article davos contre demos*

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AVRIL 2015 Davos contre Démos Ce qu’il faut savoir sur les traités multilatéraux de libre-échange* Par ANNE DE RUDDER Avril 2015 Illustrations : membres des comités locaux d’Attac de Paris 15 ème et Centre** * Cet article a paru sur le site internet du Space Pole Tribune (http://spacepoletribune.wix.com/spt-online, Bruxelles, avril 2015) dans une version très légèrement différente. ** Distribuées sous les termes de la licence Creative Commons By-Sa, téléchargeables sur le site SPIRALE Actions (www.spirale.attac.org/actions/). Les lobbies industriels les plus puissants mènent une guerre sans trêve pour réduire la planète, secteur par secteur, à l’état de champ d’exploitation au profit exclusif des entreprises transnationales (ETN). Dans cette guerre de conquête et de domination, le droit des peuples à décider de leur sort, inscrit dans la législation internationale et dans nombre de constitutions, entrave considérablement leur marge de manœuvre. D’autre part, les finances publiques des États constituent un magot étincelant sur lequel il serait regrettable de ne pas faire main basse. Pour s’approprier les unes et abroger l’autre, l’inventivité stratégique est infinie et tous les moyens sont bons. Les traités de libre-échange, conclus entre deux ou plusieurs États mais conçus par les méga-entreprises et les think tanks néo-libéraux, sont l’un de ces moyens. Le TTIP en gestation en est un exemple. Sa taille inédite lui confère cependant un caractère particulièrement pernicieux. Par le biais de ces traités, les ETN visent à imposer leur monopole en éliminant les entreprises locales, à faire table rase des systèmes de protection sociale qui écornent leurs bénéfices potentiels et, en infligeant aux populations leurs propres normes, à contourner ou prévenir les tentatives des nations pour protéger le climat, l’environnement, la santé et le bien-être. En vue de cet objectif, les traités de la dernière génération comprennent une clause dite de « règlement des disputes entre investisseurs et États » (RDIE) autorisant les entreprises à poursuivre un État devant une cour d’arbitrage créée à cet effet et dont les juges ne sont pas des magistrats mais des financiers. Au motif que leurs règlements, votés par leurs élus, constituent un frein à la capitalisation, les nations signataires de ces traités sont ainsi régulièrement condamnées à verser aux ETN des amendes astronomiques qui contribuent à assécher leurs ressources et visent à dissuader leurs populations d’adopter des lois améliorant la vie quotidienne. L’opposition aux traités de libre-échange et la dénonciation de leurs effets délétères se sont manifestées dès leur généralisation dans les années 1990 mais les protestations sont restées longtemps ponctuelles et isolées. A l’ampleur du tandem formé par le TTIP et le TPP, son jumeau pacifique, répond aujourd’hui une conscience citoyenne élargie aussi bien dans son étendue géographique que dans son analyse des traités comme moyens de dictature de la finance sur les populations du globe. La résistance se dessine-t-elle ? Une entrée très discrète Le 15 mai 2014, trois cents personnes qui manifestaient pacifiquement au centre de Bruxelles contre le projet de grand marché transatlantique 1 1 Le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), aussi appelé TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) et désigné en français par les sigles ont été violentées, menottées, arrêtées par la police bruxelloise et incarcérées pendant une journée, au point de susciter la protestation de la Ligue des PTCI (Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement) ou APT (Accord de partenariat transatlantique), est un traité en négociation dont l’objectif est d’établir une zone de libre-échange englobant l’Europe et les États-Unis, baptisée grand marché transatlantique (GMT).

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Ce qu’il faut savoir sur les traités multilatéraux de libre-échange, par Anne De Rudder* Cet article a paru sur le site internet du Space Pole Tribune (http://spacepoletribune.wix.com/spt-online, Bruxelles, avril 2015) dans une version très légèrement différente.** Distribuées sous les termes de la licence Creative Commons By-Sa, téléchargeables sur le site SPIRALE Actions (www.spirale.org).

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  • AVRIL 2015

    Davos contre Dmos

    Ce quil faut savoir sur les traits multilatraux de libre-change*

    Par ANNE DE RUDDER

    Avril 2015

    Illustrations : membres des comits locaux dAttac de Paris 15me et Centre**

    * Cet article a paru sur le site internet du Space Pole Tribune (http://spacepoletribune.wix.com/spt-online, Bruxelles,

    avril 2015) dans une version trs lgrement diffrente.

    ** Distribues sous les termes de la licence Creative Commons By-Sa, tlchargeables sur le site SPIRALE Actions

    (www.spirale.attac.org/actions/).

    Les lobbies industriels les plus puissants mnent une guerre sans trve pour rduire la plante, secteur par secteur, ltat de champ dexploitation au profit exclusif des entreprises transnationales (ETN). Dans cette guerre de conqute et de domination, le droit des peuples dcider de leur sort, inscrit dans la lgislation internationale et dans nombre de constitutions, entrave considrablement leur marge de manuvre. Dautre part, les finances publiques des tats constituent un magot tincelant sur lequel il serait regrettable de ne pas faire main basse. Pour sapproprier les unes et abroger lautre, linventivit stratgique est infinie et tous les moyens sont bons. Les traits de libre-change, conclus entre deux ou plusieurs tats mais conus par les mga-entreprises et les think tanks no-libraux, sont lun de ces moyens. Le TTIP en gestation en est un exemple. Sa taille indite lui confre cependant un caractre particulirement pernicieux. Par le biais de ces traits, les ETN visent imposer leur monopole en liminant les entreprises locales, faire table rase des systmes de protection sociale qui cornent leurs bnfices potentiels et, en infligeant aux populations leurs propres normes, contourner ou prvenir les tentatives des nations pour protger le climat, lenvironnement, la sant et le bien-tre. En vue de cet objectif, les traits de la dernire gnration comprennent une clause dite de rglement des disputes entre investisseurs et tats (RDIE) autorisant les entreprises poursuivre un tat devant une cour darbitrage cre cet effet et dont les juges ne sont pas des magistrats mais des financiers. Au motif que leurs rglements, vots par leurs lus, constituent un frein la capitalisation, les nations signataires de ces traits sont ainsi rgulirement condamnes verser aux ETN des amendes astronomiques qui contribuent asscher leurs ressources et visent dissuader leurs populations dadopter des lois amliorant la vie quotidienne. Lopposition aux traits de libre-change et la dnonciation de leurs effets dltres se sont manifestes ds leur gnralisation dans les annes 1990 mais les protestations sont restes longtemps ponctuelles et isoles. A lampleur du tandem form par le TTIP et le TPP, son jumeau pacifique, rpond aujourdhui une conscience citoyenne largie aussi bien dans son tendue gographique que dans son analyse des traits comme moyens de dictature de la finance sur les populations du globe. La rsistance se dessine-t-elle ?

    Une entre trs discrte

    Le 15 mai 2014, trois cents personnes qui manifestaient pacifiquement au centre de Bruxelles contre le projet de grand march transatlantique1

    1 Le TTIP (Transatlantic Trade and Investment

    Partnership), aussi appel TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) et dsign en franais par les sigles

    ont t violentes, menottes, arrtes par la police bruxelloise et incarcres pendant une journe, au point de susciter la protestation de la Ligue des

    PTCI (Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement) ou APT (Accord de partenariat transatlantique), est un trait en ngociation dont lobjectif est dtablir une zone de libre-change englobant lEurope et les tats-Unis, baptise grand march transatlantique (GMT).

  • AVRIL 2015 Page 2 Davos contre Dmos Droits de lHomme2. Vous vous souvenez peut-tre. Des lections historiques se prparaient. En Belgique, elles auraient lieu dix jours plus tard, le 25 mai. Les candidats fourbissaient leur discours. Mais du trait, motus. Sur ce sujet, ils ntaient dailleurs pas les seuls se taire : la presse quotidienne belge lavait ignor jusqualors avec une superbe unanimit. Des analystes politiques, syndicalistes et journalistes vigilants avaient pourtant lanc lalerte3. Et le 26 mars, la visite du prsident Obama Bruxelles ntait pas passe inaperue, accompagn quil tait de sa dlgation de 900 personnes4. Lampleur des mesures de scurit dployes cette occasion avait fortement impressionn les journalistes, mais qui parmi eux avait sembl se soucier de la teneur de ce sommet Europe/tats-Unis qui paralysait la vie de la capitale ?

    De fait, des pourparlers entre les tats-Unis (U) et lEurope concernant ce projet daccord conomique avaient t mens dans le plus grand secret depuis plus dun an5. Quelques spcialistes savaient que quelque chose tait en cours de ngociation, bien entendu. Une page tait mme consacre au sujet sur le site web de la Commission europenne. Une page qui ne disait rien sinon que ce

    2 Arrestations massives lors de la manifestation contre

    le trait transatlantique : Business as usual , Ligue des Droits de lHomme, www.liguedh.be, Bruxelles, 15 mai 2014. 3 Par exemple: Un march transatlantique?

    Associations, syndicats et mouvements sociaux disent non! , FGTB wallonne, www.fgtb-wallonne.be, Bruxelles, 15 fvrier 2013 ; A transatlantic corporate bill of rights, Investor privileges in EU-US trade deal threaten public interest and democracy , Corporate Europe Observatory (CEO), http://corporateeurope.org, Bruxelles, octobre 2013 ; Lori Wallach, Le trait transatlantique, un typhon qui menace les Europens , Le Monde diplomatique, Paris, novembre 2013 ; Serge Halimi, Un pige transatlantique , Le Monde diplomatique, Paris, mars 2014. 4 Visite dObama Bruxelles : la capitale aura des airs

    de forteresse , Radio-Tlvision Belge Francophone (RTBF), www.rtbf.be, Bruxelles, 24 mars 2014. 5 Entames en juillet 2013, les ngociations proprement

    dites, menes huis clos et passes sous silence par la majorit de la presse, ont t prcdes, en 2012, de discussions bilatrales prparatoires tout aussi confidentielles. Cependant, llaboration du projet, uvre du TABD (Trans-Atlantic Business Dialogue, association de septante entreprises transnationales), est en cours depuis la cration de ce dernier en 1995. Sur lhistorique du TTIP: Plus de vingt ans de prparatifs , Le Monde diplomatique, Paris, juin 2014. Sur lopacit des pourparlers: Martin Pigeon, Silence, on ngocie pour vous , Le Monde diplomatique, Paris, juin 2014.

    trait ferait refleurir lconomie du vieux continent, crerait des emplois sans nombre et promettait aux Europens bonheur et prosprit affirmations loin dtre confirmes par une valuation conomique laquelle elles prtendaient pourtant se rfrer6.

    Se basant principalement sur une tude produite par le CEPR7, la CE affirmait entre autres que le TTIP pourrait accrotre de plusieurs millions le nombre demplois lis au secteur des exportations dans lUnion europenne 8. En juin 2013 et maintes fois par la suite, Karel De Gucht, commissaire europen au commerce, avait dj clbr les lendemains qui chantent en promettant 545 euros de plus par an chaque foyer europen9. Un rapport commandit par le groupe confdral de la Gauche unitaire europenne Gauche verte nordique (GUE-NGL)10 le forcera se ddire quelques mois plus tard11 en montrant que les quatre tudes de rfrence de la CE utilisent des modles bass sur des hypothses irralistes, ngligeant entre autres les cots de la libralisation des changes en termes demplois. Des calculs effectus laide de modles alternatifs bass sur des observations relles et liant les variations du PIB celles de la main duvre prvoient long terme, au contraire, une augmentation significative du chmage en Europe. Celle-ci serait lie au transfert des changes intra-europens vers le

    6 Lvaluation, ralise laide dun modle dquilibre

    gnral calculable, prvoit un gain de 0,2% 0,5% du PIB sur dix ans, ce qui donnera au mieux un surcrot de croissance de lordre du quart de la marge derreur du calcul du PIB par an. Les gains en emploi sont tout aussi faibles; un institut de conjoncture allemand les chiffre 400 000 emplois pour lensemble de lEurope. (Bruno Amable, Grand march transatlantique : la vigilance est requise , Libration, www.liberation.fr, Paris, 17 mars 2014). 7 Le Centre for Economic Policy Research (CEPR) est un

    think tank londonien financ par plusieurs grandes banques (Deutsche Bank, BNP Paribas, Citigroup, Barclays, JP Morgan, etc.). 8 Transatlantic Trade and Investment Partnership. The

    economic analysis explained , Commission europenne (CE), http://ec.europa.eu, Bruxelles, septembre 2013. 9 Communiqu de la CE, 14 juin 2013.

    10 Werner Raza, Jan Grumiller, Lance Taylor, Bernhard

    Trster et Rudi von Arnim, Assess TTIP: Assessing the claimed benefits of the Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Final report , sterreichische Forschungsstiftung fr Internationale Entwicklung (FSE), Vienne, 31 mars 2014. 11

    Renaud Lambert, Th, petits gteaux et ides lumineuses au palace Shangri-La , Le Monde diplomatique, www.monde-diplomatique.fr, Paris, juin 2014.

  • Davos contre Dmos Page 3 AVRIL 2015

    commerce transatlantique, la fermeture des entreprises locales incapables de soutenir le niveau de comptitivit requis pour survivre, et au fait que les entreprises comptitives ne traduisent que dans une faible mesure leur accroissement de bnfice en extension de personnel12.

    Prpares dans lombre par un grand nombre de consultations de lobbies principalement industriels13, les ngociations menes par Monsieur De Gucht et lambassadeur amricain dlgu au commerce Michael Froman, dont les dputs taient exclus, avaient lieu huis clos. Mais cette opacit mme avait mis la puce loreille dun certain nombre danalystes conomiques alerts par les prcdents et familiers de la logique capitaliste. Confirmant leur apprhension, une fuite avait permis la parution, dans le journal allemand en ligne Zeit Online, dune partie du texte du projet date du 2 juillet 201314. En particulier, quelques lignes envisageaient la mise en uvre dune procdure de rglement des diffrends entre entreprises et tats (RDIE)15 par une cour darbitrage prive ad hoc nous y reviendrons. Des deux cts de lAtlantique, des associations de

    12

    Jacques Sapir, La catastrophe du TTIP? , http://russeurope.hypotheses.org/3696, 4 avril 2015, et rfrences cites dans cette analyse critique des modles conomiques utiliss pour valuer limpact du TTIP. 13

    Who lobbies most on TTIP? , Corporate Europe Observatory (CEO), http://corporateeurope.org, Bruxelles, 8 juillet 2014. 14

    Une traduction franaise de ce texte avait t publie le 1

    er mars 2014 sur le site internet de ContreLaCour,

    www.contrelacour.fr. 15

    Mcanisme de Rglement des Diffrends entre Investisseurs et tats (RDIE), ou Investor-State Dispute Settlement (ISDS). Cette clause garantit une entreprise la possibilit dattaquer un tat devant une cour darbitrage prive.

    citoyens conscients du danger16 staient constitues autour de ce thme de mobilisation. Cest lappel de deux dentre elles17 et loccasion du sommet du business europen18 quavait lieu la manifestation du 15 mai.

    Des bienfaits de la rpression policire

    Le dchanement de violence policire contre cette dernire eut du bon : il brisa, bien involontairement, la loi du silence observe jusque-l par la presse dominante lgard du TTIP, dont la vaste majorit des citoyens belges ignorait lexistence. Dans leur compte rendu de lvnement, et quoiquils aient mis laccent sur la rpression des manifestants, les media ont t bien obligs de dire quelques mots de la raison qui avait pouss ces derniers dans la rue19. Soudain, tout le monde a su ce qutait le TTIP et tout le monde sest mis en parler. Plusieurs candidats se sont prononcs pour ou contre.

    Paralllement, lchelle europenne, linformation commenait circuler. Les articles se

    16

    Lori Wallach, Dix menaces pour le peuple amricain , et Wolf Jcklein, et dix menaces pour les peuples europens , Le Monde diplomatique, Paris, juin 2014. 17

    LAlliance D19-20 (www.d19-20.be) et Alter Summit (www.altersummit.eu). Parmi dautres associations citoyennes se mobilisant contre le projet de TTIP en Europe, signalons la plateforme No Transat (www.no-transat.be), le Collectif Stop TAFTA (www.collectifstoptafta.org) et linitiative citoyenne Stop TTIP & CETA (https://stop-ttip.org). Des associations similaires ont vu le jour de lautre ct de lAtlantique et lchelle du globe, par exemple Public Citizen aux tats-Unis (www.citizen.org) et le rseau de la World Alliance Against TPP and TTIP (WAATT) sur Facebook (www.facebook.com/waatt.org). Ces associations rassemblent des organisations non gouvernementales (ONG), des syndicats, des individus proccups de dmocratie, des cologistes, agriculteurs, artistes, travailleurs, allocataires sociaux, etc. 18

    European Business Summit, Where business and politics shape the future (http://ebsummit.eu), lun des mga-lobbies industriels parties prenantes du Trans-Atlantic Business Council (TABC). Le TABC (www.transatlanticbusiness.org) rsulte de la fusion du Conseil des entreprises europennes et amricaines et du TABD dj cit. 19

    Voir par exemple Une manifestation autour du palais dEgmont dgnre (reportage tlvis), Radio-Tlvision Belge Francophone (RTBF), www.rtbf.be, Bruxelles, 15 mai 2014.

  • AVRIL 2015 Page 4 Davos contre Dmos multipliaient, les sites dinformation (et de dsinformation) aussi. Les associations citoyennes initialement constitues autour de la mobilisation contre le TTIP largissaient leur champ daction tous les traits analogues ainsi qu la politique daustrit dont ces traits ne sont quun versant. Des citoyens rpondaient en nombre la consultation publique que la Commission europenne (CE), contrainte par une mobilisation dj active, avait lance en mars sur laspect le plus anti-dmocratique du projet, la procdure de rglement des diffrends entre entreprises et tats (RDIE) dj cite20. En juillet, le collectif Stop TTIP, rassemblant plus de 300 organisations et de nombreux individus dans 24 tats de lUnion europenne (UE), dposait auprs de la CE une demande denregistrement dinitiative citoyenne baptise Stop TTIP & CETA 21 ; devant le refus denregistrement de son initiative par la Commission22, le collectif na toutefois pas renonc ; il a saisi la Cour de justice europenne et a coll ltiquette auto-organise sur la ptition en ligne, qui continue rcolter des signatures23. Notons que le texte complet ne rejette pas demble lide dun trait conomique entre les tats-Unis et lEurope, pourvu quil ait pour principe lalignement des

    20

    La consultation publique de la CE a t clture le 13 juillet 2014. Un rapport faisant tat des rponses a t publi en janvier: Online public consultation on investment protection and investor-to-state dispute settlement (ISDS) in the Transatlantic Trade and Investment Partnership Agreement (TTIP) , Commission europenne (CE), http://trade.ec.europa.eu, Bruxelles, 13 janvier 2015. 21

    Les initiatives citoyennes sont un dispositif europen qui permet la socit civile dobtenir de la Commission quelle se penche sur une question donne, condition de runir un million de signatures rparties selon des critres dfinis par la loi. Le projet dinitiative citoyenne doit toutefois tre pralablement soumis la Commission pour enregistrement. Cest cette tape que le projet Stop TTIP & CETA a t rejet, aprs avoir toutefois dj rcolt plus du million de signatures requis. 22

    La Commission europenne rejette linitiative citoyenne contre le TTIP , Radio-Tlvision Belge Francophone (RTBF), www.rtbf.be, Bruxelles, 11 septembre 2014 ; TTIP : initiative citoyenne refuse, malgr le succs dune ptition , Radio France Internationale (RFI), www.rfi.fr, 5 dcembre 2014. 23

    Nous appelons les institutions de lUnion europenne et de ses pays membres arrter les ngociations avec les tats-Unis sur le Partenariat transatlantique de commerce et dinvestissement (TTIP ou TAFTA) et ne pas ratifier lAccord conomique et Commercial Global (CETA) avec le Canada , https://stop-ttip.org/

    normes sur des standards de qualit leve et non linverse. Reste pose la question de la raison dtre et de la lgitimit dun trait dont la ncessit nest prouve que par les compagnies transnationales

    En Belgique, le 8 septembre, le Conseil communal de la Ville de Bruxelles votait, lunanimit moins une abstention, une motion propose par son Collge affirmant sa mfiance lgard du TTIP, rejoignant ainsi les municipalits franaises qui staient dj dclares villes sans TTIP , imite bientt par Tournai et une trentaine dautres communes belges. Enfin, le 19 dcembre, ce ntait plus six cents personnes mais plus de trois mille, dont une dlgation franaise et une dlgation allemande, qui manifestaient contre le TTIP dans les rues de Bruxelles loccasion dune runion du Conseil europen24.

    Bien entendu, la raction ne sest pas fait attendre : les think tanks libraux ont multipli les professions de foi en ligne, expliquant au public pourquoi le TTIP tait bon pour lui, et la page internet de la CE sur le sujet a fait peau neuve, non pour mieux renseigner le citoyen mais pour se dfendre de laccusation dopacit grand renfort dinvocations de transparence.

    Une gante bleue dans une constellation

    Lors de la runion de lAlliance D19-20 pour prparer la manifestation de dcembre, une jeune femme est intervenue pour demander du secours lassemble : le surlendemain avait lieu Bruxelles, au terme de dix ans de rsistance de la part des tats africains, la signature finale des Accords de

    24

    Le Conseil y avait formul la demande que l'UE et les tats-Unis fassent tous les efforts ncessaires pour conclure, d'ici la fin de 2015, les ngociations sur un partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI) qui soit ambitieux, global et mutuellement bnfique (communiqu de la CE, 19 dcembre 2014).

  • Davos contre Dmos Page 5 AVRIL 2015

    partenariat conomique (Ap) entre lUnion europenne et seize pays dAfrique occidentale dont le sien, le Sngal25.

    Car le TTIP est loin dtre unique en son genre. Il sapprte rejoindre une galaxie de traits bi- ou multilatraux taills plus ou moins sur le mme patron. Encore relativement peu frquents en 1980, les traits de commerce et dinvestissement sont entrs en vogue dix ans plus tard, accusant un pic du nombre de signatures en 1996 avec plus de 200 traits conclus cette anne-l. Ds les annes 1990, face aux lenteurs de lOMC rglementer le monde26, les lobbies industriels ont en effet initi llaboration parallle dune multitude de ces traits entre tats, recourant pour les y contraindre divers procds plus ou moins coercitifs et leur faisant miroiter les prtendus atouts quils reprsentaient pour leurs conomies nationales. Le nombre de traits conclus chaque anne a entam une diminution marque vers 2003 mais lanne 2014 a encore vu la signature de 27 nouveaux traits, soit en moyenne un tous les quinze jours. En fvrier 2015, la Cnuced27 recensait 3.268 traits dinvestissement28. Cest galement dans les annes 1990 que ces traits ont subi une mutation notable de leur contenu, accordant aux investisseurs trangers une panoplie de nouveaux privilges qui leur confrent un pouvoir dune ampleur indite sur les socits des pays o ils simplantent29. Ainsi,

    25

    Jacques Berthelot, Le baiser de la mort de lEurope lAfrique , Le Monde diplomatique, Paris, septembre 2014 ; Entre lEurope et lAfrique de lOuest, un libre-change sens unique , Libration, 12 dcembre 2014. 26

    Aboutissement du Cycle dUruguay entam en 1986, lOrganisation Mondiale du Commerce (OMC) a t fonde en 1994 Marrakech par les tats de 123 pays, linstigation et sous la pression des ETN les plus puissantes, de sorte que lon peut dire quelle est leur propre cration et lun de leurs outils, mme sil sagit dun outil trop lourd leur got. Le 26 avril 2015, les Seychelles deviendront le 161

    me tat membre de lOMC.

    27 Confrence des Nations unies sur le commerce et le

    dveloppement (Cnuced), ou United Nations Conference on Trade and Development (UNCTAD). 28

    Recent trends in IIAs and ISDS , Confrence des Nations unies sur le commerce et le dveloppement (Cnuced), International Investment Agreements (IIA) Issues Note N 1, www.unctad.org, Genve, fvrier 2015. 29

    Table of foreign investor-state cases and claims under NAFTA and other U.S. trade deals , Public Citizen, www.citizen.org, Washington, DC, mars 2015.

    lAccord de libre-change nord-amricain (Alna)30 en vigueur depuis 1994 a servi de gabarit son homologue dAmrique centrale (Alac, sign en 2004)31 et aux accords bilatraux conclus entre les tats-Unis et dautres pays entre 2005 et 2007, entrs en vigueur quelques annes aprs leur signature en dpit doppositions parfois trs fortes des populations concernes, rprimes dans la violence, comme celles des paysans pruviens en 2005 et 2008, dont la dernire fit quatre morts32.

    Sil voit le jour, le TTIP se distinguerait cependant par lampleur de ses consquences. En soi, cet accord dterminerait les rgles applicables des changes commerciaux dune valeur de quelque 2 milliards deuros par jour ainsi quaux conomies des deux rgions les plus riches du monde. Ses consquences sur la vie quotidienne de plus de 800 millions de personnes, pour ne pas dire le monde entier, seraient la fois prvisibles et imprvisibles 33. Avec lAccord de partenariat transpacifique (TPP)34, dont les ngociations prparatoires, entames en 2011, incluent douze

    30

    North American Free Trade Agreement (NAFTA), entre les tats-Unis, le Canada et le Mexique. 31

    Central American Free Trade Agreement (CAFTA), entre les tats-Unis, la Rpublique dominicaine et les tats dAmrique centrale suivants : Costa Rica, Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua. 32

    Etats-Unis-Prou , bilaterals.org, www.bilaterals.org. 33

    Susan George, Les usurpateurs, Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir , Seuil, Paris, octobre 2014. 34

    Trans-Pacific Partnership (TPP).

  • AVRIL 2015 Page 6 Davos contre Dmos pays35 et sont toujours en cours, il constituerait une immense zone de libre-change bipolaire, dont les tats-Unis occuperaient le centre, favorisant ainsi les entreprises amricaines. De plus, tout pays dsireux de conclure un accord commercial avec lun ou lautre des partenaires du TPP ou du TTIP naurait pas dautre choix que de se soumettre aux mmes obligations et lalliance TPP-TTIP aurait toute puissance pour peser sur les conomies extrieures, telles que celles des BRIC36, qui tenteraient dchapper ses rgles37.

    Hormis le TTIP, deux traits ayant lEurope pour partenaire sont actuellement en voie dadoption. Il sagit de lAccord conomique global entre lUnion europenne (UE) et le Canada (CETA)38, dont le texte final a t tabli en septembre 2014 et qui, du ct europen, attend dtre soumis au vote des parlements europen et nationaux, et de lAccord sur le commerce des services (ACS)39 actuellement ngoci entre lUE et 23 tats membres de lOMC40.

    Le glas de la dmocratie

    Les traits de libre-change sont crits, de la premire la dernire ligne, par et pour les entreprises transnationales. Rien dtonnant, donc, ce que ces traits ne sembarrassent pas de considrations philanthropiques. Les catastrophes sociales telles que la perte dun million et demi demplois aux tats-Unis (U) et au Canada suite lentre en vigueur de lAlna41 confirment les craintes quon est en droit dmettre leur sujet, et font apparatre dans toute sa clart labsurdit des promesses davenir radieux de la CE. Lre de la simple abolition des barrires douanires et de la coexistence pacifique entre public et priv est rvolue ; les rgles qui sappliquent aujourdhui aux transactions et aux investissements visent directement lanantissement du secteur public. Une disposition frquente de ces traits impose par exemple quun secteur privatis ne puisse pas redevenir public (effet de cliquet)42.

    35

    Australie, Brunei, Canada, Chili, tats-Unis, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zlande, Prou, Singapour, Vietnam. 36

    Brsil, Russie, Inde, Chine. 37

    Susan George, op. cit. 38

    Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA). 39

    Trade in Services Agreement (TISA). 40

    Accords de commerce: mobilisation mondiale le 18 avril! , Tribune des services publics, FGTB/CGSP, Bruxelles, avril 2015. 41

    Ibid. 42

    Ibid.

    La plupart des traits multilatraux existants comportent une clause de RDIE43. Cette procdure que la CE, dtournant sans vergogne le vocabulaire de la justice sociale, prsente comme une mesure quitable ( donner les mmes chances tous ), anantit dfinitivement la dmocratie en autorisant toute ETN porter plainte contre un tat qui adopterait une rglementation perue par lentreprise comme une menace pesant sur ses bnfices. Au peuple souverain, elle substitue en effet la socit prive, qui elle octroie en outre deux des trois pouvoirs (lgislatif et judiciaire) dont la sparation est un des fondements du systme dmocratique. Ladoption de toute loi vote par un parlement lu devient susceptible de revtir un caractre criminel et la perspective de lamende dont ltat jug coupable devrait sacquitter le dissuade souvent den prendre le risque, interdisant tout progrs social ou environnemental, au mpris du droit des peuples choisir leurs propres lois. La clause de RDIE a permis certaines entreprises de faire fortune de faon fulgurante aux dpens des contribuables.

    Les recours des ETN sont dposs devant des cours darbitrage. Leur jugement est sans appel. Il en existe plusieurs dont les deux principales, en termes de nombre daffaires traites, sont une officine de la Banque mondiale baptise Centre international pour le rglement des diffrends relatifs aux investissements (Cirdi)44 et la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (Cnudci)45. Toutes deux ont t cres en 1966.

    43

    Selon The Economist, cette clause est apparue pour la premire fois en 1959 dans un trait bilatral entre lAllemagne et le Pakistan ( The arbitration game , The Economist, www.economist.com, 11 octobre 2014). 44

    International Centre for Settlement of Investment Disputes (ICSID). 45

    United Nations Commission on International Trade Law (UNCITRAL).

  • Davos contre Dmos Page 7 AVRIL 2015

    Chaque contentieux est jug par trois arbitres dont la plupart ont rejoint de grands cabinets davocats nord-amricains ou europens aprs un parcours professionnel dans le monde des affaires ou la sphre politique, ou les deux. Parmi les 15 arbitres les plus sollicits se trouvent par exemple le Chilien Francisco Orrego Vicua, ex-haut fonctionnaire dans le gouvernement dAugusto Pinochet, et lancien ministre canadien Marc Lalonde, ex-membre des conseils dadministration de Citibank Canada et dAir France46.

    La possibilit de recours dune socit prive contre un tat est antrieure lapparition de la clause de RDIE dans les traits mais elle a surtout t mise en pratique au XXIme sicle : sur 550 cas enregistrs entre les annes 50 et 2012, 80% lont t au cours de la priode 2003-201247, et la pratique marque une nette tendance devenir de plus en plus frquente, avec un record de 59 plaintes connues en 2013 ; en 2014, leur nombre semble avoir diminu 42 ; ces chiffres sont approximatifs car tous les cas ne sont pas rendus publics et il est possible que la diminution observe en 2014 soit lie un plus grand nombre de cas non publis48. Une majorit des plaintes sont mises par des entreprises du Nord (U et UE) lencontre dtats du Sud ; cest aux gouvernements qui tentent de prendre quelque distance vis--vis de lorthodoxie conomique (Argentine, Venezuela) quchoit le record du nombre de contentieux49. Les pays dorigine les plus frquents des plaignants sont, dans lordre du nombre de recours dposs, les tats-Unis, les Pays-Bas, le Royaume Uni, lAllemagne, la France, le Canada ; selon le bilan tabli par la Cnuced, fin 2014, la Belgique arrive en onzime place avec environ 17 entreprises belges ayant intent un procs contre un tat tranger, dont 3 en 201450. Les ddommagements auxquels prtendent les plaignants atteignent des sommes colossales (rarement adjuges dans leur totalit, il est vrai). Parmi les cas recenss de recours dposs en vertu de lAlna, de lAlac et des traits bilatraux des U

    46

    Benot Brville et Martine Bulard, Des tribunaux pour dtrousser les tats , Le Monde diplomatique, Paris, juin 2014. 47

    Shawn Donan, EU and US pressed to drop dispute-settlement rule from trade deal , Financial Times, Londres, 10 mars 2014; cit par Benot Brville et Martine Bulard, op. cit. 48

    Recent trends in IIAs and ISDS , op. cit. 49

    Benot Brville et Martine Bulard, op.cit. 50

    Recent trends in IIAs and ISDS , op. cit.

    avec le Prou, Oman et le Panama, les sommes rclames varient de 0,4 30.000 millions de dollars51.

    Sur un peu plus de 600 plaintes (connues) dposes avant fin 2014, 356 ont dj t traites par une cour darbitrage ; les autres sont en cours. Larrt a t prononc en faveur de ltat dans 37% des cas et en faveur de lETN dans 27% ; 28% se sont conclus par un arrangement entre parties et 8% ont t abandonns en cours de procdure52. Le rapport de la Cnuced prcise que lorsque laffaire se conclut par un arrangement, les termes en restent souvent confidentiels. Si lon en juge par les cas documents par Public Citizen, il est cependant vraisemblable que la plupart du temps, larrangement propos lETN par ltat, qui espre ainsi limiter ses frais, comporte une contrepartie non ngligeable. Les abandons peuvent aussi signaler la conclusion dun arrangement hors du cadre de la procdure. Lissue de la procdure pnalise donc ltat dans bien plus de 27% des cas. Dans son rapport, Public Citizen donne une description dtaille des 88 procdures recenses lies aux traits signs par les U53. On y constate que lors dun arrangement, il est frquent que la transaction entre parties se solde pour ltat par le paiement lETN dune somme dargent consquente ou par une concession dun autre genre, telle que labandon dune poursuite devant un tribunal lgal, ou lacceptation denfreindre ou dabroger ses propres rgles de protection des citoyens. En outre, mme quand ltat gagne, il doit payer des frais de justice astronomiques (les siens et parfois ceux de lETN). Notons quaucune des 17 plaintes dj arbitres dposes contre les U en vertu de lAlna na abouti leur condamnation. Lindemnit la plus leve ce jour (50 milliards de dollars) a t accorde en 2014. Dans son rapport prcdent (mai 2013), la Cnuced faisait dj la mme constatation pour 2012 propos de la condamnation de lquateur ddommager la compagnie ptrolire Occidental dun montant de 1,77 milliards de dollars pour non-renouvellement de contrat54.

    51

    Table of foreign investor-state cases and claims under NAFTA and other U.S. trade deals , op. cit. 52

    Recent trends in IIAs and ISDS , op. cit. 53

    Table of foreign investor-state cases and claims under NAFTA and other U.S. trade deals , op. cit. 54

    Recent Developments in investor-state dispute settlement (ISDS) , Confrence des Nations unies sur le commerce et le dveloppement (Cnuced), International Investment Agreements (IIA) Issues Note N 1, www.unctad.org, Genve, mai 2013.

  • AVRIL 2015 Page 8 Davos contre Dmos

    Les exemples foisonnent. En voici quelques-uns. En 1998, ltat canadien verse Ethyl Corp. 13 millions de dollars (la socit en rclamait 250 millions) pour que la compagnie chimique amricaine abandonne un recours devant la Cnudci mettant en cause, au nom de lAlna, une loi interdisant le MMT (un additif toxique de lessence) ; suivant les termes de larrangement, le Canada annule la loi55. En 2000, au nom de lAlna, le Cirdi condamne le Mexique verser 16,7 millions de dollars la firme Metalclad pour lui avoir interdit linstallation dun dpt de dchets hautement toxiques56. En 2002, le Cirdi condamne ltat mexicain rembourser Marvin Feldman, exportateur de tabac et citoyen amricain bas au Mexique, les taxes perues avant lentre en vigueur de lAlna, en accord avec la rglementation mexicaine57. En 2008, la Rpublique dominicaine verse la Socit gnrale et son groupe amricain TCW, exploitant lune des trois socits de distribution dlectricit du pays, la somme de 26,5 millions de dollars (TCW en rclamait 606 millions) pour quils abandonnent les poursuites entreprises auprs de la Cnudci et dune autre cour darbitrage, au nom de lAlac et du trait bilatral avec la France, parce que le gouvernement dominicain navait pas voulu augmenter les tarifs de llectricit58. En 2010, le gouvernement canadien annonce quil sapprte verser 122 millions de dollars la firme AbitiBowater (qui en rclamait 467,5 millions) pour que cette dernire abandonne les poursuites entreprises devant la Cnudci suite la saisie par la province du Newfoundland des droits de la firme sur leau et le bois, en rponse la fermeture par AbitiBowater dun moulin papier et

    55

    Table of foreign investor-state cases and claims under NAFTA and other U.S. trade deals , op. cit. 56

    Jacques Cossart et Denise Mendez, Le Centre de rglement des diffrends sur linvestissement (CIRDI) , Attac France, https://france.attac.org, Paris, 21 dcembre 2009. 57

    Ibid. 58

    Table of foreign investor-state cases and claims under NAFTA and other U.S. trade deals , op. cit.

    au licenciement de 800 employs59. Cest galement en 2010 que le gouvernement de Pretoria accepte de transgresser sa propre loi visant rtablir lgalit raciale, le Black Economic Empowerment Act (qui octroie aux Noirs un accs prfrentiel la proprit des terres et des mines), pour accorder des concessions la firme italienne Piero Foresti, Laura De Carli et al.60 qui avait attaqu lAfrique du Sud devant le Cirdi en 200761. LAllemagne elle-mme, hraut du no-libralisme, capitule en 2011 devant le groupe sudois Vattenfall qui avait accus devant le Cirdi les autorits hambourgeoises davoir adopt une rglementation environnementale limitant la rentabilit de son projet de centrale au charbon : laffaire se rsout par un arrangement en vertu duquel lAllemagne accepte de rendre ses normes moins strictes62 ; aujourdhui, la firme rclame lAllemagne 3,7 milliards deuros pour sa dcision de sortir du nuclaire dici 202263. On vient dapprendre que le Cirdi a donn gain de cause au groupe franais Suez Environnement dans le long diffrend qui la oppos lArgentine aprs la rsiliation en 2006 du contrat de gestion des services deau et dassainissement de la ville de Buenos Aires pour la confier une entreprise contrle 90% par ltat ; lamende slve 405 millions de dollars64.

    Un exemple me semble illustrer parfaitement la faon dont, quelle que soit lissue du recours en termes financiers, lETN en sort toujours gagnante au dtriment des populations. En 2008-2009, la firme Dow Chemical, rendue tristement clbre en 2004 pour son refus dindemniser les victimes de lisocyanate de mthyle Bhopal65, dpose devant la

    59

    Ibid. 60

    Benot Brville et Martine Bulard, op. cit. 61

    Julien Fouret et Dany Khayat, Centre international pour le rglement des diffrends relatifs aux investissements (Cirdi) , Revue qubcoise de droit international (SQDI), Vol. 20.1, www.sqdi.org, Montral, 2007. 62

    Benot Brville et Martine Bulard, op. cit. 63

    The arbitration game , op. cit. 64

    LArgentine devra verser 380 millions deuros Suez , Le Monde, www.lemonde.fr, Paris, 9 avril 2015. 65

    En 1984, une usine de Union Carbide tablie Bhopal (Inde) laisse chapper de grandes quantit disocyanate de mthyle. 8.000 personnes meurent sur le coup. De 12.000 22.000 autres personnes meurent des suites de la pollution. Les consquences de cette catastrophe continuent dtre tragiques aujourdhui, de trs nombreux enfants naissant par exemple gravement malforms ou dj morts ( Union Carbides disaster , The Bhopal Medical Appeal, http://bhopal.org). Les familles des victimes indiennes nont jamais t indemnises. Union Carbide est rachete en 2001 par

  • Davos contre Dmos Page 9 AVRIL 2015

    Cnudci une plainte contre le Canada, se rclamant de lAlna. En cause, linterdiction par plusieurs provinces, dont le Qubec, de pesticides base de 2,4-D, un agent chimique hautement toxique. Linterdiction tant plbiscite par une trs vaste

    majorit (90%) de la population, dautres provinces canadiennes sapprtaient ladopter galement, et Dow esprait les en dissuader en menaant le Canada par ce biais. Les provinces ayant malgr tout adopt linterdiction et la menace stant rvle inutile ce point de vue, Dow propose ltat canadien de conclure laffaire par un arrangement aux termes duquel il accepte que la loi reste en vigueur et renonce exiger des contribuables des ddommagements financiers, mais impose au Qubec de dclarer que les produits contenant du 2,4-D ne prsentent pas de risque inacceptable pour la sant humaine ou lenvironnement pourvu que les instructions mentionnes sur ltiquette soient suivies , ce dont se rclamera ensuite abusivement la firme pour affirmer que le Canada reconnat linnocuit des pesticides en question66.

    Aiguillonnes par cette pluie de triomphes, les mga-entreprises se prcipitent aujourdhui sur cette manne quelles ont cre, attaquant les tats simultanment devant toutes les instances existantes (tribunaux lgaux et cours darbitrage). Ainsi en est-il du groupe franais Veolia associ la ville dAlexandrie pour le traitement des dchets ; en juin 2012, Veolia a attaqu lgypte qui avait eu le tort daugmenter le salaire minimum67. Quant au fabricant de cigarettes Philip Morris, il dfraie la chronique par la guerre quil livre, au nom des divers traits bilatraux conclus par les pays o sont tablies ses succursales, contre les lgislations nationales ou supranationales appliquant la

    Dow Chemical. A loccasion du vingtime anniversaire de la catastrophe, en 2004, les Yes Men ditent un canular de gnie. Se faisant passer pour le reprsentant de Dow, lun deux, interview par la BBC, annonce au monde que la firme sapprte indemniser enfin les victimes indiennes. Dow dmentira la nouvelle deux heures aprs la diffusion du reportage ( Dow Does The Right Thing , The Yes Men, http://theyesmen.org). 66

    Table of foreign investor-state cases and claims under NAFTA and other U.S. trade deals , op. cit., et les quatre articles de Luke Eric Peterson qui y sont cits, publis dans Investment Arbitration Reporter en 2008, 2009 et 2011. 67

    Fanny Rey, Veolia assigne lgypte en justice , Jeune Afrique, www.jeuneafrique.com, Paris, 11 juillet 2012.

    Convention-cadre pour la lutte anti-tabac (Australie, Uruguay, Europe)68.

    Le mcanisme de RDIE a dautres effets pervers, comme denrichir prodigieusement les arbitres et les cabinets davocats daffaires auxquels les parties sont contraintes de recourir. Les honoraires des avocats sont compris entre 350 et 700 euros de lheure, ceux des arbitres vont de 275 700 euros de lheure69. Or, les procdures durent souvent des annes. Dans leur procs contre loprateur aroportuaire allemand Fraport, les Philippines ont ainsi dbours 58 millions de dollars en frais juridiques70. Appartenant une vingtaine de cabinets principalement amricains, les avocats et les arbitres, mus par lappt du gain, prennent eux-mmes linitiative dexploiter la moindre occasion de recours contre un tat en la proposant aux entreprises. Pendant la guerre civile en Lybie, le cabinet londonien Freshfields Bruckhaus Deringer proposa ainsi ses clients de poursuivre Tripoli pour inscurit affectant les investissements71.

    En dpit des montants impressionnants des amendes et des frais de procdure, le plus difiant reste le contenu des motifs avancs par les cours pour justifier leurs arrts, qui dnote une conception trs particulire du droit. Lunique droit appliqu est un droit absent de la loi, celui du profit priv, assimil dans les traits la notion de proprit

    68

    Philip Morris poursuit son combat contre les lgislations anti-tabac , LExpress, www.lexpress.fr, Paris, 27 juin 2014 ; Guerre de la cigarette entre Philip Morris et lUruguay , La Croix, www.la-croix.com, Bayard Presse, Montrouge, 27 fvrier 2015. 69

    Benot Brville et Martine Bulard, op. cit. ; The arbitration game , op. cit. 70

    Benot Brville et Martine Bulard, op. cit. 71

    Ibid.

  • AVRIL 2015 Page 10 Davos contre Dmos (admise, elle, par la plupart des lgislations, mais tendue par les traits plus ou moins tout ce qui existe ou mme qui nexiste pas). La lecture dextraits de ces arrts voque irrsistiblement les procs arbitraires intents des dissidents devant des simulacres de tribunaux sous les rgimes de dictature. Ils rvlent avec clat la fois la fonction des traits dinvestissement et celle des cours darbitrage, instruments des ETN pour craser les populations et mieux les dominer. On y lit par

    exemple le fait de priver Metalclad [cf. ci-dessus] du bnfice conomique quelle pouvait raisonnablement esprer constitue une expropriation , en rfrence la dfinition dexpropriation de lAlna (cet arrt a fait jurisprudence) ; que la seule menace dune loi constitue une atteinte au droit de proprit et quil ny a pas lieu de retenir les motivations ou les intentions qui ont men ladoption dun dcret cologique ; ou encore, propos de la mise en cause par Aucoven de lannulation dun contrat par le gouvernement vnzulien suite aux manifestations de protestation des usagers, qu il incombe ltat de savoir quelle force il doit dployer pour pouvoir remplir ses obligations contractuelles

    et que les fonctionnaires vnzuliens [] ne pouvaient pas ignorer que laugmentation des tarifs

    [] provoquerait une protestation populaire 72. Il convient de souligner que, mme si les tats

    sortaient toujours victorieux et indemnes des procs qui les opposent aux investisseurs et aux entreprises (ce qui, comme on vient de le voir, est loin dtre le cas), il nen serait pas mois inadmissible de laisser le monde de la finance confisquer le pouvoir. Au demeurant, compter sur la clmence indfectible des arbitres du Cirdi ou de la Cnudci, ou ne ft-ce que sur leur impartialit, serait aussi suicidaire que de confier sa tte au billot en esprant que le bourreau retarde linstant fatal le temps daller fumer une cigarette. Le mcanisme de RDIE est une pe de Damocls qui menace toute nation ds quelle se lie par un trait bi- ou multilatral dinvestissement. Adopter des lois et rendre la justice nappartiennent tout simplement pas la sphre de comptence des industriels et des financiers, ils nont reu aucun mandat pour cela.

    ou lchappe belle ?

    Quoique les ETN aient essuy quelques checs dans leur effort pour imposer ces traits aux tats, comme dans le cas du projet dAccord multilatral

    72

    Jacques Cossart et Denise Mendez, op. cit.

    sur linvestissement (Ami)73 ngoci secrtement entre 1995 et 1997 par les 29 membres de lOCDE74 et abandonn en 1998 suite des fuites et aux protestations du public75, les moyens de pression mis en uvre (chantage conomique, prts sous conditions, intrt sur la dette, lobbying, noyautage tous les niveaux de pouvoir y compris au sein des Nations Unies76, corruption) ont eu raison de la rsistance de nombreux tats, pourtant parfois obstine et longue vaincre, comme celle des pays de la Communaut conomique des tats d'Afrique de l'Ouest (Cdao) dans le cas des Ap cits plus haut.

    Mais la conscience de la calamit sociale et environnementale que reprsentent ces traits a mri. Le Venezuela, lquateur, la Bolivie ont annul les leurs77. Les ngociations entre lUE et lInde en vue dtablir un accord de libre-change (qui menaait directement la fabrication de mdicaments gnriques en Inde78) ont chou en 2013 face la rsistance du gouvernement indien. Des rticences

    73

    Multilateral Agreement on Investment (MAI). 74

    Organisation de coopration et de dveloppement conomiques, ou Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD). 75

    Alexis Merlaud, Toward The Universal Declaration Of Corporate Rights , Industrial Worker, Issue 1766, www.iww.org, Chicago, juin 2014. 76

    Susan George, State of Corporations The rise of illegitimate power and the threat to democracy , State of Power 2014, troisime rapport annuel du Transnational Institute (TNI) sur ltat du pouvoir, www.tni.org, janvier 2015. 77

    Benot Brville et Martine Bulard, op. cit. 78

    Laccord de libre-change UE-Inde menace des millions de vies (communiqu de presse), Mdecins sans frontires (MSF), www.msf-azg.be, Bruxelles, 9 avril 2013.

  • Davos contre Dmos Page 11 AVRIL 2015

    fermes vis--vis du TPP ralentissent les pourparlers. Au Canada mme, lopposition au CETA fait tache dhuile. Au cours des derniers mois, la lutte contre le TTIP sest organise des deux cts de lAtlantique. Signe tnu que le vent tourne, et quoi que lon doive en penser aprs laffaire Luxembourg Leaks, en juillet 2014, Jean-Claude Juncker, alors candidat au poste de Prsident de la CE quil occupe depuis, tout en se disant favorable la standardisation et labolition des taxes douanires entre lEurope et les tats-Unis,

    dclarait [] je ne sacrifierai pas nos normes de scurit, de sant, sociales, et de protection des

    donnes sur l'autel du libre-change. [] Je naccepterai pas non plus que la juridiction des tribunaux des tats membres de lUE se trouve limite par des rgimes spciaux prvus pour les diffrends entre investisseurs 79.

    Bien plus, les populations ont pris conscience que la problmatique est la mme dans tous les cas. Il ne sagit plus de sopposer un trait isol mais bien leur ensemble, lentreprise de privatisation globale mene par les ETN travers eux.

    Les traits ou accords de libre-change (Al) ne constituent en ralit quun volet dune entreprise parfaitement planifie et coordonne, en marche depuis la deuxime moiti du XXme sicle et dj bien avance, pour substituer in fine aux gouvernements nationaux, par limplmentation progressive de pratiques irrversibles, une gouvernance exerce par des rseaux de parties prenantes 80 pilots par les ETN. Il ne sagit 79

    Jean-Claude Juncker, A New Start for Europe : My Agenda for Jobs, Growth, Fairness and Democratic Change , dclaration douverture la session plnire du parlement europen, www.eesc.europa.eu, Strasbourg, 15 juillet 2014. 80

    Comme le souligne Susan George ( Les usurpateurs, Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir , op.cit.), les termes de gouvernance

    pas dexclure proprement parler les tats des prises de dcision en matire de politique internationale du moins pas dans limmdiat mais bien de dicter leur action, sanctionner leurs carts, annuler leur pouvoir et piller les ressources de leurs nations. Le programme de cette entreprise tentaculaire de remplacement progressif des souverainets nationales par la souverainet entrepreneuriale, dont le nom en dit long lInitiative de Restructuration Mondiale, ou IRM81 , a t dfini en 2009 par le Forum conomique mondial Davos. Le document sintitule Laffaire de chacun : Renforcer la coopration internationale dans un monde de plus en plus interdpendant 82. Par un artifice pratiqu par les usurpateurs de tous les temps, le vocabulaire semble premire vue reflter des ides de rassemblement et de fraternit. Cette impression superficielle ne rsiste pas lanalyse. Si la coopration internationale est bien laffaire de chacun, la classe de Davos ne laissera pas chacun le loisir de sen occuper83. Cette responsabilit sera restreinte auxdites parties prenantes, linstar de lIRM elle-mme. En principe, outre les entreprises transnationales (dont on se demande ce quelles viennent faire dans les questions de politique internationale, do la dontologie commanderait quelles soient bannies), les parties prenantes de lIRM incluent des politiciens et la socit civile84. En pratique, les rares membres de cette dernire admis fournir leur avis sont

    (governance) et de partie prenante (stakeholder), rpts lenvi par les organes de propagande des institutions politiques infodes aux ETN (dont la CE), sont propres au jargon no-libral. Plus flous que les mots gouvernement et citoyen qui dsignent des concepts bien dfinis, ils sont utiliss dans tous les cas o il sagit la fois de justifier et de voiler pudiquement linfiltration illgitime des ETN dans les mcanismes de dcision, voire le remplacement des reprsentants lus par les investisseurs. 81

    Global Redesign Initiative (GRI). 82

    Everybodys Business: Strengthening International Cooperation in a More Interdependent World. Report of the Global Redesign Initiative , World Economic Forum (WEF), www.weforum.org, Cologny, 2010. 83

    David Sogge, State of Davos The camels nose in the tents of global governance , State of Power 2014, troisime rapport annuel du Transnational Institute (TNI) sur ltat du pouvoir, www.tni.org, janvier 2015. 84

    Harris Gleckman, Readers Guide: Global Redesign Initiative. The Unique Design of GRIs Report and the Readers Guide , Center for Governance and Sustainability at the University of Massachusetts, www.umb.edu, Boston, 15 novembre 2012.

  • AVRIL 2015 Page 12 Davos contre Dmos soigneusement slectionns parmi les personnes et institutions acquises demble au dogme no-libral. Chacun des neuf thmes socio-politiques abords dans le document fondateur de lIRM est confi ltude dun petit nombre de Conseils de lagenda mondial (CAM)85, 46 en tout, forms dindustriels, de financiers, de banquiers, de hauts fonctionnaires, dconomistes orthodoxes et duniversitaires tris sur le volet au vu de leurs convictions no-librales86.

    En supposant que les financiers parviennent leurs fins et pour le moment le rapport de force est clairement en leur faveur , plus une parcelle de notre vie, dj abondamment dpouille, ne nous appartiendra encore87. Il sagira en somme dun retour au systme fodal lchelle de la plante, le sommet de la pyramide du pouvoir tant constitu de ploutocrates exploitant, dans une logique exclusivement productrice, une population de travailleurs taillables et corvables merci. Jusqu ce que la catastrophe climatique et son cortge de dsastres (famines, pidmies, guerres), rendus invitables par le triomphe de la cupidit comme principe de gouvernement, ne raient de la surface de la terre la majorit de lhumanit. Face lorganisation huile des entreprises transnationales travers le monde, les citoyens nont dautre alternative que de sorganiser eux aussi avant quil ne soit trop tard pour faire fonctionner ce quil nous reste dinstitutions dmocratiques.

    85

    Global Agenda Councils (GAC). 86

    Susan George, Les usurpateurs, Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir , op. cit. 87

    Noam Chomsky, Sur le contrle de nos vies (ou La Confrence dAlbuquerque ), Allia, 2003 ; traduction franaise de la confrence Taking Control of Our Lives prononce par Noam Chomsky Albuquerque, Nouveau Mexique, le 25 fvrier 2000.

    Dans sa dclaration du 27 mars 2015, le Forum social mondial runi Tunis rsume ainsi sa position :

    [...] nous, les mouvements sociaux luttons :

    Contre les transnationales et le systme financier (FMI, BM et OMC), principaux agents du systme capitaliste, qui privatisent la vie, les services publics et les biens communs comme leau, lair, la terre, les semences, les ressources minrales, promeuvent les guerres, violent les droits humains et pillent les ressources.

    [...]

    Nous luttons pour lannulation de la dette illgitime et odieuse qui est aujourdhui un instrument global de domination, de rpression et dasphyxie conomique et financire des peuples. Nous refusons les accords de libre-change que nous imposent les tats et les transnationales et nous affirmons quil est possible de construire une mondialisation dun autre type, par les peuples et pour les peuples, fonde sur la solidarit et sur la libert de circulation pour tous les tres humains.

    Nous soutenons lappel la journe daction internationale contre les traits de libre change prvue le 18 avril 2015. 88

    pilogue

    A lheure o je terminais cet article, des vnements se prparaient partout dans le monde en rponse cet appel. Le jour dit, des citoyens descendaient dans les rues de toutes les grandes villes. En Europe, cest en Allemagne que les manifestations rassemblaient le plus de monde89. Bruxelles, les associations Alliance D19-20, Acteurs des Temps Prsents, Tout Autre Chose, Hart Boven Hard et CNCD-11.11.11 appelaient une journe daction suivie dune manifestation nationale90. La veille, les mandataires politiques taient interpells sur la question des traits de libre-change. Le surlendemain, le parlement wallon (au sein duquel les avis sont diviss selon les appartenances politiques) adoptait une rsolution recommandant la

    88

    Dclaration de lAssemble des mouvements sociaux , Forum social mondial 2015, www.ensemble-fdg.org, Tunis, 27 mars 2015. 89

    Journe daction mondiale contre les traits de libre-change , Libration, www.liberation.fr, 18 avril 2015. 90

    2.000 personnes manifestent contre le TTIP Bruxelles , La Libre Belgique, www.lalibre.be, 18 avril 2015.

  • Davos contre Dmos Page 13 AVRIL 2015

    suspension des ngociations sur le TTIP91. Cette rsolution insiste, semble-t-il, sur le manque de transparence actuel des pourparlers et sur la ncessit de respecter les normes sociales et environnementales europennes ce dont on ne peut bien sr que se fliciter. A premire vue, elle ne parat cependant pas remettre en cause le principe du trait lui-mme, pourtant conu par (et videmment pour) les ETN. Lavenir nous fait-il entrevoir le dbut dune restauration du processus dmocratique ou lamnagement opportuniste et temporaire de la domination des entreprises prives sur la vie politique ? La rponse est entre les mains de nos concitoyens...

    91

    TTIP : le Parlement wallon adopte une rsolution pour suspendre les ngociations , La Libre Belgique, www.lalibre.be, 20 avril 2015.