auguste lumière, pionnier de la cicatrisation moderne

6
C’était hier Auguste Lumière, pionnier de la cicatrisation moderne Auguste Lumière, pioneer of the modern cicatrization B. Salazard *, D. Casanova, J. Zuleta, C. Desouches, G. Magalon Service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique du Pr Magalon, hôpital de la Conception, 147, boulevard Baille, 13385 Marseille cedex 05, France Reçu le 10 février 2003 ; accepté le 26 février 2003 Résumé Le 28 décembre 1895 Louis et Auguste Lumière font découvrir au public du « Grand Café » à Paris une invention qui va révolutionner l’image : le cinématographe.Alors que Louis poursuit ses travaux sur l’image et invente les plaques autochromes pour la photographie couleur, Auguste s’oriente vers la biologie et la médecine. Depuis Ambroise Paré peu de médecins se sont intéressés à la cicatrisation. Carrel et Lecomte du Noüy effectuent les premières études au début du XX e siècle mais Auguste Lumière sera pionnier dans l’étude et le traitement moderne des plaies. Il applique les principes de la médecine expérimentale. Il étudie sur 44 chiens la vitesse et la qualité de la cicatrisation dans des conditions générales et locales définies. Durant l’hiver 1914–1915 il étudie à l’Hôtel-Dieu de Lyon plusieurs centaines de plaies chez les blessés de guerre. Il établit des règles de cicatrisation normale qu’il publie en 1922. Dans le service du Pr Léon Bérard il est choqué par la fétidité des salles où les pansements secs sont renouvelés une fois par semaine. Il va mettre au point en 1915 un « pansement-traitement » révolutionnaire, stérilisé à l’autoclave, à base de gazes à mailles de 2 mm imprégnées de vaseline et de baume de Pérou : le Tulle Gras ® . Il s’attache à la désinfection des plaies avec un désinfectant iodé pulvérisé en fines gouttelettes. Auguste et Louis Lumière eurent une vie féconde de projets, d’inventions et lorsqu’Auguste décède en 1954 il aura déposé plus d’une centaine de brevets. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract At the “Grand Café” in Paris, on december 28, 1895 Louis and Auguste Lumiere displayed the cinematograph, a technical innovation that revolutionized the nascent motion picture. It was the first public projection of a film. While Louis continues his work on pictures and invents autochrome plates for colour photography, Auguste focused his interests on biology and medicine. Since Ambroise Paré, few doctors have been interested in the healing process. Although Carrel and Lecomte Du Nouy published the first studies in the early twentieth century, Auguste Lumière was a pioneer in the modern research and treatment of wounds. He applied the principles of experimental medicine. In his research he used 44 dogs to study the healing speed and the scar quality in certain areas and under general conditions. In the winter of 1914–1915 he studied in Lyon several hundred wounds of war casualties. In 1922 he established and published in a marvellous book the principles of normal healing. In the department of Pr Leon Bérard he was shocked by the fetidness of the wards where the dried bandages were changed once a week. In 1915 he perfected a revolutionary sterilized “treatment-bandage” consisting of 2 mm stitched gauze saturated with Vaseline and Perou’s balsam: the “Tulle Gras ®” . In order to disinfect wounds, he used an iodized solution, sprayed in little droplets. The lives of Auguste and Louis Lumière were full of projects and inventions. When Auguste died in 1954 he had registered more than one hundred patents. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Cicatrisation ; Histoire ; Pansement Keywords: Cicatrization; History; Bandages * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Salazard). Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 194–199 www.elsevier.com/locate/annpla © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 10.1016/S0294-1260(03)00037-2

Upload: b-salazard

Post on 17-Sep-2016

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Auguste Lumière, pionnier de la cicatrisation moderne

C’était hier

Auguste Lumière, pionnier de la cicatrisation moderne

Auguste Lumière, pioneer of the modern cicatrization

B. Salazard *, D. Casanova, J. Zuleta, C. Desouches, G. Magalon

Service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique du Pr Magalon,hôpital de la Conception, 147, boulevard Baille, 13385 Marseille cedex 05, France

Reçu le 10 février 2003 ; accepté le 26 février 2003

Résumé

Le 28 décembre 1895 Louis et Auguste Lumière font découvrir au public du « Grand Café » à Paris une invention qui va révolutionnerl’image : le cinématographe.Alors que Louis poursuit ses travaux sur l’image et invente les plaques autochromes pour la photographie couleur,Auguste s’oriente vers la biologie et la médecine. Depuis Ambroise Paré peu de médecins se sont intéressés à la cicatrisation. Carrel etLecomte du Noüy effectuent les premières études au début du XXe siècle mais Auguste Lumière sera pionnier dans l’étude et le traitementmoderne des plaies. Il applique les principes de la médecine expérimentale. Il étudie sur 44 chiens la vitesse et la qualité de la cicatrisation dansdes conditions générales et locales définies. Durant l’hiver 1914–1915 il étudie à l’Hôtel-Dieu de Lyon plusieurs centaines de plaies chez lesblessés de guerre. Il établit des règles de cicatrisation normale qu’il publie en 1922. Dans le service du Pr Léon Bérard il est choqué par lafétidité des salles où les pansements secs sont renouvelés une fois par semaine. Il va mettre au point en 1915 un « pansement-traitement »révolutionnaire, stérilisé à l’autoclave, à base de gazes à mailles de 2 mm imprégnées de vaseline et de baume de Pérou : le Tulle Gras®. Ils’attache à la désinfection des plaies avec un désinfectant iodé pulvérisé en fines gouttelettes.Auguste et Louis Lumière eurent une vie fécondede projets, d’inventions et lorsqu’Auguste décède en 1954 il aura déposé plus d’une centaine de brevets.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

At the “Grand Café” in Paris, on december 28, 1895 Louis and Auguste Lumiere displayed the cinematograph, a technical innovation thatrevolutionized the nascent motion picture. It was the first public projection of a film. While Louis continues his work on pictures and inventsautochrome plates for colour photography, Auguste focused his interests on biology and medicine. Since Ambroise Paré, few doctors havebeen interested in the healing process.Although Carrel and Lecomte Du Nouy published the first studies in the early twentieth century,AugusteLumière was a pioneer in the modern research and treatment of wounds. He applied the principles of experimental medicine. In his researchhe used 44 dogs to study the healing speed and the scar quality in certain areas and under general conditions. In the winter of 1914–1915 hestudied in Lyon several hundred wounds of war casualties. In 1922 he established and published in a marvellous book the principles of normalhealing. In the department of Pr Leon Bérard he was shocked by the fetidness of the wards where the dried bandages were changed once aweek. In 1915 he perfected a revolutionary sterilized “treatment-bandage” consisting of 2 mm stitched gauze saturated with Vaseline andPerou’s balsam: the “Tulle Gras®” . In order to disinfect wounds, he used an iodized solution, sprayed in little droplets. The lives ofAuguste andLouis Lumière were full of projects and inventions. When Auguste died in 1954 he had registered more than one hundred patents.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Cicatrisation ; Histoire ; Pansement

Keywords: Cicatrization; History; Bandages

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (B. Salazard).

Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 194–199

www.elsevier.com/locate/annpla

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.DOI: 10.1016/S0294-1260(03)00037-2

Page 2: Auguste Lumière, pionnier de la cicatrisation moderne

L’histoire de la célèbre famille Lumière débute avec An-toine Lumière. Orphelin à 14 ans, il entre comme apprentichez un aquarelliste parisien. Il apprend le métier de dessina-teur. Il s’ installe àBesançon après son mariage avec Jeanne-Joséphine Costille. En 1862 naît Auguste et 2 ans plus tard,c’est la naissance de Louis, le cadet, puis de Jeanne et deMélinie-Juliette.

Après la guerre de 1870 Antoine va s’ installer à Lyon ets’ intéresse à la photographie pour devenir rapidement unphotographe portraitiste reconnu. Il connaît un grand succèsauprès du monde politique et artistique et innovera en instal-lant un éclairage électrique pour ses portraits, qui diminuesignificativement les temps de pose. Les enfants aident leurpère le soir après l’école. Louis vient d’obtenir un diplôme dephysique et s’ intéresse au procédé photographique des pla-ques sèches au gélatinobromure d’argent que Monckhoven amis au point. En rationalisant les premières études de sonpère, il va réussir, à 18 ans, à mettre au point de nouvellessurfaces sensibles. Il va se lancer dans la fabrication indus-trielle et rapidement l’entreprise familiale va connaître uneextension importante. Une usine est installée àMontplaisir, àla périphérie de Lyon, et la pellicule Lumière (« l’étiquettebleue ») à4 Asa connaît un grand succès car elle révolutionnela photographie amateur. Toute la famille s’ investit dans cetteactivité.

La création et la recherche de nouvelles technologies sontdes nécessités constantes pour les frères Lumière et lorsquevont apparaître les pellicules souples, ils seront les premiers àles commercialiser.

Durant la deuxième partie du dix-neuvième siècle beau-coup de chercheurs travaillent sur l’ image animée. Des appa-reils permettent de suggérer l’ impression de mouvement : lepraxinoscope de Reynaud, le phénakistiscope de Plateau.Thomas Edison, un grand inventeur, dépose avec WilliamDickson en 1891 un brevet pour une caméra, le kinétographe,et un projecteur, le kinétoscope, utilisant des bandes perfo-rées. Mais l’ image ne peut être regardée que par un seulspectateur. Auguste et Louis Lumière vont avoir le génied’adapter le kinétographe en une machine de 5 kg qu’ ilsnommeront « Cinématographe » (Fig. 1). Le 28 décembre1895, le « Grand Café » àParis organise la projection publi-que du premier film de l’histoire, « la sortie des usinesLumière » (Fig. 2). D’autres films suivent rapidement : « l’ar-rivée d’un train en gare de La Ciotat », « l’Arroseur arrosé »,« le Déjeuner de bébé » ... Une centaine d’opérateurs sontformés et parcourent le monde pour rapporter des images surl’empire colonial français. Mais rapidement les frères selassent et après l’exposition universelle de 1900 à Paris, ilscessent la production puis la commercialisation de films.Auguste dira : Mon invention sera exploitée un certaintemps comme une curiosité scientifique, mais à part celaelle n’a aucune valeur commerciale quelle qu’elle soit.Louis revient à la photographie et en 1904, il publie à l’aca-démie des sciences le procédépour obtenir une plaque auto-chrome, c’est-à-dire les premières photographies couleur dequalité.

Auguste prépare en 1896 le concours d’entrée àPolytech-nique (Fig. 3). Il est pris de céphalées violentes et la famillel’envoie en repos chez un médecin ami de la famille àAlle-vard, dans les Alpes. C’est làque va débuter son engagementmédical et dès son retour à Lyon il aménage dans l’usinefamiliale un laboratoire expérimental où il effectue des re-

Fig. 1. Affiche de présentation du cinématographe.

Fig. 2. Le premier film de l’histoire.

195B. Salazard et al. / Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 194–199

Page 3: Auguste Lumière, pionnier de la cicatrisation moderne

cherches de toxicopharmacologie animales. Après le décèsde sa fille en 1918 lors de l’épidémie de grippe espagnole, ildécide de se consacrer uniquement à la médecine et à lasouffrance des gens.

Auguste Lumière est un personnage connu et respecté àLyon. Il participe aux débats sur la rénovation de l’Hôtel-Dieu de Lyon en préconisant la destruction des anciens bâti-ments afin d’améliorer l’hygiène. C’est un rapport de 90 pa-ges qu’ il adresse en 1908 à Édouard Herriot, maire de Lyon,où il préconise la création de 2 hôpitaux : un pour les mala-dies contagieuses et l’autre pour les maladies non contagieu-ses [1].

Mais c’est pendant la grande guerre qu’ il va développer sapassion médicale. Dès 1914 il rejoint son ami de 20 ans, LéonBérard, à l’Hôtel-Dieu de Lyon. Léon Bérard lui confie leservice de radiologie [2]. La photographie et la radiologie onteu un développement souvent proche depuis le 28 décembre1895, jour de la première projection cinématographique maisaussi jour de la communication de la découverte des rayonsRöentgen ou rayons X. Auguste Lumière effectuera avec leradiologue Étienne Destot plus de 18 000 radiographies deblessés qu’ il finance sur ses fonds personnels.

Durant l’hiver 1914–1915 il est choqué par la fétidité dessalles occupées par les très nombreux blessés de guerre(Fig. 4). Les plaies sont traitées par des pansements secschangés tous les 4 ou 5 j et décollés à l’eau oxygénée. Il s’ensuit douleur, infection, hémorragie et lenteur de cicatrisation.Depuis Ambroise Paré, peu de médecins et chirurgiens sesont intéressés à la cicatrisation, discipline peu noble compa-rée à « la viscérale ». Durant la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, les travaux de Lister et de Pasteur révolu-tionnèrent la chirurgie par la mise à jour des principes del’antisepsie et de l’asepsie. Mais il faudra attendre la fin du

dix-neuvième siècle pour que des chirurgiens s’ intéressentvraiment au traitement des plaies. Alphonse Guérin avait misau point le pansement occlusif au coton cardéen 1871, allantjusqu’à obtenir l’occlusion par aspiration [3]. Mais si cenouveau type de pansement est révolutionnaire et augmentela survie des patients amputés, il n’accélère pas la cicatrisa-tion. Et les douleurs sont terribles à l’ablation du pansement.D’autres utilisent le pansement antiseptique avec une actionmécanique (poudre de charbon) ou chimique, dérivés dupansement de Lister. D’autres encore préfèrent un pansementadditionnéde stimulants comme l’alcool camphré, la teintured’ iode, le sulfate de zinc, le sulfate de cuivre, la poudre dequinquina ou encore des essences aromatiques.

La grande guerre constituera un champ d’observation trèsvaste pour étudier l’évolution des plaies. Milligan préconisel’excision large des tissus nécrotiques et le débridementprécoce des plaies. Auguste Lumière va observer des centai-nes de plaies de guerre et aura le génie de mettre au point unpansement révolutionnaire par nombreuses de ses caractéris-tiques : le tulle gras. Il présentera son « pansement-traite-ment » le 15 avril 1915 à la sociétéde thérapeutique de Paris(Fig. 5). C’est un pansement semi-occlusif (constituéde tulleàmailles de 2 mm) et non adhérent (imprégnéd’un mélangefusible à 30 °C de vaseline, baume du Pérou et huile de foiede flétan). Le tulle est découpéen carrés qui sont superposésen piles dans des boîtes métalliques remplies de corps gras,stérilisées à l’autoclave à120 °C pendant 30 min. Les carréssont séparés les uns des autres par une feuille de papier afinde faciliter leur extraction de la boîte qui s’effectue au moyend’une pince stérile. Cet élément constitue encore une prati-que nouvelle. En effet la stérilisation des pansements estpratiquée par certaines équipes depuis sa description en 1888par Félix Terrier de l’hôpital Bichat [3]. Mais Auguste Lu-

Fig. 3. Auguste Lumière à 30 ans.

Fig. 4. Hôpital durant la guerre 1914–1918.

196 B. Salazard et al. / Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 194–199

Page 4: Auguste Lumière, pionnier de la cicatrisation moderne

mière va concevoir le déroulement de pansement comme ilest encore pratiquéde nos jours : antisepsie par projection enfines gouttelettes d’un mélange personnel (iodoforme, phé-nol, géraniol, alcool, éther) puis, de façon stérile, mise enplace d’une feuille de tulle à usage unique. Il ferme lepansement par un bandage stériliséet veille àce que la plaiene soit pas sujette à frottement ou traumatisme. Rapidementle pansement prend un essor important et la famille Lumièreva organiser la commercialisation au sein du laboratoireLumière. Plus tard les laboratoires Sarbach rachètent le labo-ratoire Lumière et Raymond Vilain participera au développe-ment du produit en proposant une modification du baume duPérou en extraits moins allergisants. Il écrira une formulecélèbre : Praticien mon frère, si tu utilises la Sainte Trinité :eau du robinet, savon de Marseille et tulle gras, tu obtien-dras les mêmes résultats que nous, pour la plus grandesatisfaction de ton patient et de la Sécurité Sociale. D’autrespansements complèteront la gamme, le Corticotulle Lu-mière® et l’Antibiotulle Lumière®. Actuellement c’est lasociétémère Solvay Pharma qui commercialise ces 3 panse-ments.

Si le traitement des plaies est peu abordédans les publica-tions avant le XIXe siècle, il en est de même pour l’étude de lacicatrisation. En 1787 Spallanzani est un précurseur avec unouvrage intitulé Expériences pour servir à l’histoire de lagénération des animaux et des plantes. Il étudie les proces-sus de réparation tissulaire chez les salamandres. Ensuite peude travaux abordent ce sujet. Il faudra attendre les études dugrand chirurgien lyonnais Alexis Carrel au début duXXe siècle. Il réalise des plaies sur le cobaye et le chat et dansdes conditions locales et générales strictes, étudie la vitessede cicatrisation [4]. Il établira différentes lois plus ou moinsprouvées dont : la vitesse est proportionnelle à la surface dela plaie et le processus de contraction est le facteur principalalors que l’épidermisation complète la cicatrisation. Pendantce temps Lecomte du Noüy réalise des travaux pour aboutir àune formule mathématique de la cicatrisation [5].

Mais Auguste Lumière va faire avancer la compréhensiondes mécanismes de la cicatrisation en appliquant de façonstricte les dogmes de la médecine expérimentale. Il vad’abord réaliser des plaies expérimentales sur 44 chiens et ildessine tous les jours sur un papier cellophane stérilisé lescontours de la plaie (Fig. 6). Dans un deuxième temps il

sélectionne des centaines de plaies de guerre dans le servicede Léon Bérard et réalise une étude prospective complète [5].Il sélectionne des patients non diabétiques, sans tare ni mala-die générale, avec des plaies non infectées, sans lésion os-seuse, nerveuse ni vasculaire. Avec la même rigueur il réalisedes mesures quotidiennes et après des années d’étude, ilthéorise ses travaux dans un ouvrage publié en 1922 : « Leslois de la cicatrisation des plaies cutanées » (Fig. 7). Lacicatrisation est un processus régulier, le temps de cicatrisa-tion est globalement proportionnel à la largeur maximale. Laplaie cicatrise d’environ 1 mm/j, sinon il faut chercher unecause : infection, corps étranger, pansement défectueux, pro-blème nutritionnel [5]. Auguste Lumière va aussi établir les

Fig. 5. Communication à la société thérapeutique de Paris sur l’ invention du Tulle Gras®.

Fig. 6. Tracés des contours des plaies expérimentales sur les chiens : évolu-tion de la cicatrisation.

197B. Salazard et al. / Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 194–199

Page 5: Auguste Lumière, pionnier de la cicatrisation moderne

règles d’un bon pansement. Le pansement doit être changétous les jours au début puis 1 j sur 2. L’emploi du tulle grasdiminue de 30 % la durée de cicatrisation. Il insiste aussi surle choix de l’antiseptique en mettant en évidence l’ intérêt del’ iodure d’amidon. Il déclare : Les antiseptiques forts inhi-bent la régénération tissulaire et l’abus de poudres etonguents bactériostatiques engendrent des réactions detype eczémateux autour de la plaie.

Après la guerre il va poursuivre son activité auprès deLéon Bérard qui lui confie une annexe àson pavillon antican-céreux [2]. Il passe de nombreuses heures auprès des patientscancéreux, panse lui-même les plaies et paie les médica-ments dont ils ont besoin. Il organise des divertissements enfaisant venir dans le centre les chanteurs populaires. Il assisteaux cours à la faculté et il reproduit pour Léon Bérard enphotographies couleur de 1 m les planches d’anatomie deTestut. Avec son frère Louis ce sont des pionniers de laphotographie médicale [6]. Ils présentent en 1901 une com-munication à l’académie de médecine de Paris intitulée « Dela photographie en couleurs appliquée aux sciences médica-les », première réalisation mondiale de photographies médi-

cales couleur de qualité. Ils réaliseront de même parmi lespremiers films chirurgicaux.

Auguste Lumière va fonder sa polyclinique à Lyon en1930 où il poursuit ses travaux de recherche et d’expérimen-tation. Il va ainsi découvrir l’ intérêt de l’allochrysine (selsd’or) qui sera d’abord utilisé dans le traitement de la tuber-culose puis dans la polyarthrite rhumatoïde. De même il meten évidence l’ intérêt des persulfates alcalins (persodine) dansles douleurs abdominales [7]. Il élabore différentes théoriesplus ou moins reconnues sur les colloïdes, le vieillissement,les rayonnements solaires, l’anaphylaxie, la vaccination. Ileffectue un travail important sur le tétanos en affirmant qu’ ilfaut pratiquer une injection de sérum antitétanique pour tou-tes les plaies suspectes souillées [7]. Il insiste particulière-ment sur le risque de tétanos dans les hématomes sous-unguéaux et préconise de percer la tablette unguéale, élémentnovateur à l’époque.

Beaucoup de sujets ont intéresséAuguste Lumière tout aulong de sa vie et avec son frère Louis, ils auront déposé prèsde 100 brevets dans les domaines de la chimie, la physique, laphotographie, la nutrition ou la médecine. Ils auront égale-ment publié des centaines de communications scientifiquesdans toutes les sociétés savantes et plus de 200 ouvrages.Auguste Lumière était entre autres membres de l’académiede médecine de Paris, Madrid, Rio de Janeiro, docteur hono-ris causa de l’universitéde Berne mais aussi conseiller hono-raire du Commerce extérieur de la France et consul du Para-guay.

Auguste Lumière fut un homme extraordinaire, passionnéet généreux (Fig. 8). C’était un grand travailleur qui, entre5 et 20 h, multipliait les occupations. Durant ses vacancesdans la propriété familiale de La Ciotat, il pratiquait avec

Fig. 7. Ouvrage sur la cicatrisation des plaies, 1922.

Fig. 8. Auguste Lumière à 75 ans.

198 B. Salazard et al. / Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 194–199

Page 6: Auguste Lumière, pionnier de la cicatrisation moderne

plaisir la pêche à la ligne. Il faisait aussi partie de la sociétéfrançaise de prestidigitation.

Il a beaucoup apporté à la recherche sur la cicatrisationmais aussi dans d’autres domaines de la médecine comme entémoignent les 200 ouvrages publiés durant les 92 ans de safabuleuse vie.

Remerciements

Remerciements à monsieur le Dr Trarieux-Lumière, Ma-dame Berthier, Messieurs Lesaugnier, Ducasse et Courbé.

Références

[1] Despieres G, Labry R, Bouchet A, Rougier J, Robert JM. L’histoire del’Hôtel-Dieu de Lyon Conférences d’histoire de la médecine. Cycle80-81. Lyon : Aceml ; 1981.

[2] Fischer LP, Martinet B, Glas PY. Le premier centre anticancéreux deLyon (1923). Le chirurgien Léon Bérard et Auguste Lumière. Histoiredes sciences médicales 2001;35(3):253–62.

[3] Galmiche JM. Hygiène et médecine, histoire et actualitédes maladiesnosocomiales. Paris : Louis Pariente ; 1999.

[4] Carrel A, Hartman A. Cicatrization of wounds. Relation between thesize of a wound and the rate of its cicatrization. J Exp Med 1916;24:429–50.

[5] Lumière A. Les lois de la cicatrisation des plaies cutanées. Paris :Gaston Doin ; 1922.

[6] Aterman K, Grimaud JA. The brothers Lumiere. Pioneers in medicalphotography. Am J Dermatopathol 1983;5(5):479–81.

[7] Vigne P. L’œuvre scientifique de Auguste Lumière dans le domaine dela biologie et de la médecine. Paris : Léon Sézanne ; 1931.

199B. Salazard et al. / Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 194–199