art au feminin

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42 stradda / n° 21 / juillet 2011 Jeanne Mordoj, de la compagnie Bal, dans “Eloge du poil” en 2010. © MILAN SZYPURA dossier / art au féminin

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Revista de circo de Francia

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    Jeanne Mordoj, de la compagnie Bal, dans Eloge du poil en 2010.

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    A lire

    Women & Circus Collectif, coordonn par Ivan Kralj, Mala performerska scena, Zagreb, 2011Commande via [email protected](voir Kiosque, Stradda n 20).

    Artistes de cirque contemporain, Marie-Carmen Garcia, La Dispute, Paris, 2011(lire aussi p.58).

    Exit lassistante du magicien ou la femme de lentrepreneur de cirque qui dfile dos dlphant ! Avec lmergence du nouveau cirque, la place assigne aux femmes a mut. Elle reste cependant dune grande actualit, comme en tmoignent deux livres rcents. A cette occasion, Stradda publie des extraits dun texte dAnne Quentin, paratre dans louvrage Women & Circus . Lauteur y interroge les strotypes hommes/femmes dans la cration circassienne contemporaine. Du clown sans sexe invoqu par Valrie Fratellini Ludor Citrik qui assume la femme en lui, cest la question du genre qui simpose, complexe et paradoxale. Et comme les images le prouvent, les jeunes artistes bousculent plus que jamais les codes et djouent les clichs. Vous avez dit sexu ?

    Un cirqUe dUn noUveaU genreLart est-il vraiment cet espace privilgi dinterrogation des archasmes et des prjugs sociaux du monde ? Au cirque comme dans tous les champs artistiques, au chapitre des femmes, on peut en douter.

    la fministe Linda Nochlin, chercheuse en histoire de lart, postule que toute situation de la fabrication de lart, tant en termes de dveloppement de lartiste quen termes de nature de luvre, se produit dans une

    situation sociale, fait partie intgrante de cette situation et est conditionne par des institutions sociales spcifiques : les acadmies, les mytholo-gies. Au regard des chiffres (lire encadr p.47), le moins que lon puisse dire est que les conditions de lmergence des femmes dans lart sont pour le moins obres ! On pourrait croire quun tel contexte politique pousserait les femmes artistes entrer lgitimement en rsistance par rapport aux modles proposs, mais il nen est rien, ou presque.

    Limpartiale performanceAu cirque, la question quand elle se pose sest dplace. Nous ne parlerons pas des archtypes archi-culs vhiculs dans le cirque traditionnel. Dans le cirque contemporain, lapprhension des statuts des sexes, semble plutt tenir de leffet gn-rationnel, que de la division hommes-femmes. Aborder lart aujourdhui dans la perspective de la diffrence sexuelle, ce ne serait donc plus oppo-ser mcaniquement un art masculin un art fminin , mais chercher comment les uvres se

    trouvent traverses par cette question travers les langages et les corps, tout ce qui donne matrialit au discours.

    Si le cirque est corps, ce qui frappe par compa-raison avec le corps du danseur ou celui du com-dien, cest sa capacit runir en un seul lan des tats de corps opposs pour raliser dimpossibles quilibres entre chute et rebond, gravit et apesan-teur. Ainsi le circassien peut tutoyer les dieux , relier le haut et le bas, imposer le mouvement ou le retenir, allier la prouesse et le risque de chute, la vie et la mort. Le corps circassien joue des lois physiques du monde pour ouvrir dautres espaces et sy mouvoir diffremment. Hommes et femmes subissent ou mettent en jeu ces contraintes dans une gale mesure : la performance physique tradi-tionnellement dvolue au masculin dans tous les secteurs de la vie, ne peut se dcliner en genre dans le champ du cirque, car hommes ou femmes y sont confronts, cest intrinsque leur art.

    Il y a lusage des corps, mais aussi les signes quil vhicule. Lagrs en est le medium le plus signifiant. Pour le circassien, la morphologie dtermine au premier chef le mode daccs la discipline. Puis vient le caractre de lartiste. Le choix est condi-tionn . Ainsi chez les acrobates : le porteur est solide et responsable, le voltigeur est lger,

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    l que se pose la question de la femme. Comme tat plus que comme propos, affirmation, revendi-cation. Tout irait alors pour le mieux. Mais aller y voir dun peu plus prs, penser les reprsentations impose dtudier ce que reprsente la femme dans lunivers masculin ! Cest un inventaire archire-battu qui soffre qui observe les reprsentations luvre dans les uvres. Le masculin ne varie gure dans ses mythes. Pour lui, les femmes sont mythologiques, quotidiennes, fatales, misricor-dieuses, charmantes, charmeuses, elles sont femmes de pouvoir et dames de cur, mres et putains, sorcires et princesses No comment ! Mais que disent les femmes, elles, delles-mmes ?

    La posture de la pionnireA dfaut de poser des gnralits, impossibles en la matire, il est intressant dtudier des parcours de femmes ou de couples, dans une casuistique qui permet dviter les simplifications. Adrienne Larue (Compagnie foraine) est entre en piste en 1968. Pionnire du cirque contemporain, elle fut, gnra-tion68 oblige, trs marque par les courants dman-cipation fminins. Elle peut alors affirmer : Jai une reprsentation de femme hors normes : la pute, la femme sexy, outre , car elle reprsente une gnration qui a connu le MLF et qui sait jouer des fantasmes arch-typaux. En cela, elle reprsente son temps (lire aussi litinraire dAdrienne Larue, p. 49).

    Plus complexe est la notion de fminit dans la gnration suivante qui semble dire une poque

    Nul mieux que lartiste ne peut prouver dans sa chair et dans son art la gravit, lquilibre, le vide, le risque, le dsir de voler. Et la femme est ici lgale de lhomme.

    I, Mistress & Wife, de la compagnie belge Baba Fish, aux Jeunes Talents cirque Europe en 2010.

    il aime prendre des risques. Le jongleur et le funambule ont un corps souple qui ne ncessite pas le dveloppement musculaire dun haltrophile ! Et cest aussi pour cela quil existe des agrs plus fminins (les femmes plus lgres et plus souples, sont plus portes que porteuses, plus contorsion-nistes), mais on voit des funambules hommes et femmes, des artistes femmes au mt chinois, a contrario, peu de jongleuses. Il ny a donc pas rellement, dans les temps contemporains peu enclins la performance gymnique, dagrs stric-tement fminin ou masculin.

    Autre signe, la surexposition de lindividu. Comme le pose Corine Pencenat dans Le Cirque au risque de lart (1), le circassien se situe un endroit singulier, au confluent de lathlte, de lacteur et de lartiste. Voil pourquoi lartiste de cirque saffran-chit en gnral du personnage. Cela explique que le propos y soit plus nu, plus expos que dans dautres arts. On peut donc supposer que les femmes dans leur simple fait dtre disent leur fminit sans obligatoirement devoir soutenir un propos qui la surlignerait. Enfin, il y a ce que raconte, dans le geste, lhistoire, le spectacle de cirque. Par rapport dautres langages, le cirque a une spcificit : cest de la posture (lespace ou lagrs choisis) que nat le propos. Au cirque, on raconte les corps souffrants, enferms, dsquilibrs parce que lendroit do lartiste parle gnre ses propres imaginaires, ses propres ncessits. Nul autre mieux que lui ne peut prouver dans sa chair et dans son art la gravit, lquilibre, le vide, le risque, le dsir de voler. Et la femme est ici lgale de lhomme.

    A galit, vraiment ? On pourrait supposer que si la question de la place de la femme ou bien de celle de lhomme fait si peu dbat, cest le signe que le fminisme est pass par l et que le sujet est clos. Mais on pourrait tout aussi bien penser que le cirque, fut-il contemporain, reste assez hermtique aux soubresauts politiques du monde. Et la ques-tion de la femme reste minemment politique Ou bien encore que le cirque serait performance et exige donc une prsence entire, un dpassement de la technique, un tat . Et que cest peut-tre

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    du monde des conventions. Jeanne Mordoj est sans doute plus proche de ses obsessions intimes que de laction militante, mais elle ractive sans le vouloir la question du Gender Trouble souleve par la philosophe Judith Butler : le genre nest pas li au sexe et il peut ce titre prolifrer au-del des limites binaires imposes par lapparente dualit des sexes.

    Les figures du monstreLa trapziste Pnlope Hausermann (Les Intou-chables) travaille sur le corps depuis plus de cinq ans. Son Cirque de chambre sattaque limage du corps-objet. Quelques lastiques poss mme la peau suffisent voquer une poupe dsarticule, la manire des sculptures rotiques dHans Bellmer dont lartiste sest inspire. Avec ses jeux vocaux un brin gothiques, ses contorsions monstrueuses, ses apparitions hallucinatoires de corps suspendu, Pnlope synthtise elle seule les formes que le propos de femme peut prendre au cirque : sensua-lit, rotisme, manipulation, corps objet, andro-gynie, abstraction, monstruosit Et lon peut se demander pourquoi le monstre semble une figure de prdilection dexorcisation ? fminine.

    Plus jeunes, les trapzistes Chlo Moglia et Mlissa Von Vpy forment un duo fminin. Elles bravent les lois du vide et de la verticalit dans I look up I look down et celles de lapparence dans Miroirs, miroirs , que Mlissa assume seule. Au fond, fminins ou pas, leurs propos sont de femmes, en ce sens que leur corps parle, mme hors delles, surtout hors delles

    Si lon largit le champ en considrant que sexe ou genre se produisent surtout dans la relation

    use de combats politiques identitaires quelle feint davoir rgls. Ainsi, Emma la clown est lemblme du clown au fminin, elle le revendique dans lnonc mme de son personnage : la clown. Rien pourtant dans son propos ne la distingue dun homme, elle qui interpelle Dieu, la psychanalyse, laltrit, le voyage La critique dut-elle satta-cher relever systmatiquement une femme en Emma, lartiste nen voque rien que le miroir quelle tend, de fait, au masculin.

    Lalination volontaireAngela Laurier, elle, a choisi la contorsion et avoue entretenir avec son corps des rapports alinants, osant parfois, lasse des tortures quotidiennes, affirmer : Jai un corps de vieille pute , instrument davilissement qui dit aussi, dans son imagerie, une certaine condition de la femme Dans son diptyque Dversoir et Jaimerais pouvoir rire , elle donne voir la mre quelle na pas t, la sur solidaire, la citoyenne rvolte par les conditions psychia-triques. Elle est une femme qui veut smanciper de sa famille pour exister autrement. En ce sens, cest une histoire de femme. Mais si Angela avait t un homme, le propos aurait-il t si diffrent ?

    Autre reprsentante de cette gnration post-soixanthuitarde, Jeanne Mordoj. Lartiste a toujours affirm et les titres de ses pices en tmoignent que la fminit tait une de ses obsessions. Dans loge du poil , elle explique : Ici, la femme barbe reprsente la fminit dans ce quelle a de mystrieux, de rpulsif et dattractif la fois ; forme dindpen-dance, on ne peut ni la matriser ni la mettre dans une case. Elle peut tout dire, tout faire car elle est hors

    Raphalle Boitel dans La Veille des abysses, de James Thierre, en 2004.

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    Accepter cette femme que jai en moi Cdric Paga, alias Ludor Citrik, explore avec son spectacle Qui sommes-je ? lhumanit qui nous habite. Ici, en version fminine.

    Beaucoup au cirque affirment ne pas vouloir se prendre la tte. Aux tentatives de dire, ils prfrent lide qui fait image ou mtaphore. Cest un faux-semblant qui interdit la remise en cause des archtypes qui nous constituent. Je prfre la praxis, la pense qui agit.

    Ouverture. La question de la femme est politique, artistique, occidentale. En Occident, quand un homme fait la femme, il rajoute de la femme en lui. En Orient, on considre que les deux sont en nous. Alors pour faire la femme, il faut enlever de lhomme, cela change tout. Jaime cette pense que tout est dans tout, que si je laccepte, si je peux mouvrir, jai tout

    en moi. Jai fait un norme travail pour accepter cette femme que jai en moi, rconcilier ce que lon veut opposer dans la vie sociale. Pour que les choses changent, je pense que lhomme devrait

    accepter de se laisser pntrer, accueillir la femme en lui, pour se roffrir du choix, voluer au lieu de faire perdurer des signes qui se sont figs dans la prdtermination, la morale.

    Transgression. Tout revient cette question essentielle qui me hante : lalination. Il faut transgresser, mettre de la peau dans nos arts, toucher et accepter dtre touch, cest si rare au cirque La question de la peau est une rvolution politique, elle va dans la chair, agrandit les points de vue, loigne les clichs, permet daffirmer lintime contre les sclroses sociales. Cest ainsi que jai envie de penser la question des femmes. l propoS recueilliS par a.Q.

    autrui, il faut sintresser aux couples pour voir dans la diffrence sexuelle ce qui se cre du mme ou de la diffrence. Or, dans les rapports de couple, les ambiguts (ou troubles) ne sont gure de mise.

    La puce et le costaudLes archtypes, loin dtre remis en cause, semblent au contraire se confirmer, comme chez Vent dAutan qui sest fait une spcialit de la dclinaison de lamour sur le mode Tu maimes ? Je taime ? Je te mme ? Ici les jeux de rle sont prcrits. Les femmes sabandonnent, portes par la puissance masculine, puis se dressent telles d imptueuses madones, soumettant leurs parte-naires aux imprvus de leur fantaisie , dixit la compagnie. Archtype.

    Moins prdtermins, les rapports entre Camille et Manolo du Thtre du Centaure. Trop occups par les couples quils forment avec leurs animaux, ils ninterrogent pas celui quils forment

    eux-mmes. Mais les deux artistes font sans doute confiance ce que leur couple raconte hors de leur volont. Une union, une beaut, une grce, une fusion dont ils savent jouer comme dans un ternel amoureux. Archtype toujours.

    Le Cirque Atal, lui, affirme les diffrences avec humour et lgret. Victor est grand et costaud. Kati, voltigeuse et contorsionniste, est petite et frle. Tous deux enchanent les acrobaties pour dire les incompatibilits, les forces, les timidi-ts, les pudeurs, les faux-semblants et les incom-prhensions des corps. Le duo Bonaventure Gacon et Titoune est de cette veine-l. Arch-

    Ludor Citrik.

    Victor et Kati du Cirque Atal au Cirque-thtre dElbeuf, en 2006.

    Mlissa Von Vpy, de la compagnie Happs, dans Miroir, miroir en 2011 (en haut, page suivante).

    Petronella Von Zerboni dans Le Cercle de la Compagnie Trespace en 2007 (en bas, page suivante).

    Dans le Cirque Atal, Victor est grand et costaud. Kati, voltigeuse et contorsionniste, est petite et frle. Tous deux enchanent les acrobaties pour dire les incompatibilits, les faux-semblants des corps.

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    types toujours. Tous convoquent leur intime ou ce quon veut bien en percevoir, plus quils ne dfient la socit. Encore que

    Ce petit panorama, trs incomplet, montre bien la complexit du thme dans ses reprsentations. Une chose est sre, la question de la femme ne se pose plus en des termes ouvertement libra-teurs. De l ce que la question ne se pose plus du tout Elfriede Jelinek, prix Nobel de littrature, rsume pourtant une situation qui semble coule dans le marbre machiste quand elle parle du mpris quexerce la culture envers le travail artis-tique des femmes, soumis des critres dvaluation spcifiquement masculins.

    Pour dpasser le stade de lindignation, certes libratrice, mais peu fconde (si on ose dire !), il faut tenter de comprendre ce qui cre ostracisme dans cet art de femmes. Mais les recherches o sont abordes la place des femmes en histoire de lart ou en esthtique sont quasi inexistantes. Sans doute parce que penser la question de lart et des femmes, cest se poser la question dun art de femmes : y aurait-il une valeur particulire lart quand il est fait par des femmes ? Et comment lva-luer quand les normes de lart et de son histoire sont uniquement le fait des hommes ? Il faudrait entreprendre un vrai travail de dconstruction pour parvenir ne serait-ce qu entamer le sujet. Or qui souhaite remettre en cause la nature cens-ment universelle de tant dintrts identitaires, esthtiques ou scientifiques ?

    La subversion des genresOn ne peut conclure sans sintresser ceux ou celles qui sont au premier chef concerns par la question du genre. Cas unique dans le cirque contemporain, celui du jongleur Philippe Mnard qui a entrepris de changer de genre et la rvl

    Le monopole masculinLes chiffres sont aussi implacables quatterrants : tous les niveaux de direction, toutes les places artistiques, les femmes sont nettement minoritaires. Minores parce que mineures ?

    Le bureau du chefLes hommes dirigent- 92 % des thtres consacrs la

    cration dramatique- 89 % des institutions musicales- 86 % des tablissements

    denseignement- 78 % des tablissements

    vocation pluridisciplinaire- 71 % des centres de ressources- 70 % des centres

    chorgraphiques nationaux.

    Lentre en scne- 97 % des musiques entendues

    sont composes par des hommes- 94 % des orchestres programms

    sont dirigs par des hommes- 85 % des textes entendus sont

    crits par des hommes- 78 % des spectacles de thtre

    vus sont mis en scne par des hommes

    - 57 % des spectacles de danse sont chorgraphis par des hommes

    - les Centres dramatiques nationaux produisent 1 femme metteur en scne pour 5 hommes.

    Le porte-monnaieLe cot moyen dune production : 43 000 euros pour une femme 77 000 euros pour un homme.Salaire : une actrice est paye 30% de moins quun comdien.

    La formation Les femmes reprsentent 57% des effectifs de lcole du Thtre national de Strasbourg et 50% du Centre national suprieur des arts dramatiques. Au Centre national des arts du cirque, un tudiant sur trois est une fille. Source : Pour lgal accs des femmes et des hommes aux postes de responsabilit, aux lieux de dcision, la matrise de la reprsentation , Reine Prat, mission pour lgalit et contre les exclusions, ministre de la Culture (rapports 2007 et 2009). Le rapport 2009 est disponible in extenso sur : www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/egalite_acces_resps09.pdf

    Y aurait-il une valeur particulire lart quand il est fait par des femmes ? Et comment lvaluer quand les normes de lart et de son histoire sont uniquement le fait des hommes ?

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    Stradda : Vous dites souvent que le clown na pas de sexe ? Est-il possible de dclarer cela quand on est une femme ?Valrie Fratellini : Absolument. Surtout quand on est une femme clown ! Un clown, cest une identit, un sexe part entire, cest le clown. On nest pas la clown. Cest la figure de lAuguste qui dpasse le genre. Avec ou sans nez rouge et maquillage, cest un clown, il ny a rien dautre ajouter !

    Le fait que vous soyez une femme a-t-il jamais influenc votre travail du clown blanc ?Trs honntement, en clown blanc, je nai justement eu de cesse de ne pas tre une femme. Mon costume sappelle un sac ! Tout comme Annie, en Auguste, qui gommait tous ses attributs fminins. Elle portait de grandes chaussures et une perruque orange. Elle ntait ni homme, ni

    femme, elle tait clown, point la ligne. Dailleurs, Annie disait trs souvent : On est clown ou on ne lest pas. Cest assez mystrieux en fait. A lAcadmie Fratellini, il y a en premire anne, une jeune femme, Jessica Martin, qui est clown. Je retrouve en elle ce qutait Annie. Quand nous rptons ensemble, pas une seule fois, je ne me suis pos la question de son sexe. Pas du tout. On entre dans laction, on est dans la piste, on cherche et on cre. Cest tout.

    Il y a pourtant aujourdhui de nombreux clowns fminins. Comment lexpliquer ?Au risque de dplaire, je pense que ce sont davantage des personnages que des clowns. Cela touche lacte thtral, ce qui est un peu autre chose. Quant leur apparition, il y a toujours eu des femmes dans le cirque, mais historiquement, les clowns taient des hommes. Je crois que sur ce point, on doit beaucoup aux coles qui ont fait tomber des barrires. Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas tre clown ? A lAcadmie, nous mettons tous les apprentis sur un pied dgalit. Je ne fais pas de distinction par le genre, je suis des annes lumire de cette analyse. Une femme aux sangles ne fera bien sr pas la mme prestation quun gymnaste, mais elle apportera sans doute autre chose dintressant. Je crois que lvolution de la cration dans le cirque a fait disparatre les places assignes aux femmes. l propoS recueilliS par anne gonon

    Clown, cest une identit, un sexe part entire Pendant 25 ans, Valrie Fratellini a endoss le costume du clown blanc face sa mre, Annie lAuguste. Un duo rarissime. Elle revient pour Stradda sur le sexe des clowns et la place des femmes dans le nouveau cirque.

    dans son spectacle PPP , quittant sa peau de garon pour rejoindre enfin la femme quelle veut tre. Lartiste questionne donc trs frontalement le genre sexuel, mais elle navait pas le choix la diffrence de toutes celles qui nont pas eu dci-der de leur sexe. Cela fait toute la diffrence et peut-tre le vritable intrt du sujet. Car, au-del du constat sans illusions, pourrait sengager une rflexion qui rebattrait les vieilles cartes biolo-giques sur les diffrences de sexe.

    Il existe une manire moins manichenne, moins guerrire de poser la question des diff-rences. Selon Judith Butler ou, sa suite, Beatriz Preciado, le genre ne serait pas une identit, mais un ensemble de gestes de styles, une tempora-lit sociale constitue. Un comportement, une norme qui peut se subvertir. Penser ainsi permet

    de dpasser la question du dterminisme sexuel au profit dune structuration personnelle du dsir. Aller au-del du dterminisme biologique, cest donc sautoriser dplacer les rapports de domi-nation, donc esprer, quun jour, le sujet mme de cet article devienne caduc. l anne QuentinCe texte est aussi publi en version intgrale sur : www.territoiresdecirque.com/site.php?rub=4

    Selon Judith Butler ou Beatriz Preciado, le genre ne serait pas une identit, mais un ensemble de gestes de styles, une temporalit sociale constitue. Une norme qui peut se subvertir.

    Camille, du Thtre du Centaure, lors de la cration de LIsola Bianca (projet Flux), en 2008 au festival Oerol, aux Pays-Bas.

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    Valrie Fratellini en 1982.

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