chet baker rend toujours accro

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culture match/musique PARIS MATCH DU 23 AU 29 JUILLET 2015 CHET BAKER REND TOUJOURS ACCRO Depuis sa mort il y a vingt-sept ans, le jazzman continue de fasciner. Stéphane Belmondo, son héritier français, entretient la flamme du maître avec un album enivrant. PAR FRANÇOIS DE LABARRE J e préfère parler de “clin d’œil” plutôt que d’hommage », dit-il entre deux verres de blanc dans un bistrot parisien. Voilà qui résume le style de Stéphane Belmondo : pas fioritures, une ligne mélodique simple et épurée. Le trompettiste ne cherche pas à briller mais à créer une atmosphère feutrée et à donner du plaisir au public. Lors de son dernier concert au New Morning, il a pu mesurer la fascination qu’exerce toujours la musique de Chet. « Les gens me disent qu’ils sont venus, ils n’avaient pas le moral, ils sont ressortis heureux. Cela fait du bien de jouer pour les autres, ça m’aide à avancer dans la vie. » L’histoire commence au milieu des an- nées 1980. Chet Baker, jazzman mythique et maudit, vit à Paris. Il s’entiche du jeune trom- pettiste. « Il venait souvent chez moi, on jouait pendant des heures. » Stéphane a 18 ans, une en- fance provençale bercée par la musique entre son père, Yvan, saxophoniste, directeur d’une école de jazz à Solliès-Toucas, et son frère, Lionel, saxophoniste. Comme Chet Baker, son maître à jouer, qui n’a jamais étu- dié l’harmonie, Stéphane se fie à son redoutable instinct musical et devient un des plus grands trompettistes de jazz de sa généra- tion, soliste fétiche de Michel Legrand et de Dee Dee Bridgewa- ter. Aujourd’hui, la plupart de ceux qu’il a accompagnés ne sont plus là : Petrucciani, Bashung, Nougaro... « Ils me manquent tous. Je me souviens du dernier concert de Claude Nougaro au New Morning, il avait du mal à marcher. Il m’a pris par la main et on est allés à l’étage dans le “studio bleu” boire un super whisky ! » Eric Le Lann se souvient aussi de Chet Baker, lui qui a assisté aux descentes aux enfers de cet accro à l’héro. Après un album hommage en 2013, « I Remember Chet » (Bee Jazz), un DVD concert sort ce mois-ci. Le trompettiste breton y joue en compagnie de Nelson Veras et Gildas Boclé. En voix off, il raconte son souvenir de Chet, « mélange de force et de vulnérabilité ». « On s’est rencontré chez Aldo Romano en 1982. Il nous a proposé de déchiffrer une nouvelle partition ramenée d’une tournée. On a joué le premier thème à l’unisson puis il s’est lancé dans le solo. Au début, c’était inaudible. Il se familiarisait avec la couleur du morceau. Au vingtième chorus, c’était du pur cristal. Il avait tout mémorisé. Il avait un phrasé unique et pouvait jouer à une vitesse vertigineuse. » «Le Lann Remembers Chet » (La Huit Production). DVD A 47 ans, Séphane Belmondo a res- senti le désir de faire son propre album. Son manager, Christophe Deghelt, le pousse à immortaliser sa relation intime avec Chet Baker. Il enregistre avec le contrebassiste Thomas Bramerie et le guitariste Jesse Van Ruller les titres phares de l’époque du label SteepleChase. Celui qui se défi- nit comme « un mec pas à la mode » nous fait re- découvrir une musique qui traverse les époques. Pour parfaire son album, il ajoute une sublime reprise de « La chanson d’Hélène » compo- sée par Philippe Sarde pour « Les choses de la vie » de Claude Sautet. Un bijou de jazz 100 % français. Il se paie aussi le plaisir d’enregis- trer « Daddy and I », composé par sa fille Rita, 8 ans. Pendant que papa est en tournée, elle l’at- tend à la maison, sur l’île de La Réunion où l’ar- tiste vit depuis trois ans. Avant de retourner dans son paradis, il s’arrêtera chez son père dans le Var pour l’aider à planter des légumes dans le jardin. Ainsi va la vie de Belmondo, simple comme sa mu- sique. « Ma dernière image de Chet, c’était au Festival de musique de Toulon, trois mois avant sa mort. Un super concert. Il m’a de- mandé pourquoi je n’avais pas apporté mon instrument. “J’avais envie de t’écouter”, ai-je répondu... Il a souri. » n «Love for Chet » (Naïve). En concert du 10 au 12 septembre à Paris (au Sunset Sunside) et le 13 octobre à Nancy. « LE PIANISTE MICHEL LEGRAND, QUI ENSEIGNE À SOLLIÈS, DÉCÈLE CHEZ STÉPHANE UN TALENT HORS NORME ET LE POUSSE À L’IMPROVISATION : «JOUE CE QUE TU ENTENDS. FAIS PÉTER ! » Photos : P. Fouque, Getty Images, DR. Stéphane Belmondo. Chet Baker à New York, en janvier 1974.

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Page 1: CHET BAKER REND TOUJOURS ACCRO

culturematch/musique

PARIS MATCH DU 23 AU 29 JUILLET 2015

CHET BAKER REND

TOUJOURS ACCRO

Depuis sa mort il y a vingt-sept ans, le jazzman

continue de fasciner. Stéphane Belmondo, son

héritier français, entretient la flamme du maître avec

un album enivrant.P A R F R A N Ç O I S D E L A B A R R E

Je préfère parler de “clin d’œil” plutôt que d’hommage », dit-il entre deux verres de blanc dans un bistrot parisien. Voilà qui résume le style de Stéphane Belmondo : pas fioritures, une

ligne mélodique simple et épurée. Le trompettiste ne cherche pas à briller mais à créer une atmosphère feutrée et à donner du plaisir au public. Lors de son dernier concert au New Morning, il a pu mesurer la fascination qu’exerce toujours la musique de Chet. « Les gens me disent qu’ils sont venus, ils n’avaient pas le moral, ils sont ressortis heureux. Cela fait du bien de jouer pour les autres, ça m’aide à avancer dans la vie. »

L’histoire commence au milieu des an-nées 1980. Chet Baker, jazzman mythique et maudit, vit à Paris. Il s’entiche du jeune trom-pettiste. « Il venait souvent chez moi, on jouait pendant des heures. » Stéphane a 18 ans, une en-fance provençale bercée par la musique entre son père, Yvan, saxophoniste, directeur d’une école de jazz à Solliès-Toucas, et son frère, Lionel, saxophoniste.

Comme Chet Baker, son maître à jouer, qui n’a jamais étu-dié l’harmonie, Stéphane se fie à son redoutable instinct musical et devient un des plus grands trompettistes de jazz de sa généra-tion, soliste fétiche de Michel Legrand et de Dee Dee Bridgewa-ter. Aujourd’hui, la plupart de ceux qu’il a accompagnés ne sont plus là : Petrucciani, Bashung, Nougaro... « Ils me manquent tous. Je me souviens du dernier concert de Claude Nougaro au New Morning, il avait du mal à marcher. Il m’a pris par la main et on est allés à l’étage dans le “studio bleu” boire un super whisky ! »

Eric Le Lann se souvient aussi de Chet Baker, lui qui a assisté aux descentes aux enfers de cet accro à l’héro. Après un album hommage en 2013, « I Remember Chet » (Bee Jazz), un DVD concert sort ce mois-ci. Le trompettiste breton y joue en compagnie de Nelson Veras et Gildas Boclé. En voix off, il raconte son souvenir de Chet, « mélange de force et de vulnérabilité ». « On s’est rencontré chez Aldo Romano en 1982. Il nous a proposé de déchiffrer une nouvelle partition ramenée d’une tournée. On a joué le premier thème à l’unisson puis il s’est lancé dans le solo. Au début, c’était inaudible. Il se familiarisait avec la couleur du morceau. Au vingtième chorus, c’était du pur cristal. Il avait tout mémorisé. Il avait un phrasé unique et pouvait jouer à une vitesse vertigineuse. » «Le Lann Remembers Chet » (La Huit Production).

DVD

A 47 ans, Séphane Belmondo a res-senti le désir de faire son propre album. Son manager, Christophe Deghelt, le pousse à immortaliser sa relation intime avec Chet Baker. Il enregistre avec le contrebassiste Thomas

Bramerie et le guitariste Jesse Van Ruller les titres phares de l’époque du label SteepleChase. Celui qui se défi-

nit comme « un mec pas à la mode » nous fait re-découvrir une musique qui traverse les époques.

Pour parfaire son album, il ajoute une sublime reprise de « La chanson d’Hélène » compo-sée par Philippe Sarde pour « Les choses de la vie » de Claude Sautet. Un bijou de jazz 100 % français. Il se paie aussi le plaisir d’enregis-trer « Daddy and I », composé par sa fille Rita,

8 ans. Pendant que papa est en tournée, elle l’at-tend à la maison, sur l’île de La Réunion où l’ar-

tiste vit depuis trois ans. Avant de retourner dans son paradis, il s’arrêtera

chez son père dans le Var pour l’aider à planter des légumes dans le jardin. Ainsi va la vie de Belmondo, simple comme sa mu-sique. « Ma dernière image de Chet, c’était au Festival de musique de Toulon, trois mois avant sa mort. Un super concert. Il m’a de-mandé pourquoi je n’avais pas apporté mon instrument. “J’avais envie de t’écouter”, ai-je répondu... Il a souri. » n«Love for Chet » (Naïve). En concert du 10 au 12 septembre à Paris (au Sunset Sunside) et le 13 octobre à Nancy.

«

LE PIANISTE MICHEL LEGRAND, QUI ENSEIGNE À

SOLLIÈS, DÉCÈLE CHEZ STÉPHANE UN TALENT HORS NORME ET LE

POUSSE À L’IMPROVISATION : «JOUE CE QUE TU ENTENDS.

FAIS PÉTER ! »

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Stéphane Belmondo.

Chet Baker à New York, en janvier 1974.