b nq quaterly 26/03/2015

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PERSPECTIVES ON BANKING La quête de la nouvelle culture de l’innovation Michèle Sioen : « Rien n’est impossible » Quarterly Une initiative de BNP Paribas Fortis en collaboration avec Echo Connect

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PERSPECTIVES ON BANKING

La quête de la nouvelle culturede l’innovationMichèle Sioen : « Rien n’est impossible »

Quarterly

Une initiative de BNP Paribas Fortis en collaboration avec Echo Connect

L'innovation est sur toutes les lèvres, mais elle reste, dans le fond,assez méconnue. Je remarque que, souvent, on la confond avec lacréativité. Être créatif, c'est inventer la nouvelle pièce d'un puzzle ;innover, c'est réaliser un puzzle avec les nouvelles et les anciennespièces. En d'autres termes, l'innovation ne crée pas la nouveauté,mais la met en œuvre. L’inventeur doit se convaincre lui-même dechanger sa façon de penser. L’innovateur, lui, doit convaincre –selon les cas – les clients, les partenaires, les fournisseurs, les régu-lateurs, les gouvernements, de changer leur façon de faire. Desentreprises comme Microsoft et Samsung ont construit leur succèssur la mise en œuvre réussie des idées des autres : c'est la preuveque l'on peut propager l'innovation sans être créatif ! J'entends les entreprises invoquer l'innovation presque commeune incantation. Mais quand je leur demande pourquoi elles veulentinnover, elles « calent ». Or, c'est la première question à se poser.L'innovation est un moyen, pas une fin. Selon les cas, elle sert às'adapter aux mutations de l'environnement, pour éviter l'obso-lescence, ou à différencier son offre, pour offrir plus de valeur quela concurrence. Vous voulez augmenter vos profits, assurer votrecroissance, améliorer les conditions de travail de votre personnel,diminuer votre empreinte carbone, limiter vos coûts ? Autantd'objectifs très différents, nécessitant des types bien distinctsd'innovation. Par exemple, une firme comme Ferrero (Nutella)fonde son succès sur une petite gamme très stable. Ses innovationsne sont pas perceptibles pour le consommateur, qui veut unproduit inchangé. En informatique, l’approche est tout autre : il estnormal de lancer un produit pas complètement fini, on envoie unpatch aux clients et le tour est joué. En revanche, impossible d'ap-pliquer ce genre de méthode dans le secteur de la santé ! Bref,être au clair avec ses objectifs est la première clé de l'innovation.Ensuite, les obstacles que les sociétés rencontrent dépendentsouvent de leur taille. Typiquement, les petites structures sontplus douées pour voir la nouveauté, les grandes pour la mettre enœuvre. Les premières auront donc intérêt à nouer des partenariats,les secondes à disposer d'entités dédiées (à l'instar de Google X)et d'une politique de ressources humaines adaptée. Et l'idée qu'ilfaut « pousser les gens à prendre des risques » est simpliste. Vousvoulez favoriser l'innovation ? Créez un climat où on tolère l'erreur,où l'apprentissage par expérimentation est encouragé, où lesservices internes échangent, et où les idées nouvelles peuvent re-monter facilement jusqu'à la hiérarchie. ||

B NQB NQ est une plateforme de contenu de cross médias consacrée à la banque socialement responsable et moderne. Au travers de la diffusion d'informations, B NQ entend ouvrir le débat et le dialogue sur la base de récits remarquables, innovants et concrets. Ce magazine a été publié le 26 mars 2015 www.lecho.be/bnq

Benoît Gailly, professeur en gestion de l'innovation à la Louvain School of Management

et auteur du livre Developing Innovative Organization.

édito

« Toujours aller de l’avant ! »

Michèle Sioen

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16Pattie Maes, chercheuse

au MIT : « Les ordinateurssont des prothèses pour

notre cerveau ».

Table ronde : « Nous sommes à

l’aube d’une ère fantastique ».

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Une initiative de BNP Paribas Fortis en collaboration avec Echo Connect. Coordination : Veronique Soetaert Lay-out : Christine Dubois, Laure Jans-Cooremans Photos : Frank ToussaintE.R. : WalterTorfs, rue des Sols 2, 1000 Bruxelles

OursEcho Connect offre aux entreprises, organisations et organismespublics l’accès au réseau de L’Echo, pour partager leur vision,leurs idées et leurs solutions avec la communauté de L’Echo. Lepartenaire impliqué est responsable du contenu.

CONNECT

Martin Hinoul et Peter De Keyzer : « Onne crée pas d’emploisen bloquant les indus-tries innovantes ».

Le secret de Google.

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Les innovationsqui vont changervotre monde.

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Michèle Sioen, CEO de Sioen Industries - présidente de la FEB

Toujours allerde l’avant !

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Lorsque mes parents ont décidé d’entreprendre dansles années 60, c’était également leur conception. Etaujourd’hui, 50 ans plus tard, rien n’a changé. C’est lechoix du changement, de l’inconnu. La volonté de

s’engager totalement dans cette direction. Chez mes parents,c’était l’innovation avant la lettre, avant qu’elle devienne unvocable à la mode. Tout simplement leur manière de travailler,leur – et donc mon – parcours. Parfois capricieux, parfois stimulant, parfois par grands bonds,parfois avec des chutes dont il fallait se relever, mais toujours :aller de l’avant. Cette progression n’est possible qu’à conditiond’avoir l’esprit ouvert, un sens affûté des affaires et une volontéde réaliser ses rêves. Innovation, selon certains. Créativité,selon d’autres. Je m’en tiens à un cocktail de nombreux ingré-dients qui font le succès d’une entreprise.C’est oser être différent. Oser changer. Oser tout court. Celademande à chacun une grande flexibilité au sein de l’entreprise.Depuis des décennies, le slogan de Sioen Industries est « Innover pour protéger ». C’est inscrit dans nos gènes. Noussommes comme ça. C’est un état d’esprit, un choix.Le chef d’entreprise doit créer un environnement propice àl’innovation et à la créativité. Laisser ses collaborateurs penserlibrement et formuler des solutions et des propositions. Mêmesi celles-ci peuvent parfois paraître totalement utopiques. Etleur laisser de l’espace – c’est peut-être la mission la plusdélicate pour un entrepreneur innovant. Être intimement con-vaincu que rien n’est impossible. Et peut-être encore plus im-portant : transmettre cette conviction et l’entretenir chez tousles collaborateurs.Naturellement, il ne suffit pas d’avoir suffisamment d’idéescréatives. La sélection des meilleures idées et leur concrétisationcorrecte sont tout aussi cruciales. Cela comporte des risqueset exige une vision de long terme. Chez Sioen Industries, l’in-novation est par conséquent un pilier de notre stratégie. Elledépasse les départements, elle vit chez chacun d’entre nous.Nous pratiquons ensemble une innovation ouverte dans lecadre de laquelle nous collaborons avec des clients, des four-nisseurs, des associations professionnelles, des universités ethautes écoles, des think tanks et des services publics.

Dans un contexte plus large, l’innovation estun ingrédient incontournable de la compétitivitédes entreprises. Surtout en Belgique, où lesoptimisations technologiques et organisation-nelles sont indispensables afin de compenserdans la mesure du possible des charges salarialeset énergétiques élevées. La politique d'innovationcouvre de nombreux domaines et se montred’une grande complexité. Et la distribution descompétences liées à l’innovation sur plusieursniveaux de pouvoir ne facilite pas les choses.En tant que présidente de la FEB, je souhaiteœuvrer à un climat favorable aux innovations.Assister et participer au développement d’unepolitique de long terme et cohérente. Réduireles règles et barrières qui barrent la route desnouvelles technologies. Favoriser des mesuresqui rendent plus attrayants le risque et l’inno-vation. Et je collaborerai activement à des ré-seaux « apprenants », dans lesquels les organi-sations à forte intensité de connaissances, comme les universités et les entreprises, échan-gent des expériences.Faisons de l’innovation une priorité absolue.Osons. Choisissons. Et soyons convaincus querien n’est impossible. C’est l’avenir. ||

Michèle Sioen, CEO de Sioen Industries - présidente de la FEB

On a déjà tant écrit sur l’innovation, raconté tant de choses plus oumoins sensées, qu’y ajouter une nouveauté semble presque missionimpossible. Pourtant, rien n’est impossible. C’est d’ailleurs le pointde départ de ma vision de l’innovation.

INNOVER, C’EST OSERÊTRE DIFFÉRENT. OSER CHANGER. OSER TOUT COURT.

Michèle Sioen

I 5 I

l Innovation l

Votre job en danger ?

«Les ordinateurs

menacent la moitiédes emplois en Bel-gique », pouvait-on

lire récemment à la Une d’un quotidien.La conclusion de l’article ? Seules lespersonnes hautement qualifiées etcelles qui n’ont aucune qualification

ne pourront pas être remplacées. Toutes les autres fonctionspourront, d’une manière ou d’une autre, être exécutées pardes ordinateurs : des avocats aux journalistes, des comptablesaux notaires. Sous cet angle, on pourrait déduire que l’inno-vation et la technologie constituent une menace pour lasociété et la prospérité. En parcourant l’Histoire, vousdécouvrez où ce raisonnement s’effondre.Au 19e siècle, avant l’arrivée du tracteur et autres machinesagricoles, la moitié de la population belge environ travaillaitdans l’agriculture. La mécanisation a entraîné une augmentationspectaculaire de la productivité, et donc réduit le nombre depersonnes nécessaires pour effectuer le même travail. Au-jourd’hui, à peine 3 % de la population belge travaille encoredans l’agriculture – une perte de millions d’emplois parrapport au 19e siècle. Mais personne ou presque ne considèrecette destruction d’emplois comme une perte. Au contraire,l’industrialisation a permis et entraîné la création d’emplois àplus forte valeur ajoutée. En d’autres termes, l’innovationdans l’agriculture a certes coûté des millions d’emploisagricoles, mais elle a engendré la création de millions d’autresemplois et nous a tous rendus plus prospères.Prenez la photocopieuse. Son apparition a mis de nombreusesdactylos au chômage, car elles n’étaient plus indispensablespour recopier des lettres et des documents. Le moteur àcombustion a rendu les chevaux de trait superflus et s’estavéré source de pertes d’emplois chez les maréchaux-ferrants et les fabricants de selles. Les exemples sont in-nombrables. Bien que les innovations aient déstabilisécertains secteurs, elles ont également créé de nouvelleschances, des opportunités d’emploi et des manières neuvesde créer de la prospérité au sein de la société.L’innovation procède par à-coups et se heurte souvent à larésistance sociale. Ce n’est qu’en regardant dans le rétroviseurde l’Histoire que l’on peut prendre conscience du progrèsqu’elle a apporté. La déstabilisation de certains secteurs esttemporaire. L’augmentation de la prospérité pour l’ensemblede la société est permanente.

Peter De KeyzerChief Economist - BNP Paribas Fortis

Innovation : menace ou

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MonastèresAu Moyen-Âge, les monastères sont devenus descentres importants de culture et de sciences. Lesmoines étaient les premiers à apprendre à lire et àécrire. En voyageant, ils diffusaient leursconnaissances. Les écoles cathédrales ont ensuitecomposé les premières universités. Les monastèresont également introduit de nouvelles techniquesagricoles comme le changement de culture tous lestrois ans (l’assolement triennal), la production defromages et de la viande fumée.

Poudre à canonAvec l’imprimerie, le papier et la boussole, la poudre à canon figure dans le célèbre quatuor d’innovationsapporté par l’Empire de Chine. Quatre siècles aprèsson invention en Extrême-Orient, le mélange explosifarrive en Europe avec les conquêtes mongoles. Il vaprofondément modifier l’art de la guerre dans le mondeentier.

Électricité Benjamin Franklin découvre l’électricité. Ce scientifique,homme politique et écrivain est le Léonard de Vinci deson époque. Il prouve que l’éclair est une forme naturelled’électricité en faisant voler un cerf-volant équipé d’uncâble métallique pendant un orage. Sans sa découverte,notre société actuelle n'aurait probablement pas levisage que nous lui connaissons.

Organisation du travailDans son chef-d’œuvre La Richesse des nations,l’économiste Adam Smith explique les avantages dela spécialisation associée à la coopération dansl’intérêt propre de chacun. Un homme seul ne peutfabriquer qu’une épingle par jour. Mais un groupe depersonnes au sein duquel chacun se spécialise dansune seule tâche permet de multiplier la productivitépar un facteur 10.000.

1752

1776

9e siècle

6e siècle

Saviez-vousque…… Charles Duell, qui dirigeait le Bureauaméricain des brevets en 1899, n’a jamais dit : « Tout a déjà été inventé, nous ferions mieuxd’arrêter » ? Au contraire, il a affirmé : « Selon moi, toutes les inventionsd’aujourd’hui sembleront totalementinsignifiantes lorsqu’elles seront comparées auxdécouvertes qui verront le jour au 20e siècle. »

… bien que le premier avion ait pris son envolen 1903, la construction aéronautique n’aréellement décollé que 11 ans plus tard, lorsquel’on s’est aperçu que ces caisses à savonvolantes pouvaient être utiles à la guerre ?

... Albert Einstein avait tort lorsqu’il a affirméque « ceux qui n’ont pas apporté decontribution importante à la science avant trenteans ne le feront plus jamais » ? Selon unerécente étude, la cinquantaine est la période laplus féconde. Steve Jobs, par exemple, a certesfondé Apple Computer à 21 ans à peine, mais iln’a connu sa période la plus innovante qu’aprèsavoir passé le cap des 50 ans.

… le graphène était surnommé le « plastiquedu 21e siècle » ? Découvert en 2004, cematériau miracle 100 fois plus solide que l’acier,plus rigide que le diamant et meilleurconducteur que le cuivre, n’a qu’un atomed’épaisseur. Les applications concrètes du graphène n’ensont cependant qu’à leurs balbutiements.

... la NASA avait développé, pour ses projetsspatiaux, de nombreux produits innovants qui sesont également avérés très utiles sur Terre ?Pensez aux panneaux solaires, à la navigation parsatellite, à la mousse à mémoire de forme, autéflon, aux lentilles résistantes aux griffes, etc.

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opportunité ?

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PiluleLe 9 mai, ironiquement le jour de la fête des Mères auxÉtats-Unis, on annonçait que l’Enovid était sûre etpouvait donc être commercialisée. Selon John Rock, ungynécologue qui a participé à sa conception, la pilulecontraceptive permettrait d’éviter une catastrophe : « Cequi menace le plus la paix mondiale et le mode de vieconvenable n’est pas l’énergie atomique, mais l’énergiesexuelle. »

PénicillineParfois, la chance joue un rôle énorme dans l’innovation.Ainsi le scientifique écossais Alexander Fleming a-t-ildécouvert le premier antibiotique par hasard dans uneboîte de Petri alors qu’il rangeait son laboratoire. Ilconstate en effet qu’une souche de champignonssecrétait une substance qui tue les bactéries. Lapénicilline n’est devenue un véritable médicament qu’en1942, et a depuis sauvé au moins 200 millions de vies.

BakéliteLe Gantois Leo Baekeland fait breveter la bakélite auxÉtats-Unis, le premier plastique entièrement synthétique.La bakélite est un matériau résistant à la chaleur, isolantélectrique et résistant aux produits chimiques. L’expirati-on du brevet en 1927 permet la production de masse denombreux produits, des interrupteurs aux téléphones enpassant par les sèche-cheveux.

Ordinateur quantiqueD-Wave présente le premier superordinateur qui, selon lecomité Nobel, « pourrait apporter à notre vie quotidienneun changement aussi radical que l’ordinateur classiqueau siècle dernier ». Dans un ordinateur classique,chaque « bit » peut être 1 ou 0 ; dans un ordinateurquantique, chaque « qubit » peut être les deux au mêmemoment. Les ordinateurs quantiques n’effectuent doncpas une opération après l’autre, mais toutes lesopérations simultanément. Ils pourraient ainsi ouvrir unenouvelle ère pour les Big Data.

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Dans un monde qui évolue aussi vite,l’innovation n’est rien de moins quele principal moteur de la croissanceéconomique. Pour autant, l’innovation

ne se nourrit pas d’elle-même, même si notrepays est un sol fertile en la matière. Les entre-prises, l’État et la société doivent contribuer àla création d’un environnement qui favorisel’innovation. Il faut surtout développer uneculture profonde de l’idée que tout est possibleet que l’erreur est humaine. C’est la conclusiond’un débat animé entre sept experts d’horizonstrès différents : Luc de Brabandere (BostonConsulting Group), Thierry Geerts (Country Di-rector de Google), Tom Heyman (CEO deJanssen Pharmaceutica), Max Jadot (CEO deBNP Paribas Fortis), Veerle Lories (administra-trice générale de l’IWT), Jean-Pierre Marcelle(directeur général de la Wallonia Foreign Tradeand Investment Agency) et José Zurstrassen(président de MyMicroInvest).

Dans notre monde globalisé et numérisé, unrôle-clé est réservé aux sociétés innovantes.Comment les entreprises peuvent-elles seréinventer ? Et où se situent les opportunitéspour l’avenir ? Sept spécialistes ont confrontéleurs réflexions.

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«Nous sommes à l’aube d’une ère fantastique»

Veerle Lories, IWTMax Jadot, BNP Paribas Fortis José Zurstrassen, MyMicroInvest

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Tout d’abord, comment pourrait-on définir l’innovation ?Veerle Lories : « L’innovation est nécessaire pour créer de lavaleur ajoutée, à la fois dans le domaine économique et dans ledomaine social au sens large. Elle peut prendre la forme du dé-veloppement de nouveaux produits et services, du déploiementde modèles d’affaires originaux, de l’application d’une organisationdu travail novatrice. L’innovation dépasse donc le simple aspecttechnologique. Malheureusement, le terme y est trop souventlimité. »

Luc de Brabandere : « Il est pourtant parfaitement possible dedissocier l’innovation et la technologie. Si Earl Tupper a fait deTupperware un tel succès, ce n’est pas en développant unnouveau type de plastique mais en appliquant une stratégiemarketing novatrice et en créant un nouveau canal de distribution.En fin de compte, l’innovation est la capacité d’une entreprise àchanger les choses. Toutefois, il ne suffit pas de mettre une idéesur la table ou d’imaginer un nouveau produit. Les ingénieursde Kodak ont été à l’origine d’une foule d’innovations dans laphotographie. Cela n’a pas empêché l’entreprise de faire faillite.Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont jamais parvenus à rompre avecleur modèle de pensée initial. Fondamentalement, ils ont toujourscontinué à considérer Kodak comme une entreprise chimiqueet ont ainsi laissé passer de nombreuses opportunités. »

Quelle est l’importance de l’innovation dans notre économie ?Jean-Pierre Marcelle : « Pour notre pays, l’innovation est unecondition de base pour rester en tête du peloton économique,conquérir de nouveaux marchés et développer un avantageconcurrentiel. L’innovation dynamise une économie. Non seule-ment par la plus-value et l’emploi qu’elle crée, mais aussi par leséconomies qu’elle permet de réaliser. C’est une évolution dontprofite l’ensemble de la société. Des développements technolo-giques permettront bientôt aux patients de mieux suivre leurétat de santé, et donc aux médecins de dépister les maladies àun stade beaucoup plus précoce. Cette innovation pourrait re-présenter d’énormes économies pour un système de soins desanté que nous éprouvons de plus en plus de difficultés àfinancer. »

Tom Heyman : « L’importance de l’innovation dépasse lesaspects économiques. Une combinaison de nouveaux médica-ments, d’une alimentation plus saine et de meilleurs diagnosticsnous a permis d’allonger notre espérance de vie de 35 ans en àpeine un demi-siècle. Aujourd’hui, une petite pilule par jour suffitpour maintenir une maladie comme le sida sous contrôle, et noussommes capables de guérir l’hépatite C. C’était impensable il y a10 ans. Cela aussi est la conséquence de l’innovation. »

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NOUS DEVONS ÉVOLUER VERS UNECULTURE OÙ IL EST POSSIBLE DESE PERDRE DANS LE BROUILLARD.

José Zurstrassen, MyMicroInvest

Luc de Brabandere, Boston Consulting GroupJean-Pierre Marcelle, Wallonia Foreign

Trade and Investment AgencyTom Heyman, Janssen Pharmaceutica

Thierry Geerts, Google

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Max Jadot : « De ce fait, l’innovation présentesurtout une opportunité très élevée. Ne pasinnover entraînera à terme un recul très rapidede notre prospérité et de notre bien-être. C’estprécisément pour cela que notre société doitêtre ouverte au changement dans toutes sesarticulations – secteur privé, État, enseigne-ment, etc. »

De quoi notre pays a-t-il besoin pourstimuler encore plus cette volonté d’innover ?Thierry Geerts : « Nous devons être plus ouvertsà l’idée qu’il est possible de réaliser de grandeschoses dans notre petit pays. En 1958, nousétions convaincus que nous améliorerions lemonde à partir de la Belgique, et cette mentalitéa été la base du succès d’une entreprise commeJanssen Pharmaceutica. Comme aujourd’hui,le monde changeait très rapidement sous l’effetde l’arrivée de la télévision et du développementde l’électronique. Malheureusement, nos réac-tions actuelles aux innovations technologiquesliées à la connectivité et à la numérisation sontbeaucoup plus conservatrices. Le problèmen’est pas que de nombreux CEO belges n’ontpas conscience de l’opportunité de la numéri-sation, mais qu’ils sont souvent incapables demener à bien cette transformation. C’est unmismatch auquel il est urgent de remédier. »

José Zurstrassen : « Notre pays est pourtantun sol fertile en innovations. Non seulement denombreuses spin-offs à succès ont été crééesautour de nos universités, mais nos organismespublics se montrent également très ouverts

TRÈS PEU D’INNOVATIONS SONTNÉES À L’INITIATIVEDE L’ÉTAT.

Thierry Geerts, Google

aux idées innovantes. Lorsque les autorités belges ont donnéle feu vert à MyMicroInvest – une plateforme d’entreprisespermettant de collecter l’épargne d’un très large public parcrowdfunding – nous nous sommes entendu répondre auLuxembourg que le projet était trop innovant et qu’il étaitrefusé. Cela en dit long sur l’esprit d’innovation dans les deuxpays. Aujourd’hui, la question est surtout de savoir si nouspouvons encore accroître la culture de l’innovation dans nosfrontières. Les près de 260 milliards d’euros parqués sur noscomptes d’épargne peuvent certainement y contribuer. Si unetrès petite partie de ce montant était investie dans des start-ups, cela donnerait un énorme coup de fouet à la culture del’innovation en Belgique. »

Ne faudrait-il pas encourager davantage l’entrepreneuriat,comme c’est le cas aux États-Unis ?Tom Heyman : « En Europe, nous devons adopter la mentalitéaméricaine selon laquelle il est aussi louable de réussir qued’échouer. Chez nous, ceux qui réussissent sont encore tropsouvent jalousés. Et ceux qui échouent suscitent le mépris.Cette culture européenne très négative est à l’origine dudépart de nombreux jeunes vers la Silicon Valley. Il y estbeaucoup plus aisé de décrocher un financement pour unprojet, parce que les sociétés de capital-risque ont une plusgrande tolérance à l’échec. Plus encore, elles sont particulièrementbienveillantes vis-à-vis de ceux qui ont déjà échoué, parce quecela signifie qu’ils ont également commis des erreurs dont ilsont pu tirer des enseignements. »

José Zurstrassen : « La stigmatisation de l’échec demeure ungigantesque problème. Le chemin à parcourir est encore long.Nous devons évoluer vers une culture où il est possible d’essayer

Luc de Brabandere, Boston Consulting Group

José Zurstrassen, MyMicroInvest

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surtout se limiter à optimiser le cadre qui entourel’innovation, par exemple en favorisant fiscale-ment la recherche ou le capital-risque. L’Étatne doit pas perdre son temps à travailler pendantdes années à des plans fourre-tout sur l’innova-tion. De toute manière, ils seront vite dépassés,parce que l’évolution numérique se développeà un rythme extrêmement rapide. »

Veerle Lories : « Il est évident que les entreprisesjouent un rôle central dans le développementdes innovations. Elles disposent à la fois desconnaissances et du savoir-faire en ce sens.L’État peut cependant être un catalyseur, créerl’environnement adéquat pour ces entreprises.En commençant par inciter les jeunes à opterpour une formation scientifique et l’entrepre-neuriat. L’État remplit également un rôle importantdans l’aide aux jeunes entreprises. Dans unepremière phase, celles-ci ont souvent besoin desubsides qui peuvent créer un effet de levier etleur permettre d’attirer plus aisément du capi-tal-risque dans une phase ultérieure. L’État adonc certainement sa place dans le débat surl’innovation. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquerles nombreux programmes de soutien au secteurdes biotechnologies dans les années 80, dontnous récoltons toujours les fruits aujourd’hui. »

Jean-Pierre Marcelle : « Les grandes entreprisespeuvent souvent se reposer sur un écosystèmedans lequel il est beaucoup plus facile d’innover.Ceci dit, notre pays compte également de trèsnombreuses petites entreprises qui ont desidées extrêmement novatrices, mais pas lecapital pour pouvoir les élaborer. C’est pourquoiil est vraiment crucial que les petites entreprisespuissent compter sur l’aide du secteur public.Ce dernier doit également identifier les ten-dances et les innovations qui recèlent un ca-ractère durable. »

Que doivent faire les entreprises pour créerun environnement optimal pour l’innovation ?Luc de Brabandere : « Les entreprises doiventsurtout avoir conscience qu’aucune idée n’estbonne et utile dès le départ. Mais cela exige unbouleversement culturel. Cela signifie que laculture du “oui, mais” doit laisser la place à uneculture du “oui, et”. La première se concentreuniquement sur les obstacles auxquels seheurte l’idée, alors que la seconde tente préci-sément de réaliser l’impossible. C’est vraimentcrucial, car la véritable innovation nécessited’abandonner les anciens systèmes de pensée.Il n’y aurait jamais eu de lampes à incandes-cence si Thomas Edison n’avait pas eu l’idéefolle de développer une forme d’éclairage sans

de nombreuses choses et de se perdre à l’occasion dans lebrouillard. C’est un moteur incroyablement puissant pour l’in-novation. Heureusement, la jeune génération évolue peu à peudans cette direction. »

Tom Heyman : « C’est vrai, mais le cadre réglementaire doitencore soutenir cette évolution. Chez nous, un échec esttoujours sanctionné par une législation sur les faillites particu-lièrement rigide. Aux États-Unis, il en va tout autrement. Etcela ne contribue naturellement pas, ici, à un climat ouvert àl’expérience de l’échec ni à la promotion de l’innovation. »

De nombreuses entreprises essaient de protéger leurs inno-vations par des brevets. N’est-ce pas un frein à l’innovation ?Tom Heyman : « La commercialisation d’un nouveau médicamentcoûte 2,6 milliards de dollars. Sans brevet ou autre forme d’ex-clusivité, aucune entreprise pharmaceutique ne pourrait encoredévelopper des médicaments, parce que les coûts sont tout sim-plement trop élevés. Il faut avoir suffisamment de temps pourrentabiliser le nouveau médicament afin de pouvoir réinvestirdans de nouveaux développements. L’industrie pharmaceutiquea besoin d’oxygène pour amortir ses investissements. »

José Zurstrassen : « La situation est quand même un peu pluscompliquée pour les petites entreprises. Les brevets sont néspendant la révolution industrielle afin de protéger les inven tionsde jeunes ingénieurs contre des entreprises beaucoup plusgrandes, et surtout beaucoup plus riches. Entre-temps, ils sontdevenus un système extrêmement complexe et coûteux, dontseules les grandes entreprises ou presque peuvent bénéficier.La demande de brevet compte parmi les priorités d’un grandnombre de jeunes entrepreneurs… jusqu’à ce qu’ils se rendentcompte du prix que cela coûte. Ils préfèrent alors différer lademande jusqu’à ce qu’ils aient engrangé leurs premiers béné-fices. Mais c’est souvent trop tard. C’est pourquoi nous devonsà nouveau réformer le système afin qu’il protège mieux lespetits inventeurs. Et qu’il facilite ainsi à nouveau l’innovation. »

Que peut faire l’État pour stimuler l’innovation ?Thierry Geerts : « Très peu d’innovations sont nées à l’initiativede l’État. Ce sont les entreprises qui doivent innover, alors quel’État doit d’abord leur laisser la voie libre – afin que lesentreprises aient le temps et la possibilité d’innover. L’État doit

Thierry Geerts, Google

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processus de combustion. Pourtant, c’était l’hy-pothèse de travail classique depuis des milliersd’années. Et c’est vraiment le point central : créerquelque chose de neuf en quittant totalement leregard habituel que l’on a sur les choses. »

Max Jadot : « Pour cela, l’entreprise doit surtoutfaire appel aux jeunes générations, par définitionplus créatives et innovantes. Bien entendu, la di-rection de l’entreprise doit faire office de loco-motive et souligner sans cesse l’importance del’innovation. Toutefois, les jeunes sont familiersdes évolutions technologiques les plus récentes,et ils ont reçu la formation adéquate. C’est unecombinaison très puissante qu’une entreprisene peut ignorer. Ensuite, les organisations ontbesoin de plateformes d’innovation pour avoirune vue sur tous les projets novateurs, et d’unInnovation Manager qui veille à créer une nouvelledynamique. En outre, l’entreprise doit être ouverteà ce qui se passe à l’extérieur, en développantun écosystème centré sur l’innovation. »

Thierry Geerts : « L’innovation traverse toutel’organisation. Il ne suffit pas de développer undépartement Innovation, car chaque collaborateurdoit être encouragé à se montrer innovant per-sonnellement. Pour cela, il faut un CEO inspirant,qui crée un climat où tout est possible et où lestravailleurs ont la possibilité de commettre deserreurs. Il faut également encourager les jeunescollaborateurs en leur soumettant des projetsstimulants. Personne n’est enthousiaste à l’idéede réduire la consommation de papier de 10 %.C’est ennuyeux et cela engendre des idées sansinspiration. Mais demandez de ramener la consommation de papier à zéro, et vous donnerezdes ailes à des collaborateurs passionnés quiimagineront automatiquement des idées nova-trices pour atteindre cet objectif ambitieux. Detoute façon, il est plus facile de réinventer tota-lement quelque chose que de chercher à l’améliorer. »

Enfin, quelles sont les innovations qui aurontle plus lourd impact sur votre secteur au coursdes années à venir ?Tom Heyman : « Dans un futur proche, une en-

treprise pharmaceutique ne pourra plus se contenter de dé-velopper des médicaments innovants. Nous devrons fournirdes solutions thérapeutiques totales, dont le médicament nesera qu’une composante. L’accent est de plus en plus placésur la prévention et le suivi proactif de la santé, un domainedans lequel nous collaborons avec des entreprises technolo-giques extérieures au secteur pharmaceutique traditionnel.Car il existe de nombreuses applications qui permettent aupatient de mesurer lui-même divers paramètres de sa santé.Nous nous rapprochons ainsi un peu plus encore des médi-caments personnalisés. »

Max Jadot : « L’arrivée de nouveaux acteurs extérieurs ausecteur met les activités traditionnelles des banques souspression. Le crowdfunding est un phénomène relativementrécent qui peut constituer une possibilité de financementpour les entreprises à un stade très précoce. Il a inévitablementun impact sur le modèle bancaire traditionnel qui consiste àattirer les dépôts d’épargne pour les convertir en crédits.Dans le flux de paiements et le transport de fonds, lesbanques sont confrontées à l’arrivée d’applications mobileset de monnaies virtuelles. Si nous n’y prenons garde, nousn’aurons plus besoin de banques à terme. Dans la nouvelleréalité, nous devons réinventer notre place. Et ce, en déve -loppant des idées novatrices pour tous les domaines où lesbanques sont actives. »

Thierry Geerts : « Nous n’avons encore découvert qu’unefraction des possibilités de l’internet, alors que le développe-ment mobile provoque déjà une deuxième vague d’innovations.Nous ne sommes cependant qu’au début d’une nouvelle èrequi va vraiment changer notre monde. Comparez cela àl’arrivée de l’électricité, responsable d’une deuxième révolutionindustrielle à la fin du 19e siècle. Comme à l’époque, tout està réinventer. C’est donc une période fantastique qui nousattend. »

L’ARRIVÉE DE NOUVEAUXACTEURS MET LES ACTIVITÉSTRADITIONNELLES DES BANQUESSOUS PRESSION.

Max Jadot, BNP Paribas Fortis

Max Jadot, BNP Paribas Fortis

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LES ENTREPRISES DOIVENT AVOIR CONSCIENCEQU’AUCUNE IDÉE N’EST UTILEDÈS LE DÉPART. Luc de Brabandere, Boston Consulting Group

NEST’UP, NID D’INNOVATION WALLON« Nest’Up est le seul accélérateur de start-ups gra-tuit au monde, assure Olivier Verbeke, l’un de ses‘organisateurs’. Nous ne demandons pas d’argentaux entrepreneurs et ne prenons pas de parts aucapital des sociétés. » Nest’Up, qui vient d’emmé-nager dans 3 000 m² à Mont-Saint-Guibert, propo-se trois mois d’accompagnement intensif aux start-ups sélectionnées (six à neuf équipes à chaquesession). L’accélérateur en est à sa cinquième édi-tion.

« Pour être sélectionné, il faut être prêt à toutrecommencer à zéro, reprend Olivier Verbeke.C’est l’un des secrets de l’innovation réussie : sortir de sa zone de confort, en utilisant toutes lesressources de notre ‘trousse à outils’, notammentles principes du Business model Canvas et lesméthodes Agile et Lean Startup. On accompagneles équipes sur le terrain pour tester et valider leshypothèses les plus risquées, avant d’imaginer lesmeilleures solutions. » Aujourd’hui, 19 des 24 start-ups accompagnées au fil des deux ans etdemi écoulés sont encore en activité, une centained’emplois ont été créés, 4 millions d’euros levés.

Nest’Up a lancé un cercle vertueux, s’enthousias-me Oliver Verbeke : « L’investissement public dedépart a permis la création d’un fonds d’amorçageprivé – ces 30 000 à 100 000 euros qui manquentsi cruellement avant de réaliser la première levéede fonds. Et de grands entreprises nous contac-tent pour développer des accélérateurs internes. »Le serial entrepreneur salue le rôle déterminant duprogramme-cadre public Creative Wallonia et del’Agence pour l’entreprise et l’innovation (AEI).

Tom Heyman, Janssen Pharmaceutica

Jean-Pierre Marcelle, Wallonia Foreign Trade and Investment Agency

Veerle Lories, IWT

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Et vous, comment innovez-vous?

Quelle est l’importance de l’innovationpour Take Eat Easy ?Adrien Roose : « Cruciale, car seules les avancéestechnologiques liées aux smartphones ont rendunotre business viable. Take Eat Easy est néed’une envie de faire mieux que ce qui existaitalors : des sites recensant les restaurants qui as-suraient eux-mêmes la livraison. Nos clients ontaccès à de bien meilleurs plats ! »

Comment élaborez-vous votre stratégieet votre politique d’innovation ?Adrien Roose : « Nous sommes quatre associésaux compétences complémentaires, tout aété construit en interne. Le moteur de re-cherche et le système gérant les commandesen ligne ont été rapidement conçus. Le pluscomplexe – nous nous en sommes renducompte plus tard – était la livraison, et no-tamment la gestion des coursiers à vélo. »

Comment se déroule l’application concrèted’une technologie innovante ?Adrien Roose : « Nous sommes au début denotre histoire. Nous assurons des centainesde livraisons chaque jour à Bruxelles et Paris :nous visons plusieurs milliers. Cela impliqued’adapter nos technologies au facteur humain

et d’innover au quotidien. Par exemple, opti-miser les tournées de livraisons en fonctiondes localisations de nos coursiers entre deuxcourses. »

Comment stimuler l’innovation ?Adrien Roose : « Nous devons faire comprendreaux Belges que c’est "OK" d’échouer ! L’inno-vation est étroitement liée à la prise de risques.Nous avons travaillé sur plusieurs projetsgourmands en temps et en énergie… pourrien, car ils n’apportaient finalement pas devraie valeur. Nous les avons laissés tomber.L’échec est un facteur d’expérience, qu’il fautabsolument dédramatiser ! »

Attendez-vous aussi quelque chose devotre banque ?Adrien Roose : « En tant que start-up, nousavons surtout des relations avec elle enmatière de flux financiers. »

« L’innovation est liée à la prise de risque »Loin de chercher le ‘risque zéro’, des start-ups comme TakeEat Easy (une plateforme qui permet de commander des plats,cuisinés par des restaurants à proximité) innovent… et acceptent de se tromper, lance Adrien Roose, son CEO.

Trois top managers parlent de l’innovation et de seseffets sur leur entreprise, leur secteur et leur avenir.

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« Chercher des alternatives à des produits populaires »Airopack développe des diffuseurs innovants à base d’air. « Une bonne idée seule ne suffit pas », selon Erwin Boes, Commercial Technology Director.

« Chaque idée doit être encouragée »« Nous innovons en continu pour répondre à l’évolution des conditions de marché », résume Hans Huyghe,Development Manager de Verstraete IML in mould labels (étiquetage et emballage dans un moule)».

de l'air, en réponse, en réponse aux aérosolstraditionnels qui utilisent des gaz. »

Comment stimuler l’innovation ? Erwin Boes : « En observant les entreprises àsuccès qui occupent une position de monopole,et en imaginant des alternatives à leurs produits.Ou en combinant plusieurs techniques ou mar-chés. C’est aussi un défi créatif consistant àadapter une version d’un produit à des cultures,des habitudes ou des religions spécifiques. »

Attendez-vous également quelque chosede votre banque ? Erwin Boes : « Pour des projets de grande am-pleur, des financements et des bailleurs defonds supplémentaires sont sans doute néces-saires. Mais jusqu’à présent, nous sommes tou-jours parvenus à financer nos processus inno-vants par nous-mêmes. »

Quelle est l’importance de l’innovation pour Airopack ?Erwin Boes : « Quelle que soit la situation de l’entreprise,nous restons fidèles à la devise “Innovate or die”. Quandtout va bien, il y a assez de ressources à investir dans denouvelles technologies. Et quand les résultats sont décevants,il est d’autant plus indispensable d’innover. »

Comment élaborez-vous votre stratégie et votrepolitique d’innovation ?Erwin Boes : « Une bonne idée seule ne suffit pas. Les in-novations à succès reposent aussi sur la passion, les bonnespersonnes, un leadership visionnaire et la volonté d’investir.Un sage m’a dit un jour : “Jusqu’à la mise en production,l’innovation n’est qu’un loisir très onéreux”. »

Comment se passe l’application concrète de la tech-nologie innovante ? Erwin Boes : « Nous commençons par identifier des problè-mes, pour les transformer ensuite en “poil à gratter”. C’estainsi que nous avons développé nos diffuseurs qui utilisent

Quelle est l’importance de l’innovationpour Verstraete IML ?Hans Huyghe : « Nous sommes leadermondial sur le marché de l’étiquetage(préimprimée en polypropylène) dansl’industrie de l’emballage. C’est le résultatde longues années de recherches etd’optimisations. Pourtant, il reste desparts de marché à gagner si nous conti-nuons à innover. En outre, nous devonsêtre attentifs aux innovations “disruptives”radicales et inattendues. »

Comment élaborez-vous votre stra-tégie et votre politique d’innovation ? Hans Huyghe : « L’innovation en matièrede produits, de processus et d’organisa-tion relève de la responsabilité de notreéquipe de direction. Chaque idée est

évaluée selon sa faisabilité technique,son marché potentiel, son retour sur in-vestissement et son coût maximal. »

Comment se déroule l’applicationconcrète d’une technologie innovante ? Hans Huyghe : « En matière d’innovationproduits, nous répondons en continu à l’évo-lution des conditions de marché. C’est lecas de notre étiquette recto-verso qui accroîtl’espace disponible pour le marketing auverso, car les informations légales obligatoiresoccupent de plus en plus de place. En ache-tant une machine adaptée – c’est le processusd'innovation – nous pouvons imprimer cesétiquettes recto-verso. »

Comment stimuler l’innovation ?Hans Huyghe : « Chaque idée est une bonne

idée, nous encourageons donc tout le mondeà introduire des propositions. Ceux qui lefont reçoivent un feed-back détaillé sur laraison pour laquelle leur idée a été retenueou non. Tous les succès innovants sont com-muniqués à nos collaborateurs, par le biaisd’échantillons et de lettres d’information. »

Attendez-vous aussi quelque chosede votre banque ?Hans Huyghe : « Peut-être les banques pour-raient-elles donner des conseils plus précissur la protection de la propriété intellectuelle.En outre, réunir des personnes issues de dif-férents secteurs peut contribuer à l’innovation.Et les banques peuvent constituer un cata-lyseur idéal dans ce domaine. »

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« Les ordinateurssont des prothèsespour nos cerveaux »

Il ne faut pas avoir peur des nouvelles technologies mais lesintégrer à notre organisme, affirme la chercheuse belge PattieMaes. « La technologie peut améliorer à la fois nos sens etnotre corps. »

Pattie Maes,chercheuse au MIT Media Lab

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Après son doctorat en informatique à laVUB, Pattie Maes a eu l’occasion detravailler au Massachusetts Institute ofTechnology, une opportunité qu’elle a

saisie des deux mains. Il y a 20 ans, les États-Unisétaient la Mecque de l’innovation, explique la cher-cheuse belge du MIT Media Lab. « En Belgique,nous avions deux ans de retard sur ce qui sepassait aux États-Unis. La conséquence des délaisde publication des revues professionnelles. »« Aujourd’hui, tout est accessible en temps réelou presque, que vous soyez étudiant en Indeou chercheur en Belgique », remarque-t-elle,louant ainsi la démocratisation du savoir apportéepar l’internet. « Cette accessibilité facilite la re-cherche et l’innovation. Et avec les imprimantes3D, on construit rapidement un prototype. »Pattie Maes cite l’exemple de Quirky, une start-up new-yorkaise qui permet à chacun de pro-poser un nouveau produit. « Les membresélisent ensemble les meilleures idées en ligne,après quoi un prototype est construit en vuede sa commercialisation. Ce sont de grandspartenaires comme General Electric qui assurentla mise en rayon. L’inventeur perçoit un pour-centage sur les ventes. »Bien qu’elles n’aient plus le monopole de la re-cherche et développement, les interactions restent nombreuses entre des universités etde grandes entreprises aux poches bien garnies.Un bon exemple est celui de Sixth Sense, unpetit appareil portable développé par le MIT etqui permet à l’utilisateur de commander cer-taines tâches par des gestes de la main. Il suffitainsi de former un triangle avec les pouces etles index pour prendre une photo. De dessinerun cercle sur le poignet pour faire apparaîtreune montre. De regarder un produit au super-marché pour découvrir des informations sup-plémentaires sur l’emballage.Les possibilités sont presque infinies. La standingovation reçue par Pattie Maes en 2009, auterme de la présentation de Sixth Sense lorsd’une conférence TED, s’explique d’autant mieux.La séquence a été visionnée plus de 1,3 millionde fois sur YouTube. Mais qu’en est-il six ansplus tard ? Pourquoi n’avons-nous toujours pasde version commerciale de ce prototype autourdu cou ? « Une version commerciale, pratique,n’est pas toujours réalisable », reconnaît Pattie

Maes. « Il faut facilement 10 ans pour qu’un prototype fonctionneldébouche sur un produit commercial utilisable. »Pranav Mistry, le chercheur qui a élaboré Sixth Sense à l’époque,travaille aujourd’hui chez Samsung. Une bonne chose, selonPattie Maes. « Nos possibilités sont limitées au MIT. L’essentielde notre travail consiste à développer de nouvelles idées et àconstruire des prototypes. Ces recherches sont en grandepartie financées par de grandes entreprises, il n’est donc pasétrange qu’elles les utilisent comme base pour tenter de dé-velopper des applications commerciales. »N’est-elle pas déçue de ne pas pouvoir finir elle-même letravail ? « Non, pas du tout. C’est surtout la phase initiale quime plaît. Imaginer un nouveau concept et construire unprototype qui ne tient pour ainsi dire que par quelques boutsde ruban adhésif… Ce n’est que 5 % du travail total, mais c’estla partie la plus intéressante. Les 95 % restants portent sur desaspects plus théoriques comme une consommation d’énergieplus optimale ou une baisse du prix de revient. Des sujets quim’interpellent beaucoup moins. »Pattie Maes a entre-temps ajouté une liste impressionnanted’innovations à son palmarès. Elle est ainsi à l’origine d’unefoule de start-ups. N’a-t-elle jamais eu envie d’abandonnerl’université pour devenir chef d’entreprise ? De vivre son rêveaméricain ? « Ces start-ups passent beaucoup de temps et dé-ploient beaucoup d’efforts pour attirer du talent et développerle logiciel adéquat. Je préfère me consacrer à la recherche. Entant que chercheuse, je suis régulièrement à la base du brevet,je perçois donc des droits de propriété intellectuelle. »

Deux univers« La façon dont nous gérons nos informations et applicationsnumériques jusqu’à présent n’est pas la meilleure manièred’intégrer la technologie dans nos vies », constate Pattie Maes.

NOUS, HUMAINS,SOMMES EN TRAIN DE FUSIONNER AVEC LES MACHINES. NOUS RESSEMBLONS DE PLUS EN PLUS À DES CYBORGS.

Pattie Maes, chercheuse au MIT Media Lab

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« Nous nous penchons sur de petits écrans quenous commandons avec deux doigts. Nous per-dons alors tout contact avec notre environnement.Au MIT, nous réfléchissons aux possibilités deplacer simultanément les utilisateurs dans l’universphysique et l’univers numérique. »C’est le principal défi, selon elle. « Nos appareilsactuels sont assez bêtes. Ils n’essaient pas de prévoirce qui est utile ou intéressant pour nous. Dans unmagasin, ne serait-il pas pratique d’avoir un appareilqui sache qui vous êtes et ce qui importe à vosyeux, et sélectionne le produit le plus adapté surcette base ? Voire qui apprend à partir de votrecomportement ou de vos préférences ? »Le risque n’existe-t-il pas de galvauder notrevie privée si nous continuons à divulguer deplus en plus d’informations ? « Une technologieconçue avec de bonnes intentions peut toujoursêtre détournée », reconnaît Pattie Maes. « C’estpourquoi j’incite toujours mes étudiants à nepas se contenter du quoi ou du comment, maisaussi à s’interroger sur le pourquoi. »« Si les ordinateurs prennent le contrôle, nousne le récupérerons peut-être jamais », déclaraitMarvin Minsky, le père de l’intelligence artificielle,en 1970. « Nous ne survivrions que par leurgrâce. Avec beaucoup de chance, ils nous gar-deront comme animaux domestiques. »Pattie Maes éclate de rire. « Je n’ai pas aussipeur des ordinateurs. À mes yeux, ce ne sontpas des objets étranges avec lesquels il fautgarder ses distances, mais des outils complexesqui nous permettent d’en faire plus. Des pro-thèses pour notre cerveau, en quelque sorte.Nous, humains, sommes en train de fusionneravec les machines. Nous ressemblons de plusen plus à des cyborgs. »C’est notamment le cas des exosquelettes grâceauxquels nous courons plus vite, sautons plushaut et portons des charges plus lourdes. Maisaussi des petits appareils qui renforcent ou complètent nos sens. Pattie Maes donne l’exempledu FingerReader, une innovation du MIT qui res-semble à une grosse bague. Une caméra intégréelit aux aveugles et aux malvoyants le texte qu’ilsparcourent du doigt. Il remplace donc en partiele sens dont la nature les a privé. L’innovationest aussi utile pour les dyslexiques, surtout lesenfants. Malgré une intelligence moyenne supé-rieure à leurs compagnons de classe « normaux»,ils accumulent souvent un gros retard scolaireen raison de leurs problèmes de lecture. Marvin Minsky a d’ailleurs fini par reconnaîtrel’apport positif de la technologie. Un quart desiècle après sa sombre prophétie, on lui a de-mandé si les robots hériteraient de la Terre : « Oui, mais comme nos enfants. » ||

DES REGARDS VISIONNAIRES SUR UNE RÉALITÉ EN DEVENIRDepuis 1999, la revue MIT Technology Review décerne chaqueannée le titre d’« Innovators under 35 » à de jeunes penseursqui contribuent à façonner notre avenir. Ils le font en dévelop-pant des technologies qui résolvent des problèmes dont souffrent parfois des millions de personnes.En Europe, le label existe déjà en France, en Espagne, en Italieet en Allemagne. Cette année, la Belgique et la Pologne s’ajou-teront à la liste. L’objectif est de créer un réseau européen dejeunes innovateurs. Dans ce cadre, la MIT Technology Reviewtravaille en collaboration avec BNP Paribas et L'Atelier BNPParibas. En Belgique, le partenaire est BNP Paribas Fortis.Les lauréats proviennent de différents domaines liés à l’innovation.Ils peuvent être inventeurs mais aussi entrepreneurs, esprits visionnaires et pionniers. Parmi eux figurent de grands innova-teurs comme Max Levchin, David Karp, Sergey Brin et LinusTorvalds. Si ces noms ne vous disent rien, vous connaissez sansdoute les entreprises qu’ils ont fondées : le service de paiementPayPal, le réseau de blogging Tumblr, le moteur de rechercheGoogle et le système d’exploitation Linux. Parmi les membres dece petit club sélect, on trouve aussi des universitaires célèbrescomme Konstantin Novoselov, qui a reçu le prix Nobel de physiqueen 2010 pour sa découverte du graphène, un matériau miracle.Tous ont un point commun : ils œuvrent à un monde en devenir,dont ils ont déjà le résultat devant les yeux.En Belgique, dix nominés ont été sélectionnés, parmi lesquelsseront élus deux lauréats : l’« Innovator of the Year » et le « Social Innovator ». Les deux vainqueurs seront présentés le 20 mai et repris dans la liste des 800 lauréats dans le monde.

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Les entreprises technologiques disposent d'un nouveauhub : Co.Station Brussels. Un espace « physique »,d'abord : près de 3.000 m2 au cœur de Bruxelles, placeSainte-Gudule. Pas moins de 2.200 m2 sont consacrés

à une aire de co-working modulable, dont un cinquième d'openspace flexible réservé aux starters. Le reste sera occupé pardes sociétés en phase de décollage (« scale-up »). Le ticketd'entrée est à 50 euros mensuels, offrant l'accès au workcafé,au restaurant, à l'amphithéâtre, ainsi qu’aux événements orga-nisés au sein de Co.Station.« Et comme il n'y a pas qu'en matière d'espace que les start-ups et les scale-ups ont des besoins distincts, notre offre estentièrement à la carte », lance Baudouin de Troostembergh,CEO de Co.Station. « Les entreprises y piochent en fonction deleurs besoins, déterminés par l'audit que nous les aidons àréaliser. » Parmi les déclinaisons possibles : un espace de travailpartagé, un bureau fermé ou ouvert. Les sociétés peuventpayer par personne ou par mètre carré. Toutes les charges sont

incluses : énergie, nettoyage, internet, salles deréunion, espace de brainstorming, etc.Au-delà de l’espace de bureau, les starters bénéficient également de son académie, Virtuology [email protected], se réjouit leCEO : « Des cours et du coaching pour les entre-prises – comment trouver des financements, dé-velopper sa force de vente, être efficace dans sacommunication et son marketing, maîtriser sonenvironnement juridique – dispensés par desexperts reconnus, avec qui nous créons des par-tenariats. Et aussi des formations pour les inves-tisseurs souhaitant devenir business angels. »« Je crois beaucoup à cette notion d'éco -système », enchaîne Oliviers Peeters, présidentdu CA de Co.Station, et qui se définit commeun 'intrapreneur' au sein de BNP Paribas Fortis(partenaire du projet). « Faire collaborer depetites sociétés, pragmatiques et agiles, avecde grandes entreprises riches d'implantationsinternationales et d'une base de clientèle con-sidérable, cela crée de la valeur ajoutée pourtout le monde. » La banque apporte égalementson expertise en matière de financement desentreprises, un atout précieux pour des firmesprometteuses en pleine croissance.À la fois espace de travail partagé, incubateur,accélérateur, académie et réseau, le concept adéjà fédéré une vingtaine d'entreprises, etquatre ou cinq demandes parviennent chaquesemaine à Co.Station. ||

Bien plus qu'un simple espace de co-working, Co.Station Brussels propose un véritable écosystème pour les entreprises de l'ère numérique. Un environnement oùelles sont soutenues, entourées, et ont accès à des expertsreconnus dans tous les domaines nécessaires à leur développement : financement, marketing et communication,coaching, aspects légaux,... Tour d'horizon.

Co.Station Brussels : l'« écosystème »des entreprises innovantes

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nombre d’occurrences d’un terme sur une pageWeb, les deux Américains ont imaginé un algorithmecapable de classer les pages internet selon leurpertinence. En quelques mois, les autres moteurssont balayés. Le nombre de recherches mensuelsatteint les 100 milliards en 2011, et le chiffre d’affairesfranchit pour la première fois le cap des 50 milliardsde dollars un an plus tard. Aujourd’hui, 30 milliardsde milliards de pages sont indexées par Google et3,3 milliards de requêtes sont effectuées chaquejour. « Pour les collaborateurs de Google, développerdes produits qui ont du succès dans le mondeentier est plus important que de gagner beaucoupd’argent », poursuit Thierry Geerts.

Tomber et se releverLa barre est placée très haut pour une entreprisecomme Google, dont on attend que chaque service

Si une entreprise ne vit que pour et par l’innovation, c’est bien Google. Lecélèbre moteur de recherche entretient son pouvoir créatif grâce à uneorganisation originale. Thierry Geerts, Country Director de Google Belgique,lève un coin du voile de cette usine à idées.

Le secret de Google

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«Pourrait-on se parler via Google Hangouts ? »

La question est posée par Thierry Geerts, CountryDirector de Google dans notre pays. Google Han-gouts est la plateforme de messagerie instantanée,

de téléphonie par internet et de vidéoconférence lancée par legéant du Web en 2013. Et nous voilà à préparer une conversationvidéo aux premières lueurs d’un mercredi nuageux. L’idée estefficace et permet d’éviter les embouteillages. « L’innovation, cen’est pas une question d’invention, mais d’application de nouveautésdans les entreprises », assure Thierry Geerts. « Si les vidéoconférencesn’ont rien de neuf, l’usage que les PME belges pourraient en faireserait très innovant, voire révolutionnaire. »Google a naturellement une réputation à défendre. Un jour de 1997,Sergueï Brin et Larry Page, alors étudiants de Stanford, commencentà travailler sur un nouveau moteur de recherche. Pour les besoinsde leur projet, les deux fondateurs de Google utilisent les moyensdu bord, à savoir de simples briques de... Lego (d’où les couleurs ac-tuelles du logo). Alors que les moteurs de recherche existantsaffichaient presque exclusivement leurs résultats en fonction du

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ou produit devienne un succès planétaire. « Du faitde cette pression, nous sommes une entreprise trèsturbulente », observe Thierry Geerts. « Nous savonsque nous ne pourrons pas vivre indéfiniment de lamême technologie. Nous devons innover sans cesse,d’autant que la concurrence est vive dans ce mondeen évolution constante. La technologie actuellepermet à une petite start-up de deux personnes dedévelopper des concepts incroyablement innovants.»Google continue donc à miser sur l’innovation. « Ceci n’est possible qu’en créant la culture d’entrepriseadéquate, ce à quoi veille soigneusement le CEO deGoogle. Nous cherchons à développer une cultureouverte, qui laisse beaucoup d’espace au débat,mais aussi la possibilité d’échouer. »Tous les projets de Google ne deviennent pas dessuccès économiques. Prenez Google Glass, leslunettes « intelligentes » reliées à l’internet. Lenouveau produit Google suscitait d’énormes attenteslors de son lancement public en mai dernier. Leconsommateur n’était manifestement pas encoredisposé à avoir une caméra et un ordinateur en per-manence devant les yeux. La production pour legrand public a donc été arrêtée au début de l’année.« C’est une illustration parfaite de la manière dontfonctionne l’innovation », analyse Thierry Geerts. « Google Glass n’a pas été un succès immédiat,mais la technologie sous-jacente subsiste et pourramener à de nouvelles innovations dans d’autres ap-plications. » Bien avant l’ère du smartphone, lasociété de Mountain View avait par exemple lancé

un service qui permettait aux utilisateurs d’appeler Google pourobtenir le résultat d’une recherche par téléphone. Un flop énorme,même si Google a eu la bonne idée de conserver une base dedonnées de critères de recherche prononcés dans à peu près tousles accents américains. Elle serait bien plus tard la base de « voicesearch », une manière de piloter le moteur de recherche Google parla voix.

S’affranchir du corsetPareille culture, dans laquelle les esprits les plus créatifs se sententchez eux et où personne n’a peur de se prendre une gamelle, ne naîtpas d’elle-même. Avec plus de 50.000 employés à travers le monde,Google est connu pour rendre ses lieux de travail aussi divertissantsque possible, avec des salons de détente, des équipements de sportet des salles de jeux. « Donner aux collaborateurs la liberté d’êtrecréatifs » est peut-être la meilleure définition de la stratégie deressources humaines du géant de l’internet. Et il ne s’agit pasuniquement de l’aménagement des bureaux. « Les structures degestion du personnel mises en place dans notre pays ont étéimaginées pendant la révolution industrielle », s’exclame ThierryGeerts. « Aujourd’hui, elles sont complètement dépassées. Il s’agitdésormais d’encourager la collaboration et la créativité dans l’entreprise.Il y avait un sens à imposer des moments de présence à l’usine auxouvriers de l’époque. Mais dans le monde d’aujourd’hui, cela n’a plusaucun intérêt. »C’est pourquoi Google n’applique que très peu de règles, voireaucune, dans ce domaine. « L’entreprise doit permettre aux collabo-rateurs de gérer leur temps différemment, plus efficacement », insisteThierry Geerts. Ils peuvent arriver et partir plus tôt pour éviter lesembouteillages. Ceux qui doivent travailler quelques jours seuls surleur ordinateur portable peuvent tout aussi bien le faire de chez eux.Ils ne doivent pas nécessairement venir au bureau. Les vidéoconférencespermettent également d’éviter les déplacements inutiles pour desréunions. « On bride la créativité quand on impose des corsets. Celane fonctionne pas », insiste le Country Director. C’est aussi la raisonpour laquelle la 2ème capitalisation boursière mondiale après Applea instauré la règle des 20 %, une référence au temps de travail que lescollaborateurs peuvent consacrer à leurs propres projets professionnels.Gmail, l’un des services les plus populaires du groupe, est le résultatde l’un de ces projets personnels. « La manière la plus efficace d’en-courager l’innovation consiste encore à laisser des personnes planchersur des projets auxquels ils croient eux-mêmes beaucoup. C’est unesource d’inspiration inépuisable », conclut Thierry Geerts. ||

LORS DE LA RÉVOLUTIONINDUSTRIELLE, IL CONVENAITD’IMPOSER UN HORAIRE AUX OUVRIERS DE L’USINE. AUJOURD’HUI, CELA N’A PLUS AUCUN SENS.

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1 La force du carton

Les palettes en carton pourraient dé-clencher une petite révolution dans lesecteur des transports. Elles sont 80 %plus légères que leurs pendants en bois,et tout aussi robustes.Palletkraft, société fondée par le BelgeWiet Van de Velde et deux entrepreneursslovènes, produit des palettes en cartongrâce à une technologie de pliage bre-vetée. Le modèle standard pèse à peine4 kg et peut aisément supporter unetonne. De plus, la palette est entièrementrecyclable.De grands noms de la logistique commeDHL et Kuehne + Nagel les utilisent déjà.Rien d’étrange à cela : tous les trans-porteurs tentent d’éviter au maximumles poids morts. De plus, grâce aux côtéslatéraux biseautés, il est possible d’en-tasser 16 palettes en carton sur la plate-forme de chargement d’un avion, aulieu de 10 europalettes classiques. Le

tout pour 320 kilos de moins.L’entreprise prévoit de produire 3,5 mil-lions de palettes avec à peine une dizainede travailleurs. Il faut 10 fois plus depersonnes pour fabriquer le même nom-bre de palettes en bois.

2 Une touche de bling-blingpour les bolides

Des films autocollants permettent aux fa-natiques de voiture de personnaliser leurbolide. De quoi séduire les amateurs d’émis-sions télévisées du type Pimp My Ride.« Personne dans l’histoire n’a encore nettoyéde voiture de location », ironisa un jourl’économiste américain Larry Summers. Enrevanche, les propriétaires de bolides met-

tent souvent un point d’honneur à les mon-trer sous leur plus beau jour. C’est à cettedemande que répond Grafityp. L’entrepriselimbourgeoise est active depuis 45 ansdans le développement, la production etla vente de films autocollants utilisés no-tamment dans le lettrage publicitaire devoitures et de camions.Grafityp a développé une technologie decarwrapping permettant d’apposer une se-conde peau sur une carrosserie, qu’il s’agissed’un noir parfaitement mat ou d’une teintequi change selon la lumière.L’idée suscite un vif intérêt en Chine, oùnombre de nouveaux riches souhaitentmanifestement une voiture « unique ». Parailleurs, le plaisir du collage n’est pas réservéaux voitures : un F16 a ainsi eu droit à uneseconde peau personnalisée.

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qui changent le monde

Les idées qui bousculent le statu quo peuvent aussi bien provenir d’entreprisesqui existent depuis plus de 100 ans que de start-ups qui n’étaient encore que

des projets voici 100 jours. La preuve par ces quelques innovations remarqua-bles qui pourraient changer notre vie au cours des années à venir.

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3 Un burger auxinsectes, saucemammouth

Peut-être ne sont-ils pas très appétissants,mais les insectes demeurent des alimentstrès sains. Les présenter sous forme deviande est donc utile.L’entreprise limbourgeoise Damhert estun pionnier de l’alimentation spéciale. Ellecommercialise plus de 300 produits sanssucre, sans gluten, sans lactose et végé-tariens, dont du pain, du chocolat et de lapâte à tartiner. En octobre dernier, Damherta lancé un schnitzel, un burger et desnuggets garnis d’une croûte croquanteréalisés à partir d’insectes. De petitesbêtes riches en vitamines et en minérauxcomme le fer et le zinc, et bourrées d’omé-ga 3, des acides gras très sains.Ces substituts à la viande contiennentnotamment des vers Buffalo, des vers defarine, des sauterelles et des grillons. Cespetits animaux sont totalement invisiblesdans les produits finaux.

La viande aux insectes de Damhert estdéjà disponible dans des magasins bio etdes supermarchés exploités par des in-dépendants.

4 Prothèsesimprimées sur mesure

Les implants imprimables changent levisage de la chirurgie. Des prothèsessur mesure peuvent améliorer le bien-être des patients.L’impression 3D recèle d’énormes pos-sibilités dans le monde médical. Unexemple ? Sur la base d’un scanner endeux dimensions d’une partie du corps,il est désormais possible de produire unmodèle tridimensionnel qui aide les chi-rurgiens à préparer une opération.

Les matériaux aussi ne cessent d’évoluer.Le spécialiste louvaniste de l’impressionen 3D Materialise produit depuis peudes implants chirurgicaux en titane, im-plants qui n’étaient jusqu’à présent dis-ponibles qu’en plastique. Une innovationparfaite pour les patients qui ne sup-portent pas les prothèses standards. Parexemple, une nouvelle cavité oculaireaprès l’extraction d’une tumeur, ou uneplaque de protection à même de rem-placer une partie du crâne.Materialise fait également des recherchessur l’impression 3D à l’aide de « matériauxrésorbables » autorisant une dissolutionprogressive de l’implant dans le corps.Dans le cas d’une fracture complexe, lesupport pourrait ainsi disparaître à me-sure que les fragments d’os se solidifientà nouveau.

5 Le plastique de l’avion

Le Solar Impulse 2 parvient à voler uni-quement grâce à l’énergie solaire. Uneperformance qu’il doit en partie auxplastiques haute technologie de Solvay.L’entreprise chimique belge a inventéd’innombrables polymères depuis sacréation en 1863. Aujourd’hui, elle enproduit encore quelque 1.500 variétés.Un récent plastique très prometteur estle polyétheréthercétone ou PEEK. Cetterésine est utilisée dans plusieurs com-posants du Solar Impulse 2, projet dontSolvay est l’un des principaux sponsors.Le PEEK est à la fois léger et robuste, cequi s’avère essentiel pour un avion devantpeser le moins lourd possible tout enrestant suffisamment solide afin de sup-porter une envergure presque équivalenteà celle d’un Airbus A380. De plus, ceplastique à la pointe de la technologierésiste aux températures élevées et peutdonc être employé également dans desapplications spatiales. Le PEEK est d’oreset déjà présent dans des équipementsmédicaux, des pièces d’avion, l’industrieautomobile et l’iPhone 6.

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l Innovation l

Les voitures autonomes seront-elles la solution pour donner auxhabitants des périphéries urbaines l’espace qu’ils souhaitent et lamobilité dont ils ont besoin ? Le Belge Alexander D’Hooghe, pro-fesseur d'architecture et d'urbanisme au MIT, y croit...

« Tout ne doit pasêtre plus petit et

plus proche »

«Une nouvelle vague

technologique est entrain de déferler. Ellem’a longtemps laissé

sceptique, mais elle prend une telle am-pleur que je suis désormais convaincuqu’elle va révolutionner notre paysageurbain », affirme Alexander D’Hooghe.À 42 ans, ce Grimbergenois est professeurd’urbanisme architectural au célèbreMassachusetts Institute of Technology.Il est donc parfaitement placé pour ana-lyser les villes du futur. Là où, selon lesNations Unies, habiteront trois quartsde la population mondiale en 2050.La Flandre en est d’ailleurs presque à100 %, souffle Alexander D’Hooghe. « Ilfaut reconnaître que toute la région estaujourd’hui une gigantesque agglomé-ration, même s’il subsiste beaucoup devert et d’autoroutes. Le carré Bruxelles-Louvain-Anvers-Gand, en particulier, forme une grande zone périphérique. »Il voit aussi se développer une espècede religion de la densification. « Comme

si le fait d’habiter dans des endroits plusconfinés, plus proches les uns des autres,n’avait que des avantages. Les partisansde cette théorie sont souvent ceux quiy ont le plus intérêt. Les architectes,parce que ce sont des missions intéres-santes et complexes qui permettent dese faire un nom, ou les promoteurs,parce qu’il s’agit de projets coûteux. »Toutefois, cette densification ne corres-pond pas nécessairement aux souhaitsdes habitants de la périphérie, remarqueAlexander D’Hooghe. « S’ils peuvent bé-néficier d’une plus grande qualité spatialedans un environnement moins dense,une partie d’entre eux va faire ce choix.Je suis partisan d’une densification ciblée,bien que la question des déplacementsreste cruciale.

Comment la vague technologiqueque vous évoquez peut-elle apporterune solution ?Alexander D’Hooghe : « Les voituresautonomes peuvent s’insérer entre lestransports en commun et le transportprivé. La mobilité devient ainsi un servicepermettant d’aller du point A au pointB. Cela aura également des conséquencessur la politique de stationnement. Lesvoitures ne s’arrêteront pas au point B,mais continueront leur route jusqu’auprochain point A. »

« Cette nouvelle mobilité ne sera sansdoute pas uniforme. Certains voudrontpayer plus cher pour un service Premiumqui les conduise directement à leur des-tination, alors que d’autres préférerontune option plus économique mais ac-cepteront que la voiture s’arrête en che-min pour prendre d’autres passagers. »

Quels autres changements prévoyez-vous ?Alexander D’Hooghe : « Une évolutiontrès intéressante est le retour de plusen plus marqué de la production dansles villes, mais à plus petite échelle.L’exemple type est l’urban farming. Desexploitations agricoles en ville, sur destoitures plates de 5.000 m2 ou plus,peuvent être commercialement rentables.Un autre exemple est la production deprototypes en petites séries en amontd’une production à grande échelle, quipeut être parfaitement effectuée en villegrâce à l’impression en 3D. » « Cela exigerait cependant une autrepolitique d’aménagement du territoire.Depuis les années 80, cette politiqueest axée sur la séparation de la productionet des zones d’habitat et de vie, afin delimiter la pollution et les nuisances so-nores. Mais en l’absence de tels effetssecondaires, cette séparation est super-flue. »

I 25 I

l Innovation l

« LA NOUVELLEVAGUETECHNOLOGIQUE VA RÉVOLUTIONNERNOTRE PAYSAGEURBAIN. »

Alexander D’Hooghe

Le visage de nos villes change égale-ment dans d’autres domaines. Grâce auxévolutions technologiques, nous dispo-sons de poubelles intelligentes, de placesde stationnement dotées de la voix etde réverbères qui ouvrent l’œil… Alexander D’Hooghe : « Il ne faut pasvoir cette technologie intelligente commeun gadget, mais comme une manièred’améliorer la qualité de vie dans la ville.La technologie active peut favoriser l’intégration des plus faibles et des plusisolés dans le tissu économique. Oucontribuer à améliorer la collecte dedonnées sur la pollution et partant, lesactions de sensibilisation. »

Avec votre bureau d’architectes Or-ganization for Permanent Modernity,vous avez contribué à la conception dela plus grande île artificielle au mondeà la demande de la Corée du Sud. Touta été méticuleusement prévu, l’industrieau nord, le tourisme au sud. A quelpoint l’architecture est-elle à même dedonner forme à une société ?Alexander D’Hooghe : « On crée deschoses de deux manières. D’abord enles construisant, puis par l’utilisationqu’on en fait. Et cette utilisation est to-talement imprévisible. Prenez l’Albertine,la Bibliothèque Royale installée sur leMont des Arts à Bruxelles. Je serais

étonné que l’architecte ou le maîtred’œuvre ait envisagé que la communautédes skaters s’approprie ces lieux. Maisc’est bien, cela signifie que la ville vit. »

Quel est votre regard sur le défisocial des grandes villes ?Alexander D’Hooghe : « De nombreuxplanologues estiment que des personnesdotées d’un background économique,religieux et social différent doivent serencontrer régulièrement en ville. Or, onremarque que de nombreuses personnesn’en ont absolument pas besoin. Ellesveulent habiter dans une ville qui proposela quiétude d’un village. Ce n’est pas unplaidoyer en faveur des gated commu-nities, de quartiers privés pour les pauvreset pour les riches, mais il y a incontesta-blement des avantages aux “villages”dans la ville – aux zones réduites pré-sentant une certaine homogénéité. »

Est-il encore possible de mettre enœuvre de grands projets d’infrastructure ?Voyez la liaison de l’Oosterweel (bouclagedu ring d’Anvers) et le RER bruxellois, re-portés aux calendes grecques à la suitedes protestations des habitants.Alexander D’Hooghe : « Nous nous trou-vons face à une société qui fait infinimentplus entendre sa voix qu’il y a 50 ans.Lorsque l’on veut réaliser quelque chose,l’ancienne méthode bureaucratique nefonctionne plus. Le citoyen veut intervenirdans le processus décisionnel. »

Comment se mettre à l’écoute du ci-toyen sans sombrer dans le statu quo ?Alexander D’Hooghe : « Il y a un belexemple aux Etats-Unis. Dans le cadred’un marché d’un milliard de dollars des-tiné à protéger l’agglomération new-yorkaise contre les inondations, il a étédemandé aux concepteurs et aux mou-vements citoyens de proposer des projetsqui recueilleraient l’adhésion de la po-pulation. » ||

Des exploitationsagricoles en ville peuvent être commercialementrentables.

© Reuters

l Innovation l

I 26 I

Nombreux diplômes de l’enseigne-ment supérieur, peu de scientifiques

Selon les chiffres de l’OCDE, les Belges âgés de moins de 30 ans sont plus diplômés que la moyenne. Mais la plupart desdiplômes décernés relèvent de la catégorie ‘Sciences sociales,économiques et commerciales, droit, sciences humaines, art et

enseignement’. Le score obtenu par notre pays pour la branche « Mathématiques, sciences et tech-nologies » est nettement moins élevé.La proportion de diplômes de cetype dans le total des diplômes d’en-seignement supérieur atteint à peine16,6 %. C’est nettement inférieur à lamoyenne européenne de 22,1 % paran. En Allemagne, en France et enSuède, elle dépasse les 25 %. La Fin-lande est hors catégorie avec 31,8 %.

Course aux brevets

En déposant un brevet sur un nouvel appareil ouprocessus, son inventeur acquiert un monopole

pour plusieurs années. Enéchange, il doit publier sesconnaissances, ce qui évite auxautres entrepreneurs de con-sentir des investissements su-perflus dans des recherchessimilaires.Les demandes de brevets ontexplosé dans le monde, passantde près de 1 million en 1990 àplus de 2,3 millions en 2012,

selon les chiffres de l’Organisation mondiale de lapropriété intellectuelle. Cet essor est surtout àmettre au crédit de la Chine.Au cours des décennies précédentes, les brevetsconcernaient avant tout des logiciels et de la géné-tique. De manière générale, 55% des demandes debrevets sont liées à l’informatique et aux télécom-munications, à la santé ou aux biotechnologies.

Importance stratégique et ‘Chinnovation’

En Occident, les entreprises prennent à leur compte 60 %des efforts en recherche et développement. Les dépensesen R&D des 2.000 entreprises lesplus axées sur les R&D n’ont d’ailleurspas diminué depuis la crise financièrede 2008, constate l’OCDE. Pourtant,leurs bénéfices opérationnels se sontcontractés de 10 % en moyenne. Enchiffres absolus, les entreprises amé-ricaines restent les premiers inves-tisseurs mondiaux en recherche etdéveloppement. Cela dit, les efforts en R&D des entrepriseschinoises ont quintuplé en 10 ans. La Chine a ainsi doublél’UE.

L’innovation en7 chiffres étonnants

2

3

L’innovation a des effets parfois vertigineux sur l’économie et lasociété. Petite sélection parmi les plus surprenants d’entre eux.

0

400.000

800.000demandes

EuropeCorée

Japon

États-Unis

Chine

Nombre de demandes de brevets dans les principales économies

2002 20122007

Diplômés de l’enseignement su-périeur par rapport au nombre dejeunes du même âge (en %)

MoyenneOCDE Belgique

Baccalauréat professionnel 14 30Baccalauréat académique 38 19Master 15 4Doctorat 2 2

1

En 2012 laChine a dépassé les Etats-Unis avec

652.777brevets

Entreprises américaines :

277milliardsde dollars en R&D

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l Innovation l

Le budget innovation du secteurpublic préservé (provisoirement)

Crise oblige, de nombreux pays ont augmenté les impôts et multipliéles coupes budgétaires. Ce phénomène menace l’innovation directement,

par la contraction des budgets consacrés àla recherche, et indirectement, par une baissede la demande due à l’augmentation de lapression fiscale, ce qui dissuade les entreprisesd’investir. Si nombre d’États ont maintenuleurs budgets innovation, la discipline bud-gétaire pourrait changer la donne, prévientl’OCDE. Les dépenses publiques des pays ri-

ches en R&D représentaient 0,69 % du PIB en 2013, contre 0,76 % en2008.

Dépenses publiques en R&D

2002 20122007

FranceRoy.-UniEspagne

États-Unis

BelgiqueAllemagne +29%

+26%

+13%

-8% -13% -18%

0

-

+

Capital connaissances dans lesservices et l’industrie (en %)

Industrie ServicesÉtats-Unis 37 28France 32 31Roy.-Uni 31 32Allemagne 30 26Belgique 28 28Pays-Bas 24 26

De nombreuses entreprises innovantes ne fontpas du tout de recherche et développement,constate l’OCDE. Elles innovent par le marketingou en changeant l’organisation de leur foncti-onnement, par exemple à l’aide de technologiesdéjà existantes. Ce type d’innovation est surtoutimportant dans le secteur des services. En Eu-rope, celui-ci représente 70 % de l’activité éco-nomique et les deux tiers de l’emploi privé.L’OCDE souligne l’importance de l’innovationdans le secteur des services pour le reste del’économie. ‘Un tiers de la valeur ajoutée desexportations industrielles provient du secteurdes services. L’innovation y est donc très im-portante pour la compétitivité de l’industrie.’

Innover, c’est davantage que développer de nouveaux produits

4

Allemagne Canada Belgique

Suède Pays-Bas Italie

France Roy.-Uni Corée

79% 76% 61%

60% 57% 56%

53% 44% 38%

% entreprises innovantes

� produit et/ou processus � marketing et/ou organisation� produit et/ou processus & marketing

et/ou organisation

(% entreprises innovantes)

Sources: 1, 2, 4, 5: OCDE, Science, Technologyand Industry Outlook 2014 / 3: OCDE / 6,7:OCDE, Science, Technology and Industry Scoreboard 2013

5

Capital sur piedLe ‘capital connaissances’, critère ré-

cemment développé par l’OCDE, mesure lerapport entre les travailleurs de la connaissanceet le nombre total d’emplois dans une éco-nomie. Il s’agit donc des connaissances etcompétences qui franchissent les portes del’entreprise chaque jour. Ce degré de ‘capitalconnaissances’ varie entre 13 % et 28 % dansles pays industrialisés. Les États-Unis disposentde l’industrie manufacturière à plus forte in-tensité de connaissances, alors que les paysscandinaves se montrent très performantsdans le secteur des services.

6

L’innovation collabo-rative au goût desgrandes entreprises

7

Depuis 2002 le budget innovationen Allemagne a augmenté

de 30%

Il est fréquent que les entreprises collaborent,ou prennent des licences sur d’autres in-ventions pour créer leurs propres innovati-ons. Sans surprise, les grandes entreprisesont une longueur d’avance dans ce domaine.En Belgique par exemple, plus de 70 % desgrandes entreprises innovantes ont collaboréavec une autre entreprise entre 2008 et

2010. Parmi les PME,ce pourcentage nedépasse pas 40 %.Cette collaborationpeut prendre la for-me de l’élaborationcommune d’une in-novation par une en-treprise et sonclient/fournisseur, oud’un partenariat avecd’autres entreprisesou organisations.

7 grandes entreprisesBelges sur

10cherchent un

partenariat eninnovation.

L’innovation est une notion très vaste.Comment la définiriez-vous ?Martin Hinoul : « L’innovation est la formela plus récente de compétitivité. Durantles Golden Sixties, la Belgique pouvaitfaire la différence avec sa productivitéélevée. Une décennie plus tard, nous avonsdû encore accroître la qualité de noteproduction pour préserver notre avancesur la concurrence. Nous l’avons fait sansproblème. Pendant les années 80, nousavons surtout dû faire preuve d’une grandeflexibilité pour gérer les nouvelles formesde capitaux et de technologies. Et nous ysommes assez bien parvenus. Depuis lafin des années 90 cependant, la capacitéd’innover est l’arme principale face à laconcurrence. Et en Europe, cela posequand même quelques problèmes. »« Pourtant, 90 % de la croissance écono-mique proviendra de l’innovation au coursdes années à venir. L’idée dépasse d’ailleurslargement la seule innovation technolo-gique. La plupart des innovations ont lieudans le marketing, l’organisation et lesressources humaines. »

Quelle stratégie mettre en œuvrepour inscrire la volonté d’innover dansl’ADN d’une société ?Martin Hinoul : « Si les grandes régions in-novantes ont un point commun, c’est laprésence de centres de connaissances dequalité. En outre, il faut développer desclusters autour de certains thèmes, pourainsi créer une grande visibilité. Il est né-cessaire de développer des réseaux, d’attirerles entreprises internationales et de faciliterl’accès au marché des capitaux. La qualitéde vie – un bon système de soins de santéet un enseignement de haut niveau – joueégalement un rôle important lorsqu’il s’agitde capter des talents nationaux. Et il fautégalement de fortes personnalités qui, parleur succès, s’érigent en véritables modèleset stimulent l’entrepreneuriat. »

N’est-ce pas à ce niveau que, fré-quemment, le bât blesse chez nous ?Quand des entrepreneurs à succès vendentleur entreprise, les médias ne parlentpresque que des impôts qu’ils vont payerou non. L’Europe n’a-t-elle pas une atti-tude négative vis-à-vis de la réussite ?

Martin Hinoul : « En Europe, nous nous fo-calisons encore trop souvent sur la pré-servation des acquis. Voyez la manièredont l’Europe traite une entreprise commeUber, qui remet en cause les entreprisesde taxis traditionnelles. Elle affiche au-jourd’hui une capitalisation de marché de42 milliards de dollars : il n’y a donc plusaucune chance qu’elle disparaisse. Maisnous essayons quand même de lui bloquerl’accès au marché européen. C’est unegrossière erreur. Nous commettons lamême erreur que lorsque Google, Facebook,Apple et Amazon en étaient encore à leursbalbutiements. Les Européens observaientalors ces entreprises avec une espèce decondescendance, sans prendre consciencequ’elles donneraient naissance à des in-dustries totalement nouvelles. Aujourd’hui,ces entreprises américaines valent plusieursmilliards et nous ne pouvons que rêver deleaders de cette envergure en Europe. »

Cette attitude attentiste n’est-ellepas inspirée par la peur de voir les nou-velles industries menacer de nombreuxemplois ? Martin Hinoul : « Chaque emploi à hautevaleur ajoutée crée quatre à cinq emploisindirects. C’est ce que l’on peut observerdans des villes comme Louvain, où laprésence de l’Université et de centres deconnaissances favorise également l’emploidans les hôtels, les restaurants et les compagnies de taxis. On ne crée pas d’em-plois en bloquant les industries innovantes,

l Point de vue l

Une révolution culturelle est nécessaire pour retrouver le désir d’innoveren Europe. « Nous devons choyer les entrepreneurs, afin que s’érigentdes modèles inspirants qui montrent le succès possible pour ceux quisortent des sentiers battus. » C’est le discours de Martin Hinoul, BusinessDevelopment Manager à la KUL Research & Development. Entretien avecPeter De Keyzer, économiste en chef chez BNP Paribas Fortis.

Économie innovante recherche icône

IL EXISTE SUFFISAMMENT DE NICHESDANS LESQUELLES NOUS POUVONSAPPARTENIR AU TOP MONDIAL.

Martin Hinoul

I 28 I

I 29 I

mais en les stimulant. Nous devons ac-cepter que notre économie change, parceque la croissance économique ne pro-viendra plus de l’assemblage de voituresou de la fonte de tôles d’acier. »

Quel est le rôle des pouvoirs publics ?Font-ils suffisamment pour soutenir l’in-novation ?

Martin Hinoul : « Les pouvoirs publics ac-complissent quelques très bonnes choses.L’IWT (agence flamande pour l’innovationpar la science et la technologie) est unmoteur important de la capacité d’inno-vation dans notre pays. Flanders Investment& Trade (FIT) s’avère un énorme soutienpour les entreprises qui veulent investir àl’étranger. La PMV (société flamande de

participation) est un bon outil pour investirdans des entreprises innovantes. Sauf qu’ilexiste encore 200 autres institutions quidoivent elles aussi contribuer à l’innovation.Et que nous ferions mieux de les liquider,car elles ont tendance à fragmenter notrepolitique d’innovation. »

Nous savons que l’innovation est in-dispensable et que nous avons besoind’une révolution culturelle dans notresociété. Allons-nous y parvenir ?Martin Hinoul : « Il est minuit moins cinq.L’Europe ne peut plus se permettre detergiverser, car la concurrence est plusintense que jamais. Mais nous avons desatouts importants : notre technologie estrobuste, notre enseignement n’a pas d’égalet le monde entier envie notre systèmede santé. Pour autant, il est urgent de ré-fléchir aux domaines où nous voulonscréer de la croissance économique et del’emploi au cours des cinq prochaines an-nées. L’eHealth, le secteur des applicationsde télécommunications dans les soins desanté, recèle par exemple un potentielconsidérable. La mécatronique – disciplinecombinant mécanique, électronique etrobotique – également. L’impression 3Dest une gigantesque industrie en puissance,et c’est un domaine dans lequel la Belgiquehéberge déjà plusieurs entreprises trèsperformantes avec Melotte, LayerWise etMaterialise. Il y a donc suffisamment deniches dans lesquelles nous pouvons ap-partenir au top mondial. »

Martin Hinoul et Peter De Keyzer : « On ne crée pas d’emplois en bloquant

les industries innovantes, mais en les stimulant. »

Le gouvernement wallon affirme, dans sa récente déclaration de politiquerégionale 2014-2019, qu’il favorisera le développement de l’innovationsociale. Il précise même qu’il souhaite soutenir les projets de rechercheset d’innovations sociales portés par les entreprises à profit social. Ces af-firmations sont encourageantes mais n’apportent aucune précision nisur les mécanismes qui seront mis en œuvre, ni sur leur ampleur.Actuellement, la Wallonie ne dispose pas d’une stratégie publiquestructurelle en recherche et innovation sociale. La politique publique enmatière d’innovation est centrée sur l’innovation technologique et in-dustrielle. Pourquoi privilégier un nouveau smartphone plutôt qu’unservice innovant de garde à domicile de personnes atteintes d’Alzheimer ? Qui plus est, une ASBL développant une innovationsociale de type technologique (par exemple, un chariot de supermarchépliable et adapté aux personnes à mobilité réduite) ne peut pasbénéficier des aides prévues pour les sociétés commerciales. Ces exemples démontrent les difficultés que rencontrent de nombreusesentreprises à profit social (ASBL, SFS, etc.) pour bénéficier de l’expertiseet du financement nécessaires à la recherche et au développement deleur(s) projet(s) d’innovation sociale. L’innovation sociale est un concept relativement nouveau pour nommerune réalité très ancienne. Elle permet de répondre à des demandes et àdes besoins essentiels de la population insuffisamment rencontrés enmatière d’éducation, d’action sociale, de santé, de culture, d’insertion so-cioprofessionnelle, etc. Elle vise également l’amélioration de la qualité etde l’accessibilité des services existants, de leur gestion quotidienne et deleur pratique de travail. Au niveau de l’impact social, elle produit des bé-néfices directs pour les usagers et des bénéfices indirects, volontaires,pour la collectivité. L’innovation est donc sociale par son activité, sonprocédé et sa finalité. Outre son impact social, elle constitue un levieréconomique important pour le développement de nouvelles activitéscréatrices de valeurs ajoutées, d’externalités positives au bénéfice de lacollectivité (cohésion sociale) et des entreprises (compétences et dispo-nibilité des travailleurs), mais aussi d’emplois. Une plus-value précieuseet indispensable pour affronter une époque comme la nôtre.Forte de ces constats et de ses engagements, la Wallonie doit passerdes idées aux actes en décloisonnant réellement sa vision de l’innovationet en dynamisant la recherche et l’innovation sociale, source de croissanceéconomique durable. À ce titre, il est indispensable que le gouvernementwallon construise un véritable écosystème doté d’un espace de créationet de développement détaché de toute catégorisation administrative(incubateur), ainsi que d’un cadre, légal et budgétaire, favorable etadapté à l’émergence, au changement d’échelle et à la diffusion d’inno-vations sociales. Cet écosystème devra tenir compte des principales spécificités de l’in-novation sociale : approche collaborative et territoriale de type « bot-tom-up », ressources hybrides (financements publics, privés, bénévolat,etc.), statut juridique des porteurs de projet (ASBL, SFS, etc.) impliquantdes réalités fiscales particulières, recherche issue pour partie dessciences humaines et sociales ; et veiller à ne pas détricoter les servicesexistants qui bénéficient de la confiance des usagers et prouvent quoti-diennement leur efficacité. ||

Bruno Gérard, conseiller économique à l'UNIPSO (Union des entreprises à profit social)

« Créer un véritableécosystèmesoutenantl’innovation sociale »

L’INNOVATIONSOCIALE PRODUITDES BÉNÉFICESDIRECTS POUR LES USAGERS, ET INDIRECTSPOUR LA COLLECTIVITÉ.

Bruno Gérard, conseiller économique à l'UNIPSO

L’écosystème :quel intérêt pourles entreprisesinnovantes ?

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