des développements histori-ques, mais ce sont, selon sa propre terminologie, desdigressiones, et il ne les ajoute, dans une Somme qu'ilproclame hodicrnis moribiis accomodala, que parce queusus prssualuit; cf. la Prafaiio auctoris ù sa Summa.

Beaucoup, d'aiiieurs, accolent la notion épistcmolo-gique héritée de Cano et la notion littéraire ou huma-niste. Il y a quelque chose de cela chez Billuart lui-même, et plus encore chez Philippe de la Trinité.C'est au maximum le cas de Tournély (f 1729), Prse-lecllones theologicse de Deo et dirinis allribulis..., disp.prssvia, q. l, a. 2, Venise, 1731, p. 4, et de Berti, Deiheologicis disciplinis, t. i, Venise, 1776, p. 2.

Il n'empêche que c'est bien à l'époque où nous som-mes que, avec ou sans l'étiquette, se forma ce que nousappelons la théologie positive. A quels problèmes, àquels besoins répondait cette activité relativement

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429 T H É O L O G I E . LES S P É C I A L I S A T I O N S 430nouvelle? A deux besoins : celui de l'humanisme etcelui des hérésies.

Nous avons évoqué plus haut les nouvelles exigen-ces eu tait de textes et d'hisloire. Certes, leur causesera diflicile à gagner. Si Cano déclarait en 1560 quetous les gens instruits considéraient comme ofnninorude'; les théologiens dans les œuvres de qui l'histoireétait muette. De lucis, 1. XI, c. il, l'histoire n'en de-meura pas moins étrangère aux programmes de for-mation intellectuelle du xvi'siècle; cf. P. Polman, L'été-ment historique, p. 500. Le XVIIe siècle fut plus heureux:non seulement il vit paraître des œuvres très remar-quables de théologie positive, celles, en particulier, dePetau (f 1647) et de Thomassin (t 1695), mais il vitl'histoire s'introduire, en plus d'un endroit, dans le ré-gime pédagogique des clercs. Bien îles traités de métho-dologie théologique feront alors une place considérableaux éludes historiques et scripturaires : Noël Alexan-dre, Préface à son Histoire ecclésiastique, 1676 (et. enparticulier, t. I, p. Liv); Bonaventure d'Argonne,Traité de la lecture des Pcres de l'Église, 1688; Ma-billon. Traité des études monastiques, 1691; Ellies duPin, Mélhnde pour étudier la théologie, 1716, etc.

La théologie positive n'est pas née seulement del'humanisme, mais de la nécessité de répondre auxhérésies. Cela entraînait l'obligation de prouver la con-formité du dogme ecclésiastique à ses sources pre-mières. Aussi les toutes premières recherches de théo-logie positive, dans l'Église, ont-elles été des recueilsde textes et de témoignages que l'on a opposés auxnovateurs. Les hérésies modernes devaient d'autantplus susciter une activité de ce genre qu'elles se pré-sentaient comme une réforme radicale de l'Église etmettaient en question sa fidélité à ses origines. Ainsid'abord dans la polémique avec Wiclet, comme on levoit, par exemple, dans le Doctrinale antiquitatum (ideiEccirsise calholicse de Thomas Netter, dit Waldensis(f 1431), et dans celle avec Jean Hus. Ainsi surtoutdans l'enort énorme que firent les catholiques pourrépondre au protestantisme. Les activités du catholi-cisme moderne ont été conditionnées en grande partiepar la mise en question de la Réforme. Jusqu'alors lathéologie avait été en possession paisible de ses sour-ces; elle en recevait l'apport dans l'Église. C'est enpleine tranquillité que les théologiens scolastiques nonseulement puisaient leur donné dans la vie actuelle del'Église, sans s'inquiéter de critique historique, maisqu'ils référaient à l'Église vivante ce qu'ils pouvaientremarquer de nouveau à un moment donné de son dé-veloppement : c'est très net, par exemple, dans laquestion, qui deviendra cruciale pour la nouvelle théo-logie positive, de l'instituUon des sacrements.

Maintenant, l'autorité de l'Église, réduite par lesRéformateurs à un niveau tout humain, ne suffiraitplus pour justifier la moindre tradition et l'on étaitobligé, pour suivre les novateurs sur leur terrain, dese référer à l'Église ancienne, voire parfois au texte dela seule Écriture. P'où la création par les théologienscatholiques de la théologie positive, d'une part, dutraité de la Tradition, d'autre part ; double créai ionpar laquelle la manière de se référer aux sources serachangée pour la théologie, pour celle du moins qui pecroira pas pouvoir continuer purement et simplementla scolastique médiévale.

Les nécessités que nous venons d'évoquer ont en-gendré, au xvn* siècle, les innombrables traités quisont orientés vers la démonstration de la « Perpétuitéde la foi x. Avant le livre fameux de Nicole, Perpétuitéde la loi dp l'Ëglisr. touchant l'eucharistie, 3 vol., 16C9-167-1, lui-même modèle de beaucoup d'autres, nousaurons nombre de démonstrations de même espritet de même type, au cours du xvi* siècle.

C'est ainsi que l'ellort de la théologie positive a été

d'abord orienté vers la preuve de la conformité del'enseignement actuel de l'Église a\ec If",.. témoignagesbihilquas ou patriotiques de la foi de l'Église aposto-lique ou ancienne. C'est ce que certains auteurs appel-lent i positive des sources », ainsi R. Craguet, art. cité,p. 15-16; I.. Charlicr, Essai sur le problème théolo-gique, p. 35-50.

A. Rébelliau, Bossuel historien du protestantisme, 3' éd.,Paris, 1909; J. ïurmel. Histoire de la théologie positive duconcile de Trente au concile du Vatican, Paria, 1906 ; Pli. Tor^roilles. Le mouvement théoliigique en France depuis ses origi-nes jusqu'à nos jours, Paris, s. d., c. vi, ix, xi et xix (çasont les meilleurs); p. Polman, L'élément historique dans lacontroverse retigieuse du S.Vf siècle, Gembloux, 1932;Mgr Grahmann, Geschichte der katholischen Théologie seitdtm Ausgimy der Vateneit, Fribourg-en-B-, 1933, p. 185 sii.;A. Stolî!, Positive und spekulative Théologie, dansDivus Tho-ma.'!(Fiibourg), 1931, p. 327-343 sft. Draguet, .Méthodes Ihio-tuoiques d'hier et d'aujourd'hui, dans Revue calhol. des idéeset des faits, 10 janv., 7 et 14 lévr. 1936; L. Charlier, Essai surle problème thfologique, Thuillios, 1938.

d ) L'apologétique. — Nous sommes maintenant àl'époque des dissociations. Le monde naturel tend &reprendre son indépendance et a se oncevoir commeétranger à la toi, se. posant en face d'elle comme unvis-à-vis, et comme se suffisant à lui-même : en poli-tique, deux pouvoirs qui peuvent, comme d'égal àégal, passer un concordat ; en matière de connaissance,deux lumières extérieures l'une à l'autre et gouver-nant chacune un monde à part. L'apologétique, quireprésente un usage de la laison extérieur ft la fol,bien que relatif à elle, est née de cette situation et dubesoin de refaire l'unité perdue. Il s'agit en effet, enusant de la lumière naturelle d'amener à la ?ol Wiétablissant que l'enseignement de l'Église catholiquereprésente la révélation de Dieu. Peu de décadesavant l'époque dont nous parlons, la mise en questionde la Réforme avait fait naître une activité nouvelle dedéfense qui, sous le nom de « polémique » ou de n con-troverse », s'était vile constituée en branche spécialede la théologie et de l'enseignement ecclésiastique.Nous n'en ferons qu'une simple mention : et. K. Wcr-ner, Geschichte der katholischen Théologie seit demTrienfer Concil ziir Gegenawt, Munich, 1866, p. 34 sq.;Geschichie der vpoloqetischen und polemischen Lileraturdw christlichen Théologie, Schafîouse, 1861 sq., 5 vol.Nous n'avons à nous occuper ici de l'apologétique quesous l'aspect où elle intéresse la notion de théologie,en tant qu'elle est devenue une spécialité de la théo-logie et en tant que sa création el son développementont pu influer sur la conception même de la théologie,

L'apologétique ne se constituera guère en traitéséparé de la théologie dogmatique avant le milieu duXVIIe siècle : 1-'. de B. Vizmanos, La apologetica delos escolasficos postridentinos, dans Eslud. eclesiast.,1934, p. 422; H. Busson, La pensée religieuse françaisede Charron à Pascal, Paris, 1933, c. xi et xn. Mais ellese prépare dans les traités scolastiques de la foi eten deux questions de ce traité : celle de la crédibilitéet celle de la certitude subjective de la toi.

Le souci d'établir le bien tonde du dogme catho-lique détermine une nouvelle activité de la raison rela-tivement aux principes de la théologie, qui sont préci-sément les dogmes ; il n'est plus question d'élaborerle contenu objectif des dogmes (théologie scolastique),ni même de prouver la conformité du dogme à sessources premières (théologie positive), mais d'établiraux yeux de la raison leur crédibilité, objet de la« démonstration chrétienne ». Ainsi, d'une part, lestraités apologétiques se gonflent-ils d'une matièrethéologique qu'ils n'avaient pas à aborder, d'autrepart, la théologie elle-même prend-elle souvent, enface de ses objets, une attitude et des préoccupationsapologétiques. D'autant que la controverse a mis son

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431 T H É O L O G I E . DU X V I I e S I È C L E A NOS J O U R S 432emprise partout. C'est ainsi que parfois la théologie,dans sa partie argumentative, semblera avoir pourobjet d'établir apologétiquement la vérité de la reli-gion et donc les vérités de la religion : la substitutionfréquente du mot « religion » au mot « foi » apportantici sa nuance. Cette conception est au fond, avec uneforte accentuation positive et une timide mention dela déduction de conclusions, celle qui s'affirme dansles c. i et ni de la Méthode pour étudier la théologied'Ellies du Pin, 1716 : « Toute l'étude de la théologieconsiste à chercher les moyens par lesquels on peuts'assurer quelle est la Religion véritablement fondéesur la Révélation divine et quelles sont les vérités cer-tainement révélées. » C. i.

Notons ici un dernier fruit de ces positions chez desthéologiens modernes. Tandis que les anciens commen-tateurs de saint Thomas cherchaient la valeur scien-tifique de la théologie dans sa continuité à la science deDieu et des bienheureux dans laquelle ses principessont possédés avec évidence, cf. supra, col. 381, uncertain nombre de théologiens, voulant donner à lathéologie une valeur scientifique même au regardd'une raison humaine non croyante, trouvent le prin-cipe de cette valeur dans la jonction que la théologiepeut avoir avec les évidences naturelles par le moyende la crédibilité et de la démonstration apologétique.C'est la notion d'une «théologie fondamentale », en-tendue en ce sens que les fondements ou principes dela théologie y seraient établis de la manière qu'onvient de dire. Cette notion, qu'on rencontre par exem-ple chez A. Dorsch, S. J., Insfitutiones théologies funda-mentalis, t. i, Inspruck, 1830, p. 14, chez H. Dieck-mann, S. J., De reuelatione christiana, Fribourg, 1930,p. 24, etc., a été combattue, au nom de la traditionthomiste par le P. A. Gardeil, La crédibilité et l'apolo-gétique, 2e éd., Paris, p. 221 sq., et Repue des sciencesphilos, et théol., 1920, p. 649. Elle garde pourtant despartisans, comme on pourra voir dans J. Bilz, Ein-fûhrung in die Théologie, Fribourg-en-B., 1935, p. 42,et P. Wyser, Théologie aïs W issenschafl, 1938, p. 47,n. 3. B. Poschmann, Der Wissenschaftscharakter derkatholischen Théologie, Bresiau, 1932, p. 16-21, exposecomment, encore que la théologie tienne sa qualitéscientifique do la toi seule, une preuve scientifiqueet rationnelle, extrinsèque d'ailleurs, de l'existencede son objet, la Révélation, est cependant possible etconvenable. Ainsi conçu, le rôle de l'apologétique dansle système scientifique de la théologie est non seule-ment acceptable, mats incontestablement heureux.Et, comme le note avec beaucoup de finesse B. Posch-mann, c'est une manière de concilier « les deux voles »divergentes de K. Eschweiler.

K. Eschweiler, Die zivei Wege der neueren Théologie,Augsbourg, 1926 : on trouvera dans cet ouvrage, en parti-culier p. 363, n. 3 et 266, n. 12, la bibliographie auérente àla question de l'anàlysis fidei; P. Scliiltt,Cos Verhâltnis nonVernuntttgkeit unit OSttlichkeit des Glaubens bei Savez,Warendorf, 1829; F. Sclilagenheufen, Die Glaubensgewiss-heit und ihre Begrûndung in der Neuscholastik, dans ZeUsch.f . kathol. Theal: t. LVI, 1933, p. 313-374, 530-595; F. deB. Viz.manos, La apologetica de los escolasticos postridenliiios,dans Estad. eclesiast., 1934, p. 418-446 (bibliographie p. 422,n.S).

VIII. COUP D'ŒIL SUR LA THÉOLOGIE DU XVIIe SIÈ-CLE A NOS JOURS. — Après avoir vu les problèmes nou-veaux posés devant la théologie à l'époque moderne,puis l'effet de dissociation et de spécialisation causépar ces problèmes, il reste à esquisser les vicissitudesde la notion de théologie du xvii6 siècle à nos jours :1. La forme de théologie déterminée par les attitudesnouvelles ; 2. Le marasme de la théologie au temps duphilosophisme; 3. Le renouveau de la théologie auxix» siècle et à l'époque contemporaine.

/. LA THÉOLOGIE NÉE DES TENDANCES 1IODSRSES :DO OMATIQ, UE ET THSOLO OIE SCOLASTICO-DO OMA TIQ. VE.— Au point de vue de la notion de théologie, c'est versles dernières années du xvii" siècle que se fixent lesformes modernes de cette science, issues à la fois dumouvement moderne de la Renaissance et du mouve-ment de défense du concile de Trente. Les grandesécoles de pensée qu'étaient les écoles conventuelles,ou les universités perdent leur éclat. Un tait notableau point de vue de la théologie est la mort des univer-sités comme centres de pensée originale; elles sontabsorbées par les querelles du gallicanisme, du jan-sénisme, ou se discréditent dans la domestication dujoséphismc. L'enseignement de la théologie y continuecependant, ainsi que dans les séminaires et les écolesdes ordres religieux. A cela répond le fait que signaleHurter, Nomenclator, t. rv, 3e éd., col. 317: aux com-mentaires sur saint Thomas ou sur les Sentences, sesubstituent, vers 1680, des cours et des manuels sys-tématisés de théologie, où les points de vue positif,scolastique et polémique sont adoptés à la fois et har-monisés. Trois choses, qui se sont suivies chronologi-quement, nous semblent caractéristiques de la théo-logie entre 1680 environ et la Hn du xvin* siècle : 1. laméthode dogmatique; 2. la tendance à se constitueren « système »; 3. l'organisation pédagogique de lathéologie en « Encyclopédies ».

1° La méthode dogmatique. — Elle est issue de lanouvelle « positive » et du besoin de proposer, pourl'enseignement, au delà des controverses qui divisentles écoles, une doctrine qui s'impose à tous. L'idée de« dogmatique » est liée au désir d'une doctrine nonsoumise à disputes, celles-ci se produisant au delà,dans une marge laissée à la liberté. C'est l'époque oùse répand la formule célèbre, /" dubtis liberlas, et où,par exemple, le servite G.-M. Capassi publie un livreintitulé Intellectus triumphans, in dogmaticis captivus,in scholasticis liber, Florence, 1683.

Le mot dogmaticus existait déjà en théologie et ilavait été déjà employé par opposition à moralis ouethicus, ou encore pour signifier quelque chose dethéorique, comportant des positions et des affirma-tions idéologiques fermes. Cf. 0. Ritschi, Bas Wortdogmalicus in der Geschichte des Sprachgebrauchs biszum Aufkommen.des Ausdruckes theologia dogmatisa,dans Fesigahe J . Kaflan, Tubingue, 1920, p. 260-272.Dans la théologie catholique, le mot, employé en oppo-sition non plus à ethicns ou à histMicus, mais à scholas-ticus, prend, vers 1680, semble-t-il, un sens que le textesuivant suffira à faire entendre : Theologiam dogmati-cam et moralem in gua, sepositis omnino qusestionibusscholasticis, prwtermissis eliam positiose theologis quies-fionibus... ea dumtaxat tractentur qusE in comilioTridentino finita sunt aul tradita dogmala, vel in ejus-dem concilii catéchisme exposila... Noël Alexandre,Theologia dogmatica et moratis, 1693,1.1, prœt. Le motest encore employé en distinction avec moralis, mais ilprend un sens très net de doctrine commune dansl'Église, telle que, évitant les disputes d'école, elle sefonde immédiatement dans les documents du magistère.

Cette idée d'une théologie « dogmatique » est liée, àcette époque, à tout un mouvement de pensée concer-nant la notion de dogme et les lieux théologiques. Ontrouve fréquemment, dans les-auteurs de cette époque,des précisions nouvelles et passablement compliquéessur le dogme et ses différentes variétés. La divisionfaite par le P. Annat dans son Apparalus ad posiliuamtheologiam methodicus, 1. I, a. 7, Paris, 1700 (2e éd.,1705, p. 31 : nombreuses éditions), entre dogma impe-ratum, liberum et toleratum, est acceptée par les au-teurs. Gotti, Theol. scholastico-iiogmatica, tract. I,q. i, dub. vi, § 1 ; Gautier, Prodromus ad theol. dog-matico-scholasticam, Cologne, 1756, diss. II, c. i, a. 2.

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433 T H É O L O G I E . A U T E M P S DU P H I L O S O P H I S M E 434Les mêmes auteurs apportent beaucoup de soin à

distinguer différenles espèces et divers degrés de con-clusions théologiqucs : cl. Gotti, dub. ni, Ç 3; Gautier,diss.JI, c. i; de même, ils développent un De locis assezélaboré et ils consacrent une grande place à définir lesdifférentes notes théologiques. Pour toutes ces choses,le Prodromus de Gautier est typique et très complet.

C'est cette ligne de la theologia dogmalica qui abou-tira aux Dogmatiques modernes, c'est-à-dire à desexposés de la doctrine catholique se présentant noncomme une élaboration extrême systématique et dia-lectique, à la manière des Sommes du Moyen Age,mais comme une sorte de <s doc.lrine chrétienne « déve-loppée, ou une explication du donné de foi poursuivietrès au contact avec les sources et les expressionspositives de celles-ci. Cf. 0. Ritschi, LiterarhistwischeBeobachtungen liber die Nomenkiatur der theologischenDissciplinen im 11. Jahrhunderf, dans Studien sur syste-matischen Théologie, Festgabe Th. von Hcering, Tubin-gue, 1918, p. 83 sq.; H. Keller, dans TheologischeRevue, 1938, col. 301.

Les cours et manuels de l'époque qui suit 1680 por-tent fréquemment dans leur titre les mots « dogmatico-scolastique ». Ainsi C.-V. Gotti, J.-B. Gêner, 1767-1777, Tournély, 1755, etc. Ce titre indique l'intentionde marier l'élément positif et l'élément rationnel,l'explication de la toi et l'interprétation d'école. Celaest très net, par exemple, dans l'œuvre d'un MartinGerbert, voir ici, t. vi, col. 1295 et cf. ici, art. GOTTI,!.. vi, col. 1505-1506. Cette intention commande uneméthode. On a abandonné la technique de la quseslioet on adopte, à la place, un schème d'exposé quicommence d'apparaître déjà dans la scolastique duxiv« siècle et qui était déjà, en somme, celui de Cano;il suit non un ordre dialectique d'invention et depreuve, niais un ordre pédagogique d'explication etcomporte les étapes suivantes ; thèse, statas qusestionU,c'est-à-dire exposé des opinions, preuves positivesd'autorité, preuves de raison théologique, solution desdifficultés, corollaires, et en particulier corollaires pourla vie et la piété. Ce schéma est devenu celui de lapresque totalité de nos manuels, ""

2° La tendance à se constituer en « système ». — Versle milieu du xviir° siècle, la théologie subit, surtout enAllemagne, l'influence de la philosophie de Woll.Cette influence est sensible au point de vue du con-tenu, et plus encore peut-être au point de vue de laméthode, Wolf accentue la tendance de ses inspira-teurs, Spinoza, avec son more geometrico, l^eibniz avecson Systema theologisE (publié seulement en 1819), pouraboutir à ce qu'on appellera le systema ou la methodusscientifica : méthode de type géométrique caractériséepar la recherche d'un ordre déductif rattachant tousles éléments à un unique principe. 0. Ritsch] a étudiéle développement de l'idée de « système » et de procédé« systématique » dans la théologie, principalementdans la théologie protestante, depuis le début duxvn6 siècle jusqu'au milieu du xvm° : System undsgstematische Méthode in der Geschichte des wissen-schafilichen Sprachgebrauchs und dw philosophischenMéthodologie, Bonn, 1906, surtout p. 40-54. Il est fortprobable que l'exemple de la théologie protestantequi, très tôt, a juxtaposé à l'Écriture un « système «plus construit que les anciennes Sommes scolastiques,a influé sur la théologie catholique.

Dans la seconde moitié du xvin" siècle, la théolo-gie catholique recherche volontiers de se constitueren « système r, en suivant la melhoduS scientificade l'école de Woll, Des exemples types oe tellesthéologies sont fournis par l'œuvre de B. Stattler,S. J.; cf.C. Oberndorfer, 0. S. B., Systema theologico-historico-criticum, Augsbourg, 1762; B.-J. Herwis,0. Praem., Epilottie dogmatisa, Prague, 1766, traité

apologétique de l'Eglise selon la méthode mathémati-que; J.-A. Brandmeycr, Principia catholica introductio-nis in universam theologiam chrislianam, Rastadt, 1783;M. Gazzaniga, 0. P., Theologia dogmalica in systemaredacla, Ingolstadt, 1786; M. Dobmayer, Theologiadogmatisa, seu Systema iheologise dogmaticœ, 1807(posthume).

3° L'organisation pédagogique de la théologie en« Encyclopédies «. — En même temps, la théologie duxviir" siècle est friande de traités méthodologiques.Les Introductiones, les Apparatu-s, les De locis se mul-tiplient. La vieille idée de rassembler toutes les con-naissances en un corpus où elles soient distribuées etordonnées, réapparaît et anime le mouvement desencyclopédies. Vers la fin du xvin" siècle et au débutdu XIXe, l'idée de réunir et d'organiser en un ensembleles diverses branches relevant de la théologie, prendcorps dans un grand nombre d' « Encyclopédies » ou« Méthodologies ». Ces deux mots répondent & la foisà l'ancien De sacra docirina, au De locis et au besoinnouveau de distribuer systématiquement les diffé-rentes branches, parfois divisées et subdivisées à l'ex-cès, de la théologie : par cette idée de distribution sys-tématique et d'ordre déduit d'un seul principe,.!' « en-cyclopédie i se rattache au « système », comme on lesent jusque dans le titre d'une des plus célèbres pro-ductions de ce genre, du côté catholique, l'EncyMopâ-die der theologischen Wissenschaften aïs System dergesammfen Théologie, de K-A. Staudenmaier, 1834.

Ces Encyclopédies ou Méthodologies sont innom-brables. On trouvera sur elles une abondante docu-mentation dans l'art. Encyktopâdie de la Protest. Real-encykiopadie, 3e éd. t. v, p. 354 sq., dans les art. Ency-kiopâdie et Théologie du Kirchenlexikon, 2' éd., t. iv,col. 497-501 et t. xi, col. 1565-1569; dans le Systema-lisch geordnetes Reperlorium der kalholisch-theologi-schen Lilteratur de Gla, t. i, Paderborn, 1895, p. 6 sq. ;enfin dans l'art. Théologie du Dict. encyclopédique dela théologie catholique de 'Wetzer et Welte, trad. fr.par Goschler, t. xxm, p. 313-324 : ce dernier articledonne les plans proposés par Dobmayer, 1807; Drey,1819; Klee, 1822 et Staudenmaier, 1834. Cf. aussiG. Rabeau, Introd. à l'étude de la théologie, Paris, 1926,p. 369 sq.

//. LE MARASME as LA THÉOLOGIE AU TEMPS DUpBiLOSOpmsilS. — La théologie pénétrée par l'espritdu philosophisme est caractérisée par la méconnais-sance du christianisme en tant qu'il apporte à l'esprit,au delà des possibilités et des initiatives propres decelui-ci, un ordre nouveau d'objets, qui sont des mys-tères, inaccessibles à toute découverte rationnelle,mais donnant lieu, une fois révélés et reçus dans la foi,à l'activité contemplative nouvelle d'une inlellectua-lité surnaturelle. La Vernunlliheologie, au temps del'Aufklarung et du philosophisme, reprend l'intentionde l'apologétique qui s'est développée depuis leXVIIe siècle, contre les " libertins » : elle veut refairel'unité des esprits dans le christianisme, au sein d'unmonde où la foi d'un côté, la science et la culture del'autre, forment deux terres séparées; elle veut opérerle passage de la raison à la religion, de la science auchristianisme, par les ressources de la raison et de lascience, G. Hermès (f 1831) donne à cette intentionune forme savante, dont l'appareil est en grandepartie emprunté à Kant corrigé par Fichte, Einleitungin die chrisikalbotische Théologie, i. PhilosophischeEinleifung, Munster, 1819 ; il. Positive Einleilung,Munster, 1829. Il définit la fol en termes purementintellectuels, comme l'état de l'esprit qui, parti dudoute positif et absolu, arrive à ne plus pouvoir douter.Cf. ici, art. HERMÈS, t. vr, col. 2290 sq. La grâceintervient bien pour rendre efficacement salutaire la« foi » ainsi obtenue; mais tout le contenu intellectuel

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435 T H É O L O G I E . R E N O U V E A U DU X I X ® S I È C L E 436de cette fol, tout ce que l'esprit reçoit del'ohjet et dontil lait sa vie d'esprit, était, chez Hermès, une chose dela r;iison. 11 n'a pas vu qu'entre la raison d'une partpréparant l'accès à la foi par la démonstration desprsenmbulu f i d e i et celle de la crédibilité générale dudogme et, (t'iuitre part, la raison retrouvant une acti-vité clans la foi et sur les objets de la foi par la théolo-gie, s'intercalait un acte surnaturel dans lequel l'espritétait élevé à un nouvel ordre d'objets,

Hermès montre ainsi le danger d'une apologétiqueconçue comme une démonstration du dogme tellequ'une théologie pourrait lui faire suite sans rupturede continuité. Dès que, dans les diverses anolysisfidei, on cherchait pour l'acte de foi lui-même, et nonseulement pour ses préparations rationnelles, une réso-lution en une évidence donnée dans la conscience,n'était-on pas porté dans le sens d'une foi philosophi-que et d'une Vr.rnunfllheoinyie?

Le philosophisme agit sur la théologie assez diffé-remment en France et en Allemagne. En France, laphilosophie était étroitcmcnt laïque; elle excluait lechristianisme. En Allemagne, Fichte, Schelling etHegel assumaient dans leur système une sorte dedouble idéologique du christianisme, d'allure beau-coup plus religieuse. Aussi voyons-nous des théolo-giens faire de la théologie une explication hégélienneou schellingienne des grands dogmes du christianisme.Dans cette théologie, tout le côté idéologique et spé-culatif, la nécessité interne et l'enchaînement des mys-tères, semblent ne relever que du système philoso-phique, qui apporte la connaissance de 1' « Absolu »; lepositif du christianisme semble n'apporter qu'un élé-ment de tait qui ne comporte, comme tel, aucuneintelligibilité originale, l.cs érrils d'A. Gcngler. Ueberdas VerhStInis der Thpnluiiie znr Philosophie, Landshut,1826, et Die Idéale der Wissenschaft oiler EaciJklopadieder Théologie, Bamberg, 1834, malgré leur réelle va-leur, reflètent quelque chose de celte tendance ;cf. J. Diuholl, La théologie morale catholique,..,p. 288 sq.

J.-B. Sayninller, Wissenschafl und Glaiibc in der Icirchli-chen Aulkliirung, Esson, liMU; A. llciitx, Iti'Iormversiiche inder katitiiliscimi Dogmntik Deiilachliinds zu Beginn, des19. J ishrhunderis, Mayence, 1917; Cl. Scliercr, Grschicitleiind Kircticngescilidite an den denisclien Unioersitâlen imZeilidter des I I umaiiisnuis, Friboui'B-eii-li., 1927; sur Her-mès, voir K. liscilweilrr. Die swei Wcgc lier tieueren Théolo-gie..., Augsbourg, 1926, p. 81 sq.

I I I . LE KKNOCTEAV IiE LA THÉOLOGIE AU SIS* SIÈ-GLE KT UASS LA ] ' f : K t i i D E COSTSSSIKiRAISE.—— Cettedernière partie de notre exposé historique se distribued'ellR-mênie ainsi : 1. le renouveau d'inspirationromantique; 2. le renouveau de la srdasUque; 3. ledéveloppement des études posilives cl critiques; 4. lacrise des études ecclésiastiques et le modernisme; 5. lessynthèses; 6. les tendances et les besoins d'aujour-d'hui.

1° .Le renouveau d'inspiralion'romanlitjue. — Enthéologie le courant romantique est le premier àreconstruire, au cours des années 1810-1840. Sonaction s'exerce dans le sens de l'unité et de la réinté-gration d'éléments dissociés au cours de la périodeprécédente. Il retrouve d'abord le sens du passé, desPères et même, par le Moyen Age, de la scolastique;ainsi, il commence à retrouver le sens de la contem-plation des vérités de la foi et de la spéculation surelles : toutes choses qui sont très nettes dans l'écolecatholique de Tubingue el en particulier chez J.-A.Mohier (t 1838). Par 1e fait même, le romantisme re-trouve, ou découvre le sens du développement et del'histoire.

Il apporte aussi le sens des connexions et le pointde vue de l'organisme vivant. J.-S. Drey souligne la

connexion interne des disciplines théologiques danssa Kiirze Einirifung in das Studium der Théologie,Tuhingue, 1819. Grâce à ce sens vital et organique, desdissociations déjà accréditées sont dénoncées. Il estextrêmement frappant de voir l'élimination du ratio-nalisme entraîner, comme une requête immédiate, laréunion de la morale et du dogme : ainsi chez Urey,Gengler, Staudenmaier, G. Riegler, J.-A. Stapt, etc.;cf. J. Dieboll, La ihco!oi)ie morale catholique en Alle-magne,.., p. 285, 290, 307, 172 et 179; Fr. Tillmann,Kalholische SMenlehre, t. ni, p. 38 sq. En même tempsla volonté s'accuse de faire cesser la séparation entrela théologie d'une part, le monde et la culture d'autrepart. Le programme dressé par Drey et inspirateur del'école de Tubingue répond à cette Intention; enFrance, celui de Lamennais.

Enfin, le romantisme apporte en théologie le sens duvital et, pour ainsi dire, du vécu. 11 reprend la requêtesans cesse renouvelée au cours des âges : celle d'unethéologie liée à la vie, voire d'une théologie où s'ex-prime la vie. Que la théologie soit liée au don tait parDieu à l'homme d'une vie nouvelle, surnaturelle,qu'elle poursuive son travail dans une ambiance de Coiet de piété, qu'elle inspire à son tour la vicl Mais, dansl'école romantique de Tubingue, insufTIsamment af-franchie de l'Idéalisme philosophique et théologiqueallemand, la théologie apparaît comme trop référée àla foi vécue de l'Église; les sources et les critères objec-tifs de la théologie n'y sont ni assez dégagés, ni assezmis en relief. Certes, jamais la théologie n'y a étédéfinie, comme dans le protestantisme libéral Issu deSchleiermacher, comme une analyse et une descrip-tion de l'expérience religieuse; la pensée (les plusRrands parmi les Tubingiens est foncièrement ortho-doxe. Mais la théologie est. chez eux, trop conçuecomme une réalisation intellectuelle de ce qu'a reçu etde ce dont vil l'Eglise et le théologien dans l'Église,pas assez comme une construction humaine d'une folrelevant d'un donné objectivement établi et de cri-tères objectifs. La théologie, en un mot, est trop, poureux, une science de la foi, pas assez une science de laRévélation.

Mattès, dans le Dict. encyclopéd. de la théologie cathol. deWelzer et Wolte, trad. Gosctiler, t. xxiii, p. 315 sq.; lid.Vermeil, J.-A. MôhIfT el l'école calliolique de Tubinuue( I S I S - l S i O l , Paris, 1913, surtout p. 3:i-38, 66-78, 115-136;J. (Jpiselmann, L>ic Gtaubenswissenscllult dw kalilniischenTûbincier Sclwle und ihre Grundiegung durch J . Seb. sonDrey, dans Tûbinyer Quiarfnischrilt, t. cxi, 1930, p. 49-117;P. Chaillet, L'esprit du christianisme el du eatlliilicisme, ditnsRécite des sciences philos, et théol; t. xxv-l, 1937, p. 483-498et 713-726; et ici, art. SAILEH. t. xiv, col. 749 sq.

2° Le renouveau de la scolasiique. — Le xvui" siècleavait, dans l'en semble, discrédité la scolastique médié-vale. Aussi esl-il notable que les premières interven-tions de l'autorité ecclésiastique en faveur de la scolas-tique turent pour la défendre contre l'accusation oule soupçon de rationalisme. Cf. la condamn;i1 ion deRonnetty, 1855; la Lettre Tuas libenler de l'ie IX,18G3: la 13' proposition du Syllabus, Denz.-Bannw.,n. 1652,1680 et 1713.

Il ne rentre pas dans l'objet de cet article de tracerl'histoire de la restauration de la scolastique au coursdu xix" siècle, depuis les efforts d'une tradition encoreconservée en F.spagne et surtout en Italie, jusqu'àl'encyclique JEterni Patris de Léon Xïll, 4 août 1879,et aux documents qui l'ont, suivie depuis. Cf. les art.KLEUTOEN, PERRONE, PASSAGLIA, LiBEBATORE, SAN-SEVRRINO, LÉON XIII, SCOLABTIQUIÎ, THOMISME;BcIIamy, La théologie catholique au xix" siècle, P.iris,1904, p. 41 sq., 145 sq.; A. Masnovo, 7; neotomismo in.Ilalia. On'gini e prime oicende. Milan, 1923; A. Ferni,Le vicende dcl pensiero tomislico nel seminario vescouile

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437 T H É O L O G I E . R E N O U V E A U DU XIX® S I È C L E 438di Placenta, Plaisance, 1924; Fr. Ehric, Die Scholastikund ihre Anfgaben in unserer Zeit, 2" éd., Fribourg-en-B., 1933. Par contre il taul marquer ici ce que cetterestauration de la scolastiquc représente au point devue de son influence sur la notion de théologie auXIXe siècle. Le xvii" et le xvin" siècle n'avaient paséliminé la scolasilque comme méthode, niais ilsl'avaient vue petit à petit mourir d'inanition commeobjet ou contenu de pensée, car ils avaient délaissé cequi proprement l'animait., la philosophie chrétienne.Ci* qui est le plus frappant dans la période qui va de1760 à 1840 environ, c'est de voir la théologie chercherson ferment philosophique non dans la tradition chré-tienne d'Augustin, de Thomas d'Aquin et de Bona-venture, mais dans les diverses philosophies tour à lourdominantes : chez Descartes, ainsi, par exempleM. ftmery, Pensées de Descartes sur la religion et lamorale, ou le P. Valla, oratoricn, auteur de la Philoso-phie dite de Lyon, suivie dans de nombreux sémi-naires, et d'une Theologia mise à l'Index en 1792; chezLeibniz et Wolf, comme nous l'avons vu plus haut;chez Kant ou Fichte, comme Hermès; chez Schelling,comme M. Dobmaier, Sysiema theoloyise dogmalicce, ouP,-B. Ziemer, Theotngia dngmntica, ou encore Sailer;chez Hegel et Sclilciermacher, comme l'a tait dans unecertaine mesure ou durant un certain temps Mohier;chez Malebranche, comme le tera Gerdil; chez lessensualistes, les empiristes et les naturalistes, Locke,Condillac et Rousseau, comme l'abbé Flotter, auteurde I.efons élémentaires de philosophie suivies dans denombreux séminaires; chez Lamennais enfin, commel'abbé Gcrbet, Des doctrines philosophiques sur la <tr-titude dans leurs rapports aiwc ta tbro/ogie, 1826; Coupd'vil sur la controverse chrétienne, 1828.

Or, c'est précisément la phiinsophif. chrétienne que lespapes s'appliquent à restaurer d'abord dans l'enseigne-ment, puis par leurs interventions doctrinales sur laquestion des rapports entre la science et la foi, enfinpar la série de documents qui entourent ou suiventl'encyclique ^Elerni Palris, dont le sous-litre, signifl-calit au suprême degré, porte : De philosophia chris-tiana ad mentent sancti Thomas Aguinatis Doctoris An-gelici inscholis wtholicis instauranda, 4 août 1879. Lesdocuments de même sens sont innombrables; cf. lestables de l'Enchiridion clericorum. Documenta Ëcclesisesacrorum alumnis instiltiendis, publié par la Congréga-tion des séminaires et universités en 1938.

La philosophie dont les papes veulciiL la restaura-tion est celle des Pères et des grands docteurs médié-vaux; et, encyclique ^Eterni Patris; encycl, Commu-nium rcrum, du 21 avril 1909, pour le centenaire desaint Anselme; Jurunda sant, du 12 mars 1904, sursaint Grégoire le Grand: lettre Docloris seraphici du11 avril 1904, pour la réédition des œuvres de saintRonaventure. etc. Cependant, dès l'encyclique JîterniPcttris, saint Thomas est proposé comme le maître leplus sûr et chez qui la philosophie chrélienne a trouvéson expression la plus parfaite, la plus élevée, la plusuniverselle. Cette préférence se fait, dès lors, de plusen plus précise et de plus en plus efficace : « Nous vou-lons et nous ordonnons, dit l'encyclique Pascendi, quela philosophie scolastique soit mise à la base dessciences sacrées...; et, quand nous prescrivons la philo-sophie scolasi.ique, ceci est capital, ce qJe nous enten-dons par la, c'est la philosophie que nous a léguée leDocteur angélique. » Actes de S. S. Pie X , éd. BonnePresse, t. lu, p. 160; Enchir. cleric., n. 805.

Si la doctrine de quelque auteur a été recommandéespécialement, déclare encore Pie X, la chose est claire,c'est dans la mesure seulement 0(1 elle s'accorde avecles principes de saint Thomas. Motu proprio Doctwisangeliei, 29 juin 1914, dans Ac(a aposl. Sedis, 1914,p. 338; Enchir. cteric., n. 891.

Ce motu proprio avait pour suite, un mois plus tard,27 juillet, les fameuses 24 propositions précisant lesprincipes essentiels de saint Thomas à tenir In omni-bus philosophife scholis. Acia. apost. Scdiis, 1914,p. 383-386; Enchir. cleric., n. 89-1-918. Cette recom-mandation de saint Thomas a été continuée par Pie XInon sans recevoir d'ailleurs de sages interprétations :cf. encyclique Studiorum diu'em, 29 juin 1923, etlettre Ol]iciorum omnium sur les séminaires, l" août1922. Acia {vpo.ft. .Sedis, 1922, p. 454; Enchir. cleric.,n. 1155. On sait que le Codex j i t r i f i r.wonici, can. 1306,§ 2, fait aux professeurs, dans l'Église, une obligationde suivre, dans l'enseignement de la philosophie et dela théologie, Antfslici Dmtoris rationem, doctrinam etprincip;a; la constitution Deus scientiarum du 24 mai1931 rappelle cette obligation tant po.ir les facultésde philosophie que pour celles de théiilogie : titre lu,art. 29 a et c. Aussi la théologie contemporaine sedéveloppe-t-elle sous le signe de saint Thomas et dela philosophie scolastiquc. C'est d'eux qu'elle tient lesprincipes et le statut même de la synthèse, qu'il luiappartient de poursuivre, entre la foi et la raison. Onpeut vraiment parler d'un renouveau de la scolastique;car, comme Albert le Grand et saint Thomas ontapporté jadis A la théologie une raison véritablementscientifique, celle d'Aristote, la théologie actuelle arepris leur héritage et a vraiment réintroduit dans sontravail la raison scolastique, la philosophie chrétienne.

3° I.e développement dea fludes pfisiliani ri critiques.—Le XIXe siècle voit l'avènement définitif d'une nou-velle forme du travail rationnel, le travail historique,critique : critique biblique., histoire des dogmes,science des religions. Certes, tout cela existait déjà,en une certaine mesure. Le xvn" siècle avait été, dansl'Église catholique, un grand siècle historique.; la cri-tique biblique commence avec Richard Simon, et lemot même de « t héologie biblique » apparaît chez nousau début du xvur siècle, cf. Kirchenlexikon, 2' éd.,t. xi, col. 1568; la science des religions débute auxviii* siècle et les missionnaires ne sont pas étrangersA ce début. Cependant, ces disciplines ne constituaientpas alors une véritable mise en question des principesde la théologie. Cette mise en question, au contraire, seproduit au XIXe siècle, principalement par deux cadses:la critique fondée sur l'histoire comparée, le point devue du développement historique.

Jusque la, on avait interprété la Bible presqueexclusivement par elle-même. Les découvertes dans ledomaine de l'épyptologie, de la civilisation babylo-nienne, de l'archéologie palestinienne, etc. mettentdésormais le texte sacré en rapports avec tout unmilieu où les idées et les institutions qui s'y exprimentperdent leur caractère de chose unique et absolue. Enhistoire des dogmes, de multiples travaux voient lejour, surtout en Allemagne. Des questions critiques seposent au sujet de plusieurs dogmes, dont le typeachevé est la question des origines de la pénitence;voir ce mot. Ii résulte de tout cela que les assertionsne la lîible, d'une part, les dogmes, d'autre part, quifournissent à la théol'igie ses principes, font l'objet denouvelles interpréiations, de discussions et semblentperdre le caractère de vérité absolue qui leur étaitessentiel. ÇA-, sur l'essor des études critiques et his-toriques au XIXe siècle, A.Briggs, Hiainry cil thé sludyof Theology, Londres, 1916, t. n. p. 189 sq.

Par le fait même aussi s'impose l'Idée au développe-ment historique. Une idée ou une institution portentdans leur trame même une date et ne sont pas, intrin-sèquement, les mên>es, au r"', au xiir, au xix" siècle.En même temps, l'idée de développement était inté-grée par des philosophes ou des théologiens, à la syn-thèse philosophique ou t hcologique ; chez Hegel, dequi dépendent plus ou moins d'un côté Mouler et les

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439 T H É O L O G I E . LA C R I S E M O D E R N I S T E 440théologiens catholiques de Tubingue. d'un autre côtéStrauss et Renan; dans une atmosphère beaucoup pluspure chez Newman, indépendant de ces influences.Ce point de vue, qui s'appliquait aussi bien à la Révé-lation, à l'histoire d'Israël, au christianisme, à sesdogmes et à ses institutions, demandait qu'on lui fîtplace dans les sciences théologiques. Ainsi se cherchaitune issue l'incoercible sentiment du développement;ainsi tendait à s'achever l'effort de l'humanisme.

Sous ces influences, la tâche de l'ancienne théologiehistorique ou positive se présentait dans des condi-tions nouvelles. Il ne pouvait plus être question dejustifier par des textes anciens les doctrines ou lesinstitutions actuelles, à la manière de l'ancienne posi-tive, celle des Perpétuité de la f o i . Rien ne marquemieux la diflérence de perspectives entre l'anciennerecherche et celle qui s'amorçait que la confrontationde ces deux textes que cite Mgr Batiffol, dans Bulletinde liltér. ecclés., 1905, p. 159 : Bossuet : «La vérité ca-tholique venue de Dieu a d'abord sa perfection »;Newman : « Aucune doctrine ne paraît achevée dés sanaissance et il n'en est aucune que les recherches dela foi ou les attaques de l'hérésie ne contribuent àdévelopper. » Au temps même de Newman, l'ancienneconception des choses était représentée par Perrone,puis par Franzclin, chez qui la connaissance des textesn'avait, en somme, d'autre rôle que de fournir unmatériel de preuve, et parfois même simplement decitations, aux « thèses » de la théologie spéculative,selon le schème, patronné par Perrone, du triple Pro-baliir ex Scriptura, ex Traditime, ex ralione, La travailpositif se présentait maintenant comme une purerecherche historique visant à connaître le passé d'aprèsles documents qui nous en sont restés, et à dire sim-plement ce qui a été. Un tel travail est de pure his-toire. Quelle serait sa situation par rapport à la théo-logie, et qu'adviendrait-ii si ses résultats ne concor-daient pas avec les exigences de la science sacrée? Lacrise ne pouvait manquer de s'ouvrir tôt ou tard. Leproblème devait être débattu au moment de la crisemoderniste, sous la forme de discussions sur la vraienature de la théologie positive, sur ses rapports avecla théologie spéculative, sur la liberté de la recherchehistorique.

Sur la critique biblique et historique au xix* siècle ;P. Frodoricq, L'enseignement supérieur de l'histoire. Noteset impressions de ooyaffe, Gand et Puris, 189S);J.Bellamy,La théologie catholique au -SIÎ' siècle; M. Gogud, WilheimHerrmatin et le problème religieux ac(uel,Paris, 1905 ot, dansune manière assez dillérente, A. Houtin, La controverse del'apostolicité des Églises de France au Xl£' siècle, Paris,1901 ; La question biblique chez les catholiques de France auX I X ' siècle, Paris, 19U2.

Sur le sens et les théories du dévoloppomont : J.-H. New-inaii, An essay on thé dettclopment oj Christian doctrine,1845; lid. Vermeil, J.-A. Môhler et l'école catholique deTubingue (181S-1S40), Paris, 1913; J. Guitton, La philo-sophie de Neuiman. Essai sur l'idée de développement, Paris,1933; H. Tristram, J.-A. Môhler et J.-H. Kcivman, danslieuue des sciences philos, et théol., t. xxvn, 1038, p. 184-20A; K. Draguet, L'évolution des dogmes, dans Apologétique,publiée sous la direction de M. Brillant et M. Nédoncelle,Paris, 1937, p. 1166-1192.

Le» problèmes nouveaux ; A. Ehrhard, Sti'Huny wdAufgahe der Kirchengeschichte in der Gegelwiurt, Stuttgart,1898; P. Batitîol, Pour l'histoire des dogmes, dans Bulletinde litlér. eccles., 1905, p. 151-164.

4° La crise de l'enseignement des sciences théologiqueset le modernisme, — En face des besoins nouveaux,l'état de l'enseignement et des travaux catholiquesdans le domaine des sciences religieuses était assezdéficitaire. Les manuels de l'enseignement théologique,résumés squelettiques des ouvrages de l'époque précé-dente, F. Lenoir, De la théologie du sis.' siècle. Étudecritique, Paris, 1893, p. 27-29, étaient presque totale-

ment étrangers aux besoins nouveaux. Aussi les der-nières années du xix6 siècle et les premières du xx"devaient-elles voir se produire toute une littératuresur les programmes des études ecclésiastiques etleur réadaptation. Les revendications, en ce do-maine, touchaient parfois à la forme et au genre plutôtqu'au fond, mais elles posaient aussi des questionsde structure au bénéfice de l'histoire, des sciencespositives, des sciences tout court, avec, parfois, quel-que méconnaissance des valeurs spéculatives et de lascolastique.

C'est )e même état de choses qui est à l'origine de lacrise moderniste, que nous n'avons à évoquer ici quepar le côté où elle intéresse la conception qu'on s'estfaite alors de la théologie. La crise moderniste est néedes tentatives faites par divers savants ou penseurscatholiques pour résoudre les questions posées par l'ina-déquation que l'on croyait voir entre les textes ou lesfaits et les doctrines ecclésiastiques correspondantes,Pour apporter aux problèmes ainsi posés une solu-tion que les théologiens n'avaient pas assez préparée,ceux qu'on peut appeler modernistes vont étudier lesbases de la connaissance religieuse et donc les prin-cipes de la théologie, en opérant, au nom de l'histoire,une réduction critique de ce que cette connaissance ad'objectivement absolu; ainsi proposera-t-on une nou-velle manière de justifier l'accord entre les affirmationsde la doctrine et les faits historiquement connus. Cettenouvelle manière consistera toujours à remplacer lerapport d'homogénéité objective des concepts dogma-tiques et des notions thëologiques, d'une part, etl'état primitif du donné, de l'autre, par un rapportde symbole à réalité. Toujours les modernistes dis-joignent le fait primitif, divin, et donc absolu, et sonexpression intellectuelle considérée comme relative, va-riable, soumise aux vicissitudes de l'histoire. D'où,avec des nuances diverses, leur commune critique del'intellectualisme et de la scolastique, à peu prèsidentifiés.

Un des malheurs des modernistes fut qu'ils ne surentpas distinguer la théologie et le dogme. A vrai dire ladistinction n'était pas alors, pratiquement, aussi nettequ'aujourd'hui : ce fut l'un des bénéfices de cette crise,que de mieux faire distinguer les plans. Chez Tyrrell etM. I.e Roy surtout, la confusion est flagrante. Ils veu-lent, et à bon droit, éviter le blocage entre l'absolu dela toi ou de la Révélation et la théologie de saintThomas, ou en général celle du xi"6 siècle, avec sonintellectualisme particulier, son appareil conceptuel etphilosophique, etc.; niais, pour rejeter cette théologieparticulière, ils croient devoir dégager le révélé et ledogme lui-même d'un contenu et d'une valeur pro-prement intellectuels.

La théologie, dans cette perspective, ne peut plusêtre la construction scientifique et l'élaboration hu-maine des énoncés révélés ; elle est une interprétation,une construction scientifique, une élaboration hu-maine des affirmations chrétiennes, et elle n'est plusque cela. Entre elle et ce qui procède de Dieu versl'homme et que nous appelons Révélation, il n'y aplus cette continuité de contenu objectif ot spéculatifdont la théologie doit vivre, sous peine de ne pasexister comme théologie. La Révélation, cliez A. Loisy,n'est que les intuitions religieuses de l'humanité pre-nant place dans l'effort de l'homme vers le vrai et leparfait; le dogme n'est que l'explication autoriséedes assertions primitives de la « foi », c'est-à-dire dela conscience religieuse. Chez Tyrrell, elle est un phé-nomène « prophétique » et moral intérieur ; pourl'Église, en garder le dépôt, c'est seulement garderl'héritage d'une inspiration; les formules dogmatiquesqui se font jour au cours des siècles ne sont qu'uneexpression utile de ce que nous sommes portés à penser

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441 T H É O L O G I E . LES SYNTHÈSES T R A D I T I O N N E L L E S 442conformément à l'esprit du Christ : entre elles et lerévélé primitif, le rapport n'est pas celui d'une formuleà un donné objectif et intellectuel défini, mais celuid'une formule née des besoins d'un temps et adapté àeux, à un esprit, l'esprit chrétien qui vit en chaquecroyant et anime toute l'Église.

Le modernisme posait avec acuité, devant la théo-logie catholique, le double problème de l'homogénéitéde celle-ci, jusque dans sa forme scientifique et raliuri-nelle, à la Révélation, et de son rapport à ses sourcespositives désormais soumises aux méthodes histori-ques et critiques : Bible, états anciens et mobiles dela tradition et des institutions, etc.

Revendications réformistes pour les éliiilcs Huclésiasil-ques : P.-X. Kraus, Ueber dos Studium der Théologie sonstund jetsl, Fribourg-en-Br., 1899; Mgr Latty, Le clergé deFrance, 1900, Considdradons enr l'état présent de l'Église enFrance, 1906; Éducation ei science ecclésiastiques, Paris,1912; J.-A. Zahm, De la nécessité de développer les étudesscientifiques dans les séminaires ecclésiastiques, Bruxelles,1891; Léon XIII, Kncycl. Depuis le jour, du 8 septembre189U, au clergé de France; J. Hogan, Clérical Sludies, 1898,trad. franc., Les études du clergé, Paris, 1901 ; Mgr Le Camus,Lettre sur la formation ecclésiastique des séminaristes, 1901;Mgr Mignot, La méthode de la théologie, dans lïevue du clergéfrançais, 15 décembre 1901, trad. allemande et anglaise :ce discours-manifasta, de beaucoup la plus Important déâdocuments de.cette époque, a été repris dans les Lettres surles études ecclésiastiques, Paris, 1908; J. Brucker, La réformedes éludes dans les grands 3éminaire3, dans Études, t. xcil,1902, p. 597-615 et 742-754; Mgr d'HuIst, Mélanges philo-sophiques, Paris, 1903; A. Baudrillart, Le renouveau intel-Jivliiel rin clergé île Prince n" -»"/-<'• s'icte, Paris, 1903; F.Klein, Quelques motifs d'espérer, 3" éd., 1904, p. 77-114;P. Batifl'ol, Questions d'enseignement supérieur ecclésiastique,Paris, 1907 (c'est, avec celui de Mgr Mignot cite plus haut.l'ouvrage le plus Important de cette liste); H. Sclu'Ors,Gedanken iiber zeitniassige Ersiehung u. Bildung der Geislli-chen, Paderborn, 191U; B. de Sciages, La crise moderniste ettes élmfes ecclésiastiques, dans Revue apologétique, t. u»1930, p. 5-30.

Écrits ou s'exprime la notion moderniste de la Révélationet de la théologie : A. Lois.y, L'Éuuityile et l'Enlisé, Paris,1902; Autour d'un petit livre, 1903; Mémoires, surtout t. l,p. 504, 567 et t. il, p. 38; Ed. Le Roy, Dogme et critique,Paris, 1907 ; G. Tyrrell, Thé relation of Thcology to Dévotion,dans Thé Faith o/ thé Millions, 1.1,1901 ; Théologisme, dansRevue apologétique, t. iv, 1907, p. 499-526 ; ThroughScylla and Charybdis or thé Old Theulogu and thr New, 19(17;Medieoulism, Londres, 1908, trad. franc. ! Suis-je catholi-que? Paris, 1909; L. Laberthonn 1ère, Essais de philosophiereligieuse, Paris, 1903; Le réalisme chrétien et l'idéalismegrec, 1901; Fr. von Hligel ; voir exposé et bibliographiedans M. Nédoncelle, La pensée religieuse de Friedrich vonHugel, Paris, 1935.

Critiqués orthodoxes de la notion moderniste de Kévéla-tion et de théologie : J. Lebreton, La f o i et la théologied'après M, Tyrrell dans Hepue apologétique, t. ni, 1907,p. 542-550 ; Catholicisme, ibid.. t. iv, 1907, p. 527-518;A. Gardell, Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910;R. Garrigou-Lagrangc, Le sens commun, la philosophie del'ptrr pi Ira formules '.togmaliclues, Paris, 1909, M.-U. Chenu,Le sens et les leçons d'une crise religieuse, dans la Vie intel-lectuelle, 10 décembre 1931, p. 356-380.

5° Les synthèses dans le sens de la tradition. — Unnouvel et fécond effort de méthodologie théologiquefut le fruit de la réaction catholique d'abord devantVAufklarung et le semi-rationalisme, ensuite devant lemodernisme.

Dans l 'élimination de \'AufklSrung, puis du Bemi-rationalisme de Gunther, en même temps que dansl'effort de restauration de la scolastique, il faut men-tionner Cicmcna, cf. bibliographie, II.-J. Denzinger(t 1883), auteur de Vi'er Bûcher von der religiôsenErkenntnis, 2 vol., 1856-1857, mais plus connu pourson Eiicilirulion; J . Kicutgen, S. J. (f 1893), avec saThéologie der Vorzeif, 5 vol., 1853-1860 et sa Philoso-phie der Vorzeit, 2 vol., 1860-1863. De même direction

que Kleutgen et, comme lui, se reliant à la scolastiquetant post-tridentine (de Lugo, Suarez, Cano, Petau)que médiévale (saint Thomas) est Constantin vonSchœzler (f 1880), dont le P.Esser a édité 1' Introductioin S. theologiam dogmaiicam ad mentent D. Thomas Aq.,Ratiabonnc, 1882.

Le pontificat de Pie IX fut orienté, contre le ratio-nalisme et le naturalisme, dans le sens d'une afiirma-lion : 1. de l'ordre surniltllrêl et, pour ce qui est de lapensée, des choses de la foi ; 2. des rapports de subor-dination et d'harmonie entre la raison et la foi, l'in-telligence humaine et le magistère divin. Ces aflirma-tions, promulguées au concile du Vatican, devaientassurer à la théologie un statut conforme à sa vraienature et à ce qu'elle avait été dans la tradition catho-lique. C'est dans cette perspective que se placentFranzelin (•)• 1885), col'aboratsur direct du concile duVatican; M.-J. Schceben (+ 1888); en France J.-B. Au-hry (+ 1882) qui suit Franzelin; J. Didiot (+ 1903);C. Lnbcyric, qui suit Schceben et Didiot, etc. Tous cesauteurs s'appiiquent à reprendre la grande traditionthéologique, à retrouver, enrichie des exigences et desapports modei'rn"., une synthèse (lu type et dé l'Inspi-ration de la synthèse patristique et médiévale : un étatde choses où la raison ne soit pas séparée de la foi, maisorganiquement relice à elle, où les différentes partiesde la théologie se regroupent et s'articulent dans uneunité vivante. Chez ces auteurs, comme pour le conciledu Vatican, l'intelligence de ce qu'est la théologie estcherchée du côté de la foi, laquelle fait face au révélé,à la Parole de Dieu.

Ceci est particulièrement vrai de M.-J. Scheeben.C'est dans une vue très riche et très lucide de la sur-naturalité de la foi que cet auteur û puiaé an notion dela théologie. Sa notion de la foi elle-même est intégréeà sa théologie de la surnature, du nouvel être que lagrâce donne aux enfant-, du Dieu : u'e'-L bien la lignetraditionnelle du Fides quserens intellectum. La théo-logie est une connaissance qui procède de ce don delumière, de ce regard nouveau ouvert sur le monde desobjets surnaturels, que constitue la toi. Son ordrepropre est celui de la toi. Aussi n'est-elle « que laconnaissance développée de la toi ». Dogmatique, il. 957.Son premier rôle est d'amener la foi, en l'exprimant eten l'expliquant dans l'intelligence de l'homme., à unétat plus ferme, plus lumineux, plus intime et pluspersonnel. Ibid., n. 852, 907, 910; Mysterien des Chris-tmlums, g 107, n. 3. La premiers activité de lathéologie et le premier stade de son développement, c'estl'approfondissement de la foi par l'intelligence quenoua en prenona; tout le développement ultélicul dyla théologie en une science de la toi dépend de ce pre-mier intellectus, toute l'intelligibilité de la science théo-logique lui vient de l'Intelligence du révélé. Mysterien,§ 105, n. 3. La science de la foi se constitue principa-lement par un effort pour découvrir et organiser enun corps doctrinal les connexions que les mystèresrévélés ont entre eux et avec les vérités du mondenaturel. Scheeben insiste beaucoup sur ce point, parquoi la théologie lui paraît mériter le nom de science;cf. Mysterien, § 104, n. 1; § 105, n. 3; Dogmatique,n. 877 sq., 945, etc.

Cette recherche des connexions et cette pénétrationdans la logique interne des mystères est une œuvre dela raison cherchant cur ree ait vcl cône dcbcal : possibi-lité interne et externe du mystère, pourquoi de saréalisation; cf. Mysterien, § 106. Dans ce travail, laraison assume t't iiicl eu œuvre loi; cuntliussanees natu-relles et les analogies empruntées à notre monde. SiScheeben n'exclut pas, d'ailleurs, toute possibilité deconclusion théologique au sens moderne du mot, il nefait pas, de la déduction de conclusions, l'objet prin-cipal et propre du travail théologique; il voit cet

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443 T H É O L O G I E . P R O B L È M E S D ' A U J O U R D ' H U I 444objet, bien plutôt, dans l'interprétation du révélé etsa construction en un corps organisé.

Knfln, pour sn constituer ainsi en science de la to',la théologie doit avoir une certaine activité visant àétablir les propositions de foi. Par cette fonction, lathéologie cherche à établir : 1. que les enseignementsdogmatiques proposés par l'Église sont véritablementrenfermés dans les sources divines de la Révélation;2. que la proposition qu'en filit l'Église repose réelle-ment sur une mission divine. C'est la fonction dogma-tique, positive ou apologétique de la théologie. Dog-matique, n. 92ti sq. La théologie positive est donc cetteactivité par laquelle la théologie établit l'accord del'enseignement ecclésiastique, qui est son donné immé-diat, Dogmatique, n. 763 sq., avec les sources dans les-quelles la Révélation nous est présentée et transmise;cf. Mysferien, § lOfi, n. 2; Dogmatique, n. a, 92fi sq-,936 sq., 940.

Au point de vue de la méthodologie théologique,c'est aussi une synthèse, et d'une inspiration semblableà celle de Scheeben, qu'apporta le P. A. Gardcil, avecLe donné révélé et la théologie, Paris, 1910, 2' éd., 1932.Bien au delà d'une polémique ou d'une aiiolugéLiqueliées aux difficultés du moment, le P. Gardeil remon-tait aux principes propres de la connaissance reli-gieuse, dogmatique et théologiquc. Sur les pointsvraiment structuraux, le Donné révélé rétablissait lathéologie dans son vrai statut : homogénéité relativedu travail théologique au révélé, unité de la théologiequ'intègrent les deux grandes fonctions positive etspéculative, définition de la positive comme une fonc-tion théologique et un travail sur les principes menésous la régulation de la foi, distinction de la science etdes sytèmes théoloniqucs, pleine valeur rationnelle etpleine valeur religieuse du travail théologique, etc.Plusieurs des travaux contemporains les plus notablesde méthodologie théologique procèdent de l'ouvragedu P. A. Gardeil : c'est le cas en particulier de L'évo-lution homogène du dogme catholique, du P. Marin-Sola,qui développe et systématise, au regard du problèmedu développement du dogme et de la conclusion théo-logique, l'idée maîtresse du P. Gardeil sur l'homogé-néité de la théologie au dogme et du dogme au révéléprimitif.

Fr.-J. C\emeiis,Descolasticonimsententia: PhilosopMaestancilla thfologiœ, Munster, 1860; Die Wulu-heit in «/cmStreite ùbcr Philosophie und Théologie, Munster, 1860(contre Kuhni; Fr. Lakner, Kicutgen und die kirchlicheWissenschatt Deiitschiaïuls im 19. Jahrhunderl,dans Xeitsch.f . kathol. Theol., t. i.vn, 1933, p. 161-214; J.-B. Aubry,Essai sur la nitttiotic des éludes ei-closla.'illllUts, Lille, 18UU s,q.,2 vol.; .1, Duliot, Cours de théologie cnthuliuue. Logique sur-naturelle subjective. Logique surnalurcllc objective, Lille,1892 -.().; G. Lubcyric, La .icirnce rie (a loi. La Chapelle-MontHgeon,li»03;.J.-B.Frani!elin, Trw.talus de divina Tra-dilione et Scripliira, Rome-Tunn, 1870. — M.-.1. Scheeben,Aîf/alprien f î f f f'Jirî'ifenInm.t, f- xï • nie Wi^ensc/Kï/^ Wfî ctenMfisterien des Christenlums oder die Théologie, 1865; Iland-buctï der katholiîicheuDogmatik.Fnlïourn-en-ÏS., 1873, trad.tr. P. Uelet, Paris, 1877 sq., t. i, 2' partie, p. 417 sq.; art.Glaube, dans le Kirchndexikan, 2" éd., t. v, col. 616-674;sur Scheeben, cf. K. Esclweiler, Die zivei Wege der neuerenThéologie, Augsbourg, 1926, p. 131 sq.; M. Schmaus, DieStettling Matthias-Joseph Scheebens in der 'théologie des19. J ahrhunderis, et M. Grabmann, MiiHhlits-Joseph Schce-bens Auffussuny vom Wesen und Wert der thvologischenWissenschult, dans le recueil publie pour IB crulBimiie dela naissance de Scheehen : 'Matthiun-Joseph Scheebeiî, dcrErneuerer katliolischer (•laubcnsœissenschult, Muyencc, 1935,respectivement p. 31-54 f-t 57-108.—A. daideil.Z-ari'/urnicde (a théologie catholique, dans lieuue thomiste, 1903, p. 5-1!),197-215, 428-457, 633-649, et 1904, p. 48-76; Le donné révéléet ta titéoloaie, Paris. 1910: sur l'œuvre du P. G.irdeil,cf. Bulletin thomiste. Notes et Communications, octobre1931.—Fr. Marin-Sola, La croluciôn homogenea del dogmacatolico, Madrid et Valence, 1923, trad. (r. en 2 vol.. L'évo-

lution homogène du dogme catholique, FrIbourg-en-Suisse,1924.

6° Les problèmes, les tendances et les tâches d'aujour-d'hui. — Depuis une quarantaine d'années, la théolo-gie, plus que jamais, s'interroge sur elle-même, sur sonobjet, ses méthodes, ses possibilité», sa place parmi le'>autres disciplines. Cet effort semble pouvoir êtrecaractérisé ainsi : après une période de mise en ques-tion et de tâtonnements, là théologie cherche, au delàdes dissociations introduites par le nominalisme, laRéforme, la théologie du xvii» siècle, le rationalismeet le modernisme, une unité semblable à celle qu'ellea connue dans son âge d'or médiéval, mais enrichiepar l'apport des données, des questions, des méthodesnouvelles, par la mise en œuvre et l'assimilation desdisciplines auxiliaires nées depuis le Moyen Age. Enmême temp's, la théologie réalise davantage sa dépen-dance à l'égard de la communauté et du magistèreecclésiastiques.

La crise par laquelle commence l'effort de réflexionde la théologie sur elle-même, a eu deux points d'ap-plication principaux : la question de la valeur scienti-fique de la théologie et celle au statut de la théologiepositive.

Il était fatal que depuis le xV siècle on ait été amenéà dénoncer la valeur scientifique de la théologie. Lacrise n'intervint pourtant que quand des chrétiens, etnon pas seulement des incrédules, posèrent la questionde savoir si une discipline inféodée à une toi et à uneorthodoxie pouvait encore être comptée parmi lessciences et faire, pommp- telle, ï'nhjpt fl'nn pnt;pi^np-ment dans les universités. C'est en Allemagne et dansle protestantisme que la question fut posée par lelivre fameux de Ci Ai Bcrnouilli, Die wiBBcnechafIlichcund die kirchliche Méthode in der Théologie, Fribourg-en-B., 1897, auquel Overbeck, Lagarde, Duhm etWellliausen dounèiciil leur sufU'agu. Beniuuilli vou-lait que l'on distinguât deux théologies : l'une affran-chie de tout contrôle ecclésiastique, libre de sa recher-che et digne du nom de science, l'autre adaptée à lafinalité pratique de l'éducation des clercs et sous ladépendance des Églises. Le problème ainsi posé nepouvait pas ne pas émouvoir les théologiens catholi-ques. Aussi ont-ils eu, dans ces quarante dernièresannées, le souci de justifier la qualité scientifique deleur discipline, de défendre la spécificité et la valeurde la connaissance religieuse, de trouver un statut pourla théologie dans l'ensembis des disciplines Bcicnlifl-ques. Sur ce dernier point, l'un des efforts les plus ori-ginaux et les plus réussis est sans doute celui deG. Tiabcau qui, utilisant la théorie de la « collocation «proposée par Stuart Mill, a pu justifier l'existence etdéfinir le statut, l'objet et la méthode de la théo-logie comme science d'un ordre dé talis ayant sa spéci-ficité ontologique et épistémologique.

Cependant, le problème du statut de la théologie asurtout été traité, ces quarante dernières années, àpropos de la théologie positive. La nécessité de faireplus grande la place du donné et des résultats consi-dérables acquis par le xix6 siècle dans le domainepositif a déterminé, entre 1898 et 1910 environ, toutun flphflt. sur In niîtnrp dp la thpnin^ip nn';ilivp^ v^place dans la théologie, la nécessaire réforme de celle-ci, la place à garder à la théologie scolastique. Chezbeaucoup d'autcurn le problème était de mettre doré-navant la théologie sous le signe de la positive, commeelle avait été jusque là sous celui de la scolastique.Plusieurs des éludes veit.iie'» alors nu uëbaL sur lu posi-tive sont surtout des défenses de la scolastique, mé-connue et rejetée par certains comme l'encombranthéritage d'un siècle révolu. Mais ce dont il s'agissaitchez d'autres, c'était du statut et de la méthode del'enquête positive au regard du travail théologique.

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445 T H É O L O G I E . P R O B L È M E S D ' A U J O U R D ' H U I 446Ceux qui étaient formes aux disciplines historiquesétaient tentés d'appeler théologie positive la simpleenquête historique portant sur les doctrines et lesinstitutions chrétiennes; c'est ainsi que Mgr Batiffolcroyait suffisant de répondre aux objections duP. I-aherthnnnière : « Nos études, qui sont historiquespar leur méthode, sont théologiques par leur objet »,dans Questions d'enseignement supérieur, p. 149.C'était donner à la théologie positive un lumen sub qwet donc une méthode d'ordre purement historique etnaturel; aussi appelait-on la nouvelle discipline« théologie historique » ou « théologie patristique », ou« histoire des dogmes », sans bien discerner sous cesdivers vocables des genres de connaissance différents.

C'est l'intervention des Pères Lemonnyer et A. Gar-deil qui contribua le plus alors à faire discerner lesexigences d'un point de vue formellement théologiquedans la définition de l'objet et de la méthode de lathéologie positive en tant que distincte d'une histoiredes dogmes. Parallèlement-, le P- Gîirriftil proposaitl'idée d'une « méthode régressive » comme caractéris-tique de la théologie positive.

Cet effort de réflexion» tant sur le statut de la théo-logie comme science, que sur les exigences propresd'une théologie positive, est allé de pair, dans la théo-logie contemporaine, avec une accentuation de laliaison essentielle qui existe entre la théologie et lemagistère de l'Église. Cela semble avoir été l'un desbénéfices des discussions récentes, que de mieux fairecomprendre l'implication du magistère ecclésiastiquedans le travail de la théologie positive. C'est dans cesens que, déjà chez un Franzelin, De dipina Traditioneet Scriptura, Rome, 1870, puis dans le travail de cestrente dernières années, la théologie positive a îlemieux en mieux pris conscience du caractère ecclésias-tique de sa méthode. Voir Mgr Mignot, Préface auxLettres sur les études ecclésiastiques, Paris, 1908 ;J.-B. Aubry, Essai sur la méthode des études ecclésias-tiques, t. n, p. 232 sq., 286 sq.; J. Didiot, Logiquesurnaturelle subjective, 2" éd., 1894, théor. xxvn,p. 91 sq., théor. xxxv, p. 140 sq., et toute la partiequi traite des lieux théologiques; Laforêt, Jacquin,Schwalm, Durst, Lândgrat, Rantt, Simonin, Draguet,Charlier, Wyser, cités plus loin; M. Schmaus, Katho-lische Dogmatik, 1.1, Munich, 1938, p. 18 sq., etc. Cetteaccentuation du rapport de la docirina. sacra, en safonction positive, au magistère de l'Église, a été ren-forcée, dans les années 1930 et suivantes, par lesétudes concernant la notion de tradition qui ont res-titué en cette matière l'ancien sens ecclésiastique, sibien compris, au début du XIXe l'ècle, par un Mvhler :le donné de la théologie, c'est la tradition, c'est-à-direce que livre à chaque génération la prédication apos-tolique, et le trésor constitué par cette prédicationdans son développement à travers l'espace et le temps.

Mais le trait le plus notable de l'idée actuelle dethéologie lient a l'eflort tait pour surmonter les dis-sociations survenues depuis le xv" siècle et pour inté-grer à l'oeuvre théologique les acquisitions des techni-ques positives. Les deux grandes dissociations sont,d'une part, celle que le nominaiisme et la Réforme ontfavorisée entre la connaissance humaine et la foi et,d'autre part, celle que la théologie du xvii° siècle ainstaurée entre théologie et morale, théologie et mys-tique ou vie spirituelle. Elles procèdent l'une et l'antrrd'une compréhension insuffisante de la vraie nature dela foi. C'est seulement quand on a compris la vraie na-ture contemplative de la fui» que l'on peut taire d'elle leprincipe d'un nouveau régime de connaissance à l'inté-rieur duquel s'inscrit la théologie ; que l'on peut intégrerdans la théologie la direction de la vie humaine etl'étude de la vie spirituelle dans toute l'étendue de sondéveloppement; que l'on peut enfin comprendre la jonc-

tion de la fonction positive et de la fonction spécula-tive de la théologie et fonder, dans les conditions denotre foi, In statut, sni-ial et ec'^ésiast'qus dî la poïi-tive.

Chez quelques-uns, la tendance à restaurer la liaisonde la théologie aux valcura de la foi et de la vie dansl'Église a tendance à dévier vers une théologie immé-diatement et intrinsèquement liée à la vie, inspiratricede la vie. La tendance y toujours 616 LréK furie, enAllemagne, d'unir et presque de fusionner vie et théo-logie, connaissance et expérience. Elle a repris unevigueur nouvelle, ces dernières années, dans le courantde la Lebenstheologie ou même dans celui qui, en liaisonavec le mouvement liturgique, préconise le retour auxPères et à une forme de théologie qui soit contempla-tion vécue autant que spéculation intellectuelle; cequi se joint à la tendance A ronrcvnir f invnntngo l»dépôt Oe la foi comme immanent à la vie de la com-munauté chrétienne et le travail théologique commess référant au Christ et lié a lo f i l a in Chrioto.

Enfin l'une des tâches de la théologie contempo-raine est d'assumer, sans déroger à son unité et auxlois de son travail, les données dus sciulit-as auxiliaireset en particulier des techniques documentaires et posi-tives : exégèse, archéologie, épigraphie, histoire desdogmes et dès Institutions, science des religions, phi-losophie de la religion, psychologie, etc. Il y a encorebeaucoup à faire à cet égard, et les exigences formu-lées en cette matière au cours de la crise modernisten'ont pas encore reçu, en ce qu'elles avaient de juste,une satisfaction complète. Cf. Draguet, dans Reuue.catholique des idées et des fa i t s , 14 février 1936, p. 16-17; L. Charlier, Essai sur le problème théologique,p. 153 sq.

Sur la question de la qualité scientifique de la théologie.1° (.'/le? (es protestants. — C.-A. nernouilli. Diru'issenschaitli-selie und die kircllliche Méthode m der t 'hrolliflir, l-'ribourg-en-B., 1.S97; sur la polémique qui a suivi, P. Kattenbuscll,art. Théologie, dans lit Proiesl. lïeuienciiklopàdie, t. xxi,191)a, p. 'JU7 iq.; IÎ.-I1. 1 l.ieimin, Du; A'iiii» lier lliuuluyl-sclien Fakulldl, Zurich, 1929. La réaction dogmatique etconfessionnelle inspirée surtout par la • théologie dialec-tit[iiB > prniifl .tiijnurfVliiii 1« ïontrepitil da Uuriioviilli etd'Overbeck, et aliirme fortement le cara '.tère essentielle-ment ecclésiastique de la théologie, laquelle est science dela Toi : cf. K. Pfeiinigsdorf. Dns Problem des theohiaischenDcnkrns. Eine Einliihrung lit die Frai/en, Aiilgaben undMelhoden der gvgenwarligen Théologie, Leipzig, 1925;K. Uartil, Die kirclilicite Dogmulik, t. i, 1" partie, Munich,lU.i2, dont le titre est déjà sig.lilicntit et qui, dos la p. 1,déclare : Théologie isl eine Funktion der Kirclie.

2° Chez les catholiques. — 0. von Hertiing, Dos Prinzipdes KuthillUimitus uiid illi! uiissm'scllilfl. GruildSiUfItelieErôrterung mis Aniass einer Tagesfruge, Fribourg-en-B.,1899; abbé Frémont, La religion catholique peut-elle être unescience! P.iriB, 18UUj Pi von Schunxi lai die Théologie cincWissenschull? Stuttgart et Vienne, 19UU; Chr. Pesch, Doskirriiliclii! Leilraiiit und die Freihcil der Illeologisclien Wissen-schaft. l'"'rihourg-t*n-B.. 1900î Dît1 Aiifgiihpn ttpr knîhnîïKi'hpnDaiJniatik im '•SU. lahrhundert, dans '/.eilsch. f . kathul. TIteol.,1901, p. 269-28.1; F'.-M. Sehindier, Die Stelliiiis der theologi-schpn Fakuttat im Organismus der U niversitat, Vienne, 1904;J . Uonat, Die Frellteit der Wissenschult, Inspruck, 191U;S. Weber, Théologie aïs freie Wissenachtilt, Fribouig-en-B.»1912; K. Adam, Gluube und Glaubenswissenschull im Kalho-lliisiiuis. Vurirage und Alllstttse, 2' éd., Hotirnililrg, IU23;G. HSitele,RieUerechtigunydertheologischenFcikiiltat im Or-ganismus der i'niversitat, l-'ribourg (Suisse), 1932; B. Posch-maiin» Der Whacnscitulhcharakter dti katliotischen 7'fieu-logif, Brestau, 1932; G. Rabeau, îiïtrodiiclioit à t'élude de lathéologie, Paris, 1920; P. Wyser, Théologie aïs W issenschult,S.ilzliniirg, t'an.

Sur la liquidation qui se tait des dissociations indûmentintroduites entre théologie et morale, théologie et mystique,tonetion spéculative et fonction positive : A. Gardeil. Ledonné révélé et la llifologie, Pails, 191U; toute l'œuvre duP. H. Garrigou-Lagrange et la revue La vie spirituelle;K. Eschweiler, Die zivei Wege der neueren Théologie, Augs-

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447 T H É O L O G I E . I N D I C A T I O N S DU M A G I S T È R E 448bourg, 1926, et en particulier le § 2 du c. iv; G. Rabeau,Introduction à l'étude de la théol; en particulier la 2" part.,c. l; M.-D. Chenu, Position de la théologie, dans Revue dessciences philos, et Iheul., l. xxiv, 1935, p. 232-257! J.-A.Jungmann, Die Frohbotschaft und unsere Glaubensverkûn-digung, Ratisbonne, 1936.

Comme signes d'une réintégration do la morale dansl'unité de la théologie, cf. ici, art. PBOBABILISME, t. xin,col. 615 sq. ; Mgr G.-L. Waflelaert, De méthode seu modo pro-cedendi in theologîa morali, dans Rphpm. t h f f ) ! . J.WÎW\,, t. l,1924, p. 9-14; Dumas et Merkelbach recensés dans Bulletinthomiste, avril 1932, p. 494 sq.; Fr. Tillmann, llandbuch derkalholischen Sittcnlehre, Dusseldorf, 1934 sq.

Sur la tendance à fusionner théologie et vie et sur laLebenstheologle : E. Krebs, Die Wertprobleme und ihreBehandiung in der katholischen Dogmatik, Fribourg-en-B.,191?; A. Rademacher, Religion und Letien, 2* éd., 19i!8;Th. Soiron, Heilige Théologie, 1935; A. Stolz, Chorisma-(iscfte Théologie, dans Der kalholische Gedanke, 1938, p. 187-19G; L. Dopp, Théologie aïs Lebeus-und Vulksdinisl, 1935;K. Adam, Von dem angebtichen Y.irkel im kalholischenLehrsiJstem oder son dem einem Weg der Théologie, dansWissenschatt und Weisheit, 1939, p. 1-25, et en généralcette revue fondée en 1934 par les franciscains allemands;E. Mersch,cité in/ra, col. 458; G. Kœpken, Die Gnosis desChristentums. Salzbourg et Leipzig, 1939. Pour une critiquade la Lebenstheotogie, cf. M. Koster, dans Theologische Re-vue, Ï939,co\. 41 sq.; comparer le n" de juillet 1935 de laRevue thomiste, intitulé « Théologie et action '.

I I I . LA NOTION DE THÉOLOGIE. PARTIESPÉCULATIVE. — I. Données et indications du ma-gistère. II. Idée et déntittton dé la théologie (col. 448).III. Problèmes de structure et de méthode (col. 462).IV. L'habitus de théologie et le point de vue du sujet(col. 483). V. Les divisions et les parties de la théo-logie (col. 492). VI. La théologie et les autres sciences(col. 496).

I. DONNÉES ET INDICATIONS DU MAOISTÈBE. —— II ya, sur la théologie, ses bases, sa règle, sa loi ou sa mé-thode, un certain enseignement du magistère del'Église. Nous nous en tiendrons, comme le font l'.Bn-chiridion symbolorum de Denzinger et l'EnchiridiondcricoTum de 1938, aux actes des grands conciles etsurtout à ceux du Siège apostolique. Leurs interven-tions se réfèrent à trois grandes crises de la penséereligieuse : l'nitruduclion de la philosophie aristoté-licienne au début du xini siècle, lettre Ah ^Egyptiis deGrégoire IX, en 1228, Denz., n. 442 sq.; le semi-rationalisme du XIXe siècle, condamnation de Hermès,Gttnther et Froschammer; lettre de Pie IX à l'ar-chevêque de Munich; concile du Vatican, Denz.,n. 1618 sq., 1634 sq., 1655 sq., 1666 sq., 1679 sq.;enfin la crise moderniste et les problèmes ou renou-vellements qu'elle engageait, pricypiiqnes Pnsrfnrti etCommunium rerum, Denz., n. 2086-2087 et 2120. A lasuite de cette crise un effort a été fait pour la réformeet le progrès de l'enseignement ecclésiastique; d'où uncertain nombre rie documents récents, qu'on trouveradans VEnchiridion clericorum. Documenta Ecclesises.acrorum alumnis instituenilis, Rouir, 1938; voir enparticulier la constitution Deus scientiamm Dominus,qui, en 1931, a fixé le statut de l'enseignement dessciences sacrées dans les universités ecclésiastiques.

Voici, en bref, les dispositions relatives à la théologiecontenues dans ces documents. La base ou la sourcede la théologie n'est pas l'évidence rationnelle, maisla foi surnaturelle aux mystères révélés par Dieu,Denz., n. 1619, 1642, 1656, 1669 sq.; son âme, ditLéon XIII, est l'Écriture sainte. Enchir. der., n. 515.L'encyclique Pascendi insiste sur l'erreur qui consis-terait à subordonner la théologie à une philosophiereligieuse, et sa partie positive à la pure critique his-torique. Denz., n. 2087, 2104. La règle de la penséethéologique est l'enseignement de l'Église et la tradi-tion des Pères. Denz., n. 1657, 1666 sq., 1679. Aussimet-on avec insistance les théologiens en garde contre

les dangers de l'innovation, non seulement dans lapensée, mais même dans les expressions. Denz.,n. 320. 442 sq., 1657-1658, 1680, 1800 (où l'on voitque la tradition n'exclut pas le progrès). Enfin, onprend formellement la défense de la théologie scolas-tique médiévale, laquelle n'est ni périmée, ni inclinéevers le rationalisme. Denz., n. 1652, 1713; Enchir.der., n. 414 sq., 423, 602, 1132, 1156. De plus, tout enaffirmant la nécessité d'une méthode positive, on enmarque les limites et on affirme très fortement la né-cessité d'y joindre une méthode spéculative. Enchir.cler., n. 806 (Paseenât), 1107 et 1133 sq. (Benoît XV),1156 (Pie XI). Au demeurant, après avoir signalé lesdangers ou condamné les erreurs, on nous propose uneformule positive de ce qu'on pourrait appeler le statutou la charte de la théologie.

La raison, éclailée pai la fui, lur&qu'ellB su livre à lurecherche avec zèle, piété et mesure, peut, par le secours deDieu, arriver à une très fructueuse intelligence des mystères :tant en usant de l'analogie dce réalités déjà connuoc parnotre esprit, qu'en considérant les liens que les mystèreseux-mêmes ont entre eux et avec la destinée humaine.Cependant, jamais notre raison n'arrivera à connaître ceschoses de la manière dont elle connaît les vérités qui cons-tituent son objet propre... Concile du Vatican, sess. lu,c. iv, Denz.-Bannw., n. 1796.

Dans les Adnolationes des théologiens au texte duschéma préparatoire (c. v) qui correspond à ce textedéfinitif, nous lisons des préci-sion", qui, pour ne pasémaner de l'autorité dogmatique de la hiérarchie, n'ensont pas moins spécialement autorisées :

Une connaissance ou science purement philosophique desmystères est exclue... Mais il est une autre science quiprocède des principes révélés et crus par la toi et qui s'ap-puie sur ces principes. Loin de nous d'exclure une telleconnaissance fintelligentia), qui constitue une grandepart de la sacrée théologie. Dans celle-ci, la toi étant sup-posée, on recherche comment les ventés sont proposéesdans la Révélation : et c'est la théologie positive (commeon dit); à partir de là, en assumant également des véritéset des principes rationnels, on aboutit (deducilur) à un»certaine intelligence analogique des choses connues par laRévélation et de ce qu'elles sont en elles-mêmes : Fidesqnarens in(e(iw(""i, ït t'sst la thé'îl'îgiî sp^tulativ». Danccette discipline, c'est le sens des dogmes tel qu'il se trouvedans la Révélation et que l'Église le déclare, qui est lanorme de ce travail de purification et d'amenuisement(expolimdœ) que doivent subir les notions philosophiquespour être appliquées à cette intelligence des mystères,comme l'ont toujours pratiqué les Pères et les théologienscatholiques; ce n'est pas, à l'inverse, aux notions purementnaturelles de la philosophie qu'on accommoderait un sens desdogmes différent de celui qui se trouve dans la RévélationiBlla quy l'Êgllsiy la comprend Hl lu propost". C'esl pourquoiil est dit que • dans les choses de la religion, la raisonhumaine et la philosophie ne doivent pas régner, maisservir "i G'oat pourquoi encore on a écrit» alin d'éviter unefausse interprétation du décret... Mansl-Petit, Concii., t. L,col. 84-85; Th. Granderath, Constitiitiones dogmat. S. œc.canniit Vatican!..., Fribniirg-Bn-Rr., 1S92, p. »f).

Dans les documents récents on souligne la nécessitéd'une préparation philosophique soignée, pour lathéologie, et le rôle que sont appelés à jouer, dans laconstitution de cette théologie elle-même, les disci-plines philosophiques : cf., pour le premier point,Enchir. cler., n. 480 (Léon XIII), 805 et 810 (Pas-cendi), 1126 (Benoît XV), 1155, 1190 (Pie XI), 840(r.nnsist.nriflie) ; nnnr Ip-sfirnnfl nninr , n - 404 (T.pnn X T T T ^Mterni Patris), 1130 (Benoît XV), 1156 (Pie XI).

II. IDÉE ET DÉFINITION DE LA THÉOLOGIE. —— /. QE-SÈaE ET IfÊOBSaiTÉ DB LA TUÊOIiOdIB : nULOBOrHIE,FOI ET THÉOLOGIE. — II nous faut situer la théologiedans l'économie générale de la connaissance de Dieu :connaissance divine, roiiiiaiss.aiiL'e lniiiluinu ut uuii-naissance théandrique. Dieu est connaissable de deuxmanières : selon son mode à lui et selon notre mode à

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449 T H É O L O G I E . G E N È S E ET NÉCESSITÉ 450nous, chaque nature ayant son mode propre de con-naissance, déterminé par son objet connaturel.Ct. saint Thomas, In J-61 Sent., prol., a., 1 sol. etad l'™; a. 3, sol. 1; In II"", prol.; /n Boet. de Trin.,prol., q. n, a. 2; q. v, a. 4; Con(. Gen(., 1. I, c. ni etvin; 1. TI, c, iv; I. IV, c. i; Sum. thwl; I», q. xn, a. 12.

Dieu, qui est l'Être même et l'Infini parfait, a pourobjet propre et connaturel soi-même; le mode de saconnaissance est de se connaître lui-même intuitive-ment et les autres choses à partir de lui et en lui,comme des participations de lui-même. La sciencedivine suil ainsi, parce qu'elle le créé, l'ordre en soides choses et de leur intelligibilité.

Notre objet connaturel, qui est au niveau de notrepropre ontologie, est la quiddité des choses sensibles,la nature des choses physiques. Notre connaissance vade l'extérieur à l'intérieur, des choses moins premièreset moins intelligibles en soi aux réalités plus premièreset plus intelligibles. C'est ainsi qu'elle atteint Dieu,comme causp. efncipnte, exemplaire et finale des chosessensibles, dans une connaissance analogique, liée à sonobjet connaturel, la quiddité des choses sensibles. Ona, depuis le xv siècle, acmble-t-il, donné le nom de« théologie naturelle » à cette connaissance de Dieu parla raison à partir de la connaissance que nous avonsdes choses créées.

La connaissance que Dieu a de lui-même est, pargrâce, communiquée aux hommes. Elle l'est d'unemanière parfaite, pour autant du moins que cela estpossible à des créatures et d'une façon qui comportedes degrés, dans la vision béatiflque. Elle l'est d'unemanière imparfaite dans la toi surnaturelle. La toi est« une réalité des choses que l'on espère, une fermeassurance de celles qu'on np. voit pas « Hebr., xi, 1.Elle est une puissance de perception des objets ouplutôt de l'objet connaturel à Dieu lui-même. Mais, sielle est une « ferme assurance », si elle est le germe dela vision et si elle a en soi, dès maintenant, l'efficacitéd'atteindre le mystère de Dieu lui-même comme objet,la connaissance de la foi est cuiidiLiundée en nuu*, parune communication extérieure d'objets, qui s'opèrepar la Révélation. Dieu se dévoile à nous et nous parledé lui; 11 le tait en une manière proportionnée à notrecondition d'hommes, c'est-à-dire, d'un côté, selon unmode collectif, social, d'un autre côté, en un langaged'hommes, en des images, des concepts et des juge-ments pris parmi les nôtres. Dieu choisit, dans lemonde de notre connaissance naturelle, des choses, riesconcepts et des mots qu'il sait et qu'il nous garantit,par le fait, être des signes non menteurs de son propremystère. Ainsi est-ce à travers des images» des concepts et des jugements de même type et de mêmeextraction que les nôtres, que notre foi passe pouradhérer au Dieu même qui est notre destinée totale.Ce n'est que dans les images, les concepts et les for-mules de la Révélation et du dogme que la foi peutpercevoir son objet; mais, à travers la précarité etl'insuffisance des voiles verbaux qui ne révèlent Dieuqu'imparfaitement, la foi tend à une perception moinsimparfaite de Dieu; cf. S. Thomas, 25e verit., q. xiv,a. 8, ad 5°°1; ad 111"»; Sum. theol., II'-II", q. l, a. 2,ad 2""; In IH"" Sent., dist. XXV, q. i, a. 1, sol. 1,ad 4°111; ir-II", q. i, a. 6 : Articulus est percepfiodivinee veritatis, tendons in ipsam.

Cette tendance à une perception plus complète dela vérité divine s'opère dans une activité de l'hommecroyant répondant à l'avance de Dieu. Dans cetteactivité le croyant achève l'œuvre de Dieu en joignantvitalement son activité au don qu'il a reçu. Ainsivoyons-nous naître une troisième connaissance deDieu, qui n'est plus ni purement divine, ni purementhumaine, mais divino-humaine ou théandrique. Cen'est plus la connaissance purement philosophique de

DICT. DE THEOL. CATHOL.

Dieu, obtenue par notre seul effort et limitée à ce queles créatures nous disent de lui. Ce n'est plus la con-naissance propreinçnt divine communiquée dans lavision intuitive et, ici bas, d'une manière inchoativeet Imparfaite, dans la foi. C'est une connaissance qui,partant de la foi et en exploitant le donné, tend, par uneffort où l'homme apporte à Dieu une réponse active,à mieux percevoir l'objet divin livré dans la grâce etles énoncés! de la fol.

Mais cet effort de perception de l'objet révélé peutse faire par deux voies différentes qui sont, aussi bien,les deux voies du progrès dogmatique : il peut se tairepar la voie de la contemplation surnaturelle, sur labase d'une union affective à Dieu: ou bien par la voisde la contemplation ttléologique, sur la base d'uneactivité de connaissance de mode rationnel et discursif.r.fis rtfliix voies sont caractérisés» par deux manièresdifférentes de posséder le principe, qui est Dieu en sonmystère surnaturel. Dans le premier cas, l'âme le pos-sède ot lui est unie par mode d'expérience; elle pénètredavantage l'objet de la foi par la charité; ce n'est pastant elle qui travaille le mystère de Dieu que ce mys-tère qui la travaille intérieurement, se là rendantvitalement accordée, conforme et sympathique. Dansla théologie de saint Thomas, cette activité de per-ception par mode vital est attribuée plus spécialementaux dons du Saint-Esprit, surtout aux dons d'intelli-gence et de sagesse. Sum. theol., II*-II", q. iv, a. 8,ad 3'"-; q. vin, a. 5, ad 3™.

Dans la seconde voie, on possède Dieu en son mys-tère, non plus dans l'ordre ris la pnnnatnralitp v'ta1'?,mais dans celui de la connaissance, qui est celui d'uneconformité intentionnelle à l'objet. La pénétration decelui-ci se tait par un travail proprement rationnel, oùnous sommes actifs et non plus passifs et où chacunpeut profiter du travail d'autrui et communiquer sespropres acquisitions. L'amour, cerlus, inlarvieiil dansce travail, mais c'est seulement comme en toute acti-vité, à savoir comme moteur. Sum. theol., I*-II",q. XXvtll, a. 2, corp. ; UMl", q. n, a. lll,corp. Formel-lement, la pénétration de l'objet se fait par l'activité,avec les ressources, selon les lois et les méthodes del'intelligence ou, plus précisément, de la raison. C'està cet ordre qu'appartient la théologie, qui est contem-plation proprement intellectuelle et de mode ration-nel des enseignements de la foi. Cf. Sum. theol., I",q. i, a. 6, ad S""'; II'-II", q. XLV, a. 1, ad 2"". Dans lacontemplation, théologique, la foi se développe etrayonne dans l'homme selon le mode de celui-ci, quiest rationnel et discursif; elle se développe et rayonnedans sa raison, y prenant la forme et obéissant nus.exigences d'un savoir humain. Parmi ces exigences, ilen est deux surtout qui donneront à la théologie sonallure propre : une exigence d'ordre et une exigenced'unité dans les objets de connaissance.

1° Exigence d'ordre et de hiérarchie. — D'un côté,Dieu a fait toutes choses avec ordre et mesure. Cetordre procède de la science créatrice de Dieu. De lascience de Dieu, cet ordre passe non seulement dansses œuvres, mais dans sa Parole, qui nous communiquequelque chose de cette science : ainsi, tandis que nousdéchiffrons quelque fhn'.p. de l'nrd"; <lç la ÇT'éat"?n etde la science de Dieu dans le i livre de la nature », nousen recevons une autre connaissance dans la Révélationù laquelle nous adhérons par la foi. Or, cette foi estcelle d'un homme dont la raison porte dans les objetsqui lui sont proposés de légitimes exigences d'intelli-gibilité el d'ordre. La fui n'est pas de la compétencede la pure raison, mais, de quelque manière qu'il lareçoive, lorsque l'homme s'y est ouvert, elle réclamede lui la soumission de tout lui-même et occupe jusqu'àsa raison. Celle-ci ne peut donc refuser de l'accepteret, puisqu'elle ne peut davantage abdiquer les exigen-

T. — XV. 15.

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451 T H É O L O G I E . ACTIVITÉ DE LA R A I S O N 452ces de lumière et d'ordre qu'elle a reçues de Dieucomme sa loi constitutive, elle est bien obligée d'ap-porter, dans la considération des objets de connais-sance nouveaux que la foi fait habiter en nous, sesexigences natives d'intelligibilité et d'ordre : exigencesauxquelles l'œiiv'rp. dp, nier, la Parole de Ditu, laRévélation et la foi ont de quoi satisfaire. Ce qui estdonné simplement à l'homme pour son salut, sa raisondevenue croyante le considérera à sa manière à elle,l'explicitera, le traduira en concepts et en définitionsconformes à ses besoins, le construira surtout en uncorps ordonné de vérUés. ut d'énuncés où ce qui estpremier en intelligibilité sera donné comme fondementà ce qui est second, la hiérarchie des choses se recons-truisant ainsi en un ordre qui s'eil'orce de reproduire,en en cherchant les indices dans les choses et dans laRévélation, l'ordre de la science créatrice de Dieu. Nousverrons bientôt à quoi ce programme engage.

2° Exigence d'unité. — La seconde exigence est en-core commune à la foi et à la raison • c'pst ppllp riel'unité dans les objets de connaissance. D'une part, eneffet, la raison ne peut admettre la théorie de la doublevérité; elle ne se résoudra jamais a penser que ce quiest certain et démontré pour elle dans l'ordre de lavérité spéculative, puisse être nié ou contredit par lafoi. Aussi cherchera-l-elle toujours à eonsl.il.uer unecertaine unité avec les connaissances qu'elle tient deses évidences ou de ses démonstrations et l'apportnouveau d'objets et d'énoncés dont la foi est en ellela source. S'il lui est révélé que Dieu s'est fait homme,elle cherchera à penser ce mystère avec ce qu'elle saitde l'homme; et de même appliquera-t-elle aux sacre-ments, à la morale évangélique, à la théorie de la jus-tification, etc., les différentes notions qui lui semblentintéressées par les réalités que la foi lui fait tenir. Or,cette foi, de son côté, n'est pas moins exigeante d'unitédans 1a conna's'îance. Elle est, en efîet, dans le croyant,non pas un domaine à part et comme une nouvellespécialité qui viendrait s'ajouter aux autres et leurdemeurerait étrangère; elle est une nouveauté, maiselle est aussi totale et, modifiant l'homme tout entier,elle tend à se subordonner et à s'annexer en lui toutce qu'il y u de connaissances certaines comme tout cequ'il y a d'activité morale. Et par exemple. Dieu nepeut pas, en elle, se révéler comme devenu homme sansque les certitudes authentiques de l'esprit au sujet dece qu'est essentiellement un homme, ne se subordon-nent à cette révélation et ne demandent à entrer, avecle mystère révélé, dans un ordre de connaissance quisoit un.

Par ailleurs la confrontation prifrp Içs choses révé-lées et les acquisitions rationnelles, entraîne fatale-ment des heurts, au moins apparents. Nouvelle néces-sité, pour le croyant, de mettre ;ia raison en rapportsavec sa foi et de lui faire exercer, à l'égard de l'ensei-gnement chrétien, une activité de défense qui est unenouvelle forme rt'apiJlicatiun de lu raison aux choses dela foi. A ces différents titres, l'enseignement révélé sedéveloppe et rayonne dans la raison humaine commetelle et tend à prendre une forme proprement ration-nelle, discursive et scientifique, qui est la théologie.

//. LA LUMIÈRE DE LA THÉOLOGIE ET LES D I F F É -RENTES FORMES DE L'ACTIVITÉ DE LA RAISON DANSLA FOI. — Nous pouvons, ayant vu sa genèse et par làmême sa nécessité, définir quelle est la lumièrp proprpde la théologie, son lumen sub quo. C'est la Révélationsurnaturelle reçue dans la foi, en tant que s'exprimantet se développant dans une vie intellectuelle humainede forme rationnelle et scientifique : Reuelalio virtua-lis, disent les commentateurs de saint Thomas depuisBaiiez. Ce n'est donc proprement ni la lumière dr laraison, car la théologie ne vit que de la foi, ni la lu-mière de la foi, car la théologie se constitue par une

activité rationnelle s'appliquant au donné de la foi,mais c'est une lumière qui se forme par l'union vitaleet organique des deux : In lumière rip. la fni pn tantqu'elle se conjoint celle de la raison, l'informe, ladirige et se sert d'elle pour constituer son objet en uncorps de doctrines de forme rationnelle et scientifique.Cet usage de la raison dans la foi, qui est l'oeuvre théo-logique, se fai t de différentes manières, qu'il nous fautexposer rapidement.

1° Établissement des « prseambula fidei ». — Une pre-mière manière est de fournir des démonstrations ra-tionnelles rigoureuses des préambules de la foi : exis-tence de Dieu, unité de Dieu, création ex nihiln, im-mortalité de l'âme, etc. S. Thomas, In Boet. de Trin.,q. n, a. 3; In I I I ' " » Sent., dist. XXIV, a. 1, sol. 1.

2° Défense des vérités chrétiennes. — Une secondemanière concerne la défense des vérités (•hrétip.nnps,et elle comporte deux activités différentes : une acti-vité s'appliquant à démontrer la crédibilité rationnelledu dogme et du mas'stèlc catholiques pris dans leurensemble, cf. ici, art. CRÉDIBILITÉ, t. ni, col. 2201 sq.,une activité s'appliquant à défendre chacun desdogmca pria en particulier. La première activité f;iitl'objet d'une partie spéciale de la théologie, l'apologé-tique, on théologie fondamentale. La seconde se répar-lil tout au long de la théologie; 11 revient, en eltet, acelle-ci, après les avoir contemplés et construits ration-nellement, de défendre chacun des dogmes en parti-culier contre les objections de la raison ou des scienceshumaines. Dans cette activité de défense particulièrede chaque dogme, la théologie ne peut apporter depreuves rigoureuses, positives et directes de la véritédes mystères; elle peut seulement suggérer la conve-nancp rntinnnçlle de ces mystères, et montrer, en résol-vant les objections proposées, qu'il n'est pas absurdede tenir, par la foi, la vérité de ces choses. S. Thomas,In Boet. de Trin., q. n, a. 1, ad 5""; a. 2, ad 4""'; a. 3;Suffi. theol., P, q. i, a. 8; Cont. Cent., 1. I, c. vin et ix.C'est aussi ce que suggèrent les interventions du ma-gistère condamnant Rosruini pour avoir voulu démon-trer indirectement la possibilité de la Trinité. Denz.,n. 1915.

3° Construction du révélé. — Mais la manière de beau-coup la plus importante dont le travail rationnel s'ap-plique à l'enseignement chrétien se réfère à la cons-truction intellectuelle des mystères en un corps de doc-trine. Car les mystères sont cohérents entre eux etcohérents aussi avec les réalités nntnrc l lps pt les pnnn-cés certains de la raison. C'est de cette connexion desmystères entre eux et de cette sorte de proportionqu'ils ont avec IOB choscc que nous connni;jaoir'i, quevit la théologie; ce sont elles qui, sous le nom d'ana-logie de la foi, inspirent la charte donnée par le conciledu Vatican au travail tiléulugiqur. Cf. dicurti (jlll'ycl.Provident issimus, Dcnz., n. 1943; serment antinioder-niste, Denz., n. 2146.

1. Rôle de l'analogie. — Aliquam mystcnorum tnicl-ligentiam ex eorum quse naturaliter (ratio) cognoscitanatogia. Il ne s'agit pas ici de démontrer les mys-tères, mais, ceux-ci étant connus par la foi, de s'enprocurer quelque intelligence en recourant aux choses,aux lois. aux rapports qui nous sont connus ration-nellement et avec lesquels les mystères ont une cer-taine similitude ou proportion. Cette justification re-pose tout entière sur la validité de la oonnai6Banoeanalogique et donc, d'une part, sur l'unité relative ouproportionnelle du monde naturel et du monde surna-turel et, d'autre part, sur la portée transcendante dela connaissance humaine. Ce second point est unequestion de philosophie. Le premier aussi pour unepart, car II est lié à notre Idée d'être, aux exigences età la justification de cette idée; mais il est aussi unevérité théologique, découlant de la Révélation :

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453 T H É O L O G I E . A C T I V I T É DE LA R A I S O N 454d'abord du fait même d'une Révélation formulée ennotions et en mots empruntés à notre monde de con-naissance; ensuite de certaines affirmations significa-tives de l'Écriture selon lesquelles le Dieu révélateuret sauveur, le Dieu de la foi et de la vie nouvelle estaussi et identiquement celui qui a créé le monde denotre connaissance et de notre vie naturelles ; cf. Hebr.,l, 1 sq. et Joa-, i, 1 sq. Encore que le monde surnaturelsoit constitué par une participation toute nouvelle àla vie intime de Dieu, les deux créations ne laissent pasd'être l'une et l'autre de l'être, l'une et l'autre desparticipations de Dieu, et donc non seulement nepeuvent se contredire foncièrement, mais sont reliéespar un certain ordre.

Voilà pourquoi la raison de l'homme peut véritable-ment s'unir à la foi surnaturelle et devenir une puis-sance de connaissance originale et nouvelle qui n'estplus ni la simple foi, car elle raisonne, ni la simple rai-son, car elle applique son activité à un objet tenu parla toi surnaturelle, mais qui est la raison théologique.

Sur l'analogie elle-même, cf. ici, art. ANALOGIE, t. i,col. 1112-1151; T.-L. Penido, Le rôle de l'analogie en théo-logie dogmatique, Paris, 1931; R.-.VI. BrucklJBl'yar, L'i'trsvaleur révélatrice de Dieu, dans ïîeuiie thomiste, 1937» p. 201-226. — Sur l'analogie comme tondement de la théologie,cl. A,. Gardait, Le donné réiléle, c. li K, Przywara, Religions-philosopliie kalholischer Théologie, 1926; Analogia entis, 1.1,1932; C. Feckes, Die Analogie in unserem Golteserkennen,ilire metaplivaische und reliyiose Bedeutuny. dans le recueilProblème der Gotleserkenntnis, Munster, 1928, p. 132-181;R. Grosche, La notion d'analogie et le problème tiléologiqued'aitiourd'Ilui, dans Henue de pliilos., 1935, p. 3U2-312;L. Cliarlier, Essai sur le problème tlif.ologique, p. 84 sq.;P. Wyaer, Tlieulogie aïs Wissensclialt, p. 99 sq.

2. Connexion des mystères. — Tiim r miJsle.rinnimipsorum nexu inter se et cum fine hominis ullimo.L'Église attache une grande importance, pour l'intel-ligence que la rai&on croyante, avec l'aide de Dieu,peut obtenir des mystères, à la contemplation desrapports que ces mystères ont entre eux et avec la findernière de l'homme.

De fait, quand on cherche ce qui donne aux écritsdogmatiques ou moraux des Pères leur plénitude, ontrouve que c'est principalement leur sens de la con-nexion et de l'harmonie vivante des dogmes. Ils onteu ce sens, parce qu'ils ont vécu et pensé dans l'Église,qu'ils ont écrit pour répondre aux besoins de sa vieet qu'ils reflètent ainsi dans leurs œuvres la conscienceque l'Église a de sa toi. Quand les Pères exposent unpoint de la Sainte Écriture ou de la doctrine catho-lique, on a le sentiment que tout le reste, qu'ilsn'exposent pas, est prosent dans le point particulierdont ils traitent. Cf. M.-J. Congar, L'esprit des Pèresd'après Môhler, dans la Vie spir., avril 1938, Suppl.,p. 1-25; L.-A. Winterswyl, Athanasius der Grosse, derTheologe der Erlûsung, dans Die Schiidgenossen, t. xvi,1937, p. 202-271.

La forme plus scientifique que la théologie a prisechez les grands scolastiques est nécessairement plusanalytique que n'étaient les écrits des Pères; moinsliée à la vie immédiate de l'Église, elle est plus pure-ment scientifique ou didactique. Ainsi, d'une part, uneélaboration plus poussée des doctrines et, d'autrepart, une distribution plus fragmentée de ces mêmesdoctrines rendent moins aisée, dans la théologie deforme scientifique, cette contemplation des mystères.Dans certains manuels issus d'une scolastique souventabâtardie, les doctrines ont été souvent divisées ena thèses » et présentées à l'état morcelé, inorganique.Cf., sur et contre cet état de choses, J.-B. Aubry, Essaisur /a méthode des éludes ecclésiastiques, Lille, 1890 sq.;F. LeiKiir, La théologie du ,r/-r« siècle. Parts, 1893,p. 29, etc. Aussi, des théologiens de la valeur de Schee-ben attachent-ils une grande importance à la présen-

tation organique des doctrines. Dogmatique, n. 887 sq.Cette exigence était satisfaite chez les grands scolas-tiqlifts. Kilft troiivn.it- satic.ftiptînn <lim*ï Içur souci d'unplan d'ensemble et dans leur détermination de l'unitéde matière ou de « sujet » de la théologie. Il serait troplong de montrer ici comment l'admirable plan de laSomme de saint Thomas répond à ces exigences. Maisil est certain que le plan des Sentences d'abord, baséà la fois, sur lys fatégurit", augustinn'nucs du res elsigna et de fmi et uti, puis le plan des autres traitéssystématiques, Compendia ou Summse, ont été etdemeurent des éléments de VinleUectus f i d e i , des ins-truments de doctrines, par l'harmonie qu'ils décèlentet expriment entre les mystères révélés. Que le mystèrede l'incarnation, par exemple, soit compris commel'achèvement et le moyen de notre retour au sein duPère et qu'il soit ainsi mis en rapports avec Iss mys-tères de la Trinité, des « missions divines », de la grâce,de l'homme-image de Dieu et de tout son équipe-ment de vertus théologales ou moruicB et do donc oude charismes, enfin des sacrements, de la prédestina-tion, de la filiation adoptive, du jugement..., cela,évidemment, importe grandement à l'intelligence quele croyant peut prendre de ce mystère et de tous lesautres. Cette mise en rapports des mystères les unsavec les autres donne à la théologie un de ses procèdesles plus féconds de développement et d'élaborationdes doctrines.

On comprend enfin que le concile ait fait une men-tion spéciale du rapport des mystères ù la fin dernièrede l'homme. Car ce rapport intéresse immédiatementla place de telle doctrine particulière dans l'économiede la Révélation. Il y a des choses, dit saint Thomas,qui «.ont matière à r'îvéliiti'ïit, et donc objet fuvd de latoi et principes de la théologie, principaliter, secundumse, proprie et per se, directe, en raison même de leurcontenu, et d'autres qui ne le sont que in ordinc adalia, par le rapport d'application ou d'illustrationqu'elles ont aux précédentes. Or, les choses qui tom-bent sous, la Rûvélalum divine el inléiesseiil la toidirectement se résument, d'après saint Thomas, en

'id per quod homo beatus e f f i c i tu r , à savoir le doublemystère ou la double « économie » : le mystère néces-saire de la fm,quorum visione perfruemur in vita seterna,et le mystère libre des moyens, per quse ducimur invitam œlernam. Sum. tbeol.. II»-!!"', q. i, a. 6, ad l'"11;a. 8, corp.; q. n, a. 5, corp.; a. 7, corp. Doctrine pro-fonde, qui fait de notre béatitude, de In vérité sm notrpdestinée totale, l'objet direct de la Révélation et doncde la toi, du dogme et de la théologie et, pourrions-nous ajouter, de la compétence du ministère ooclor.inntique. Traduction technique, mais si fidèle, de la défini-tion paulinienne de la toi comme substantiel reriim spe-randarum.

Nous pressentons ici déjà combien peu la théologieconsiste en une pure application de la philosophie àun donné, nouveau; elle est vraiment une « science reli-gieuse », ayant un objet qui, techniquement et dans sacondition épistémologique même, se réfère à notredestinée. D'où ce titre spécial d'Intelligibilité qui re-vient à cette science, au témoignage du concile duVatican, d'une considération de chaque doctrine dansson rapport à la fin dernière de l'homme.

Dans cette pénétration et cette construction intel-lectuelles des mystères, tant à partir de ce que lemonde de notre connaissance naturelle peut nousfournir d'analogies, que par une mise en valeur desrapports que ces mystères ont entre eux et avec lafin dernière de l'homme, les interventions de la raisonpeuvent prendre différentes formes, qu'on peut, sem-ftle-t-ll, ramener à trois : la simple explication durévélé, la raison de convenance, la déduction de con-clusions nouvelles.

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455 T H É O L O G I E . SON OBJET 456a ) La simple explication du révélé. — C'est une

fonction très fréquente de la raison en théologie.Cette explication peut être cherchée intrinsèquementou extrinsèquement au révélé lui-même.

a. Explication intrinsèque. — Elle consiste surtoutà donner, des réalités révélées, une notion plus pré-cise, parfois même une définition répondant aux exi-gences d'une logique rigoureuse. Exemples : le dogmeénonce que le Christ est assis à la druHe du Père; ilrevient à la théologie d'expliquer, en raisonnant le cas,ce que signifie cette « session à la droite », voir parexemple, Sum. theol., 111*, q. L.VIII. Uans des cas de cegenre, le travail théologique est assez proche de lathéologie biblique et de la catéchèse; il est biencependant dans son rôle de sacra doctrina et nombrede questions, dans la Somme de saint Thomas, répon-dent à cette fonction. Autre exemple, nu l'p.lahnra,ti"nscientifique est plus nette : la théologie de la primautéet de l'infaillibilité pontificales, en tant qu'explicationdes textes bibliques qui les énoncent, Matth., xvi,15-20; Luc., xxn, 31-32; Joa., xxi, 15-17, ou desformules du magistère. Dans les cas majeurs, l'expli-cation ira jusqu'à donner de la réalité révélée unedéfinition techniquement rigoureuse.

b. Explications extrinsèques. — II revient aussi à lathéologie, se tenant en cela très près de la catéchèse, defournir, dans des analogies prises de notre monde, desexplications qui sont moins une formule élaborée durévélé qu'une manuductio, un adjuvant pédagogiquesuggérant au fidèle l'intelligence du dogme. Cet usagepédagogique des analogies naturelles est à distinguerde l'usage précédent et des usages qu'on va dire : dansle premier, en effet, les analogies seront utiliséespour leur contenu intrinsèque de vérité, même fii cettevérité n'est pas entièrement adéquate; les analogiespédagogiques, elles, sont des auxiliaires du dehors etleur rôle est relativement indépendant de leur valeurintrinsèque. C'est pourquoi, d'une part, nous conti-nuons, en théologie, à employer de vieilles manuduc-liones comme celles qui sont empruntées à la cosmo-logie ancienne, par exemple à l'idée de lumière commemilieu physique, tandis que, d'autre part, nous pou-vons en emprunter de toutes nouvelles qui, n'ayantpas encore tait suffisamment leurs preuves de vérité,ne sauraient être introduites comme élément d'ex-plication dans la science théologique elle-même.

b) Arguments de convenance. — Ils forment, et debeaucoup, la part la pins irnportante des arguments dela théologie et comme le domaine approprié de cettescience. Ils consistent, en effet, à exploiter l'accordqu'un fait chrétien surnaturel connu par révélation,possède avec la marche générale, les lois et les struc-tures de notre monde à nous. Cet accord est suscep-tible de degrés turi divers, l'élément qui nous estnaturellement accessible ne représentant parfois, qu'unécho lointain de la réalité ou du fait révélés, maispouvant représenter aussi une donnée si homogèneaux choses chrétiennes qu'on tient presque, dans la loiou l'essence naturellement connues, une explicationvéritable de la donnée révélée. De toute façon, laraison ou l'analogie apportées ne sont pas une preuvedirecte du fait surnaturel; elles donnent. sRiilcrnent desmotifs de penser que ce fait est vrai et, à ce titre, doi-vent être rangées dans la catégorie du « probable »;cf. S. Thomas, Con(. Cent,, 1. I» c< ix; Sum. thcol.,II'-II", q. i, a. 5, ad 2aB; elles offrent, comme il estdit encore, ibid.,etCont. Gent.,l.l,c. vin, feras similitu-dines, rationes uerisimiles, qui nous permellent, le taitsurnaturel nous étant donné, de le concevoir de quelquefaçon. On peut noter à ce sujet que le vocabulaire desPères et dès grands scolastiques ne doit pas noustromper et que souvent ce pour quoi ils parlent denecessarium, necesse est, palet, etc., n'engage que la

convenance. Quand saint Thomas, pour rendre théo-logiquement compte du fait de l'incarnation rédemp-trice, fait appel & la métaphysique du bonum d i f f u s !vum sui, Sum. theol., III», q. i, a. 1, il n'entend pasprouver le fait de l'incarnation et sait très bien quel'application de ce principe dans le monde iiuriialuralest soumise à la libre initiative de Dieu, In I I I ™ Sent.,dist. XXIV, q. I, a. 3, ad 21"'1; mais, dans la mesureOÙ un principe Si éléVé s'applique à la vie même deDieu, on peut légitimement lui demander de nousmanifester ce que le mystère recèle d'intelligibilité :l'analyse ne rend pas raison du tait; garantie par lasagesse de Dieu qui accorde toutes choses dans unmonde fait par elle à deux étages, elle tend à rendreraison de ce qu'il y a d'intelligible dans le fait.

Le procédé rendra pleinement dans les cas où l'ac-cord entre le fait chrétien et la loi naturellement connue viendra en réalité d'une communauté essentiellede structure et donc d'une réelle unité de loi. Le cas seprésente quand on atteint par la raison naturelle à laconnaissance d'une forme et de ses lois essentielles,qui resteront telles sous les divers modes où cetteforme pourra être réalisée. C'est lé cas de notre con-naissance de la nature humaine, en sorte qu'il fautnous attendre à trouver de telles explications de struc-ture dans les différentes questions que pose, même enrégime chrétien, cette nature : anthropologie, morale,christologie, voire expérience mystique.

c ) Raisonnement théologique déductif. — L'explica-tion du révélé prend souvent la forme d'un raisonne-ment. par lequel l'esprit dégagç Iç eontînu plus oumoins enveloppé de l'enseignement chrétien : elledevient une explicitation. Il arrive qu'on expliciteainsi des vérités qui étaient réellement, bien que nonmanifestement, révélées. Il arrive encore, et c'est le casle plus fréquent, que l'on se donne, par un détour ra-tionin'l, une vérité qui ulalt révélée par ailleurs, maissans que cette révélation fît connaître ses connexionslogiques ou sa raison métaphysique. Ainsi dans le syl-logisme suivant :

Ce qui est spirituel n'est pas dans un lieu.Or Dieu est spirituel.Donc Dieu n'est pas dans un lieu.

Il arrive aussi, surtout quand on introduit dans leraisonnement une prémisse dé raison naturelle, qu'onobtienne une vérité nouvelle qu'on ne saurait préten-dre révélée. Soit ce raisonnement, inspiré de saintThomas, Sum. iheo!., III*, q. xvn, a. 2 :

L'être est attribué à la personne.r>r, ds\m le C.hriït, il y a unité dî psrsonns,Donc, dans le Christ, il y a unité d'être.

La conclusion est une acquisition nouvelle, qui faitsi peu partie du donné de la foi que les théologiens nes'entendent pas à son sujet. Elle est obtenue non seu-lement grâce à un raisonnement formel, mais grâce àl'intervention, dans la constitution même de l'objetfinalement connu, d'une quantité rationnelle, d'unecertaine philosophie de l'esse et de la personne, laquelleest bien assumée pour son contenu et selon son con-tenu intrinsèque de vérité. Cette fonction déductivede la théologie avec assomption de vérités naturellesentrant dans la constitution d'un scibile propre, posedes questions particulières; aussi en ferons-nous plusloin un examen spécial.

///. OBJET « QUOD » ET • SUJET . DE LA THÉOLOGIE.— Le sujet d'une science, c'est la réalité dont ontraite dans Celte discipline, plus exactement encore,d'après Aristote, // Ana(., 1. I, c. vu, 75 b 1 et c. x,76 b 15, la réalité dont on démontre des passions ou despropriétés. Si l'on considère le sujet d'une science for-mellement, c'est-à-dire sous l'aspect selon lequel laréalité est considérée dans cette science, l'unité de

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457 T H É O L O G I E . SON OBJET •458sujet est aussi essentielle à l'unité de la science quel'unité de lumière ou d'objet formel quo. Aussi Aristoteet saint Thomas disent-ils que les deux choses se répon-dent et que l'unité d'une science exige l'unité de songenus subjectum comme celle de son genus scibile.In I I Anal., 1. T, lp.çt. 15 et 41. D'où le souci de saintThomas, Sum. Iheol., I', q. i, a. 3, ad 1"" et a. 7, demontrer l'unité du sujet de la sacra doctrina, l'unité dela réalité dont on y traite.

Cette réalité, en théologie, est Dieu lui-même. C'estde lui et finalement de lui seul qu'on traite dans cettescience qui est un « discoure sur Dieu », sur Dieu consi-déré non pas dans sa causalité, où on ne le connaît qued'une manière relative, non tanquam subjectum scien-tise, serf tanquam principium subjecti. In Boei. de Trin.,q. v, a. 4; Con(. Cent., 1. II, c. iv, mais sur Dieuconsidéré en lui-même, dans son absolu, tel qu'il appa-raît à son propre regard et tel qu'il ne peut être connuà d'autres que par révélation surnaturelle. La théo-logie a pour sujet la même réalité qui est. 1p. principede notre béatitude, ce que la parole de Dieu nous révèleet à quoi adhère notre foi, i/ta quorum visione perfrue-mur in vita leterna,

Cependant, objectera-t-on, elle traite également desanges, de la sainte Vierge, des hommes et de leur viemorale, de l'Église, des sacrements, etc. C'est vrai, etces différentes réalités font, dans l'enseignement théo-logique, l'objet d'autant de « traités » particuliers.Mais, comme le remarque saint Thomas, elle ne traitede ces réalités que sué ratione Dei, quia habent ordinemad Deum ut ad principium et flnem. Sum. theol., I1,q. i, a. 7. La théologie n'est nullement faite d'uneanthropologie, d'une angélologie, d'une étude des réa-lités sacramentaires poursuivies pour elles-mêmes.Elle est et elle est uniquement une étude de Dieu entant que Dieu, sub ralione Dei. Mais, comme le mondeentier a ordre à Dieu, ordre de procession comme à sacause efficiente et exemplaire, ordre de retour commeà sa cause finale, la théologie considère aussi touteschoses en tant qu'elles vérifient à quelque degré laratio Dei, en tant que Dieu est impliqué et commeinvesti en elles.

C'est le programme qu'a rempli saint Thomas, lais-sant cette idée toute simple organiser sa synthèse ence plan de la Somme que le prologue de la I* pars, q. n,énonce en termes si sobres. De même que par la chariténous aimons dans les créatures raisonnables le biendivin qu'elles possèdent ou dont elles sont capables.ainsi par la Révélation et dans la foi d'abord, puisd'une manière rationnelle dans la théologie, nous con-naissons Dieu en lui-même et toutes choses en tantqu'elles ont rapport au mystère de Dieu et que, pourla béatitude des élus, elles sont associées à ce mys-tère. Ainsi, en traitant dc3 anges, des sacrements, etc.,la théologie garde-t-elle son caractère objectivementthéologal.

C'esl à celle t-unslilulion théologale de la ttléologle,science des objets de la toi, que se rattache la vue trèsprotonde de saint Thomas, récemment remise enlumière, sur l'unité et l'ordre des dogmes ou articulif i de i ; et. L. Charlier, .Essai sur le problème théologique,p. 123-136. La tradition théologique donnait unegrande attention au texte de l'épitre aux Hébreux surla nécessité de croire « que Dieu existe et qu'il estrémunérateur de ceux qui le chp.rchpnt. «. Hphr-, xi, R.Saint Thomas donne de cette définition de saintPaul l'équivalent déjà noté : quorum visione perfrue-mur in vila seterna et per quœ ducimur ad uitam œternom. Pour lui, toute la Révélation, toute la foi, etdonc toute la théologie se réfèrent à ce double objet :Dieu béatifiant, l'économie divine des moyens de labéatitude, c'est-à-dire encore au double mystère deDieu : le mystère nécessaire de sa vie trinitaire et le

mystère libre de notre salut par l'incarnation rédemp-trice. Tous les autres dogmes se ramènent à ces deuxcredenda essentiels. Les autres articles dp foi np sont,pour saint Thomas, que des applications ou des expli-cations de ces deux articles essentiels. De verit., q. xiv,a. 11. C'est ainsi qu'il y a, dans la Révélation et doncdans la théologie, une hiérarchie, un ordre, où semanifeste l'unité du sujet dont on y traite. Nous ver-rons bientôt l'intérêt de cette vue pour la iioliun de lathéologie comme science.

Au début du XIXe siècle, plusieurs théologiens, héri-tant de la tendance à construire le donné dogmatiqueen « système », mais animant cette tendance par l'ins-piration romantique du vital ou de l'organique, et parle point de vue philosophique d'une « idée » qui sedéveloppe dynamiquement, ont donné pour principeorganisateur à la dogmatique, non pas le mystère deDieu, mais la notion de Royaume de Dieu : ainsiJ.-S. Drey, J. Hirscher, B. Galura, le cardinal Katsch-tha'ter, etc. Ct. J. Kleutgen, Die Théologie dw Vor-z e i f , t. l, n. 152 sq.; t. v, n. 297 sq.; K. Werner, Ge-schichfe der kalhol. Theol. seit dem Trienter Concil,1866, p. 258 sq.; J. Diebolt, La théologie morale cathol.en Allemagne, p. 181 sq.; J. Ranft, Die Stellung derLehre von der Kirche im dogmatischen System, Aschaf-tenbuurg, 1927, p. 3 et 113; F. Lakner, dans ZettSCh.f . kalhol. Theol., 1933, p. 172 et 179; enfin, pour unecritique, cf. H. Klee, Katholische Dogmatik, 3e éd.,Mayence, 1844, t. i, p. 384. L'idée a été reprise denos jours par L. Bopp, Théologie aïs Lebens-und Volks-dienst, 1935. Ces idées procèdent plus d'un point devue descriptif et d'une organisation empirique deséléments de la dogmatique, que d'un point de vuevftritnhip-mpnt fnrmp.1 • A f f f l n f i f n f p s pn niiïp f r n / ' f n n f ^ r l'nl'sta scientia, et non ad rationem secundum quam consi-derantur. Sum. theol; I*, q. l, a. 7.

Tout en se défendant de toucher à la question dusubjectum de la théologie, le P. E. Mersch, S. J., arécemment repris une position très voisine de cellequi assignait pour ubjel à la théologie le Clirislus tutus.Voir Le Christ mystique centre de la théologie commescience, dans Nouv. revue theol., t. LXI, 1934, p. 449-475; L'objet de la théologie et le « Uhristus totus », dansRecherches de science relig., t. xxvi, 1936, p. 129-157;cf. J.-A. Jungmann, S. J., Die Frohbotschaft und unsereGlaubensverkûndigung, Ratisbonne, 1936, p. 20-27.Le P. Mersch convient que Dieu en sa déité est le sujetde la théologie et le principe d'intelligibilité en soi dp.tout le révélé; mais il pose la question de savoir quelest le mystère qui est pour nous le moyen d'accès etle principe d'intelligibilité de tous les autres, quelleest la doctrine qui, pour nous, fait l'unité de toute ladogmatique et représente le « premier intelligible » parrapport auquel tout le reste nous est accessible et sys-tématisable : et il répond que c'est la doctrine duChrist mystique, Christus totus. Il n'a pas de peine àmontrer que les autres mystères ont tous rapport aumystère du Christ mystique, qui est bien le mystèrecentral.

Il est vrai qu'au point de vue d'une union effectiveet d'une assimilation vitale à ces mystères, la Trinitéet la arâce ne nous sont accessibles que par le Christet dans le Christ. Dans cet ordre de l'union de charitéet de vie, dans l'ordre de la perception des mystèrespar la vo'e "•'y'-t'qne, il çst b'çn vra' que )a " réductionau Christ » est moyen et mesure ; mais c'est là un autrepoint de vue que celui de la science théologique, la-quelle regarde les mystères et le Christ lui-même parmode intellectuel, notionnel, spéculatif, et non parmode affectif et vital. Il ne serait pas difficile de mon-trer que, dans la thèse du P. Mersch, 11 y a un blocage,parfaitement conscient, semble-t-il, des deux pointsde vue : cf. ses p. 454 et 471-475. Si donc l'on ne veut

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459 T H É O L O G I E - S O N C A R A C T È R E DE S C I E N C E 460signifier ainsi qu'une différence dans le mode d'ensei-gnement et la distribution pédagogique des doctrines,nous serons parfaitement d'accord avec l'auteuri Maie,si l'on entendait par là qu'il y aurait vraiment, dansl'ordre même des objets et de leur économie intelli-gible, deux théologies, alors nous refuserions notre suf-frage et penserions que la tradition ne va pas dans cesens; cf. pour saint Augustin, lîech. de théol. ancienneet utediéuulv, l. il, 1930, p. 410-419, et pour saint Tho-mas, Bull. thomiste. Notes et communie., janvier 1931,p. 5*-7*. C'est vraiment Dieu, et les autres mystèressub ralione Dei, qui est le sujet de la sacra doctrina enses différents états d'enseignement révélé, de caté-chèse ou de prédication et de science théologique.

iv. LA THÉOLOGIE SCIENCE. — La théologie est laforme rationnelle et scientifique de l'enseignementchrétien. Vérinfi-t-nlle la qualité de science et com-ment, elle qui dépend entièrement de la toi surnatu-relle pour la possession de son objet? La réponse àcette question dépend de la notion qu'on se fait de lascience. Aussi faut-il l'envisager d'abord au point devue de la notion de science empruntée à Aristote, quifut celle de saint Thomas:, puis; du point de VUé d'unenotion de la science que l'on puisse considérer commeassez communément admise de nos jours.

1° La théologie science au point de vue scolasiique. —II y a science, selon Aristote et les scolastiques, quandon connaît une réalité dans une antre qui est sa raison,et donc quand on connaît une chose par la cause pourlaquelle elle est et ne saurait être autrement qu'ellen'est. S. Thomas, I I Anal., 1. I, lect. 4- T.n science estconnaissance dans la cause, dans le principe, ;'n prin-cipio. Chez nous, cette connaissance n'est pas intui-tive, mais discursive; nous ne voyons pas les consé-quences dans leur principe, les propriétés dans leursujet essentiel, mais nous avons à les en déduire ou àles y rattacher par un raisonnement prupreiiieill. ditqui est le raisonnement démonstratif : la science, pournous, n'est pas seulement connaissance in principiis,mais ex p r f n e l p l l s . Sum. theol., I*, q. LXXXV, a. 5.La démarche idéale de la science se construisant parraisonnement démonstratif part de la définition dusujet, c'est-à-dire de la réalité dont on traite, et sesert de cette définition pour démontrer l'apparte-nance à ce sujet de telle ou telle propriété. S. Thomas,// Anal., 1. I, lect. 2. Ainsi la lumière de la définitioninitiale se communique aux conclusions et, selon queles définit ions, postulats ou principes initiaux sontconnus dans telle lumière, elle-même déterminée oucaractérisée par tel degré d'abstraction, on obtientdes conclusions d'une certaine qualité scientifique.Ainsi l'idée ancienne de science est-elle de reconstruirepar l'esprit, au moyen du raisonnement, les enchoîne-menis ontologique;; selon lesquels ce qui est dérivé ousubséquent, dans les choses, se fonde et trouve saraison explicative en ce qui est premier et principal.S. Thomas, ibid., lect. 41.

Quand saint Thomas, se demandant si l'enseigne-ment chrétien, sacra doctrina, vérifie la qualité descience, répond affirmativement, il est à présumerqu'il entend la science à la manière d'Aristote, pourautant du moins que cette manière pp.nt s'appliquerà la théologie. Il ne s'agit pas, pour saint Thomas,d'identifier purement et simplement la théologie avecune science, avec une science répondant de tous pointaau schéma aristotélicien; et peut-être ses commenta-teurs ont-ils trop exclusivement affirmé cette identi-fication. La manière dont saint Tliumas introduit laquestion qui nous occupe. In Boet. de Trin., q. n, a. 2et Sum. theol., I11, q. i, a. 2, signifie ceci : est-ce que,dans son éminence, l'enseignement chrétien vérifie,parmi d'autres, la fonction et la qualité de science?Or, la théologie, se tondant sur la Révélation, répond

aux deux exigences de la science. D'abord, l'enseigne-ment chrétien nous présente des vérités qui sont effec-tivement le fondement d'autrci vrritét. Ceite.-,, ly tui,qui a pour motif formel unique et direct le témoignagede Dieu proposé par l'Église, adhère aussi immédiate-ment aux unes qu'aux autres; rnals, quand nous es-sayons de retrouver les valeurs et les rapports intel-ligibles réels entre les vérités de l'enseignement chré-tien, alors ces vérités se construisent selon un ordred'intelligibilité où celles qui expriment des réalitéssecondes et dérivées sont rattachées, comme des con-clusions à leur principe, des effets à leur cause, despropriétés à leur essence, à celles qui expriment desréalités premières nt prinripalçi;, C'î^t aw, par exem-ple, que l'enseignement chrétien me livre et l'idée del'omniprésence divine, et celle de l'omnicausalitédivine; mnie il ne me dit pas, par lui-mcmc, que l'om-'niprésence soit fondée dans l'omnicausalité : il me ledit si peu que certains théologiens, comme Suarez,fondent l'oiimiprfoljlll'li de Dieu dunii son Immensité,elle aussi enseignée par la foi. On voit comment leséléments mêmes de l'enseignement chrétien sur lemystère de Dieu peuvent faire l'objet d'une considéra-tion scientifique dans laquelle on s'efforce de « retrou-ver en quelque aspect de l'essence de Dieu la raisond'être d'autres aspects qui leur sont intelligiblementpostérieurs, et la raison d'être de tout ce qu'il fait ».R. Gagnebet. dans Revue thomiste, 19:i8, p. 219

Selon saint Thomas, il y a science quand ex aliqilibusnotis alia ignotiora cognoscuntur, et l'enseignementchrétien prend une forme do science quand ex liie qii(cfide capimus primée veritati inha'rendo, venimus incognitionem aliorum secundum modum nostrum, scili-cct discwrtndo de principiis ad cuitdu&iuiii",. I n liuvt.de Trin., q. il, a. 2. Notre science à nous est discursiveet procède par raisonnement; mais, sur la base de ceque Dieu nous a communiqué de sa science de lui-même,à quoi nous adhérons par la foi, nous nous efforçons derattacher les ignotiora aux no(i's et finalement touteschoses, hiérarchiquement, au mystère unique et à lalumière seule première de Dieu. In Boel. de Trin.,q. n, a. 2. La théologie est science, et elle- tendmême à imiter, modo humano, la science de Dieu :impressio divinse scientisr, va jusqu'à dire saint Tho-mas, .Sum- I h f . n l , T», q i, a. 3, ad 2°'°; tf. In. Eset, deTrin., q. ni, a. 1, ad 4"°1. Ceci n'est pas une formuleéloquente, mais une expression techniquement pré-cise de ce qu'est la théologie pour saint Thomas.Ainsi la théologie nous apparaît-elle comme un effort,de la part de l'être rationnel croyant, pour repenser laréalité cumule Dieu la puiliiy, nuil plus au plan Ûê làsimple adhésion de la toi, mais au plan, avec les res-sources et par les voies de la connaissance discursiveet rationnelle, h-lle est un « double » de la fol, de moderationnel et scientifique.

2° La théologie science au point de vue moderne. —Les théologiens modernes ne s'intéressent plus guèreà la notion aristotélicienne de science, saul par tra-dition d'école et la question de savoir si la 1 héninpîp.est une science est pour eux assez peu urgente. Mais,même si l'on demeure étranger à la conception an-cienne de la scienve, il demeure intéressant de se domander si, pour un moderne, la théologie peui justi-fier la qualité de science. Seulement, les modernesn'ont pas une notion de la science de mêmy lypr atde même portée que celle d'Aristote. La notion mo-derne de science, pour- autant qu'il en existe une,C'est-à-dire l'ensemble des conditions auxquelles toutsavant dira qu'il y a science, est beaucoup plus exté-rieure et plus relative. Sera science toute disciplinequi pourra justifier d'un objet et d'une méthode pro-pres et aboutir à des certitudes d'un certain type quisoient communicables à d'autres esprits. A ce prix,

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461 T H É O L O G I E . P R O B L È M E S DE S T R U C T U R E 462l'histoire et la sociologie, par exemple, seront considé-rées comme des sciences.

Cette notion de science pourra s'appliquer à la théo-logie par voie de comparaison et le résultat sera favo-rable si la théologie peut se présenter comme étantsemblable à d'autres disciplines que nul n'hésite àqualifier do sciences. Les esprits modernes jugerontdonc de la théologie d'après l'objet du savoir et laméthode employée; ce point de vue méthodologiqueles amènera généralement à considérer les différentesméthodes particulières dont on use en théologiecomme just i f iant l'existence (l'alitant de sciences spé-ciales : théologie biblique, théologie historique, etc.,assimilées aux sciences historiques ou sociales pro-fanes. Quelle sera, dans cette perspective, la situationde la théologie proprement dite, c'est-à-dire de la théo-logie spéculative? Considérée comme système depensée, système de représentations, cette théologieserait, à coup sûr et pour le moins, une matière pourla çnipnr.p. his tor ique ; mîlis, consififtro.p- comme triple-ment philosophique de certaines convictions qui relè-vent de la foi. elle semble bien s'occuper, elle aussi, d'unobjet propre et selon UIIB méthode propre et pouvoirdès lors trouver une place dans le monde des sciences.

Dans son Introduction ti l'élude de la théologie, Paris,1920, G. Raheau a tenté de jusiiflyr, ni?iiir aux yeuxdes philosophes incroyants, l'existence de la théologiecomme science et de déterminer sa place dans uneclassification des sciences qui répondît aux exigencesde la logique moderne. La théologie, dit-il, a droit decité parmi les sciences, car : 1. elle a un objet scienti-fiquempnt fondé, puisqu'il y a un problème spéculatifde la religion qui est posé par la science et qu'il y aun problème pratique de la religion qui est posé par lavie; 2. elle a de fait une méthode qu'il suffit d'analyseret de situer parmi les autres méthodes scient i Piques;3. elle utilise en RI], pour mettre en valeur son objet.,toutes les sciences modernes en harmonie avec sonbut. Elle mérite donc d'être classée parmi les sciences.Comment re classement pourra-t-il s'opérer et se jus-tifier? L'auleur propose de mettre en œuvre, en cettequestion, la théorie des « collocalions » formulée parSluart Mlll. 11 y il de<! sciences complexes, dont le sta-tut n'est pas défini par l'existence de leurs éléments,mais par le fait de la coexistence de ceux-ci : parexemple, c'est la rencontre des fossiles et des terrainsqui permet de synthétiser le donné stratigraphique etle donné paléontolugiiine dans la géologie. De mêmela théologie n'est-elle pas définie par ses éléments,histoire ou scolastique, textes ou déductions, mais parle t'ait de Içiir cnpKislenct1 , par un tfl i t de çvnthp<*ft^une collocation. Or, ce qui met l'histoire et les faitsen rapport avec le dogme ou la pensée religieuse, c'estla foi: de même que la stratigraphie et la paléontologiesont unifiées par le fait que tels fossiles gisent danstels terrains, ainsi l'histoire et la spéculation théolo-giqur t rduvf i i t leur unité dans la fui des d'ayant!;, celledes individus et surtout celle de l'Église totale. Collo-cation humaine qui définit la théologie comme scienceoriginale, et au delà de laquelle on peut d'ailleurstrouver, dans la scirnce même de Dieu, une collocationsuprême qui jus t i f ie souverainement la précédente.Voir l'appréciation de cette idée par A. Gardeil, dansRevue des sciences philos, et Ihéol., 1926, p. 601.

Sur In conception aristotélicienne de la science ; 0. Hame-lin. Le s.i/.sfcme d'Aristule, |»il)l. par L. Kobin, Paris, iy20;A. Aniweiler, Der l î c g r i f f der Wiysenschafi bei Arisloteies,Bonn, l!)3<i.

Sur l'application de cette notion a la théologie dans lascolustique : M. Grabmann, Uer Wissensclinitsbeuriff des hl.Thomas uon Aquin, dans le Vcreinschrijt de lu Gorres-ge.wtlwhitll pour 1931, p. 7*-t4*; 1'. Simon, Krkenntnistheo-ru' uilil Wisseinicluilisbeurifi in der Schiila.'itik, 1927 ;Fr. Mai in-Sola, L'évolution homogène du dogme catholique, 1.1, p. 65 sq. ;

R. Gagnebet, La nature de la théologie spéculative, dans Re-uue thomiste, 1938, p. 214-240; cf. aussi, 1U3U, p. 122 sq.;L. Charlier, Essai sur le problème thfoloyique, Thulllies,1U3S, p. ad sq.; r. Wyser, Theolouie aïs W issenschaft,Salzbourg et Leipzig, 1938 (sur quoi, cf. L. Kosters, Théo-logie aïs Wissenschult, dans Scholiistik, 1939, p. 234-240).

Sur ïa noïion de science qui semble assez eunniniiie |(ourles esprits modernes : P. Simon, Der Wissensclialtsbegrilfseit Beginn der Neveit, dans le Jahresbericlil de la Gôrres-yesclisrhutt pour 1332-1933, p. 45--61*, Qu'est-ce que lascience? (Cahiers de la Nouvelle Journée); Science et loi,V semaine de Synthèse; L'orientation actuelle des sciences,Paris.

III. LES PROBLÈMES DE STRUCTUBE ET DE MÉTHODE.— Ces problèmes sont au nombre de trois, se référantrespectivement, d'une part, aux deux composantes dela théologie, à savoir l'élément de donné positif etl'élément rationnel de concepts philosophiques et deraisonnement ; d'autre part, au produit du travailthéologique qui, en sa forme la plus poussée, est lat'nni'llltïion thp-nlogiqilp. Ainçi avnns-nons à ex^"imçr ;1. Le problème du donné et de la théologie positive;2. Le problème de l'apport rationnel et du raisonne-ment théologiquc; 3. Le problème de la conclusionthéologique et de l'homogénéité de la science théolo-gique au dogme.

/. LE PROBLÈME IIV UOSSt KT VIS LA 1'UÉUWUHSPOSITIVE.— On s'accorde, en somme, à envisager lathéologie positive comme visant à établir l'apparte-nance d'une vérité à l'enseignement chrétien. Nousavons vu plus haut, col. 444, que celte preuve, conçued'abord comme se faisant par l'appel aux textes del'Écriture et aux monuments de la tradition, a étédavantage conçue, depuis quelques générations,comme guidée par l'enseignement actuel de l'Église.et ne pouvant se faire que dans sa lumière.

1° Raison d'être et notion de la théologie positive. —La positive est la fonction par laquelle la théologieprend possession de son donné. Toute science ration-nelle met en œuvre la lumière naturelle de l'intelli-gence; mais elle doit recevoir du dehors, et finalementpar les sens, sa matière particulière. La théologie estscience de la toi; sa lumière existe donc en tout hommefldole qui a, par la fol. un principe de connaissance desmystères surnaturels et, dans sa raison, la possibilitéd'une élaboration et d'une construction scientifiquede ces mystères. Encore faut-il que la fol, pure possi-bilité de connaissance, rencontre la déterminationde ses objets. Ces objets étant surnaturels, leur déter-mination ne peut se taire que par une révélationdivine. Certes, cette révélation pourrait être intérieureà chqqnft f ïdèlft^ r.nmmft ftl ift 1p. fnt pour Içg prophèteset les apôtres. Mais le plan de Dieu n'a pas été tel.Dieu prend les hommes comme ils sont, engagéscomme parties dnna un tout en une unité spécifique eten des communautés sociales. Il traite l'humanitécomme une seule espèce, comme un seul peuple,connut; mm sieuiti Église, ai il lui adrciitH! une révélationunique, sociale et collective. Aussi la déterminationdes objets de la foi, determinatio crcdendorum, s'opère-t-elle non par une expérience indépendante et person-nelle, mais par une révélation et par un magistère sur-naturels. S. Thomas, In Boet. de Trin-, q. in, a. 1,ad 4"'°. C'est parce que la lumière surnaturelle don-née à chacun dans la foi est trop faible pour procurerà chacun, pour son propre compte, la cnnnaissnncp. etle discernement des objets de la foi, qu'il y a, dansl'ordre surnaturel, un magistère et que l'Église possèdeun véritable pouvoir d'enseignement.

Toute l'explicitation de la foi est dès lors liée à laRévélation transmise, proposée, conservée et expli-quée par la prédication apostolique vivant dansl'Église. Cf. S. Thomas, Sum. theol., II--II", q. v, a. 3,corp. et ad 3""; q. vi, a. 1 ; In J//"" Sent., dist. XXIII,

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463 T H É O L O G I E . LA T H É O L O G I E POSITIVE 464q. in, a. 2, ad 1°", 2"° et 4""; dist. XXV, q. i, a. 1,qu. 4, ad 1 •"•' ; In 1 V«°1, dist. IV, q. n, a. 2, sol. 3, ad 1 "»,qui a cette formule si simple : Filles principaliter estex infusione : et quantum ad hoc per baptismum datur;sed quantum ad determinationem suam est ex audilu :et sic homo ad fidem per catechismum insirnifiir-Cî. aussi Fr. Marin-Sola, Évolution homogène dudogme calhol., t. i, p. 202 sq.

Mais le catéchisme, qui suffit au fidèle pour l'explicitation de sa foi, sufflra-t-11 au théologien pour cons-truire rationnellement sa foi? Il est bien clair qu'enécoutant la simple prédication de l'Église, le théolo-gien reçoit l'essentiel de ses principes. Et c'est pour-quoi on a dit souvent que l'enqi été positive n'étaitpour lui qu'une question de Délie esse et que, s'il nepeut y avoir de théologie sans spéculation, 11 peut yen avoir une sans enquête spéciale sur le donné. Cetteremarque, où il y a du juste, a poussé parfois certainsthéologiens à concevoir la théologie positive commeune sorte d'ornement ajouté du dehors à la théologie,mais ne taisant point partie de son activité essentielleet représentant plutôt une concession au goût du jour,ou une opération, purement apologétique, ou encoreune sorte d'alibi pour ceux qui, ayant perdu le sensde la contemplation théologique, se réfugieraient dans1' » érudition ».

En réalité, la théologie positive se situe au cœurmême de la théologie tout court. Elle est essentielle-ment un acte ou une fonction de la théologie et pro-cède, à double titre, de la même nécessité que la théo-logie spéculative : 1. elle est nécessaire à la théologietpéculative, qui emprunte sa matière même à undonné positif. Il est exact que ce donné peut être tenu,dans ses grandes lignes, par le simple auditus fidei quicorrespond, en tout fidèle, à la catéchèse chrétienne.Mais une théologie spéculative qui en resterait là n'ob-tiendrait jamais sa plénitude dans l'ornrn mAme de laspéculation. A moins de devenir une sorte de philo-sophie des choses chrétiennes, elle devrait se limiterà des questions rudinientaires et ne serait pn» nourriede toute sa sève. Elle serait incapable de se constituerpleinement en son état de science. — 2. Non seule-ment la positive est nécessaire à la théologie spécula-tive, mais elle répond, à sa manière, au besoin qu'a latoi de se constituer à un état rationnel et scientifiquepar l'assomption des ressources propres à la raison età la science, A la double face, à la double activité dela foi répond, dans la raison croyante qui devient, parlà, théologienne, une double fonction; l'une et l'autreont besoin de se constituer en un état vraiment ration-nel et scientifique, en assumant les exigences et lesinstruments de la raison; ensemble, elles constituentle total développement de la foi dans la raison, sapleine promotion en science.

A ce que la toi comporte de contemplation de sonobjet répond, comme sa promotion rationnelle etscientifique, la théologie spéculative; à ce qu'elle com-porte de soumission à la révélation de Dieu transmisepar l'Église répond, comme sa promotion rationnelleet scientifique, la théologie positive. La première estl'état scientifique de l'intellectus fidei; la seconde l'étatscientifique de Vaudilus fidei. Saint Augustin com-mentait la fameuse formule, Nisi credideritis, noninteltigetis, en disant que les deux éléments s'en dis-tribuaient entre l'autorité et la raison : Quod intelli-gimus dehemus rationi, quod credimus debemus auc-torifati. De util. cred., c. xi, n. 25, P.L., t. XLII, col. 83.Mais il est clair que la foi est à la rarine de l'in<î(k<'(uset que la raison trouve une application dans la sou-mission même qui s'adresse à l'auctoritas pour donnerà la référence du théologien, à ses sources et à scg auto-rités, un état, lui aussi, scientifique. Ainsi, d'une part,la jonction de la théologie à ses sources n'est pas pure-

ment scientifique ou rationnelle : c'est vraiment uneœuvre de théologie, comme nous allons le marquerbientôt en distinguant théologie positive pt hictoiri?des doctrines chrétiennes; et, d'autre part, cettejonction n'est pas une œuvre de pure foi, étrangèreà toute rationalité ; mais, tout comme la rnisons'applique à l'intérieur de la toi pour en chercher uninlellectus, elle s'applique également à l'intérieur deIn foi, avec toute» ses ressources, pour s'en yivvwvrun auditus aussi riche, aussi précis, aussi critique quepossible.

Il règle a préciser cette notion de la théologie posi-tive en déterminant successivement son objet lormelquod, son objet formel quo et sa méthode.

2" Ubjei formel « quod « de la théologie positive. —Tandis que l'objet formel de la théologie spéculativeest l'intelligibilité rationnelle et scientifique du révéléou de l'enseignement chrétien reçu dans la foi, la théo-logie positive concerne la réception même de ce révéléon de net pnspignement '•hrçtien. En tant que positive,elle regarde le révélé, pour le recevoir et le connaître,dans son état de chose transmise et offerte à l'adhésionet à la contemplation de la raiaon croyante, et elle usepour cela des ressources que la raison présente poursaisir un donné, plus précisément pour découvrir cedonné particulier qu'est la fui et renseignement ûêl'Église. I.'objet de la théologie positive est donc laconnaissance de ce que l'Église enseigne et livre àhêtre foi : autant dire qu'elle a pour objet la tradition,dans le sens que des études récentes ont restitué à cemot.

Quand le traité De divina traditione s'est constituécomme un traité spécial, au xvi" siècle, il -'est orienté,en fonction de la polémique protastantp, riqn<, Iç sensd'une distinction, dans les objets de la foi ou les dogmes,entre des dogmes contenus dans l'Écriture et des dog-me» contenue dans < la tradition »i et dono lo sens d'unejustification de la tradition ainsi entendue. Ainsi était-on porté à concevoir celle-ci : l. comme désignantun certain ordre d'objets, 2. comme disiUlicte del'Écriture et 3. comme conttituée par des textes etdes documents anciens. C'est en somme cette idée dela théologie post-tridênilne qui inspire encore, dansnos manuels de théologie, le fameux schème du Pro-batur ex Scriplura, ex traditione...

Or, des monographies récentes ont montré que laconception ancienne et authentique de la traditionétait un peu différente. Le sens premier du mot« tradition » est celui d'enseignement ou de prédica-tion doctrinale, soit au sens objectif, ce qui est enseignéon transmis, çoit au sens actit d'action (ifl transmettreou d'enseigner. Mais le sens le plus ancien, jusqu'àsaint Irénée Inclus, est le sens objectif ; la traditionest l'enseignement, l'objet transmil par le Christ et lesApôtres, puis, d'âge en âge, par l'Église. Cf. B. Reyn-ders, Paradosis. Le progrés de l'idée de tradition jus-qu'à suint Iri'ni'e, dans Iteclierches lit theôl. ancienneet médiévale, t. v, 1933, p. 155-191 ; D. van den Eynde,Les normes de l'enseignement chrétien dans la littéra-ture pafristique des trois premiers siècles, Paris, 1933.Cet enseignement comprend à la fois l'Écriture avecson contenu et les vérités non contenues dans l'Écri-ture et que l'on peut appeler « traditions » au sensétroit du mot. En un sens secondaire, on désignera partradition les monuments on tpinoignaiy"î qiie l'Égliseconstitue et laisse de son enseignement au cours desâges et qui nous restent dans certains documents :écrits des papes, des Pères, dca théologiens, textesdes conciles, liturgie, inscriptions, etc. Cf. A. Denefle,op. ci'<. infra; et ci-dessous l'art. TRADITION.

La Révélation est un dépûl; l'Rylis>y pourra bienprendre une conscience progressive de ce dépôt et enréaliser un développement progressif; elle n'y ajoutera

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465 T H É O L O G I E . LA T H É O L O G I E POSITIVE 466rien qui lui soit objectivement étranger. S'il y a, dansl'Église et tout au cours de son histoire, des « révé-lations », celles-ci n'ajoutent objectivement rien a laconnaissance du mystère de Dieu; elles sont ou bienune lumière donnée soit à la hiérarchie, soit aux Pères,soit à l'Église dans son ensemble, pour iineintdligenc.finouvelle et plus protonde de l'enseignement révélé,ou bien des « révélations privées « concernant la viede l'Église, l'orientation de la piété, les londationsou la conduite des âmes. Cf. J. de Ghellinck, Pourl'histoire du mot « revelare », dans Recherches de sciencertlig., 1916, p. 149-157, J. van Lee, Les idées d'An-selme de Havelberg sur te développement du dogme, dansAnalecta Preemonstratensia, t. xiv, 1938, p. 5-35;J. Ternus, Vom Gemeinschaftsglauben der Kirche, dansScholastik, t. x, 1935, p. 1-30; M.-J. Congar, La crédi-bilité des révélations privées, dans Vie spir., octobre1937, Suppl., p. 29-48.

C'est pourquoi, dans la continuité de la «tradition »,entendue au sens d'enseignement révélé transmis parl'Église, il y a lieu de faire une distinction entre latraditio constitutiua, qui est l'enseignement-révélationdes prophètes, du Christ et des apôtres, la traditiocontinuativa, enfin ajouterons-nous dans toute la me-sure que réclame le tait du développement doctrinal, latraditio explicatiua, qui est la proposition, la conserva-tion, l'explication et le développement par l'Églisedu dépôt primitif. La traditio constitutiua étant forméepar l'apport révélateur des prophètes, du Christ etdes apôtres, sans préjudice des sine scripto traditiones,est faite principalement de l'Écriture sainte de la-quelle les Pères anciens faisaient dériver toute la sub-stance doctrinale de la Paradosis ecclésiastique. Quantà la traditio continuativa et à 1''explicatiua, elles consistentdans la proposition fidèle et l'explication progressivedu dépôt, telles qu'elles se sont produites dans l'Égliseanimée et dirigée par l'Esprit du Christ, depuis laPentecôte jusqu'à nous. C'est ce témoignage social,selon toute sa réalité concrète et son développementsuccessif, qui est l'objet ou la matière de la théologiepositive. B.-M. Schwalm, Les deux théologies : la sco-lastique et ta positive, dans Revue des sciences philos, etthéol., t. n, 1908, p. 674-703; ut. M. Blondd, Histoireet dogme, dans La Quinzaine, 16 janvier, 1er février et15 février 1904.

L'objet de la positive, c'est donc la tradition, c'est-à-dire l'enseignement transmis depuis le Christ et lesapôtres jusqu'à nous par l'Église et qui s'est déve-loppé, quant à ses expressions et quant à l'intelligenceque l'humanité croyante en a prise, petit à petit, jus-qu'à nous, et qui est vivant dans l'enseignement dBl'Église actuelle : id qaod traditum est, id quod traditur.La théologie positive, c'est la sacra doctrina en tantqu'elle prend conscience de son contenu acquis. Elletrouve son objet dans les expressions, d'abord del'Église actuelle, puis de l'Église totale en la conti-nuité vivante de son développement (traditio conti-nuativa et explicativa), enfin dans les sources qui,expression de la fraditio constitutiva, sont la règleintérieure de la Paradosis ecclésiastique. Ainsi l'objetquod de la positive, c'est le témoignage total sur lemystère de Dieu, tel que, porté par les prophètes, leChrist et les apôtres, il existe, est conservé, interprété,développé et proposé dans et par l'Église du Christ etdes apôtres, dans et par l'Église une et apostolique.

3° L'obfet formel « quo » ou la lumière de la théologiepositive. — Connaissance d'un enseignement révélé,la positive est théologie; connaissance scientifique decet enseignement, non dans le pur auditus fidei, maisdans une recherche et une interprétation des docu-ments de la tradition ecclésiastique, la théologie posi-tive est une œuvre rationnelle. Seulement, la raisonqui est ici associée à la foi n'est plus proprement la

raison spéculative : c'est la raison qui fait face auxdocuments bibliques et historiques où s'exprime la tra-dition ecclésiastique. La lumière de la positive est doncthéologique, c'est-à-dire la lumière de la Révélationen tant que, au delà de la simple adhésion de la toi,elle rayonne dans la raiinn humaine, «n utilise l'ar.ti-vité en vue de procurer un état humain, rationnel etproprement scientifique de Vaiiditus fidei. Cette no-tion, de soi fort simple, peut s'expliciter en oea troispropositions :

1. La positive est une théologie, non une histoire. —L'histoire des doctrines bibliques cl celle dus ducirnmschrétiennes ont matériellement le même objet que lathéologie positive, mais elles regardent et atteignentcet objet sous une lumière et selon des critères diffé-rents. Nous pouvons avoir, du donné chrétien, uneconnaissance formellement naturelle et historique :histoire du peuple d'Israël, histoire des doctrines bibli-ques, histoire des doctrines chrétiennes. Ce n'est pasune telle connaissance, formellement rationnelle ethistorique, du donné, qui peut fournir à la théologieses principes. Car, dans ce cas, il y aurait, entre lerévélé et la théologie qui doit fn être une Interpréta-tion rationnelle, une rupture de continuité : au pointde vue noétiqué ou épistémologique, on changerait degenre; cf. A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie,p. 197 sq., 210-211. La théologie doit, pour rester lascience de Dieu révélé, s'aboucher à son donné et con-naître ses principes dans une lumière formellementthéologique, avec des critères théologiques. C'est pour-quoi la théologie positive est formellement différentede l'histoire des doctrines chrétiennes. Ci. A. Lemon-nyer, Théologie positive et théologie historique, dansRevue du clergé français, mars 1903. p. 5-18: Comments'organise la théologie catholique? ibid., octobre 1903,p. 225-242; M. Jacquin, Question de mots : histoire desdogmes, histoire des doctrines, théologie positive, dansRevue des sciences philos, et théol., 1.1, 1907, p. 99-104,et cf. ibid., p. 344 sq. ; B.-M. Schwalm, art. cité; A. Gar-deil, Donné révélé, p. 207 sq., 288 sq.; G. Rabcau,Introduction à l'étude de la théologie, p. 153 sq.

2. La théologie positive, étant théologie, s'élabore endépendance du magistère de l'Église. — II s'agit, eneffet, pour elle, de trouver et d'interpréter des docu-ments et de connaître un passé en tant que documentset passé témoignent du mystère de Dieu révélé. Aussiest-ce le magistère qui seul peut dire quels sont lesdocuments ou les hommes qui témoignent du révélé,et la valeur respective de leur témoignage. Pour l'Écri-ture, c'est bien clair. Le canon en est l'œuvre del'Église, en snrtp qna l'Écriture n'exista pour nmnicomme Écriture, c'est-à-dire comme écrit inspiré etexpression de la Parole de Dieu, que dans l'Église etgrûce à la déclaration qu'en foit l'Église. De mêmeest-ce l'Église qui possède le sens de l'Écriture, l'Églisetotale, celle d'aujourd'hui aussi bien que celle dupassé. Aussi l'Église demande-t-elle qu'on iiileipiètel'Écriture selon le consensus Patrum, la tradition del'Église. Denz., n. 786 et 2146, et voir ici l'art. INTER-PRÉTATION DE L'ÉCRITURE, Col. 229-1 sq.

3. S'il s'agit des Pères et des théologiens, c'est de l'ap-probation de l'Église, approbation qui peut d'ailleursrevêtir bien des formes, qu'ils tiennent, pour le théo-logien, leur valeur de témoins du donné chrétien : Ipsadoctrina catholicorum doctorum ab Ecclesia auclorita-tem habet. Unde magis standum est auctoritali Ecclesise 'quam auctoritati vel Augustini, vel Hieronymi, veleujuscumqw doetoris. S. Thomas, Sum, théol,, II'-II",q. x, a. 12. Ceci se marquera immédiatement dans letravail du théologien positif pour lui donner une visée,une orientation, des critères différents de ceux du purhistorien. Pourquoi, dans l'Écriture, ne cherchera-t-ilpas son donné dans le /V" Livre d'Esdras ou dans

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467 T H É O L O G I E . LA T H É O L O G I E POSITIVE 468l'Érantitle de Pierre., sinon en vertu de critères propre-ment théologiques reçus rlu magistère de l'Église? Demême en matière patristiqiie.

C'est de celte différence (le critère et de source réellede connaissance et d'appréciation que provient, entrela théologie positive et l'histoire pure, une r.prtninedifférence dans les résultats, différence dont la consta-tation provoque parfois une sorte de malaise. Il y a,en effet, parfois, du point (le vue df l'hi.stnrion, imccertaine disproportion entre les affirmations que lathéologie tient comme données et 1rs preuves positivesou les appuis dwumcntairc'i qu'on invoque en faveurde ces affirmations. Certes, comme nous le dironsà propos de la mélhode, la théologie positive n'estjamais dispensée de loyauté et de rigueur; mais, déjàguidée dans sa lecture des documents par un certainsens et une certaine connaissance de ce qu'elle y cher-che, elle y découvre plus que ne peul le faire l'histo-rien. A. Landgrat, L"s preuves scriplurairrs et palris-liques dans l'argumentation Ibéologiqtie. dans Revue dessciences philos, el t h fu l . , t. xx, 1931, p. 2S7-292; F. Ca-vallera, dans lînil. de Ulter, écries Mat., 1925, p. 39 sq.

4° I.n mKthnrIr d p I n Iheoingii: positive. — Ce que nousvenons de dire de la lumière de la théologie positivenous indique la méthode qu'elle doit suivre. D'unmot, elle utilise les ressources de la raison hi-sloriqueà la manière dont la théologie spéculative utilise lesressources de la raison philosophique. Ceci comporte

. deux aflirmations, dans la délk'ate conJ(ilirtl(m des-quelles réside le secret de la théologie positive : cesdeux affirmations concernent respectivement les deuxnotions de ressources de la raison historique el d'uti-lisation.

1. Ressources de la raison historique. — Ce que lathéologie spéculative demande a la raison philoso-phique, c'est qu'elle soit loyalement elle-même : demanière à lui apporter un service ini»lienlique et vrai.De même la théologie positive rér.lame-t-clle le serviced'une raison historique loyale, maîtresse au maximumdes différentes techniques. Il s'agit ici d'apporter auservice de la connaissance théologique du révélé lemaximum des ressources authentiques par lesquellesla raison croyante peut entrer en conlaul aveu luPara'iosis ecclésiastique, grâce aux documents bibli-ques et historiques. Il est bien clair d'ailleurs qu'on nepeut dcniandsr au même homme de posséder toufes lescompétences; le travail théologique est un travailsocial et réclame des instruments de communicationet de collaboration : collections, congres, bibliothèques,revues surtout, qui sont, depuis le début du x'x6 siècle,l'instrument le plus efficace des échanges et de la colla-boration scientifiques.

Si des progrès sont encore à faire dans la théologiecattioliqnp. sn ce qui concerne l'ampleur et l'exactitudede l'apport positif, surtout peut-être en matièrebiblique, un progrès considérable a déjà été fait depuisle xix° siècle. On comprend que les exigences de cha-que époque soient différentes en ce domaine. I.a théo-logie positive a di^ suivre les évolutions de la raisonexégétique et liisloriquu. Celle-ci, dans son sens mo-derne, ne s'est pleinement allinnée qu'après la critiquenominaliste et la renaissance humaniste et plus tardau XIXe siècle, déterminant alors la crise que nousavons évoquée plus haut ; mais, avant cela, la raison aeu sa manière de se référer au donné documentaire.et ce qui ne suffirait plus aujourd'hui à une raisonhistorique plus avertie a pu suffire en un autre temps.

2. Leur utilisation. — De In mcrno manière d"nt laraison philosophique n'est pas maîtresse en théologiespéculative, mais servanle, c'est-à-dire accomplissantson travail BOUS la direction el le contrôle de la foi,de même la raison hi.-itnriqiie en théologie positive.C'est la condition pour que ses résultats soient vrai-

ment theologiques. La positive cherche à enrichir, parla connaissance de ses sources, la connaissance de laParfidosis ecclésiastique, qui est le « donne 11 rip la théo-logie, et c'est pourquoi elle doit employrr aussi loyale-ment et aussi intégralemert que possible les ressourcesdç la raison historique. Mais i>ll6 ne cherche duna lepassé que le témoignage sur le mystère de Dieu révélé.Si elle s'intéresse à saint Augustin ou à la liturgiesyrienne, ce n'est pas pour eux-mêmes, u'i",! ni tantque ces choses représentent une expression de la Para-dosis ecclésiastique et que le révélé s'y trouve déve-loppe et attesté. AUSSI la positive ne cherche-t-ellepas à en taire l'iiistoirc pour elle-même; mais surtoutles étudie-t-clle sous la direction et selon les indica-tions de la prédication ecclésiastique actuelle, en pre-nant son départ dans la pensée de l'Église actuelle.Cf. Rabeau, op. cit., p. 153 sq.

I.a méthode de la théologie positive, parce qu'elleest théologique, sera donc « régressive » selon le motpropose par le P. A. Gardcil, dans lifi'w thomiste,1903, p. 1; cf. Rabcau, op. cil., p. 155; ici, art. DOG-MATIQUE, col. 1524, 1533; H.-D. Simonin, dans Ange-lirum, 1938, p. 100 418. I.a théologie positive prendson point de départ dans le présent, dans l'enseigne-ment actuel de l'Église, mais elle s'efforce d'enrichirce que lui livre cal ensciginimeni pur une Connaissance,obtenue en mettant en œuvre toutes les ressourcesde la raison historique, de ce que livre à ce sujet l'en-seignement total de l'Église, le témoignage social inté-gral sur le révélé, lequel comprend avec l'Écriture, saprincipalinr pars, tout le développement et toutes lesexpressions que le révélé a reçus dans l'Église à traversl'espace et le temps.

Voilà pourquoi la théologie positivp. tronvp purfoiçdans un document qui, pour l'historien, n'aurait pasun semblable sens, un indice, une expression de la foiactitïlle de l'Église; ailiBi; la où l'historien n'nurait puconclure, le théologien positif, interprétant l'indice,retrouve la continuité du développement. C'est qu'ilprocède avec la certitude de l'homogénéité dy celui-ci,le sens de cette homogénéité et la connaissance du ré-sultat final, au moins en sa substance. Quand l'infail-libilité pontificale, par exemple, est officiellement ac-quise il la foi commune de l'Église, le théologien positifla retrouve exprimée ou suggérée en des textes, desfaits ou des institutions où l'historien, légitimement,ne la voit pas. Car l'historien ne peut donner de sensà un texte que ce qui ressort du texte pris en lui-même; pour lui, l'implicite n'existe pas, les indices dedéveloppements ultérieurs homogènes ne sont admisque dift ir i icmpnt et l'evictçnce d'une duïtrine n'estreconnue que si l'on en trouve l'expression documen-taire explicite. Cf. Draguet, dans Apologétique, etcf. IL Di Simonin, dani Angriicum, 1937, p. 143 iq.Pour le théologien positif, la signification d'un texteest éclairée par le dedans; la plénitude de son senslui est donnée du dadans, par lu vultf d'une lecture Inté-rieure qui, sous le bénéfice de la continuité doctrinale,éclaire l'implicite par l'explicite et donne aux indicesle sens que manifestera un développement ultérieur.Le texte n'est pour le théologien que le moyen d'unecommunion plus pleine avec une pensée vivante dontl'âme lui est actuellement donnée; il s'agit pour lui deretrouver dans le passé les éléments de sa propre vie,de sa propre pensée. I.a référence an riorinp rior'limpn-taire n'est pas, en théologie, une preuve extrinsèqueaux assertions proposées; elle est un élément même dela parole apostolique ou du savoir théulogiquc. Cf. pourl'Antiquité. D.van dcn F.ynde. op. cit., p. 54; M.-J.Con-gar. I.'espril des Pères d'après AJûhler, dans Vie spir.,avril 19;i8, suppl., p. 1-25, puui le' Muyyil Agf. J. deCihellinck, dans Ans der Geislesiveit des Atittclalters,Festgabe Grabmann, t. l, p. 413 sq., et R. Gagnebet,

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469 T H É O L O G I E . LA T H É O L O G I E P O S I T I V E 470dans Itenue thomiste, 1938, p. 240 sq. De ce point devue, l'histoire est plutôt une justification et un enri-chissement de la pensée ou de la vie présentes qu'unerestitution du passé d'après les documents.

Aussi,tandis que l'histoire des doctrines bibliques ouchrétiennes, tout on ayant une valeur irremplaçablede technique, sera toujours lacuneuse et n'aura jamaisla valeur d'une explication totale, la théologie bibliquepourra avoir cette valeur. Parce qu'elle est théologie,la positive est, dans son ordre, une sagesse. Par quoi,d'ailleurs, elle rencontre la tcnlalion de toute sagesse,et singulièrement de la sagesse théologique, qui estde négliger la connaissance des causes propres pour nes'attacher qu'à l'explication transcendante; cf. S. Tho-mas, ('.ont. Gent.. 1. II, c. iv, un chapitre de haute por-tée. Cette espèce de mentali té donnerait en théologiepositive un taux surnaturalisme qui couvrirait en réa-lité. sous les droits du Transcendant, une ignorance, duréel. La théologie positive, si elle est une utilisationdes techniques historiques par une sagesse plus hauteissue de la foi, ne vit cependant que d'une loyale utili-sation des ressources authentiques et aussi intégralesque possible de la raison historique.

5° Réponse à quelques di/ficutlés. — îl nous reste àpréciser cette méthode de la positive en examinantquelques difficultés très réelles (le son emploi. Ces dif-ficultés concernent soit la valeur de vérité objectiveet, en somme, historique de la théologie positive(n. 1. 2), soit sa valeur dogmatique et régulatrice pourla théologie spéculative (n. 3).

1" d i f f i c u l t é . — I.e point de vue d'une justificationd'un donné actuel par les documents du passé, et l'em-ploi de la méthode régressive risquent d'amener lethéolOj^ien positif A chercher non la vérité, de cp qui aété tenu par saint Léon, par exemple, ou par saintAthanase, ou par saint Paul; mais simplement destextes qui aillent dans le sens de ce qu'on veut diresoi-même et qui puissent servir de colîfirmatur à unethèse tenue par ailleurs.

Réponse. — II ne s'agit pas proprement, en théologiepositive, de savoir ce qu'ont pensé Alhanase ou l.éoncomme tels : c'est là le point de vue de l'histoire desdoctrines chrétiennes et la compétence de la méthodehistorique; il s'agit, pour mieux savoir ce que croitl'Église, et donc ce que Dieu a révélé, d'interrogersaint Athanase et saint Léon comme témoins de lacroyance de l'Église à un moment donné et dans descirconstances données; on ne recherche en eux que lacroyance de l'Église. Cependant, cette recherche nepeut enrichir notre connaissance du témoignage tou-jours actuel de l'Église, but de la thcologiî positive,que si elle nous fait connaître un aspect plus précis dece témoignage de l'Église : précisément cet aspectqu'ont compris saint Athanase et saint Léon dans lescirconstances qui ont été les leurs. Cette connaissancene peut être obtenue que si la pensée d'Athanase oude Léon sur le point envisagé est connue dans savérité historique, par une utilisation loyale des res-sources de l'histoire. L'apport de la théologie positive àl'oeuvre ttléologique présuppose et utilise la méthodeet les résultats de l'histoire des doctrines chrétiennes.L'ordre est donc celui-ci : 1. une reconstruction histo-rique du passé chrétien, aussi loyale que possible,grâce a toutes les ressources de l'histoire : histoire desdoctrines rhrplipnnes; *2- acte de foi et n n d i f n s f ï f î p . i pndépendance de la Paradosis ou prédication ecclésiasti-que qui se continue, homogène, au travers des généra-tions; 3. recherche d'un état scientifique de cet audilusfidei et d'un enrichissement de notre connaissance dudonné chrétien contenu et présenté dans la prédica-tion ccclésiaiiliqiie, par la connaissance des difféifiitsétats, des différentes formes et expressions de lacroyance et de la doctrine de l'Église dans leur consti-

tution première et au cours de leur développement :œuvre de la théologie positive poursuivie sous la direc-tion de la fol. par la mise en oeuvre et l'utilisation desrésultats de l'histoire des doctrines; 4. recherche d'unétat scientifique de Vintelleclus f l d e i par le travail spé-ciilatif utilisant la lumière et les reBBOurces de laraison pour construire en forme de science l'enseigne-ment chrétien ainsi connu en sa plus grande précision,en sa pin*, grande richesse de donné.

2e difficulté. — Elle renouvelle un point de la précé-dente. I.a théologie positive a beau • utiliser » le travailde l'histoire, son point de vue n'est pas purement his-torique. Recherchant un enrichissement de sa con-naissance de la foi de l'Église actuelle, elle est amenéeà voir une continuité et une homogénéité formellesdans la similitude matérielle des expressions et, parexemple, là où il sera question chez un Père de donaSpirHus Sancii, à entendre indûment cette formuleau sens où nous parlons aujourd'hui des sept dons duSaint-F.sprit Tomme distincts des vertus; cf. Clia''liçr,Essai sur If problème I f l é o l . , p. 165, n. 209, et p. 167,n. 212. C'est ainsi encore que, dans les textes des con-ciles, on cherchera In justification de positions théolo-giques d'école, que ces conciles ont cependant expres-sément voulu ne pas envisager et qui, parfois, ne sesont fait jour que longienips après eux. Cf. Cliarlier,op. c;<., p. 159 sq., et H. Lennerz, Das I\on:il vonTrient und Ihenloiiische Schulmeinungen, dans Scholas-tik, 1929, p. ;fô-5y.

Réponse. — Ces choses relèvent de la loyauté et dela rigueur dans la documentation et dans l'usage desméthodes d'interprétation que la théologie positivemet en œuvre. Documentation et Interprétation doi-vent ptre portéfs à un étnt vpri t î ihipnient scipntinqin»et critique; à défaut de quoi, malgré des apparencesde citations et un étalage de références, il n'y aura pasde théologie po°ii'ivei La critique d'interprétation miseen œuvre par celle-ci est double : elle est d'abord his-torique; ellp est ensuite théologique, relevant de cetraité méthodologique et critique des sources et desrègles de la pensée théologique qu'est le traité deslieux théologiques.

3° d i f f i c u l t é . — I-a science se fait par le savant; l'es-prit a une part non seulement dans l'iiterprétauondes faits, mais dans la construction du fait comme telet dans la réception de l'expérience. Quelque exigencequ'illc apporte en ses démarches, la théologie positivereste l'oeuvre du théologien: elle comporte une partirréductible d'interprétation personnelle, voire dechoix dans la documentation. Souvent les textes nes'imposeront pas au choix ou à l'intïrpr-itation d'unemanière telle qu'elle exclue ce facteur personnel quijouera, chez chacun, dans le sens de ses options per-sonnelles ou corporativca. L; scolistc trouvera destextes des Pères grecs qui lui sembleront, à l'évidence,aller dans le sens de sa thcse sur la primauté du Christ;(le. même le molln'sie lrouvera-t-11 uliez les Pères grecsencore des textes qui lui sembleront appuyer sa théorie sur la prédestination post prsepiaa mcrita et la non-prédëtermination physique des actes libres, etc.

Réponse. — Le P. Simonin a envisagé cette diffi-culté dans une A'ote sur l'argument de. tradition et lathéologie, dans Angelicum, 1938, p. 409-418. Il élimined'abord, comme critère d'interprétation, une optioninspirée par l'expérience religieuse ou, commp. on dit,la « spiritualité « personnelle du théologien; il écarteensuite, comme critère, l'harmonie d'une interpréta-tion avec In cohérence interne do la oonfitructionintellectuelle ou du système spéculatif, car ce seraituser, comme d'un critère, de ce qui est en question. Ili c'tieul, en homme, comme principe d'inteipiélatiun,la docilité au magistère ecclésiastique : car il ne s'agitpas de trouver des appuis pour une théorie personnelle,

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471 T H É O L O G I E . L 'APPORT R A T I O N N E L 472mais bien d'enrichir, par la connaissance de toutes sesexpressions, l'audilus du témoignage apostolique quiest déposé, s'explique et se perpétue dans l'Éfilise.C'est la pensée de celle-ci que recherche le théologienpositif. Il demande à ceux qui, ayant vécu et pensé enelle, ont su exprimer et parfois expliciter la foi de laCalholica, un témoignage sur ce qu'ils tenaient d'elle,sur ce qu'elle a exprimé en eux et peut nous apprendrepar eux. Le théologien, d'ailleurs, peut recourir, enmême temps qu'aux indications du magistère à cecontrôle et à cet enrichissement que chacun reçoit dansla communion et dans le commerce de tous les autres.C'est un des éléments de la vie et du progrès scienti-fique que cette collaboration, cette critique mutuelledu normes de vraisemblance et de renforcements deprobabilités. I.e théologien est un savant et sa mé-thode bénéficie de cette collaboration, de cette réduc-tion, de ce contrôle mutuel dont le commerce scienti-fique est la sonnée. Il est aussi un fidèle et il trouve lesmêmes bienfaits dans l'ordre de la toi et de la penséereligieuse, au sein de la communauté catholique, tantqu'il est vivant dans cette communion; cf. M.-J. Con-gar. Chrétiens d/snnis, p. 52 sq.

On voit aussi par là qu'il y aurait quelque étroitesseà limiter les investigations du théologien aux donnéespour lesquelles il bénéficierait des indication» expli-cites du magistère. En réalité, d'abord, le magistèreordinaire de l'Église a des formes très variées et,comme l'a bien noté Vacant., Le magisl/Te ordinaire del'Église et ses organes, Paris, 1887, p. 27 et 46 sq., il vajusqu'à enseigner d'une manière tacite, en laissantpenser, dire et faire de telle ou telle manière. Ensuite,dans le silence du magistère hiérarchique, il y a uneconservation et une éducation de la foi qui se fait danstout le corps de l'Église. Enfin, l'enquête historiquepeut fournir par elle-même des données assez fermespour donner à la théologie dei principes sûrs, même enl'absence de toute « définition » par le magistère,comme c'est le cas, par exemple, pour la notion dela causalité instrumentale de l'humanité du Christ,ainsi que l'a montré le P. Simonin, De la nécessité decertaines conclusions théologiques, dans Angelirum,1939, p. 72-82. Ct. C. Labeyrie, La science de lu loi,p.531.

Sur la tnéologlé positive et le débat auquel elle a donnélieu au début du xx" siècle : L. de Grandmaison, Théologiensscolastiques et théologiens critiques, dans les Études, t. LXXIV.1898, p. 26-43; Mgr Misnot, La méthode île lu llisolayle, dansReoue du clergé français, t. xxix, décembre 1901, reprisdans les Lettres sur les études ecclésiastiques, Paris, 1908,p. 291 sq.; J. Urueker, La réforme des études dans les grandsséminaires, dans les Études, t. xcn, 1902, p. 597-615 et742-754; M.-Th. Coconnier, Spéculative ou positive? dansRevue thomiste, 1902, 0. 629-653; A. Lemonnyer, ThfnIngSepositive et théologie historique, dans Revue du clergé français,t. xxxiv, 1903, p. 5-18; Comment s'organise la théologiecatholique? ibid., t. xxxvr, 1903, p. 225-242; P. Bernard,Quelques réflexions sur la méthode en théologie, dans lesÉtudes, t. ci, 1904, p. 102-117; P. Batilïol, Pour l'histoiredes dogmes, dans Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905,p. 152-104; Êuuiullunnisme et histoire, Ivid; 1906, p. 169-179; M. Jacquin, Question de mots : histoire des dogmes,histoire des doctrines, théologie positive, dans Revue dessciences philos, et théol,, 1.i,1907, p. 99-104; U.-M. Scliwalm,Les deux théologies '. la scoîastique et la positive, ibid,, t. il,1908, p. 674-703; !.. Saltet, Les deux méthodes de la théologie,dans Dull. de lillér. ecriisin-.l., 1tl()9, p. 382-397; V. Caval-lera. La théologie historique, ibid., 1910, p. 426-434; Ed.Hiii^on, De la division de la théologie en spéculative, positive,historique, dans Hevue thomiste, 1910, p. 652-656; H. Hedde,Nécessité de la théologie spéculative ou scoîastique, ibid.,1911, p. 709-723; A. Uardeil, Le donné révêlé cl la théologie,Paris, 1910; F. Cavallera, La théologie positive, dans Bulle-tin de littér. etclésiust; 1925, p. 20-42; :M. Scliumpp, Bedeu-tuny und Behandiung der Ueiligen Schrilt in der sustematis-chen Théologie, dans Théologie und Glaube, t. xxi, 1929,

p. 179-198; A. Antweller, Ueber die Beziehungen zivischenhistorischen und sostematischen Théologie, ibid., t. xxix,1937, p. 489-497.

Paittti ces études, celles de Schwalm, Saltet, Hugon,Coconnier sont spécialement orientées vers une attn'mationde la nécessaire union de la positive et de la spéculative.Voir aussi en ce sein, Uellamy, Lu «n'utoyic catholique auZIX' siècle, p. 182-187, et T. Richard, Étude critique sur lebut de la scoîastique, dans Revue thomiste, 1904, p. 167-186,41B-436, et Usage et abus de la seolaetiquc, ibid.i p. 664 582.

Sur le travail de la théologie positive comme conditionnépar le magistère de l'Église : N.-J. Laforèt, Dissertatiohislorico-doamalica de methodo theologice sinr rfp mirtnrUnl»Ecclesiœ calholiese tanquam régula l'idei christiana.', Louvain,1849; M. Jacqufn, Le magistère ecclésiastique source et règlede la théologie, dans Revue des sciences philos, et théol., t. vi.1U12, p. 253-278; A. Landgraf, Les preuves scripluruires etpatristiques dans l'argumentation théologique, dans Renne dessciences philos, et throL, t. xx, 1931, p. 287-292; J. I-ianft,Dis TrvuliltwisineltlWle, Cité supra! H.-l->. Simonin, Noiesur l'argument de tradition en thrologie, dans Angelicam,t. xv, 1938, p. 409-418; L. Charller, Essai sur le problèmethéologiquc, Thuillica» 1938. p. 58 n\., F. Wy!.m, Tlwulnuleaïs Wissenschalt, Salzbourg et Leipzig, 1938, p. 112-120,128 sq., 159. — Et comp. supra, col. 426.

//. LE PROBLÈME DK L'APPORT RATIONNEL ET DURAISOSSEUKST THÉOLOOTQUE.— 1° Le problème. — IIpeut se poser ainsi : même en admettant qu'il y ait,entre l'univers de notre connaissance naturelle etl'univers de la foi, une certaine proportion, analogiaenlis, le monde révélé est proposé à notre foi précise-ment comme quelque chose d'autre que notre mondenaturel, quelque chose de nouveau, dont on ne peutse représenter par la voie de la raiioii yuc uy qui est.justement le moins lui-même. La Révélation est faite,précisément, pour nous faire connaître des chosesiiiaL'iiaijSiilJlcs à notre Savoir et cependant nécessairesà l'accomplissement de notre destinée. Et même lors-qu'elle parle des choses que nous connaissons, aumoins par un côté, elle en parle non pour nous en faireconnaître la nature, les propriétés ontologiques ouphysiques, mais pour nous en enseigner un usageconforme à l'orientation de notre vie vers Dieu.N'est-ce pas, au fond, le problème que posent direc-tement des textes de l'iS'.rriturç du gçnre de ceux-ci i« Nous prêchons une sagesse qui n'est pas de ce. siècle(de ce monde)..., des choses que l'œil n'a point vues,que l'oreille n'a pas entendues... Or, nous n'avons pasreçu l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient deDieu, afin que nous sachions les choses que Dieu nousa données. Et nous BU piulons, non avec dés discoursqu'enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu'en-seigne l'Esprit, employant un langage spirituel pourlés choses spirituelles, » 1 Cor., n, 6, 9, 12-13 ? Com-ment peut-il y avoir une théologie chrétienne qui em-ploie, pour se constituer, la connaissance philosophi-que de ce monde?

Techniquement, la difficulté se présentera ainsi : sil'on emploie, pour constituer la thsologie, d<?s notionsphilosophiques, ou bien l'on syllogisera à quatretermes, ou bien ce qu'on fait ne signifiera rien etn'apportera rien, ou bien on ramènera l'Écriture ausens des catégories philosophiques utilisées. Soit, eneffet, un raisonnement de ce genre, dont il n'y a d'ail-leurs pas lieu de se demander s'il aboutit ù une uonclusion théologique nouvelle, contenue ou non dansla Révélation :

Le Christ est roi (révélé : Joa., xvm, 37);Ur, tout roi possède le pouvoir de juger et de condamner

ses sujets (principe philosophique : saint Thomas, .S»m.théol., III", q. xi.ix, a. 4, ad l"");

Donc le Christ possède le pouvoir etc.La qualité royale du Christ (isl révt'iëa dans maintpassage de l'Écriture sainte, mais elle est révéléedans son ordre à elle ; sa royauté est expressément pré-

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473 T H É O L O G I E . L 'APPORT R A T I O N N E L 474sentée par lui comme étant « de l'autre monde » etobéissant à des lois bien différentes de celles que sui-vent les rois terrestres. Or, dans la mineure (ou ma-jeure, si l'on remet l'argument en forme) philosophi-que, la royauté est prise dans sa notion philosophiquehumaine, Rt l'on cherche à progresser dans la connais-sance de la royauté du Christ et de ses « propriétés n,grâce à la connaissance, apportée par la mineurephilosophique, d'une des propriétés de toute royautéet donc également de la royauté du Christ. On voitla difficulté : on bien il n'y a aucun apport philoso-phique, cl alors ce raisoiitiemeni ne signifie rien; oubien il y a un tel apport, mais alors on raisonne surdeux notions de la royauté, l'une révélée et spéciale,l'autre philosophique et générale, et l'on syllogise àquatre termes; ou enfin on ramène la royauté surna-turelle et révélée du Christ dans le cadre de la royautéen général, telle que la réalisent les hommes et que ladéduit la sociologie rationnelle. Si l'on met notre rai-sonnement en forme, ïe principe philoçophîqne y jouele rôle de majeure; il se subordonne la vérité révélée etla royauté du Christ n'y est traitée que comme un casde la royauté humaine en général, c'est à dire qu'elleperd sa spécificité surnaturelle, que Dieu devient pournous un roi parmi les autres, alors que toute la Révé-lation cherche à nous (aire savoir qu'il est le seul...C'est bien à cela, diront certains, qu'aboutit en effet lathéologie « scolastique », c'est-à-dire relie qui s'estconstruite en assumant des données philosophiques.Pour avoir construit rationnellement la morale, on ya perdu de vue l'anthropologie biblique, où l'hommeest essentiellement chair et esprit, pour prendre uneanthropologie philosophique, où l'homme est matièreet forme; on a fait de l'Église une société de mêmetype que les autres, différente simplement par son butet ses pouvoirs; on a tait des sacrements de simplescas de causalité instrumentale, etc.

Une comparaison très heureuse que donne Schee-ben peut nous permettre de réaliser encore mieux ladifficulté du problème. Dogmatique, n. 802; Mi/steriendes Christcntums, § 107, n. 3. Soit un voyageur faisantle récit de ce que sont, dans une '•entrée lointaine,un climat, une flore et Une faune tout à fait différentsde ceux que nous connaissons. Le simple fidèle estsemblable à celui qui se contenterait d'écouter, d'ad-mettre ce qu'on lui rapporte et d'agir en conséquence;mais le théologien est l'homme qui, ayant écouté etadmis, s'efforcerait de comprendre en recourant aumonde qu'il connaît, à la connaissance qu'il a du cli-mat, de la flore et de la faune du pays qui est le sien.

2° Réponse. — En face du problème que nous ve-nons de poser, il y aurait une autre hypothèse : que lesnotions rationnelles introduites en théologie spécula-tive ne soient ni vaincs, ni parallèles et étrangères auxvérités de toi, ni dominatrices et assimilatrices de cel-les-ci, mais soient assimilées par celles-ci et ramenées àleur sens. Cette hypothèse est en réalité la vraie,comme nous allons le montrer.

Il n'y a, pour notre esprit, qu'une manière de pro-gresser intellectuellement dans la connaissance desmystères, c'est d'analyser le contenu des concepts danslesquels ils nous ont été révélés par Dieu, de déduiredes essences les propriétés, de rattacher les effets auxcauses, bref d'analyser, d'expliquer et d'organiserrationnellement- La thmingip conçiçtfi pn cçla, C'estpour cela qu'elle applique aux concepts choisis parDieu dans notre monde pour se révéler les élabora-tions des concepts correspondants auxquelles notreesprit a pu parvenir dans les différentes sciences quiles concernent. C'est ainsi que, si Dieu se dévoilecomme persomni, nous révcir qu'il y a en lui Père etFils, etc., la voie d'une perception intellectuelle de cesvérités sera pour nous celle d'une application à ce

donné révélé, formulé en notions de notre monde, desélaborations que ces mêmes notions auront pu rece-voir dans les disciplines humaines qui les étudient.

Mais il faut bien voir la condition nouvelle de cesnotions désormais empruntées aux sciences par lathéologie. Certes, les tflaborations dont on fait maintenant profiter la théologie ont été obtenues par uneétude des choses créées et sensibles qui constituentno» objets de connaissance; mais leur validité et leurefficacité au regard de la représentation des mystèresfont l'objet d'une garantie, dont l'initiative et la res-ponsabilité reviennent à Dieu lui-même; leur applica-tion aux mystères pour les représenter authentique-ment est autorisée par Dieu lui-même qui, en se révé-lant comme personne, comme Père et comme Fils,détermine lui-même quels sont les concepts et les réa-lités créés qui ont une valeur de similitude sus sapien-tiœ. Ces concepts ne sont plus, dès lors, des analogiesphilosophiques appliquées par l'homme sous sa seuleresponsabilité en vertu du principe transcendant decausalité; ce sont des analogies révélées, reçues dansla toi et dont l'homme connaît dans la foi la valeur dereprésentation. Sur les analogies de la foi ainsi enten-dues : J. Maritain, Distinguer pour unir ou les degrésdu savoir, Paris, 1932; cf. M. T.-L. Penido, Le rôle del'wiulugie en théologie dogmatique, Paris, 1931;G. Sôhngen, Analogia fidei : Goltahniichkeit allein ausGlauben? dans Catholica, t. w, 1934.

Nous commençons donc à entrevoir la solution denos difficultés. Les notions de raison employées enthéologie pour exprimer l'enseignement de la foi selonun mode rationnel et scientifique ne sont plus depures notions de raison philosophique; elles sont eneffet, soumises arx analogie» de la fo', jugées, corri-gées, mesurées, approuvées par elles et, par là, amenéesà la dignité d'une analogie théologique, objet de raisonthéologiquc, de cette ratio fidc illustrata dont parle leconcile du Vatican, sess. ni, c. iv, Denz., n. 1799. Leraisonnement théologique n'est nullement une appli-cation de notions philusupniques à un donné qu'onrecevrait d'ailleurs sans l'avoir démontré. Certainesmanières de procéder, qui reposent plus sur l'appareilrationnel que sur la vérité révélée, pourraient tombersous ce reproche; cf. L. Charlier, Essai sur le problèmethéologique, p. 154-155. Quand les Salmanticenses, parexemple, reprenant le procédé du raisonnement depotentia absoluta, cher à la critique théologique desXIVe et XVe siècles, avancent que, menu» si Dipii n'étaitpoint Père, non plus que Trinité, notre adoption parlui en qualité de fils serait encore possible. In IIl^,q. xxiii, a. î, éd. Palmé, t. xvi, pi 393 sq., on peut direqu'une telle manière de raisonner d'après les seulsconcepts naturels et en dehors des affirmations effec-tives et de l'économie réelle de la Révélation est domauvaise méthode théologique. Car la théologie n'estpas la philosophie qui raisonne sur la foi, c'est, commel'a dit le P. Chenu, la foi qui cherche à « s'emmembrerde raison », le donné qui « s'invertèbre par l'intérieuret sous sa propre pression ». Position de la théologie,dans Revue des sciences philos, et théol., t. xxiv, 1935,p. 232-257 (p. 232 et 242).

Au point de vue du contenu objectif, c'est d'un boutà l'autre la toi qui commande en théologie. C'estuniquement pour prendre son développement dansune intelligence humaine selon le mode connoturel ncette intelligence, qu'elle s'annexe et se subordonnedes notions philosophiques. Elle n'en reçoit aucunapport objectif propre, mais seulement une explicila-tion plus complète en assumant les ressources et lesvoies de cette raison. Aussi, dans cette assomption,les notions philosophiques sont-elles vérifiées, amenui-sées, purifiées pal la foi de manière à répondre au ser-vice que celle-ci réclame d'elles. Ce travail est évident

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475 T H É O L O G I E . L 'APPORT R A T I O N N E L 476dans la théologie scolastique; qu'on pense seulementà la reprise des notions de personne, de relation, deconversion substantielle, de subsistence, de verbemental : les deux dernières, qui sont d'authentiquesnotions philosophiques, n'ont été dégagées, au béné-fice de la philosophie, que cous la pression du travailthéologique et pour ses besoins; quant à la première,on sait quelles rectifications et quelles précisions elledoit à sa destination théologique. De telles reprise»seraient un scandale pour le philosophe qui voudraitn'être que philosophe; elles sont, en théologie, la con-séquence de la souverainulé du la toi. Pour le dire enpassant, c'est à ce rôle de la foi vis-à-vis de la philoso-phie, que nous devons en grande partie la « philosophiechrétienne », au sens où cette expression désigne uncertain nombre de problèmes, d'attitudes, de conceptset de certitudes qui ont été acquises à la philosophie.Les textes du magistère catholique ont souvent insistésur ce bénéfice de certitude et cette plus-value deprécision que la raison humaine reçoit dp ce service dela foi.

Nous pouvons maintenant répondre aux difficultésqui représentent la forme claBBique de notre problème.

Il n'y a pas subalternalion de la théologie à la phi-losophie car, dans la théologie de forme rationnelle,ce qui est donné de foi juge et mesure ce qui usL em-prunt philosophique et, loin de ' e subordonner à lui, sele subordonne à soi-même. S. Thomas, Sum. Ihcol., I»,q. I, a. 5, ad 2""'; a. 6, ad l™ et 2"»; /;i ISoei. de Trin.,q. n, a. 3. D'autre part, la théologie reste une scienceune, caractérisée par un médium demonsirationis un.Les prémisses du raisonnement théologique, en eflet,sont coordonnées l'une à l'autre pour inférer la conclu-sion. La notion analogique de raison a en effet étéprise, travaillée, mesurée et finalement approuvée etadoptée par la notion analogique de foi. De la sorteon n'a pas, dans l'argument théologique, un termede foi, un terme de raison et un produit théologique,mais un terme de foi assumant vitaiement et assimi-lant du vrai rationnel pour porter, grâce à lui, l'mia-logie révélée à un état rationnel et scientifique etconstituer avec lui un unique analogue de foi. Ainsi :1. il n'y a pas quatre termes dans l'argument théolo-gique; 2. les deux prémisses de cet argument formentun uniqueffiedi'u/n de démonstration dans lequel toutela détermination vient de la foi et qui est donc, commele dit Cajétan, diuino lumine f u l g c n s , cf. In /am,q. i, a. 3, n. iv; la conclusion du raisonnement théolo-gique se résoud dans l'unique causalité de ce médiumque sont les prémisses organisées et coordonnées pourson inférpnrp; toute la lumière lui vient de la prémissede foi. La théologie est vraiment le développementscientifique de la toi, la science de la foi.

Tout ceci a été exposé par Jean de Saint-Thomas,In J«°' partem, q. i, disp. II, a. 6, n. 1, 10-17, 22-24(éd. de Solesmes, p. 369-374); a. 7, n. 18 sq. (p. 381);a. 9, ii. 6, 11-13 (p. 391, 393); cf. Logica, II" pars,q. xxv, a. 1, ad 3, éd. Reiser, p. 777 ; cf. ici l'art. DOGMA-TIQUE, t. iv, col. 1525-1526.

3° Conséquences. — Ces conséquences vont toutesà assurer effectivement la primauté du donné de fuiet le rôle instrumental de l'apport rationnel. Notonsles quatre points suivants :

1. Le théologien devra avoir une conscience trèsvive du fait qu'il n'y a réellement, qu'un moprip depensée comme un seul monde de réalité et que la foi sesubsume le savoir rationnel, comme l'être surnaturelle fait pour ce qui est des réalités naturelles. Foi etraison, surnature et nature sont distinctes, mais pasnéanmoins comme deux quantités de même genre etextérieures l'une à l'autre. Le monde de la fui ysL le«tout 11 du monde de la raison; il l'englobe et le déborde.K. Eschweiler, Die zivei Wege, p. 37 sq., 238; L. Char-

lîer, Essai sur le problème théol., p. 84 sq. C'est pour-quoi il ne faut pas prendre les choses et les vérités dela foi pour de simples cas, rie simples appl'îationsdes lois générales du monde naturel, qui trouveraientdans ces lois leur explication.

2, Au delà de toute construction, ai satisfaisantesoit-elle, le théologien devra garder un sens très aigude la transcendance et du mystère. Nos idées humainespeuvent bien nous aidrr à mieux nous représentCF Ceque c'est, pour le Christ, que d'être roi, par exemple;mais le mode propre et positif dont il est loi nouséchappe en son unité indivisible, et demeure un mys-tère. Ainsi la théologie peut-elle, comme sciencehumaine de la foi, prendre de la réalité mystérieuserévélée une vue qui tend à être de plus en plus pré-cise; mais ce qui fait le point le plus propre du mys-tère lui échappe et se refuse à p.t.ro éliipirip par l 'pmpl/ndes analogies humaines. On définit avec précision lelieu du mystère, mais on n'éclaircit pas celui-ci.

Ici encore, saint Augustin représente, pour le thrologien, un exemple digne d'être médité : lui qui a écritque si l'on parle en Dieu de trois personnes, « c'estmoins pour dire quelque chose que pour ne pas ne riotldire », De Trin., 1. V, c. ix, P. L., t. XLII, col. 918; luiqui a écrit également que ce qu'on a déjà trouvé etcompris de DlêU Invite à une nouvelle et perpétuellerecherche. Ibid., 1, XV, c. n, col. 1057-1058. Sur ce sensdu mystère chez le théologien, cf. A. Gardeil, Le donnérévélé, p. 144-1SO; R. Garrigou-Lagrange, Le sens dumystère et le clair obscur intellectuel, Paris, 1934; Lathéologie et la vie de la f o i . dans Revue thomiste, 1935,p. 492-514; L. Charlier, Essai sur le problème Illéolo-gique, p. 153-158.

a F.n théologie, 'e donné est totalement régulateur.Le théologien ne construit pas à partir de ses conceptsun monde où l'esprit n'est arrêté par rien qui soitétranger à son propre jeu et aux déterminations idéo-logiques nécessaires, mais il se réfère à un donné reçudu dehors. Cette dépendance exige du théologien uneaLLilude de Lutalu souniisiiloil et de radicale pauvreté;cf. M.-J. Congar, Saint Thomas serviteur de la vérité,dans Vie spir., mars 1937, p. 259-279. Elle impliquequ'en chacune de ses démarches, le système idéologi-que que le théologien construit, soit crPiqué et assou-pli en référence à tous les éléments du donné, eux-mêmes appréciés selon leur valeur respective. En cer-taines questions^ surtout, comme en matière sacra-mentelle, qui sont. autant, dps « ins t i tut ion» » rpip i.le'idogmes, la référence au fait doit être constante, leplus petit fait devant être respecté et engageant àassouplir la théolie si colle ci s'avère trop étroite outrop rigide pour en rendre compte. Sur cette docilitédu « construit » à l'égard du « donné », cf. M.-D. Chenu,Position de la théologie, dans Rvuue dn: svimivvsi pliilus.et théol., 1935, p. 243-245, et, sur le sens de l'Égliseet du magistère qui en est la condition, L. Chariier,op. cit., p. 158-164.

4. Enfin, il sera encore de l'humilité et de la soumis-sion de la science théologique d'accepter un donnédont tous les éléments sont loin d'être de niveauavec les exigences de l'esprit en fait de précision con-ceptuelle. La Révélation est faite en un style imagé,dont M. Penido a précisé, si l'on peut dire, le statutépistémologique sous le nom d' « analogie métapho-rique » ou " analogie de proportionnalité impropre ».Le rôle de l'analogie en théologie dogmatique, p. 42 sq.,99 sq. C'est ainsi que le Christ nous est révélé comme« agneau de Dieu », ou • tête de l'Église », que l'Égliseelle-même l'est comme « épouse du Christ », « vigne duSeigneur », etc. La perfection commune aux deux ter-mes métaphoriquement analogiques n'est pas formel-lement en tous les analogues, l'analogie métaphoriqueexprime une équivalence d'effets, non pas directement

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477 T H É O L O G I E . LA C O N C L U S I O N T H É O L O G I Q U E 478la forme d'être ou la dénnition essentielle, mais la pro-portion entre deux manières d'agir. Aussi, commeDieu, dans la Révélation qu'il nous adresse, veutplus nous dire ce qu'il est pour nous et ce qu'il faitpour nous que ce qu'il est en lui-même, on comprendtrès hiçn, indépendamment du motif général des'adresser en images à des hommes qui sont des êtressensibles, que la Révélation soit remplie de métaphores.De la aorte, cnmCmctcmps que le théologien s'efforcerade traduire ces notions métaphoriques en analogies deproportionnalité plus rigoureusement définies, il devracependant, parce qu'elles sont du donné révélé, défianalogies de fol, soumettre des concepts philosophi-quement plus satisfaisants à l'approbation de cesmétaphores. Ainsi, d'un côté, il traduira en conceptsplus précis le sens affirmé par les similitudes de la têteet de la vigne, mais, d'autre part, le théologien devrasoumettre le matériel conceptuel, emprunté aux scien-ces philosophiques, au jugement et à la mesure de cesgrandioses mais imprécises imagps rip la tête m du lavigne, etc. Car ces métaphores sont du donné révéléet leur contenu doit passer dans la constitution de lathéologie. Ce serait une erreur de méthode que de neconstituer une ecclésiologie, par exemple, qu'avec lesnotions humainement claires et rigoureuses, plus pro-ches de In philosophie, de société, de pouvoir, (le loi,etc., et de négliger les grandes images bibliques dontheureusement des traités comme les Thèses de Ecclesiade Franzelin ou le Corpus Chnsti quod est Ecciwia duP. Tromp, ont tait leur profit. Sur cet usage et cettevaleur des métaphores en théologie, cf. S. Thomas,Sum. iheol., I», q. i, a. 9.

///. LE PR0131.ÈSIE DE LA CONCLUSION THÉO 1,0 CifQ VEET HE L'IUI SiîOOÊNÈI TE DE LA SCIKSCK T l l f : ( l l . l l f } : l { l ! KAU DOGME. — Si le raisonnement théologique vérifieles conditions d'un raisonnement nécessaire et sil'apport de la raison y est à ce point assumé et réglépar la foi, ne doit-on pas reconnaître à la conclusionthéologique, à ce snbile divino lamine fulgens dontparle Cajétan, une certaine homogénéité avec le révélélui-même, objet de notre foi? Dans le cas où uneconclusion découlerait d'une façon nécessaire et évi-dente, soit de deux prémisses de fol, soit d'une pré-misse de foi et d'une autre de raison évidente, la con-clusion pourrait-elle faire l'objet d'une adhésion de foi,et sa négation l'objet d'un péché d'hérésie, avant toutedéfinition de cette vérité par l'Église? Une telle con-clusion peut-elle être définie par l'Ég.ise comme véritéde foi et, si oui, comment justifier cette définition?Enfin, après sa détinilion, une telle vérité relève-t-ellede la foi théologale, ou bien d'une adhésion spécialedistincte tant de la fol théologale que de la foi hu-maine? telles sont les questions que pose la conclusionthcologiquc. Cf. A. Gardcil, Le donné révélé, p. 163-180.

1° Adhésion à une conclusion théologique avant sadéfinition. — Les grands théologiens du xin6 siècleadmettent bien un accroissement des formulaires dog-matiques par la canonisation de propositions conse-quenlia ad articulo/s; mais ces propositions sont poureux des vérités révélées secondaires quant à leur con-tenu, et non des conclusions théologiques; cf. R.-M.Schultes, Introductio in hisloriam dogmatum, Paris,1923, p. 71-78. D'après la documentation que présentecet auteur, p. 78-85, il semble que ce soient les théolo-giens nominalist.es pt. scotistps qui aient appliqué aux.conclusions théologiques ce qu'Albert le Grand etsaint Bonaventure disaient des vérités révélées secon-daires, admettant parmi les vérités i catholiques » :ueritates omnes et singula: guœ concludunlur ex pra'mis-sis uerUalibus in consequentia certa in lumine f i d c i sivein evidenli luinine niiluruli, quunwis nun in pivpriuforma verborum illic habeantur. Gcrson, cité p. 82; pourScot, cf. p. 84. Le P. Schultes semble suggérer, p. 83,

que c'est dans ce contexte que s'est produite l'insis-tance des thomistes à donner pour objet à la théologie,ainsi distingué?, de la foi, Ip.s conclusions théologîquçs,

La position qu'on attribue aux nominalistcs, favo-rable à l'inclusion, parmi les vérités de foi, des conclu-sions déduites bona et necesearia conacqucntia, aéraitaussi, au XVIe siècle, celle de Cajétan (?), Pierre Soto,M. Cano, Tolet, Molina, cités par Schultes, p. 116. Maisla position la plus notable i'i vuUu époque dans la ques-tion qui nous occupe est celle de Vasquez et de Suarez.Ces auteurs ont apporté en effet dans ce problèmeune distinction qui E'est transmise après eux et estpassée dans un grand nombre d'ouvrages. Ils distin-guent, au regard d'une conclusion théologiquc néces-saire, deux assentiments : celui qu'on donne à la con-clusion en tant qu'on la voit inférée par le raisonne-ment, et cet assentiment reste théologiqiie; celui qu'ondonne à la vérité telle quelle que présente la conclusionen tant que, dégagée pour l'esprit par un raisonne-ment, elle apparaît comme objectivement et réellemrnt contenue dans la proposition révélée. Ce secondassentiment, qui va à une vérité vue comme contenuedans une autre vérité révélée, relève de lu toi, pourmarquer, cependant, ce qui la distingue de l'assenti-ment donné aux vérités révélées, explicitement propo-sées par l'Église comme des dogmes, Suarez parle,dans ce dernier cas, de foi catholique et, dans le pre-mier, de simple foi divine ou « foi théologique », dis-tinction, elle aussi, extrêmement répandue depuis lorset à laquelle on peut d'ailleurs donner un sens accep-table. Cf. Vasquez, In J»"1 parfem D. Thomas, q. i. a. 2,di.sp. V, c. ni, éd. VeniFe, 1608, p. 19; Suarez, De fide,disp. III, sect. xi, n. 5, Opéra omnia, éd. Vives, t. xn,p 97; '.'t. d'autres rcfïrences dans Marin-Sola, Évo-lution homogène, n. 85, t. l, p. 99 sq.; n. 144 sq.,ibid., p. 210 sq.; n. 388, t. il, p. 157.

Le grand principe de discernement sera celui-ci :toute adhésion dépend de ce par quoi elle est motivée.Si mon adhésion repose sur le témoignage de Dieuproposé dans la prédication apostolique, elle sera défoi théologale; si elle repose sur ce que je vois, parl'industrie de mon esprit, dans le témoignage de Dieu,elle restera humaine ou plutôt humano-divine, c'est-à-dire théologique. Cf. Marin-Sola, op. cit., n. 135 sq., t. i,p. 202 sq.

Ce principe, cependant, n'est pas toujours d'uneapplication commode. Le plus simple audilus ftdeiengage toujours UIIR certiline îirt.iviti1 rie notre esprit,ne serait-ce que pour comprendre le sens des mots.L'intention môme de la foi ne peut se contenterd'une réception purement pa-isivo de la pnroïc deDieu; elle essaie de pénétrer le plus possible son senset, pour cela, tout en étant dans la disposition d'êtrerectifiée par le .'-eus du l'Église d les, déclarutiuns dumagistère, elle s'engage à ses propres risques dans unecertaine activité d'interprétation; elle cherche à voirtout eu que veut dire l'énoncé sacré. Dira-t-on qu'unchrétien ne peut adhérer de toi théologale au sensqu'il voit être celui de tel passage de l'Écriture dontl'Église ne lui donne par ailleurs aucune interprétationofficielle explicite? Et de même ne pourra-t-il adhérerde foi théologale à ce qu'il verra avec évidence appar-tenir à un dogme, mais dont l'Église n'aura pas encorefait une définition explicite?

II semble qu'on puisse dire ceci ; quand l'activité dal'esprit se tient dans les limites d'une intelligence desénoncés révélés tels quels, une adhésion de foi est pos-sible à ce que l'on verra avec évidence appartenir aurévélé ou être le sens de ces énoncés. A la limite, ilsemble que la même adhésion de foi pourra être don-née à ce qu'on verra avec évidence être lié de tellesorte aux énoncés de la foi que, si on niait cela, onserait amené nécessairement à pervertir le sens offi-

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479 T H É O L O G I E . LA C O N C L U S I O N T H É O L O G I Q U E 480ciellement déclaré desdits énoncés. Telle est du moinsla position de saint Thomas, à propos des « notions »divines. In /"m Sen(., dist. XXXIII, q. i, a. 5; Sum.theol., I", q. xxxn, a. 4; cf. II'-II", q. xi, a. 2. On pour-rait, dit saint Thomas, pécher contre la foi, si on niaitla doctrine des notions divines. Non pas que celle-cisoit explicitement de foi; mais elle intéresse la toiindirectement, indirecte ad fidem pertinet. On peutcommettre un péché d'hérésie non en niant directe-ment une vérité de foi, mais en tenant une positiontelle que le sens orthodoxe de la toi ne puisse êtregardé. Il ne semble pas, d'ailleurs, que saint Thomasélargirait beaucoup le champ de ces appartenancesindirectes de la foi et que, par exemple, il y feraitrentrer une doctrine comme celle de l'unité d'être dansle Christ. Sum. theol,, III*, q. xvn. C'est pourquoicette position ne revient nullement à considérer, avanttoute définition dogmatique, toute conclusion théolo-gique certaine comme relevant, pour le théologien, dela foi.

Il faut au contraire, à la suite de Jean de Saint-Thomas, In J"", q. i, aisp. II, a. 4, éd. de Solesmes,p. 357 sq., et du P. Schultcs, bien distinguer du casprécédent celui de la conclusion théologique propre-ment dite, laquelle relève de ce que Schultes appellele virtuel illatit. Dans ce cas, iwus ne sommes plus enpiésence d'une activité de l'esprit s'efforçant de com-prendie aussi totalement que possible et de traduiresimplement en valeurs techniques l'énoncé tel quel dela foi, mais d'une activité s'efforçant de dégager, parl'introduction d'un élément étranger au révélé formel,un objet de pensée qui ne procède que médiatementdes énoncés de la foi; nous sommes dans l'ordre dumédiatement révélé; l'activité l i f . l'asprit n'intervientpas seulement pour permettre au sujet de comprendrece qui est expressément révélé, mais pour constituerun objet dont l'appartenance ou révélé n'est que mé-diate. Il ne peut être question de donner au termeainsi dégagé une adhésion de foi, le motif de celle-cin'étant nihil aliud quam ueritas prima, Sum. Iheol.,II*-II", q. i, a. 1.

Il faut donc bien distinguer, comme le fait Jean deSaint-Thomas, deux usages du raisonnement : le casoù il ne s'agit que de disposer et d'habiliter l'espritdu croyant à comprendie aussi totalement que possi-ble ce qui est vraiment révélé; le cas où il s'agit dedégager, par l'usage d'un moyen terme nouveau, desvirtualités qui ne se rattacheront au révélé que d'unefaçon médiate. Il semble que la distinction de Suarezet de Vasquez ne puisse valoir pour ce second cas etqu'on ne puisse, dans un raisonnement théologiqucproprement dit, une fois la conclusion obtenue par leraisonnement, laisser de côté le moyen d'inférence quia servi à la dégager et en contempler la vérité tellequelle, comme objectivement contenue dans la pré-misse révélée. Ce qui est vrai du tiavail par lequel lethéologien prend conscience du contenu du révéléformel, ne l'est plus du travail par lequel il dégageraitle « révélé virtuel », qui relèvera toujours d'une adhé-sion où la raison intervient. Finalement d'ailleurs, cequ'on croyait à un moment donné ne représenter quedu révélé virtuel sera peut-être un jour défini parl'Église. On reconnaîtra alors que c'était bel et bien,dès le début, du révélé formel. Mais on n'en savait rienalors. C'est pourquoi le théologien doit conduire sontravail dans un parfait esprit de docilité envers lemagistère de l'Église.

2° Après ta définition par l'Église. — La question desavoir quel assentiment donner à la conclusion théo-logique définie par l'Église après sa définition n'a plusd'urgence si l'on adopte la thèse de Schultes. Celui-ci, d'ailleurs, Introd., p. 130-131, a critiqué vivementla « foi ecclésiastique », c'est-à-dire une foi qui ne

serait ni la foi théologale, ni une toi humaine inspiréepar la foi divine et s'adressant à l'autorité de l'Églisecomme telle. Le P. Marin-Sola, filmliilinn hmnny^np,t. i, n. 225-297, a critiqué plus à fond encore la <i foiecclésiastique »; il montre bien que, par la définitionde l'Église, un nouveau motif d'adhésion, qui relèvede la foi théologale, est substitué à celui du savoirthéologique; il résout dans le sens esquissé plus haut,col. 443, la question de la compohsibililé da l'adIuUunde foi et de l'adhésion théologique, sous différentsaspects, à la même vérité matériellement prise.

3" Dogme et théologie. — Au terme de cette étude desproblèmes de structure que pose la théologie, et finale-ment la question de son homogénéité à son donné ini-tial, il peut être utile de marquer nettement la dis-tinction de la théologie et du dogme, puis d'expliqueret de déterminer le rôle, à l'intérieur rie la thi^ningipelle-même, d'une pluralité de constructions intellec-tuelles.

La théologie se distingue du dogme, où BO trouvedéfini l'objet de la foi, en ce qu'elle implique un travailhumain de l'intelligence qui reste, précisément, untravail purement humain. La toi est une pure adli&iuilà la Parole de Dieu, pour le motif même de l'autoritésouveraine de Dieu révélant. Si l'homme a sa partdans l'expression dé cette révélation divine, les énoncéshumains de la Révélation ne laissent pas d'être garan-tis comme pure Parole de Dieu par le charisme de l'ins-piration. La part de l'homme est plus notable dans laformulation proprement dogmatique de l'objet de lafoi, car le dogme, expression plus élaborée de la Révé-lation, est l'oeuvre de l'Église, laquelle n'est pas ins-pirée dans ce travail, mais seulement assistée ne erref.Le dogme est, à cet égard, de facture humaine; aussises formules ne sont-elles pas sans rapport avec l'étatintellectuel du temps qui les voit naître. Cependant,le dogme n'est qu'une fixation officielle des véritéscontenues dans la Révélation et déjà proposées parl'Église qui nous transmet avec autorité et l'Écritureet les traditions. Le dogme ne tait qu'expliquer etexpliciter le contenu réel de la Parole révélée, sans yrien ajouter. Aussi le travail humain peut-il êtrenotable dans l'explication du donné primitif et l'éla-boration des formules dogmatiques; il n'entre cepen-dant en rien dans la constitution intrinsèque de l'objetde l'adhésion religieuse. Cet objet demeure, sous uneforme plus élaborée et plus précise, identiquement cequ'il ptait., pnmmp. nhjft^, dans In, Révélation prophé-tique, évangélique et apostolique. Non seulement onn'ajoute rien à son contenu, mais on ne change rien àce qu'il c3t comme objet d'adhésion.

La théologie, elle, s'efforcera bien de demeurer,pour l'expliquer intellectuellement et le construirescletilinqueiimtil, à l'inléricur du cunlenu des asser-tions révélées : ainsi, à l'assertion de la présence réelledu Christ vivant dans l'eucharistie, elle n'ajoutera pasune autre assertion; elle s'efforcera seulement de péné-trer intellectuellement et de construire scientifique-ment la réalité affirmée. Mais ce qu'elle percevra etaffirmera dans l'objet révélé sera perçu et vu par ellegrâce à un effort humain et par l'emploi de moyensépistémologiques humains, pour qui ne valent, ni l'as-sistance dont bénéficie l'Église, ni à plus forte raisonl'inspiration qui est donnée au « prophète ». Dans lavision du théologien comme tel, le moyen humain,laissé à lui-même, intervient comme principe même deconnaissance; l'objet comme objet, c'est-à-dire commeterme de coiniaiiismice, esl uoiihLUué par ly mélange dudeux lumières bien inégales en qualité et en certitude,celle de la vérité révélée et celle de la raison humainedu croyant : deux lumières se composant ensemblepour déterminer un genre nouveau d'adhésion, celui dusavoir théologique. Sur l'ensemble de la question et la

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481 T H É O L O G I E . LA C O N C L U S I O N T H É O L O G I Q U E 482distinction entre dogme et théologie, cf. A. Gardell,Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910; H. Pinard,art. Dogme, dans le Dict. apologét., t. i, col. 1144-1148et 1183.

Cette distinction entre le dogme et la théologie atoujours été, sous une forma on sons une autre, recon-nue et surtout pratiquée dans l'Église : et ceci mêmelorsque, n'ayant pas encore nettement défini la théo-logie comme une activité rationnelle et scientifique ducroyant, on ne laissait pas de distinguer entre ce quiest tenu unanimement par l'Église et s'impose à la foide tous, et ce qui est la manière de voir d'un individuproposant telle affirmation sous sa responsabilitépersonnelle, ou encore entre la simple affirmation desfaits Chrétiens, objet de la prédication ecclésiastique,et l'explication du comment et du pourquoi, à laquelles'efforce la prédication des docteurs. Origène en avaitdéjà fait la remarque au début du De principiis.

La distinction entre dogme et théologie n'a cepen-dant pas toujours été assez présente à la pensée desthéologiens et de ceux qui, sans l'être, ont touché audomaine de la théologie. Plusieurs des difficultés sou-levées par les modernistes contre le dogme viennentd'un manque de distinction entre le dogme de l'Égliseet les systèmes ou même la science théologiques. Ainside M. Ed. Le Roy dans son fameux article Qu'est-cequ'un dogme? repris avec des éclaircissements dansDogme et critique, Paris, 1907; ainsi encore de G. Tyr-rel), cf. supra, coi. 440. Ce fut donc l'un des bénéficesde la crise moderniste que de faire mieux distinguer dudogme la théologie, la science théologique et les sys-tèmes particuliers de théologie. Les éclaircissementsdonnés alors n'ont cependant pas suffi et l'on a vu,récemment, soulever contre le catholicisme des riiffl-cultés qui, arguant de la présence dans le dogme d'élé-ments philosophiques périmés, reposaient pour unepart --ur la vieille méprise et sur le manque de distinction entre dogme et systèmes théologiques. Sur la dis-tinction entre dogme et théologie, au moment dumodernisme, cf. les interventions des PP. Sertillaiigeset Allô dans le débat soulevé par M. Ed. Le Roy(bibliographie dans J. Rivière, Le modernisme dansl'Éylise, Paris, 1929, p. 250 sq.); A. Gardeil, Le donnérévélé et la théologie, Paris, 1910; L. de Grandmaison,Le dogme chrétien, sa nature, ses formules, son dévelop-pement, Paris, 3e éd., 1928; H. Pinard, art. Dogme,dans le Dict. apologét., t. i, col. 1146-1148; R. Garri-gou-Lagrange, Le sens commun, la philosophie de l'êtreet les formules dogmatiques, Paris, 1909.

C'est dans la perspective de ce qui vient d'être ditsur dogme et. théologie qu'il faut comprendre la diffé-rence entre la science théologique et les systèmes théo-logiques et l'inévitable diversité de ces systèmes dansl'Église. Il y n la foi catholique, qui s'impose à tous lescroyants, parce qu'elle n'est point particularisée dansla pensée d'un seul homme, mais qu'elle est le bien del'Église comme lello et il y a l'élaboration humainede cette foi, qu'est la théologie. Par le fait même quecette élaboration est l'œuvre de croyants particulierset qu'elle s'opère par l'adjonction organique au dogmed'éléments empruntés à la connaissance rationnelle,son produit, la théologie, est nécessairement inadé-quat à la fides catholica et, un peu comme l'inadéqua-tion des biens particuliers au bien universellementvoulu fonde la liberté de choix, cette inadéquationjustifie et, en quelque mesure, entraîne une certainediversité de théologies. Cette diversité proviendra detrois sources principales :

1. La théologie, pas plus que la philosophie, n'estune œuvre absolument impersonnelle, une sorte deconstruction purement logique au regard de laquellela réalité concrète de l'homme pensant, son tempéra-ment, son histoire, son expérience extérieure et inté-

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

rieure, pourraient être considérés comme amorphes.En philosophie, par exemple, ces choses, au contraire,orientent vers certaines attitudes qui commandentelles-mêmes les options inspiratrices du système. Etcertes la théologie a pour règle un donné proposé parun magistère eool&iiaotiquc, comme la philosophie apour règle le donné de la connaissance naturelle; et ilest bien établi que la première démarche du théolo-gien est un acte de suumiïsiun à ce donné et à ce ma-gistère. Mais ce donné est si riche qu'il autorise desmanières différentes de l'aborder et, selon l'orientationd'esprit d'un chacun, des manières différentes de poserles problèmes eux-mêmes. Ce que la foi catholiquenous dit de la connaissance et du vouloir de Dieuquant à nos actes libres autorise, à coup sûr, diffé-rentes constructions non seulement des réponses, maisdes problèmes eux-mêmes, nnnst.rnetinnR qui dépen-dent d'un certain angle de vision, lui-même commandépar une orientation initiale dont la raison est à cher-cher dans une certaine expérience intime, une tradi-tion, une compréhension personnelle des données toutà tait premières. C'est ainsi, par exemple, que leshistoriens les plus récents (lu iiuiniiialisiini util yignaléen celui-ci une conséquence et comme une expressiond'une intuition initiale très forte, celle de la souve-raine et libre omnipotence divine; cf. P. Vignaux, dansl'article NOMINALISME, ici, t. xi, col. 741-748, etL. Baudry, dans sa préface au De principiis theolof/iœ,Palis, 1936, p. S5-40. On pourrait taire des remarquesde même type sur le molinisme, sur l'augustinismefranciscain, cf. supra, col. 392 sq., sur la théologie rie lagrâce chez Augustin ou chez Pelage, sur l'ecclésiologiede saint Cyprien, etc.

2. S" la théologie est l'élaboration de la foi par uneraison humaine usant de ses ressources propres, il estclair que le contenu et l'inspiration d'un « milieu », lecontenu et l'inspiration d'une tradition de vie n'U-gieuse et de pensée philosophique détermineront dansune large mesure l'oeuvre théologiqué, la constructionrationnelle de la fol. Le climat Intellectuel d'Alexan-drie n'était pas celui de Carthage et l'on a justementsouligné l'importance de cette diversité au regard dela diversité des théologies qui ont fleuri ici ou là. D'unemanière plus générale, la tradition théologique del'Orient et celle de l'Occident, en matière trinitaire,ont chacune une homogénéité interne relative et sontcependant diverses en leur manière d'aborder le mys-tère et de le construire iiitellecti'elli?rnent : îf. lesÉtudes de théologie positive sur la Sainte Trinité, duP. de Régnon, et en particulier la conclusion du t. ni,p. 564 sqi» et du t. iv, p. 533 aq. Dca différences sembla-bles existent sur d'autres points entre l'Orient et l'Oc-cident. Elles proviennent d'une manière différented'aborder les meules mystères, la différence étant dueà une orientation diverse du regard et de l'effort spé-culatif, orientation elle-même conditionnée par uneculture, par une tradition de pensée philosophique etreligieuse.

3. Au delà de l'intuition religieuse initiale, au delàdu milieu général de la pensée, la diversité des théolo-gies pourra naître du choix délibéré d'instrumentsconceptuels et philosophiques divers. L'Église, eneffet, impose à tous le même donné de foi, mais, enraison même de sa transcendance, ce donné supporte,dans son organisation rationnelle en théologie» le scrvice d'appareils philosophiques divers. Si le projet,formé par certains au xvi" siècle et jusqu'en pleinxviir» siècle d'employer, au lieu de la logique el (le ladialectique d'Aristote, celles de Platon avait portéfruit, nous aurions eu peut-être, dans l'Église catholi-que, Un type dé théologie assez différent de celui qui ya prévalu. La tentative d'appliquer à l'eucharistie lathéorie cartésienne de l'étendue a été condamnée par

T. — XV. 16.

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483 T H É O L O G I E . L 'HABITUS DE T H É O L O G I E 484l'Église, mais une tentative semblable inspirée de laphilosophie leibnizienne ne l'a pas été. La philosophiethomiste de la matière et de la forme d'flère radicale-ment de celle de saint Bonaventure ; la philosophiesuarézienne du composé diffère profondément de cellede saint Thomas et toutc3 ces différences ont leursrépercussions immédiates dans la construction théolo-gique. On pourrait multiplier les exemples.

Ayant ainsi marqué el jusiiflé la possibilité du plu-sieurs systèmes théologiques, il est juste d'affirmer nonmoins fortement que cela n'autorise pas, en cette ma-tière, un pur et simple relativisme. D'une part, eneffet, il y a des zones où l'interprétation rationnelle esttellement liée aux certitudes philosophiques commu-nes, qu'on se trouve atteindre à une connaissancescientifique et nécessaire, telle qu'elle ne laisse plus deplace à linp. systém.itisation plus partifiilière. Cftserait le cas, par exemple, de la doctrine selon laquellecelui qui nie délibérément un article de foi perd l'ha-bitua total de la foi; de la théologie de In science bien-heureuse du Christ; d'un certain nombre de conclu-sions relatives à la sainte Vierge, aux fins dernières,à certHi'iis points de morale sociale ou internationale...L'ensemble de ces thèses dessinerait l'aire de ce qu'onpeut appeler, par opposition aux systèmes, la sciencethéologique.

D'autre part, tous les systèmes sont loin de se valoirau point de vue de l'expression du donné révélé avecses virtualités, de même qu'au point de vue des élé-ments rationnels assumés. Un système qui, commecelui de saint Thomas, s'avère capable d'assumer etd'ordonner une multitude d'aspects particuliers qu'ontrouve mis en valeur ailleurs, mais en un état disperséet d'une façon fragmentaire, tient évidemment, de sonpoint de vue supérieur, une valeur autrement « catho-lique » qu'un système particulier, tait pour répondre àune antinomie de détail. Voir, sur toute cette questionde la science et des systèmes théologiques, A. Gardeil,Le donné révélé, p. 252-284.

IV. L'IIABITUS DE THÉOLOGIE DANS LE THÉOLOGIEN.— Après avoir défini et étudié la théologie au pointde vue de son objet et de sa méthode, il faut définirson statut dans le sujet, dans le théologien, en étu-diant d'abord l'habitus de théologie, puis les condi-tions du travail et du progrès théologiques.

/. L'BABITUS DE THÉOLOGIE. — Trois affirmationscaractérisent l'habitus de théologie : la théologie estune science; elle pstàlatoi ' s spéculative et pratiquemais principalement spéculative; elle est sagesse. Lepremier point a été touché plus haut; reste à parlerdes deux autres et à se demander si l'habitua de théo-logie est naturel ou surnaturel.

1° La théologie est un savoir spéculatif et pratique,mais principalement speculalll. — Nous avons déjà vu,à propos de la notion de science, combien saint Tho-mas obéit à l'idée que le savoir doit correspondre à sonobjet et aux conditions internes de celui-ci. Or, il y ades objets qui sont faits pour être connus et dont laseule connaissance épuise toute la relation que nouspouvons avoir à eux et il y a des objets qui sont faitspour être réalisés par nous. Est spéculatif le savoir quiconsidère son objet comme un pur objet à connaître,en spectateur; est pratique le savoir qui considère sonobjet comme une chose à réaliser et à construire, enacteur et en cause. Comme le dit saint Thomas,In I I Anal., 1. I, lect. 41, n. 7, le savoir spéculatif visela cognitio generis subjecti, le savoir pratique la cons-tructio ipsius subjecti. Cf. Com. ni Metapligs., l. II,lect. 2; In de anima, 1. III, lect. 15; In Politic., prol.;In Ethic., 1. I, lect. 1 ; De périt., q. ni, a. 3; Sum. theol.,I*, q. LXXIX, a. 11 ; In Boet. de Trin., q. v, a. 1.

Nous avons résumé plus haut, col. 398, et pourScot, col. 402, les positions prises au Moyen Age sur

la question du caractère spéculatif ou pratique de lathéologie. Elles sont toutes inspirées par le sentimentque la théolog'e est un savo'r çr'g'nal, supérieur, irré-ductible aux catégories des disciplines purementhumaines. Cette inspiration est aussi celle de saintThomas, mais elle l'amené à une position quelque peudifférente des autres. La théologie ne se constitue paset ne se spécifie pas comme les sciences humaines. Elleest une (•xlension de la fui, laquelle est une (•erlainccommunication et une certaine imitation de la sciencede Dieu. Or, la science de Dieu dépasse la divisionen spéculative et pratique. C'est pourquoi la foi, puisles dons intellectuels de science, d'intelligence et desagesse, puis la doctrina sacra et la théologie qui en estla forme scientifique, sont à la fois spéculatifs et pra-tiques, tenant du point de vue supérieur de la sciencedp- Dipn nnp. nnitp. qui sp romprait s'il s'ngi*sRîn't. ripscience humaine. Cependant, la théologie est plusprincipalement spéculative que pratique, car 1. elleconsidère principalement les mystères de Dieu, devantlesquels l'intelligence croyante est spectatrice et nonactive; 2. même en traitant de l'action humaine, ellela considère connue ordonnée à la béaliLude, laquelleconsiste en la connaissance parfaite de Dieu. Cf. S.Tho-mas, In 1"" Sent., prol., a. 2, ad 3°°'; a. 3, qu. 1; Sum.theol., 1*, q. i, a. 4; 11*-!!", q. iv, a. 'i, ad 3«», et q. ix,a. 3.

Ainsi, il n'y a qu'une théologie, science du mystèrede Dieu révélé. Cette théologie est principalementspéculative, mais elle est aussi imprescriptiblementpiatique, car Dieu révélé n'est pas uniquement unobjet, il n'est pas connu adéquatement par nous s'iln'est connu comme notre fin. C'est pourquoi l'étudede Dieu comporte une morale dolitl'objetestl'aotivitépar laquelle la créature raisonnable revient à Dieucomme à sa fin dernière, selon l'économie concrète quiest celle de ce monde de la faute et du rachat par leChrist. La théologie a donc pour objet d'abord la con-naissance de son genus subjectum, ensuite une certaineconstructio ipsius subjecti, à savoir la construction deDieu en nous, ou plutôt la construction du Christ ennous. Certes, tant pour des raisons pédagogiques quepour des raisons tirées de la nature des objets, lamorale et la dogmatique se distinguent en quelquemanière: la morale répond, dans la Somme de saintThomas, à la II* pars; la dogmatique à la I* et à laIII* pars, cette dernière représentant d'ailleurs, enplusieurs de ses parties, l'achèvement de la inorale,Mais on se tromperait gravement si l'on séparaitdogme et morale comme représentant deux systèmesindépendants de connaissance : d'un côté la dogmati-que, c'est-à-dire les considérations sur les mystères,parmi lesquels on rangerait le péché originel, la grâce,l'habitation de Dieu dans l'âme des justes; d'un autrecôté, la morale, c'est-à-dire un ensemble de règles pra-tiques le plus rapproché qu'il est possible des « cas »concrets de la vie réelle. Celte morale, coupée del'étude de la grâce de Dieu et de la béatitude, où laconsidération des vertus théologales serait exténuéeà l'extrême et celle des dons du Saint-Esprit omise,ne représenterait d'ailleurs guère qu'une casuistiquep.t. devrait, rp.cpvoir, pnmmt* une nnnpvp pvtrin^èqne,des considérations d' « ascétique », valables pour l'en-semble des fidèles, et des considérations de « mys-tique », concernant des cas particuliers et i extraor-dinaires ».

Un tel état de choses serait contraire à la vraienature de la théologie el à uellu de ses deux tonuliutiijou quasi-parties. Il serait contraire à son activité spé-culative au regard du mystère de Dieu révélé qui estcelui de Uieu béatifiant, de Dieu se communiquantaux hommes et constitué leur fin dernière. Il seraitcontraire à sa fonction pratique au regard de l'agir

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485 T H É O L O G I E . L ' H A B I T U S DE T H É O L O G I E 486chrétien et de la consommation de l'image de Dieu ennous, car action, image et consommation ne se conçoi-vent comme telles qu'en dépendance du mystère deDieu et comme faisant partie de ce mystère lui-même.Ainsi, d'une part, c'est toute la théologie qui, par laconnexion que ses éléments pratiques ont avec lysspéculatifs, apparaît normative et a, comme on dit,« valeur de vie »; et d'autre part, l'ascétique et la mys-tique trouvent leur place en elle, non comme des par-ties spéciales ajoutées à une morale elle-même séparéed'une dogmatique, mais comme des éléments intégrésorganiquement dans l'étude scientifique du mystèrerévélé de Dieu béatifiant, en quoi consiste la théolo-gie. Il appartiendra donc à celle-ci de développer, auxlieux propres correspondants, les éléments de doc-trine qui rendent compte des diverses réalités donton eûL fait. l'nhjet d'une ascétique, d'une mystiqueet d'une pastorale, et sans doute y a-t-il lieu de com-pléter sur ces points l'enseignement des théologiensanciens. Cf. Bulletin thomiste, 1932, p. 494 sq.; ici,art. PROBABILISME, t. xin, col. 617; R. Garrigou-La-grange, La théologie ascétique et mystique ou la doctrinespirituelle, dans; Vie spir., octobre 1919, p. 7-19;L'axe de la vie spirituelle et son unité, dans lîevue tho-miste, 1937, p. 347-360; S.-M. Lozano, Natureleza dela sagrada theologia su aspecio affectivo-practico, segunS. Tomas, dans Ciencia tomista, septembre 1924,p. 204-221; A. Lemonnyer, Sain( Thomas maître de viespirituelle, dans Notre vie divine, Paris, 1936, p. 393-402; B. Merkelbach, Moralis Iheologiae idonea metho-dus, dans Miscell. Vermeersfh, t., T, Rome, 1935, p. 1-16; J. Vieujean, Dogmatique et morale, dans Revueecclés. de Liège, 1936, p. 333-338.

Il est bien certain d'ailleurs que la science moralethéoiogique ne suffit pas à régler immédiatement l'ac-tion concrète; entre la connaissance des principes del'action et l'action elle-menie, il y a place pour Uneconnaissance pratique immédiatement régulatrice.Cette connaissance est celle non plus d'une science,mais d'une vertu à la fois intellectuelle et morale, laprudence : voir ce mot et l'art. PROBABILISME, t. xm,col. 433 sq. et 618 sq., où se trouve justifié le rôle decette vertu comme adaptation vitale, par chaque fidèle,au gouvernement de sa vie, des lumières de l'enseigne-ment moral chrétien.

Mais n'y a-t-il pas lieu de concevoir, entre la sciencethéoîogique morale et la vertu de prudence, un typeintermédiaire de connaissance qui serait un savoir,mais plus pratique et différemment pratique que lascience morale? M. Maritain l'a pensé et a proposél'idée d'intercaler, entre une science spéculative del'action et le gouvernement prudentiel, une sciencepratiquement pratique : cf. bibliographie, infra. Nonpas que l'on distinguerait plusieurs savoirs par des ob-jets différents, mais seulement par une diftérence depoint de vue formel et de méthode dans la considéra-tion du même objet. Il y aurait d'abord une considéra-tion spéculative de la réalité morale, qui ne se propo-serait que de connaître cette réalité et où la nature del'agent moral, celle de l'action morale et de ses condi-tions, celle de sa fin et de ses règles générales seraientétudiées suivant la méthode analytique, allant duconcret à l'abstrait, qui est la méthode des sciencesspéculatives; il y aurait, à la direction immédiate del'action, la prudence; il y aurait enfin, entre la sciencespéculative du pratique ou science spéculativementpratique et la vertu de prudence, une connaissancepratiquement pratique i connaissance de la réalitéinorale à taire pratiquement, empruntant ses lumièresà la science spéculative de l'agir, à laquelle elle seraitsubalternée, en vue de proposer des règles plus pro-chaines d'action; dans ce savoir pratiquement pra-tique, l'expérience personnelle ou communiquée joue-

rait un grand rôle : ce serait la science de l'homme pru-dent comme tel, du praticien, du directeur spirituel.

Des théologiens ont agréé cette manière de voir.Ils ont pensé que la distinction proposée était de na-ture à donner son statut à une « théologie spirituelle »,distincte de la théologie morale telle que la réalise laSomme de saint Thomas, laquelle ne serait qu'uneétude spéculative de l'agir chrétien : ainsi A. Lemon-nyer, La théologie spirituelle comme science particu-lière, dans la Vie spir., mars 1932, Suppl., p. 158-166.Il semble bien que cette catégorie, de « théolngîç spiri-tuelle » réponde à quelque chose : d'abord à un genrelittéraire, celui des « auteurs spirituels »; ensuite à uneutilité, voire à une nécessité pédagogique, car on nepeut bien enseigner les voies de la perfection chré-tienne qu'en en faisant une étude spéciale; enfin à unecertaine réalité psychologique, à cet élut plirLiCUllerque prend le savoir théologique chez le théologienvraiment animé par le zèle et le goût des âmes. Maisil n'y a en tout cela rten qui .justifie qu'on reconnaisseà la théologie spirituelle la qualité d'une théologiespéciale, distincte comme savoir de la théologie en safonction pratique. A la critique, ce savoir Intermé-diaire semble bien se distribuer sur les deux connais-sances morales, celle de la science théologique et relisde la prudence, à condition que l'on restitue à cettedernière tout ce qui lui revient de connaissance et àla premièip, lu plénitude de son caractère pratique etla nécessaire information qu'elle reçoit de l'expé-rience, celle d'autrui et la nôtre propre. Moyennantquoi la " théologie apiritucllc » ne serait que l'une desfonctions pratiques de la théologie, dont il serait légi-time, pour les raisons reconnues plus haut et d'unpoint de vue pragmatique, de faire en quelque sorteune spécialité. C'est en ce sens que concluent lesPP. Périnelle, Deman, Mennessier, Régamey; cf. labibliographie.

Sur la question de la science pratique et de la « théologiespirituelle • : J. Maillain, Saint Jean ae la Croix praticien dela contemplation, dans Études carmélitaines, avril 1931,p. 62-109 ; Y. Simon, Réflexions sur la. connaissance pratique,dan» Revue de philos,, 1932, p. HO 173; J. Maritaiii, Distin-guer pour unir ou les degrés du sauoir, Paris, 1932, c. vin etapp. vu ; A. Lemonnyer, La théologie spirituelle commescience particulière, dans la Vie. spir., mars 1039, Suppl,,p. 158-166, repris dans Notre vie divine, Paris, 1936, p. 403-417; Y. Simon, La critique de la connaissance morale, Paris,1934; Th. Deman, Sur l'organisation du savoir moral, dansRevue des sciences philos, et tttéol., 1934, p. 258-28U; J. Péri-nelle, iftid., 1935, p. 734-737; J. Maritain, Science et sagesse,Paris, 1935; l. Mennessier, dans la Vie spir., juillet 1935,Suppl., p. 56-62 et Juliïèl 1936, p. 57-64; Th. Ueman, Ques-tions disputées de science morale, dans Revue des sciencesphilos, etthéol., 1937, p. 278-306; M. Labourdette, Connais-sance spéculative et connaissance pratique, dans Kvvua tho-miste, 1938, p. 561-568; P. Régamey, Réflexions sur lathéologie spirituelle, dans la Vie spir., décembre 1938, Suppl.,p. 15l-1fi(i, «t janvier 1939, r. 21-32.

2° La théologie est sagesse. — Dans la i" question dela .Somme, cnmmp. sa'nt Thomas s'était demandé» àl'art. 2, si l'enseignement chrétien vérifie la qualité descience, il se demande, à l'art. 6, s'il vérifie celle desagesse; cfi In I"" Sent., prol., a. 3, sol. 1; In III""Sent., dist. XXXV, q. n, a. 3, sol. 1 ; In Boel. de Trin.,q. n, a. 2, ad 1°111. Comme il le fait toujours dans lesarticles du w type, saint Thomas rappelle quelles sontles conditions de la sagesse, puis en esquisse l'appli-cation à la sacra doctrina.

Dans chaque ordre de choses, dit-il, le sage est celuiqui détient le principe de l'ordre, lequel donne à toutle reste son sens et sa justification. C'est pourquoi lesavoir qui a pour objet la cause première et univer-selle, le principe souverain de toutes choses, sera lasagesse suprême, la sagesse pure p.t simple. C'est le cas

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487 T H É O L O G I E . C O N D I T I O N S DE T R A V A I L 488de la sacra doctrina ou enseignement chrétien, dont lathéologie est la forme scientifique. La théologie estvraiment un critère dernier et universel; elle est reineet dominatrice de tout savoir; on peut lui appliquerle mot de saint Paul : Spiritualis judicat omnia.

De là découlent les conséquences suivantes :1. La théologie étant sagesse, c'est-à-dire science

suprême, n'a rien au dessus d'elle. Dans l'échelle dessciences, chaque discipline prouve ses propres conclu-sions, mais laisse à une discipline supérieure le soin dedéfendre ses principes ; mais la science suprême assureelle-même la défense de ses propres principes et desprincipes communs de toutes les autres sciences. C'estainsi que là métaphysique se développe en « critique »pour défendre la valeur des principes premiers de laraison et la validité de la connaissance elle-même. Demême la théologie doit-elle, riefpnrire SP.Ç prirv'.ipfi'i, quisont les vérités révélées proposées par l'Église. Elle lefait en se développant en une partie critique qu'onappelle apologétique ou encore théologie fondnmentaie, sans préjudice de la défense particulière de tel outel point que la théologie assure dans ses différentstraités, cf. ici, art. DuuMA'riQUt;, l. iv, uul. 1528, elsupra, col. 430. Cette idée de l'apologétique conçuecomme critique théologique et comme partie de lathéologie nous paraît la plus satisfaisante; c'est cellequ'appuient les textes de saint Thomas, Sum. theol.,I*, q. i, a. 8, et I»-II", q. LVII, a. 2, ad 2°'-; c'est cellequi est détendue ici à l'art. APOLOGÉTIQUE par M. Mai-sonneuve et à l'art. CRÉDIBILITÉ du P. A. Gardeil,ainsi que dans La crédibilité el l'apologétique, du mêmeauteur, 2e éd., Paris, 1912, par J. Didiot, Logiquesurnaturelle objective, p. v-vi et 4, par le P. Gar-rigou-Lagrange, De révélations, t. i, 3e éd., Rome,1931, p. 3 sq., 43 sq., 52 sq., L'apologétique dirigéepar la f o i , dans Revue thomiste, 1919, p. 193-213 etL'apologétique et la théologie fondamentale, dans Revuedes sciences philos, et théol., 1920, p. 352-359.

2. La théologie est apte à utiliser pour sa propre fintoutes les autres sciences; elle est fondée également,dans les conditions qu'on précisera plus loin, à exercerà l'égard de toutes autres sciences une certaine fonc-tion de règle et de contrôle. Ce qui, d'ailleurs, com-porte pour ces sciences un bénéfice de sécurité et devérité.

3. D'un côté par le fait qu'elle utilise le service denombreuses sciences auxiliaires, d'autre part en raisonde l'ampleur et de la richesse de sonobjet.lathéologiî aune diversité de fonctions et de parties, telle qu'aucunescience purement rationnelle n'en présente de pareille.

4. La théologie tient de sa qualité de sagesse su-prême, et donc de modératrice des autres savoirs, unrôle d'accomplissement, d'unification et d'organisa-tion à l'égard des acquis spirituels de l'homme. C'estgrâce à elle et soit à son service, soit sous sa direction,que les diverses acquisitions de l'intelligence peuventêtre orientées vers Dieu et tournées à son service, nonpas seulement du point de vue de l'exercice et del'usus, mais selon leur contenu et leur richesse intrin-sèque eux-mêmes. C'est pourquoi la théologie, commesagesse, apparaît comme le principe nécessaire, sinonà tel ou tel individu, du moins à la ("ommunaiitécomme telle, d'un humanisme chrétien et d'un étatchrétien de la culture. Un siècle laïcisé veut nécessai-rement qu'on supprime les facultés de théologie ouqu'on en nie la raison d'être, cf. supra col. 444.

Le danger de la théologie serait ici dans son point devue supérieur lui-même, qui pourrait tourner en men-talité théologique simpliste; si c'est une erreur den'admettre que des causes immédiates et de resterainsi dans les limites d'un point de vue étroitementtechnique, c'en est une autre de ne s'attacher qu'àl'explication transcendante, par la cause efficiente et

finale dernière, en négligeant les causes immédiates.Cette mentalité aboutirait à des résultats parfoisdésastreux ; en politique, à un rîgimç thçocratiquç quipourait bien dégénérer en cléricalisme, en mystiqueà un faux surnaturalisme, en apologétique à un con-cordisme facile, parfois malhonnête, où la vérité, aulieu d'être recherchée et servie, serait utilisée et tru-quée, etc.

3° L'habttus de théologie est-Il surnaturel? — On con-naît la position de Contenson, Theologia mentis et cor-dis, l. I, prsel. I, c. n, specul. 3, éd. Vives, 1875, t. i,p. 11 sq. Se fondant sur le fait, admis par tous les tho-mistes, que la théologie est surnaturelle radicaliter,originative, en sa source ou racine qui est la foi, il veutqu'elle soit aussi surnaturelle entitative : car 1. sonobjet et sa lumière sont surnaturels, dépassant touteadhpçion humainement nnççihie- *?. 1p. mntif rïp l'a^pn-timent donné aux conclusions n'est pas le discourshumain, mais la vérité de la foi que le discours ne faitqu'appliquer; 3. la théologie a des caractères tola qu'ilane peuvent appartenir qu'à un habitus surnaturel, telsque d'être subalternée à une science proprement sur-naturelle, d'être plus (iartaim) que luul savoir natu-rel, etc.

L'intention de Contenson est de marquer fortementl'homogénéité objective de la théologie à l'ordre de lafoi. Mais Contenson admet que la théologie est unhabitus acquis, dont le rôle est de disposer les facultés,non de donner la puissance elle-même. Il est donc fortéloigné de l'opinion apparentée à celle d'Henri deGand et curieusement soutenue de nos jours par J. Di-diot, Logique surnaturelle subjective, théor. xxn,2e éd., d'un habitus théologiens infus. On ne peut ce-pendant pas tenir avec lui pour un habitue intrinsè-quement surnaturel : car l'objet de la théologie n'estpas purement et simplement surnaturel, non plus quesa lumière, non plus que sa certitude ; objet, lumièreou motif d'adhésion, certitude, sont bien d'originesurnaturelle et participent de la qualité surnaturellede leur racine, la foi; mais objet, lumière et certitudesont intrinsèquement modifiés par le fait qu'ils sontconsidérés par la théologie dans le rayonnement qu'ilsprennent par l'activité rationnelle de l'hommecroyant, laquelle peut bien être dirigée, fortifiée etsurélevée par la toi, mais non formellement prise encharge et qualifiée par elle. L'objet qui finalise, ter-mine et qualifie le travail théologique n'est pas pure-ment et simplement surnaturel, mais bien cç qw e»t v".par la raison croyante dans l'objet surnaturel de la foi.

//. CONDITIONS DU TRAVAIL ET DU PROORÈS TBÊO-LOdiQUSS. — 1" Théologie et vie spirituelle. — II y alieu d'abord de montrer comment la vie religieuse etla spéculation théologique s'unissent et ce qu'ellesreçoivent l'une de l'autre.

1. Ce que la théologie apporte à la vie religieuse. —Elle est, pour la vie spirituelle, une sauvegarde et unaliment ; elle l'empêche de s'égarer, elle la préserve dusubjectivisme sous toutes ses formes et du particula-risme mal éclairé; cf. Garrigou-Lagrange, La théologieet la vie de la f o i , dans Revue thomiste, 1935, p. 492 sq. ;De Deo uno, p. 30 sq. Elle lui permet de rayonner pluscompifitp.mfint flans l'homme, car elle étend le règnelumineux de la foi sur un plus grand nombre de convic-tions, de conséquences et d'aipecis. Enfin, la théologieeat une œuvre éminonto do foi et de charité, un cultetrès élevé rendu à Dieu, car elle lui consacre notreraison comme telle, achevant la consécration que latui lui avail lallB du nuira uulciideiiient comme tel.Pour saint Thomas, l'œuvre théologique représenteune consécration de la raison humaine comme raison,en ses acquisitions, ses procédés, son efficacité. Elleprocède d'une foi fervente et en augmente le mérite,Sum. theol., II*-II", q, n, a. 10; elle réalise le pro-

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489 T H É O L O G I E . C O N D I T I O N S DE T R A V A I L 490gramme tracé par saint Paul : In captiuitatem redigen-tes omnem inteltectûm in obsequium Christi. Il Cor., x,5. Se vouer à l'étude théologique est une œuvre émi-nente de la foi et de la charité et peut, à ce titre, deve-nir une matière spéciale de religion et la fonction dechoix d'un ordre religieux, S. Thomas, Sum, theoli,II'-II". q. C.LXXXVIII, a. 5; Contra impugnantes Deicultum, c. xi.

2. Ce que la vie spirituelle peut et doit apporter à lathéologie. — Tout d'abord, la grâce de la foi est cons-titulionnellement nécessaire à la théologie, cf. supra,col. 451 sq. Clifz la théologien qui viendrait à perdrela toi, l'habitus de théologie disparaîtrait ; il s'y substi-tuerait un habitus opinatif qui n'aurait plus aucunrapport aveu cette science de Dieu et des bienheureuxà laquelle la théologie s'appuie et en laquelle elle tendà se résoudre. Il convient pourtant de noter que lathéologie n'est pas liée à la charité du point dp vue desa structure noétique ; comme nous l'avons vu, col. 485,le mode de son union à ann objet est intentionnel etintellectuel, non réel et affectif : ce qui est de nature àmettre au point certaines formes de Lebenstheologie,voir supra, col. U6, \\1, et l'nugustinismc bonavcn-turien tel que le présente le P. Th. Soiron, HeiligeThéologie, Paderborn, 1935, p. 65 sq., 68. 76 sq.

Il faut cependant bien voir tout w qui manqueraità la théologie d'un théologien qui aurait perdu l'étatde grâce. Il lui manquerait d'abord le moteur religieuxde sa recherche et les conditions sans lesquelles iln'aura plus de goût pour la théologie; il n'aura pas legoût de tirer de ses principes les conclusions pratiquesqui intéressent la vie, non plus que de contempler lesmystères qui sont liés aux attitudes les plus délicatesde l'âme : les vérités concernant la vie spirituel) P., lesanges, la sainte Vierge, le péché et la pénitence, etc.bref, toutes les choses qui accompagnent ce qu'onappelle l'esprit de foi.

Mais la charité, le goût et une certaine expériencepersonnelle des choses de Dieu sont nécessaires surtoutpour que le théologien traite les mystères et parled'eux de la manière qui leur convient. Bien que l'objetde la théologie suit de l'intellectuel et du scientifique,11 est surnaturel par sa racine et essentiellement reli-gieux par son contenu, ea quorum uisione perfruemurin uita a'.lerna et per quee ducimur in vitam eeternam. Laconnaissance de foi, qui donne à la théologie ses prin-cipes, ne se termine pas à des énoncés, à des formules,mais à des réalités qui sont les mystères de la vie deDieu et de notre salut; et nous avons vu plus haut,col. 476, combien la foi tendait à la perception surna-turelle des réalités divines. II conviendra donc que Isthéologien mène une vie pure, sainte, mortifiée,priante. Son travail ne peut bien se tuire qu'avec lesecours de grâces actuelles et sur la base d'un certainpotentiel religieux. Et si, d'après saint Thomas, lesdons d'intelligence et de sagesse sont nécessaires au(Idèle pour percevoir droiteineiit le sens des énoncés dela foi, on peut penser que le théologien ne saurait sepasser de leur secours. Sur la nécessité de conditionsmorales pour la connaissance des choses spirituelles,nombreuses références aux auteurs anciens dansM. Schmaus, Die psychologische Trinitâtsiehre des M.Augustinus, Munster, 1927, p. 174, n. 4. Plus spécifi-quement sur les conditions spirituelles du travail théo-logique et l'influence de la vie religieuse : Schççben,Dogmatique, t. i, n. 997-1010; Myslerien des Christen-tums, $ 108; J. Didiot, Logique surnaturelle subjective,théor. LXXXI sq., 2e éd., 189l, p. 503 sq.; J. Bilz,Einfllhrung in die Théologie, Fribourg-en-Br., 1935,p. 73 sq. ; Fr. Diekamp, TIleologia dogmaticee monnaie,1.1, Paris, 1933, p. 80; R. Garrigou-Lagrange, Lu théo-logie et la vie de la f o i , dans Revue thomiste, 1935,p. 492 sq. ; De Deo uno, Paris, 1938, p. 30 sq., etc.

2° La vie du théologien dans l'Eglise. — 1. Le théolo-gien doit vivre dans l'Église, — Cela lui est nécessaireà plusieurs titres ; a ) du fait que la théologie estscience, elle suppose collaboration ; or, il s'agit d'abordde la collaboration des autres croyants, soucieux deporter leur foi à un état rationnel et sclentiflqua, paroù nous voyons que le théologien ne peut s'isoler dela communauté des croyants qui est l'Église. — b ) Lathéologie est dépendante, dans son développement, dudéveloppement de la foi. Or, d'après saint Paul,Eph., iv, 13; Phil., i, 9, etc., le développement de lafoi en connaissance, fvfûOK;, est lié à notre croissancedan;, le corps mystique, comme membre de ce corps.— c ) La condition d'une connaissance orthodoxe desobjets de la foi est la communion dans l'Église catho-lique, car la droite vue de ces objets est donnée par leSaint-Esprit, lequel M R dévoile 1a vérité qu'à ceux quivivent dans la communion del'amour;ci. M.-J. Congar,L'esprit des Pères d'après Môhler, dans la Vie spir.,avril 1938, Suppl., p. 1 35, et dans L'Église tsi uni.Hommage à MQhler, Paris, 1939, p. 255-269. — d ) Lecritère dernier et finalement seul efficace de cette con-naissance orthodoxe est l'Église enseignante : carl'Église ne peut vivre comme corps et ecclésiastique-ment dans l'unité de la vérité, que grâce à un critèreecclésiastique d'unité et de croyance. M.-J. Congar,Chrétiens désunis, p. 105 et 166. C'est pourquoi, tant àpropos de l'auditus fldei et de la théologie positive,qu'à propos de l'inteltectus fldei et de la théologie spé-culative, nous avons marqué plus haut la nécessité,pour le théologien, de se référer sans cesse à l'cnspi-gnement de l'Église, d'avoir le sens de l'Église et lesens du magistère.

La théologie sans doute est une soienoo, mnia c'estun fait que les Pères et les plus grands théologiens ontorienté leur travail vers la satisfaction des besoins del'Église à un moment donné : défense de la foi, basuinsspirituels des âmes, exigences ou amélioration de laformation des clercs, réponse à des formes nouvellesde la pensée ou à des acquisitions nouvelles de l'intel-ligence. Si l'on soustrayait de la théologie les œuvresqui répondent à ces divers appels pour ne garder quecelles dont le seul souci du savoir a été l'inspirateur, onrayerait la plupart des plus grands chefs-d'œuvre.Toutefois ce serait un danger d'accentuer ou de déve-lopper, aux dépens d'un équilibre authentique de ladoctrine et parfois même aux dépens de la vérité toutcourt, les thèmes qui « rendent « à un moment ou dansun milieu donnés. Le théologien ne doit pas se refuserà t-availler pour le service de l'Église; mais, pour éviterce danger qui, scientifiquement, ressemblerait à l'ama-teurisme, il doit aussi entourer son travail des condi-tions qui sont de rigueur pour tout travail scientifique :des exigences uriliques, un certain recul par rapportà l'actualité immédiate, une atmosphère de désinté-ressement et de contemplation, une part de loisir, dedépouillement et de solitude.

2. L'Église doit laisser ou procurer au théologien lesconditions de liberté qui sont nécessaires à son travail. —Non que l'on veuille en aucune manière réclamer laliberté de l'erreur ou le droit à l'erreur. Mais il s'agitsimplement de tirer une conséquence nécessaire de ladistinction, expliquée plus haut, col. 480, entre dogmeet théologie. L'Église enseignante propose et Interprètela loi avec l'autorité souveraine du magistère aposto-lique. Mais, à l'intérieur de cette unité de la foi dont elleest gardienne et juge, il y a place pour une recherche detype scientifique, que le théologien mènera sous sapropre responsabilité et pour laquelle vaudra l'axiome :In necessariis unitas, in dubiis libertas.

Ainsi cette distinction entre le dogme et la sciencethéologique correspond-elle à une différenciation fortimportante, au sein de l'Église, dans les fonctions rela-

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491 T H É O L O G I E . SES D I V I S I O N S 492tives à la sacra doctrina, à la vérité sacrée. Le servicede cette vérité se fait en effet selon deux modes qu'onne saurait bloquer sans dommage. La question propre-ment dogmatique est une fonction de conservation etde continuité; elle doit transmettre à chaque généra-tion ce qui a été depuis toujours transmis; il ne luirevient pas de taire à proprement parler progresser laconnaissance intellectuelle, mais de garder le dépôt,d'en déclarer le sens d'une manière authentique,cf. Denz., n. 786, 1636, et surtout 1800. C'est le rôledu magistère hiérarchique. La fonction scientifique etproprement théologique, par contre, est une fonctiond'initiative et de progrès : non pas, proprement, unefonction de conservation, mais une fonction de recher-che, voire d'invention. Car, si la théologie travaillesur un donné immuable et auquel on ne peut ajouter,elle est elle-même une activité d'explication grâce àl'intervention active de ressources rationnelles; aussilui arrive-t-il de dépasser, à ses propres risques, lesaffirmations du dogme à un momsnt donne, tentantdes synthèses là où celui-ci ne donne que des éléments,abordant des problèmes pour lesquels celui-ci ne four-nit qu'un point de départ plus ou moins lointain, brefexerçant la fonction d'initiative et de recherche quiest celle de la science. B. Poschmann, Der Wissm-scliujiscliurukierderkullwl. Tlieul., Breiilaii, 1932, p. 14-15; A.-D. Sertillanges, Le miracle de l'Église, Paris,1933, p. 94.

Aussi le travail théologique, comme tout travailscientifique, demande-t-il, par le côté où il est recher-che et non tradition, une certaine liberté. Il est en effetrigoureusement impossible à la théologie de remplir safonction propre, si on lui ferme la possibilité d'essais,d'hypothèses, de questions et de solutions qu'on meten circulation non pour les imposer comme des chosesdéfinies et définitives, mais pour leur faire subirl'épreuve de la critique et faire jouer, à leur profitcomme au profit de tous, la coopération du monde quipense et qui travaille. Se refuser, dans ce domaine, àcourir le moindre risque, vouloir que le théologien netasse que répéter ce qui a été dit avant lui et n'énonceque des choses certainement irréprochables et Inacces-sibles à la Critique serait méconnaître le statut proprede la théologie et par là préparer sa décadence. CommeBenoît XV le déclarait, le 17 février 1915, au P. Ledo-chowski, S. J., 11 faut laisser, dans les matières quine sont pas de la Révélation, la liberté de discus-sion : Timere se potins ne hac tibertate prœcidendaaise simut ingeniorum inciderentur cum damno profun-dioris studii theologici. Revue du clergé français,15 juin 1918, p. 416; Rep. apol; t. xxxvi, 1926, p. 307.

C'est ce droit à proposer, en matière non définie,pourvu que ce soit dans le respect de la foi, des opi-nions et des interprétations diverses, que réclamait,par exemple, au xin" siècle, un Bernard de ïrilia :cf. le texte de son Mémoire justificatif, publié parP. Glorieux, dans Revue des sciences philos, et théol.,1928, p. 412 et 421. Aussi bien le Moyen Age connut-ilprécisément, en ce domaine, un régime de liberté quipermit la pleine floraison de la théologie.

3° Le progrès de ta théologie. — Que la théologie pro-gresse, c'est bien évident, puisque la connaissance dog-matique elle-même progresse et, pour une grande part,grâce à la théologie. On peut, semble-t-il, analyser lesconditions du progrès de la théologie selon r.cs riivprçaspects.

Le progrès atteint d'abord la théologie au titregénéral de science^ Elle se développe dans un régimede collaboration et par le commerce des spécialistes,grâce aux organes normaux d'un tel commerce : uni-versités, instituts de recherche, congrès, collecliuns,revues avec leur partie de critique bibliographique.Par ce côté, le progrès de la théologie est, au moins en

partie, solidaire du progrès dans les autres sciences :sciences historiques, philologiques, liturgiques, socio-logiques, etc. Par cp. cfité aussi, la théolngîp suivra pnquelque mesure la loi de tout progrès qui se fait parspécialisation. Il appartiendra au théologien vraimentsoucieux de la vitalité et du progrès do an di",oiplinode s'informer du progrès de toutes ces sciences dont ilpeut faire des auxiliaires de son travail.

Et en effet, le progrès atteint encore la théologiecomme science d'un donné. Si progresser, pour toutêtre, c'est tendre à son principe, le progrès de la théo-logie consistera dans l'intelligence du donne tel quelde la prédication apostolique plus encore que dans leraffinement de la systématisation. Aussi la loi qui estcelle de tout progrès vaut-elle d'une façon plus rigou-reuse pour la théologie, qu'il n'y a de progrès véritableet de renouvellement fécond que dans la tradition. Lanouveauté et le progrès, en théologie, ne sont pas dansun changement affectant les principes ou le donné,mais d'abord dans une prise de conscience plus richeou plus précise de ce donné lui-même. Plusieurs ques-tions de théologie peuvent être reprises, parfois révi-sées ou orientées d'une manière plus heureuse, par uneétude plus critique du donné qui les concerne. C'est lecas, par exemple, de la notion de tradition, cf. supra,eu!. 464; ce pourrait être le cas, sans doute, pourplus d'une notion d'ecclésiologle ou de théologie sacra-mentaire. Cf., pour l'ensemble de la question duprogrès en théologie, J. Kleutgen, Die Théologie derVorzeit vertheidigt, t. v, 2e éd.. Munster, 1874, p. 432-490; M.-J. Scheeben, Dogmatique, t. i, n. 1011-1026,trad. franc., p. 640 sq.

V. DIVISIONS OU PARTIES DE LA THÉOLOGIE. —T.a création prngrpssivp dpç dîvprtîp-t; sppciaïitp<i riantla théologie n< représente pas qu'un processus dedésagrégation ou de décadence, mais bien aussi unprocessus normal de développement. Le progrès engage généralement une certaine spécialisation et doncune certaine division. Dans la partie historique de cetarticle, nous avons asisisté a ilw spécialisations suc-cessives au sein de la science sacrée : division de l'en-seignement en tectio et quœstio, en commentaire del'Écriture et disputes dialectiques, naissance "d'unethéologie positive et d'une théologie biblique, spéciali-sation d'une théologie morale, d'une théologie ascé-tique ou mystique séparées de la dogmatique, créationd'une apologétique, développement séparé de la théo-logie polémique... Dans les tendances de restaurationet de rénovation religieuses du début du xix6 siècle,s'est formée une « théologie pastorale ». Nousavons vu aussi comment, vers la fin du xviii" siècle,tout un mouvement s'était développé dans le sensd'une réintégration des différentes parties ainsi divi-sées dans un ensemble organique, dans un « sys-tème » dont les différentes parties seraient commele développement d'une idée unique. C'est alors qu'onécrivit, surtout en Allemagne, dès Encyclopédies dontl'objet était une distribution logique des sciencessacrées selon leurs articulations naturelles, cf. supra,col. 434. On trouvera un tableau de la distributiondes disciplines théologiques telle que la proposaientDobmaier, Drey, Klee et Staudenmaier, dans l'ar-ticle Théologie du Dict, encyclopédique de la théo-logie catholique de Goschler, traduction de la 1" éd.riil Kirrhmip'rilcnn dp Wpt7pr pt Wpitp, t. -XXITT,p. 314 sq.; cf. aussi l'article Encykiopûdie de la Prot.Realencykiopadie, 3e éd., t. v, p. 351-364. Les auteursmodernes d'Introductions à la théologie présententaussi, en la justifiant, une distribution de la théologieselon ses diverses parties ou sciences auxiliaires. Voici,par exemple, cuiiinuiut J. Bilz, qui seinbly s'iuspinirun peu de Drey, divise et organise la théologie, soitdans son Einfilhrung in die Théologie, Fribourg-en-B.,

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493 T H É O L O G I E . SES D I V I S I O N S 4941935, p. 49 sq., soit dans l'article Théologie du Lexikonf t t r Theol. u. Kirche, 1938, col. 71 sq. :DISCIPLINES AUXII.IATBKS î

Philologie biblique, herméneutique, géographie, chrono-logie et archéologie bibliques; paléographie, épigraphie,diplomatique, chronologie, géographie, philologia.THÉOLOGIE PROPREMENT DITE :

Apologétique, puis Introduction à la théologie ou Ency-clopédie.

Introduction.ExégèseThéologie biblique.

Théol. historique

hist. biblique

du dehorsdu dedans (les idées) :hist. de l'Églisenombreuses subdivi-sions.

positiveDogmatique spéculative (branchesspéeiules; symbolique,étude des confessionschrétiennes).

Théol. doctrinale

Morale (dogmata morum), plus ouinoins pratique, avec l'ascétique etla mystique.

Droit canon (avec spécialités : droit desreligieux, etc.).

/ (maylslere) : lionil-1 létique, catéchisti-Théol. pratique

Théol. pastorale : < (^docc) î litur-' gique.\ (gouvernement) :

théningift pastoraleproprement dite,avec, comme scien-ces auxiliaires, lapédagogie, la méde-cine, la psychifttrie.

Une rapide réflexion critique montre qu'il n'y a pas,dans ces diverses disciplines, différentes théologiesmais une distribution d'une unique théologie, faited'un point de vue pédagogique. C'est en réalité unedivision et une distribution de la matière complexe del'enseignement ecclésiastique dans les universités etles séminaires. Il en est de même de l'énumération queprésentent un certain nombre de documents officielsconcernant les études des clercs. Voici les principaux,où se trouve généralement une distribution de la théo-logie en dogmatique, morale (avec annexion du Droitcanonique et de la sociologie). Écriture sainte (diviséeen Introduction générale et exégèse), histoire ecclésias-tique; cf. lettre de la Congrégation du Consistoire,Le visite apostoliche, aux évêques d'Italie, 16 juillet1912, dans Enchiridion clericorum, Rome, 1938,n. 874 sq.; Codex juris canonici, can. 1365; lettre dela Congrégation des universités et séminaires, Ordina-mento dei seminari, 26 avril 1920, aux évêques d'Ita-lie, dans Enchir. cler., n. 1106. 1114; lettre Vixdumhcec Sacra Congregatto de la rnême Congrégation auxévêques d'Allemagne, 9 octobre 1921, ibid., n. 1131-1139; constitution Deus scientiarum Dominus sur lesuniversités et facultés d'études ecclésiastiques, du24 mai 1931 et règlement annexe, dans Acta apost.Sedis, t. xxin, 1931, p. 241-262, trad. française dansDocumentation cathol., 15 août 1931, col. 195-221. Cesdocuments donnent, sur l'objet, la méthode, l'impor-tance et l'esprit dp. la théninpîe, des indications asseznettes et extrêmement précieuses. Mais que l'énumé-ration qui est faite là des matières principales, auxi-liaires et spéciales (telle est la division adoptée) neprétende à aucune portée spéculative, on le voit assezsoit par le but et la qualité de ce document, soit par ce

qu'il déclare lui-même, soit par la manière dont desmembres qualifiés des grands corps enseignants catho-liques ont glosé ce dispositif: cf. Ch. Boyer, dans lesÉtudes, 5 octobre 1931, p. 16; Gregorianum, 1936,p. 159-175; J. de Ghellinck, dans Nouvelle revue théol;novembre 1031, p. 777,

II n'y a donc pas lieu de chercher dans ces docu-ments une division scientifique de la théologie en sesparties nécessaires, mois bien une organisation et unedistribution de l'enseignement des sciences ecclésias-tiques. Quand la lettre Ordinamento, op. cit., n. 1110,la lettre Vixdum Iwc, up. cil., il. 1135 et la constitu-tion Deus scientiarum parlent de théologie ascético-mystique comme d'un complément de la morale, ellesn'entendent nullement prononcer que ces disciplinesont un statut épistémologique séparé, mais simple-ment donner une direction pour un enseignement com-plet de la morale. De même, quand le Code, can. 1365,§ 3 et Pie XI, dans la lettre Officiorum omnium du1" août 1922, Enchir. cler., n. 11S7, parisnt rip thço-logie pastorale, ils ont en vue de promouvoir uneréalité pédagogique et non de définir une spécialitéépistémologique. Et ainsi du restoi La voie cat donclibre pour concevoir, selon l'idée qu'on se fait de lathéologie, l'unité de celle-ci et la distinction de sesparties.

La théologie, en elle-même, est une, elle a un uniqueobjet formel quod et quo, à savoir le mystère de Dieurévélé, en tant qu'il est atteint par l'activité de laraison à partir de la foi. Cette définition, en mêmetemps qu'elle exprime l'unité essentielle de la théolo-gie. nous fait pressentir la complexité de ses élémentset des apports qui l'intègrent : donné positif extrême-ment complexe et dont une connaissance vraimentscientifique engage bien des disciplines, apport ration-nel, possibilités considérables de développements etd'applications. La théologie, étant une sagesse, sesubordonnera normalement une pluralité de méthodeset de données, les orientant vers son service tout enleur laissant leur autonomie. Parce qu'elle utiliseainsi à son service une pluralité de sciences, tout en res-pectant les conditions propres de leur travail, la théo-lugiy uura'duin-, à l'inléritiur de son activité à elle,plusieurs actes ou méthodes partiels qui joueront leurrôle dans sa constitution intégrale. Cette assomptiond'instruments, de disciplines et de méthodes auxi-liaires se fera en théologie, plus particulièrement, àdeux moments : quand elle recueille son donné etquand elle pousse l'application de ses principes dansles différents domaines de l'activité proprement reli-gieuse. C'est pourquoi deux aiitcurs rprçiitî, qui serattachent à la tradition thomiste, G. Rabeau etJ. Brinktrine, ont distribué les parties auxiliaires de lathéologie selon ces deux moments : la préparation etl'application ou exécution du travail de la théologie.

Voici comment G. Rabeau résume sa pensée, Introd.à l'étude de la théol., p. 235 ;

Sciences instrumentales préparatoires ;

Philologie sacrée Histoire sacrée Théologie biblique et| | histoire des dogmes

Langues Arehéo- de la de 1'sacrées logie Révélation Églisa

Théologie spéculative

Sciences instrumentales exécutoires :

dans la vie en général dans le culte dans l'enseignementDroit canon Liturgie Théologie pastorale

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495 T H É O L O G I E ET A U T R E S S C I E N C E SEt voici comment J. Brtnktrine schématise sa divi-sion, Zur Einteilung der Théologie und zur Gruppie-rung der einzeinen Disziplinen, dans Théologie undGlaube, 1934, p. 569-575 et dans Offenbarung undKirche. Fundamental-theologische Vorlesungen, t. i,Paderborn, 1938, p. 26 ;

Rubricistique,

Catéchistique+

Homllétique

î

,

Droit canonique^ ,

Théologie pastoraleîThéol. mystique -<-

Dons du S.-E.Théol. casuistique

PéchésThéol. liturgique •

Raligluii-> Théol. ascétique

Vertus

Théologiedogmatique

moralefondamental e

Théol. biblique Théol. historique

(l'ordre logique de lecture est de bas en haut)Nous ne nous attarderons pas ici à définir chacune desdisciplines particulières qui interviennent en théologie,non plus que chacune des parties de la science théolo-gique, Voir l'exposé très compétent de G. Rabcau,op. ci'(., p. 231-327 et ici, aux mots : APOLOGÉTIQUE.ARCHÉOLOGIE CHRÉTIENNE, ASCÉTIQUE, CASUISTIQUE,CATÉCHISME, DOGMATIQUE, DROIT CANONIQUE, EXÉ-GÈSE, FONDAMENTALE, INTERPRÉTATION DE L'ÉCRI-TURE, LITURGIE, MORALE, MYSTIQUE, PÈRES (t. XII,col. 1199 sq., sûr PATRISTIQUE, PATHOLOGIE, etc.),PHILOSOPHIE, etc. Nous préférons donner rapidement,d'un point de vue spéculatif, un classement des partiesde la théologie.

On peut distinguer un tout du point de vue de sesparties Intégrantes ou du point de vue de ses partiespotentielles.

Les parties intégrantes sont celles qui font l'intégritédu tout, COTITTIB les membre.iî font callp du corps, A ''ntégard, les parties de la théologie sont : 1. du point devue de sa méthode ou de son objet formel quo, lesdeux actes qui intègrent son travail, à savoir l'auditusfidei porté à un état rationnel et scientifique dans safonction positive, et l'intellectus fidei porté à son étatrationnel cl iicit'iil.iflquii dans sa fonction spéculative.— 2. Du point de vue de sa matière ou de son objetformel quod, les différents traités par lesquels elle con-sidère son objet selon tous ses aspects : De Deo uno, deDeo trino, de Deo créante, etc. Ce sont aussi les diffé-rentes disciplines par lesquelles la théologie prendtoute son extension pratique et qui ne sont qu'undéveloppement de certains éléments étudiés dans lesdifférents traités, comme on le voit bien dans le ta-bleau de J. Brinktrine reproduit plus haut : ascétique,pastorale, etc.

Les parties potentielles sont celles en qui le tout estprésent selon toute son essence, mais ne réalise pastoute sa vertu; partie et tout son pris ici dans l'ordred'une virtus qui se distribue inégalement en diversesfonctions : ainsi les diverses puissances de l'âme, intel-ligence et volonté, ou, dans la théologie de saint Tho-mas, les vertus qui considèrent un aspect secondairedans l'objet d'une autre vertu, comme la religion ou lapiété, par rapport à la justice. On pourrait donc consi-

dérer comme parties potentielles de la théologie lesusages différents et inégaux qui y sont faits de la raisonthéologiquc, c'çst-à-dire de la rsison habitée, éclairéeet positivement dirigée par la foi. C'est pourquoi leP. Gardeil faisait de l'apologétique une partie poten-tielle de la théologie, ordonnée à un aspect secondairede l'objet de celle-ci, la crédibilité naturelle, et n'usantpour se fonder que des ressources de la raison critiquede laquelle relève culte uréalbilité naturelle. Revue af.ssciences philos, et théol., 1920, p. 652. M»is,sil'on con-sidérait l'apologétique comme un traité spécial étu-diant Dieu révélant, comme un De reuelatione, on larangerait à cet égard parmi les parties intégrantes, etc'est ce que fait le P. Garrigou-Lagrange, De revelatione.1.1, p. 66. Peut-être pourrait-on de même considérercomme des parties potentielles ces disciplines instru-mp.ntalfis auxiliaires rpip. G- Rahpnn apppUp « •>''ienc'?<préparatoires » : l'exégèse, l'histoire des dogmes et desinstitutions, la philologie sacrée, etc. Non pas que cesBOiences ou parties de sciences, considérées en elles-mêmes, soient proprement de la théologie : l'histoiredes dogmes est formellement de l'histoire et la philo-logie sacrée de la philologie; mais), si l'un cuiisiidèl'y cesdisciplines dans l'usage qu'en fait la théologie et entant qu'elles se subordonnent à elle et obéissent à sadirection pour le service de sa fin, alors elles devien-nent comme des appartenances de la théologie; ellespeuvent alors être considérées comme se trouvant dansune situation semblable à celle de l'apologétique, dis-cipline où la raison théologique ne se produit queselon une partie de sa vertu, n'usant que de ressourcespurement rationnelles, mais sous la direction de la foi,et atteignant l'objet de la théologie selon quelqueaspect secondaire de celui-ci. Car c'est bien l'objetsacré, en tant que se trouvant dans telle ou telle condi-tion semblable aux conditions des documents histo-riques, que ces disciplines considèrent, et cela les taitrelever de la théologie à un titre spécial. A ce compte,les sciences auxiliaires préparatoires, telles que l'exé-gèse, l'histoire des doctrines et des institutions, etc.,pourraient être envisagées comme des parties poten-tielles de la théologie; mais on pourrait aussi les consi-dérer comme des sciences indépendantes dont la théo-logie utilise les services, comme elle le fait aussi de laphilosophie.

G. Rabeau, Introduction à l'étude de la théologie, Paris,1926, III" partie; J. Bllz, Einfùhrung in die Théologie,Fribonrg-an-B., 1935, p. 49-63; .1. Brinktrinft, 7.nr Rinlei-lung der Theoloyie und zur Gruppierung der eînzeinen Diszi-plinen, dans Théologie und Glaube, 1934, p. 569-575; ZurEinteilung und sur Stellung der Liturgik innerhaîb derThéologie, ibtd., 1936, p. 588-599; Welches ist die Aufgabeund die Stellung der Apologetik innerhaîb der Théologie?iltid., 1937, p. 314 sq. — Sur l'apologétique, cf. aussi supra,col. 430 et A. de Poulpiquet, Apologétique et théologie, dansRevue des sciences philos, et théol; t. v, 1911, p. 7U8-734;supra, art. DOGMATIQUE, t. iv, col. 1522; Dict. apologét., 1.1,col. 244-247.

VI. LA THÉOLOGIE ET LES AUTRES SCIENCES. ——Nous ne ferons ici que proposer très brièvement quel-ques conclusions concernant le rapport de la théologienon plus avec ses propres parties, mais avec les scien-ces profanes.

1° Distinction de la théologie d'avec les sciences qui,au moins partiellement, ont même objet matériel qu'elle.— La théologie est distincte ; 1, De la philosophie,même en la partie de celle-ci qui traite de Dieu;saint Thomas, Sum. théol., I>, q. î, a. 1, ad 2'"11; Den-zinger, n. 1795.

2. De la psychologie religieuse, d'une analyse oud'une description de l'expérience religieuse, car lathéologie est l'élaboration intellectuelle scientifiquedes enseignements de la Révélation objective; Révé-lation à laquelle fait bien face, dans les fidèles, la grâce

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497 T H É O L O G I E ET A U T R E S S C I E N C E S 498intérieure de la toi, malg qui est essentiellement cons-tituée en son contenu par un donné objectif dont laconservation, la proposition et l'interprétation relè-vent d'un magistère hiérarchique prolongeant celuides apôtres. La théologie catholique est tout autrechose que cette description de l'expérience religieuseen termes intellectuels que le libéralisme protestantdonnait pour tâche à la dogmatique, et. ici, EXPÉ-HIENCE RELIOIEUSE, t. V, COl. 1780 !.q.

3. De l'histoire des dogmes, et ceci pour les mêmesraisons. Si la théologie se nourrit, par sa fonctionpositive, de ce qui a été pensé dans l'Église, elle nes'identifie pai plu» avec l'histoire de cette pensée quela philosophie ne s'identifie avec l'histoire des idées;elle est une contemplation rationnelle d'un donné,non l'histoire des idées religieu»es.

4. De la science des religions et de la philosophie rfpla religion. On distingue assez généralement la sciencedes religions ou histoire des religions, qui s'attache àdécrire en Ifiir genèse, leurs formes, leur contenu etleur développement les différentes religions, à l'aidedes ressources de la méthode historique; la psychologiereligieuse» qui a pour objet les diverses manifestationsdu fait religieux dans les individus et dans les groupes,et pour méthode celle de la psychologie; enfin la phi-losophie de la religion, qui étudie l'essence de la reli-gion, les bases du tait religieux dans la nature del'homme, les critères rationnels de vérité en matièrede religion. L'ensemble de ces trois disciplines formece qu'on appelle en Allemagne la Religionswissenschaft.La théologie ne peut être assimilée à ces sciences nipar son objet, qui est le mystère de Dieu tel qu'il estconnu dans la Révélation judéo-chrétienne proposéepar l'Église, ni par sa méthode, qui n'est nullementd'enquête et d'explication historiques ou psycholo-giques, non plus que de démonstration philosophique,mais qui met en œuvre des ressources de la raisonhistorique et philosophique à l'intérieur d'une fois'adressant à une Révélation, sous la direction positiveet constante de cette fui.

2° Principes généraux concernant les rapports de lathéologie et des sciences profanes, — Les principauxtextes du magistère sur cette question ont été apportésici, art. DOGMATIQUE, t. iv, col. 1529 sq. Sur les rap-ports de la philosophie et de la théologie, on se repor-tera surtout à l'encyclique JSterni Patris du 4 août1879. On peut formuler en trois énoncés la pensée del'Église en cette matière : 1. entre la foi et donc ulté-rieurement la théologie, d'une part, les sciences quisont vraiment telles d'autre part, il ne peut y avoirde contradiction réelle, et. Denz.» n. 1797 sq., 1878 sq.— 2. Les sciences ont, en face de la toi et de la théo-logie, leur objet propre et leur méthode propre, etdonc une autonomie épistémologique. Denz., il. 1670,1674, 1799. — 3. La théologie, science de la foi, estcependant, de soi, supérieure à toutes les autressciences en lumière et en certitude. Uenz., n. 1656,2085, etc.

3° Ce que la théologie est pour les sciences. — On adéjà indiqué plus haut, col. 486, que la théologie,comme sagesse suprême, était le couronnement detoutes les sciences et devrait être le principp. d'unordre chrétien de la culture et du savoir. Comme sa-gesse suprême, la théologie domine et juge les sciences.Elle utilise leurs services pour son propre but, commenous l'avons déjà remarqué, et elle a, à l'égard de tou-tes, un certain rôle de critère, rôle qui peut s'exprimerainsi : la théologie ne prouve pas les conclusions desautres sciences, mais, dans la mesure où des conclu-sions l'intéressent elle-même, elle les approuve ou lesdésapprouve, et ainsi intervient dans leur travail.

1. La théologie ne prouve pas les conclusions des au-tres sciences; elle leur laisse l'autonomie de leurs dé-

marches propres; son Intervention à leur égard n'estpas intrinsèque, concernant leur travail interne derecherche et de preuve; elle ne change pas lu Iriiisèque-ment et dans sa substance leur régime épistémologi-que : et ceci est vrai non seulement des sciences phy-siques, ou mathématiques, mais des sciences philoso-phiques ou historiques que la théologie emploie immé-diatement à son service. Même alors, en effet, lavaleur, la certitude et l'évidence des données histori-ques ou philosophiques employées restent intrinsè-quement ce qu'elles sont dans leur science respective.,selon les critères propres de cette science.

2. Elle intervient de l'extérieur dans leur travail. —La théologie étant, pn face des sciences, d'une véritéplus haute et plus certaine, le rapport de conformitéou de répugnance que les énoncés des sciences aurontà l'égard de ceux de la théologie, rapport qui s'expri-mera, le cas échéant, dans l'approbation ou la désap-probation que celle-ci leur témoignera, interviendra dudehors dans le travail des sciences fit pourra ainsi lerégir, le changer et, dans l'hypothèse favorable, enaugmenter même la certitude. Soit par exemple lathéorie cartésienne de la matière identifiée à la subs-tance-étendue. Cette théorie se heurte aux énoncés dela foi et de la théologie concernant les espèces eucharis-tiques (noter que si la théologie parle d' « accidents »,le dogme, lui, évite ce mot philosophique). Il se passealors ce que saint Thomas énonce ainçi • À if (facram)scientiam non perlinef probare principia aliarum scien-tiarum, sed solum fudicare de eis : quidquid enim innliis s f i e n f i i s invmitur veritati hujua acicntiw répu-gnons, totum condemnatur ut faisum. Sum. theol., I*,q. i, a. 6, ad 21"11. La théorie de la substance-étenduesera jugée et désapprouvée par la théologie et ainsisera condamnée aux yeux du philosophe croyant. Sicelui-ci l'avait tenue jusqu'alors pour certaines raisonsphilosophique», 11 remettra en question ses raisons etses évidences; il cherchera une autre voie, par desmoyens proprement philosophiques et ainsi la théo-logie, sans intervenir dans la trame interne de sapensée, sans modifier intrinsèquement le régime épis-témologique de sa discipline, représente pour IP. savantun critère extrinsèque, une norme négative. Son inter-vention est, pour le savant comme pour la science decelui-ci, un hianfait, car elle leur évite des erreurs, dcafausses voies, elle les garantit contre l'illusion et leslibère du mensonge; cf. Denz., n. 1656, 1674, 1681,1714, 1799, 3086. Les documents officiels sont a cetégard soucieux d'exclure la distinction que certainstaisaient entre le philosophe et la philosophie et d'af-firmer la siuuverairiBté de la théologie non seulementsur le premier, mais sur la seconde. Denz., n. 1674,1682,1710.

Soit maintenant une théorie philosophique, commecelle de la subsistence, que la théologie emploie aucœur même de ses traités les plus importants, dansla construction Intellectuelle des mystères de la Tri-nité et de l'incarnation. L'utilisant dans les condi-tions que l'on a dit plus haut Atrp. celles des principesde raison dans le travail théologique, la science sacréeapprouve la théorie de la subsistence; elle ne la trans-forme pas intrinsèquement ou épiatémologiqucment,et cette théorie restera, en philosophie, ce qu'elle étaitauparavant, valant ce que valent le» raisons qui latondent; mais elle recevra, aux yeux du philosophecroyant ou du philosophe théologien, une plus-valueextrinsèque de certitude du fait de son approbationpar la SClêhée de la foi qui, pour ainsi dire, l'homologueet la garantit. C'est pourquoi, dans de nombreux docu-ments et en particulier dans l'encyclique ASterni Pa-Iris, le magistère ecclésiastique a souligné, au delàd'une défense et d'une protection contre l'erreur, lebénéfice positif de certitude que la raison phîlo'îophi-

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499 T H É O L O G I E 500que retire de sa subordination à la foi par la théologie,cf. Denz., 1799, où le concile du Vatican dit de la toique ro/ionffm miilliplin cngnilinnr instruit.

C'est le fait de ce bénéfice reçu par la philosophiedu contact qu'elle a avec la théologie qui a portéM. Gilson, puis M. Maritûin et ceux qui les ont suivis,à parler de « philosophie chrétienne ». En Allemagne,vers le même temps, d'une manière peut-être moins« formelle », on parlait de sciences et de philosophiecatholiques, cf. /n/ra, bibliographie. Dans un sens unpeu différent, M. Blondel avait, depuis quelque temps,parlé de « philosophie catholique ». Un certain nombrede théologiens se sont montrés rebelles à cette nou-velle catégorie de philosophie chrétienne, voulantavant tout maintenir la distinction en Ire la théologieet la philosophie, prise de leur objet formel ou de leurlumière, aux termes de quoi toute pensée réglée par lafoi ou dépendante de la foi serait théologie, toutevaleur rationnelle, dût-elle son origine au christia-nisme, ne pouvant recevoir aucune qualification in-trinsèque autre que celle de philosophique. Cetteopposition souligne bien que, au point de vue des défi-nitions essentielles et des motifs formels qui en sont leprincipe, il n'y a pas de leriium quid entre la philoso-phie et la théologie. Mais, ceci accordé, il paraît légi-time de se placer au point de vue de la genèse, del'histoire, des conditions d'exercice et de l'état con-cret des formes historiques de la pensée. Alors ilsemble bien qu'il y ait une pensée inspirée ou suscitéepar la foi, mais de contexture épistémologique commede valeur purement philosophiques, que la raison déve-loppe et poursuit par ses propres moyens et pour sapropre fin, laquelle est le vrai pur et simple. Histori-quement, ce développement des notions philosophi-ques grâce à la foi chrétienne s'est souvent opéré par larecherche de ï'intelirclus f l d r i , de l'intelligibilité de lafoi, c'cst-à-dirc par l'cflort proprement théulogique.Inversement il est arrivé aussi chez un saint Augustinpar exemple, que l'enrichissement philosophique aitété obtenu hors d'une rétéronue directe à ï'iiilrllvctusfidei, dans une véritable contemplation philosophiquepoursuivie pour elle-même et par les voies propres dela raison, mais dont le donné de la foi avait été l'oc-casion, le christianisme exerçant ici l'une de ses vertusqui est de rendre l'homme à lui-même et à la raisonson propre bien de raison. Ouverte par la toi, la médi-tation philosophique se développe dès lors selon sespropres exigences. En sorte que, par ces deux voies,celle des besoins rationnels de la contemplation théolo-gique, celle des possibilités rendues par la foi à la con-templation philosophique elle-même, il s'est déve-loppé, tout au long de l'histoire chrétienne, un savoirqui, purement philosophique au point de vue de sonobjet, de ses démarches, de sa trame épistémologique,n'en doit pas moins être qualitlé de chrétien au pointde vue de tout ce qui l'a rendu concrètement possible :choc initiateur ou point de départ, conditions et sou-tiens de la réflexion.

4° Ce que les sciences sont ponr ta théologie. — Lessciences sont pour la théologie des auxiliaires néces-saires, puisqu'elles lui fournissent cet apport rationnelsans lequel celle-ci ne pourrait se constituer pleine-ment. Ce que nous avons vu plus haut des conditionsde cet apport justifie, au sens qui a déjà été expliqué,l'appellation de " servantes de lu théologie » qui a ététraditionnellement donné aux sciences. Toutefois, dansla mesure où les sciences n'apportent pas seulement à lathéologie des illustrations extrinsèqi-es ou de simplespréparations subjectives, mais où elles lui fournissentvéritablement un donné entrant dans l'élaboration deson objet, elles Influencent sa constitution, son orien-tation, son progrès. Non que la théologie devienneainsi subordonnée ou subaltcrnée aux sciences : elle ne

reçoit d'elles que ce qu'elle admet comme conforme àses principes et convenable a son but. Mais la théologiese règle et se développe elle-même en faisant nsîigc descien' es qui ont leurs accroissements et leur dévelop-pement propres; et ainsi le progrès de la science sacréeest-il en quelque manière fonction do l'état des scien-ces. Il est clair que le développement de la psychologieou de la sociologie pourra, dans une certaine mesure,modifier celui de la théologie en certaines de ses par-lies, comme le développement de la métaphysique auxiir siècle, celui de l'histoire au xvn» et celui dessciences bibliques au xix" ont déjà pu influer sur sondéveloppement dans le passé.

Certains ont, dans cette perspective, préconisé unrenouvellement de la théologie, soit en sa méthode,soit en quelqu'une de ses parties, comme le traité del'eucharistie, par l'assomption en elle de techniquesde pensées nouvelles, comme la logistique, ou de don-nées scientifiques nouvelles, par exemple en physiqueet en chimie, cl. infra. bibliographie, l.'idce n'ïst pasfausse a priori et au plan des raisons de principe;structuralement, méthodologiquement, rien ne s'op-pose à ce qu'elle porte fruit; c'est une question d'es-pèce et il est hier clair qu'on ne s'engagera pas danscette voie à la légère, sans une très sérieuse mise àl'épreuve des ferments nouveaux qu'il s'agirall d'as-similer. Pour ce qui est des cas concrètement propo-sés, il ne semble pas qu'on se trouve en présence dedisciplines suffisamment mûres ou d'une valeur, d'uneportée, d'une fécondité suffisamment indiscutables.

C'est sans doute du progrès des études bibliques ethistoriques, de celles qui intéressent la prise de pos-session exacte et riche de son donné, que la théologieserait présent Rmp.nt P-n droit rTntfp.mïrp. le plus pourson renouvellement ou son progrès.

L'histoire des rapports de la théologie avec les sciences aété écrite, dans lin esprit prévenu, pur A. Wliily, A lilsturyol thé Warefare o/ Science witll TIteologa in Christendom,New-York, 1903, qui s'attache à montrer que la théologies'est toujours montrée hoatilo o lu scicncoi

Sur les rapports entre théologie et sciences en général :Peiau, Theol. dogmata, proleg., c. lll-v; J. Kioulgen, DieThmingir lirr Vnriril, t. v, 2« éd.. Munster, 1874, p. 293-333; J. Didiot, Logique surnaturelle subjective, théor. LXII-LXV, 2' éd., 1894, p. 275-318; M. Hende, Relations des scien-ces profanes a»ec la philosophie et lu théoloyie, dans lieuuethomiste, janvier 1904, p. 65U-066 et mai 19U4, p. 187-206;J. Ullz, Einf&lwung in die Théologie, 1935, p. 80-95; 13. Uau-doux, Philosophia ancilla iheologiiE, dans Antonianum,193 (, p. 2i)3-32li.

Sur la distinction entre la théologie, l'apologétique ettoute philosophie de la religion, on aura prolil a lire lesaiticluh du pasteur L. Dallière, Eranîfii Lie l'idéalisme, dansKludes tiléolog. et relig,, 1931 ; de même, sur les rapports dela théologie et de la psychologie ou de la philosophie de lareligion, l'article de lî.-S. Adîim 'Inn'- l'^'iici/riv/'p-riiti »/Religion and Elllics de J. Hastings, t. xii, 1921, p. 293 sq.;B. Heigl, lîeligionsgescitichtiiche Metlwde und Théologie,Munster. 1926.

Sur la > Philosophie chrétienne », on trouvera une biblio-graphie complète et critiquement analysée dans La philo-sophie citrétienne. Journée d'études de la Société thomiste, t. il,Juvisy, 1934, puis, pour la suite du débat, dans le Uulletinthomiste, octobre 1931, p. 311-318, et juillet 1937, p. 230-255.Les ouvrages essentiels sont É. Gilson, L'esprit de la philo-sophie médiévale, 2 vol., Paris, 1932; Christiluiismii cl pliilirSophie, Palis, 1936; J. Maritain,De la philosophie chrétienne,Paris, 1933.

Études préconisant une application nouvollo do sciencesmodernes à la théologie. Pour la logistique : La penséecatholique et la logique moderne (Congrès polonais de philo-sophie), C-rat-nvi**, 1937 ; H. Schoix, Oie mfiihpmniixf'.hf. lAinikund die Metaphysik, dans Philos. Jalirbuch, 1938, p. 257-291. — Pour les théories physiques et chimiques : A. Milte-rei, Dos Hingen der alten StoU-Form-Metaphusik mit derheiltiuen Stofî-l'hysik, Inspruck, 1935; Weseiisartivandel undArlensystem der physikalischen Kôrpenreit, Bressanone,1936; Profanulisseitschall aïs Hilfsulissenschall der Théologie,

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501 T H É O L O G I E 502dans Zeilsch. f . kathol. Theol., 1936, p. 241-244; J. Temus,' Dogmalische Phusik » in der Lehre vom Allarsakramentîdans Slimmen der Zeit, juillet 1937, p. 220 sq.; Fr. Unter-bircher, Zu einigen Problemen der Eucharisticlehre, 1ns-pruck, 1938. Le philosophe et apologiste catholique K. Isen-krahe (t 1921) a donné le titre de Experimentelle Théologieà un ouvrage publié un 1919, o(l 11 cherche, en usant desressources des sciences exactes, à fournir des preuves ma-thématiques et scientifiques de l'existence de Dieu et àtraiter des faits préternalurcis.

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE. —• La bibliographie, arrêtéeen mars 1939, a été indiquée à mesure, selon les époques etles sujets. On se coutunle dune lui da quelques indications,par mode de rappel ou de complément. D'autre part, leshistoires' générales de la théologie, rares d'ailleurs, ne seplacent guère au point do vue méthodologique. IIinter,Nomcnclator lilerarius, est une histoire presque purementlittéraire. 11 y a à prendre dans les très érudits travaux deK. Werner. Geschichie der npningetischen und polemisclienLiteratur der chrisilichen Théologie, 5 vol., Schaffouse, 1861-1867; Thomas von Aquin, 3 vol., Ratisbonne, 1858; DieScholastik des spHteren Miltelallers, 5 vol.. Vienne. 1881-1887; Franz Suivez und die Scholastik der letti en Jahrhun-derte, Ratisbonne, 1861 ; Geschiclite der kalholischen Théolo-gie Deutschlonds seit dem Trienter Cumil, Munich, 1866. Demême dans J. Kleutgen, Die Théologie der Voneit, t. iv,2« éd.. Munster, 1873, qui contient, plus encore qu'une his-toire, une défense et illustration de la scolastique; de mêmeencore dans l'esquisse historique que donne Scliacben a la(In du t. i de sa Dogmatique. M. Grabmann, Geschichie derkatholischen Théologie seit dem Ausgang der Valcrzeit, Fri-bourg-en-R., 19:1.1, n'est guère qu'une nomenclature) dontles classements et les appréciations procèdent souvent deScheeben; mais la Geschichie der scholoslichen Melhode dumême auteur, 2 vol., 1913, est une mine precieiisn pourl'histoire de la notion et de la méthode de la théologie. —Les articles de M. R. Draguet, Méthodes théologiques d'/iieret d'aujourd'hui, dans Revue cathol. des idées et des laits,10 janvier, 7 février et 14 février 1936, bien que dépouillésde toute référence documentaire, présentent une vue d'en-semble tort suggestive des phases historiques de la méthodethéoloRique, surtout dans son rapport au donné.

Sur les rapports de la raison et de la foi au Moyen Age,question qui déborde celle de la théologie et lui est ensomme préalable ; G. Brunhcs, La f o i chrétienne et la philo-sophie au temps de la Renaissance carolingienne, Paris, 19U3;Th. Heitz, Essai historique sur les rapports de la philosophieet de la f o i de Bérenger de Tours a s,iinl Thomas d'Aquin,Paris, 1909; J.-M. Verweyon, Philosophie und Théologie imMittelallcr, Bonn, 1911 ; E. Baudin, Les rapports de la raisonet de la fo i , du Moyen Age à nos jours, dans Revue des sciencesrelig., t. m, 1923, p. 233-255, 328-357, 508-537; M. Grab-mann, De quseslione Utrum aliquid possil esse simul creditumet scitum inter scholas augustinismi et aristoielico-thomismiMedtl Xnl ayltata, dans Acia hebdom. augustinianœ-lho-misticœ, Turin, 1931, p. 110-137; W. Betzendorfer, Glaubenund Wissen bel den grossen Denkern des Miltelalters, Gotlia,1931 ; A.-J. Macdonald, Aulhority und Reason In Iht éarlgMiddie Ages (Hulsean Lectures 1931-1932), Oxford, 1933.

Études sur la notion de théologie n'ayant pas figuré danslas bibliographies ou ayant été peu citées nu cours de l'ar-ticle : N.-J. Laforêt, Dissertalio hislorico-dognïutica de me-thodo thcologis, Louvain, 1849; H. Kilber, Principin theolo-gica (Theologia Wirceburgensis, t. l), Paris, ISM; Bour-quard. Essai sur la méthode dans les sciences théologiques,Paris, 1860; J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzeil, 2' éd.,Munster, 5 vol., 1867-1874, et un vol. de Beilagen : défensede la scolastique contre Hermès, Gunther et Herscher; lest. l-in représentent une sorte de cours de théologie, lest. iv et v une histoire de la théologie et un exposé de lanotion de théologie cl de sa méthode; Cl. Schrader, Detheologia generalim, Poitiers, 1874; C. von Schfizier, Intro-ductio in s. Theologiam dogmaticam, éd. Th. Ksser, 1882;G. Kilni, Emykiopadic und Méthodologie der Theuluyie,1892; G. Krieg, Ënzyktopadie der theologischen Wissenschaf-ten, 1899; J.-B. Haring, Einfuhrung in dos Studium derThéologie, Graz, 1911 ;lcmênie, Dus l^hramtderkatholiechcnThéologie, Graz, 1926; R. Martin, Principes de la théologieet lieux thêologiques, dans Revue thomiste, 1912, p. 499-507;K. Ziesché, Ueber katbolische Théologie. Paderborn, 1919;G. Gavicioli, Auvianicnto allô studio délie science teologice,Turin, 1920; St. Szydelski, Prolegomena in thwlogiam sa-crom, Léopol, 2 vol., 1920 sq.; EinfûhrwîQ in dos Studium

der kalholischen Théologie, hrsg. von der Mtinchener theolog.Fakultàt, 1921 ; M. d'Herbigny, La théologie du révélé, 1921 ;G. Rabeau. Introduction n l'fluilr rfc la théol'.iyie, Paris, 1936 jJ. Engert, Sludien sur iheologischen Erkenntnislehre, Ratis-bonne, 1926; B. Baur, Um Wesen und Welsen der Théologie,dans Benediktin. Monatschrift, t. ix, 1927. D. 187-189;J.-Chr. Gspahn, Einfuhrung in die katholische Dogmatik,Ratisbonne, 1928; A.-M. Pirotta.DemetAodotoffia theoloyiœscholasticee, dans Ephem. theol. Lovan., t. vi, 1929, p. 405-438; Muinllls a Gêhua, De théologie: objecta scholasiica dis-quisilio, dans Estudis Franciscans, t. XLI, 1929, p. 447-458;De sacrée théologies scicnli/ica natura, ibid., t. XLII, 1930,P. 165-180; Eatnc aocra tlimiogia ipvvulutiuu un praettca?ibid., t. XLIII, 1931, p. 151-168; F. Brunslad, Théologie aïsProblem, Rostok, 1930; E. Carretti, La propedeulica allas. Teningin, Hningnç, 1931 ; ç,, Sohngen, Die IsatholiachtThéologie aïs Wissenschaft und Weisheit, dans Cuïholica, t. r,1932, p. 49-69,126-145; A. Janssens, Inleiding tôt de Théo-logie, Anvers, 1934; J. Bilz. Einfûhrung in ilir Thmingi»,Pribourg-en-B., 1935. — On ajoutera les articles Théologiedes difiérents dictionnaires : Kirchenlexikon; Realencgkio-pâdie I , protest, Theol.; Dict. de théologie de Bergier, deGôschler; Lexikon f u r Théologie und î\ ire/te; Die Religionin Geschichte und Gegenuiart (protestant, dans le t. v de la2e éd., ce qui concerne la théologie catholique est rédigé,col. 1124-1128, par J. Kudi), de.

Les livres ou études tes meilleurs sur l'objet et la méthodede la théologie restent, outre les grands classiques, de saintThomas à Scheeben î C. von Schiizicr, introductio in sauaintheologiam; A. Gardeil, Le donné révélé et ta théologie, Paris,1910; M.-D. Chenu, Position de ia théologie, dans Revue dessciences philos, et lltéol.. t. xxiv, 1B35, p. 23a-W7 ; R. Çagne-bet. La nature de la théologie spéculative, dans Revue tho-miste, 1038, p. 1-39 et 213-255; P. Wyser, Thecioffie disWissensc/lu/f, Salzbourg et Leipzig, 1938.

M.-J. CONGAB.