boileau nicolas - art poétique (1674).pdf

56
Nicolas Boileau L’Art poétique

Upload: linconstant

Post on 11-Oct-2015

54 views

Category:

Documents


1 download

TRANSCRIPT

  • Nicolas Boileau

    LArt potique

  • LART POTIQUE

    3

    CHANT PREMIER

    Cest en vain quau Parnasse un tmraire auteur,

    Pense de lart des vers atteindre la hauteur

    Sil ne sent point du ciel linfluence secrte

    Si son astre en naissant ne la form pote,

    Dans son gnie troit il est toujours captif ;

    Pour lui Phbus est sourd, et Pgase est rtif.

    O vous donc qui, brlant dune ardeur prilleuse,

    Courez du bel esprit la carrire pineuse,

    Nallez pas sur des vers sans fruit vous consumer,

    Ni prendre pour gnie un amour de rimer :

    Craignez dun vain plaisir les trompeuses amorces,

    Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.

    La nature, fertile en esprits excellents,

    Sait entre les auteurs partager les talents :

    Lun peut tracer en vers une amoureuse flamme ;

    Lautre dun trait plaisant aiguiser lpigramme :

    Malherbe dun hros peut vanter les exploits ;

    Racan, chanter Philis, les bergers et les bois :

    Mais souvent un esprit qui se flatte et qui saime

    Mconnat son gnie et signore soi-mme :

  • NICOLAS BOILEAU

    4

    Ainsi tel autrefois quon vit avec Faret

    Charbonner de ses vers les murs dun cabaret

    Sen va, mal propos, dune voix insolente,

    Chanter du peuple hbreu la fuite triomphante,

    Et, poursuivant Mose au travers des dserts,

    Court avec Pharaon se noyer dans les mers.

    Quelque sujet quon traite, ou plaisant, ou sublime,

    Que toujours le bon sens saccorde avec la rime :

    Lun lautre vainement ils semblent se har ;

    La rime est une esclave et ne doit quobir.

    Lorsqu la bien chercher dabord on svertue,

    Lesprit la trouver aisment shabitue ;

    Au joug de la raison sans peine elle flchit

    Et, loin de la gner, la sert et lenrichit.

    Mais lorsquon la nglige, elle devient rebelleb ;

    Et pour la rattraper le sens court aprs elle.

    Aimez donc la raison que toujours vos crits

    Empruntent delle seule et leur lustre et leur prix.

    La plupart, emports dune fougue insense,

    Toujours loin du droit sens vont chercher leur pense :

    Ils croiraient sabaisser, dans leurs vers monstrueux,

    Sils pensaient ce quun autre a pu penser comme eux.

    vitons ces excs : laissons lItalie

    De tous ces faux brillants lclatante folie.

    Tout doit tendre au bon sens : mais pour y parvenir

    Le chemin est glissant et pnible tenir ;

  • LART POTIQUE

    5

    Pour peu quon sen carte, aussitt on se noie.

    La raison pour marcher na souvent quune voie.

    Un auteur quelquefois trop plein de son objet

    Jamais sans lpuiser nabandonne un sujet.

    Sil rencontre un palais, il men dpeint la face ;

    Il me promne aprs de terrasse en terrasse ;

    Ici soffre un perron ; l rgne un corridor ;

    L ce balcon senferme en un balustre dor.

    Il compte des plafonds les ronds et les ovales ;

    Ce ne sont que festons, ce ne sont quastragales.

    Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin,

    Et je me sauve peine au travers du jardin.

    Fuyez de ces auteurs labondance strile,

    Et ne vous chargez point dun dtail inutile.

    Tout ce quon dit de trop est fade et rebutant ;

    Lesprit rassasi le rejette linstant.

    Qui ne sait se borner ne sut jamais crire.

    Souvent la peur dun mal nous conduit dans un pire :

    Un vers tait trop faible, et vous le rendez dur ;

    Jvite dtre long, et je deviens obscur ;

    Lun nest point trop farde, mais sa muse est trop nue ;

    Lautre a peur de ramper, il se perd dans la nue.

    Voulez-vous du public mriter les amours ?

    Sans cesse en crivant variez vos discours.

    Un style trop gal et toujours uniforme

    En vain brille nos yeux, il faut quil nous endorme.

  • NICOLAS BOILEAU

    6

    On lit peu ces auteurs, ns pour nous ennuyer,

    Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.

    Heureux qui, dans ses vers, sait dune voix lgre

    Passer du grave au doux, du plaisant au svre !

    Son livre, aim du ciel et chri des lecteurs,

    Est souvent chez Barbin entour dacheteurs.

    Quoi que vous criviez, vitez la bassesse :

    Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.

    Au mpris du bon sens, le burlesque effront

    Trompa les yeux dabord, plut par sa nouveaut.

    On ne vit plus en vers que pointes triviales ;

    Le Parnasse parla le langage des halles ;

    La licence rimer alors neut plus de frein ;

    Apollon travesti devint un Tabarin.

    Cette contagion infecta les provinces,

    Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes.

    Le plus mauvais plaisant eut ses approbateurs ;

    Et, jusqu dAssouci, tout trouva des lecteurs.

    Mais de ce style enfin la cour dsabuse

    Ddaigna de ces vers lextravagance aise,

    Distingua le naf du plat et du bouffon

    Et laissa la province admirer le Typhon.

    Que ce style jamais ne souffle votre ouvrage.

    Imitons de Marot llgant badinage,

    Et laissons le burlesque aux plaisants du Pont-Neuf.

    Mais nallez point aussi, sur les pas de Brbeuf,

  • LART POTIQUE

    7

    Mme en une Pharsale, entasser sur les rives

    De morts et de mourants cent montagnes plaintive.

    Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art,

    Sublime sans orgueil, agrable sans fard.

    Noffrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.

    Ayez pour la cadence une oreille svre :

    Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots,

    Suspende lhmistiche, en marque le repos.

    Gardez quune voyelle courir trop hte

    Ne soit dune voyelle en son chemin heurte.

    Il est un heureux choix de mots harmonieux.

    Fuyez des mauvais sons le concours odieux :

    Le vers le mieux rempli, la plus noble pense

    Ne peut plaire lesprit, quand loreille est blesse.

    Durant les premiers ans du Parnasse franois,

    Le caprice tout seul faisait toutes les lois.

    La rime, au bout des mots assembls sans mesure,

    Tenait lieu dornements, de nombre et de csure.

    Villon sut le premier, dans ces sicles grossiers,

    Dbrouiller lart confus de nos vieux romanciers.

    Marot bientt aprs fit fleurir les ballades,

    Tourna des triolets, rima des mascarades,

    A des refrains rgls asservit les rondeaux

    Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.

    Ronsard , qui le suivit, par une autre mthode,

    Rglant tout, brouilla tout, fit un art sa mode,

  • NICOLAS BOILEAU

    8

    Et toutefois longtemps eut un heureux destin.

    Mais sa muse, en franais parlant grec et latin,

    Vit dans lge suivant, par un retour grotesque,

    Tomber de ses grands mots le faste pdantesque.

    Ce pote orgueilleux, trbuch de si haut,

    Rendit plus retenus Desportes et Bertaut.

    Enfin Matherbe vint, et, le premier en France,

    Fit sentir dans les vers une juste cadence,

    Dun mot mis en sa place enseigna le pouvoir,

    Et rduisit la muse aux rgles du devoir.

    Par ce sage crivain la langue rpare

    Noffrit plus rien de rude loreille pure.

    Les stances avec grce apprirent tomber,

    Et le vers sur le vers nosa plus enjamber.

    Tout reconnut ses lois ; et ce guide fidle

    Aux auteurs de ce temps sert encor de modle.

    Marchez donc sur ses pas ; aimez sa puret,

    Et de son tour heureux imitez la clart.

    Si le sens de vos vers tarde se faire entendre,

    Mon esprit aussitt commence se dtendre ;

    Et, de vos vains discours prompt se dtacher,

    Ne suit point un auteur quil faut toujours chercher.

    Il est certains esprits dont les sombrespenses

    Sont dun nuage pais toujours embarrasses ;

    Le jour de la raison ne le saurait percer.

    Avant donc que dcrire apprenez penser.

  • LART POTIQUE

    9

    Selon que notre ide est plus ou moins obscure,

    Lexpression la suit, ou moins nette, ou plus pure.

    Ce que lon conoit bien snonce clairement,

    Et les mots pour le dire arrivent aisment.

    Surtout quen vos crits la langue rvre

    Dans vos plus grands excs vous soit toujours sacre.

    En vain vous me frappez dun son mlodieux,

    Si le terme est impropre ou le tour vicieux :

    Mon esprit nadmet point un pompeux barbarisme,

    Ni dun vers ampoul lorgueilleux solcisme.

    Sans la langue, en un mot, lauteur le plus divin

    Est toujours, quoi quil fasse, un mchant crivain.

    Travaillez loisir, quelque ordre qui vous presse,

    Et ne vous piquez point dune folle vitesse :

    Un style si rapide, et qui court en rimant,

    Marque moins trop desprit que peu de jugement,

    Jaime mieux un ruisseau qui, sur la molle arne,

    Dans un pr plein de fleurs lentement se promne,

    Quun torrent dbord qui, dun cours orageux,

    Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.

    Htez-vous lentement, et, sans perdre courage,

    Vingt fois sur le mtier remettez votre ouvrage :

    Polissez-le sans cesse et le repolissez ;

    Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

    Cest peu quen un ouvrage o les fautes fourmillent

    Des traits desprit sems de temps en temps ptillent.

  • NICOLAS BOILEAU

    10

    Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;

    Que le dbut, la fin rpondent au milieus ;

    Que dun art dlicat les pices assorties

    Ny forment quun seul tout de diverses parties,

    Que jamais du sujet le discours scartant

    Naille chercher trop loin quelque mot clatant.

    Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?

    Soyez-vous vous-mme un svre critique.

    Lignorance toujours est prte sadmirer.

    Faites-vous des amis prompts vous censurer ;

    Quils soient de vos crits les confidents sincres,

    Et de tous vos dfauts les zls adversaires ;

    Dpouillez devant eux larrogance dauteur,

    Mais sachez de lami discerner le flatteur.

    Tel vous semble applaudir qui vous raille et vous joue.

    Aimez quon vous conseille, et non pas quon vous loue.

    Un flatteur aussitt cherche se rcrier

    Chaque vers quil entend le fait extasier.

    Tout est charmant, divin, aucun mot ne le blesse ;

    Il trpigne de joie, il pleure de tendresse ;

    Il vous comble partout dloges fastueux.

    La vrit na point cet air imptueux.

    Un sage ami, toujours rigoureux, inflexibles,

    Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible :

    Il ne pardonne point les endroits ngligs,

    II renvoie en leur lieu les vers mal arrangs,

  • LART POTIQUE

    11

    Il rprime des mots lambitieuse emphase ;

    Ici le sens le choque, et plus loin cest la phrase.

    Votre construction semble un peu sobscurcir,

    Ce terme est quivoque il le faut claircir.

    Cest ainsi que vous parle un ami vritable.

    Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable

    A les protger tous se croit intress,

    Et dabord prend en main le droit de loffens.

    De ce vers, direz-vous, lexpression est basses.

    Ah ! monsieur, pour ce vers je vous demande grce,

    Rpondra-t-il dabord. Ce mot me semble froid,

    Je le retrancherais. Cest le plus bel endroit !

    Ce tour ne me plat pas. Tout le monde ladmire.

    Ainsi toujours constant ne se point ddire,

    Quun mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,

    Cest un titre chez lui pour ne point leffacer.

    Cependant, lentendre, il chrit la critique ;

    Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique.

    Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter

    Nest rien quun pige adroit pour vous les rciter.

    Aussitt il vous quitte ; et, content de sa muse,

    Sen va chercher ailleurs quelque fat quil abuse ;

    Car souvent il en trouve : ainsi quen sots auteurs,

    Notre sicle est fertile en sots admirateurs ;

    Et, sans ceux que fournit la ville et la province,

    Il en est chez le duc, il en est chez le prince.

  • NICOLAS BOILEAU

    12

    Louvrage le plus plat a, chez les courtisans,

    De tout temps rencontr de zls partisans ;

    Et, pour finir enfin par un trait de satire,

    Un sot trouve toujours un plus sot qui ladmire.

  • LART POTIQUE

    13

    CHANT II

    Telle quune bergre, au plus beau jour de fete,

    De superbes rubis ne charge point sa tte,

    Et, sans mler lor lclat des diamants,

    Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements :

    Telle, aimable en son air, mais humble dans son style.

    Doit clater sans pompe une lgante idylle.

    Son tour simple et naf na rien de fastueux

    Et naime point lorgueil dun vers prsomptueux.

    Il faut que sa douceur flatte, chatouille, veille,

    Et jamais de grands mots npouvante loreille :

    Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois

    Jette l, de dpit, la flte et le hautbois ;

    Et, follement pompeux, dans sa verve indiscrte,

    Au milieu dune glogue entonne la trompette.

    De peur de lcouter Pan fuit dans les roseaux ;

    Et les Nymphes, deffroi, se cachent sous les eaux.

    Au contraire cet autre, abject en son langage,

    Fait parler ses vergers comme on parle au village.

    Ses vers plats et grossiers, dpouills dagrment,

    Toujours baisent la terre et rampent tristement :

  • NICOLAS BOILEAU

    14

    On dirait que Ronsard, sur ses pipeaux rustiques,

    Vient encor fredonner ses idylles gothiques,

    Et changer, sans respect de loreille et du son,

    Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon.

    Entre ces deux excs la route est difficile.

    Suivez, pour la trouver, Thocrite et Virgile :

    Que leurs tendres crits, par les Grces dicts,

    Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuillets.

    Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre

    Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre ;

    Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers ;

    Au combat de la flte animer deux bergers ;

    Des plaisirs de lamour vanter la douce amorce ;

    Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphn dcorce,

    Et par quel art encor lglogue quelquefois

    Rend dignes dun consul la campagne et les bois.

    Telle est de ce pome et la force et la grce.

    Dun ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace,

    La plaintive lgie, en longs habits de deuil,

    Sait, les cheveux pars, gmir sur un cercueil.

    Elle peint des amants la joie et la tristesse ;

    Flatte, menace, irrite, apaise une matresse.

    Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,

    Cest peu dtre pote, il faut tre amoureux.

    Je hais ces vains auteurs dont la muse force

    Mentretient de ses feux, toujours froide et glace ;

  • LART POTIQUE

    15

    Qui saffligent par art, et, fous de sens rassis,

    Srigent pour rimer en amoureux transis.

    Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines :

    Ils ne savent jamais que se charger de chanes,

    Que bnir leur martyre, adorer leur prison,

    Et faire quereller les sens et la raison.

    Ce ntait pas jadis sur ce ton ridicule

    QuAmour dictait les vers que soupirait Tibulle,

    Ou que, du tendre Ovide animant les doux sons,

    Il donnait de son art les charmantes leons.

    Il faut que le cur seul parle dans llgie.

    Lode, avec plus dclat et non moins dnergie,

    levant jusquau ciel son vol ambitieux,

    Entretient dans ses vers commerce avec les dieux.

    Aux athltes dans Pise elle ouvre la barrire,

    Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrire,

    Mne Achille sanglant aux bords du Simos,

    Ou fait flchir lEscaut sous le joug de Louis,

    Tantt, comme une abeille ardente son ouvrage,

    Elle sen va de fleurs dpouiller le rivage :

    Elle peint les festins, les danses et les ris ;

    Vante un baiser cueilli sur les lvres dIris,

    Qui mollement rsiste, et, par un doux caprice,

    Quelquefois le refuse afin quon le ravisse.

    Son style imptueux souvent marche au hasard :

    Chez elle un beau dsordre est un effet de lart.

  • NICOLAS BOILEAU

    16

    Loin ces rimeurs craintifs dont lesprit flegmatique

    Garde dans ses fureurs un ordre didactique ;

    Qui, chantant dun hros les progrs clatants,

    Maigres historiens, suivront lordre des temps.

    Ils nosent un moment perdre un sujet de vue

    Pour prendre Dle, il faut que Lille soit rendue ;

    Et que leur vers exact, ainsi que Mzerai,

    Ait dj fait tomber les remparts de Courtrai.

    Apollon de son feu leur fut toujours avare.

    On dit, ce propos, quun jour ce dieu bizarre,

    Voulant pousser bout tous les rimeurs franois,

    Inventa du sonnet les rigoureuses lois,

    Voulut quen deux quatrains de mesure pareille

    La rime avec deux sons frappt huit fois loreille,

    Et quensuite six vers artistement rangs

    Fussent en deux tercets par le sens partags.

    Surtout de ce pome il bannit la licence :

    Lui-mme en mesura le nombre et la cadence ;

    Dfendit quun vers faible y pt jamais entrer,

    Ni quun mot dj mis ost sy remontrer.

    Du reste il lenrichit dune beaut suprme :

    Un sonnet sans dfaut vaut seul un long pome.

    Mais en vain mille auteurs y pensent arriver,

    Et cet heureux phnix est encore trouver.

    A peine dans Gombaut, Maynard et Malleville,

    En peut-on admirer deux ou trois entre mille :

  • LART POTIQUE

    17

    Le reste, aussi peu lu que ceux de Pelletier,

    Na fait de chez Sercy quun saut chez lpicier.

    Pour enfermer son sens dans la borne prescrite,

    La mesure est toujours trop longue ou trop petite.

    Lpigramme, plus libre en son tour plus born,

    Nest souvent quun bon mot de deux rimes orn.

    Jadis de nos auteurs les pointes ignores

    Furent de lItalie en nos vers attires.

    Le vulgaire, bloui de leur faux agrment,

    A ce nouvel appt courut avidement.

    La faveur du public excitant leur audace,

    Leur nombre imptueux inonda le Parnasse.

    Le madrigal dabord en fut envelopp ;

    Le sonnet orgueilleux lui-mme en fut frapp ;

    La tragdie en fit ses plus chres dlices ;

    Llgie en orna ses douloureux caprices ;

    Un hros sur la scne eut soin de sen parer,

    Et sans pointe un amant nosa plus soupirer :

    On vit tous les bergers, dans leurs plaintes nouvelles,

    Fidles la pointe encor plus qu leurs belles ;

    Chaque mot eut toujours deux visages divers :

    La prose la reut aussi bien que les vers ;

    Lavocat au Palais en hrissa son style,

    Et le docteur en chaire en sema lvangile.

    La raison outrage enfin ouvrit les yeux,

    La chassa pour jamais des discours srieux ;

  • NICOLAS BOILEAU

    18

    Et, dans tous ces crits la dclarant infme,

    Par grce lui laissa lentre en lpigramme,

    Pourvu que sa finesse, clatant propos,

    Roult sur la pense et non pas sur les mots.

    Ainsi de toutes parts les dsordres cessrent.

    Toutefois la cour les Turlupins restrent,

    Insipides plaisants, bouffons infortuns,

    Dun jeu de mots grossiers partisans suranns.

    Ce nest pas quelquefois quune muse un peu fine

    Sur un mot en passant ne joue et ne badine,

    Et dun sens dtourn nabuse avec succs ;

    Mais fuyez sur ce point un ridicule excs,

    Et nallez pas toujours dune pointe frivole

    Aiguiser par la queue une pigramme folie.

    Tout pome est brillant de sa propre beaut.

    Le rondeau, n gaulois, a la navet.

    La ballade, asservie ses vieilles maximes,

    Souvent doit tout son lustre au caprice des rimes.

    Le madrigal, plus simple et plus noble en son tour,

    Respire la douceur, la tendresse et lamour.

    Lardeur de se montrer, et non pas de mdire,

    Arma la Vrit du vers de la satire.

    Lucile le premier osa la faire voir,

    Aux vices des Romains prsenta le miroir,

    Vengea lhumble vertu de la richesse altire,

    Et lhonnte homme pied du faquin en litire.

  • LART POTIQUE

    19

    Horace cette aigreur mla son enjouement :

    On ne fut plus ni fat ni sot impunment ;

    Et malheur tout nom qui, propre la censure,

    Put entrer dans un vers sans rompre la mesure !

    Perse, en ses vers obscurs, mais serrs et pressants,

    Affecta denfermer moins de mots que de sens.

    Juvnal, lev dans les cris de lcole,

    Poussa jusqu lexcs sa mordante hyperbole.

    Ses ouvrages, tout pleins daffreuses vrits,

    tincellent pourtant de sublimes beauts :

    Soit que, sur un crit arriv de Capre,

    Il brise de Sjan la statue adore ;

    Soit quil fasse au conseil courir les snateurs,

    Dun tyran souponneux ples adulateurs ;

    Ou que, poussant bout la luxure latine,

    Aux portefaix de Rome il vende Messaline,

    Ses crits pleins de feu partout brillent aux yeux.

    De ces matres savants disciple ingnieux,

    Rgnier seul, parmi nous form sur leur modle,

    Dans son vieux style encore a des grces nouvelles.

    Heureux, si ses discours, craints du chaste lecteur,

    Ne se sentaient des lieux o frquentait lauteur,

    Et si, du son hardi de ses rimes cyniques,

    Il nalarmait souvent les oreilles pudiques !

    Le latin dans les mots brave lhonntet,

    Mais le lecteur franais veut tre respect ;

  • NICOLAS BOILEAU

    20

    Du moindre sens impur la libert loutrage,

    Si la pudeur des mots nen adoucit limage.

    Je veux dans la satire un esprit de candeur,

    Et fuis un effront qui prche la pudeur.

    Dun trait de ce pome en bons mots si fertile,

    Le Franais, n malin, forma le vaudeville,

    Agrable indiscret, qui, conduit par le chant,

    Passe de bouche en bouche et saccrot en marchant.

    La libert franaise en ses vers se dploie

    Cet enfant de plaisir veut natre dans la joie.

    Toutefois nallez pas, goguenard dangereux,

    Faire Dieu le sujet dun badinage affreux.

    A la fin tous ces jeux, que lathisme lve,

    Conduisent tristement le plaisant la Grve.

    Il faut, mme en chansons, du bon sens et de lart :

    Mais pourtant on a vu le vin et le hasard

    Inspirer quelquefois une muse grossire

    Et fournir, sans gnie, un couplet Linire.

    Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer,

    Gardez quun sot orgueil ne vous vienne enfumer.

    Souvent lauteur altier de quelque chansonnette

    Au mme instant prend droit de se croire pote :

    Il ne dormira plus quil nait fait un sonnet,

    Il met tous les matins six impromptus au net.

    Encore est-ce un miracle, en ses vagues furies,

    Si bientt, imprimant ses sottes rveries,

  • LART POTIQUE

    21

    Il ne se fait graver au-devant du recueil,

    Couronn de lauriers, par la main de Nanteuil.

  • NICOLAS BOILEAU

    22

  • LART POTIQUE

    23

    CHANT III

    Il nest point de serpent, ni de monstre odieux,

    Qui, par lart imit, ne puisse plaire aux yeux :

    Dun pinceau dlicat lartifice agrable

    Du plus affreux objet fait un objet aimable.

    Ainsi pour nous charmer, la tragdie en pleurs

    Ddipe tout sanglant fit parler les douleurs,

    DOreste parricide exprima les alarmes,

    Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes.

    Vous donc qui, dun beau feu pour le thtre pris,

    Venez en vers pompeux y disputer le prix,

    Voulez-vous sur la scne taler des ouvrages

    O tout Paris en foule apporte ses suffrages,

    Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regards

    Soient au bout de vingt ans encor redemands ?

    Que dans tous vos discours la passion mue

    Aille chercher le cur, lchauffe et le remue.

    Si dun beau mouvement lagrable fureur

    Souvent ne nous remplit dune douce terreur,

    Ou nexcite en notre me une piti charmante,

    En vain vous talez une scne savante :

  • NICOLAS BOILEAU

    24

    Vos froids raisonnements ne feront quattidir

    Un spectateur toujours paresseux dapplaudir,

    Et qui, des vains efforts de votre rhtorique

    Justement fatigu, sendort ou vous critique.

    Le secret est dabord de plaire et de toucher :

    Inventez des ressorts qui puissent mattacher.

    Que ds les premiers vers laction prpare

    Sans peine du sujet aplanisse lentre.

    Je me ris dun acteur qui, lent sexprimer,

    De ce quil veut dabord ne sait pas minformer,

    Et qui, dbrouillant mal une pnible intrigue,

    Dun divertissement me fait une fatigue.

    Jaimerais mieux encor quil dclint son nom

    Et dt : Je suis Oreste, ou bien Agamenmon ,

    Que daller, par un tas de confuses merveilles,

    Sans rien dire lesprit, tourdir les oreilles :

    Le sujet nest jamais assez tt expliqu.

    Que le lieu de la scne y soit fixe et marque.

    Un rimeur, sans pril, del les Pyrnes,

    Sur la scne en un jour renferme des annes :

    L souvent le hros dun spectacle grossier,

    Enfant au premier acte, est barbon au dernier.

    Mais nous, que la raison ses rgles engage,

    Nous voulons quavec art laction se menage ;

    Quen un lieu, quen un jour, un seul fait accompli

    Tienne jusqu la fin le thtre rempli.

  • LART POTIQUE

    25

    Jamais au spectateur noffrez rien dincroyable :

    Le vrai peut quelquefois ntre pas vraisemblable.

    Une merveille absurde est pour moi sans appas :

    Lesprit nest point mu de ce quil ne croit pas.

    Ce quon ne doit point voir, quun rcit nous lexpose :

    Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose ;

    Mais il est des objets que lart judicieux

    Doit offrir loreille et reculer des yeux.

    Que le trouble, toujours croissant de scne en scne,

    A son comble arriv se dbrouille sans peine.

    Lesprit ne se sent point plus vivement frapp

    Que lorsquen un sujet dintrigue envelopp

    Dun secret tout coup la vrit connue

    Change tout, donne tout une face imprvue.

    La tragdie, informe et grossire en naissant,

    Ntait quun simple chur, o chacun, en dansant

    Et du dieu des raisins entonnant les louanges,

    Sefforait dattirer de fertiles vendanges.

    L, le vin et la joie veillant les esprits,

    Du plus habile chantre un bouc tait le prix.

    Thespis fut le premier qui, barbouill de lie,

    Promena dans les bourg cette heureuse folie ;

    Et dacteurs mal orns chargeant un tombereau,

    Amusa les passants dun spectacle nouveau.

    Eschyle dans le chur jeta les personnages,

    Dun masque plus honnte habilla les visages,

  • NICOLAS BOILEAU

    26

    Sur les ais dun thtre en public exhauss,

    Fit paratre lacteur dun brodequin chauss,

    Sophocle enfin, donnant lessor son gnie,

    Accrut encor la pompe, augmenta lharmonie,

    Intressa le chur dans toute laction,

    Des vers trop raboteux polit lexpression,

    Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine

    O jamais natteignit la faiblesse latine.

    Chez nos dvots aeux le thtre abhorr

    Fut longtemps dans la France un plaisir ignor.

    De plerins, dit-on, une troupe grossire

    En public Paris y monta la premire ;

    Et, sottement zle en sa simplicit,

    Joua les saints, la Vierge et Dieu par pit.

    Le savoir, la fin, dissipant lignorance,

    Fit voir de ce projet la dvote imprudence.

    On chassa ces docteurs prchant sans mission ;

    On vit renatre Hector, Andromaque, Ilion.

    Seulement, les acteurs laissant le masque antique,

    Le violon tint lieu de chur et de musique.

    Bientt lamour. fertile en tendres sentiments,

    Sempara du thtre ainsi que des romans.

    De cette passion la sensible peinture

    Est pour aller au cur la route la plus sre.

    Peignez donc, jy consens, les hros amoureux ;

    Mais ne men formez pas des bergers doucereux :

  • LART POTIQUE

    27

    QuAchille aime autrement que Thyrsis et Philne ;

    Nallez pas dun Cyrus nous faire un Artamne ;

    Et que lamour, souvent de remords combattu,

    Paraisse une faiblesse et non une vertu.

    Des hros de roman fuyez les petitesses :

    Toutefois aux grands curs donnez quelques faiblesses.

    Achille dplairait moins bouillant et moins prompts :

    Jaime lui voir verser des pleurs pour un affront.

    A ces petits dfauts marqus dans sa peinture,

    Lesprit avec plaisir reconnat la nature.

    Quil soit sur ce modle en vos crits trac/

    QuAgamemnon soit fier, superbe, intress ;

    Que pour ses dieux ne ait un respect austre.

    Conservez chacun son propre caractre.

    Des sicles, des pays tudiez les murs :

    Les climats font souvent les diverses humeurs.

    Gardez donc de donner, ainsi que dans Cllie,

    Lair ni lesprit franais lantique Italie ;

    Et, sous des noms romains faisant notre portrait,

    Peindre Caton galant, et Brutus dameret.

    Dans un roman frivole aisment tout sexcuse ;

    Cest assez quen courant la fiction amuse ;

    Trop de rigueur alors serait hors de saison :

    Mais la scne demande une exacte raison ;

    Ltroite biensance y veut tre garde.

    Dun nouveau personnage inventez-vous lide" ?

  • NICOLAS BOILEAU

    28

    Quen tout avec soi-mme il se montre daccord,

    Et quil soit jusquau bout tel quon la vu dabord.

    Souvent, sans y penser, un crivain qui saime

    Forme tous ses hros semblables soi-mme :

    Tout a lhumeur gasconne en un auteur gascon ;

    Calprende et Jubat parlent du mme ton.

    La nature est en nous plus diverse et plus sage ;

    Chaque passion parle un diffrent langage :

    La colre est superbe et veut des mots altiers,

    Labattement sexplique en des termes moins fiers.

    Que devant Troie en flamme Hcube dsole

    Ne vienne pas pousser une plainte ampoule,

    Ni sans raison dcrire en quel affreux pays

    Par sept bouches lEuxin reoit le Tanas.

    Tous ces pompeux amas dexpressions frivoles

    Sont dun dclamateur amoureux des paroles.

    Il faut dans la douleur que vous vous abaissiez.

    Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez.

    Ces grands mots dont alors lacteur emplit sa bouche

    Ne partent point dun cur que sa misre touche.

    Le thtre, fertile en censeurs pointilleux,

    Chez nous pour se produire est un champ prilleux.

    Un auteur ny fait pas de faciles conqutes ;

    Il trouve le siffler des bouches toujours prtes.

    Chacun le peut traiter de fat et dignorant ;

    Cest un droit qu la porte on achte en entrant.

  • LART POTIQUE

    29

    Il faut quen cent faons, pour plaire, il se replie ;

    Que tantt il slve et tantt shumilie ;

    Quen nobles sentiments il soit partout fcond ;

    Quil soit ais, solide, agrable, profond ;

    Que de traits surprenants sans cesse il nous rveille ;

    Quil coure dans ses vers de merveille en merveille ;

    Et que tout ce quil dit, facile retenir,

    De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.

    Ainsi la tragdie agit, marche et sexplique.

    Dun air plus grand encor la posie pique,

    Dans le vaste rcit dune longue action,

    Se soutient par la fable et vit de fiction.

    L pour nous enchanter tout est mis en usage ;

    Tout prend un corps, une me, un esprit, un visage.

    Chaque vertu devient une divinit :

    Minerve est la prudence, et Vnus la beaut.

    Ce nest plus la vapeurqui produit le tonnerre,

    Cest Jupiter arm pour effrayer la terre ;

    Un orage terrible aux yeux des matelots,

    Cest Neptune en courroux qui gourmande les flots ;

    Echo nest plus un son qui dans lair retentisse,

    Cest une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.

    Ainsi, dans cet amas de nobles fictions,

    Le pote sgaye en mille inventions,

    Orne, lve, embellit, agrandit toutes choses,

    Et trouve sous sa main des fleurs toujours closes.

  • NICOLAS BOILEAU

    30

    Qune et ses vaisseaux, par le vent carts,

    Soient aux bords africains dun orage emports,

    Ce nest quune aventure ordinaire et commune,

    Quun coup peu surprenant des traits de la fortune.

    Mais que Junon, constante en son aversion,

    Poursuive sur les flots les restes dIlion ;

    Quole, en sa faveur, les chassant dItalie,

    Ouvre aux vents mutins les prisons dolie ;

    Que Neptune en courroux, slevant sur la mer,

    Dun mot calme les flots, mette la paix dans lair,

    Dlivre les vaisseaux, des syrtes les arrache,

    Cest l ce qui surprend, frappe, saisit, attache.

    Sans tous ces ornements le vers tombe en langueur,

    La posie est morte ou rampe sans vigueur,

    Le pote nest plus quun orateur timide,

    Quun froid historien dune fable insipide.

    Cest donc bien vainement que nos auteurs dus,

    Bannissant de leurs vers ces ornements reus,

    Pensent faire agir Dieu, ses saints et ses prophtes,

    Comme ces dieux clos du cerveaudes potes ;

    Mettent chaque pas le lecteur en enfer,

    Noffrent rien quAstaroth, Belzbuth, Lucifer.

    De la foi dun chrtien les mystres terribles

    Dornements gays ne sont point susceptibles.

    Lvangile lesprit noffre de tous cts

    Que pnitence faire et tourments mrits ;

  • LART POTIQUE

    31

    Et de vos fictions le mlange coupable

    Mme ses vrits donne lair de la Fable.

    Et quel objet enfin prsenter aux yeux

    Que le diable toujours hurlant contre les cieux,

    Qui de votre hros veut rabaisser la gloire,

    Et souvent avec Dieu balance la victoire !

    Le Tasse, dira-t-on, la fait avec succs.

    Je ne veux point ici lui faire son procs :

    Mais, quoi que notre sicle sa gloire publie,

    Il net point de son livre illustr lItalie,

    Si son sage hros, toujours en oraison,

    Net fait que mettre enfin Satan la raison ;

    Et si Renaud, Argant, Tancrde et sa matresse

    Neussent de son sujet gay la tristesse.

    Ce nest pas que japprouve, en un sujet chrtien,

    Un auteur follement idoltre et paen.

    Mais, dans une profane et riante peinture,

    De noser de la Fable employer la figure ;

    De chasser les Tritons de lempire des eaux ;

    Dter Pan sa flte, aux Parques leurs ciseaux ;

    Dempcher que Caron, dans la fatale barque,

    Ainsi que le berger ne passe le monarque :

    Cest dun scrupule vain salarmer sottement,

    Et vouloir aux lecteurs plaire sans agrment.

    Bientt ils dfendront de peindre la Prudence,

    De donner Thmis ni bandeau ni balance,

  • NICOLAS BOILEAU

    32

    De figurer aux yeux la Guerre au front dairain,

    Ou le Temps qui senfuit une horloge la main ;

    Et partout des discours, comme une idoltrie,

    Dans leur faux zle iront chasser lallgorie.

    Laissons-les sapplaudir de leur pieuse erreur,

    Mais, pour nous, bannissons une vaine terreur,

    Et, fabuleuxls chrtiens, nallons point, dans nos songes,

    Du Dieu de vrit faire un dieu de mensonges.

    La Fable offre lesprit mille agrments divers :

    L tous les noms heureux semblent ns pour les vers,

    Ulysse, Agamemnon, Oreste, Idomne,

    Hlne, Mnlas, Pris, Hector, ne.

    O le plaisant projet dun pote ignorant,

    Qui de tant de hros va choisir Childebrand !

    Dun seul nom quelquefois le son dur ou bizarre

    Rend un pome entier ou burlesque ou barbare.

    Voulez-vous longtemps plaire et jamais ne lasser ?

    Faites choix dun hros propre mintresser,

    En valeur clatant, en vertus magnifique

    Quen lui, jusquaux dfauts, tout se montre hroque ;

    Que ses faits surprenants soient dignes dtre ous ;

    Quil soit tel que Csar, Alexandre ou Louis,

    Non tel que Polynice et son perfide frre :

    On sennuie aux exploits dun conqurant vulgaire.

    Noffrez point un sujet dincidents trop charg.

    Le seul courroux dAchille, avec art mnag,

  • LART POTIQUE

    33

    Remplit abondamment une Iliade entire :

    Souvent trop dabondance appauvrit la matire.

    Soyez vif et press dans vos narrations ;

    Soyez riche et pompeux dans vos descriptions.

    Cest l quil faut des vers taler llgance ;

    Ny prsentez jamais de basse circonstance.

    Nimitez pas ce fou qui, dcrivant les mers,

    Et peignant, au milieu de leurs flots entrouverts,

    LHbreu sauv du joug de ses injustes matres,

    Met, pour le voir passer, les poissons aux fentres ;

    Peint le petit enfant qui va, saute, revient,

    Et joyeux sa mre offre un caillou quil tient.

    Sur de trop vains objets cest arrter la vue.

    Donnez votre ouvrage une juste tendue.

    Que le dbut soit simple et nait rien daffect.

    Nallez pas ds labord, sur Pgase mont,

    Crier vos lecteurs, dune voix de tonnerre :

    Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre.

    Que produira lauteur aprs tous ces grands cris ?

    La montagne en travail enfante une souris.

    Oh ! que jaime bien mieux cet auteur plein dadresse

    Qui, sans faire dabord de si haute promesse,

    Me dit dun ton ais, doux, simple, harmonieux :

    Je chante les combats et cet homme pieux

    Qui, des bords phrygiens conduit dans lAusonie,

    Le premier aborda les champs de Lavinie !

  • NICOLAS BOILEAU

    34

    Sa muse en arrivant ne met pas tout en feu,

    Et, pour donner beaucoup, ne nous promet que peu ;

    Bientt vous la verrez, prodiguant les miracles,

    Du destin des Latins prononcer les oracles,

    De Styx et dAchron peindre les noirs torrents,

    Et dj les Csars dans llyse errants.

    De figures sans nombre gayez votre ouvrage ;

    Que tout y fasse aux yeux une riante image :

    On peut tre la fois et pompeux et plaisants ;

    Et je hais un sublime ennuyeux et pesant.

    Jaime mieux Arioste et ses fables comiques

    Que ces auteurs toujours froids et mlancoliques

    Qui dans leur sombre humeur se croiraient faire affront

    Si les Grces jamais leur dridaient le front.

    On dirait que pour plaire, instruit par la nature,

    Homre ait Venus drob sa ceinture.

    Son livre est dagrments un fertile trsor :

    Tout ce quil a touch se convertit en or,

    Tout reoit dans ses mains une nouvelle grce :

    Partout il divertit et jamais il ne lasse.

    Une heureuse chaleur anime ses discours :

    Il ne sgare point en de trop longs dtours.

    Sans garder dans ses vers un ordre mthodique,

    Son sujet de soi-mme et sarrange et sexplique ;

    Tout, sans faire dapprts, sy prpare aisment ;

    Chaque vers, chaque mot, court lvnement.

  • LART POTIQUE

    35

    Aimez donc ses crits, mais dun amour sincre :

    Cest avoir profit que de savoir sy plaire.

    Un pome excellent, o tout marche et se suit,

    Nest pas de ces travaux quun caprice produit :

    Il veut du temps, des soins ; et ce pnible ouvrage

    Jamais dun colier ne fut lapprentissage.

    Mais souvent parmi nous un pote sans art,

    Quun beau feu quelquefois chauffa par hasard,

    Enflant dun vain orgueil son esprit chimrique,

    Firement prend en main la trompette hroque :

    Sa muse drgle, en ses vers vagabonds,

    Ne slve jamais que par sauts et par bonds :

    Et son feu, dpourvu de sens et de lecture,

    Steint chaque pas faute de nourriture.

    Mais en vain le public, prompt le mpriser,

    De son mrite faux le veut dsabuser ;

    Lui-mme, applaudissant son maigre gnie,

    Se donne par ses mains lencens quon lui dnie :

    Virgile, au prix de lui, na point dinvention ;

    Homre nentend point la noble fiction.

    Si contre cet arrt le sicle se rebelle,

    A la postrit dabord il en appelle.

    Mais attendant quici le bon sens de retour

    Ramne triomphants ses ouvrages au jour,

    Leurs tas, au magasin, cachs la lumire,

    Combattent tristement les vers et la poussire.

  • NICOLAS BOILEAU

    36

    Laissons-les donc entre eux sescrimer en repos ;

    Et, sans nous garer, suivons notre propos.

    Des succs fortuns du spectacle tragique

    Dans Athnes naquit la comdie antique.

    L le Grec, n moqueur, par mille jeux plaisants

    Distilla le venin de ses traits mdisants.

    Aux accs insolents dune bouffonne joie

    La sagesse, lesprit, lhonneur furent en proie.

    On vit par le public un pote avou

    Senrichir aux dpens du mrite jou ;

    Et Socrate par lui, dans un chur de nues,

    Dun vil amas de peuple attirer les hues.

    Enfin de la licence on arrta le cours :

    Le magistrat des lois emprunta le secours,

    Et, rendant par dit les potes plus sages,

    Dfendit de marquer les noms et les visages.

    Le thtre perdit son antique fureur ;

    La comdie apprit rire sans aigreur,

    Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre,

    Et plut innocemment dans les vers de Mnandre.

    Chacun, peint avec art dans ce nouveau miroir,

    Sy vit avec plaisir, ou crut ne sy point voir :

    Lavare, des premiers, rit du tableau fidle

    Dun avare souvent trac sur son modle ;

    Et mille fois un fat finement exprim

    Mconnut le portrait sur lui-mme form.

  • LART POTIQUE

    37

    Que la nature donc soit votre tude unique,

    Auteurs qui prtendez aux honneurs du comique.

    Quiconque voit bien lhomme et, dun esprit profond,

    De tant de curs cachs a pntr le fond ;

    Qui sait bien ce que cest quun prodigue, un avare,

    Un honnte homme, un fat, un jaloux, un bizarre,

    Sur une scne heureuse, il peut les taler,

    Et les faire nos yeux vivre, agir et parler.

    Prsentez-en partout les images naves ;

    Que chacun y soit peint des couleurs les plus vives.

    La nature, fconde en bizarres portraits,

    Dans chaque me est marque de diffrents traits ;

    Un geste la dcouvre, un rien la fait paratre :

    Mais tout esprit na pas des yeux pour la connatre.

    Le temps, qui change tout, change aussi nos humeurs :

    Chaque ge a ses plaisirs, son esprit et ses murs.

    Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,

    Est prompt recevoir limpression des vices ;

    Est vain dans ses discours, volage en ses dsirs,

    Rtif la censure et fou dans les plaisirs.

    Lge viril, plus mr, inspire un air plus sage,

    Se pousse auprs des grands, sintrigue, se mnage,

    Contre les coups du sort songe se maintenir,

    Et loin dans le prsent regarde lavenir.

    La vieillesse chagrine incessamment amasse ;

    Garde, non pas pour soi, les trsors quelle entasse,

  • NICOLAS BOILEAU

    38

    Marche en tous ses desseins dun pas lent et glac ;

    Toujours plaint le prsent et vante le pass ;

    Inhabile aux plaisirs dont la jeunesse abuse,

    Blme en eux les douceurs que lge lui refuse.

    Ne faites point parler vos acteurs au hasard,

    Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en vieillard.

    tudiez la cour et connaissez la ville :

    Lune et lautre est toujours en modles fertile.

    Cest par l que Molire, illustrant ses crits,

    Peut-etre de son art et remport le prix,

    Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures

    Il net point fait souvent grimacer ses figures,

    Quitt, pour le bouffon, lagrable et le fin,

    Et sans honte Trence alli Tabarin.

    Dans ce sac ridicule o Scapin senveloppe,

    Je ne reconnais plus lauteur du Misanthrope.

    Le comique, ennemi des soupirs et des pleurs,

    Nadmet point en ses vers de tragiques douleurs ;

    Mais son emploi nest pas daller, dans une place,

    De mots sales et bas charmer la populace.

    Il faut que ses acteurs badinent noblement ;

    Que son nud bien form se dnoue aisment ;

    Que laction, marchant o la raison la guide,

    Ne se perde jamais dans une scne vide ;

    Que son style humble et doux se relve propos ;

    Que ses discours, partout fertiles en bons mots,

  • LART POTIQUE

    39

    Soient pleins de passions finement manies,

    Et les scnes toujours lune lautre lies.

    Aux dpens du bon sens gardez de plaisanter :

    Jamais de la nature il ne faut scarter.

    Contemplez de quel air un pre dans Trence

    Vient dun fils amoureux gourmander limprudence ;

    De quel air cet amant coute ses leons,

    Et court chez sa matresse oublier ces chansons.

    Ce nest pas un portrait, une image semblable,

    Cest un amant, un fils, un pre vritable.

    Jaime sur le thtre un agrable auteur

    Qui, sans se diffamer aux yeux du spectateur,

    Plat par la raison seule, et jamais ne la choque.

    Mais pour un faux plaisant, grossire quivoques,

    Qui pour me divertir na que la salet,

    Quil sen aille, sil veut, sur deux trteaux monte,

    Amusant le Pont-Neuf de ses sornettes fades,

    Aux laquais assembls jouer ses mascarades.

  • NICOLAS BOILEAU

    40

  • LART POTIQUE

    41

    CHANT IV

    Dans Florence jadis vivait un mdecin

    Savant hbleur, dit-on, et clbre assassin.

    Lui seul y fit longtemps la publique misre :

    L le fils orphelin lui redemande un pre ;

    Ici le frre pleure un frre empoisonn.

    Lun meurt vide de sang, lautre plein de sn ;

    Le rhume son aspect se change en pleursie,

    Et par lui la migraine est bientt frnsie.

    Il quitte enfin la ville, en tous lieux dtest.

    De tous ses amis morts un seul ami rest

    Le mne en sa maison de superbe structure :

    Ctait un riche abb, fou de larchitecture.

    Le mdecin dabord semble n dans cet art,

    Dj de btiments parle comme Mansart :

    Dun salon quon lve il condamne la face ;

    Au vestibule obscur il marque une autre place,

    Approuve lescalier tourn dautre faon.

    Son ami le conoit, et mande son maon.

    Le maon vient, coute, approuve et se corrige.

    Enfin pour abrger un si plaisant prodige,

  • NICOLAS BOILEAU

    42

    Notre assassin renonce son art inhumain ;

    Et dsormais, la rgle et lquerre la main,

    Laissant de Galien la science suspecte,

    De mchant mdecin devient bon architecte.

    Son exemple est pour nous un prcepte excellent.

    Soyez plutt maon, si cest votre talent,

    Ouvrier estim dans un art ncessaire,

    Qucrivain du commun et pote vulgaire.

    Il est dans tout autre art des degrs diffrents,

    On peut avec honneur remplir les seconds rangs ;

    Mais dans lart dangereux de rimer et dcrire,

    Il nest point de degrs du mdiocre au pire ;

    Qui dit froid crivain dit dtestable auteur.

    Boyer est Pinchne gal pour le lecteur ;

    On ne lit gure plus Rampale et Mesnardire,

    Que Magnon, du Souhait, Corbin et La Morlire.

    Un fou du moins fait rire et peut nous gayer ;

    Mais un froid crivain ne sait rien quennuyer.

    Jaime mieux Bergerac et sa burlesque audace

    Que ces vers o Motin se morfond et nous glace.

    Ne vous enivrez point des loges flatteurs,

    Quun amas quelquefois de vains admirateurs

    Vous donne en ces rduits, prompts crier merveille !

    Tel crit rcit se soutint loreille,

    Qui, dans limpression au grand jour se montrant,

    Ne soutient pas des yeux le regard pntrant.

  • LART POTIQUE

    43

    On sait de cent auteurs laventure tragique

    Et Gombaut tant lou garde encor la boutique.

    coutez tout le monde, assidu consultant.

    Un fat quelquefois ouvre un avis important.

    Quelques vers toutefois quApollon vous inspire,

    En tous lieux aussitt ne courez pas les lire.

    Gardez-vous dimiter ce rimeur furieux

    Qui, de ses vains crits lecteur harmonieux,

    Aborde en rcitant quiconque le salue

    Et poursuit de ses vers les passants dans la rue.

    Il nest temple si saint, des anges respect,

    Qui soit contre sa muse un lieu de sret.

    Je vous lai dj dits, aimez quon vous censure,

    Et, souple la raison, corrigez sans murmure.

    Mais ne vous rendez pas ds quun sot vous reprend.

    Souvent dans son orgueil un subtil ignorant

    Par dinjustes dgots combat toute une pice,

    Blme des plus beaux vers la noble hardiesse.

    On a beau rfuter ses vains raisonnements :

    Son esprit se complat dans ses faux jugements ;

    Et sa faible raison, de clart dpourvue,

    Pense que rien nchappe sa dbile vue.

    Ses conseils sont craindre ; et, si vous les croyez,

    Pensant fuir un cueil, souvent vous vous noyez.

    Faites choix dun censeur solide et salutaire,

    Que la raison conduise et le savoir claire,

  • NICOLAS BOILEAU

    44

    Et dont le crayon sr dabord aille chercher

    Lendroit que lon sent faible, et quon se veut cacher.

    Lui seul claircira vos doutes ridicules,

    De votre esprit tremblant lvera les scrupules.

    Cest lui qui vous dira par quel transport heureux

    Quelquefois dans sa course un esprit vigoureux,

    Trop resserr par lart, sort des rgles prescrites,

    Et de lart mme apprend franchir leurs limites.

    Mais ce parfait censeur se trouve rarement

    Tel excelle rimer qui juge sottement ;

    Tel sest fait par ses vers distinguer dans la ville

    Qui jamais de Lucain na distingu Virgile.

    Auteurs, prtez loreille mes instructions.

    Voulez-vous faire aimer vos riches fictions ?

    Quen savantes leons votre muse fertile

    Partout joigne au plaisant le solide et lutile.

    Un lecteur sage fuit un vain amusement

    Et veut mettre profit son divertissement.

    Que votre me et vos murs, peintes dans vos ouvrages,

    Noffrent jamais de vous que de nobles images.

    Je ne puis estimer ces dangereux auteurs

    Qui de lhonneur, en vers, infmes dserteurs,

    Trahissant la vertu sur un papier coupable,

    Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice aimable.

    Je ne suis pas pourtant de ces tristes esprits

    Qui, bannissant lamour de tous chastes crits,

  • LART POTIQUE

    45

    Dun si riche ornement veulent priver la scne,

    Traitent dempoisonneurs et Rodrigue et Chimne.

    Lamour le moins honnte, exprim chastement,

    Nexcite point en nous de honteux mouvements.

    Didon a beau gmir et mtaler ses charmes,

    Je condamne sa faute en partageant ses larmes.

    Un auteur vertueux, dans ses vers innocents,

    Ne corrompt point le cur en chatouillant les sens :

    Son feu nallume point de criminelle flamme.

    Aimez donc la vertu, nourrissez-en votre me.

    En vain lesprit est plein dune noble vigueur ;

    Le vers se sent toujours des bassesses du cur.

    Fuyez surtout, fuyez ces basses jalousies,

    Des vulgaires esprits malignes frnsies.

    Un sublime crivain nen peut tre infect ;

    Cest un vice qui suit la mdiocrit.

    Du mrite clatant cette sombre rivale

    Contre lui chez les grands incessamment cabale,

    Et, sur les pieds en vain tchant de se hausser,

    Pour sgaler lui cherche le rabaisser.

    Ne descendons jamais dans ces lches intrigues :

    Nallons point lhonneur par de honteuses brigues.

    Que les vers ne soient pas votre ternel emploi,

    Cultivez vos amis, soyez homme de foi :

    Cest peu dtre agrable et charmant dans un livre,

    Il faut savoir encore et converser et vivre.

  • NICOLAS BOILEAU

    46

    Travaillez pour la gloire, et quun sordide gain

    Ne soit jamais lobjet dun illustre crivain.

    Je sais quun noble esprit peut, sans honte et sans crime,

    Tirer de son travail un tribut lgitime ;

    Mais je ne puis souffrir ces auteurs renomms,

    Qui, dgots de gloire et dargent affames,

    Mettent leur Apollon aux gages dun libraire

    Et font dun art divin un mtier mercenaire.

    Avant que la raison, sexpliquant par la voix,

    Et instruit les humains, et enseign des lois,

    Tous les hommes suivaient la grossire nature,

    Disperss dans les bois couraient la pture :

    La force tenait lieu de droit et dquit ;

    Le meurtre sexerait avec impunit.

    Mais du discours, enfin lharmonieuse adresse

    De ces sauvages murs adoucit la rudesse,

    Rassembla les humains dans les forts pars,

    Enferma les cits de murs et de remparts,

    De laspect du supplice effraya linsolence,

    Et sous lappui des lois mit la faible innocence.

    Cet ordre, fut, dit-on, le fruit des premiers vers :

    De l sont ns ces bruits reusdans lunivers,

    Quaux accents dont Orphe emplit les monts de Thrace,

    Les tigres amollis dpouillaient leur audace ;

    Quaux accords dAmphion les pierres se mouvaient,

    Et sur les monts thbains en ordre slevaient.

  • LART POTIQUE

    47

    Lharmonie en naissant produisit ces miracles.

    Depuis le ciel en vers fit parler les oracles ;

    Du sein dun prtre mu dune divine horreur

    Apollon par des vers exhala sa fureur.

    Bientt ressuscitant les hros des vieux ges,

    Homre aux grands exploits anima les courages.

    Hsiode son tour par dutiles leons

    Des champs trop paresseux vint hter les moissons.

    En mille crits fameux la sagesse trace

    Fut, laide des vers, aux mortels annonce ;

    Et partout des esprits ses prceptes vainqueurs,

    Introduits par loreille, entrrent dans les curs.

    Pour tant dheureux bienfaits, les Muses rvres

    Furent dun juste encens dans la Grce honores ;

    Et leur art, attirant le culte des mortels,

    A sa gloire en cent lieux vit dresser des autels.

    Mais enfin lindigence amenant la bassesse,

    Le Parnasse oublia sa premire noblesse.

    Un vil amour du gain, infectant les esprits,

    De mensonges grossiers souilla tous les crits,

    Et partout, enfantant mille ouvrages frivoles,

    Trafiqua du discours et vendit les paroles.

    Ne vous fltrissez point par un vice si bas.

    Si lor seul a pour vous dinvincibles appas,

    Fuyez ces lieux charmants quarrose le Permesse :

    Ce nest point sur ses bords quhabite la richesse.

  • NICOLAS BOILEAU

    48

    Aux plus savants auteurs, comme aux plus grands guerriers,

    Apollon ne promet quun nom et des lauriers.

    Mais quoi ! dans la disette une muse affame

    Ne peut pas, dira-t-on, subsister de fume ;

    Un auteur qui, press dun besoin importun,

    Le soir entend crier ses entrailles jeun

    Gote peu dHlicon les douces promenades :

    Horace a bu son sol quand il voit les Mnades :

    Et, libre du souci qui trouble Colletet,

    Nattend pas pour dner le succs dun sonnet.

    Il est vrai mais enfin cette affreuse disgrce

    Rarement parmi nous afflige le Parnasse.

    Et que craindre en ce sicle, o toujours les beaux-arts

    Dun astre favorable prouvent les regards,

    O dun prince clair la sage prvoyance

    Fait partout au mrite ignorer lindigence ?

    Muses, dictez sa gloire tous vos nourrissons :

    Son nom vaut mieux pour eux que toutes vos leons.

    Que Corneille, pour lui rallumant son audace,

    Soit encor le Corneille et du Cid et dHorace ;

    Que Racine, enfantant des miracles nouveaux,

    De ses hros sur lui forme tous les tableaux ;

    Que de son nom, chant par la bouche des belles,

    Benserade en tous lieux amuse les ruelles ;

    Que Segrais dans lglogue en charme les forts ;

    Que pour lui lpigramme aiguise tous ses traits.

  • LART POTIQUE

    49

    Mais quel heureux auteur, dans une autre nide,

    Aux bords du Rhin tremblant conduira cet Alcide ?

    Quelle savante lyre au bruit de ses exploits

    Fera marcher encor les rochers et les bois ;

    Chantera le Batave, perdu dans lorage,

    Soi-mme, se noyant pour sortir du naufrage,

    Dira les bataillons sous Mastrich enterrs

    Dans ces affreux assauts du soleil clairs ?

    Mais tandis que je parle, une gloire nouvelle

    Vers ce vainqueur rapide aux Alpes vous appelle.

    Dj Dle et Salins sous le joug ont ploy ;

    Besanon fume encor sur son roc foudroy.

    O sont ces grands guerriers dont les fatales ligues

    Devraient ce trajet opposer tant de digues ?

    Est-ce encore en fuyant quils pensent larrter,

    Fiers du honteux honneur davoir su lviter ?

    Que de remparts dtruits ! Que de villes forces !

    Que de moissons de gloire en courant amasses !

    Auteurs, pour les chanter redoublez vos transports

    Le sujet ne veut pas de vulgaires efforts.

    Pour moi, qui, jusquici nourri dans la satire,

    Nose encor manier la trompette et la lyre,

    Vous me verrez pourtant, dans ce champ glorieux,

    Vous animer du moins de la voix et des yeux ;

    Vous offrir ces leons que ma muse au Parnasse

    Rapporta, jeune encor, du commerce dHorace ;

  • NICOLAS BOILEAU

    50

    Seconder votre ardeur, chauffer vos esprits,

    Et vous montrer de loin la couronne et le prix.

    Mais aussi pardonnez, si, plein de ce beau zle,

    De tous vos pas fameux observateur fidle,

    Quelquefois du bon or je spare le faux,

    Et des auteurs grossiers jattaque les dfauts :

    Censeur un peu fcheux, mais souvent ncessaire,

    Plus enclin blmer que savant bien faire.

  • LART POTIQUE

    51

    T A B L E

    CHANT PREMIER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

    CHANT II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

    CHANT III . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

    CHANT IV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

    ___________

  • A propos de cette dition lectronique

    Texte libre de droits

    Mise en page et conversion informatique

    [email protected]

    Novembre 2006

    Note dutilisation pour limpression

    Slectionner le format A4 en cochant loption AjusterChoisir limpression en cahier recto-verso.

    Coup en deux, vous obtiendrez un format A5qui peut tre reli sans couture.

  • CATALOGUE

    Edmond About.Le roi de la montagne.

    Honor de Balzac.Un drame au bord de la mer. Unpisode sous la Terreur. EugnieGrandet. La paix du mnage.

    Jules Barbey dAurevilly.A un dner dathes.

    Nicolas Boileau.LArt potique. Le Lutrin.

    Chateaubriand.Atala - Ren. De Buonaparte et desBourbons. Penses, Rflexions etMaximes. Vie de Ranc Voyage enItalie.

    Franois Coppe.Posies 1869-1874. Henriette. Contesrapides.

    Andr Chnier.Posies choisies.

    Ernest Daudet.Le roman de Delphine suivi de LaCousine Marie.

    Denis Diderot.Jacques le fataliste. Lettre sur lecommerce des livres.

    Alexandre Dumas.Ascanio. Impressions de voyages. LaFemme au collier de velours. LeBtard de Maulon.

    Alphonse Daudet.Lettres de mon moulin. Le Nabab.

    Joachim Du Bellay.Les Antiquits de Rome. Les Regrets.

    Ren Dufour.Sur le chemin.

    Alain-Fournier.Le Grand Meaulnes.

    Anatole France.Livre de mon ami.

    Eugne Fromentin.Dominique.

    Thophile Gautier.maux et Cames. - Posies choisies. Nouvelles et Romans.

    Jos-Maria de Heredia.Les Trophes.

    Victor Hugo.A propos de William Shakespeare. Bug-Jargal. Han dIslande. LesContemplations. Les chansons desrues et des bois. Les voix intrieures. Paris.

    Madame de La Fayette.La Princesse de Clves - La Comtesse deTende - La Princesse de Montpensier.

    Alphonse de Lamartine.Graziella Genevive. Le Tailleur depierre de Saint-Point. Jocelyn. Lachute dun ange.

    Leconte de Lisle.Pomes antiques et modernes.

    Pierre Loti.Le roman dun enfant. PcheursdIslance.

    Pierre de Marivaux.LIsle des Esclaves.

    Prosper Mrime.La Vnus dIlle.

    Hector Malot.Ghislaine.

    Molire.Lcole des Femmes. Le mariage forc.

    Alfred de Musset.Premires posies. Posies nouvelles. Posies posthumes. Contes etNouvelles II. [Choix de Posies :] LesNuits - Pomes divers.

    Victor Pitti.Les Jeunes Chansons. Posies.

    Raymond Radiguet.Le Diable au corps.

    Arthur Rimbaud.Posies.

    Maurice Rollinat.Choix de posies.

    Jean-Jacques Rousseau.Du contrat social. Julie ou La nouvelleHlose. Les rveries du promeneursolitaire.

  • CATALOGUE

    George Sand.Contes dune grand-mre (2me srie). Promenades autour dun village.

    Comtesse de Sgur.Les petites filles modles. Lesvacances.

    Sully Prudhomme.Posies 1865-1866 (Stances et Pomes). Posies 1866-1872 (Les preuves - Lescuries dAugias Croquis italiens Les Solitudes Impressions de laGuerre) Posies 1872-1878 (Les vainesTendresses La France La Rvoltedes fleurs Le Destin Le Znith). Posies 1878-1879 (De la Nature deschoses La Justice). Posies 1879-1888 (Le Prisme Le Bonheur). paves

    Stendhal.LAbbesse de Castro. La Chartreuse deParme. Les Cenci. Le coffre et lerevenant. La Duchesse de Palliano. Le Rouge et le Noir. Trop de faveurtue. Vanina Vanini.

    Jules Verne.Les Indes noires. Les rvolts duBounty Un drame au Mexique.

    Gabriel Vicaire.LHeure enchante. Au Pays desajoncs.

    Alfred de Vigny.Pomes antiques et modernes. Choixde Posies. Quitte pour la peur.

    Voltaire.Abrg de lhistoire universelle depuisCharlemagne jusqu Charles-Quint.

    Emile Zola.LArgent. Contes Ninon. Nouveauxcontes Ninon. La faute de lAbbMouret. Luvre.