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CHAPITRE VI : LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE (1939-1945) I – LES PRINCIPALES ÉTAPES DE LA GUERRE Lire le livre pages 68-91, en particulier les cartes pages 70-71. 1 – la conquête de l'Europe par les nazis Le 1 er septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne. En réaction, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à Hitler le 3 septembre 1939. Au printemps 1940, l’armée française est écrasée en quelques semaines par la Wehrmacht. Le maréchal Pétain, chef du gouvernement français, demande l’armistice : la France est coupée en deux (zone occupée au Nord, zone libre au Sud). Le général de Gaulle refuse l’armistice et veut poursuivre le combat. Il s’enfuit à Londres, appelle les Français à résister (18 juin 1940) et fonde la France Libre (à ne pas confondre avec la zone libre !). En 1941, l’Allemagne envahit les pays d’Europe de l’Est et l’URSS. L’armée allemande avance loin en territoire russe. En Asie, les Japonais ont commencé à envahir la Chine en 1937, poursuivent leurs conquêtes dans les colonies françaises et anglaises, et attaquent la base américaine de Pearl Harbour dans les îles Hawaï. Le président des États-Unis, Franklin Roosevelt, décide d’entrer dans la guerre, contre le Japon et l’Allemagne, donc du côté du Royaume-Uni et de l’URSS. Les deux camps qui s’affrontent sont alors appelés : - l’Axe : l’Allemagne, l’Italie, le Japon ; - les Alliés : le Royaume-Uni, l’URSS, les États-Unis, la France Libre, la Chine et plusieurs autres pays. 2 – la victoire des Alliés En 1942, l’Allemagne nazie domine presque toute l’Europe : les nazis décident alors l’extermination totale des Juifs d’Europe. A la fin de 1942, les Allemands subissent les premières défaites (El Alamein, Stalingrad). Les Alliés préparent la reconquête de l’Europe en organisant plusieurs débarquements (voir carte page 71). En 1943, l’armée rouge prend l’avantage sur l’armée allemande, qui recule lentement mais ne s’effondre pas. Les Alliés débarquent en Italie en juillet 1943 et apportent leur soutien militaire et industriel à l’armée rouge de Staline.

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Page 1: CHAPITRE VI : LA DEUXIÈME GUERRE (1939-1945) · 2016. 11. 25. · CHAPITRE VI : LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE (1939-1945) I – LES PRINCIPALES ÉTAPES DE LA GUERRE Lire le livre

CHAPITRE VI :

LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE

(1939-1945)

I – LES PRINCIPALES ÉTAPES DE LA GUERRE

Lire le livre pages 68-91, en particulier les cartes pages 70-71.

1 – la conquête de l'Europe par les nazis

Le 1er septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne. En réaction, la France et leRoyaume-Uni déclarent la guerre à Hitler le 3 septembre 1939.

Au printemps 1940, l’armée française est écrasée en quelques semaines par la Wehrmacht.Le maréchal Pétain, chef du gouvernement français, demande l’armistice : la France estcoupée en deux (zone occupée au Nord, zone libre au Sud). Le général de Gaulle refusel’armistice et veut poursuivre le combat. Il s’enfuit à Londres, appelle les Français à résister(18 juin 1940) et fonde la France Libre (à ne pas confondre avec la zone libre !).

En 1941, l’Allemagne envahit les pays d’Europe de l’Est et l’URSS. L’armée allemandeavance loin en territoire russe. En Asie, les Japonais ont commencé à envahir la Chine en1937, poursuivent leurs conquêtes dans les colonies françaises et anglaises, et attaquent labase américaine de Pearl Harbour dans les îles Hawaï. Le président des États-Unis, FranklinRoosevelt, décide d’entrer dans la guerre, contre le Japon et l’Allemagne, donc du côté duRoyaume-Uni et de l’URSS.

Les deux camps qui s’affrontent sont alors appelés :

- l’Axe : l’Allemagne, l’Italie, le Japon ;

- les Alliés : le Royaume-Uni, l’URSS, les États-Unis, la France Libre, laChine et plusieurs autres pays.

2 – la victoire des Alliés

En 1942, l’Allemagne nazie domine presque toute l’Europe : les nazis décident alorsl’extermination totale des Juifs d’Europe. A la fin de 1942, les Allemands subissent lespremières défaites (El Alamein, Stalingrad). Les Alliés préparent la reconquête de l’Europe enorganisant plusieurs débarquements (voir carte page 71).

En 1943, l’armée rouge prend l’avantage sur l’armée allemande, qui recule lentement maisne s’effondre pas. Les Alliés débarquent en Italie en juillet 1943 et apportent leur soutienmilitaire et industriel à l’armée rouge de Staline.

Page 2: CHAPITRE VI : LA DEUXIÈME GUERRE (1939-1945) · 2016. 11. 25. · CHAPITRE VI : LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE (1939-1945) I – LES PRINCIPALES ÉTAPES DE LA GUERRE Lire le livre

En 1944, les Alliés débarquent en France : en Normandie en juin, en Provence en août.Grâce au soutien de la Résistance française, Paris est libéré le 25 août 1944.

En février 1945, les Alliés commencent l’invasion de l’Allemagne. Hitler se suicide le 30avril 1945. Les nazis signent la capitulation le 8 mai 1945. Le Japon résiste encore, et lesÉtats-Unis décident alors l’expérimentation d’une arme nouvelle, la bombe atomique (6 août1945 : Hiroshima). Le Japon capitule le 2 septembre 1945.

La seconde guerre mondiale se termine donc en 1945 par la victoire totale des Alliés.

II – LA SHOAH ET LE SYSTÈME CONCENTRATIONNAIRE NAZI

Shoah : c'est un mot hébreu qui signifie "destruction totale", "anéantissement","catastrophe". Le mot "Shoah" est utilisé depuis le film de Claude Lanzmann, réalisé entre1975 et 1985. Ce film est construit à partir de nombreux témoignages de rescapés des campsd’extermination. On utilise donc ce mot pour désigner le massacre des Juifs par les nazis, dansles camps de concentration et d'extermination conçus par les Allemands pendant la secondeguerre mondiale. On parle aussi parfois de "génocide", ou de l’ « Holocauste ».

Entre 1942 et 1945, les Allemands et leurs alliés ont organisé l’extermination totale etméthodique des Juifs d’Europe et des Tziganes. Les 6 camps d’extermination nazis(Auschwitz-II-Birkenau, Maïdanek, Treblinka, Chelmno, Sobibor, Belzec) ont été les lieux demassacres atroces. Des millions d’hommes, jeunes ou vieux, de femmes et d’enfants, ont étéconduits dans ces camps en train de marchandises puis tués par gazage, dans des « chambres àgaz ». Les textes et témoignages réunis à la fin du cahier montrent quelques aspects desconditions de vie et de mort des millions de personnes déportées dans les camps nazis et deshorreurs commises dans ces « camps de la mort ». Le film d’Alain Resnais « Nuit etBrouillard », réalisé en 1955, porte principalement sur les camps de concentration.

Présentation et projection de « Nuit et Brouillard » (Alain Resnais & Jean Cayrol, 1955)

Lire le manuel pages 88 à 99.

Dans les camps d'extermination, les nazis ont également assassiné et fait disparaître descentaines de milliers de Tziganes, d'homosexuels, de handicapés physiques ou mentaux. Dansles camps de concentration, les victimes étaient souvent des opposants politiques.

III – COLLABORATION, RÉSISTANCE ET LIBÉRATION DE LA FRANCE (1940-1944)

1 – Pétain et le choix de la collaboration

Le 17 juin 1940, le maréchal Pétain, héros français de la première guerre mondiale,demande l’armistice aux Allemands et accepte leurs conditions : la moitié nord de la Franceest occupée ; le gouvernement de Pétain s’installe à Vichy. Beaucoup de Français acceptent ladéfaite et font confiance au vieux maréchal (84 ans).

Très rapidement, Pétain et ceux qui l’entourent vont mettre en place en France unedictature raciste, sur le modèle nazi. Le 10 juillet 1940, Pétain obtient les pleins pouvoirs :

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abandon des élections, suppression des libertés, enfermement des opposants comme LéonBlum. Le 3 octobre 1940, le statut des Juifs interdit aux Juifs d’être fonctionnaire. Desmilliers de Français sont ainsi rejetés de la société et privé d’emploi. En 1942, Pétain imposeaux Juifs de porter une étoile jaune sur leurs vêtements, pour qu’on les repère du premiercoup d’œil. Le 24 octobre 1940, Pétain rencontre Hitler, et annonce à la radio : « j’ai décidéd’entrer dans la voie de la collaboration ».

Ainsi, la France est mise au service de l’Allemagne : les usines produisent des armes et desmarchandises pour l’Allemagne, la police française est mise au service des Allemands etpourchasse les Juifs et les opposants, la propagande fait l’apologie des nazis, les jeunesdoivent partir faire leur service militaire en Allemagne (STO). Le gouvernement de Vichydevient donc un gouvernement fasciste et raciste. En 1942, le premier ministre Pierre Lavaldéclare : « Je souhaite la victoire de l’Allemagne ».

Lire le livre p. 178, p. 180-183

2 – De Gaulle et l’organisation de la Résistance

L’appel du 18 juin 1940 du général Charles de Gaulle fonde la France Libre et laRésistance (voir document distribué). Mais les Français qui partent à Londres pour rejoindrede Gaulle, ou qui refusent d’obéir à Pétain, sont très peu nombreux. C’est la politique decollaboration mise en œuvre par le gouvernement de Vichy qui pousse beaucoup de Françaisà entrer dans la Résistance. On appelle « Résistance » toutes les activités qui permettent depoursuivre le combat contre les Allemands.

Les actes de Résistance étaient très variés : refuser d’obéir (au travail, à l’école, …) ; fairecirculer des informations interdites ou secrètes (journaux, tracts, messages codés, …) ; cacherdes personnes ou du matériel ; appartenir à un réseau clandestin ; récupérer des armes ou dumatériel parachuté par les Alliés ; fuir dans un maquis ; organiser des attaques, desembuscades ou des opérations de sabotage contre les Allemands ou les collaborateurs.

Dès 1940, on distingue la Résistance intérieure et la Résistance extérieure. La Résistanceintérieure est organisée au cours de l’année 1942 par Jean Moulin (dit Rex, voir discours deMalraux distribué). Les Résistants de l’intérieur forment les FFI : Forces Françaises del’Intérieur. La Résistance extérieure est organisée à partir de 1941 par Philippe deHautecloque (général Leclerc) : partie du Congo, l’armée de la France Libre traverse toutel’Afrique française, et se met au service des Alliés lors des débarquements. Les Résistants del’extérieur forment les FFL : Forces Françaises Libres. Le général de Gaulle est le chefpolitique et militaire des deux armées de Résistance. Les communications entre les FFI, lesFFL et de Gaulle se font parfois grâce à des hommes qui font des allers-retours à Londres, etle plus souvent par radio.

3 – La Libération de la France

En juin 1944, les troupes de Leclerc (FFL) débarquent en Normandie avec les Américains.En même temps, les FFI multiplient leurs attaques contre l’armée allemande et dressentpartout des embuscades avec la complicité d’une partie de la population française. Les nazisse vengent avec cruauté contre la population française (par exemple, lors du massacre deOradour-sur-Glane).

En août 1944, les FFI et les FFL apportent une aide décisive aux Alliés (Américains etBritanniques), notamment lors de la Libération de Paris, entre le 18 et le 25 août 1944 : c’estpourquoi le général de Gaulle a déclaré, le 26 août 1944 à l’hôtel de ville de Paris : « Parisoutragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par sonpeuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la Francetoute entière, de la France qui se bat ».

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Le général réussit à voler la victoire aux Américains, à prendre le pouvoir au nom de laRésistance victorieuse, et à éviter une occupation américaine de la France. Ainsi, le rôle de laRésistance dans la victoire sur l’Allemagne va permettre au général de Gaulle d’affirmer quela France fait partie du camp des vainqueurs, aux côtés du Royaume-Uni, de la Russie, et desEtats-Unis.

Lire le livre pages 184 à 195 (activité page 186-187)

CONCLUSION : BILAN DE LA GUERRE, LE MONDE EN 1945

La seconde guerre mondiale est un désastre pour l’Europe : on compte plus de 30 millionsde morts ; des villes sont entièrement détruites ; les Juifs d’Europe ont été exterminés. LesÉtats-Unis disposent désormais d’une arme supérieure à toutes les autres : la bombe atomique(testée sur les villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki).

Les deux États qui dominent le monde à partir de 1945 sont les États-Unis d’Amérique(gouvernés par Roosevelt puis Truman) et l’URSS (dirigée par Staline). En 1945, deuxréunions sont organisés par les vainqueurs : à Yalta (Russie) en février, et à Postdam(Allemagne) en juillet.

A Yalta, Staline, Roosevelt et Churchill décident d’occuper l’Allemagne, de créer uneorganisation internationale pour maintenir la paix (ONU), d’admettre la France dans le campdes vainqueurs et d’organiser un tribunal spécial, chargé de juger les nazis.

ONU : En juin 1945, les représentants de 50 États de la planète, réunis à San Francisco(États-Unis), adoptent la Charte des Nations Unies : voir pages 104-105. Les principesessentiels de cette charte sont : maintien de la paix ; respect des droits de l’homme ; progrèssocial. Les cinq vainqueurs de la guerre (États-Unis, URSS, Royaume Uni, France, Chine) ontun statut particulier (droit de veto).

Tribunal de Nuremberg : le procès des chefs nazis survivants et capturés a lieu dans la villede Nuremberg entre novembre 1945 et octobre 1946. Sur 22 accusés, 12 sont condamnés àmort et exécutés le 15 octobre 1946. La notion de « crimes contre l’humanité » a été défini parce tribunal et rarement utilisée depuis.

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Chronologie des opérations militaires de la seconde guerre mondiale1938

12 mars : Anschluss ; l’Autriche est envahie par les nazis et devient une province du Reich.28 septembre : Accords de Munich. La région tchèque des Sudètes est envahie par les nazis puis annexée au Reich.

193910 mars : La Bohême-Moravie (en Tchécoslovaquie) est envahie par les nazis et passe sous contrôle allemand.24 août : Pacte de non-agression germano-soviétique, dont les clauses secrètes prévoient le partage de la Pologne.1er septembre : Invasion de la Pologne par l’Allemagne (à l’Ouest) et l’URSS (à l’Est).3 septembre : La France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne.

A cette date, la guerre n’est pas mondiale. Les deux camps en guerre sont d’un côté l’Allemagne etl’Italie, de l’autre la France et le Royaume-Uni. Les Etats-Unis et l’URSS sont neutres.

27 septembre : Capitulation de la Pologne, qui est partagée entre l’Allemagne et l’URSS.6 octobre : Hitler propose la paix à la France, qui refuse mais reste sur la défensive. Début de la « drôle de guerre ».

19409 avril : L’Allemagne envahit le Danemark et la Norvège.10 mai : L’Allemagne attaque les Pays-Bas, la Belgique et la France. Succès de la tactique allemande de Blitzkrieg.14 juin : Paris est encerclée et se rend à l’armée allemande.17 juin : Le gouvernement français, dirigé par le maréchal Pétain demande l’armistice aux Allemands.18 juin : A Londres, un inconnu lance à la radio anglaise BBC un appel à la résistance des Français contre l’armistice et

contre l’Allemagne. Cet inconnu est le général de Gaulle.Juillet-Août : L’Allemagne bombarde quotidiennement la Grande-Bretagne, et prépare son invasion.27 septembre : L’Allemagne, l’Italie et le Japon signent une alliance de défense contre le communisme : « l’Axe ».Novembre : L’Allemagne organise l’invasion de l’Afrique du Nord en passant par la Libye (sous contrôle italien).

1941mars : L’Allemagne envahit la Yougoslavie, qui capitule le 17 avril.avril : L’Allemagne envahit la Grèce, qui capitule le 27 avril.22 juin : L’Allemagne envahit l’URSS (opération « Barbarossa »).14 août : Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne signent la « Charte de l’Atlantique ».7 décembre : Le Japon attaque la base navale américaine de Pearl Harbour, dans les îles Hawaï, ainsi que des positions

anglaises en Asie (Hong-Kong, Singapour, Birmanie, …). Le président américain, Franklin Roosevelt, décidel’entrée en guerre des Etats-Unis.

A cette date, la guerre est devenue mondiale. Le camp des « Alliés » comprend : le Royaume-Uni ; lesEtats-Unis ; l’URSS ; la France libre (De Gaulle), et quelques autres pays (Canada, Amérique du Sud,Chine …). L’autre camp est appelé « l’Axe » et est composé de l’Allemagne (y compris tous lesterritoires conquis), de l’Italie et du Japon.

1942Printemps : Les Allemands poursuivent leurs conquêtes à travers l’URSS.Eté : Nombreuses victoires américaines dans le Pacifique contre le Japon.Octobre : L’armée allemande (Afrika Korps, dirigée par le général Rommel) est battue par les Anglais à El Alamein.8 novembre : Débarquement des Alliés au Maroc et en Algérie. L’Allemagne envahit la zone libre de la France.Novembre : Début de la résistance russe à Stalingrad.

194331 janvier : Capitulation de l’armée allemande à Stalingrad (Von Paulus) : première défaite allemande en Europe.22 mai : Capitulation de l’Afrika Korps en Tunisie. Toute l’Afrique est libérée.10 juillet : Débarquement des Alliés en Sicile.Printemps-été : Les troupes russes (=Armée Rouge) repoussent les Allemands en Ukraine.

19446 juin : Débarquement des Alliés en Normandie.juillet : Tout le territoire de l’URSS est libéré.15 août : Débarquement des Alliés en Provence (commandement du général français Jean de Lattre de Tassigny).25 août : Libération de Paris ! Les blindés du général français Leclerc entrent dans Paris par la porte d’Orléans.décembre : Libération presque totale des pays suivants : France, Belgique, Roumanie, Bulgarie, Grêce, Hongrie,

Yougoslavie. Les armées alliées ont souvent été aidées par les Résistants.1945

Janvier : Entrée des Alliés en Allemagne ; bombardement de la ville de Dresde (200.000 morts en une nuit).Janvier-avril : Découverte des camps de la mort par les armées alliées au fur et à mesure de leur avancée en Allemagne.25 avril : L’Armée Rouge entre dans Berlin.30 avril : Suicide de Hitler.8 mai : Capitulation de l’Allemagne. Fin de la guerre en Europe6 et 9 août : Bombes atomiques américaines sur Hiroshima et Nagasaki : 300.000 morts en quelques minutes.2 septembre : Capitulation du Japon. Fin de la guerre mondiale.

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Choix de documents sur la Shoah

A – Documents du manuel, notamment p. 91, p. 100-101, p. 102-103 (doc. 1 et 6),dossier p. 104-105, p. 117 (doc. 6).

B – L’arrivée à Auschwitz : le témoignage d’Elie Wiesel, juif hongrois déporté àAuschwitz en 1944 à l’âge de 15 ans.

« Tous les deux mètres, un S.S., la mitraillette braquée sur nous. (…)Un gradé S.S. vint à notre rencontre, une matraque à la main. Il ordonna :– Hommes à gauche ! Femmes à droite !Quatre mots dits tranquillement, indifféremment, sans émotion. Quatre mots simples,brefs. C’est l’instant pourtant où je quittai ma mère. Je n’avais pas eu le temps depenser, que déjà je sentais la pression de la main de mon père : nous restions seuls. Enune fraction de seconde, je pus voir ma mère, mes soeurs, partir vers la droite. Tziporatenait la main de Maman. Je les vis s’éloigner ; ma mère caressait les cheveux blondsde ma soeur, comme pour la protéger et moi, je continuais à marcher avec mon père,avec les hommes. Et je ne savais point qu’en ce lieu, en cet instant, je quittais ma mèreet Tzipora pour toujours. Je continuai de marcher. Mon père me tenait par la main.Derrière moi, un vieillard s’écroula. Près de lui, un S.S. rengainait son revolver. (…)Un détenu arriva, les lèvres chargées de jurons :– Fils de chiens, pourquoi êtes-vous venus ? Hein, pourquoi ? Vous voyez, là-bas, lacheminée ? La voyez-vous ? Les flammes, les voyez-vous ? (Oui, nous les voyions, lesflammes). Là-bas, c’est là-bas qu’on vous conduira. C’est là-bas, votre tombe. Vousn’avez pas encore compris ? Fils de chiens, vous ne comprenez donc rien ? On va vousbrûler ! Vous calciner ! Vous réduire en cendres ! Sa fureur devenait hystérique. Nous demeurions immobiles, pétrifiés. Tout cela n’était-il pas un cauchemar ? Un cauchemar inimaginable ? (…)Nous continuâmes de marcher jusqu’à un carrefour. Au centre se tenait le docteurMengele, ce fameux docteur Mengele (officier S.S. typique, visage cruel, nondépourvu d’intelligence, monocle), une baguette de chef d’orchestre à la main, aumilieu d’autres officiers. La baguette se mouvait sans trêve, tantôt à droite, tantôt àgauche. (…) Non loin de nous, des flammes montaient d’une fosse, des flammes gigantesques. On ybrûlait quelque chose. Un camion s’approcha du trou et y déversa sa charge : c’étaientdes petits enfants. Des bébés ! Oui, je l’avais vu, de mes yeux vu... Des enfants dansles flammes. (Est-ce donc étonnant si depuis ce temps-là le sommeil fuit mes yeux ?)Voilà donc où nous allions. Un peu plus loin se trouvait une autre fosse, plus grande,pour des adultes. (…) La voix de mon père m’arracha à mes pensées :– Dommage... Dommage que tu ne sois pas allé avec ta mère... J’ai vu beaucoupd’enfants de ton âge s’en aller avec leur mère...

Sa voix était terriblement triste. Je compris qu’il ne voulait pas voir ce qu’on allait mefaire. Il ne voulait pas voir brûler son fils unique. »

Elie Wiesel, La nuit, Paris, 1957, p. 51-55.

C – Les humiliations permanentes : le témoignage de Primo Levi, juif italiendéporté à Auschwitz en 1944, à 24 ans.

« Dans l'existence qui allait suivre, dans le rythme quotidien du Lager, l'offense à lapudeur représentait, au moins dans les débuts, une part importante de la souffranceglobale. Ce n'était pas sans difficulté ni souffrance qu'il fallait s'habituer aux énormeslatrines collectives, aux moments comptés et imposés, à la présence, devant soi, ducandidat à la succession : debout, impatient, tantôt suppliant, tantôt impérieux, quiinsiste toutes les dix secondes : Hast du gemacht ?, « Tu n'as pas encore fini ? ».Toutefois, la gêne, en quelques semaines, s'atténuait jusqu'à disparaître;l'accoutumance venait (non pour tous!), ce qui est la façon charitable de dire que latransformation d'êtres humains en animaux était sur la bonne voie. L'inutile cruauté dela pudeur violée conditionnait l'existence de tous les Lager. (…) Il y avait également lanudité imposée. Au Lager on entrait nus et même, plus que nus, dépouillés nonseulement de ses vêtements et de ses chaussures (qui étaient confisqués), mais aussi deses cheveux et de tous les autres poils. (…) Le rasage était total et hebdomadaire, et lanudité publique et collective était une situation qui se répétait, elle était typique etchargée de sens. Cette violence, à son origine, avait bien quelque nécessité (il estévident qu'on doit se déshabiller pour la douche ou pour un examen médical), mais elleétait agressive en raison de sa démesure inutile. Au camp, la journée était jalonnéed'innombrables déshabillages : pour le contrôle des poux, pour la fouille, pour la revuedes vêtements, pour la visite de la gale, pour la toilette matinale, sans compter lessélections périodiques, au cours desquelles une commission faisait le tri entre ceux quiétaient jugés aptes au travail et les autres, destinés à être éliminés. Or, un homme nu etdéchaussé se sent une proie désarmée. Même les vêtements répugnants qui nous étaientdistribués, même les mauvaises godasses à semelles de bois constituaient une défensefragile mais indispensable. Celui qui ne les a pas, ne se perçoit plus lui-même commeun être humain, mais comme un ver : nu, mou, ignoble, courbé vers le sol. Il sait qu'àchaque instant il pourra être écrasé.La même sensation débilitante d'abaissement, d'impuissance et de dégradation étaitprovoquée, aux premiers jours de captivité, par le manque de cuillères ; c'est un détailqui peut sembler marginal à ceux qui sont habitués dès l'enfance à l'abondanced'ustensiles dont est pourvue la plus pauvre cuisine, mais ce ne l'était pas. Sans

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cuillère, on ne pouvait consommer la soupe quotidienne autrement qu'en la lapantcomme les chiens ; après bien des jours d'apprentissage (et, là encore, comme il étaitimportant de pouvoir immédiatement comprendre et se faire comprendre !) onapprenait qu'il y avait bien des cuillères au camp, mais qu'il fallait les acheter aumarché noir en les payant avec de la soupe ou du pain – une cuillère coûtaitordinairement un litre de soupe ou une demi-ration de pain, mais on demandaittoujours beaucoup plus aux nouveaux arrivés. Et cependant, à la libération du campd'Auschwitz, nous avons trouvé dans les magasins des milliers de cuillères toutesneuves en matière plastique transparente, sans compter les dizaines de milliers decuillères d'aluminium, d'acier et même d'argent provenant du bagage des déportés etsaisies à leur arrivée. Il ne s'agissait donc pas d'une question d'économie, mais d'uneintention bien précise d'humiliation. »

Primo Levi, Les naufragés et les rescapés, Paris, 2002 (1989), p. 110-112.

D – Le mépris des nazis pour la vie des détenus : les témoignages de Marie-ClaudeVaillant-Couturier, Résistante française déportée à Auschwitz en 1943 , et deYankel Wiernik, Juif polonais, survivant de Treblinka.

« Le bloc 25 était le bloc d’attente pour les chambres à gaz. Ce bloc 25, je le connaisbien, car, à cette époque, nous avions été transférées au bloc 26 et nos fenêtresdonnaient sur la cour du 25. On voyait les tas de cadavres, empilés dans la cour, et, detemps en temps, une main ou une tête bougeait parmi ces cadavres, essayant de sedégager : c’était une mourante qui essayait de sortir de là pour vivre. La mortalité de cebloc était encore plus effroyable qu’ailleurs, car on ne leur donnait à manger et à boireque s’il restait des bidons à la cuisine, c’est-à-dire que souvent elles restaient plusieursjours sans une goutte d’eau.Un jour, une de nos camarades, Annette Epaux, une belle jeune femme de trente ans,passant devant le bloc, eut pitié de ces femmes qui criaient du matin au soir, danstoutes les langues : "A boire, à boire, de l’eau". Elle est rentrée dans notre blocchercher un peu de tisane mais, au moment où elle passait par le grillage de la fenêtre,la Aufseherin l’a vue, l’a prise par le collet et l’a jetée au bloc 25. Toute ma vie, je mesouviendrai d’Annette Epaux. Deux jours après, montée sur le camion qui se dirigeaitvers la chambre à gaz, elle tenait contre elle une autre Française, et au moment où lecamion s’est ébranlé, elle nous a crié : "Pensez à mon petit garçon, si vous rentrez enFrance". Puis elles se sont mises à chanter la Marseillaise. Dans le bloc 25, dans lacour, on voyait les rats, gros comme des chats, courir et ronger les cadavres et mêmes’attaquer aux mourantes, qui n’avaient plus la force de s’en débarrasser. »

(Marie-Claude Vaillant-Couturier, Témoignage devant le Tribunal de Nuremberg, le28 janvier 1946, sur Auschwitz et Ravensbrück.)

« Durant tout l’hiver on obligea de petits enfants, nus comme des vers, sans souliers, àrester dehors pendant des heures d’affilée, à attendre leur tour de passer dans leschambres à gaz de plus en plus actives. Leurs plantes de pied gelaient et restaientcollées au sol glacé. Ils attendaient et pleuraient : certains d’entre eux moururent defroid. Pendant ce temps-là, les Allemands et les Ukrainiens ne cessaient d’arpenter lesrangs, frappant et bourrant de coups de pied les victimes. Un des Allemands, undénommé Sepp, était une brute sadique et sauvage, qui prenait un plaisir toutparticulier à torturer les enfants. Lorsqu’il bousculait les femmes et qu’elles lesuppliaient d’arrêter parce qu’elles avaient des enfants avec elles, il lui arrivait souventd’arracher un enfant des bras de la femme et de le mettre en pièces ou de le saisir parles jambes, de l’assommer contre un mur et de jeter son cadavre au loin. »

(Yankel Wïernik, survivant de Treblinka, cité dans Dites-le à vos enfants, S. Bruchfeld& P.A. Levine, 2000.)

E – Comment survivre ? Le témoignage de Ida Grinspan, française déportée en1944, à 14 ans.

« Qu’est-ce qui a fait que certaines sont revenues et pas d’autres ? Il n’y a pas deréponse générale : j’ai bénéficié de chances inouïes. D’abord la chance de ne tombermalade qu’après l’évacuation. Si on devait aller au Revier, c’était foutu ! Il fallaitaussi, comme l’a dit Geneviève de Gaulle, rester dignes à tout prix, ne pas se laisseravilir, résister ensemble à la tentative de déshumanisation systématique.Mon jeune âge a été un atout. A quatorze, quinze ans, l’instinct de vivre est pluspuissant que quelques années après. Avec inconscience, on s’accroche. Perdre le moraléquivalait à se laisser mourir dans de brefs délais. Sans la volonté de tenir, on lâchaitprise, on s’écroulait. Je maintiens que ça devait être plus dur pour les femmes de trenteou trente-cinq ans déjà installées dans la vie que pour les adolescentes comme moi ! ».

Ida Grinspan & Bertrand Poirot-Delpech, J’ai pas pleuré, 2002, p. 111-112.

F – Les Sonderkommandos : les témoignages de Primo Levi et de Filip Müller.

« Les SS désignaient le groupe de prisonniers qui faisaient fonctionner les fourscrématoires sous le nom de Sonderkommando (« équipe spéciale »). Ces prisonniersdevaient maintenir l’ordre parmi les nouveaux arrivés (souvent entièrementinconscients du sort qui les attendait), puis les introduire dans les chambres à gaz,extraire de ces chambres les cadavres, arracher des mâchoires les dents en or, couperles chevelures des femmes, transporter les corps aux crématoires et surveiller lefonctionnement des fours, extraire et faire disparaître les cendres. L’effectif de l’équipespéciale d’Auschwitz comptait, selon les périodes, de sept cents à mille hommes. CesSonderkommandos n’échappaient pas au destin commun, loin de là, et les SS mettaient

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le plus grand soin à ce qu’aucun homme qui en avait fait partie ne pût survivre etraconter. (…) Avoir conçu et organisé les Sonderkommandos a été le crime le plusdémoniaque du nazisme. »

Primo Levi, Les naufragés et les rescapés, 1986, pp. 51-53.

« Avant chaque gazage, les SS prenaient des mesures très strictes. Le crématoire étaitcerné d’un cordon de SS et leurs hommes occupaient la cour en grand nombre avec deschiens et des mitrailleuses. (…) Les gens, à leur approche du crématoire, voyaienttout… Cette terrible violence, le terrain tout entier cerné de SS en armes, les chiens quiaboyaient, les mitrailleuses. Tous doutaient… surtout les juifs polonais. Sans douteétaient-ils animés d’un noir pressentiment… Mais aucun d’eux, dans ces pirescauchemars, n’aurait pu imaginer que dans trois ou quatre heures, il serait réduit encendres. (…) C’était un non-sens de dire la vérité à quiconque franchissait le seuil ducrématoire. Là, on ne pouvait sauver personne. Là, il était trop tard. Un jour, en 1943 –je me trouvais déjà au crématoire V – est arrivé un transport de Bialystok. Et un détenudu « commando spécial » a reconnu, dans le vestiaire, la femme d’un de ses amis. Sansdétour, il lui annonça : « On va vous exterminer. Dans trois heures vous serez encendres ». Et cette femme l’a cru, car elle le connaissait. Elle s’est mise à courir et aaverti d’autres femmes : « on va nous tuer ! ». Les mères, avec leurs enfants sur lesépaules, ne voulaient pas entendre cela. Elles décidèrent que l’autre était folle. Elles larepoussèrent. (…) Et quand elle a vu que personne ne l’écoutait, elle s’est lacéréeentièrement le visage, de désespoir. Sous le choc. Et elle a hurlé. Et quelle a été la fin ?Tous sont allés à la chambre à gaz, on a retenu la femme. Nous avons dû nous alignerdevant les fours. D’abord, ils ont torturé la femme, terriblement torturé, car elle nevoulait pas trahir. A la fin, elle a désigné celui qui avait parlé. Ils l’ont sorti des rangset jeté vivant dans le four. Ils nous ont dit : « quiconque parlera finira ainsi ! » Nousnous sommes souvent interrogés au Sonderkommando : comment dire la vérité auxgens ? »

(Filip Müller est un des rares rescapés des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau,témoignage recueilli par Claude Lanzmann, Shoah, Paris, 1998 (1985), p. 177-184)

G – Discours d’André Malraux devant les rescapées de Ravensbrück, pour letrentième anniversaire de la libération du camp – Parvis de la cathédrale deChartres – le 27 avril 1975

« C’est bien peu de choses que la parole, quand on est en face de vous qui êtesensemble, et qui ne vous voyez pas. Derrière, la cathédrale, et devant moi, le souvenirdu malheur. Il y eut le grand froid qui mort les prisonnières comme les chiens policiers,

la Baltique plombée au loin, et peut-être le fond de la misère humaine. Sur l’immensitéde la neige, il y eût toutes ces tâches rayées qui attendaient, et maintenant il ne resteque vous, poignée de la poussière battue par les vents de la mort.

Je voudrais que ceux qui sont ici, ceux qui sont avec nous ce soir, imaginent autour devous les résistantes pendues, exécutées à la hache, tuées simplement par la vie descamps d’extermination. La vie ? A Ravensbrück, 8000 mortes politiques. Tous cesyeux fermés jusqu’au fond de la grande nuit funèbre. Jamais tant de femmes n’avaientcombattues en France, et jamais dans de telles conditions.

Je rouvrirai à peine le livre des supplices. Encore faut-il ne pas laisser ramener, nilimiter à l’horreur ordinaire, aux travaux forcés, la plus terrible entreprised’avilissement qu’ait connu l’humanité : « Traite-les comme de la boue disait lathéorie, elles deviendront de la boue ». D’où la dérision en face de bêtes quidépassaient les gardiens, semblaient au-delà des humains : « savez-vous jouer dupiano » dans le formulaire que remplissaient les détenues pour choisir entre le servicedu crématoire et les terrassements ; les médecins qui demandaient « y a-t-il destuberculeux dans votre famille ? » aux torturées qui crachaient le sang ; le certificatmédical d’aptitude à recevoir des coups ; la rue du camp nommée « chemin de laliberté » ; la lecture des châtiments qu’encourraient celles qui plaisanteraient dans lesrangs, quand sur vos visages au garde à vous, les larmes coulaient en silence ; lesévadées reprises qui portaient la pancarte « me voici de retour » ; la construction desseconds crématoires pour transformer les femmes en bêtes ; l’inextricable chaîne de ladémence et de l’horreur que symbolisait la punition : huit jours d’emprisonnementdans la cellule des folles ; et le réveil qui rapportait l’esclavage, inexorablement.

80 % de mortes. Ce que furent les camps d’extermination, on le su à partir de 43. Ettoutes les résistantes, et la foule d’ombres qui simplement nous ont donné asile, ont suau moins qu’elles risquaient plus que le bagne. J’ai dit que jamais tant de femmesn’avaient combattues en France, et jamais nulle part, depuis les persécutions romaines,tant de femmes n’ont osé risquer la torture. Faire de la résistance féminine un vasteservice d’aide, depuis l’agente de liaison jusqu’à l’infirmière, c’est se tromper d’uneguerre. Les résistantes furent les joueuses d’un terrible jeu : combattantes non parcequ’elles maniaient des armes – elles l’ont fait parfois – mais parce qu’elles étaient lesvolontaires d’une atroce agonie. Ce n’est pas le bruit qui fait la guerre, c’est la mort.

La victoire a mis fin à deux guerres différentes : l’une est aussi vieille que l’homme,l’autre n’avaient jamais existé. Car si les armées se sont toujours affrontées, laparticipation active des femmes a été rare, et surtout, il n’existait pas d’autre adversaireque l’armée ennemie. La résistance féminine date de notre temps, la Gestapo aussi. Lapolice militaire n’est pas nouvelle, mais cette guerre n’a précisément pas été menée parune police militaire. Ces prisonnières ne furent donc pas destinées à des campsmilitaires. Le mélange de fanatisme et d’abjection de la police politique, créée contre

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des ennemis politiques, n’apportait pas que l’hostilité des combattants, mais la hainetotale pour laquelle l’adversaire est d’abord ignoble, et qui impliquaient à la fois latorture et le monde concentrationnaire. Pour tous ceux que touchaient la Gestapo, cesputains françaises avaient assassinées des soldats allemands : les camps de soldatsétaient des ennemis, les camps d’extermination n’en sont point les héritiers. Lestechniques d’avilissement, celles que l’on ne pouvaient dépasser qu’en enfermant lesmourantes avec les folles, furent d’ailleurs toujours inintelligibles pour la plupart desdéportées, puisqu’elles n’avaient plus d’objet une fois l’interrogatoire terminé.

Au camp, me disait Edmond Michelet, les types se demandaient tous pourquoi lesnazis gâchaient stupidement leur main d’œuvre. Il ne s’agissait pas de main d’œuvre,mais du mal absolu : une part de l’homme que l’homme entrevoit, et qui lui fait peur. Ilétait indispensable que les femmes ne fussent pas épargnées ; le camp parfait eût été lecamp d’extermination des enfants. Faute de mise au point, on les tuait avec leursparents. Il y a quelque chose d’énigmatique et de terrifiant dans la volonté dedéshumaniser l’humain, comme dans les pieuvres, comme dans les monstres. L’idéaldes bourreaux était que les victimes se pendent par horreur d’eux-mêmes ! Oncomprend pourquoi les détenues demandaient aux religieuses prisonnières de leurparler de la Passion. Dante, banalités ! Là, pour la première fois, l’homme a donné desleçons à l’enfer.

Il fallait choisir la chiourme : n’est pas abjectement sadique qui veut. Le hasard nefournit qu’une brutalité plus simple. Je doute que le nazisme ait créé ces camps pourinspirer la terreur, car il les tint longtemps secrets. (...) Nous ne pourrions comprendrel’assemblée d’aujourd’hui, sans comprendre qu’en marge du fracas des chars, la guerredu silence fut celle des femmes contre la Gestapo. Leur armée était normalement laCroix Rouge. Dans la résistance, elles renonçaient à une protection millénaire, ellesentraient dans la guerre par la porte du supplice. Dans les camps, le dernieraffrontement fut peut-être le plus mystérieux. Ces nazis résolus à vous exterminer nevous ont pas assassiné – sans doute était-il trop tard. Mais pour survivre, il fallait levouloir chaque jour de toutes ces forces, et vous avez découvert que la volonté de vivreétait obscurément sacrée. Désarmées, hors de l’humanité, vous ne pouviez témoignerqu’en continuant à vivre, et vous avez vécu. Le Général de Gaulle attendait à la gare del’Est le premier convoi des fantômes.

Mais il serait faux de limiter les déportées aux agentes des réseaux, à la résistanceorganisée. Combien de vos compagnes étaient des femmes qui, nous assistant àl’occasion ou nous donnant asile, risquaient autant que nous et le savaient. Vous neséparez pas celles qu’une même souffrance rassembla. Vous représentez toutes cellesqui n’ont fait partie d’aucune organisation, et dont vous avez si souvent éprouvées lafraternité. Les aviateurs tombés se réfugiaient dans la première ferme venue, lecamarade anglais blessé avec moi fut transporté de village en village avant de retrouver

les nôtres. Nous avons vécu de la complicité de la France. Pas de toute la France, non !– de celle qui a suffit. Le fermier fut souvent une fermière, c’est pourquoi votre valeurde symbole est si grande. (...)

Le poste émetteur de radio voisin du notre était installé chez une dactylo, tante de l’unde nos compagnons. Comme elle tapait à la machine chez elle, il avait pensé que cebruit serait bien utile, il lui avait demandé si elle accepterait qu’il apporta son poste,elle avait répondu en haussant une épaule, « évidemment ». Elle n’appartenait à aucunréseau ; elle aimait son neveu comme un neveu pas davantage ; elle disait sans plus« les nazis, j’en veux pas » ; elle connaissait le risque, c’était à la fin de 43. Le neveu aété fusillé, la tante est revenue de Ravensbrück, elle pesait 34 kilos. Je serais étonnéqu’elle ait jamais cru avoir accompli une action héroïque – elle se méfiait du mot. ARavensbrück avec vous, elle a du penser « moi, je n’ai jamais eu beaucoup dechance ». Nous sommes dans le domaine le plus simple de la Résistance, peut-être leplus profond. Nous savons aujourd’hui que chez beaucoup d’entre nous, femmes ouhommes, la patrie repose comme une eau dormante. Fasse le destin que cette femmesoit ici, ou qu’elle m’écoute à la radio, stupéfaite d’entendre parler d’elle aux rois deChartres, qui ont vu Saint-Louis.

Portail royal en qui depuis 800 ans bat l’âme de notre pays, je viens de t’apporter leplus humble témoignage de la France. J’en répèterai un autre, que votre compagne desténèbres aurait préféré au sien.

En rang, les prisonnières écoutaient un discours de menaces. Le chef du camp se tûtenfin, et l’interprète alsacienne traduisit tout par une seule phrase : « il dit que quandnous sortirons d’ici, nous serons mortes ». Une joie stupéfiante surgit : pendant qu’elledisait ces mots-là, un message à bouche fermée filtrait dans les rangs : « les Alliésarrivent ».

Alors, dans tous les bagnes, depuis la Forêt Noire jusqu’à la Baltique, l’immensecortège des ombres qui survivaient encore se leva sur ses jambes flageolantes. Lepeuple de celles dont la technique concentrationnaire avait tenté de faire des esclavesparce qu’elles avaient été parfois des exemples, le peuple dérisoire des tondues et desrayées, notre peuple, pas encore délivré, encore en face de la mort, ressenti que mêmes’il ne devait jamais revoir la France, il mourrait avec une âme de vainqueur.Croyantes ou non, vous connaissez le verset lugubrement illustre, prononcé pour touspuisque la douleur est partout – stabat mater dolorosa – et la mère des douleurs setenait debout.

Dans la crypte, sous l’Hosannah des orgues et des siècles, la France aux yeux fermésvous attend en silence. Que celles d’entre vous dont on se souviendra le moins, la plusdémunie, celle dont j’ai parlé si elle est encore vivante, s’approche pour attendrechuchoter la haute figure noire. La France dit :

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Ecoute bruire dans l’ombre autour de moi : « Je ne l’ai pas abandonné ». Saint-François disait à la mendiante d’Assise : « sur ton pauvre visage, que ne puis-jeembrasser toute la pauvreté du monde ». Sur le tien, déportée, moi la France,j’embrasse toutes tes sœurs d’extermination. J’ai connu bien des prisonnières, àcommencer par moi. Celles dont la liberté cessait avec le jour, parce que le camprevenait la nuit, celles qui disaient « ne laissez pas entrer les chiens parce que leschiens mordent ». J’ai connu aussi comme toi, les femmes qui disaient qu’on nepensait pas à nous, qu’elles ne savaient pas, à qui personne n’avait jamais parlé de rien.Maintenant, pour les siècles, on sait. Avec quoi ferait-on la noblesse d’un peuple, sinonavec celles qui la lui ont donnée ? Symbole mystérieux des 8000 personnages de lacathédrale, voit sur ta face accablée les 8000 prisonnières qui ne sont pas revenues.

En cette cathédrale où furent sacrés tant de rois oubliés, qu’elles reçoivent avec toi lesacre du courage. A la descendance de l’humanité sourde, peut-être à la petite-fillemême de celle qui t’a livré, la secourable voix où disparaît la honte, soufflera les motsqu’ont trouvé nos pauvres gens pour Du Guesclin – le seul connétable resté dans leurcœur, vivantes naguère changées en plaie, crânes rasés de la misère française, « il n’estsi pauvre fileuse en France, qui ne filerait pour payer ta rançon ».

H – Sur La faim, le froid, la peur, les maladies, les chambres à gaz, les sélections,le manque de sommeil, les travaux épuisants, l’épuisement physique, l’absencetotale d’hygiène, etc… : voici une première liste de témoignages facilement accessible(CDI, bibliothèque ou librairie) :

- Primo Levi, Si c’est un homme, 1ère éd. 1947, rééd. Paris, Julliard, 1987.- Primo Levi, Les naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz,

Paris, Gallimard, 1989.- Ida Grinspan (avec Bertrand Poirot-Delpech), J’ai pas pleuré, Paris,

Laffont, 2002.- Charlotte Delbo, Aucun de nous ne reviendra, Paris, Minuit, 1970.- Robert Antelme, L’espèce humaine, Paris, Gallimard, 1957.- Elie Wiesel, La nuit, Paris, Minuit, 1958.- Marguerite Duras, La douleur, Paris, P.O.L., 1985.- Claude Lanzmann, Shoah, (transcription des dialogues du film), Paris,

Gallimard, 1985.

Définition juridique du crime contre l’humanité, Statuts du tribunal deNuremberg, 1945.

« Le crime contre l’humanité est l’assassinat, l’extermination, la réduction enesclavage, la déportation et tout acte inhumain commis contre les populations civiles,avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciauxou religieux ».

Si c’est un homme

Vous qui vivez en toute quiétudeBien au chaud dans vos maisons,

Vous qui trouvez le soir en rentrantLa table mise et des visages amis,

Considérez si c'est un hommeQue celui qui peine dans la boue,

Qui ne connaît pas de repos,Qui se bat pour un quignon de pain,Qui meurt pour un oui pour un non.

Considérez si c'est une femmeQue celle qui a perdu son nom et ses cheveux

Et jusqu’à la force de se souvenir,Les yeux vides et le sein froid

Comme une grenouille en hiver.N’oubliez pas que cela fut,

Non, ne l’oubliez pas :Gravez ces mots dans votre coeur.Pensez-y chez vous, dans la rue,

En vous couchant, en vous levant ;Répétez-les à vos enfants.

Ou que votre maison s’écroule,Que la maladie vous accable,

Que vos enfants se détournent de vous.

Primo Levi

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André Malraux – Oraison funèbre de Jean Moulin, le 19 décembre 1964. 1/4

DISCOURS D’ANDRÉ MALRAUX, PLACE DU PANTHÉON À PARIS,

EN PRÉSENCE DU GÉNÉRAL DE GAULLE,

LORS DU TRANSFERT DES CENDRES DE JEAN MOULIN AU PANTHÉON,

LE 19 DÉCEMBRE 1964.

Monsieur le Président de la République,

Voilà donc plus de vingt ans que Jean Moulin partit, par un temps de décembre sans doute semblable àcelui-ci, pour être parachuté sur la terre de Provence, et devenir le chef d’un peuple de la nuit. Sans cettecérémonie, combien d’enfants de France sauraient son nom ? Il ne le retrouva lui-même que pour être tué ; etdepuis, sont nés seize millions d’enfants...

Puissent les commémorations des deux guerres s’achever aujourd’hui par la résurrection du peupled’ombres que cet homme anima, qu’il symbolise, et qu’il fait entrer ici comme une humble garde solennelleautour de son corps de mort.

Après vingt ans, la Résistance est devenue un monde de limbes où la légende se mêle à l’organisation.Le sentiment profond, organique, millénaire, qui a pris depuis son accent légendaire, voici comment je l’airencontré. Dans un village de Corrèze, les Allemands avaient tué des combattants du maquis, et donné ordreau maire de les faire enterrer en secret, à l’aube. Il est d’usage, dans cette région, que chaque femme assisteaux obsèques de tout mort de son village en se tenant sur la tombe de sa propre famille. Nul ne connaissaitces morts, qui étaient des Alsaciens. Quand ils atteignirent le cimetière, portés par nos paysans sous la gardemenaçante des mitraillettes allemandes, la nuit qui se retirait comme la mer laissa paraître les femmes noiresde Corrèze, immobiles du haut en bas de la montagne, et attendant en silence, chacune sur la tombe dessiens, l’ensevelissement des morts français. Ce sentiment, qui appelle la légende, sans lequel la résistancen’eût jamais existé et qui nous réunit aujourd’hui, c’est peut-être simplement l’accent invincible de lafraternité.

Comment organiser cette fraternité pour en faire un combat ? On sait ce que Jean Moulin pensait de laRésistance, au moment où il partit pour Londres : « Il serait fou et criminel de ne pas utiliser dit-il, en casd’action alliée sur le continent, ces troupes prêtes aux sacrifices les plus grands, éparses et anarchiquesaujourd’hui, mais pouvant constituer demain une armée cohérente de parachutistes déjà en place, connaissantles lieux, ayant choisi leur adversaire et déterminé leur objectif. » C’était bien l’opinion du général deGaulle. Néanmoins, lorsque, le ler janvier 42, Jean Moulin fut parachuté en France, la Résistance n’étaitencore qu’un désordre de courage : une presse clandestine, une source d’informations, une conspiration pourrassembler ces troupes qui n’existaient pas encore. Or, ces informations étaient destinées à tel ou tel allié, cestroupes se lèveraient lorsque les Alliés débarqueraient. Certes, les résistants étaient des combattants fidèlesaux Alliés. Mais ils voulaient cesser d’être des Français résistants, et devenir la Résistance française.

C’est pourquoi Jean Moulin est allé à Londres. Pas seulement parce que s’y trouvaient des combattantsfrançais (qui eussent pu n’être qu’une légion), pas seulement parce qu’une partie de l’empire avait rallié laFrance Libre. S’il venait demander au général de Gaulle de l’argent et des armes, il venait aussi lui demander– je cite – « une approbation morale, des liaisons fréquentes, rapides et sûres avec lui ». Le général assumaitalors le Non du premier jour ; le maintien du combat, quel qu’en fût le lieu, quelle qu’en fût la forme ; enfin,le destin de la France. La force des appels de Juin tenait moins aux « forces immenses qui n’avaient pasencore donné », qu’à : « Il faut que la France soit présente à la victoire. Alors, elle retrouvera sa liberté et sagrandeur. » La France, et non telle légion de combattants français. C’était par la France Libre que lesrésistants de Bir Hakeim se conjuguaient, formaient une France combattante restée au combat. Chaquegroupe de résistants pouvait se légitimer par l’allié qui l’armait et le soutenait, voire par son seul courage ; legénéral de Gaulle seul pouvait appeler les mouvements de Résistance à l’union entre eux et avec tous lesautres combats, car c’était à travers lui seul que la France livrait un seul combat. C’est pourquoi – même

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André Malraux – Oraison funèbre de Jean Moulin, le 19 décembre 1964. 2/4

lorsque le président Roosevelt croira assister à une rivalité de généraux ou de partis – l’armée d’Afrique,depuis la Provence jusqu’aux Vosges, combattra au nom du gaullisme – comme feront les troupes du particommuniste. C’est pourquoi Jean Moulin avait emporté, dans le double fond d’une boîte d’allumettes, lamicrophoto du très simple ordre suivant : « M. Moulin a pour mission de réaliser, dans la zone nondirectement occupée de la métropole, l’unité d’action de tous les éléments qui résistent à l’ennemi et à sescollaborateurs. »

Inépuisablement, il montre aux chefs des groupements le danger qu’entraînerait le déchirement de laRésistance entre des tuteurs différents. Chaque événement capital – entrée en guerre de la Russie, puis desÉtats-Unis, débarquement en Afrique du Nord – renforce sa position. A partir du débarquement, il devientévident que la France va redevenir un théâtre d’opérations. Mais la presse clandestine, les renseignements(même enrichis par l’action du noyautage des administrations publiques) sont à l’échelle de l’occupation,non de la guerre. Si la Résistance sait qu’elle ne délivrera pas la France sans les Alliés, elle n’ignore plusl’aide militaire que son unité pourrait leur apporter. Elle a peu à peu appris que s’il est relativement facile defaire sauter un pont, il n’est pas moins facile de le réparer ; alors que s’il est facile à la Résistance de fairesauter deux cents ponts, il est difficile aux Allemands de les réparer à la fois. En un mot, elle sait qu’une aideefficace aux armées de débarquement est inséparable d’un plan d’ensemble. Il faut que sur toutes les routes,sur toutes les voies ferrées de France, les combattants clandestins désorganisent méthodiquement laconcentration des divisions cuirassées allemandes. Et un tel plan d’ensemble ne peut être conçu, et exécuté,que par l’unité de la Résistance.

C’est à quoi Jean Moulin s’emploie jour après jour, peine après peine, un mouvement de Résistanceaprès l’autre : « Et maintenant, essayons de calmer les colères d’en face... » Il y a, inévitablement, lesproblèmes de personnes ; et bien davantage, la misère de la France combattante, l’exaspérante certitude, pourchaque maquis ou chaque groupe franc, d’être spolié au bénéfice d’un autre maquis ou d’un autre groupe,qu’indignent, au même moment, les mêmes illusions... Qui donc sait encore ce qu’il fallut d’acharnementpour parler le même langage à des instituteurs radicaux ou réactionnaires, des officiers réactionnaires oulibéraux, des trotskistes ou communistes retour de Moscou, tous promis à la même délivrance ou à la mêmeprison ; ce qu’il fallut de rigueur à un ami de la République espagnole, à un ancien préfet radical, chassé parVichy, pour exiger d’accueillir dans le combat commun tels rescapés de la Cagoule !

Jean Moulin n’a nul besoin d’une gloire usurpée : ce n’est pas lui qui a créé Combat, Libération,Franc-Tireur, c’est Frenay, d’Astier, Jean-Pierre Lévy. Ce n’est pas lui qui a créé les nombreux mouvementsde la zone Nord dont l’histoire recueillera tous les noms. Ce n’est pas lui qui a fait les régiments, mais c’estlui qui a fait l’Armée. Il a été le Carnot de la Résistance.

Attribuer peu d’importance aux opinions dites politiques, lorsque la nation est en péril de mort – lanation, non pas un nationalisme alors écrasé sous les chars hitlériens, mais la donnée invincible etmystérieuse qui allait emplir le siècle ; penser qu’elle dominerait bientôt les doctrines totalitaires dontretentissait l’Europe ; voir dans l’unité de la Résistance le moyen capital du combat pour l’unité de la nation,c’était peut-être affirmer ce qu’on a, depuis, appelé le gaullisme. C’était certainement proclamer la survie dela France.

En février, ce laïc passionné avait rétabli sa liaison par radio avec Londres, dans le grenier d’unpresbytère. En avril, le service d’information et de propagande, puis le Comité général d’études étaientformés ; en septembre, le NAP (Noyautage des Administrations Publiques). Enfin, le général de Gaulledécidait la création d’un « Comité de coordination » que présiderait Jean Moulin, assisté du chef de l’arméesecrète unifiée. La préhistoire avait pris fin. Coordonnateur de la Résistance en zone Sud, Jean Moulin endevenait le chef. En janvier 43, le Comité directeur des Mouvements unis de la Résistance, était créé sous saprésidence. En février, il repartait pour Londres avec le général Delestraint, chef de l’armée secrète, etJacques Dalsace.

De ce séjour, le témoignage le plus émouvant a été donné par le colonel Passy.

« Je revois Moulin, blême, saisi par l’émotion qui nous étreignait tous, se tenant à quelques pas devantle général et celui-ci disant, presque à voix basse : " Mettez-vous au garde-à-vous ", puis: " Nous vous

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reconnaissons comme notre compagnon, pour la libération de la France, dans l’honneur et par la victoire. "Et, pendant que de Gaulle lui donnait l’accolade, une larme, lourde de reconnaissance, de fierté, et defarouche volonté, coulait doucement le long de la joue pâle de notre camarade Moulin. Comme il avait la têtelevée, nous pouvions voir encore, au travers de sa gorge, les traces du coup de rasoir qu’il s’était donné, en40, pour éviter de céder sous les tortures de l’ennemi. »

Les tortures de l’ennemi... En mars, chargé de constituer et de présider le Conseil National de laRésistance, Jean Moulin monte dans l’avion qui va le parachuter au nord de Roanne. Ce Conseil National quigroupe les mouvements, les partis et les syndicats de toute la France, c’est l’unité précairement conquise,mais aussi la certitude qu’au jour du débarquement, l’armée en haillons de la Résistance attendra lesdivisions blindées de la Libération. Jean Moulin en retrouve les membres, qu’il rassemblera si difficilement.Il retrouve aussi une Résistance tragiquement transformée. Celle-là, elle avait combattu comme une armée,en face de la victoire, de la mort ou de la captivité. Elle commence à découvrir l’univers concentrationnaire,la certitude de la torture. Désormais, elle va combattre en face de l’enfer.

Ayant reçu un rapport sur les camps de concentration, il dit : « J’espère qu’ils nous fusilleront avant. »Ils ne devaient pas avoir besoin de le fusiller.

La Résistance grandit, les réfractaires du Travail obligatoire vont bientôt emplir les maquis ; laGestapo grandit aussi, la milice est partout. C’est le temps où, dans la campagne, nous interrogeons lesaboiements des chiens au fond de la nuit ; le temps où les parachutes multicolores, chargés d’armes et decigarettes, tombent du ciel dans la lueur des feux des clairières ou des causses ; c’est le temps des caves, etde ces cris désespérés que poussent les torturés avec des voix d’enfants... La grande lutte des ténèbres acommencé.

Le 27 mai 1943, a lieu à Paris, rue du Four, la première réunion du CNR (Conseil National de laRésistance). Jean Moulin rappelle les buts de la France Libre : « Faire la guerre ; rendre la parole au peuplefrançais ; rétablir les libertés républicaines ; travailler avec les Alliés à l’établissement d’une collaborationinternationale. » Puis, il donne lecture d’un message du général de Gaulle, qui fixe pour premier but aupremier Conseil de la Résistance, le maintien de l’unité de cette Résistance qu’il représente.

Au péril quotidien de la vie de chacun de ses membres. Le 9 juin, le général Delestraint, chef del’armée secrète enfin unifiée, est pris à Paris.

Aucun successeur ne s’impose. Ce qui est fréquent dans la clandestinité : Jean Moulin aura dit maintesfois avant l’arrivée de Serreules : « Si j’étais pris, je n’aurais pas même le temps de mettre un adjoint aucourant. » Il veut donc désigner ce successeur avec l’accord des mouvements, notamment de ceux de la zoneSud. Il rencontrera leurs délégués le 21, à Caluire.

Ils l’y attendent, en effet. La Gestapo aussi.

La trahison joue son rôle – et le destin, qui veut qu’aux trois quarts d’heure de retard de Jean Moulin,presque toujours ponctuel, corresponde un long retard de la police allemande. Assez vite, celle-ci apprendqu’elle tient le chef de la Résistance.

En vain. Le jour où, au fort Montluc à Lyon, après l’avoir fait torturer, l’agent de la Gestapo lui tendde quoi écrire puisqu’il ne peut plus parler, Jean Moulin dessine la caricature de son bourreau. Pour laterrible suite, écoutons seulement les mots si simples de sa soeur : « Son rôle est joué, et son calvairecommence. Bafoué, sauvagement frappé, la tête en sang, les organes éclatés, il atteint les limites de lasouffrance humaine sans jamais trahir un seul secret, lui qui les savait tous. »

Comprenons bien que pendant les quelques jours où il pourrait encore parler ou écrire, le destin de laRésistance est suspendu au courage de cet homme. Comme le dit Mademoiselle Moulin, il savait tout.Georges Bidault prendra sa succession.

Mais voici la victoire de ce silence atrocement payé : le destin bascule. Chef de la Résistancemartyrisé dans des caves hideuses, regarde de tes yeux disparus toutes ces femmes noires qui veillent noscompagnons : elles portent le deuil de la France, et le tien. Regarde glisser sous les chênes nains du Quercy,avec un drapeau fait de mousselines nouées, les maquis que la Gestapo ne trouvera jamais parce qu’elle necroit qu’aux grands arbres. Regarde le prisonnier qui entre dans une villa luxueuse et se demande pourquoi

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André Malraux – Oraison funèbre de Jean Moulin, le 19 décembre 1964. 4/4

on lui donne une salle de bains – il n’a pas encore entendu parler de la baignoire. Pauvre roi supplicié desombres, regarde ton peuple d’ombres se lever dans la nuit de juin constellée de tortures. Voici le fracas deschars allemands qui remontent vers la Normandie à travers les longues plaintes des bestiaux réveillés : grâceà toi, les chars n’arriveront pas à temps. Et quand la trouée des Alliés commence, regarde, préfet, surgir danstoutes les villes de France les commissaires de la République – sauf lorsqu’on les a tués. Tu as envié, commenous, les clochards épiques de Leclerc : regarde, combattant, tes clochards sortir à quatre pattes de leursmaquis de chênes, et arrêter avec leurs mains paysannes formées aux bazookas l’une des premières divisionscuirassées de l’empire hitlérien, la division Das Reich.

Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d’exaltation dans le soleil d’Afrique, entre ici,Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ;et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps deconcentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous lescrosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte àRavensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l’ombre et disparu avecelle – nos frères dans l’ordre de la Nuit...

Commémorant l’anniversaire de la libération de Paris, je disais : « Écoute ce soir, jeunesse de monpays, ces cloches d’anniversaire qui sonneront comme celles d’il y a quatorze ans. Puisses-tu, cette fois, lesentendre : elles vont sonner pour toi. » L’hommage d’aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s’élevermaintenant, ce Chant des Partisans que j’ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puispsalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d’Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors,quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Rundstedt lancés de nouveau contreStrasbourg. Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C’est lamarche funèbre des cendres que voici. A côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II, de celles deVictor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur longcortège d’ombres défigurées. Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu auraisapproché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France...

Jean Moulin vers 1940 André Malraux vers 1937