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58 LE COURRIER DE L’ATLAS palmarès ن ا Vittorio Zunino Celotto/Getty Images/AFP Chaque mois, nous vous présentons un palmarès des Franco-Maghrébins qui se sont distingués dans leur domaine. Ce mois-ci, place aux écrivains. Par Siham Bounaïm qui comptent dans Franc-Maghs la littérature les 15 NUMÉRO 67 FÉVRIER 2013 Tahar Ben Jelloun est sans conteste l’un des écrivains les plus illustres et prolifiques de sa génération. Véritable boulimique du travail, l’écrivain marocain a plus de 40 livres à son actif (romans, poèmes et ouvrages pédagogiques). Né à Fès en 1944, il suit des études de philosophie et devient enseignant à Casablanca. Ses premiers textes, il les écrit en cachette dans un camp disciplinaire de l’armée où il est détenu pour avoir participé à des manifestations étudiantes. De cette expérience douloureuse naîtra cette nécessité d’écrire. Deux ans après sa libération, il publie son premier recueil de poésie, Hommes sous linceul de silence. Installé à Paris depuis 1971, Tahar Ben Jelloun sort son premier roman, Harrouda, en 1973. Il enchaîne ensuite les ouvrages avec régularité et devient célèbre en 1985, grâce au roman L’Enfant de sable. En 1987, c’est la consécration : Tahar Ben Jelloun décroche le prestigieux prix Goncourt pour La Nuit sacrée, qui sera traduit en 44 langues. “C’est la Palme d’or de l’écrivain. Ce prix a changé ma vie et m’a apporté une ouverture vers le grand public. Parallèlement, cela m’a poussé à redoubler d’exigence envers moi- même”, commente l’écrivain. Travailleur acharné, l’homme de 68 ans s’impose une rigueur drastique depuis ses débuts : “J’écris tous les matins. Je me prépare, je m’habille et je m’installe à mon bureau afin de travailler dans de bonnes conditions. L’inspiration n’existe pas… elle vient avec le travail et la persévérance.” Tahar Ben Jelloun L’incontestable 3 DATES CLÉS 1944 : naissance à Fès 1971 : arrivée à Paris 1987 : prix Goncourt pour La Nuit sacrée

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58 LE COURRIER DE L’ATLAS

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Chaque mois, nous vous présentons un palmarès des Franco-Maghrébins qui se sont distingués dans leur domaine. Ce mois-ci, place aux écrivains.Par Siham Bounaïm

qui comptent dansFranc-Maghs

la littérature

les 15

NUMÉRO 67 FévRIER 2013

Tahar Ben Jelloun est sans conteste l’un des écrivains les plus illustres et prolifiques de sa génération. Véritable boulimique du travail, l’écrivain marocain a plus de 40 livres à son actif (romans, poèmes et ouvrages pédagogiques).

Né à Fès en 1944, il suit des études de philosophie et devient enseignant à Casablanca. Ses premiers textes, il les écrit en cachette dans un camp disciplinaire de l’armée où il est détenu pour avoir participé à des manifestations étudiantes. De cette expérience douloureuse naîtra cette nécessité d’écrire. Deux ans après sa libération, il publie son premier recueil de poésie, Hommes sous linceul de silence. Installé à Paris depuis 1971, Tahar Ben Jelloun sort son premier roman, Harrouda, en 1973. Il enchaîne ensuite les ouvrages avec régularité et devient célèbre en 1985, grâce au roman L’Enfant de sable.

En 1987, c’est la consécration : Tahar Ben Jelloun décroche le prestigieux prix Goncourt pour La Nuit sacrée, qui sera traduit en 44 langues. “C’est la Palme d’or de l’écrivain. Ce prix a changé ma vie et m’a apporté une ouverture vers le grand public. Parallèlement, cela m’a poussé à redoubler d’exigence envers moi-même”, commente l’écrivain. Travailleur acharné, l’homme de 68 ans s’impose une rigueur drastique depuis ses débuts : “J’écris tous les matins. Je me prépare, je m’habille et je m’installe à mon bureau afin de travailler dans de bonnes conditions. L’inspiration n’existe pas… elle vient avec le travail et la persévérance.”

Tahar Ben JellounL’incontestable

3 daTeS cléS

1944 : naissance à Fès1971 : arrivée à Paris1987 : prix Goncourt pour la Nuit sacrée

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LE COURRIER DE L’ATLAS 59

Simple et discrète, Faïza Guène a été propulsée sous les feux des projecteurs un peu malgré elle… La médiatisation, la célébrité, la reconnaissance, elle n’y avait jamais pensé. Elle ne l’a même jamais cherché. Issue d’un milieu modeste, la jeune femme d’origine algérienne a grandi dans une cité à Pantin (Seine-Saint-Denis).

Passionnée d’écriture et de cinéma, elle fréquente, entre 13 et 17 ans, un atelier d’écriture audiovisuelle, où elle affûte sa plume. C’est son professeur qui détecte sa fibre d’écrivain. “Il m’avait surprise en train d’écrire et il m’a demandé s’il pouvait lire mon histoire. Après avoir lu les 30 premières pages, il a décidé de l’envoyer à sa sœur, qui travaillait aux éditions Hachette. A ma grande surprise, elle m’a contactée pour me demander si je pouvais finir l’histoire pour que l’on puisse en faire un roman. J’étais une simple lycéenne de 17 ans et tout cela me paraissait irréel. Jamais je n’aurais pu imaginer ce qui allait suivre”, explique-t-elle.

Vendu à plus de 400 000 exemplaires et traduit dans plus de 26 langues, Kiffe kiffe demain est l’une des meilleures ventes de 2004. Ce livre bouleverse la vie de Faïza et lui permet de voyager à travers le monde. Avec Du rêve pour les oufs (2006) puis Les Gens du Balto (2008), celle qu’on surnomme “la Sagan des cités” confirme son talent et impose son style empreint d’humour. “Lorsque j’écris, je garde en tête que je fais du diver-tissement (…) Je m’inspire de la réalité afin de la sublimer et de transformer des gens ordinaires en héros.” Après une pause de quatre ans, l’auteure devenue maman travaille sur son quatrième livre intitulé Rééducation, qui sortira en 2013.

Faïza GuèneL’anti-héroïne

Fouad Laroui est un ovni dans le monde de la littérature. Ingénieur, économiste, chroniqueur littéraire, professeur à l’université d’Amsterdam, écrivain, poète, ce brillant Marocain multiplie les casquettes. Tel un chat à plusieurs vies, il a su rebondir et imposer de nombreux tournants à sa carrière.

Après des études scien tifiques au Maroc, Fouad Laroui s’installe à Paris, en 1979. Il sort diplômé de l’Ecole nationale des ponts et chaussées et de l’Ecole des mines. A l’approche de la trentaine, après avoir dirigé une mine de phosphates au Maroc, il change de vie une première fois en 1994. Un doctorat d’économie en poche, il part au Royaume-Uni travailler en tant que chercheur en économétrie.

Quelques années plus tard, nouveau virage. Fouad Laroui retraverse la Manche et s’installe à Amsterdam où il devient

professeur d’université. Après avoir ensei-gné durant six ans l’éco no métrie et les sciences de l’envi ronnement, il dispense aujourd’hui des cours de littérature française et d’épistémologie arabe.

Ce touche-à-tout nourrit depuis toujours une passion pour la littérature. Une passion qui l’amène à publier en 1996 son premier roman, Les Dents du topographe. Depuis, il a écrit 12 autres livres (romans, nouvelles et poèmes), dont le dernier, L’Etrange affaire du pantalon de Dassoukine, est paru en octobre 2012.

Agé de 54 ans, Fouad Laroui aime cultiver sa polyvalence. “J’aime les maths et la littérature, j’adore l’astrophysique et la poésie, je suis content de savoir construire un pont et de pouvoir écrire une nouvelle. Si je pouvais jouer du piano et dribbler comme Messi, je serais au comble du bonheur”, conclut-il avec amusement.

Fouad larouiL’érudit

NUMÉRO 67 FévRIER 2013

Tahar Ben JellounL’incontestable

3 daTeS cléS

1985 : naissance à Bobigny2004 : premier roman, Kiffe kiffe demain2013 : sortie de Rééducation, son prochain roman

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1958 : naissance à Oujda1996 : premier roman, les dents du topographe2000 : l’année où il n’a rien écrit

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60 LE COURRIER DE L’ATLAS

Ce n’est pas l’amour des lettres mais celui des images qui conduit Abdellah Taïa à emprunter le chemin de l’écriture. Avant-dernier d’une fratrie de 10 enfants, l’auteur marocain grandit à Salé au sein d’une famille pauvre. Très tôt, ce cinéphile désire étudier le cinéma à Paris pour devenir réalisateur.

Le jeune homme poursuit des études de littérature française à l’université de Rabat afin d’acquérir un bon niveau de français. C’est par ce biais qu’il découvre l’écriture. Cette passion prend de l’ampleur au sein du Cercle littéraire de l’Océan, un club d’écriture qu’il fonda à 22 ans avec trois amis. “On se retrouvait une fois par mois pour discuter, durant quatre ou cinq heures, des nouvelles qu’on avait écrites. Cette expérience fut un tournant dans ma vie”, raconte-t-il. Dès lors, Abdellah Taïa ne lâchera plus sa plume.

Après un bref détour par l’université de Genève, Abdellah Taïa pose ses valises à Paris en 1999. Alors qu’il est étudiant à la Sorbonne, il décide de tenter sa chance et d’envoyer à une maison d’édition une nouvelle qu’il avait écrite au Maroc. Pari réussi pour le jeune homme, qui voit ses premiers textes figurer dans un ouvrage collectif intitulé Des nouvelles du Maroc. L’année suivante, il publie son premier recueil de nouvelles, Mon Maroc.

L’écrivain gagne la reconnaissance du milieu littéraire français en 2010, en remportant le prix de Flore pour son roman Le Jour du roi. Abdellah Taïa, aujourd’hui âgé de 39 ans, est le premier écrivain marocain et arabe à affirmer publiquement, dans ses livres comme dans les médias, son homosexualité : “Je ne cherche pas à être scandaleux mais à faire évoluer le Maroc. Les homosexuels ont le droit d’exister et de vivre dans la dignité et je pense que la littérature se doit d’accompagner et défendre toutes les causes.”

abdellah TaïaL’ennemi du mensonge

A l’âge où les petites filles jouent à la poupée, Iman Bassalah écrit ses premiers poèmes. “Un jour, mon instituteur de CE2 nous a demandé d’apporter des poèmes en classe. Plutôt que de travailler sur le texte d’un autre, j’ai préféré apporter mes propres poésies. Mon professeur ne m’a pas cru et m’a accusée de plagiat”, se remémore-t-elle. D’un naturel discret et timide, la jeune femme trouve en

l’écriture un moyen d’expression privilégié. Née à Tunis, Iman Bassalah grandit à Vincennes, en région parisienne. Elève studieuse, elle obtient un DESS de lettres appliquées aux métiers de l’édition et un doctorat de lettres modernes. Avant de se consacrer au métier d’écrivain, elle met ses qualités rédactionnelles au service de plusieurs magazines et maisons d’édition.

En quête de stabilité professionnelle, la jeune femme décide de passer le concours de l’Education nationale et devient professeur de français. Une expérience malheureuse qui lui inspirera le thème de son premier livre, Profs Academy, sorti en 2007. “J’étais trop marginale pour me conformer à l’Education nationale. Un jour, j’ai décidé de tout quitter et d’écrire un livre relatant sur le ton de l’humour

Iman BassalahLa prof reconvertie

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1973 : naissance à Rabat1999 : installation à Paris2010 : prix de Flore pourle Jour du roi

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LE COURRIER DE L’ATLAS 61

Promouvoir un livre tel un produit, c’est le secret de Rachid Santaki. L’écrivain de 39 ans a bien compris que, pour vendre ses romans, il fallait avant tout créer le buzz. Expert du street marketing, il a sillonné les banlieues de France et tapissé leurs murs d’affiches pour faire connaître ses livres. “J’ai passé plus de cinq cents heures dans les rues pour la promotion du roman Des chiffres et des litres. Mon père était manutentionnaire, je n’ai jamais eu peur de mettre la main à la pâte”, déclare l’auteur d’origine marocaine.

Autodidacte, cet ancien éducateur sportif a aiguisé sa plume sur le tas. Après avoir cofondé le site Hiphop.fr en 2000, il lance trois ans plus tard le magazine 5 Styles. Une aventure de huit ans au cours de laquelle il développe son goût pour l’écriture et qui le conduit à publier, en 2008, La Petite Cité dans la prairie.

Imprégné de culture urbaine, l’ancien journaliste transpose les codes du hip-hop à la littérature afin de casser l’image classique du polar et de réconcilier ainsi les jeunes des quartiers avec la lecture. “Ce premier essai n’était pas vraiment construit mais il m’a ouvert de nombreuses portes. Et surtout, il m’a poussé à progresser et à me consacrer à l’écriture de romans noirs”, révèle l’enfant du 9-3. C’est d’ailleurs son département – et plus précisément Saint-Denis – qui lui inspireront en 2011 Les Anges s’habillent en caillera.

Si ce roman lui apporte la reconnaissance du public, c’est Des chiffres et des litres qui le consacrera en 2012 auprès de ses pairs, avec une sélection en finale du Grand Prix de littérature policière. En 2013, Rachid a une actualité chargée, avec la sortie de Flic ou Caillera, dernier volet de sa trilogie, et d’un livre au Maroc.

Rachid SantakiLa plume de caillera

ma vision contrastée de la vie de professeur. J’écris pour soigner mes douleurs intérieures”, dit-elle. Suivront Les Femmes au miel et autres histoires joyeuses de l’immigration, Comment réussir sa dépression et le recueil A la plage, puis son premier roman, Hôtel Miranda, sorti en mai 2012. Ecrivain, journaliste et intervenante dans des ateliers d’écriture, Iman Bassalah est heureuse, à 37 ans, de vivre de sa passion.

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1973 : naissance à Saint-Ouen1991 : décès de son frère, un tournant de sa vie2011 : sortie des anges s’habillent en caillera

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1975 : naissance à Tunis1993 : entrée à la Sorbonne2012 : premier roman, Hôtel Miranda

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62 LE COURRIER DE L’ATLAS

Ecrivain, poète, essayiste et professeur de littérature comparée, Abdelwahab Meddeb anime depuis 1997 l’émission hebdomadaire Culture d’islam sur France culture. Né en 1946 à Tunis, il grandit dans une famille conservatrice et pieuse. Son père, professeur et écrivain théologien, lui enseigne le Coran dès l’âge de 4 ans. Après avoir étudié à l’école franco-arabe et à l’université de Tunis, il s’installe à Paris en 1967 et s’inscrit en faculté de lettres et d’histoire de l’art. Après une courte de carrière de rédacteur pour le dictionnaire Le Robert et de lecteur aux éditions du Seuil, il collabore durant quinze ans aux éditions Sindbad en tant que conseiller littéraire puis directeur de collection. Durant ce laps de temps, il publie trois livres dont le premier, Talismano, paraît en 1979.

Par ailleurs, Abdelwahab Meddeb fonde en 1995 une revue littéraire baptisée Dédale, qu’il dirige encore aujourd’hui. Ses œuvres honorent ce qu’il appelle sa “double généalogie”, européenne et islamique. “J’estime tirer le meilleur des deux cultures, c’est ce qui m’a prédisposé à être dans le siècle, dans le monde, un écrivain, un poète et un penseur (…) Je suis hors des frontières, quelles qu’elles soient”, confiait-il au Courrier de l’Atlas en décembre dernier. A partir des années 2000, cet auteur prolifique prend un tournant et se met à l’essai, au pamphlet et à l’article. Très attentif à l’actualité (notamment en provenance de Tunisie), il met sa plume au service d’un islam moderne et modéré.

abdelwahab MeddebLe penseur des temps modernes

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1946 : naissance à Tunis2002 : prix François-Mauriac pour la Maladie de l’islam et prix Max-Jacob pour Matières des oiseaux2010 : prix doha capitale culturelle arabe pour toute son œuvre

Ecrivain, traducteur et professeur, Hédi Kaddour est né en 1945 d’un père tunisien et d’une mère pied-noire d’Alger. Il passe les douze premières années de sa vie en Tunisie, puis suit une scolarité sans faute au lycée Henri-IV, à Paris. En 1971, il part enseigner comme coopérant français au Maroc ; il y restera treize ans, le temps d’y apprendre l’arabe. Reçu major à l’agrégation des lettres, il rentre en France en 1984 pour enseigner la littérature du XXe siècle à l’Ecole normale supérieure, où il officiera jusqu’en 2006.

Ce n’est qu’à l’approche de la quarantaine que l’enseignant se met à l’écriture et plus précisément à la poésie : “Je publiais mes textes dans des revues poétiques, jusqu’au jour où un éditeur m’a repéré et m’a proposé de publier mes poèmes.” A partir de 1989, ses recueils paraissent aux éditions Gallimard. En 1997, il se met à l’écriture d’un roman, Waltenberg. Il lui faudra plus de sept ans pour achever cette œuvre colossale de 720 pages, où défile tout le XXe siècle. “Lorsque j’écris un texte, j’essaye de coller au plus près à la définition du terme littérature : usage esthétique de la langue écrite. Pour citer Flaubert, il s’agit d’obtenir un style ‘souple comme la soie et fort comme une cotte de mailles’”, explique-t-il. Paru en 2005, Waltenberg est classé 2e meilleur livre de l’année 2005 par le magazine Lire et reçoit le prix Goncourt du premier roman 2006.

Actuellement rédacteur en chef adjoint de la plus impor-tante revue française de poésie (Po&sie), professeur à l’Ecole de la Communication de Sciences Po Paris et à l’antenne française de la New York University, Hédi Kaddour travaille sur un projet de roman-monde, qui devrait se dérouler dans les années 1920 entre les Etats-Unis, le Maghreb et l’Europe.

Hédi KaddourL’architecte des mots

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1945 : naissance à Tunis1974 : agrégation de lettres modernes2005 : premier roman, Waltenberg

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LE COURRIER DE L’ATLAS 63

Premier écrivain dit “de banlieue”, Rachid Djaïdani fait, en 1999, une entrée fra-cassante dans le monde de la littérature avec son premier roman, Boumkœur, qui retrace le quotidien des habitants d’une cité. Rien ne laissait présager que ce jeune homme d’origine algéro-soudanaise, élevé dans une cité à Carrières-sous-Poissy (Yvelines) deviendrait l’auteur d’un véritable best-seller vendu à plus de 300 000 exemplaires.

Après avoir obtenu deux CAP (maçon et plâtrier-plaquiste), Rachid travaille à partir de 15 ans sur les chantiers. Après une courte carrière de boxeur, il s’oriente vers le métier d’acteur et enchaîne les rôles au cinéma, à la télévision et au théâtre. Sa vie bascule à 25 ans, lorsque la sortie de Boomkœur le propulse brusquement sur le devant de la scène. Il publiera par la suite deux autres romans : Mon nerf, en 2004, suivi de Viscéral, en 2007.

Las des préjugés sur les jeunes de ban-lieue, l’auteur utilise son art pour lutter contre les clichés. “Quand j’écris un roman, l’idée est de le rendre universel, de construire un pont entre les beaux quartiers de Paris et d’ailleurs avec l’autre côté du périph’. Le problème c’est que les gens, les médias ou autre cassent ces ponts. Ils pensent depuis toujours que les jeunes des quartiers n’ont pas plus de trois mots dans leur vocabulaire. Ce qui est extraordinaire aujourd’hui, c’est que des écrivains issus de ces mêmes quartiers viennent avec des romans qui leur prouvent le contraire”, déclarait-il en 2007 au site Afrik.com.

Devenu réalisateur et scénariste, Rachid Djaïdani a mis la littérature entre paren-thèses pour se consacrer au documentaire. En 2012, il a sorti son premier long-métrage de fiction, Rengaine, qui a été salué par la critique. L’avenir semble plus que jamais sourire à cet autodidacte.

Rachid djaïdaniLe précurseur

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1974 : naissance1999 : premier roman,Boomkœur2012 : premier long-métrage de fiction, Rengaine

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la littérature

les 15

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64 LE COURRIER DE L’ATLAS NUMÉRO 67 FévRIER 2013

Né d’un père marocain musulman et d’une mère française juive d’origine roumaine, Salim Jay a vécu les six premières années de sa vie à Paris avant de s’installer à Rabat. “C’est sans doute le jour où j’ai entendu pour la première fois mon père réciter l’un de ses poèmes que j’ai mesuré le plaisir que cet homme avait à dire un texte qu’il avait composé. J’imagine que ça a été une révélation”, confie-t-il au journaliste Loïc Barrière, lors d’un entretien en 2002. Féru de littérature, il passe son adolescence à lire les œuvres d’auteurs maghrébins de langue française. Précoce, il publie dès 14 ans des chroniques littéraires dans la presse marocaine. En 1973, à l’âge de 22 ans, le jeune Salim décide de quitter le Maroc pour tenter sa chance dans la ville des Lumières. Il y pratique le journalisme et travaille, en parallèle, chez un éditeur comme lecteur et comme nègre littéraire.

Il faudra six ans au journaliste écrivain pour se résoudre à passer de l’ombre à la lumière, avec la publication de son premier roman, La Semaine où Madame Simone eut cent ans. Il a depuis rédigé une vingtaine de romans et d’essais critiques, dont le Dictionnaire des écrivains marocains, paru en 2005. Il a consacré une partie de son œuvre à des écrivains français comme Michel Tournier, Henri Thomas et Jean Freustié, et à la littérature maghrébine francophone et aux œuvres romanesques de l’Afrique subsaharienne, rendant ainsi à la littérature de l’autre rive ses lettres de noblesse.

Salim JayL’amoureux de la littérature

azouz BegagLe gone de Lyon

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1957 : naissance à lyon1986 : premier roman, le Gone du chaâba2012 : dernier roman, Salam Ouessant

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1951 : naissance à Paris1979 : premier roman,la Semaine où Madame Simone eut cent ans2010 : dernier ouvrage,anthologie des écrivains marocains de l’émigration

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la littérature

les 15

Romancier, politicien et chercheur en économie et sociologie, Azouz Begag mène de front trois carrières. En publiant plus d’une vingtaine de livres, l’ancien ministre de la Promotion des chances est l’un des écrivains maghrébins le plus prolifique de sa génération. Issue d’un milieu défavorisé, cet intellectuel d’origine algérienne grandit dans la banlieue de Lyon. Il voue très tôt une passion à la littérature, et plus particulièrement aux livres à caractère social. Ernest Hemingway, Romain Gary, Albert Camus et Stefan Zweig deviennent, entre autres, ses auteurs de référence. Encouragé par sa famille à faire de longues études, il obtint un doctorat en économie à l’université de Lyon-II.

Venu à l’écriture par hasard, Azouz Begag publie, à 29 ans, Le Gone de Chaâba, un livre autobiographique qui raconte son enfance à Chaâba, un bidonville de la banlieue lyonnaise. Paru en 1986, ce roman se voit décerner l’année suivante le prix Sorcières et le prix Bobigneries. Qu’ils soient autobiographiques ou non, les écrits d’Azouz Begag évoquent les problèmes liés à l’immigration, la difficulté d’intégration des jeunes sans tomber dans le miséra bi lisme. L’auteur y prend la défense des jeunes Français d’origine maghrébine et valorise leur culture d’origine.

Le chercheur au CNRS continue d’écrire ouvrages pour la jeunesse mais aussi des romans et documen-taires et des essais. En avril 2007, un mois avant l’élection présidentielle, il démissionne du gouvernement Villepin et publie Un mouton dans la baignoire, un livre qui fustige les positions de Nicolas Sarkozy à l’égard des musulmans.

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LE COURRIER DE L’ATLAS 65NUMÉRO 67 FévRIER 2013

azouz BegagLe gone de Lyon

Née à Rennes d’un père algérien et d’une mère bretonne, Nina Bouraoui (Yasmina de son vrai prénom) a vécu les quatorze premières années de sa vie à Alger, avant de passer son adolescence entre Paris, Zurich et Abou Dhabi. A 45 ans, elle a publié une dizaine de romans, traduits dans plus d’une quinzaine de langues. Largement autobiographiques, ses œuvres sont à l’image de son existence faite de déchirements et de paradoxes. Plus que les livres, c’est la vie qui a donné à Nina Bouraoui l’envie d’écrire. Mêlant à la fois poésie, nostalgie et déracinement (elle a vécu son départ d’Algérie comme un drame), ses livres abordent des thèmes intimes qui lui sont chers tels que la quête amoureuse, le déchirement, son homosexualité ou encore l’identité et ses troubles.

Publié alors qu’elle est âgée de 24 ans, le premier roman de Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite, remporte le prix du Livre Inter et un succès international immédiat. Quatorze ans après cette première distinction, elle obtient en 2005 le prestigieux prix Renaudot, pour son neuvième roman, Mes mauvaises pensées. Au fil des années et des œuvres, l’écriture de l’auteure évolue, imposant un style qui lui est propre. Parallèlement, la romancière se fait un nom dans le milieu de la musique et met ses talents d’écriture au profit d’artistes français. Elle a notamment écrit des chansons pour Céline Dion, Garou ou encore Sheila. Actuellement en pleine rédaction d’un nouveau roman, l’écrivaine semble avoir de beaux jours devant elle.

Nina BouraouiLa déracinée

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1967 : naissance à Rennes1991 : premier roman,la Voyeuse interdite2005 : prix Renaudot pour Mes mauvaises pensées

Mabrouck RachediLe conteur d’histoires

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1976 : naissance à Vigneux-sur-Seine (essonne)2006 : premier roman,le Poids d’une âme2012 : le Petit Malik sort au Japon

De la Bourse à la littérature, Mabrouck Rachedi n’a eu qu’un pas à franchir. Titulaire d’un DEA d’analyse économique, l’auteur a commencé sa carrière en tant qu’analyste financier : “Plus jeune, j’étais en quête de richesse matérielle. Mes modèles étaient Tony Montana dans Scarface et Gordon Gekko dans le film Wall Street. Issu d’un milieu modeste, j’étais animé par le désir de réussir et c’est ce qui m’a conduit à travailler en bourse. Au bout de quatre ans, j’ai décidé de tout plaquer car je ne m’épanouissais pas dans ce milieu. J’ai écouté mon cœur et je me suis consacré à l’écriture.” Une passion qu’il a développée vers 13-14 ans, après avoir lu Le Père Goriot, de Balzac. “J’ai été bouleversé et touché par le caractère universel de ce livre. L’écriture me parut si belle que cela me donna envie d’écrire des histoires. L’une d’entre elles est l’ébauche de mon premier livre”, confie-t-il.

En 2006, l’écrivain d’origine algérienne concrétise son rêve et publie, à l’âge de 30 ans, Le Poids d’une âme. Bien accueilli par la critique, le roman reçoit plusieurs distinctions littéraires. Suivront Eloge du miséreux. De l’art de bien vivre avec rien du tout (2007) et Le Petit Malik (2008), un roman parfois comparé au Petit Nicolas. Cette chronique de la vie d’un jeune de banlieue de 5 à 26 ans connaît un tel succès qu’il en écrira la version féminine avec sa sœur Habiba Mahany, La Petite Malika. Traduits en plusieurs langues, ses ouvrages sur fond de banlieue rencontrent un bel écho à l’étranger. Editorialiste – il tient notamment une chronique au Courrier de l’Atlas –, écrivain et scénariste, l’ex-golden boy a réussi son pari audacieux et vit désormais de sa plume.

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66 LE COURRIER DE L’ATLAS

Agé de 48 ans, Lakhdar Belaïd exerce depuis plus de vingt ans le métier de journaliste. Traitant l’actualité judiciaire et les faits divers pour l’édition lilloise de La Voix du Nord, l’écrivain puise son inspiration dans son métier. Auteur de cinq polars, il a choisi à chaque fois sa ville natale, Roubaix, comme toile de fond de ses intrigues. “C’est une ville chère à mon cœur. C’est un lieu chargé d’histoire propice à l’imagination. Roubaix a, en effet, été traversé par toutes les guerres et les immigrations”, affirme l’écrivain d’origine algérienne.

Passionné par les guerres civiles nationalistes (Algérie, Irlande, etc.) et la Seconde Guerre mondiale, Lakhdar insuffle une dimension historique à ses romans noirs. Avant d’entamer l’écriture d’un livre, il entreprend un minutieux travail d’enquête. Il a notamment consacré une trilogie fictive (Sérail Killers, en 2000, Takfir Sentinelle, en 2002 et World Trade Cimeterre, en 2006) aux résurgences de la guerre d’Algérie à Roubaix. Dans la même veine, il a publié en 2008 Mon père, ce terroriste, un roman dédié à son père, ancien

lakhdar BelaïdL’expert en faits divers

militant du Mouvement national algérien (MNA) décédé en 1996. “J’ai été très marqué par le passé de mon père. A sa mort, j’ai ressenti le besoin d’écrire. Durant la guerre d’Algérie, il a combattu dans le Nord de la France, au côté de Messali Hadj, contre le FLN. Cette guerre fratricide, très sanglante, a constitué un chapitre douloureux de sa vie. Il n’a jamais voulu en parler à ses enfants et nous avons grandi avec le poids de ce secret. C’est sûrement ce qui m’a poussé à l’écriture et au roman noir. Ecrire ce bouquin était un moyen de tourner la page et de rendre hommage à mon père”, confie-t-il. Après avoir publié en 2011 Les Fantômes de Roubaix, un roman historico-fantastique, il souhaite désormais se consacrer au polar pur et quitter le registre politique.

palmarès ا������ن �����

NUMÉRO 67 FévRIER 2013

3 daTeS cléS

1950 : naissance à Ksar el-Boukhari (algérie)1996 : premier roman, au commencement était la mer2002 : participation à un colloque consacré à albert camus, à Paris

Maïssa BeyLa voix des sans-voix

qui comptent dansFranc-Maghs

la littérature

les 15

3 daTeS cléS

1964 : naissance à Roubaix2000 : premier polar, Sérail Killers2008 : sortie de Mon père, ce terroriste

DR

Le passage de la quarantaine est souvent un cap difficile à traverser. Si, pour certains, il se traduit par une crise existentielle, pour d’autres, il est l’occasion de faire le point sur sa vie et de satisfaire de nouvelles aspirations. Maïssa Bey – Samia Benameur de son vrai nom – a choisi la seconde option. “Alors que je menais une vie normale de femme algérienne, j’ai décidé de me mettre à l’écriture à 40 ans. J’ai longtemps hésité avant de passer de l’autre côté de la page. J’avais une telle exigence en tant que lectrice que j’ai longtemps considéré que l’écriture était un territoire trop sacré pour que je puisse m’y aventurer”, confie la femme de lettres algérienne.

Fille d’instituteur, Maïssa suit des études univer-sitaires de lettres à Alger et devient à son tour, à 20 ans, professeur de français à Sidi-Bel-Abbès (au sud d’Oran). Ce n’est qu’à partir de 1996 qu’elle commence à écrire secrètement sous le pseudonyme de Maïssa Bey : “Durant des années, de l’autre côté de la Méditerranée, j’étais l’écrivaine Maïssa Bey, tandis qu’en Algérie, j’étais Samia Benameur, enseignante. Cette double identité était un moyen de me protéger car nous étions en pleine période noire du terrorisme. L’écriture était mon refuge.”

Auteure de romans, poèmes, nouvelles et pièces de théâtre, ses œuvres tentent de briser les secrets et les tabous de la société algérienne. Elle a reçu de nom-breuses distinctions, dont le Grand prix des libraires algériens en 2005. Fondatrice et présidente d’une association de femmes algériennes, Paroles et écritures, elle poursuit parallèlement à sa carrière d’auteure son activité de conseillère pédagogique en Algérie.