blanchot desobra

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 Marie-Claire Ropars-Wuilleumier Sur le désoeuvrement : l'image dans l'écrire selon Blanchot In: Littérature, N°94, 1994. Réalismes. pp. 113-124. Citer ce document / Cite this document : Ropars-Wuilleumier Marie-Claire. Sur le désoeuvrement : l'image dans l'écrire selon Blanchot . In: Littérature, N°94, 1994. Réalismes. pp. 113-124. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1994_num_94_2_2334

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excelente ensayo sobre la imagen en blanchot

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  • Marie-Claire Ropars-Wuilleumier

    Sur le dsoeuvrement : l'image dans l'crire selon BlanchotIn: Littrature, N94, 1994. Ralismes. pp. 113-124.

    Citer ce document / Cite this document :

    Ropars-Wuilleumier Marie-Claire. Sur le dsoeuvrement : l'image dans l'crire selon Blanchot. In: Littrature, N94, 1994.Ralismes. pp. 113-124.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1994_num_94_2_2334

  • Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, Universit Paris VIII

    SUR LE DESUVREMENT :

    L'IMAGE DANS L'CRIRE

    SELON BLANCHOT

    De l'image aussi, il est difficile de parler rigoureusement. L'Entretien infini

    Si l'crire selon Blanchot appartient au dsuvrement, soit l'absence d'uvre et l'interruption dans l'ide mme de l'uvre {El, p. 44) *, il se place du mme geste sous le signe de l'autre, c'est--dire de celui qui n'est pas l'un, mais qui toujours parle au lieu de l'un. Telle est la force critique de Blanchot, et son impact dans la thorie : la mise en crise des ides d'tre et d'unit relve de l'essence mme de l'criture telle qu'elle s'expose dans le dsuvrement. Pense de l'autre et penser par l'crire vont ainsi de pair. On n'entendra donc pas le dsuvrement comme dsastre de l'uvre ou impossibilit d'crire aprs la catastrophe de l'Histoire. Si le dsuvrement a affaire avec le dsastre, c'est d'abord au sens o il fonde la condition mme de l'criture sur l'loignement de l'astre : en d'autres termes, selon l'criture du dsastre elle-mme, l'espace sans limites d'un soleil qui tmoignerait non pour le jour, mais pour la nuit libre d'toiles, nuit multiple {ED, p. 13).

    La nuit libre d'toiles, la nuit devenue multiple par la prsence ngative de la lumire. Ainsi reli au dsastre, le dsuvrement ne dit pas la perte de l'uvre, mais la condition paradoxale d'une criture o cesse le discours {El, p. 44) pour qu'advienne la parole plurielle . Mais si le dsuvrement se doit alors de s'arracher l'uvre de parole pour se rendre au dehors du langage, c'est dans le langage lui-mme et en lui seul que ce dehors de toute langue {El, p. 111) ne cesse d'avoir lieu. Il peut donc sembler arbitraire de relier l'acte du dsuvrement une intervention de l'image. La perspective est d'autant plus risque que l'ide d'image ne fait pas l'objet, chez

    Rfrences des citations de Blanchot : EL : L'Espace littraire, Gallimard, ides , Paris, 1955. LV : Le Livre venir, Gallimard, ides , Paris, 1959- El : L'Entretien infini, Gallimard, Paris, 1969. A : L'Amiti, Gallimard, Paris, 1971. ED : L'criture du dsastre, Gallimard, Paris, 1980.

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  • Sur le dsuvrement

    L'IMAGE, LE DDOUBLEMENT

    Blanchot, d'une approche frontale, comme c'est au contraire le cas pour les notions constitutives de l'criture plurielle : la diffrence du fragmentaire , du rapport ou de la rcriture , qui s'analysent en tant que tels, l'image n'intervient le plus souvent que sous la forme de ces annexes, incidence oblique, ou digressions analogiques qui, dans L'Espace littraire, vont baliser le dtour constitutif de l'criture, en prenant appui sur un mythe consacr au dtour du regard : ainsi du regard d'Orphe , tout orient par le double jeu du pote qui ne va chercher Eurydice que pour la ramener vers la nuit, l'autre nuit, o a commenc l'crire. Si Orphe se retourne, et s'il regarde, n'est-ce pas prcisment pour en finir avec la vue ? Bien davantage, on a voulu lire dans L'Entretien infinite renoncement de Blanchot tout rapport avec l'image : ainsi du fameux chapitre Parler ce n'est pas voir , compris comme un dsaveu du regard, alors qu'il ne rejette que le pouvoir de la vision, et non le recours au geste de voir.

    Insistant au conuaiie sur le lle de l'image dans ia mise en jeu de l'criture, j'engagerai ici une double hypothse :

    1) L'image est une constante marginale qui accompagne toute la rflexion critique de Blanchot, depuis le regard d'Orphe dans L'Espace littraire jusqu' celui de Narcisse dans L'criture du dsastre: ceci veut dire que l'image, sans se prter une dfinition stable, travaille sur les marges du texte, o le flottement de la notion contribue prcisment empcher la stabilisation du discours dans un nonc unitaire.

    2) L'image est co-extensive l'invention du dsuvrement, mais sous une forme ngative, et parce qu'elle permet d'prouver la ngativit de la forme : il ne s'agit certes pas d'ajouter l'image au langage pour entrer dans l'ordre de l'criture plurielle, et de ce point de vue rien n'est plus tranger la pense de Blanchot que la recherche de l'toilement hiroglyphique ; mais ie pluriel ne peut agir dans le langage qu' travers la mdiation d'un double qui lui fasse ombre. En ce sens l'image n'est pas seulement un facteur d'analogie, interdisant l'dification conceptuelle ; elle intervient aussi comme un oprateur anagogique, en cela qu'elle nous conduit, par la singularit de son statut, vers une pense de ce qu'il y a de proprement impensable dans l'exercice de l'crire.

    certains traits par lesquels l'ide d'image claire le paradoxe du dsuvrement, dans ce qu'il offre la fois d'inaccompli et d'incessant ; mais le premier versant nous ramnera sans cesse l'exigence de ne pas construire une thorie de l'image l o l'image intervient d'abord pour dsavouer le repli thorique du discours, ft-il discours de et sur l'criture.

    Rcusant l'allgorie, o le sens se substitue la figure, aussi bien que le symbole, o la figure se dissout dans la profusion du mystre, l'exprience de l'crivain a affaire la ralit matrielle et attestable de l'image : tel est le secret du Golem , que Blanchot va clairer par un

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  • Rflexions critiques

    produits par la camra diabolique d'un savant dmiurge, attirent dans leur sjour un fugitif qui, sduit par l'une d'entre elles, devient image son tour et meurt dans le sillage de ces ombres devenues immortelles (LV, pp. 136-138).

    Je ne retiendrai pas ici, du moins pour l'instant, le statut machinique et filmique de ces images trs exceptionnel chez Blanchot, qui carte tout rapport de l'image avec la fabrique mdiatique de l'audiovisuel. Ce qui importe d'abord, dans ce mythe borgsien qui rejoint le mythe d'Orphe, c'est une double composante de l'exprience d'image :

    a) l'image est attestable, dans la mesure o elle nat du regard port sur l'objet ici, exceptionnellement mais sans doute symptomatique- ment, un regard-machine, prcdant et informant le regard humain ;

    b) loin de se substituer la chose ou l'tre regard, l'image s'insinue au cur de l'objet, dont elle prcipite le devenir fantomal.

    Sans doute convient-il de relier cette exprience celle de la mort, comme le propose la seconde version de l'imaginaire, o la vision du cadavre offre un exemple radical du devenir-image de l'homme dans et par la mort : j'y reviendrai ultrieurement. Mais ce dvoilement de l'image dans la chute mortelle de l'tre humain qui est aussi, paradoxalement, le devenir immortel de l'homme ne doit pas occulter la relation fondamentale que la dcouverte de l'image entretient avec la condition d'crire : l'crivain sjourne auprs de l'image, et ce sjour est son uvre (LV, p. 136), dans la mesure o il est renoncement ramener l'uvre au jour. Ainsi Orphe, comme Morel, entre-t-il dans la logique du dsuvrement partir du moment o, regardant Eurydice, il prcipite en elle la mise mort de la reprsentation par la transformation du corps en son image.

    Il y a l, constitutif du dtour de l'uvre, un dtournement radical du principe mimtique : le dsuvrement renonce la distinction rassurante entre la chose regarde et son laboration esthtique, qui lui succderait ; prcipitant l'image au sein de l'objet, il fait du devenir image de cette chose la condition mme d'un crire qui, par le regard, se dtournerait de la reprsentation et de la signification qu'elle implique. C'est l le paradoxe instaur avec l'image et, travers elle, dans le geste d'crire : parce qu'elle est une opration de doublage l'imitation imageante ne consiste-t-elle pas proposer un double du rel ? elle va rendre visible et vident un ddoublement originaire qui ne permettra plus de distinguer le double et le rel, devenu soi-mme son propre double et comme l'ombre de soi. L'image s'oppose la reprsentation, mais en s'inscrivant dans la reprsentation elle-mme, voil sans doute l'apport le plus fondamental de Blanchot une pense de l'image qui, par le regard, affecterait toute vue.

    Corps ferm, visage scell, prsence voile, mais comme futilit vide tels sont les attributs que reoit Eurydice deux fois perdue dans le regard d'Orphe (EL, pp. 228-233). Elle est ainsi rendue la nuit, et par l l'inspiration d'Orphe ; mais, titre d'ombre, elle ouvre en mme temps le rseau de la ressemblance qui de texte en texte

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  • Sur le dsuvrement

    dsigne, chez Blanchot, le rapport entre le devenir-image et l'exil hors de soi. La ressemblance inscrite dans l'tre n'est pas seulement la disparition du sens, rig en pur semblant (EL, p. 359) ; affectant la vue du corps propre vhicul par le rve, le ddoublement qui nous fait ressembler nous-mme nous conduit ne ressembler rien, c'est--dire tre pure ressemblance, devenant soi-mme impersonnel : " il ressemble , dit L'Amiti propos du rveur (pp. 167-168). Et la logique extrme de ce ressembler intransitif apparat dans le regard de Narcisse qui ne se reconnat pas en son image c'est le dtail essentiel qu'a oubli Ovide parce que ce que voit Narcisse est une image, et que la similitude d'une image ne renvoie personne, ayant pour caractre de ne ressembler rien (ED, p. 192). Narcisse engage ainsi le paradoxe fondateur de l'image, qui propose simultanment l'empreinte et l'exil, le ddoublement et le devenir tranger, l'absence soi dans le regard port sur soi. Mais dj Orphe, regardant Eurydice, fait l'exprience de l'expropriation et de la mort en Eurydice : lui-mme, en ce regard, est absent {EL, p. 229). Et Narcisse ne fait que resserrer, en le renvoyant sur la propre image de soi, le tour d'crou dclench par la vue de l'image qui, en dvoilant le double dans l'autre, dvoile en mme temps l'attirance de l'autre dans le double propre.

    Si j'ai insist sur cette logique paradoxale du ddoublement que l'image introduit dans l'tre et par la semblance mme de l'tre, c'est qu'elle comporte deux traits fondamentaux pour l'approche de l'crire selon Blanchot. Tout d'abord, en reliant l'image au fantomal, elle permet de comprendre comment la rfrence l'imagement peut subsister alors mme que la mention d'image a disparu du texte : si LEntretien infini semble en finir avec la vue et avec le rcit c'est qu'il se dirige vers la dcouverte d'une voix narrative , dont la singularit, expose travers une critique de la notion de narrateur, tient ce qu'elle renvoie le sujet parlant l'exil hors de la personne et de la parole. En cette troisime personne , o je devient //sans pour autant s'abriter sous le couvert d'une impersonnalit figurable en une personne, on retrouve la composante spectrale le terme est de Blanchot (EL, p. 566) qui caractrise l'image et qui atteint aussi bien les porteurs de parole que la narration elle-mme. Ce devenir il de je s'prouve sans doute dans l'infini de l'entretien, o chaque voix se tient entresol et l'autre voix qui la double en cho ; mais cette double parole ne peut chapper au risque du dialogue, o chacun retrouverait son identit, qu'en ramenant toujours le fantme dans chacune des voix, et donc le double dans la parole elle-mme. La voix narrative tend toujours s'absenter en celui qui la porte (EL, p. 566) : corps d'une voix q/f sans corps, divise de soi par l'ombre qui l'attire hors de soi dans l'acte mme de parler. Ainsi le devenir image s'insinue jusqu'au sein de la voix dans la mesure o le propre de l'image serait d'attirer, par la ressemblance, l'autre au lieu de l'un.

    Avec le terme d'attirance intervient une seconde composante de cette image fantomale, clairant son rle dans la recherche de l'crire : non seulement elle eioigne du corps, en y imprimant la

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  • Rflexions critiques

    DUPLICITE DE L'IMAGE

    d'tranget, mais en outre elle fait jouer un attrait dsir d'Orphe ou amour de soi de Narcisse qui prcipite en elle la duplicit et la constitue en cette proximit inacessible dont parle L'Amiti propos du rveur-image (A, p. 167). L'image est duplice, telle est sa rgle paradoxale, par o elle ne cesse d'uvrer au dsuvrement alors mme qu'elle se soustrait la vue.

    La duplicit de l'image agit dans l'ordre du dsuvrement, car c'est elle qui rvle l'appartenance de l'art et de la littrature la dissimulation. La dissimulation apparat (EL, p. 28) tel sera l'enjeu de l'crire lorsque la solitude essentielle l'aura fait entrer dans l'exprience de l'image. Or le terme de dissimulation se drobe l'analyse, comme s'il reportait sur lui-mme la puissance d'occultation qu'il comporte. Dans Le secret du Golem , dj voqu, la dissimulation dsigne simplement la condition paradoxale du pote qui doit renier l'uvre afin d'entrer dans le devenir de l'uvre : pour exercer son art, il lui faut un biais par o chapper l'art (LV, pp. 135-136), et l'image est ce biais. En cela, la dissimulation ne dissimulerait rien d'autre que le double jeu d'Orphe, qui rpond l'exigence du dtour (l'interdit du regard sur Eurydice) en reportant ce dtour sur le rapport l'uvre : La littrature (dit le secret du Golem) est cette dissimulation (LV, p. 136). Mais en abordant de front la profondeur du dsuvrement , le texte intitul Approche de l'espace littraire dsavoue toute interprtation qui verrait alors dans la disparition de l'uvre la

  • Sur le dsuvrement

    Eurydice ne renvoyant celui qui la regarde qu'un autre regard, qui ne lui appartient pas et qu'il ne peut pas voir. Regarde, l'image regarde, sans qu'aucune symtrie ne puisse faire de ce regard renvoy la projection en abyme du regard propre. Le point n'est pas un point, mais l'attrait et en mme temps l'impossibilit d'une vue unifie : car l'image, en tant qu'image, ne peut jamais tre atteinte, et elle (...) drobe, en outre, l'unit dont elle est l'image {EL, p. 92).

    ce titre la drobade de l'image, la fois ne du regard et dispersant celui-ci, chappe la logique perspectiviste de Lacan ' comme la pousse aveuglante de Derrida 2. L'exprience de la vue n'engage pas, chez Blanchot, la schize du regard, o l'un se reconnat en se mconnaissant en l'autre : l'il n'est pas dans le tableau, o il se diviserait en se retournant ; l'il est le retrait mme de l'image, o l'exil dsavoue la possibilit de centrer le sujet. Et la fascination, o ce que l'on voit saisit la vue {EL, p. 26), ne conduit pas l'aveuglement du Tcgaro mais au viuage oe ia vision, ia suiguintc et l'cuangct uc ce vide tenant ce qu'il ne se rvle jamais comme tel, puisqu'il dpend du mouvement de l'approche, qui comporte en lui-mme sa propre exclusion.

    prouv par l'image, le

  • Rflexions critiques

    DEHORS : IMAGE/ESPACE

    nation peut tre dsigne par Blanchot comme la passion de l'image {EL, p. 25), on entendra cette passion au sens contraire qu'elle comporte de dsir et de dsastre. La passion de l'image introduit en fait l'espace du dehors, sous l'attrait incessant duquel on ne cesse d'crire, parce que celui qui crit ne peut en finir avec l'arrt de l'image.

    ... le mouvement d'crire sous l'attrait du dehors, telle est la rponse que L'Entretien infini attend de l'absence d'uvre {EL, p. 44). Vague {EL, p. 330), sans lieu et sans repos {EL, p. 24), le dehors constitue sans doute l'essence mme d'un crire qui, en se livrant l'espace, romprait avec l'accomplissement de l'art par et travers le temps. Mais la caractristique premire de ce dehors, ce qui en fait l'tranget jamais matrisable {EL, p. 567), c'est qu'il relve la fois de l'intimit et de l'extriorit : nous appelant toujours hors de nous tout en interdisant la constitution d'un lieu, il nous renvoie ainsi une familiarit d'autant plus menaante qu'elle ne nous permet pas de nous y tenir. En ce sens, crire n'est que mouvement d'crire ; et l'attrait du dehors, jamais rsolu en aucune rgion assignable, appartient la fois l'exil du dedans et l'impossibilit du dehors lui-mme.

    Certes l'image n'est pas l'espace, dans la mesure o elle touche encore la figuration, alors qu'il appartient dj au vide. Mais l'image, par sa constitution paradoxale (ressemblance et ddoublement, attirance et dtournement), maintient active au cur de l'espace la rsiliation de toute configuration, ft-elle forme par le vide. C'est l le rle essentiel de l'image : nous amener l'impensable du dehors, o se conjuguent, sans se confondre ni s'affronter, l'attirance du fond et l'absence de profondeur, la distance et le contact, l'enveloppement et l'loignement ; oprations qui s'prouvent dans la fascination d'un regard se retournant contre soi-mme voir est un contact distance {EL, p. 25), lorsque le double remonte lentement de la profondeur vers la surface {A, p. 168). Ce qui caractrise l'espace, dans son acception gnrale, c'est qu'il met en jeu des dimensions multiples ; cette multiplicit devient, chez Blanchot, mise en question de la dimensionnalit elle-mme, par le recours un oprateur imageant dont la duplicit tient la capacit de convoquer la fois le mouvement celui de l'approche et l'immobilit celle de l'arrt, o l'image regarde.

    L'image pourtant n'est pas l'espace, et mme elle s'oppose l'espace, lorsque dans l'absence d'images s'impose la prsence de l'espace d'criture {EL, p. 471). Clbrant la Potique de l'espace dans L 'Entretien infini, Blanchot met cette rserve l'gard de Bachelard d'avoir li l'image potique une mergence de l'image. La contradiction pourrait sembler flagrante avec les textes de L'Espace littraire o au contraire l'image est approche de l'espace, si l'analyse de Blanchot ne finissait par tablir une quivalence entre prsence et absence de l'image : rotation o se dclare, avec l'nigme de l'image , le rapport non-phnomnologique qu'elle entretient avec l'imaginaire. Si l'imaginaire parle sans parler d'images ni par images {EL, p. 475), c'est qu'il dsavoue tout glissement de la perception vers l'imagination ; mais si

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  • Sur le dsct'uvrement

    l'imaginaire nous donne accs la ralit propre de l'irrel - (EL. p. 477), alors il a affaire au rii >> !itii>r(Hrr mil es nimie inni iicciinr

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  • Rflexions critiques

    UN LANGAGE-IMAGE ?

    par la ncessit de faire merger le dtour dans l'uvre, et la seconde version de l'imaginaire dans la premire. Mais de l'un l'autre de ces deux livres loigns, une constante semble bien faire de l'image le point de distorsion extrme qui, en offrant simultanment le mourant et l'impossibilit de mourir le fantomal et l'incorruptible inscrirait en l'attrait du dehors l'impossible achvement du temps.

    Pur devenir, et cependant inaltrable, dsignant la mort tout en la dsavouant, l'image est une dfaite au double sens possible de ce terme, puisque dfaisant le vivant elle ne fait pas advenir elle fait ne pas advenir l'vnement de la mort. Par l l'image apparat comme le vecteur d'une ngativit sans ngation : figurer le ne pas du mourir en figurant l'incompatibilit de la mort et de la figuration.

    Combinant l'exil et l'attrait, la profondeur et la surface, l'vnement et l'impossibilit d'advenir, l'image nous est apparue jusqu'ici comme un mdiateur dans la pense de l'crire : sa duplicit claire le double jeu du dsuvrement et l'inconstituabilit du dehors. ce titre, on pourrait se demander si l'image ne tiendrait pas dans la pense de Blanchot le simple rle de mtaphore de l'criture, venant doubler d'une exprience sensible le paradoxe thorique engag dans le rapport l'crire. Toutefois, l'insistance de ce double, sa rcurrence dans les textes les plus entrans vers l'abstraction de la pense nous invitent nous interroger pour finir sur l'intervention de l'image dans l'acte scriptural lui-mme.

    Soustraite la logique de l'affirmer et du nier, l'image seule ne saurait uvrer l'effacement interne de la ngation que j'voquais l'instant ; mais c'est dans la mesure o elle accompagnerait le travail du langage qu'elle pourrait jouer le rle de double agissant ngativement au sein de la parole. Dans une note de L'Espace littraire, Blanchot rflchit lui-mme l'ventualit d'un langage-image : certes pas un langage de l'image et en cela Blanchot se situe au plus loin de toute considration smiotique sur l'image ; pas non plus un langage qui ferait image et il n'y a pas, en ce sens, de concession esthtique dans ce recours l'image ; mais un langage qui ne serait encore que son image {EL, p. 48) et o parler n'engagerait que l'ombre de la parole (ibid.). Ce pas en-dea de la parole, o l'image fantme prcipiterait le devenir fantomal du langage, pourrait tre prcis en termes syntaxiques : facteur de disjonction interne co-extensive l'exercice du signe, l'image serait partie prenante d'un double pas de la syntaxe qui, en dployant dans l'ordre de la phrase le mouvement contraire d'un dire sans cesse dtourn de soi, inviterait considrer, sur le plan de la verticalit, cette ombre porte par o le langage lui-mme s'altrerait sans pour autant devenir un autre langage. Fissure imperceptible, attrait de l'autre nuit dans la nuit, l'image serait alors la fois la condition et l'rosion du langage : le doublant, sans pour autant tre prsente, et ne le faisant parler qu'en rappelant l'impossibilit de la ngation qui l'entrane. Telle celui qui ne m'accompagnait pas ,

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  • Sur le dsuvrement

    l'image figure ainsi le pas mme de l'crire, que nous entendrons, en prolongeant Derrida, comme le dtour du ngatif dans le passage du signe.

    C'est la premire conclusion que je dgagerai. Loin d'tre seulement un mdiateur dans la pense du dsuvrement, l'image intervient dans l'crire de Blanchot et comme facteur de l'criture, entretenant avec elle ce rapport du troisime genre (El, p. 94) qui chappe l'horizon de l'Un : ni conflit ni confusion, mais bien insinuation de l'Autre, que Blanchot dfinit comme pur intervalle entre l'homme et l'homme (El, p. 98) et que je gloserai aussi comme intervalle oprant au sein du seul langage. Que l'image tende ne plus apparatre comme telle dans l'uvre de Blanchot ne change rien l'exigence du recours : si l'image semble s'absenter de plus en plus, c'est suivant la logique d'une acception par o l'ide d'image comporte en elle l'absence ; non pas ncessairement l'absence d'image, mais avant tout l'absence soi de 1 imarre c'est--^'ir^ 1 altitude de 1 ima^e s absenter de soi cart interne, geste de torsion, premire tournure (El, p. 42) laquelle Blanchot reconduit l'crire en ramenant en lui la trace enfouie de ce double au noir. L'image devient alors la seule figure du dtour, la fois attrait et dfection constitutive de l'attrait ; mais la singularit de ce dtour tient ce qu'il convoque simultanment l'indication d'un autre signe ce serait ici la figuration iconique et la dcision de ne pas donner cours ce signe.

    Il ne s'agit donc pas, avec Blanchot, de penser l'image pour elle-mme, mais bien de faire entrer la pense de l'image dans la mise en dsuvrement du langage. Le geste est mesurer selon sa consquence la plus radicale : le signe, dans son abstraction linguistique, ne saurait rompre par lui seul avec le pouvoir de signifier que convoque le discours ; et la parole plurielle laquelle convie L'Entretien infini ne peut en finir avec la plnitude smantique de l'nonc sans injecter en celui-ci l'attirance d'un autre signe qui, en aucun cas, ne fera signe en lui-mme, ft-ce pour indiquer l'ineffable. Supplment, mais pour une soustraction, l'image uvre donc au seul dessaisissement du signe linguistique, sans reste symbolique ; mais elle n'agit ainsi que parce qu'elle se drobe sa propre saisie, jouant par l, sur le plan syntaxique, le rle d'un ngatif qui empcherait jusqu' sa propre ngation.

    Une pense qui ne se laisserait pas penser (Le Dernier Llotnme, p. 20) : c'est ce soupon ce moins qu'une pense (p. 21) que l'ombre de l'image ou plutt l'image titre d'ombre introduit dans les rcits ou dans les textes les plus spculatifs de Blanchot. L'image n'aura donc pas comme tche de compenser mais bien d'accrotre l'insuffisance du signe, pour y ouvrir la voie l'inconnu de la langue, qui dfie tout autant l'effusion sensible que l'nonc assertif : autre dimension, mais sans forme fixable ; rythme, mais en-de de toute scansion ; mouvement qui la fois soutient et suspend le cours de la syntaxe. travers le rapport ombrageux qui relie le signe l'absence d'image, se fait entendre le murmure ou le ruissellement il un ianyaye oui iie st~niii nuis joui

  • Rflexions critiques

    L'INVISIBILITE DU VISIBLE

    non plus compltement un langage ; et qui ce titre serait soustrait, du fait mme qu'il parle, l'unit donc la vrit qui s'y confie. Si la parole dsuvre dsavoue l'tre de la vrit, c'est par la fracture qu'y introduit l'ombre imageante : non pas l'aveu d'un au-del, mais bien le retrait de l'tre-l. Repris selon la torsion de l'image, le dsuvrement de Blanchot ne propose pas une potique, mais il nous rappelle la ncessit aportique de l'crire, donc la vigilance critique dans l'analyse comme dans l'entreprise de l'criture.

    Une seconde consquence est souligner : elle concerne cette fois l'approche thorique de la notion d'image, que Blanchot contribue branler alors mme qu'il ne s'y emploie pas directement. L'essentiel touche la relation du visible et de l'invisible, qu'une pense paradoxale de l'image vient ruiner.

    Renouons ici les deux composantes du paradoxe : d'une part l'imaginaire a affaire la prsence de l'image, non son retentissement dans l'imagination subjective ; et, de l'autre part, l'image provient d'un regard vou ne pas voir, c'est--dire voir qu'il ne voit pas. Ne nous trompons pas en effet sur le sens du dtour : la pense de l'image nous ramne la vue, mme si c'est pour y prouver le dtournement intrinsque au regard et l'panchement perte de la vue ; le ne pas voir est interne l'acte de voir, et la dissimulation agit par la figurabilit elle-mme.

    Une double expropriation vient ainsi se nouer par la double insertion contraire de l'image, qui appartient la fois au regard et la reprsentation : perceptive, l'image divise le sujet, mais en l'exilant de soi et sans le refigurer en abyme ; mimtique, l'image dessaisit l'objet, mais en le maintenant comme corps d'une reprsentation, qui se trouve simplement coupe de toute reference au modle. La double appartenance de l'image, que Blanchot ne cesse de rappeler obliquement, remet donc en question l'apprhension et du sujet et de l'objet, mais elle ne reconduit pas pour autant une vise phnomnologique qui autoriserait terme leur restauration rciproque : l'image n'est pas devant le regard, mais en lui, o elle provoque l'effondrement de la vision dans la vue ; par l, l'exprience visuelle propose la fois la dcouverte du visible, attestable matriellement, et la dfaillance de la visibilit, agissant au sein du visible et imputable lui seul. Mettant ainsi en cause sa propre visibilit, le visible ne laisse pas place cette doublure d'invisible , que Merleau-Ponty relve dans la relation croise du regard l'image. Par la dialectique du voyant et du visible, le voile que la vision projette sur le rel contribue au dvoilement de l'tre dans sa dhiscence (L'il et l'Esprit)5 ; et l'exprience esthtique nous rend sensible la rserve interne de l'invisible habitant le visible. Avec Blanchot au contraire, l'esthtique se trouve ramene dans l'orbite de l'crire, donc du dsuvrement, o se dfait le rapport

    3. M. Merleau-Ponty, L'il et l'Esprit, Gallimard, folio , 1964, p. 85.

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  • Sur le dsuvrement

    de l'art et de l'tre ; et le retrait qui affecte la visibilit renvoie la ncessit et en mme temps l'impossibilit de saisir le vide l'uvre dans l'uvre mme de la figuration.

    L'invisibilit de l'image appartient en propre au visible, comme l'a montr Foucault 4 : sans laisser place la drobade ou l'oubli de l'tre, elle n'accepte pas d'autre doublure que l'irrel se dcouvrant dans la ralit de l'exprience imageante. Et s'il subsiste quelque rfrence esthtique chez Blanchot, elle ne jouera ni du ct du voile dvoil, par o Derrida renoue avec Merleau-Ponty et peut-tre avec Lacan (Mmoires d'aveugle) 5 ni du ct d'une visualit qui viendrait doubler la figuration et librer en elle les puissances du rve et de la pense, comme le propose Pontalis lorsqu'il relit ensemble Valry et Freud (La Force d'attraction)6. Vaisthesis de Blanchot nous renvoie d'abord l'insoutenable de l'ide d'image : une image littrale, et cependant jamais donne ; actuelle, sans virtualit ; s'offrant la vue et laCiiariu i vision , une image qui serait mcapai^iC uC soutenir ss propre prsence autrement que par l'expansion du geste o elle se rend absente. S'il s'agit alors d'une esthtique, c'est parce qu'elle touche au regard, mais en proposant l'cart de tout sujet regardant ; et si elle reste figurante, c'est dans la mesure o elle montre le retrait de la reprsentation sous l'attrait de l'image, qui s'incorpore elle sans pour autant s'y substituer. C'est cette logique d-figurante de l'image que Blanchot invite regarder en face, et cela jusque dans les images les plus machiniques de la modernit : si celles-ci nous sduisent, ne serait-ce pas qu'elles dissimulent le dtournement de la vue dans l'offre de vision ? Nous appelant ainsi nous retourner pour voir l'intervalle ouvert par l'image au cur des uvres mmes de l'image.

    Le dernier mot reviendra L'criture du dsastre : L'image, toute image est attirante, attrait du vide mme et de la mort en son leurre *.

    4. M. Foucault, La pense du dehors , Critique, n 229, Minuit, Paris, juin 1966. 5. Mmoires d'aveugle, op. cit., voir pp. 56-57. 6. J.-B. Pontalis, La Force d'attraction, Seuil, Paris, 1990, pp. 32-56. * Une premire version de ce texte a t prsente sous forme de communication au

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