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15 L’Orthodontie Bioprogressive - décembre 2014 Adresse de correspondance : Julie Gatimel, Faculté de chirurgie dentaire, 3 chemin des maraîchers, 31062 Toulouse Cedex 9. E mail : [email protected] Introduction L’éruption dentaire est le mécanisme qui amène la dent d’une position intra-osseuse jusqu’à une posi- tion d’occlusion fonctionnelle au sein des arcades dentaires 1,2,3 . C’est un phénomène complexe qui a fait l’objet de nombreuses théories. Aujourd’hui, les principaux acteurs de l’éruption sont mieux connus grâce aux progrès réalisés en biologie molécu- laire. De nombreux facteurs de croissance, facteurs de transcription, cellules et molécules jouent un rôle dans les différentes phases de l’éruption. Une communication entre ces acteurs s’organise pour que le germe se déplace dans l’os alvéolaire et réalise l’effraction gingivale. Le follicule dentaire joue un rôle primordial dans cette cascade d’événements. L’éruption dentaire peut être retardée. Les retards d’éruption sont soit secondaires à une obstruction mécanique, une ankylose ou une maladie géné- tique, soit causés par un défaut du mécanisme de J. GATIMEL, F. VAYSSE, M. ROTENBERG, E. NOIRRIT-ESCLASSAN L’éruption dentaire est un phénomène programmé génétiquement. Les progrès scientifiques ont permis d’identifier des acteurs moléculaires, cellulaires et génétiques qui orchestrent ce mécanisme complexe. Le follicule dentaire joue un rôle clé dans la phase intra-osseuse de l’éruption en régulant le remodelage osseux qui se produit au voisinage du germe dentaire. Une résorption osseuse, dans la partie coronaire du follicule, crée un chemin d’éruption, et une apposition osseuse se produit au niveau de sa partie basale. Le follicule est donc une structure polarisée, qui contrôle les mécanismes moléculaires et cellulaires à l’origine du déplacement de la dent vers sa position occlusale. L’éruption dentaire peut présenter des anomalies et en particulier être retardée. Pour diagnostiquer les retards d’éruption et les traiter au plus tôt, l’interrogatoire est essentiel lors de l’examen clinique. En effet, dans de nombreux cas, un terrain familial et génétique est présent. Les récentes avancées scientifiques en matière de biologie moléculaire ont permis de découvrir certains gènes responsables d’anomalies de l’éruption et de développer de nouveaux tests diagnostiques mais aussi de nouvelles thérapeutiques. La meilleure compréhension des mécanismes de l’éruption a ouvert les portes sur de nouvelles perspectives dans la prise en charge des anomalies de l’éruption. l’éruption lui-même comme dans le défaut primaire d’éruption (DPE). Les conséquences fonctionnelles et esthétiques de ces retards peuvent être majeures. Un diagnostic précoce permettra une meilleure prise en charge thérapeutique et un suivi au long cours. Mécanismes de l’éruption Trois phases se succèdent lors de l’éruption dentaire : la phase prééruptive, la phase éruptive préfonction- nelle et la phase postéruptive. La phase prééruptive débute lors du développement embryonnaire. Il s’agit d’une légère dérive mésiale des couronnes dentaires. Puis la phase éruptive préfonctionnelle débute lorsque la dent a atteint le tiers de son dévelop- pement radiculaire. Lors de cette phase, la dent chemine à travers l’os alvéolaire en direction verti- cale. Elle suit un chemin d’éruption formé par un Comment expliquer les retards d’éruption

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15L’Orthodontie Bioprogressive - décembre 2014

Adresse de correspondance : Julie Gatimel, Faculté de chirurgie dentaire, 3 chemin des maraîchers, 31062 Toulouse Cedex 9. E mail : [email protected]

Introduction

L’éruption dentaire est le mécanisme qui amène la dent d’une position intra-osseuse jusqu’à une posi-tion d’occlusion fonctionnelle au sein des arcades dentaires1,2,3. C’est un phénomène complexe qui a fait l’objet de nombreuses théories. Aujourd’hui, les principaux acteurs de l’éruption sont mieux connus grâce aux progrès réalisés en biologie molécu-laire. De nombreux facteurs de croissance, facteurs de transcription, cellules et molécules jouent un rôle dans les différentes phases de l’éruption. Une communication entre ces acteurs s’organise pour que le germe se déplace dans l’os alvéolaire et réalise l’effraction gingivale. Le follicule dentaire joue un rôle primordial dans cette cascade d’événements.

L’éruption dentaire peut être retardée. Les retards d’éruption sont soit secondaires à une obstruction mécanique, une ankylose ou une maladie géné-tique, soit causés par un défaut du mécanisme de

J. GATIMEL, F. VAYSSE, M. ROTENBERG,

E. NOIRRIT-ESCLASSAN

L’éruption dentaire est un phénomène programmé génétiquement. Les progrès scientifi ques ont permis d’identifi er des acteurs moléculaires, cellulaires et génétiques qui orchestrent ce mécanisme complexe. Le follicule dentaire joue un rôle clé dans la phase intra-osseuse de l’éruption en régulant le remodelage osseux qui se produit au voisinage du germe dentaire. Une résorption osseuse, dans la partie coronaire du follicule, crée un chemin d’éruption, et une apposition osseuse se produit au niveau de sa partie basale. Le follicule est donc une structure polarisée, qui contrôle les mécanismes moléculaires et cellulaires à l’origine du déplacement de la dent vers sa position occlusale.

L’éruption dentaire peut présenter des anomalies et en particulier être retardée. Pour diagnostiquer les retards d’éruption et les traiter au plus tôt, l’interrogatoire est essentiel lors de l’examen clinique. En effet, dans de nombreux cas, un terrain familial et génétique est présent. Les récentes avancées scientifi ques en matière de biologie moléculaire ont permis de découvrir certains gènes responsables d’anomalies de l’éruption et de développer de nouveaux tests diagnostiques mais aussi de nouvelles thérapeutiques.

La meilleure compréhension des mécanismes de l’éruption a ouvert les portes sur de nouvelles perspectives dans la prise en charge des anomalies de l’éruption.

l’éruption lui-même comme dans le défaut primaire d’éruption (DPE). Les conséquences fonctionnelles et esthétiques de ces retards peuvent être majeures. Un diagnostic précoce permettra une meilleure prise en charge thérapeutique et un suivi au long cours.

Mécanismes de l’éruption

Trois phases se succèdent lors de l’éruption dentaire : la phase prééruptive, la phase éruptive préfonction-nelle et la phase postéruptive.

La phase prééruptive débute lors du développement embryonnaire. Il s’agit d’une légère dérive mésiale des couronnes dentaires.

Puis la phase éruptive préfonctionnelle débute lorsque la dent a atteint le tiers de son dévelop-pement radiculaire. Lors de cette phase, la dent chemine à travers l’os alvéolaire en direction verti-cale. Elle suit un chemin d’éruption formé par un

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double phénomène : une résorption osseuse au niveau coronaire du follicule dentaire et une apposi-tion osseuse au niveau de sa partie basale4,5. Ensuite, la dent réalise l’effraction gingivale, puis continue son ascension jusqu’au contact occlusal des autres dents : elle est alors fonctionnelle.

L’éruption est un phénomène qui se poursuit tout au long de la vie, c’est la phase postéruptive. Cette éruption continue vise à compenser l’usure des dents dans les sens proximal et vertical.

Rôle du follicule dentaire

Le follicule dentaire est un sac de tissu conjonctif lâche entourant l’organe de l’émail de chaque dent. C’est une structure polarisée, constituée de deux parties, l’une en contact avec le germe et l’autre en contact avec l’os alvéolaire. Il est à l’origine de la formation des cellules du parodonte comme les précurseurs des ostéoblastes, les cémentoblastes et les cellules desmodontales6.

Il joue un rôle primordial dans la phase intra-osseuse de l’éruption. En effet, il coordonne et régule locale-ment les événements cellulaires et moléculaires qui permettent la création du chemin d’éruption et le déplacement du germe le long de ce chemin. C’est le chemin d’éruption qui contrôle la vitesse et la direction de l’éruption et non pas la vitesse de crois-sance des racines7. La position du follicule est idéale entre l’organe de l’émail et l’os alvéolaire pour jouer son rôle dans la régulation de l’ostéogenèse et de l’ostéoclasie4.

Des études ont montré que la racine et le ligament parodontal ne jouaient aucun rôle dans l’éruption. En effet, une dent sans racine peut faire son éruption (fi g. 1)1.

De plus, le ligament parodontal ne se met en place qu’à la fi n de la phase intra-osseuse chez l’humain

ou le rat. Des amalgames sont souvent faits avec l’éruption continue des incisives des rongeurs où la réorganisation des fi bres desmodontales joue un rôle dans le déplacement de la dent1,4.

On sait aujourd’hui que seul le follicule est néces-saire lors de la phase intra-osseuse.

Des expérimentations ont confi rmé cette théorie. En 1980, Cahill et Marks ont réséqué le follicule d’une prémolaire de chien, ce qui a entraîné l’absence d’éruption de la dent. En 1984, ils ont remplacé la dent par un objet artifi ciel sans toucher au follicule et l’objet a fait son éruption8.

Certaines pathologies confi rment également l’im-portance du follicule. La MCHDF (Multiple Calcifying Hyperplastic Dental Follicles) se caractérise par la présence de follicules anormaux. Ils sont hypertro-phiés et contiennent des dépôts de tissus calcifi és, des restes d’épithélium odontogène et des fi bres denses hyperplasiques. La conséquence est une absence d’éruption de plusieurs dents9,10.

De même, des tumeurs bénignes (fi g. 2) peuvent se développer aux dépens du follicule dentaire et entraîner des anomalies de l’éruption.

Rappels sur les mécanismes cellulaires et moléculaires de l’éruption

Plusieurs cellules et molécules interviennent dans le remodelage osseux, indispensable à l’éruption. Des études sur des chiens et des rats ont montré qu’au niveau coronaire, des cellules mononucléées étaient recrutées par le follicule, par le biais de signaux moléculaires à fort chimiotactisme (CSF-1 Colony Stimulating Factor et MCP-1 Monocyte Chemotactic Protein). Toujours sous l’induction du follicule, ces cellules précurseurs des ostéoclastes prolifèrent puis fusionnent entre elles pour former les ostéoclastes multinucléés, assurant alors la résorption osseuse9.

Figure 2 : Canine maxillaire droite incluse avec tumeur odontogène adénomatoïde (service d’odontologie pédiatrique, Toulouse).

Figure 1 : Éruption d’une 44 sans édifi cation radiculaire (service d’odontologie

pédiatrique, Toulouse).

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L’induction par le follicule (fi g. 3) passe par la production de cytokines, facteurs de croissance et de facteurs de transcription tels que PTHrP, C-fos, CSF-1, MCP-1, EGF, TGF-α, TGF-•1 ou encore IL-1. Toutes ces molécules agissent avec une localisation et une chro-nologie particulière. Leur action peut être redon-dante, assurant l’éruption même en l’absence de certains facteurs9.

Retards d’éruption

L’éruption dentaire peut présenter des anoma-lies, tant chronologiques que topographiques. Elles sont localisées ou généralisées, concernent les dents temporaires et/ou les dents permanentes et peuvent être associées à des maladies systé-miques ou génétiques. Nous nous intéressons ici plus particulièrement aux retards d’éruption.

Un retard d’éruption se défi nit comme une éruption se produisant à une date postérieure par rapport aux normes établies, six mois après les dates normales d’éruption pour les dents temporaires et un an après pour les dents permanentes11. Cette anomalie peut aller d’un simple retard jusqu’à une non-éruption complète de la dent (inclusion).

Pour diagnostiquer un retard d’éruption, deux facteurs sont à identifi er : le degré d’édifi cation radiculaire et l’importance de la déviation chronolo-gique par rapport aux normes défi nies sur la popula-tion générale2. Gron, en 1962, établit que l’éruption

dentaire normale (plus précisément la phase supra-osseuse de l’éruption) débute lorsque la dent possède les trois quarts de la longueur fi nale de sa racine. Si la dent, au moment de son émergence, possède moins des trois quarts de sa longueur fi nale de racine, on peut considérer que l’éruption est précoce. Si au contraire sa longueur de racine dépasse les trois quarts de la longueur fi nale, l’éruption est retardée3.

Étiologies

Il faut distinguer les défauts primaires d’éruption (DPE), dus à un trouble dans le mécanisme de l’érup-tion lui-même, et les retards d’éruption secondaires, causés par un obstacle mécanique, une ankylose ou un désordre systémique.

Défauts primaires d’éruption

L’origine de cette anomalie n’a pas été totalement identifi ée, mais relèverait d’une cause génétique avec un terrain familial16. C’est pourquoi l’interrogatoire est essentiel dans le diagnostic.

Une anomalie du gène codant pour le récepteur 1 de l’hormone parathyroïdienne (PTH1R) pourrait expli-quer certaines formes familiales de DPE3. Des études ont montré un lien signifi catif entre PTH1R et les molécules responsables du phénomène d’apposition/résorption dans l’éruption dentaire. L’identifi cation d’une mutation du gène de PTH1R permet de diagnostiquer ces formes de DPE et de faciliter le diagnostic différentiel avec l’ankylose3.

Figure 3 : Rôle du follicule dans la production de facteurs de croissance et de facteurs de transcription qui induisent le recrutement de cellules mononucléées, leur prolifération et leur différentiation

en ostéoclastes responsables du chemin d’éruption.

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Retards d’éruption secondaires

Différentes causes locales peuvent empêcher l’érup-tion dentaire.

• Des obstacles tumoraux : le kyste radiculodentaire d’une dent temporaire, le kyste folliculaire d’une dent permanente, le kyste péricoronaire d’éruption, les tumeurs non odontogènes ou les tumeurs odontogènes bénignes comme les améloblastomes ou les odontomes.

• Des obstacles dentaires : les dysmorphoses dento-maxillaires par macrodontie relative, les dents surnu-méraires comme les mésiodens (fi g. 4), l’anomalie du germe d’une dent permanente (fi g. 5), l’avulsion précoce de la dent temporaire avec perte d’espace et enfi n la persistance de la dent temporaire sur l’arcade (fi g. 6 et 7).

• Des obstacles gingivaux : hyperplasies d’origine médicamenteuse (hydantoïne, cyclosporine) ou endocrinienne13.

Figure 4 : Dents surnuméraires 11 bis et 21 bis (service d’odontologie pédiatrique, Toulouse).

Figure 5 : Éruption retardée d’une incisive centrale maxillaire droite atteinte d’odontodysplasie (service d’odontologie pédiatrique, Toulouse).

Figure 6 : Ankylose des 2es molaires temporaires avec retard d’éruption des prémolaires.

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• Des obstacles osseux : le chérubisme (fi g. 8), l’hémiatrophie faciale13.

D’autres causes peuvent être évoquées comme les parafonctions (succion digitale), les odontodyspla-sies régionales, les radiations ionisantes (fi g. 9) ou encore les fentes palatines.

Le retard d’éruption peut également relever de causes générales telles que des carences en vitamines A, D,

une maladie cœliaque, des causes médicamenteuses (chimiothérapie au long cours, phénytoïnes, biphos-phonates), une infection HIV, des causes endocri-niennes (hypopituitarisme, hypoparathyroïdie, hypothyroïdie, enfant prématuré, hypogonadisme), une infi rmité motrice cérébrale ou une anémie.

Enfi n l’étiologie peut être génétique dans le syndrome d’Apert, le syndrome de Papillon-Léage et Psaume, l’achondroplasie, la maladie de Lobstein, le

Figure 7 : Odontodysplasie régionale de 65 empêchant l’éruption de 25.

Figure 8 : Anomalies de l’éruption chez un enfant atteint de chérubisme (service d’odontologie pédiatrique, Toulouse).

Figure 9 : Inclusion d’une 16 après traitement d’un rétinoblastome par radiothérapie avant l’âge de 18 mois.

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syndrome de Gardner, la dysostose cléidocrânienne, la dysplasie ectodermique anhidrotique, la maladie d’Albers-Schönberg, le syndrome de Turner (caryo-type XO), l’amélogenèse imparfaite, la trisomie 21 (fi g. 10) ou le syndrome d’Axenfeld-Rieger.

Diagnostic

Le diagnostic de ces retards d’éruption s’établit par un interrogatoire complété par un examen clinique et radiologique.

L’interrogatoire et la consultation du carnet de santé ou du dossier médical doivent apporter des informations sur les antécédents médicaux et fami-liaux du patient. Ils permettent de rechercher les causes génétiques, syndromiques, systémiques ou parafonctionnelles.

L’examen clinique exobuccal puis endobuccal avec une inspection et une palpation doit être réalisé, à la recherche de causes locales telles que les tumeurs, obstacles dentaires ou gingivaux ou le manque d’espace.

Enfi n l’examen radiographique permet de détecter des anomalies non visibles cliniquement (agénésies, odontodysplasie, tumeurs…). L’examen panora-mique combiné à une radiographie occlusale est une méthode recommandée pour dépister les anomalies de l’éruption12. L’examen tomodensitométrique, en particulier à faisceau conique, apporte aujourd’hui de nombreuses précisions tridimensionnelles, sans être trop irradiant.

Cas particulier du défaut primaire d’éruption

Le défaut primaire d’éruption (DPE) possède des caractéristiques cliniques précises.

Il concerne plutôt les secteurs postérieurs, ce qui se traduit par des béances ou des malocclusions posté-rieures. Les dents atteintes peuvent rester totalement incluses ou faire partiellement leur éruption et appa-raître en sous-occlusion (fi g. 11). L’une des caractéris-tiques marquantes est que toutes les dents distales à la dent concernée la plus mésiale sont affectées. Les dents atteintes possèdent un ligament anormal et ne répondent pas au traitement orthodontique :

Figure 10 : Retard d’éruption généralisé chez une patiente atteinte de trisomie 21 et d’insuffi sance rénale sévère.

Figure 11 : Défaut primaire d’éruption dans les quatre secteurs maxillaires et mandibulaires.

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elles s’ankylosent lorsqu’on leur applique une force. Le diagnostic précoce de DPE permet d’éviter des efforts inutiles au praticien et au patient15.

L’anomalie peut toucher un ou plusieurs quadrants, être bilatérale ou unilatérale, concerner les dents temporaires ou permanentes.

Face au retard d’éruption d’une première molaire permanente, il est important de faire le diagnostic différentiel entre une ankylose et un DPE. En effet, dans le cas d’une ankylose, seule la dent affectée ne répondra pas au traitement orthodontique ; dans le cas d’un DPE, toutes les dents distales à celle-ci seront concernées. C’est l’éruption de la deuxième molaire qui orientera le diagnostic.

Options thérapeutiques

Les retards d’éruption peuvent entraîner des préju-dices esthétiques et fonctionnels majeurs. Le prati-cien doit tout mettre en œuvre pour traiter au plus tôt ces anomalies de l’éruption.

Un premier facteur à évaluer est le caractère généra-lisé ou localisé du retard.

Dans le cas d’un retard généralisé, on recherchera une cause systémique grâce à l’interrogatoire.

Dans le cas d’un retard localisé, trois paramètres sont à évaluer : le stade de développement de la racine, la présence d’une anomalie de position de la dent et la présence d’une obstruction mécanique. Si ces trois paramètres sont normaux, une surveillance clinique et radiologique est établie.

Dans le cas d’un retard de développement radicu-laire d’une dent permanente, une surveillance radio-logique est préconisée. Un traitement actif n’est recommandé que lorsque la racine a atteint les deux tiers de sa longueur défi nitive.

Dans le cas d’une anomalie de position de la dent, le caractère plus ou moins éloigné de la position physiologique orientera vers l’avulsion si la position est trop éloignée, la surveillance si la position est proche de l’axe d’éruption ou une exposition chirur-gicale associée à une désinclusion chirurgico-ortho-dontique si elle se situe entre les deux.

Dans le cas d’une obstruction mécanique, la théra-peutique sera fonction du type d’obstacle (dent surnuméraire, arcade courte, ankylose…). Les dents surnuméraires, les tumeurs, les kystes ou les séquestres osseux pourront être traités par exérèse chirurgicale. La dent fera alors son éruption spon-tanément ou par traction orthodontique. Quand l’obstacle à l’éruption spontanée est une arcade trop courte, le traitement s’appuiera sur une expansion de l’arcade et/ou des extractions (soit de la dent

affectée, soit des dents adjacentes). Si la dent est ankylosée, le traitement orthodontique est voué à l’échec. Le diagnostic d’ankylose se fait radiologique-ment en visualisant l’absence de l’ensemble ou d’une partie du desmodonte et cliniquement par un son métallique à la percussion. Mais ce diagnostic a des limites14 : lorsque l’anomalie ligamentaire se trouve dans le plan vestibulaire ou palatin, le diagnostic peut se faire par examen tomographique volumé-trique numérisé à faisceau conique (cone beam) ou en observant les effets du traitement orthodontique.

Un autre facteur à évaluer est le nombre de dents affectées. Lorsque le retard d’éruption concerne plusieurs dents, le manque d’ancrage est un problème pour réaliser le traitement orthodontique. Dans ces cas, les mini-vis peuvent apporter une solution.

Enfi n, il est important de diagnostiquer toute agénésie qui orientera, en fonction du nombre, vers une thérapeutique prothétique, éventuellement implanto-portée, ou substitutive.

Cas particulier du défaut primaire d’éruption

Le traitement de ces DPE est diffi cile. En effet, les trai-tements orthodontiques conduisent à un échec, et le fait qu’un grand nombre de dents soient atteintes entraîne des préjudices esthétiques et fonctionnels majeurs. Le plus souvent, nous aurons recours à des thérapeutiques prothétiques telles que des prothèses amovibles de recouvrement comme solutions d’at-tente chez les jeunes patients, en vue de traitements implantaires17, ou encore des reconstitutions prothé-tiques lorsque la dent est en infraclusion de moins de 5 mm et présente sur l’arcade. L’exérèse chirur-gicale peut être envisagée si la dent est située en sous-gingival avec mouvement de bascule des dents adjacentes. Les techniques de distraction osseuse après ostéotomie segmentaire ont également été décrites16.

Conclusion

La compréhension des étiologies des anomalies d’éruption permet de mieux cibler les traitements, d’où l’intérêt pour le praticien de réaliser un diagnostic précis. L’interrogatoire nous renseigne sur les antécédents médicaux et familiaux du patient, la présence de maladie génétique, les soins dentaires antérieurs. La radiographie tridimensionnelle est souvent nécessaire, mais le panoramique reste le cliché à privilégier en première intention.

L’étude des mécanismes de l’éruption a ouvert la voie à de nouvelles techniques diagnostiques, comme l’identifi cation d’une mutation du gène de PTH1R.

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Ce test génétique nous aide dans nos décisions thérapeutiques.

Le dépistage et le traitement des anomalies de l’éruption doivent donc être précoces pour être opti-maux ; ils reposent sur une coordination entre omni-praticien, orthodontiste, généticien et chirurgien.

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