arranz, le sancta sanctis dans la tradition liturgique des eglises

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MIGUELARRANZ SJ LE "SANCTA SANCTIS" DANS LA TRADITION LITURGIQUE DES ÉGLISES* "TtX "t"dç - "Les choses saintes aux saints", ou mieux "Ce qui est saint, aux saints": ces paroles prononcées par l'évêque et suivies de quel- ques acclamations de la part des fidèles, étaient déjà au IVe siècle dans la messe clémentine! l'introduction à la réception de la communion. Le schéma de la messe clémentine, du VIlle Livre des Constitutions Apostoliques, ne prévoit entre l'anaphore et la communion qu'une courte litanie et sa prière, suivies précisément du Sancta Sanctis. Puisque la litanie se présente davantage comme une suite à l'anaphore que comme une préparation à la communion, et que la prière de l'évêque ne parle pas directement de la communion, ou en tout cas, pas assez clairement, il en résulte que cette courte phrase est la seule "pré- paration" à la communion de la messe clémentine. La même phrase est prononcée encore aujourd'hui en grec dans la messe byzantine (ou dans des traductions littérales slave, roumaine, etc.) et, en grec aussi dans la messe alexandrine, célébrée pourtant en copte. D'autres traditions orientales se servent de formules très proches du TtX "t"o'i:ç grec. E. RENAUDOT 2 croit pouvoir affirmer que la formule syriaque est une traduction explicative du grec. Voici ce que notre formule devient dans ces traditions: "La chose sainte aux saints et aux purs est donnée" chez les Syriens; "La chose sainte aux saints est donnée, dans la perfection, la pureté et la sainteté", paraphrasent les Maronites. "La chose sainte aux saints convient dans la perfection" disent les Chaldéens. "La sainteté aux saints" chez les Éthiopiens. "Pour la sainteté des saints" disent les Arméniens; mais pour certaines anaphores ils emploient une autre formule, proche de la chaldéenne: "Les choses saintes conviennent aux saints. " En résumant, nous pouvons dire que le grec TtX donne en syriaque l'adjectif au singulier QUDSO ou QUDSA: le saint ou, avec un sens neutre, la chose sainte. Les Éthiopiens avec la même racine ont traduit: la sainteté, QEDSAT. J. LUDOLF avait traduit par sanctuaire et il s'était attiré ainsi les foudres de RENAUDOT; celui-ci prônait la traduction: choses saintes. En syria- que comme en éthiopien (ghéez), le premier mot (saint ou sainteté) est suivi de l'adjectif saints au pluriel, précédé de la préposition du datif L. Remarquons en passant que dans la Bible hébraïque on trouve souvent QODES QODASIM ou avec l'article QODES HAQODASIM pour indiquer * XIXe Congrès Liturgique de l'Institut ,de Théologie Orthodoxe de Saint-Serge, Paris, 4 juillet 1972. 1 F. X. FUNK, Didascalia et Constitutiones Apost%ru7Jl 1 (Paderborn 1905) Didasc. VIII 13,11-13 (FUNK 516ss). 2 E. RENAUDOT, Liturgiaru7Jl Orienta/ililll Co//ectio (Frankfurt 1847) II 607.

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Arranz, Le Sancta Sanctis Dans La Tradition Liturgique Des Eglises

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Page 1: Arranz, Le Sancta Sanctis Dans La Tradition Liturgique Des Eglises

MIGUELARRANZ SJ

LE "SANCTA SANCTIS" DANS LA TRADITION LITURGIQUEDES ÉGLISES*

"TtX &:y~!X "t"dç &:y[o~ç" - "Les choses saintes aux saints", ou mieux "Ce quiest saint, aux saints": ces paroles prononcées par l'évêque et suivies de quel­ques acclamations de la part des fidèles, étaient déjà au IVe siècle dans lamesse clémentine! l'introduction à la réception de la communion. Le schéma dela messe clémentine, du VIlle Livre des Constitutions Apostoliques, ne prévoitentre l'anaphore et la communion qu'une courte litanie et sa prière, suiviesprécisément du Sancta Sanctis. Puisque la litanie se présente davantage commeune suite à l'anaphore que comme une préparation à la communion, et que laprière de l'évêque ne parle pas directement de la communion, ou en tout cas,pas assez clairement, il en résulte que cette courte phrase est la seule "pré­paration" à la communion de la messe clémentine.

La même phrase est prononcée encore aujourd'hui en grec dans la messebyzantine (ou dans des traductions littérales slave, roumaine, etc.) et, en grecaussi dans la messe alexandrine, célébrée pourtant en copte.

D'autres traditions orientales se servent de formules très proches du TtX&y~!X "t"o'i:ç &:y[o~ç grec. E. RENAUDOT 2 croit pouvoir affirmer que la formulesyriaque est une traduction explicative du grec.

Voici ce que notre formule devient dans ces traditions: "La chose sainteaux saints et aux purs est donnée" chez les Syriens; "La chose sainte auxsaints est donnée, dans la perfection, la pureté et la sainteté", paraphrasent lesMaronites. "La chose sainte aux saints convient dans la perfection" disent lesChaldéens. "La sainteté aux saints" chez les Éthiopiens. "Pour la sainteté dessaints" disent les Arméniens; mais pour certaines anaphores ils emploient uneautre formule, proche de la chaldéenne: "Les choses saintes conviennent auxsaints. "

En résumant, nous pouvons dire que le grec TtX &y~!X donne en syriaquel'adjectif au singulier QUDSO ou QUDSA: le saint ou, avec un sens neutre,la chose sainte. Les Éthiopiens avec la même racine ont traduit: la sainteté,QEDSAT. J. LUDOLF avait traduit par sanctuaire et il s'était attiré ainsi lesfoudres de RENAUDOT; celui-ci prônait la traduction: choses saintes. En syria­que comme en éthiopien (ghéez), le premier mot (saint ou sainteté) est suivide l'adjectif saints au pluriel, précédé de la préposition du datif L.

Remarquons en passant que dans la Bible hébraïque on trouve souventQODES QODASIM ou avec l'article QODES HAQODASIM pour indiquer

* XIXe Congrès Liturgique de l'Institut ,de Théologie Orthodoxe de Saint-Serge,Paris, 4 juillet 1972.

1 F. X. FUNK, Didascalia et Constitutiones Apost%ru7Jl 1 (Paderborn 1905) Didasc. VIII13,11-13 (FUNK 516ss).

2 E. RENAUDOT, Liturgiaru7Jl Orienta/ililll Co//ectio (Frankfurt 1847) II 607.

Page 2: Arranz, Le Sancta Sanctis Dans La Tradition Liturgique Des Eglises

Tà &y~(f. 'ro~ç &ylotç chez les Pères

dans le premier cas un objet sacré, et dans le second cas le "Sancta Sanctorum".La Bible grecque traduit QODES, qui est au singulier, soit par &YLOV soit par&YV:I.., avec l'article s'il s'agit du santuaire: 't'à &ytlx 't'wv &ylwv ou 't'o &YLOV 't'wv&ylwv; &YLOV 'rwv &ylwv ou &yw.. 'rwv &ylwv sans article s'il s'agit d'un objet duculte. 3 L'épître aux Hébreux (9,3) appellera &ytlx &ylwv le sanctuaire, en omet­tant tout article.

Nulle part cependant dans la Bible on ne trouvera une formule correspon­dante à la nôtre, Tà &y~(f. 'ro~ç &ylo~ç ou en hébreu QODES L-QODASIM.Les chapitres 20-22 du Lévitique, qui traitent des choses et des personnessaintes, auraient pu nous orienter dans l'interprétation de notre formule, sinotre étude avait été exégétique. Nous préférons cependant rester dans ledomaine des données positives de la liturgie.

Que Tà &y~(f. 'ro~ç &ylo~ç ait été une formule commune à plusieurs églises déjàau IVe siècle, les citations et les commentaires de plusieurs Pères nous enrendent témoignage: CYRILLE DE JÉRUSALEM, dans ses catéchèses;4 JEANCHRYSOSTOME, In MatthaetflJJ, 5 à l'époque où il était encore à Antioche, etIII Hebraeos,6 durant la période constantinopolitaine; CYRILLE D'ALEXANDRIE,In Ioannem. 7 Pour les Pères orientau,'{, qu'il suffise de citer THÉODORE DEMOPSUESTE8 et NARSAI. 9

Nous nous contenterons de rapporter des textes de trois de ces Pères:THÉODORE DE MOPSUESTE, CYRILLE DE JÉRUSALEM et JEAN CHRYSOSTOME.Leur interprétation du Tà &y~(f. 'ro~ç &ylotç n'est pas uniforme, et cela veut direque déjà au IVe siècle le sens de la formule n'était pas évident. Voici d'abordl'explication de THÉODORE:

Quand [le prêtre] a achevé la prière (anaphore), ilbénit le peuple al'ec la "paix" icelui-ci répond par les paroles ordinaires,que tous les assistants dismt la tête inclinée, comme il faut.Quand déjà la prière est achevée, quand tout a pris finet que chacun d'entre eux est attentif à prendre le "saint" (QDS)alors le héraut de l'église crie: "soyons attentifs",et de la voix il prépare tout le monde à considérer ce qui va se dire.Et le prêtre crie: "Ie saint aux saints",parce qu'en effet sainte et immortelle est cette nourriturequi est le corps et le sang de Notre Seigneur,et pleine de sainteté, puisque l'Esprit Saint est descendu Sllr elle.

32 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises

Or, ce n'est pas tout le monde qui prend cette nourriture,mais ceux-là qui déjà ont été sanctifiés:c'est pourquoi, ce sont les seuls baptisés qui la prennent,ceux qui par une naissance nouvelle reçue au baptême,"ont les prémices de l'Esprit Saint" (Rom 8,23)et par là obtenu la faveur de recevoir la sanctification.C'est pour cela que le prêtre dit "Ie saint aux saints"et amène le cœur de tout le monde à être attentif à la grandeur de cequi est déposé [sur l'autel].II veut dire ceci: vous devez considérer la grandeur de l'oblationprésentée.II vous faut savoir que vous prenez une not/rriture telledont par votre nature vous n'êtes pas dignes,qui est immortelle et iJl!lllllable, ,qu'il n'appartient pas à tout le monde de recevoir,mais à ceux qui ont été sanctifiés.C'est pourquoi, en effet comme des gens qui avez reçula sanctification du baptême,à vous set/ls qui prenez cette nourriture,il vous sied donc de reconnaître la grandeur de ce qui est et de ce que vous étiez,vous qui avez reçu la faveur de cette nourriture sacrée.

À cause de quoi, il vous faut par de bonnes mœurs aussiaffermir en vous le don qui vous a été fait, afin que,menant selon votre pouvoir une vie digne de ce qui vous a été donné,vous preniez cette nourriture qui vous convient à vous.En tout animal que ce soit, qui naît d'un autre animal,Dieu a fait Ulle nourriture qui conviellne et soit appropriéeà la nature de celui qui en est engendré ,.ainsi chaCl/n d'entre eux est engendré par son semblable et nourri par son semblable.La brebis en effet est engendrée par ulle brebiset est nourrie par la nature de la brebis. La jument aussi de même iet tout le reste, tous tant qu'ils sont, naissent de la même race qu'eux,et c'est de la nature de celle qui l'a engendrée qu'elle reçoit la !lOUrritllre.

À vous aussi donc, qui avez été engendrés par la grâceet la vellue du Saint-Esprit au baptême, et avez reçu cette sanctification,il convient que ce soit une nourriture qui vous soit semblable,que vous receviez par la grâce et la venue du Saint-Esprit,pour affermir et faire croître la sanctification qui VOliS a été dOlllléeet pour achever les biens attendns, oû, dans le monde à venir,nous nous trouverons, nous qui serons tous parfaitement saints.AillSi vous est-il proposé de prendre "le saint qui est pour les saints".Alors nons accédons à la grandeur de cette comlllllnion, en cette dispositionet en cette profession, avec cette ardeur ,.et avec crainte et amour il sied de recevoir cette nourriture sainteet immortelle.

33

3 Ex 26,33.34; 30,29; 40,10; Nllm 4,19. Passim.4 Catéchèse XXIII (myst. V) 19 (PG 33, 1124; SCh 126 [1966] 169ss).5 Homélie VII 6 (PG 57, SO).6 Homélie XVII 4-5 (PG 63, 132-133).7 Lib. IV 7 (PG 73, 700); lib. XII 20,17 (PG 74, 695s).8 2e homélie sur la messe (XVI) 22-23 (R. TONNEAU - R. DEVREESSE, Les homélies catéchétiqlleJ

de Th. de M. [StT 145, 1949, 565ss]).9 Homélie XVII (A. MINGANA l 293-294; R. H. CONNOLLY 26s).

CYRILLE DE JÉRUSALEM ne semble pas s'éloigner beaucoup de Théodore.Voici ce qu'il dit aux néophytes:

Après cela le prêtre dit: "les choses saintes aux saints".Saints sont les dons ici déposés, car ils ont reçu la venue du Saint-Esprit,.saints VOI/S al/ssi, ql/i avez été jugez dignes de l'Esprit Saint.Les choses saintes donc et les saints: cela va bien ensemble.Alors vous dites: ,,1111 seul saint - 1111 seul Se/gneur jésus-Christ".Vraiment en effet seul il est saint, saint par nature ,.

Page 3: Arranz, Le Sancta Sanctis Dans La Tradition Liturgique Des Eglises

10 PG 98, 445. . .... . 1966)11 PG 140, 464; R. BORNERT, Les commentaires bY.ZaJ~tllls de la dlvme Ittt~rgte ... (Pans,. .

199ss. Selon l'A., ce livre est destiné au clergé (alUsI que la Mystagogie de ;vr~XIME 1. etaItaux moines et l'Histoire de GERMAIN aux fidèles [o.c. 181]). - NICOLAS decnt un nte etdonne un texte du Sancta sanctis qui n'est pas celui de JEAN CHRYSOSTOME ni des autrescommentateurs byzantins. Donc il faut prendre le texte donn~ par NICOLAS comme undéveloppement mystique autour d'un rite trop connu pour devOlr le présenter dans tous sesdétails; à moins qu'il ne faille prendre le texte comm~ r~el et dire que Nicolas, n'est p~s untémoin du rite constantinopolitain mais d'un autre rHe lUconnu, de saveu: tres arc~alque.Voici son texte: "Après l'ecphonèse de l'inclination de l~ tête ... or; fa~t l'élévatl.on du(ou plutôt on soulève le) Corps du Christ et le prêtre ~lt: ,Exal:ez (u<jJo~'t"e:) le. ~elgneurnotre Dieu et prosternez-vous devant l'escabeau de ses pIeds, car 11 est salfolt; VOICI qu~ cesaint Seigneur est exalté! Celui qui est saint, approche; car les choses salUtes aux saInts

conviennent'. "

car pour nous, si nous sommes saints aussi,nous ne le sommes cependant pas par nature,mais par participation ([J.e:'t"OX·~), par exercice, par prière.

Et voici le texte de CHRYSOSTOME, de la période d'Antioche, où -rd: &yw.est l'équivalent de "sainteté". Notre prédicateur, encore prêtre, apostrophe leschrétiens qui préféraient aller au théâtre plutôt qu'à l'église; ~hrysostomecompare l'autel au puits de Jacob, auprès duquel se trouve le SeIgneur:

Ici de cet antel jaillit la source du fm spirituel, .et tu l'abandon~les et CO~I1'S au !bé~~re, ... J;Iaislui il ne s'en va pas, il reste et nolIS demande de bOll'e, non pas de 1 eau, 7JlatS la samte.e (<xytÜlcrUV'l)),puisque /es cboses saintes aux saints sont données.

Dans un second texte, JE~N CHRYS.oSTOME, déjà archevêq~e de ~onstanti­nople, interpelle les fidèles qUI ne reç01vent les sacren:ent~ ~u un~ f?IS par a~,le jour de Pâques; il ne veut p~s .les em~êcher de veil1:, d:~-11, malS 11 voud~altqu'ils viennent plus souvent; Il mt~rprete le mot "samts da~s un sens bienplus moralisant que théologique: samt comme synonyme de dIgne.

C'est pourquoi dit-if /e ministre élève alors la voix pOlir appeler les saints, en mettant tous encause par cette proc/a;Jatioll, pour que personne ne s'approche s'il n'est pas préparé (&TC<xpO:crXe:uoc;).

Et CHRYSOSTOME continue dans le même sens, comparant l'assemblée à untroupeau composé de brebis bien portantes .et de brebis malades; le ?ut .decette proclamation (Les choses saintes aux samts) est d'appeler les br~bls bIenportantes; le prêtre lève la main en haut pour prononcer la formu,le,: 11 a~pelleles uns et repousse les autres. Chr~sost~m~ comp~re cette ~eremoil1e dediscrimination liturgique avec celle qUI avaIt heu aux Jeux olympl~ues lors~uele héraut en écartait les esclaves, les voleurs et les gens de mauvaIse condmte.Et comme si tout cela était peu clair, notre saint archevêque ajoute:

Lorsqu'on dit "les choses saintes aux saints", on veut dire: si quelqu'un n'est pas saint, qu'il

n'approche pas.

Après cela nous pourrions penser que la tradition byzantine ne changeraplus cette interprétation rigoriste de S. J~AN. CHRYS,a.STO.ME·

10C'est le cas de

GERMAIN DE CONSTANTINOPLE, dans son Hzstozre Eccleszastzqtle et de NICOLASD'ANDIDE dans sa Prothéorie. ll

12 SCh 4 bis, 22355.

35

Et Cabasilas continue en parlant de ce qui cause la séparation du Corpsdu Christ, notamment les péchés "qui vont à la mort" (&.[J.o:p-rtoc. npàc; &avo:-rov),et il cite la 1Jean 5,16-17; les autres péchés, ceux qui ne portent pas à la mort,n'empêchent nullement la participation à la sanctification offerte par la com­munion aux saints mystères.

Il est évident que le texte de S. Paul dans la 1 Cor 11,27: "celui qui mangele pain ou boit la coupe du Seigneur indignement (&.vaç(eùc;)" a dû peser lourdsur l'interprétation du Sancfa salzctis, et nous le voyons bien clairement chezles Byzantins à partir de JEAN CHRYSOSTOME. Nous pouvons imaginer lessentiments que ces rigueurs de langage pouvaient provoquer dans l'âme deceux qui les prenaient trop à la lettre. CABASILAS retourne à une interprétationplus mitigée et plus théologique aussi. La tradition orientale de THÉODOREDE MOPSUESTE revit en lui. Nous n'avons pas le loisir de traiter ici d'autrescommentateurs liturgiques qui se sont occupés de notre texte: JACQUESD'ÉDESSE, GEORGES L'ARABE, MoïSE BAR KEPHA, DENYS BAR SALIBl pour lesSyriens. Pour les Chaldéens: NARSAI, ABRAHAM BAR LIPEH, GEORGES D'AR­BÈLES. Chez les Coptes: CYRILLE III (XIIIe siècle), ABUL BARAKAT.

Sans doute la pensée de ces auteurs sacrés serait du plus grand intérêt, maisau fond, comme tous les commentateurs liturgiques de tous les temps, nepouvant pas se rendre indépendants de, la théologie de leur époque, ils tâche­ront de donner aux textes et aux rites plus anciens une interprétation quis'adapte à leur théologie. Il n'est pas impossible que JEAN CHRYSOSTOME, lui-

Car les choses saintes ne sont permises qu'aux saints. Le prêtre donne ici le nom de saints non passeulement aux âmes de vertu parfaite, mais aussi à tous ceux qui s'efforcent de tendre à cette per­fection, mais ne l'ont pas encore atteinte. Ceux-là rien ne les empêche, en participant aux saints7Jtystères, d'être sanctifiés, et de ce point de vue, d'être saints. C'est en ce sens que l'Église touteentière est appelée sainte ... Les fidèles sont en effet appelés saints en raison de la chose sainte àlaquelle ils participent, et de Ce/ui au corps et atl sang duquel ils communient. Membres de ce corps,chair de sa chair et os de ses os, tant que nous lui restons unis et que nous sommes en consonnanceavec lui, nous avons la vie, attirant à nous, par les 7Jtystères, la sainteté qui découle de cette tête etde ce cœur. Mais si notls venons à flOUS séparer, si nous notls détachons de l'ensemble du corps trèssaint, c'est en vain que notls goûtons aux saints mystères: la vie ne passera plus aux membres mortset amputés.

Ce qui suit introduit une nuance précieuse, que nous n'avions pas encorerencontrée chez les Byzantins:

Sur le point d'approcher lui-7Jtême de la table et d'y convoquer les atlfres, le prêtre, sachant bienque la communion des saints !!tystères n'est pas indifféremment permise à tous (où TCôtcrtV &TCÀWC;

/içe:cr't"tv), n'y invite pas tout le monde . .. Voici sous vos yeux le pain de vie. Accourez donc pourle recevoir, lion pas tous, mais ceux qui en sont dignes.

Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises

Nous citerons cependant un dernier commentateur byzantin qui est dansla ligne de JEAN CHRYSOSTOME, mais qui est en même temps témoin d'unetradition d'interprétation liturgique plus large: NICOLAS CABASILAS dansl'Explication de la Divilte Liturgie: 12

Miguel Arranz34

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36 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 37

même, ne fasse écho dans le texte que nous avons cité, à une praxis péniten­tielle existant au IVe siècle et dont témoigne le VIlle livre des ConstitutionsApostoliqttes: la pénitence publique qui excluait les "pénitents" de la prièredes fidèles, non seulement à la messe, mais aussi aux vêpres et aux matines.CHRYSOSTOME aussi a traité la question des pécheurs pénitents, exclus de laprière et de la communion, dans In ep. ad Ephes,13

L. LIGIER, dans son article Pénitence et Ettcharistie en Orient. Théologie sttr tilleintetférence des prières et des rites14 a traité magistralement la question de la ré­mission des péchés à l'intérieur de la célébration de l'eucharistie par des prières,voire par des absolutions, contenues dans le rite même de la messe. C'est lecas en particulier de la liturgie copte et aussi de la liturgie syrienne. Ligier voitmême des emprunts textuels aux prières pénitentielles de la Synagogue etprécisément à celles du jour de l'Expiation. Ses arguments sont convaincants,mais leur valeur est limitée, pensons-nous, d'abord, à quelque tradition litur­gique: à celles de l'Égypte et de la Syrie, et puis, à une période: celle de lacomposition de ces formulaires eucharistiques qui prévoient une espèced'absolution avant la distribution de la communion. Les eucharisties archaïquesque nous connaissons, n'ont pas de tels formulaires; la question du péché engénéral y est à peine traitée.

Ici nous touchons à un problème sans doute très important mais qui n'estpas de notre compétence, et que nous ne faisons que survoler: la croyance despremiers chrétiens à la rémission des péchés commis après le baptême, et laconscience qu'ils avaient de l'empêchement que ces péchés pouvaient constituerà leur vie liturgique. Ligier étudie la question de la distinction des péchés encontexte liturgique et eucharistique: il cite ORIGÈNE, THÉODORE DE MOP­SUESTE, AUGUSTIN, MÉTHODE D'OLYMPE et ÉPHREM. ORIGÈNE a été le premierà commenter en sens chrétien les textes de la rémission des péchés par lessacrifices dans l'Ancien Testament. Avec cette référence à l'étude de LIGIER,nous laissons ouverte la question, qui n'était d'ailleurs qu'une parenthèsedans notre thème du Sancta sanctis, et nous abordons celui-ci sur son vraiterrain: celui de la liturgie comparée.

Nous allons considérer le contexte qui précède le Tà &YLlX 't'oïç &.y[o~ç dansla liturgie des diffèrentes traditions. Pour cela, nous prendrons comme pointde départ l'édition des Liturgies Orientales de F. E. BRIGHTMAN,15 où l'auteurnous fournit le texte des différents rites, en complétant les parties manquantesde façon assez acceptable. Il s'agit sans doute de manuscrits du moyen-âge,mais qui pour la partie qui nous regarde ont peu changé depuis le IVe-Vesiècle. C'est à l'époque des premiers conciles que les traditions liturgiques dechaque région commencent à se fixer et à se délimiter, à l'époque même oùles sièges métropolitains émergent à la tête des différentes provinces ecclésiasti-

13 Hom. 3,4 (PG 62,29); cf. commentaire du texte dans F. VAN DEN PAVERD, Zur Ge­schichte der Mejlliturg/è in Antiocheia und KOlIStantinopel gegen Ende des vierten Jahrhunderts.Analyse der Quel/en bei Johannes Chrysostomos (OChA 187 [1970] 187ss).

14 OChP XXIX (1963) 5-78.15 Liturgies Eastern and Westem l (Oxford 1896).

ques. Chaque patriarcat aura son propre "rite". Ce rite sera gardé précieuse­ment. Une évolution de la liturgie se fera tout de même, mais le noyau desoffices, surtout pour ce qui est de l'eucharistie, restera presque inchangé.Nous allons en tout cas le supposer pour le moment.

Ensuite nous essaierons de faire un pas en arrière, dans cet "âge d'or",si peu connu, de la liturgie des premiers siècles.

1. Liturgies récentes

Nous distinguerons six grandes traditions liturgiques orientales ou "rites":le byzantin, l'arménien, le syrien-occidental, le maronite, le syrien-oriental ouchaldéen et l'alexandrin. Le syrien-oriental nous l'appellerons simplementchaldéen, réservant au syrien-occidental l'appellation de syrien tout court.Nous assimilerons au rite chaldéen le rite malabare, pratiqué dans l'Indeméridionale. Quant au rite éthiopien, il sera considéré comme alexandrin,même s'il pouvait mériter un chapitre à part.

Nous ne considérerons dans notre étude que les prières qui précèdent leTà &y~oc 't'oïç &'Y[QLç. Nous pensons concrètement aux deux prières qui dans laplupart des rites se placent entre la fin de l'anaphore et la communion. Lapremière est celle qui précède aujourd'hui le Notre Père. La seconde est uneprière de bénédiction sacerdotale prononcée pendant que les fidèles inclinentla tête. Puisque c'est cette seconde prière qui est la plus proche du Tà &yw.

't'oïç &.y[o~ç, c'est par elle que nous commencerons. En principe, nous ne nousintéresserons pas au chant des fidèles qui le suit, tout ancien qu'il soit, ni auxcérémonies qui l'accompagnent. Selon le texte de CHRYSOSTOME que nousavons cité, le prêtre levait la main en prononçant les paroles; aujourd'hui, laplupart des rites prévoient une élévation des saints dons, en une ou deux fois.Pour tous ces détails nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage classique de ].-M.HANSSENS, Institutiones Liturgicae. De Ritibus Orientalibtts. 16

1. La liturgie des Constitutions Apostoliques

Si nous jetons un regard sur le schéma général de la messe des fidèles(c.-à-d. après la sortie des catéchumènes et des pénitents) du Ile livre desConstitutions Apostoliques17 nous trouvons ce tableau:

a) une prière des fidèles, debout vers l'orient, très probablement en silence,b) un baiser de paix entre hommes et entre femmes séparément,c) une litanie du diacre: pour l'église, pour le monde entier, pour les prêtres

et les autorités, pour l'évêque et le roi et pour la paix universelle,d) un souhait de paix et une bénédiction de l'évêque, avec référence à

l'ordre donné par Moïse aux prêtres; on reprend les paroles de Nombres 6,24-26:"Le Seigneur te bénisse et te garde - le Seigneur te montre sa face et ait pitié

16 (Rome 1932) III 494-503.17 FUNK 165-167; BRIGHTMAN 30.

Page 5: Arranz, Le Sancta Sanctis Dans La Tradition Liturgique Des Eglises

20 Péché d'Adam et péché de l'homme II (Paris 1961) 289ss et 403.21 FUNK 488 et 489. Le verbe grec est bien plus fort que le latin: le premier indique

impuissance, le second illégalité.22 Pénitence et Eucharistie 8ss.

des péchés, pour la vie éternelle. Suit une prière de l'évêque: action de grâcespour la participation aux saints mystères; série de demandes pour soi-mêmeet pour les autres, pour le clergé, les rois, le beau temps, les diverses catégoriesde fidèles;

i) prière de bénédiction sur ceux qui ont incliné leur tête (l'évêque parle àla première personne: "écoute-moi, bénis-les"); demande d'écouter la prière desfidèles, de ne rejeter aucun d'entre eux, de les sanctifier, de les protéger, etc.;

j) renvoi de la part du diacre.

Cette messe ou "latrie mystique" revendique une origine apostolique.Quelques remarques à propos de ces deux schémas de la messe: le premier,

celui du livre Ile, place la bénédiction aaronique avant l'anaphore, après laprière silencieuse des fidèles et la courte litanie du diacre. Le VIlle livre laplace après l'action de grâces pour la communion. Nous verrons plus loin,que, dans la plupart des rites, cette bénédiction se situe entre l'anaphore et lacommunion.

Ensuite il faut remarquer à propos de la messe clémentine que, s'il est vraique la partie de l'anaphore avant le Sanet/Is est consacrée en partie à l'histoiredu péché dans le monde, depuis Adam jusqu'à la prise de Jéricho (L. LIGIERYvoit une influence des prières du jour de l'Expiation20), il est tout aussi vraique la rémission des péchés n'est mentionnée que deux fois dans cette liturgie;une première fois, dans l'épiclèse, où le pardon des péchés sera considérécomme fruit de la participation au pain et au calice, et une seconde fois dans laprière après la communion: celle-ci produit le pardon des péchés. L'anaphoreet la communion (avec la litanie et la prière intermédiaire et le Sancta sanctislui-même) forment une unité indivisible, rien ne permettant d'établir un hiatusentre elles, comme si la communion pouvait être autre chose que la suitelogique de l'anaphore.

Assurément les pénitents avaient déjà été chassés de l'église avant la prièredes fidèles, prière dont ils n'étaient pas "capables" (M~"t"LÇ "t"ÛW [1.~ auvoq.LÉVUlV7tpocre;'A&É"t"Ul, avait dit le diacre, Nemo eorUllJ quibus Iton lieet, traduit librementl'éditeur21), mais il s'agissait là des grands pécheurs, soumis à la pénitencepublique. Les fidèles qui restaient dans l'église, étaient admis à la prière com­mune, à l'anaphore et aussi à la communion tout naturellement. Le pardondes péchés sera la conséquence de la communion, non la condition préalable.

L. LIGIER étudie les Pères qui ont écrit dans ce sens 22 : ORIGÈNE, THÉODORE,ÉPHREM. Et selon lui, cette conception théologique de l'efficacité de l'oblationeucharistique pour la rémission des péchés se perpétuera dans l'Église syriennependant le haut Moyen-Âge. Nous renvoyons le lecteur pour ce qui est de laquestion théologique à cet article, et nous allons revenir à la question de labénédiction aaronique.

38 Miguel Arranz

de toi -le Seigneur lève sa face vers toi et te donne sa paix." Et puis les parolesduPs 27,9: "Sauve, Seigneur, ton peuple et bénis ton héritage"; puis Act20,28 :"que tu as créé et tu t'es acquis par le précieux sang de ton Christ", et finale­ment 1 Petr 2,9: "que tu as appelé sacerdoce royal et nation sainte";

e) suit le "sacrifice" (&ucr[O(), le peuple étant debout et priant en silence;finalement

f) la communion.

Le schéma offert par le VIlle livre des mêmes Constittttions, et qu'on appellemesse clémentine, présente un schéma apparemment très différent. Nous neconsidérons que la partie de la messe des fidèles (et rappelons-nous que lescatéchumènes et les pénitents étaient dans ce même livre VIlle des Constit/ltions,exclus, également de la prière des fidèles aux vêpres et aux matines, où il nepouvait pas être question de l'areanum de l'eucharistie).

Voici donc le schéma de la messe clémentine: 18

a) Les fidèles prient à genoux pendant que le diacre proclame une longueliste de catégories de personnes, pour la plupart membres de l'église universelleou locale, mais aussi pour les ennemis et persécuteurs et pour toute l'humanité.Prière de l'évêque rappelant les thèmes de la prière du Ile livre: regard deDieu, protection, aide, sanctification, vie éternelle; troupeau, peuple rachetépar le sang du Christ; mais sans allusion à la bénédiction aaronique;

b) salutation de paix de la part de l'évêque et baiser de paix comme dansle livre Ile (entre clercs, hommes laïcs et femmes séparément);

c) lavement des mains comme symbole de pureté et derniers avertissementsdu diacre pour assurer la bonne tenue de tous (nous reviendrons plus loin surces avertissements);

d) on apporte les dons et l'évêque commence le dialogue classique de laprière eucharistique; suit la longue "anaphore" de type antiochien;19 souhaitde paL'\: de l'évêque;

e) nouvelle litanie du diacre reprenant les thèmes de la dernière partie del'anaphore: acceptation de l'oblation, prière pour le clergé et pour tous lesmembres de l'église, pour les autorités, mémoire des martyrs, des défunts,pour le beau temps, pour les néophytes. Courte prière de l'évêque assezsemblable à la première: regard sur le troupeau du Christ, sanctification,pureté, obtention des biens offerts (peut-être se référant à la communion): cesidées étaient déjà amorcées à l'épiclèse, à l'intérieur de l'anaphore;

f) l'évêque prononce le Tà flYLo( "t"o~ç &Y[QLç; suit d'acclamation des fidèles:Gloria in exeelsis, Hosanna PiNo David, Benedictus qui venit, 0e;oç Kupwç, Hosannain exeelsis j

g) communion au chant du Ps 33;h) invitation du diacre à rendre grâces pour la communion et à prier: pour

que celle-ci ne soit pas cause de condamnation mais de salut, pour le pardon

18 FUNK 488ss (messe); BRIGHTMAN 9ss; FUNK 544 (vêpres); 546 (matines).19 FUNK 496-514; BRIGHTMAN 14-23.

Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 39

Page 6: Arranz, Le Sancta Sanctis Dans La Tradition Liturgique Des Eglises

3. La bénédiction sacerdotale

Dans notre communication au XVIIIe Congrès de Saint-Serge, ainsi quedans deux articles consacrés aux prières presbytérales des vêpres et des matinesde l'Euchologe byzantin,24 nous avons fait quelques considérations sur laprière d'inclination de la tête, à la fin de ces offices ainsi que dans les vêpreset les matines du VIlle livre des Constitutions Apostoliques. Nous avons remar­qué alors dans cette prière chrétienne un accent sacerdotal très marqué, enétroite dépendance du texte de Nm?? 6,24--26, c.-à-d. de la bénédiction aaroni­que, que seul Aaron et ses descendants, les kohaniJn, pouvaient donner.

Cette bénédiction sacerdotale se donnait après les sacrifices du temple, etplus tard, quand, dans la synagogue la tejillah aura remplacé symboliquementles sacrifices du temple, la dernière berakah de la tejillah reprendra le thèmede la bénédiction divine et celui plus accentué de la paix individuelle et collec­tive. Si dans l'assemblée synagogale un descendant de Aaron, un kohen, est

23 BRIGHTMAN 262ss.24 OChP 37 (1971) 99ss et 432ss.

Le livre Ile des Constitutions plaçait la bénédiction sacerdotale avant l'ana­phore, le livre VIlle à la fin de la messe; parmi les liturgies actuelles, seule lachaldéenne23 suit un schéma semblable à celui des Constitutions: celui du livreIle et celui du livre VIlle pris ensemble:

a) triple litanie du diacre: la première, assez courte, adressée directement àDieu; la deuxième, semblable à celle du livre VIlle, avec une longue liste desaints, sollicite la prière des fidèles pour les différentes intentions; la troisièmees t "l'ange de paix" (le livre VIlle la réserve pour les vêpres et les matines);on y demande entre autres le pardon des péchés;

b) suit une prière du prêtre demandant les dons de Dieu, le pardon despéchés, etc.;

c) prière d'inclination: on rappelle le rôle du sacerdoce, comme administra-tion des dons spirituels en faveur du peuple;

d) offertoire, credo, lavabo;e) mémorial des défunts et des saints en général;f) dyptiques: longues listes de saints bibliques et des saints et évêques

locaux ainsi que de l'église universelle;g) paix, prière de l'encens;h) anaphore et autres prières complémentaires;i) karozutha ou proclamation du diacre: plusieurs strophes;j) prière du prêtre introduisant le Notre Père; suit un embolisme;k) Tà &yw. 'TO~ç &ylmç et communion;1) deux prières du prêtre: action de grâces pour la communion et fruits de

celle-ci, parmi eux, le pardon des péchés;m) exhortation au peuple et souhait de bénédiction divine.

41Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises

25 L. BOUYER, Eucharistie (Paris 1966) 92ss.

présent, alors c'est lui qui sera invité à prononcer la vraie bénédiction aaronique.Dans la tejillah chrétienne du VIle livre des Constitutiom Apostoliques, la dernièreberakah, celle de la paix, manque complètement. Elle est bien présente, commenous venons de le dire, dans les vêpres et matines du livre VIlle: c'est chaquefois la seconde prière de l'évêque, après la synaptie du diacre.

Si dans les anaphores eucharistiques chrétiennes on peut déceler les élé­ments de la prière judéo-chrétienne primitive, et précisément ceux des prièrestraditionnelles de la table, du Sema' Israel et de la tejillah, alors il faut cherchercette berakah de la paix à sa place normale: à la fin de la tejillah, comme c'estle cas pour les vêpres et les matines du VIlle livre des Constitutions Apostoliques.Dans la messe du Ile livre des mêmes Constitutions, ainsi que dans la messechaldéenne, cette bénédiction aaronique trouve sa place avant l'anaphore; dansla messe clémentine (VIlle livre) elle se place à la fin de la messe, après lacommunion. Dans les autres rites orientaux, et dans la plupart des rites occi­dentaux, elle se place après l'anaphore et avant la communion.

Comment expliquer cela? L. BOUYER présente une théorie sur l'évolutionde l'anaphore,25 qui nous semble convenir à notre cas.

Après l'année 135, les judéo-chrétiens, en nette rupture déjà avec leursconcitoyens juifs, auraient dû s'abstenir définitivement de fréquenter les syna­gogues de ceux-ci, et auraient été amenés ainsi à organiser des réunions delecture biblique et de prière pour leur propre compte. Dans ces réunions onaurait célébré avec le service de prières hérité de la synagogue (bénédictionsdu Sema' et tejillah) également l'eucharistie. Au début, les prières de la tableauraient été dites après celles de la synagogue et ces premières anaphoresétaient alors extrêmement simples: le texte de la Didachè, ainsi que l'anaphored'Hippolyte et même le noyau primitif de l'anaphore d'Addai et Mari, seraientdes vestiges de cette eucharistie domestique. Puis, dans un second temps lesprières synagogales et celles de la table, vu leur ressemblance et même leurparallélisme, auraient tendu à se rapprocher et à se mélanger: comme témoinsde cette étape on pourrait signaler l'anaphore alexandrine de Saint Marc et lecanon romain. Ce n'est qu'au IVe siècle que les liturgistes d'Antioche auraientmarqué une troisième étape dans le développement de l'anaphore: les élémentsdu Sema' Israel, ceux de la tejillah et ceux des prières de la table, auraient étéharmonieusement fondus dans ces chefs-d'œuvre littéraires que sont les ana­phores antiochiennes.

Si cette théorie est juste, comme nous le pensons, alors il faudra s'attendre àvoir la bénédiction aaronique de la fin de la tejillah avant l'anaphore, dans le casde liturgies très anciennes, lorsque les prières synagogales et les prières de latable étaient encore nettement séparées. C'est bien le cas du schéma de messedu Ile livre des Constitutions Apostoliques et de la messe chaldéenne, celle d'Addaiet Mari. Elles ont la bénédiction entre la litanie et l'anaphore.

La messe clémentine et la messe romaine actuelle, qui ont la bénédictionaprès la communion, constituent une exception à la règle, mais dans le sens

Miguel Arranz

2. La liturgie chaldéenne

40

Page 7: Arranz, Le Sancta Sanctis Dans La Tradition Liturgique Des Eglises

42 Miguel Arranz Le "Saneta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 43

d'une union tellement étroite entre anaphore et communion, qu'elle rejette labénédiction conclusive de la tefillah après la communion, à moins que dans lerite romain il ne faille voir l'embolisme du Pater Noster et les rites de la paixavant la communion, comme un développement de la bénédiction de la paix.Les autres liturgies, avec la bénédiction après l'anaphore et avant la commu­nion, auraient considéré la bénédiction comme la conclusion normale del'anaphore. Aucun rapport direct donc entre cette bénédiction conclusive del'anaphore et le TOc &.Y~iX't"O~Ç iXy(o~ç, formule qui n'existait pas dans la prière juive.

La bénédiction épiscopale avant la communion qu'on rencontre chez lesMozarabes et dans le rite de Lyon, semble avoir existé un peu partout enOccident. Selon F. CABRaL, même à Rome, on aurait eu cette bénédictionavant la réforme de GRÉGOIRE 1er. Les Romains n'aimaient pas trop cette béné­diction; déjà le pape DAMASE au IVe siècle critiquait l'usage qu'on en faisaiten Afrique; au VIlle siècle le pape ZACHARIE critique très durement les Gau­lois à cause de cette bénédiction. Nous renvoyons volontiers à l'ouvrage deA. A. KING, Liturgies of the Primatial Sees,26 pour un aperçu général de laquestion historique. Ce qui nous intéresse davantage c'est le fait qu'en Afriqueon attribuait à cette bénédiction une valeur d'absolution: le Ile concile deMilève et le Ile de Carthage, tous deux en 416, en parlent dans ce sens; 27 aucontraire, ni la triple bénédiction mozarabe ni celle de Lyon ne semblent avoircette signification d'absolution.

En Orient, seule la tradition alexandrine semble s'être orientée résolumentdans cette voie, c.-à-d. de joindre à la prière d'inclination une absolution avantla communion. Les autres traditions, sans perdre de vue complètement lepardon des péchés, n'ont pas donné un sens absolutoire à la prière d'inclination.

4. La liturgie byzantine

Chez les Byzantins, le pardon des péchés est demandé dans la litanie "angede paix", qui se dit deux fois: avant et après l'anaphore, dans un ensemble dedemandes de biens spirituels sans référence directe à la communion. Dansl'épiclèse de l'anaphore de' S. Jean Chrysostome, lorsqu'on a demandé que leSaint-Esprit soit envoyé pour opérer le changement des dons, le premier effetde cette transformation est: "Afin qu'ils deviennent, pour ceux qui les reçoi­vent, purification de l'âme, rémission des péchés, communion de ton EspritSaint, etc."28 Même idée dans la prière avant le Notre Père: "Rends-nousdignes de participer aux mystères .. , avec une conscience pure, en rémissionde nos péchés, pour le pardon de nos transgressions, pour la communion duSaint-Esprit, etc."29 Comme dans la messe clémentine, le pardon des péchéssemble être une conséquence de la communion, plutôt qu'une condition. Etnous pouvons faire pour la liturgie de S. Jean Chrysostome la remarque qui a

26 (London 1957) 131.27 PH. LABBE, Sacrosancta Concilia II 1535 et 1540.28 BRIGHTMAN 330.29 BRIGHTMAN 338.

été faite pour la messe clémentine: la litanie et la prière qui suivent l'anaphore,ne font que reprendre des idées des alentours de l'épiclèse. Après le NotrePère, élément plus récent, la prière d'inclination couronne l'anaphore sans uneréférence directe à la communion qui va suivre.

Une phrase de la prière d'inclination pourtant semblerait à première vue serapporter à cette communion: "TOc 7tpoxdfLsvO(, nCiaw ~fL~v dç &YiX-&àv È1;OfLd:À~aov

xœt"Oc 't"~v é:x.d:a't"ou U)(O(,v XpdiXV - Predlezhdshchaia vsem nam vo blagrie izravnidi pokoegrizhdo svoéi potrébe": suit une liste des personnes pour qui se fait cette de­mande: ceux qui sont en mer, les voyageurs, les malades. Dans TOc npQ}(Z(fLsViX•.• È1;ofLd:À~aov - predlezhdshchaia ... izravnidi, comme déjà J. MATEOS l'a faitremarquer,30 npox,dfLsvO(, ne seraient pas les dons, mais les circonstances de lavie; È1;OfLd:ÀWOV ne serait pas distribue, mais aplanis. En tout cas, cette prièrene demande pas le pardon des péchés. Une prière moderne (absente dans lesanciens etlchologia), dite par le prêtre immédiatement avant la communion: "Jecrois Seigneur et confesse ... ", remplis ce vide si de vide on peut parler; danscette prière on demande le pardon de tous les péchés, connus et inconnus,commis volontairement ou non, et précisément en vue de la communion.

La liturgie de S. Basile, toujours chez les Byzantins, accentue le caractèrede l'indignité des ministres, déjà à partir des trois prières qui précèdent l'ana­phore. Dans la prière Post sancttls,31 le péché d'Adam et ses conséquencespour l'humanité sont décrits avec force détails, mais parmi les fruits de l'épi­clèse32 on ne trouve pas le pardon des péchés, comme c'était le cas par contredans Chrysostome. Dans la prière qui suit l'anaphore et qui précède le NotrePère,33 on prie pour la purification de la chair et de l'esprit afin de recevoir lesdons consacrés, avec le témoignage d'une conscience pure. Dans la prièred'inclination on prie pour que les fidèles puissent participer sans condamnationaux mystères, pour la rémission des péchés et la communion de l'Esprit Saint.

La liturgie des présanctifiés des Byzantins, qui naturellement n'a pas d'ana­phore, possède aussi une prière d'inclination et le TOc &.Y~iX 't"o~ç iXy(mç. Malgrél'origine tardive de ce formulaire et sa destination exclusive aux jours duCarême, l'esprit pénitentiel n'est pas accentué pour autant. "Juge-nous dignesde participer sans condamnation à tes mystères ... " est-il dit dans la prièred'inclination,34 ce qui est une allusion directe à 1 Cor 11,29: "Car celui quimange et boit [indignement] sans discerner le corps du Seigneur, mange etboit son propre jugement." Nous reviendrons plus tard sur ce texte de S. Paul.

5. La liturgie arménienne

Chez les Arméniens, nous limitant aux prières récitées entre l'anaphore etla communion (sans nous risquer à analyser leurs nombreuses anaphores),

30 La célébration de la parole dans la Liturgie Byzantine (OChA 191 [1971] 197, 180-181).31 BRIGHTMAN 32488.

32 BRIGHTMAN 330.33 BRIGHTMAN 338.34 BRIGHTMAN 350.

Page 8: Arranz, Le Sancta Sanctis Dans La Tradition Liturgique Des Eglises

35 BRIGHTMAN 446.

nous constatons que la suite de prières après l'anaphore est plus simple quecelle du rite byzantin: une litanie exclusivement consacrée aux thèmes de ladernière partie de l'anaphore: mémoire des saints, acceptation de l'offrande,unité des croyants (la litanie "ange de paix" se dit seulement avant l'anaphore);la prière du prêtre précédant le Notre Père est une vraie prière de préparationau Notre Père; la prière d'inclination35 n'a aucun lien direct avec la commu­nion: "Esprit Saint qui est source de vie et de miséricorde, aie pitié de cepeuple, qui, incliné, adore ta divinité: conserve-le intègre et imprime dansleurs cœurs l'attitude symbolique de leurs corps, afin qu'ils aient pour héritageet lot tes biens futurs." Suit le TeX &YL!X "o~ç &.ylmç, prononcé, comme. toujours,par le prêtre.

Dans cette description sommaire des rites chaldéen, byzantin et arménien,ainsi que de la messe clémentine, pour la partie de la messe qui va de l'anaphoreà la communion, nous nous sommes limités à considérer les prières que nousestimons les plus anciennes: celles que le prêtre récite au pluriel; il Y en adeux: une prière avec la litanie du diacre après l'anaphore et celle de la béné­diction ou de l'inclination de la tête.

Nous n'avons pas tenu compte de beaucoup d'autres éléments qui pourtantauraient pu être intéressants.

Tout d'abord le Notre Père: le pain de chaque jour ou le pain super­substantiel, fait allusion évidemment à la communion, tandis que le pardondes péchés, en échange du pardon du prochain, invite à la réconciliationfraternelle pour la purification des propres péchés, ces deux éléments étant enrapport avec la communion. L'introduction du Notre Père dans la messe étantplus récente par rapport aux deux prières que nous avons examinées, nouspensons que ces prières doivent être étudiées par elles-mêmes sans tenir comptede ce complément qui est le Notre Père, et qui répond à la mentalité théolo­gique de l'époque de son introduction. Le Notre Père ne figure ni dans lamesse clémentine, ni dans les formulaires archaïques, dont nous devons encoreparler.

Nous avons aussi omis de mentionner les autres prières privées que leprêtre dit au singulier, et parmi elles, les prières qui suivent le TeX &YL!X "o~ç

&.ylOLÇ et qui sont certainement plus récentes, vu la prolixité de leur texte et lemanque de correspondance entre les différents rites.

Nous n'avons pas tenu compte non plus des textes didactiques ou demonition que proclame le diacre chez les Chaldéens et chez les Arméniens.

Finalement, nous avons omis de parler des rites, souvent prolixes et richesen formules, qui accompagnent la fraction du pain, mais qui ne rentrent pasdans le cadre de notre travail, qui est de trouver le sens que les liturgies ontdonné à la formule: Les choses saintes aux saints.

Nous croyons pouvoir affirmer que, pour les liturgies byzantine, armé­nienne, chaldéenne et pour la messe clémentine, le sens ne semblait pas êtrecelui de faire une discrimination entre les pécheurs qui n'étaient pas admis à la

6. La liturgie alexandrine

45Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises

36 BRIGHTMAN 137.37 BRIGHTMAN 178.38 BOUYER, Eucharistie 210.

Dans la rédaction grecque de la messe alexandrine de S. Marc, la prière del'inclination36 demande encore la purification de l'âme ainsi que l'action del'Esprit Saint pour recevoir dignement le corps et le sang de Christ; ma~s

cette purification est déjà vue comme pardon de :outes sortes. de ~éch.é. ,~mt

une prière, où après avoir cité Lev 19,2: "Soyez sa111t~ comme)e suiS sa111~ , leprêtre demande avec insistance que son hymne salt accepte avec celm desanges; suit un triple KUpLE: ~Àf'Y)crov et TeX &YL!X "o~ç &.ylmç. .

La première partie de la prière, citant le Lévitique, aurait pu très bien serapporter au TeX &YL!X "o~ç &.yloLÇ; on ne voit pas par contre le sens de cetteallusion à un hymne débouchant sur le KUpLE: ~Àf'Y)crov.

Dans la version copte de la même liturgie de S. Marc (dite aussi de S. Cy­rille), à l'anamnèse, qui commémore le retour du Christ et le jugement, estintroduite une prière,37 dont nous trouverons le parallèle dans les anaphoressyriennes: iniquités et transgressions, commises ;olontairen:~ntou non, c~n­

sciemment ou non, secrètes ou connues, confessees ou oubliees, sont confieesà la miséricorde de Dieu. Suit la seconde épiclèse propre du rite alexandrin.Puisque cette épiclèse a tout à fait l'air de venir de Syrie,38 il est possible quecette prière de pardon le soit aussi. Nous en parlerons de nouveau à l'occasionde l'anaphore syrienne.

Ce qui est caractéristique de la litur?ie copte c'e,~: sa prière ~'inc~ination,

nettement pénitentielle, comme nous 1avons vu dela dans la hturgle de S.Marc, et la prière qui la suit, dite absolutio ad Patrem, précédant le TeX &YL!X "o~ç

&'ylOLÇ.La prière d'inclination varie avec c1;laque anaphore, même si elle n'est pas

attribuée à l'auteur de l'anaphore, comme c'est le cas par exemple dans la

communion et les non pécheurs qui l'étaient. Nous dirions que ces liturgiespencheraient à interpréter le mot "saints" comme "bapti~~s"'. plutôt ;Iu~ con;m.e"dignes": qu'on nous permette de rappeler que la premlere 111terpretatlon etaitcelle de THÉODORE DE MOPSUESTE, la seconde celle de JEAN CHRYSOSTOME.

Nous avions cru observer dans ces liturgies une absence de préoccupationvis à vis du péché personnel qui aurait pu empêcher la participation aux saintsmystères. Une idée semblait pourtant assez généralisée: le besoin d'une con­science droite pour obtenir par la communion la rémission des péchés. Quelleest cette conscience droite et ce discernement, nécessaires pour la communion,voilà encore une question liée au texte de 1 Cor 11,27, que nous verrons plusloin dans l'interprétation des Pères.

Il nous reste pourtant l'étude de deux traditions où la notion du péchépersonnel est considérée de façon bien plus formelle: la liturgie alexandrine etla liturgie syrienne.

Miguel Arranz44

Page 9: Arranz, Le Sancta Sanctis Dans La Tradition Liturgique Des Eglises

recension copte de la liturgie de Saint Marc, où la prière d'inclination estattribuée à Jean de Bostra. 39 La prière d'absolution par contre, dans desrecensions plus ou moins courtes, est toujours la même, chez les Coptes et chezl~s Ét?Iopiens. Cette prière d'absolution manque dans la version grecque de laliturg1e de S. Marc, ainsi que dans la version éthiopienne de la messe d'Hip­polyte.

Voici d'abord dans la version grecque de la liturgie alexandrine de S. Basile,la prière d'inclination de la tête: 40

4746

o Dieu qui nous as aimés jusqu'à nous accorder la grâce de l'adoption filialepour qu'on flOUS appelle et que nous soyons en réalité fils de Dieu,tes héritiers, ô Père, et les cohéritiers de ton Christ,incline, Seigneur, ton oreille et écoute-flOUS,qui inclinons nos têtes devant toi.Purifle en nous l'homme intérieur,comme est pur ton Fils unique que nous allons recevoir.Que s'éloignent la fomication et la pensée impure,à cause de Dieu, né de la Vief;ge.La vanité et le principe du mal, l'arrogance,à cause de celui qui s'est humilié pour nous.La lâcheté, à cause de celui qui a souffert dans la chairet dressé le trophée de la croix.La vaine gloire, à cause de celui qui a été souffleté, fouettéet qui n'a pas détourné son visage de la honte des crachats.L'envie, le meurtre, la division et la haine,à cause de l'Agneau de Dieu qui porte le péché du monde.La colère et le souvenir des injustices,à cause de celui qui a attaché à la croix la cédule de nos dettes.Les démons et le diable, à cause de celui qui a triomphé des principautésdu mal et qui a dépouillé les pllissances des ténèbres.TOlite pensée terrestre,à cause de celui qlli a été enlevé dans les ciellx.Et ainsi, avec pureté, nOlis pOllrrons prendre part au mystère le plus puret être pleinement sanctifiés d'âme, de corps et d'esprit,étant devenus concorporels, coparticipants et configurés à ton Christ:et notre bouche sera remplie de louange ainsi que nos lèvres d'exultationpour que nous célébrions ta gloire, ô Père,et celle de ton Fils unique et préexistant, par qui et avec qui . ..Paix à tous.

Suit l'absolution du Père, ou "au Père":

Souverain Seigneur, Dieu Père Tout-puissant,qui guéris nos âmes, nos corps et nos esprits!C'est toi qui l'as ordonné à Pierre, le prince de tes saints disciples et apôtres,par la bOllche de ton Fils IIniqlle, N.-S., notre Diell et notre Sallvellr,JésllS-Christ, en Illi déclarant:"TII es Pierre et sllr cette pierre je bâtirai mon église,et les portes de l'enfer ne prévalldront point sllr elle ,.je te donnerai les clefs du royaume des cieux ,.

39 BRIGHTMAN 183.40 RENAUDOT 1, 75ss; cf. LIGIER, Pénitence et Ellcharistie 41ss.

Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises

et tOllt ce qlle tll lieras sllr la terre, sera lié dans les cieux,et tout ce que tu délieras sur la terre, sera délié dans les cieux" (l'vIt 16,18).NOliS le serons donc, nous aussi tes serviteurs, mes pères et mes frères,prêtres et lévites, ainsi que tout le peuple fidèlequi se prosterne en face de ta gloire sainte en cette heure sainteet porte ta croix précieuse ,.nOlis voici tous déliés et absous, de lIta bouche pécheresse,par ton Esprit très saint, bon et bienveillant, ô Dieu,par ton Fils qui "a ôté le péché du monde" (Jo 1,29);daigne accepter de la part de tes serviteurs leur pénitenceen lumière de vraie connaissance, en expiation des péchés:"car tu ne VUIX pas la mort du péchellr, mais qu'il se convertisse et vive" (EZ 18,23 ou EZ 33,11);cal' tu es "Seigneur, Seigneur, le Dieu de tendresse et pitié,lent à la colère, riche en grâce et fidèle,qui pardonli8s fautes, transgressions et péchés" (Ex 34,6).Et si nous t'avons fait quelque offense en parole ou en acteREMETS, ABSOUS et PARDONNE-nous, en Dieu bon et bienveillant!"Car si tll retiens les fautes, Seignellr, Seigneur, qui Slfbsistera?mais auprès de toi est l'expiation (pardon)" (Ps 129,3-4)et tu es ,,l'expiation de flOS péchés" (1 Jo 2,2),l'illuminatioli et le sauveur de nos âmes.

Ô Dieu, absous-lious donc tous, et absous tout ton peuple,de tout péché, de tout reniement et blasphème,de toute imprécation et exécration,de la magie, des maléfices, de l'idolâtrie perfide et du parjure,.de l'anathème et de la malédiction, de la séparation,de la flèche qui vole, du gémissement des justes et des crimili8ls,de toute fréquentation d'hérétiques et de gentils..Accorde-nous, souverain, l'intelligence, la penséeet le pouvoir d'éviter jusqu'à la fin toute amvre mauvaise de l'adversaireet donne-nous d'accomplir ton bon plaisir.Écris nos noms dans la société de tout le chœur de tes saintsdans le royaume des cieux,dans le Christ jésus Notre-Seigneur ... SANCTA SANCTIS.

Cette prière d'absolution, la même dans toutes les anaphores, coptes etéthiopiennes, apparaît aussi, mise au singulier, dans le rituel de la confessionprivée. 41 Pourtant ce n'est pas la messe qui l'a emprunté au rituel, mais bienle contraire, si nous devons croire L. LIGIER. Les liturgistes coptes du moyen­âge sont formels: la confession privée c'est bien pour les moines, mais non paspour le reste de l'église. Qu'il suffise de rappeler la correspondance à ce sujetentre l'évêque MICHEL DE DAMIETTE et l'abbé MARC IBN KANBAR: celui-civoulait introduire la confession monastique dans la praxis des fidèles. L'évê­que, ne réussissant pas à le convaincre de son erreur, finit par l'excommunier. 42

41 Rituel de Tripoli,. DENZINGER, Ritus Orientalium (1863) l 435ss; LIGIER 41.42 G. GRAF, Ein Reformversuch itmerhalb der Koptischen Kirche im XII. Jahrhlllldert (Pader­

born 1923) 147-180.

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48 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 49

7. Liturgie de S. Jacques et liturgie syrienne

C'est pourtant la liturgie grecque de S. Jacques, suivie de toutes les ana­phores syriaques (syriennes ou maronites), à présenter la plus étonnanteparticularité. À la fin de l'anaphore, juste avant la doxologie, apparaît uneformule absolutoire sans beaucoup de connexion avec les commémoraisonsqui précèdent ni avec la doxologie qui suit:

,,"AVEÇ - &.epEÇ - cruyx,wP7Jcrov = remets - absous - pardonne ô Dieu,'1"à 7tIXPIX7t'1"WfLlX'1"lX ~fLû)V = nos transgressionsvolontaires, involontaires, conscientes, inconscientes."43

Ce texte de pardon, qu'on vient de voir aussi au beau milieu de l'absoltftio adPatrem alexandrine, mérite une considération philologique: 7tIXP&7t'1"û.lfLlX,

c'est une transgression, un faux-pas. En hébreu ce serait I:IATA', qui acouramment le sens de péché tout-court, mais qui peut vouloir dire aussicrime, comme le péché des frères de Joseph (Gen 42,22). Dans l'anaphore oninclue les 7tIXPIX7t'1"WfLlX'1"lX volontaires et ceux commis consciemment: il s'agitbien de péchés importants et non seulement des péchés "véniels"; les troisverbes: &.VEÇ - &.epEÇ - cruyx,wP7Jcrov = osldbi - ostdvi - prost! = remets - absous ­pardonne, indiquent aussi un désir de faire disparaître complètement lespéchés en question.

L. LIGIER fait remarquer comment les anaphores syriennes postérieuresvont amplifier cette courte formule, mais vont aussi lui enlever sa force,jusqu'au point de ne plus comprendre tous les péchés. Cette amplification dutexte et en même temps cette mitigation de l'universalité du pardon, apparaîtpar exemple dans l'anaphore syrienne du patriarche Johannan Ier:44

Pardonne et remets, ô Dieu, 'lOS manquements,ceux que nous avons commis volontairement 011 involontairement,sciemment ou inconsciemment,CetlX que nous avons commis SOIIS la violmce de la tyrannie des démons impllrs,ceux où nOlis sommes tombés par la faiblesse de notre nature,ceux qlle nous avons commis par suite de la corruption qui est en nous ou par inadvertance,ceux où nOlis sommes tombés par inexperience ou imprudence,cellx dont nOlis nous sommes rendus coupables par contrainte ousous l'effet des attraits séducteurs de la jetlnesse oupar l'effet du raisonnement ou d'habitude mauvaises ou de l'illusion 0/1 d'impulsion involontaires,ceux que par longanimité tu as toléréset n'as pas punis qlland nous les avons commis,ceux pour lesquels tu nous as châtiés maintmant dans ta colère,ceux dont tu as réservé la rétribution POUl' la vie future,tous ceux qlle tu connais,puisque dès maintenant tu connais tout à l'avance.

43 BRIGHTMAN 58.44 LIGIER 16.

L. LIGIER met cette prière dans la ligne de la pensée de THÉODORE etd'ÉPHREM, mais trouve impropre le terme "manquements" (glissements plutôt= stfr'ata), lorsqu'il s'agit de fautes volontaires et conscientes.

Nous ne pouvons pas faire ici l'analyse pourtant intéressante de quelques­unes des nombreuses anaphores syriennes. Mais voici un autre exemple, prisdu missel des Maronites, selon la traduction de M. HAYEK. 45 L'étroit contactdes Maronites avec les Romains aurait pu faire croire à une plus grandeidentité de vues avec ceux-ci, dans une matière si jalousement déterminée parla scholastique comme est celle de la pénitence: rien de tel. Les Maronitessont en plein dans la tradition syrienne.

Voici d'abord le texte d'absolution à la fin de l'anaphore de " Saint Pierre" :46

Pardonne et absous, Seigneur,les défaillances et les folies,manifestes et oCCllltes de tes serviteurs et servantes,et délivre-nous de la confusion devant toi,afin qlle pal' nous, à cause de nous et pour nous,soit manifesté et exalté ton Nom béni, avec N. S. Jésus Christ . ..

Et voici la prière d'inclination de la tête après une invitation du diacre assezremarquable:

. Inclinez vos têtes devant le Dieu 1Jtiséricordieux,devant son autel "absoluteur",et devant le corps de notre Sauveur et son sang,où se trouve la vie pour ceux qui le reçoivent;et recevez la bénédiction du Seigneur.

Le prêtre:

Seigneur Dieu, bénis tes serviteurs qui se sont prosternés ici,inclinant les nuques de leurs corps et de leurs âmes devant toi,et qui te supplimt;accorde-leur tes miséricordeset le pardon de leurs péchés et des nôtres;cal' tu es généreux en miséricordes et as pouvoir sur toutes choses;et nous faisons monter gloire et grâces à toi, ainsi qu'à ton Fils ...Paix à vous tOits . ..Que la grâce de la Trinité sainte, subsistante, éternelle, incréée et consubstantielle soit avec VOIlStous, mes frères à jamais.

Le diacre:

Que chacun regarde Diett avec crainte et tremblement,et implore de lui la miséricorde et la pitié.

Le prêtre:

Les choses saintes sont atlX saints, par la perfection, la pureté et la sainteté.

45 Liturgie Maronite. Histoire et Textes Eucharistiques (Paris 1964).46 HAYEK 269.

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50 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 51

L'anaphore Sarar chez les mêmes Maronites, anaphore qui a tant de pointscommuns avec l'anaphore d'Addai et Mari des Chaldéens, possède uneanamnèse adressée au Fils (comme il est traditionnel chez les Syriens) fortintéressante; en voici quelques phrases:47

Agneau spirituel, descendu des hauteurs ... pOlir être immoléen vue de la p"rification de tous les hommes,. pOlir porterlibrement lellrs péchés et pardonner al/x pêcheurs par ton sang ...Bon Pastellr qui as dêposé ton âll1e pOl/r ton trol/peall ...que cette offrande, qlli est présentée surton autel absoltlteur en mémoire de ta passion soit agréée devant toi;que par e//e ta divinité (du Christ) soit satisfaite ...nos péchés pardonnés, nos fautes remises et nos morts commétllorés ...

Il n'y aura pas d'autre formule absolutoire à la fin de l'anaphore, qui finitd'ailleurs par l'épiclèse. La prière d'inclination sera aussi une prière péniten­tielle. La voici:

Devant toi, Seignellr notre Dim,devant ton autel pllrificateur,devant le Corps et le Sang de ton Fils bien-aimé, N. S. jéslls-Christ,nous inclinons et penchons nos têtes et noS nuques,adorant la glorieuse Trinitéet implorant de ta grâce: compassion, miséricorde, secours,pardon des péchés et ré111ission des fautes ,.écoute Seigneur, dans ta miséricorde, nos prières,acclleille, dans ta pitié, notre supplicationet exauce nos demandes de ton trésor plein de richesses, ô Père, Fils . ..Donne-nous, notre Seigneur, et rends-nous dignes, ô notre Dieu,de nous approcher, avec pureté et sainteté,pour recevoir le corps et le sang de ton Fils bien-aimé, N. S. jésus-Christ ,.et nous rendons grâces à la glorieuse Trinité, Père, Fils ...

Nous avons vu que les rites byzantin - arménien - chaldéen passaient del'anaphore à la communion d'une m~nière nature~le, sans un souci spéci~l despéchés actuels. Les liturgies alexandn~~s pl~~ a~cle~nes, Marc grec :t .r-I1p~o­lyte éthiopien, donnaient déjà à la pnere d lnClinatlOn un accent pemtentiel,mais ce sont les anaphores postérieures qui admettent la prière absolutoireaprès l'inclination. Nous avions suggéré un influx syrien, dû peut être auxrapports qui ont existé entre ces églises non-chalcédoniennes.

Ce furent donc les anaphores syriennes, à la suite de celle de Saint Jacques(et cela aussi bien dans la recension grecque que dans la syriaque) qui dévelop­pèrent la demande d'un pardon des péchés à obtenir par une formule formelleet explicite, presque rituelle, comme si l'eucharistie dans son ensemble n'y

suffisait pas. .. .,. .Il faudrait étudier pour mieux comprendre cette ongmahte liturgique quelle

était la praxis pénitentielle à Jérusalem à l'époque de la composition de l'ana­phore de Saint Jacques. Celà dépasse les limites de ce travail, mais il ne sera

47 HAYEK 310.

pas inutile de rappeler que vers la même époque, le même JEAN CHRYSOSTOMEqui à Constantinople interprétera le TiX &Y~C< "t'o~c; aylmc; dans un sens trèsétroit, dira en commentant le Ps 140, que "ce psaume a été prescrit comme unmédicament salutaire et une purification des péchés (afLc<p"t''Y)fL!X''t'wv xc<&!Xpcnov),afin que tout ce qui nous a souillé au long de la journée ... nous nous endépouillions le soir venu au moyen de ce chant spirituel".48 On accordait àun texte, un psaume dans le cas concret, l'efficacité de pardonner les péchés.La formule &vec; - &rpec;- O'uyxcûP'Y)O'ov pourrait être vue dans la même lumière.

L. LIGIER voit dans cette formule (aussi bien que dans l'abso!utio ad PatreJJldes Alexandrins) une translation dans la prière chrétienne des prières duY0111 Kippur c.-à-d. du Jour de l'Expiation. Nous renvoyons à son article49

déjà plusieurs fois cité pour une réflexion plus approfondie sur la question.Il est certain que l'épître aux Hébreux, au ch. 9, en décrivant les rites du

J our de l'Expiation et l'entrée du grand-prêtre dans le sanctuaire derrière levoile, portant en main le sang expiatoire des animaux égorgés, ne voyait eneux qu'une typologie détaillée de l'économie du Christ, offrant une fois pourtoutes le sacrifice de son propre sang. Nous pensons que les chrétiens n'au­raient jamais dû revenir en arrière. Et pourtant la liturgie de Saint Jacques yrevient, et précisément dans la prière dite "oraison du voile". La voici enrésumé, 50 après une prière fort semblable à celle que la liturgie de Saint Basilepossède après la grande entrée:

Nous te rendons grâces, Seigneur, notre Diell,car tll nous as donné confiance (1t'OCpp't)cr[oc)pour entrer dans le saint des saints que tll as renouvelé pOlir nOliS,comme chemin accessible et vivant à travers le voile de lachair de ton Christ:ayant été fait dignes donc d'mtrer dans le lieu où demeure ta gloire,et de nous trouver à l'intériellr du voile et de contempler lesaint des saints, nolis tombons devant ta bonté ... ;Slir nOlis qlli sommes devant ton saint alltel (&ucrtoccr't"·~ptov)

pour offrir ce sacrifice non sanglant ...pOlir nos péchés et les ignorances de ton peuple ...envoie ta grâce ... et sanctifie nos â1Jles, nos corps et nos esprits.. .pollr t'offrir en conscience pllre ...le don miséricordieux de paix, le sacrifice de 10llange (~Àzov dp'~v'~ç, .&ucr[ocv octvécrzwç)

On pourrait bien sûr comprendre ce texte dans le sens de l'épître auxHébreux, et nous pensons qu'il faut le faire, mais il reste étonnant que deschrétiens du IVe siècle aient senti le besoin de ressusciter le thème du J our del'Expiation.

48 PG 55, 427; cf. J. MATEOS, Quelques anciens dOCll1JleJ1ts sllr l'office du soir (OChP 35[1969] 357).

49 LIGIER, Pénitence et Eucharistie en Orient 48ss.50 BRIGHTMAN 48; B. CH. MERCIER, La liturgie de S. jacqlles (PO 26, 195).

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52 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 53

8. La liturgie juive

Au IVe siècle, les Juifs n'avaient plus leur temple pour pouvoir refaire cescérémonies, mais la MiJnah, et surtout les Taltnttds, avec leurs descriptionsdétaillées, peut-être un peu idéalisées, des anciennes cérémonies, maintenaientvivant le souvenir de ce qui, autrefois, n'était célébré que dans le temple, etque maintenant, à l'intérieur des synagogues, on essayait de revivre dans cettejournée de prière, fixée au lOe jour du nouvel an.

La prière pénitentielle chez les Juifs n'est pas réservée au seul Jour del'Expiation. Tous les jours de l'an, trois fois par jour, la Se berakah de latefillah dit ainsi:

Ramène-nOliS, notre Père, vers ta Torah,et rapproche-nolis, notre Roi, de ton service,et fais-nolis revenir à toi par une conversion parfaite.Sois loué, Éternel, qlli agrées la conversion.

La 6e dit:

Pardonne-nOlis, notre Père, car nOlis avons péché,.absolls-nolls, notre Roi, car nOlis avons prévariqué ,.car tu absous et pardonnes ,.Sois 101lé, Éternel, c!élnent, qui abondes en pardon.

Les jours de pénitence, on intercale à l'intérieur de la tefillah, ou après elle,selon les rites, de nombreuses formules de demande de pardon. Ces prières,datant du Ille-IVe siècle, de l'époque des Pi' tltifll (ou poètes), contiennentcertains textes bibliques réputés efficaces pour le pardon des péchés: le texteprincipal sera la proclamation des "treize attributs" :

Yahveh, Yahveh, Dieu miséricordieux et compatissant,lent à la colère, riche en bonté et fidélité,qlli conserve sa grâce jllsqu'à mille générations,qui pardonne l'iniqllité, la révolte et le péché . .. (Ex 34,6-7).

Deux longues confessions suivront: AJaJJtntl, bagadl1u et Attah yode'a. Ondiscute pour savoir laquelle des deux est plus importante, mais toutes deuxconstituent des confessions détaillées de tous les péchés qu'un homme peutcommettre. Voici le texte de ces confessions, dans une traduction assez litté­rale: 51

51 Rituel des prières journalières (Paris 1906) 286 ss. Voir aussi Prières de toutes les grandesfêtes à l'usage des israélites de rite allemand (Paris 1958) l et II (Kippur). Selon le rite afkenazi,AfamllJI bagadnu est répété 11 fois tout au long du Jour de l'Expiation, tandis que Attahyode'a ne l'est que 9 fois. Les ,,13 attributs" sont récités 45 fois ce même jour. Le rituelitalien emploie ces trois textes (dans une rédaction plus brève) tous les jours non festifs;cf. Preghiere dei rito italiano (Rome 1949). Un texte caractéristique du Jour de l'Expiationest le Koi nidrei, qui malgré l'importance historique qu'il a eu pour les Juifs baptisés par laforce, n'est pas à proprement parler une formule pénitentielle.

AJatlln!t:NOliS avons été cOllpables, nous avons trahi, nous avons spolié,nOlis avons calomnié, nOlis avons été pervers, nOlis avons mal agi,nOlis avons été impies, nous avons été violents,nous avons forgé le mensonge, nOlis avons conseillé le mal,nous avons trompé, nous avons raillé, nous avons été indociles,nous avons blasphémé, nous avons été infidèles, nous avons transgressé,nOlis avons offensé, nolis avons agi en ennemis, nOliS nous sommes endurcis,nOlis avons été méchants, llOUS nous sommes corrompus,nous avons fait des abominations, llOUS nOlis sommes égarés,nous avons égaré (les autres),nous nOlis sommes détournés de tes commandements et de tes bons statuts,et nOlis n'en avons pas eu cllre.Mais toi tu es jl/Ste en tout ce qlli nOlis arrive,car tu as agi loyalement, et nOlis, nOlis sommes coupables.Que dirons-nolis devant toi, qui habites les hauteurs,et que discourrons-nous devant toi, qui résides aux cieux?Certes, tu connais tOlites les choses cachées et patentes.

Attahyode'a :Tu connais les secrets de l'univers,et les obsmrités des mystères de tout vivant.Tu sondes tous les replis des entrailles et scrutes les reins et le cœur.Nulle chose ne se dérobe à toi, et rien n'est caché devant tesye/lx.Et aiusi soit la volonté de devant toi, Seigneur notre Dieuet Dieu de nos Pères,de llOUS pardonner de tous nos péchés (SLI;I/I;IET')de nous absoudre de toutes llOS iniquités (MI;IL/'AVON)et de nous faire grâce de tOlites llOS offenses (KPPR/PS')

(suit l'énumération des péchés en détail:)pour le péché que nous avons commis devant toi forcément ou volontairement,

et pour le péché que nous avons commis devant toi par dureté de cœur,pour le péché . . . sans le savoir,

et pour le péché par le propos téméraire de nos lèvres,pour le pécM at/vertement ou en secret,

et pour le péché par atteinte à la pudellr,pOlir le péché par la parole de la bouche,

et pOlir le péché avec connaissance et avec malice,pour le péché par la pensée du cœllr,

et pour le péché par la lésion du prochain,pour le péché par déclaration de la bouche,

et pour le péché par accointance de débauche,pour le péché avec intention ou par imprtldence,

et pour le péché en traitant légèremetlt parents et maîtres,pour le péché par la violence,

et pour le péché par la profanation du Nom,pour le péché par grossièreté de la bouche,

et pour le péché par impureté de lèvres,pour le péché par disposition au mal,

et pour le péché avec connaissance ou sans connaissanceet pour tous, Dieu des pardons, pardonne-nous (SLI;I)

absous-nous (MI;IL)et fais-nous grâce (KPPR)

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54 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 55

Pour le péché que nous avons commis devant toien acceptant des dons du cormpteur,

et pot/r le péché par dénégation et par mensonge,pot/r le péché par médisance,

et pot/r le péché par raillerie,pOlir le péché dans les transactions,

et pot/r le péché dans le manger et dans le boire,pot/r le péché par l'Ilsure et par les intérêts,

et pot/r le péché par la tension dll COli (orgueil),pot/r le péché par la direction du regard,

et pOlir le péché par le langage de nos lèvres,pour le péché par les yeux halltains,

et pOlir le péché par l'impudence dll front,et pOlir tous, Dieu des pardons, pardonne-nous, absolls-nolls et fais-nous grâce.Pour le péché en secouant le joug (de la Loi),et pour le péché par le jugement téméraire,

pour le péché par le dol dll prochain,et pour le péché par la malveillance du regard,

pOlir le péché par légèreté de tête,et pour le péché par dureté de nuque,

pour le péché par la prestesse des pieds pOlir mal faire,et pour le péché par diffamation,

pOlir le péché par serment faux,et pour le péché par haine gratuite,

pour le péché par exploitation d'un dépôt reçu,et pour le péché par démence de cœur,

et pour tous, Dieu des pardons, pardonne-nous, absous-nous et fais-nous grâce.Et pour les péchés pour lesquels nous serions tenus à lill holocauste,et pour les péchés pour lesquels nous serions tenus à un sacrifice expiatoire,et pour les péchés pour lesquels nous serions tenus à une offrande élevée 01/ moindre,et pour les péchés pour lesquels nous serions tenus à lm sacrifice certain 011 douteux,et pour les péchés pour lesquels nous serions passibles de la peine de correction,et pour les péchés pour lesquels nous serions passibles de la flagellation de quarante coups,et pour les péchés pour lesquels nous serions passibles de la mort par la main des cieux,et pour les péchés pour lesquels nous serions passibles du retranchement et de la perte d'enfants,et pour tous, Dieu des pardons, pardonne-nous, absous-nous et fais-nous grâce.Et pour les péchés pour lesquels nous serions passibles des quatre sortes de mort par la justice:lapidation, feu, décapitation ou strangulation ,.pour le précepte de faire et pour celui de ne pas faire,soit qu'ily ait lieu d'agir ou soit qu'ilny ait pas lieu d'agir ,.ceux connus de nous et ceux qui ne sont pas connus de nous (péchés) :ceux connus de nous, nous les avons déjà dits devant toi et nous avons confessé devant toi à leur sujet ,.et cet/x qui ne sont pas COltllUS de nous, devant toi ils sont COltIJUS et certains,selon la parole qui est dite: "Les choses cachées relèvent du Seigneur, notre Dieu,et les choses manifestes, de nous et de nos enfants à jamais,afin d'accomplir toutes les paroles de cette Torah",car tu es indulgent pour lsrai!! et clément pour !es tribus de Yeshurull en toute génération et génération ,.et hors de toi, point n'est à nous de roi absolvant et pardonnant.Mon Dieu, avant que je fusse créé, je ne méritais pas,et maintenant, que je suis créé, c'est comme si je n'étais pas créé ,.poussière je suis de mon vivant, et à plus forte raison, après ma mort ,.me voici devant toi comme lill objet plein de honte et d'opprobre.Soit la volonté de devant toi, Seigneur mon Dieu et Dieu de mes Pères,que je ne pèche plus,. et ce que j'ai commis devant toi, efface-le (MRQ)par ta grande miséricorde, mais nolt par des châtiments et des maladies funestes.

Au début de la prière Attah yode'a faisait son apparition une phrase classi-que:

pardonne nos péchés:absous nos iniquités:fais-nous grâce de nos offenses.

Ces trois verbes (pas toujours dans le même ordre): MAI:IAL - SALAI:I ­KIPPER correspondent aux trois verbes: rlveç, - rlqJeç, - cruyx.û.lp't)crov de l'ana­phore de Jacques. Les deux premiers, MAI:IAL, SALAI:I, se trouvent dansla tejillah de tous les jours; le troisième, KIPPER, est propre aux joursde pénitence. La gradation dans l'ordre des fautes serait aussi intéressante:J::IA'rrAOT = péchés - 'AVONOT = iniquités - PESA'IM = rébellions.

Quoiqu'il en soit des différents rituels juifs, le Jour de l'Expiation restedans la conscience des Juifs une seule journée par an, où tous les péchés, mêmeceux qui ne seraient pas pardonnés par les prières habituelles (ceux qui nerentraient pas dans les catégories des péchés pour lesquels on pouvait offrirun sacrifice expiatoire dans l'Ancien Testament) ce jour sont effacés par leSeigneur. Ce sont les péchés considerés comme rébellions; ils méritaient lamort et pour eux on ne prévoyait pas de pardon.

Nous ne pensons pas que les judéo-chrétiens aient cherché à donner à lacélébration de l'eucharistie la valeur totale du Jour de l'Expiation; cela auraitentrainé la suppression de la pénitence publique pour les grands pécheurs.Tout péché aurait échappé au jugement de l'Église, ce qui n'apparaît nulle part.

D'autre part, si la liturgie de Saint Jacques rapproche le thème de l'épîtreaux Hébreux de la célébration de l'eucharistie, chaque eucharistie alors est unJour de l'Expiation. C'est bien ce que pense L. LIGIER. Évidemment il nes'agirait pas de refaire les cérémonies du Kippur propres au temple et au grand

. prêtre, mais on célébrerait le Kippur à la manière synagogale: par des prières.Prières qui ne sont pas essentiellement différentes de celles des autres jours:les prières des Pi'UtiJJl ajoutées à la tejillah de chaque jour. Il est vrai que cejour de l'Expiation aux trois offices quotidiens on en ajoute deux autres dontle dernier, le Ne'ilah ou office de clotûre (l'ancienne fermeture des portes dutemple, au son du cor) est le plus important. Ces deux offices supplémentairesne sont pas essentiellement différents des trois offices ordinaires.

Si on admet ce rapport entre l'eucharistie et le Jour de l'Expiation, alors leTà &yw. '"t"o~ç, &:Y[OLÇ, se verrait sous un nouveau jour: ce serait un camouflage duNom divin que le grand-prêtre prononçait ce jour à l'intérieur du sanctuaire,pendant que le peuple et les lévites se prosternaient par terre. C'était le momentdécisif du pardon.

Nous pensons cependant qu'il ne faut pas voir dans les textes absolutoiresdes liturgies syrienne et alexandrine un emprunt aux prières synagogales duJ our de l'Expiation, mais simplement, ,si emprunt il y a, aux prières de péni­tence habituelles.

Si les bénédictions du 5heJJla' Israel et la tejillah existaient déjà (ou se sontformées d'éléments antérieurs) au début de notre ère, et si elles pouvaient doncêtre assumées dans la prière des judéo-chrétiens, il est impossible d'affirmer

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56 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 57

la même chose pour les prières de la Seli~ah (les deux confessions reportéesplus haut: Afa!JJntt et Attah yode'a) qui sont selon 1. ELBOGEN 52 l'œuvre desPi'uti!JJ; probablement non antérieures au IVe siècle. Non que la prièrepénitentielle n'existât pas plus tôt, mais elle existait comme prière privée etsilencieuse, où chacun, après la dernière bénédiction de paix de la tejillah,agenouillé ou même prosterné par terre, suppliait Dieu dans son cœur. Cetteprostration qui faisait suite à l'inclination de la prière de bénédiction sacer­dotale pouvait se prolonger un temps assez long. La prière des "treize attri­buts" de miséricorde et les deux confessions, plus ou moins détaillées, selonles époques et les lieux, sont venues occuper ce temps de prière privée. Laprière d'absolution ad PatrelJJ des Coptes et des Éthiopiens occupe la mêmeplace et suit un schéma d'idées assez semblable. On peut penser, si non à unemprunt direct, au moins à une inspiration, favorisée par la praxis particulièrede la discipline pénitentielle des Alexandrins, surtout après le Concile de Chalcé­doine et les contacts plus directs avec les Syriens.

Pour l'absolution syrienne, avant la fin de l'anaphore, il est plus difficiled'en appeler aux prières synagogales des jours de jeûne et encore plus auxprières du Jour de l'Expiation. Car ces prières avaient un caractère supplétiftandis que l'absolution syrienne, elle, est à l'intérieur de l'anaphore.

La tejillah elle-même, dans sa Se et surtout dans sa 6e berakah, contient déjàune demande formelle de pardon et de rémission où deux des trois verbesclassiques sont déjà contenus:"SELAI:I-MEI:IAL = &:ve:c; - &:rpe:c;, parce que nous avons péché = I:IA"ÇA'NU,parce que nous avons prévariqué = PASA'NU."

Pourquoi ne pas voir dans cette berakah, plus ancienne que les autrestextes pénitentiels, l'origine de notre absolution à l'intérieur de l'anaphoresyrienne?

On nous objectera que le verbe correspondant au grec cruYXWPî')crov faitdéfaut. Le verbe hébreu parallèle serait KIPPER (même racine que Kippur).Dans les prières juives le verbe KIPPER était employé dans bien plus d'oc­casions que le seul jour de Kippur. En tout cas, le cruyxwPî')crov de l'anaphore deSaint Jacques ne pouvait pas être une absolution totale de tous les genres depéchés (comme cela aurait été le cas du Jour de l'Expiation), par la simpleraison que les poenitentes n'assistaient pas à cette partie de la célébration etqu'en plus on ne donnait nulle part l'absolution aux pénitents à chaque célé­bration de l'eucharistie.

En tout cas, et pour finir avec cette analyse des rites orientaux, si la prièrepénitentielle juive du Ille-IVe siècle est entrée dans la liturgie chrétienne, iln'y aurait que deux traditions, la syrienne et l'alexandrine, à en présenter desemprunts. Nous avons supposé que celà s'est fait à une époque où les liens deces églises avec le reste des églises, chalcédoniennes et nestoriennes, s'étaientdéjà relâchés. Une façon particulière de considérer la pénitence et le "pouvoirdes clefs" dans l'Église aurait probablement joué.

52 I. ELBOGEN, Der jiidisehe Gottesdimst il1 seiner gesehieht/iehm Ent)}Jieklung (Hildesheim21962) 206ss; 221ss.

Le Tà &y~('f. "I:o'1:c; &y[o~c;, commun à toutes les églises et antérieur aux absolu­tions syro-alexandrines, aura pu être pris en considération et même interprétéen rapport avec les prières de pardon qui le précédaient, mais il ne s'agirait làque d'une interprétation post-factum. Cette interprétation est étrangère entout cas aux autres liturgies, ainsi qu'au sens donné par des commentateursplus anciens, THÉODORE DE MOPSUESTE et JEAN CHRYSOSTOME; ceux-ci, touten étant en désaccord entre eux, ne convenaient pas moins sur une interpré­tation qui voyait dans le Tà &y~('f. "I:o'1:c; &Y[QLC; une invitation à la communiond'un nombre plus ou moins grand de chrétiens, mais non pas une absolutionou un pardon.

Arrivés à ce point, et après avoir analysé le fait liturgique, nous pouvonshasarder une conclusion négative: le Tà &y~('f. "I:o'1:c; &y[o~c;, au IVe siècle, sembleexister déjà comme une formule héritée du passé, avec droit de cité dans lapraxis liturgique de toutes les églises d'Orient, mais sans qu'on voit trèsclairement quel est son sens précis. 53

Serait-il possible de faire un pas en arrière dans le temps à la recherche dela source de cette phrase mystérieuse? Malheureusement, les témoignages dela liturgie antérieurs au IVe siècle sont trop rares pour permettre une analysesatisfaisante. Nous allons cependant essayer de mettre ensemble quelques don­nées positives.

II. Liturgies archaïques

Si nous passons des liturgies du IVe siècle à la recherche de notre Tà &y~('f.

"I:o'1:c; &Y[QLC; dans les liturgies archaïques, nous constatons que les traces dispa­raissent et que cette formule n'apparaît telle quelle dans aucun des docu­ments liturgiques antérieurs à cette époque, très rares, il est vrai. Il pourrait sefaire que la phrase Tà &y~('f. "I:o'1:c; &y[o~c;, si généralisée dans les liturgies du IVesiècle malgré son sens hermétique, n'ait été formulée qu'à l'occasion de la ré­forme liturgique du IVe siècle; le fait que l'église de Rome ne l'a pas adoptéepourrait indiquer précisément son origine relativement tardive.

1. La Didachè

La formule cependant a ses précédents: à deux reprises dans la Didachè:après la fraction du pain, au début du repas, et après l'eucharistie du calice,à la fin du repas. Qu'on donne à cette eucharistie la valeur d'eucharistia !JJajor

53 Bien à contre-cœur, nous avons préféré laisser de côté la tradition mozarabe du Sanetasanetis, car, selon A. LESLE (Missale MixttlJ11 [1755] II 544), la praxis actuelle n'est pas pri­mitive. Aujourd'hui en effet, notre formule est dite en secret, ensemble avec la formuled'immixtion: Saneta sanetis et eonjunetio eorporiS ... sit stllllentibus ... ad vmialll ... , où lesecond membre: sanetis, semble se référer au calice lui-même. Le tout précède la triplebénédiction. Or, nous savons que dans l'église des Gaules, notre formule était suivie dutreeanUlll, correspondant à nos chants orientaux: Unus Sanctus etc. Cf. A. A. KING, Liturgiesof the Primatial Sees (London 1957) 619ss.

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58 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 59

ou IJJinor, cela n'a pas d'importance: le schéma de cette eucharistie est celui dela Cène selon Le 22. Or, chaque fois, que dans Luc nous trouvons l'invitationdu Seigneur "Prenez et mangez - prenez et buvez en tous", nous trouvonsaux endroits correspondants de la Didaehè une réserve ou limitation en vuede participants éventuels qui ne seraient pas agréés.

Voici ces textes: 54

Après la fraction du pain dûment béni:

Que personne ne mange ni boive de votre eucharistie, si ce n'est les baptisés au nom dtt Seignettr.Aussi bien est-ce à ce propos qtte le Seignettr a dit "Ne donnez pas aux chiens ce qtti est saint".

C'est par "les choses sacrées" que J. P. AUDET traduit Ta &YW'I, ce qui noussemble forcer le texte, surtout si l'on tient compte du fait que cette phrase duSeigneur (Mt 7,6), se trouve au milieu du sermon de la montagne, entre untexte sur l'hypocrisie et un autre sur la prière, et nullement dans un· contexterituel eucharistique ou autre. Il est vrai que la tradition verra généralementdans cette parole du Seigneur une limitation à l'eucharistie: ATHANASE le pre­mier, dans son Apol. e. Ar.,55 JEAN CHRYSOSTOME dans le De COJJJpunetione,56In MatthaeUIJJ,57 et le PS.-BASILE de l'Instruetio ad saeerdotes. 58

La responsabilité de la Didaehè dans l'exégèse de Mt 7,6 sera sans doutedécisive: Ta &yw'I c'est le pain et le vin de l'eucharistie; les "chiens" s'opposentaux "baptisés".

Si nous passons à la formule qui suit la bénédiction du calice, nous trouvons:

Que celui qlli est saint, vienne,. qlle celui qui ne l'est pas, se convertisse.

AUDET traduit [lETIX'IodTCù par "se repente", mais dans son commentaire59il admet que cela peut aussi être une invitation au baptême; nous sommes biend'accord avec lui. Il suggère que cette dernière incise de la phrase pourraitêtre adressée à des sympathisants non-baptisés qui auraient participé au repasentre les deux eucharisties. Cela est bien probable, quoique nous pensions, quemême en l'absence de non-baptisés, ces phrases pouvaient avoir un sens di­dactique pour les baptisés présents.

Nous préférons ne pas toucher à la question du [lIXpeX'I &-&c<, bien qu'il soittentant de voir le TeX &YLIX TO~<; &.yLQL<; dans cette lumière eschatologique. Nousne pensons pas qu'il existe un rapport trop direct entre les deux.

Pour revenir à la phrase qui nous intéresse: "Que celui qui est saint, vienne",nous pensons que la superposant à la phrase parallèle de la fraction du pain:"Que personne ne mange ... si ce n'est les baptisés" ... ; "ne donnez pas auxchiens ce qui est saint" une première constatation s'impose: "baptisé" est équi­valent de "saint", d'un côté, tandis que "ce qui est saint", Ta &YW'I, signifie le

54 J. P. AUDET, La Didachè (Patis 1958) 235ss.55 N. 11 (PG 25, 268).56 PG 47, 402ss.57 Hom. 23 n. 3 (PG 57, 310ss).58 PG 31, 1688.59 AUDET 410-415.

pain et le vin de l'eucharistie. Ta &yw'l TO~<; &.yLOL<; (ou TeX &YLlX TO~<; &.yLOL<; dansune forme grecque plus acceptable) nous semble prendre ici naissance. L'équa­tion "chiens = non-baptisés" ne pouvait pas survivre, entre autres à cause deson caractère méprisant et offensif; elle était nettement déplacée au momentde la réception du pain et du vin de l'eucharistie.

Il ne faut cependant pas oublier le contexte de cette eucharistie de la Di­daehè: elle vient après le traité sur les jeûnes et sur la prière quotidienne, quieux suivent la liturgie baptismale. Si cette eucharistie se place donc après lebaptême, il est normal que nous trouvions en elle quelque remarque pédagogi­que à l'égard du néophyte: lui rappeler en ce moment combien misérable étaitl'état d'où il venait de sortir, n'était pas hors de propos.

Si nous jetons un regard sur la seconde allusion à l'eucharistie dans cettemême Didaehè, qui est une eucharistie dominicale,60 nous voyons que le pre­mier souci du rédacteur est celui d'affirmer le besoin de la confession préalabledes péchés, et cela comme condition "pour que votre sacrifice soit pur"; com­me cas concret, on insiste sur la réconciliation avec le prochain. La Didaehè necite que Mal 1,11 pour ce qui est du sacrifice pur, mais on suppose implicite­ment le texte de Mt 5,23: "Si tu viens présenter ton offrande à l'autel, et quetu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrandedevant l'autel et va te réconcilier avec ton frère ... " Il est curieux qu'untexte si à propos n'ait pas été commenté davantage par les Pères: S. JEANCHRYSOSTOME s'en servira dans son De BaptisJJJo Christi. 61

2. Le Testamentum Domini

Un document bien postérieur à la Didaehè et même à la messe clémentinedu VIlle livre des Constitutiom, le TestamentuJJJ DOJJJini Nostri Jesu Christi, duVe siècle, qui contient une formule un peu différente pour le TeX &YLIX TO~<;

&.yLOL<;: Saneta in sanetis, nous semble développer cette exigence de la Didaehède confesser ses propres péchés avant la prière eucharistique. Le Saneta insanetis suit donc l'exhortation à la réconciliation et précède, non pas la commu­nion, mais l'anaphore elle-même. Il est vrai que dans la version arabe, par ex.,ce Saneta in sanctis manque. Voici le texte, dans la traduction latine du syriaquedu patriarche 1. RAHMANI 62 (nous traduisons en français en abrégeant un peu letexte) :

Le diacre, après le rite de la paix:

Portez vos cœurs dans les cieux - si quelqu'un a de la haine . .. qu'il se réconcilie,si qlle/qll' llil n'a pas de foi dans son cœllr, qu'il l'avoue,si qlle/qu'un se sent étranger aux commandements, qu'il se retire,si qUe/qU'11il est tombé dans le péché, qll'ilne se cache pas . .. ,si qlle/qu'un est malade de raison, qu'il ne vienne pas,si que/qll'un est impur, si qUe/qU'11il n'est pas ferme, qu'il cède la place,

60 AUDET 241.61 N. 4 (PG 49, 369ss).621. E. RAHMANI, Testamentmll D. N. Jesu Christi (Moguntiae 1899) 37-39.

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60 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 61

si quelqu'un est étranger aux préceptes de jéms, qu'il s'en aille,si quelqu'lm méprise les prophètes, qu'il se sépare lui-même:qu'il s'épargne lui-même de la colère dtt Fils de Diett,ne méprisons pas la croix - échappons à la menace de notre Seigneur . ..Le Père des lumières et son Fils nous voient, ainsi que les anges ...examinez-vous vous-mêmes, que vous n'ayez pas de la haine envers vos prochains,... que personne ne soit en colère - Dieu le voit.Surmm corda ad oJJerendttm ...

Suit le dialogue habituel entre l'évêque et le peuple: DomitIus vobiscum ­Sursum corda vestra - Gratias agatmlS Domino. Sancta in sanctis, et le peuplerépond: "Dans le ciel et sur la terre sans cesse." Suit la très belle anaphore defacture archaïque: sans Sanctus et avec une prière d'intercession très peu déve­loppée, unie à une épiclèse, elle aussi à peine amorcée.

La communion suit immédiatement l'anaphore; on trouve tout de mêmele temps de faire une exhortation à s'abstenir de la communion en cas d'im­pureté physique; on reconnaît que ce n'est pas parce que c'est un péché, mais"pour l'honneur de l'autel"; personne n'en est dispensé, ni l'évêque, ni per­sonne d'autre: prêtre, veuve ou laïc, homme ou femme. On se trouve devantle cas anormal d'un évêque prononçant la prière eucharistique et privé dudroit de communier, "jusqu'à ce qu'il jeûne et prenne un bain". Le moindrequ'on puisse dire c'est qu'il s'agit là d'une praxis canonique qui n'a pas subsisté.Elle rappelle d'ailleurs les prescriptions de la Mifnah (Berakot III 4 et 5) quidéfendent la récitation des berakot à un homme qui a eu une pollution. Noustrouverions-nous en présence d'un document judéo-chrétien?

Ce document, qui a des airs de famille avec la Tradition Apostolique d'HIP­POLYTE, nous est connu dans de nombreuses versions: syriaque, copte, éthio­pienne et arabe; l'original semble avoir été écrit en grec. Si la rédaction dé­finitive de cet apocryphe, attribué à Notre-Seigneur, est postérieur au Concilede Nicée, rien n'empêche de penser qu'il rapporte, au moins pour l'eucharistie,une tradition plus ancienne. I. RAHMANI l'attribuait au Ille siècle. Nouspensons que le rigorisme qui se montre dans l'élimination de la participationà l'eucharistie de toutes ces catégories de pécheurs "moyens", ainsi que lelangage comminatoire employé ici (colère, menaces et regard inquisitorial deDieu), indique la spiritualité d'une secte rigoriste plutôt que celle de l'églisecatholique.

3. Les Constitutions Apostoliques

Bien plus simple nous est apparue la praxis du Ile livre des ConstitutionsApostoliques, déjà cité au début de ce travail. Après la prière silencieuse desfidèles et avant la courte litanie énoncée par le diacre, celui-ci annonçait lebaiser de paix par cette seule formule: "Que personne n'ait rien contre per­sonne; que personne ne soit dans l'hypocrisie." L'anaphore se disait "étantprésent tout le peuple", et nous savons que ce peuple n'était pas un peuplede parfaits, puisque quelques diacres devaient rester au milieu de la foule(1"OÛç 15XÀouç) pour qu'il n'y ait pas de désordre. La communion suivait l'ana-

phore; seule réserve faite: qu'on tienne les portes fermées pour éviter l'entréedes non-baptisés.

Le livre VIle de ces mêmes Constitutions, en reprenant et développant letexte de la Didachè,63 n'ajoute que des détails pour ce qui est des monitionsqui précèdent la communion. Tout d'abord on supprime la citation de Mt7,6;mais aussi on devient plus explicite sur la défense aux non-baptisés de com­munier:

Si quelqtt'Im non-initié se cache et communie, il mange la condamnation éternelle,. n'appartenan,tpas à la foi du Christ, il a pris pour sa punition ce qui ne lui convenait pas,. si quelqtt'lm a comllltllltépar ignorance, celui-là initiez-le, l'ayant instruit rapidement, pour qu'il ne devienne pas sceptique.

Après la seconde prière, celle qui dans la Didachè était l'eucharistie du calice,tandis que dans le livre VIle elle devient une prière "après la communion", laformule est pratiquement la même:

Si quelqU'lm est saint, qu'il approche,. si que!qtt'un ne l'est pas, qu'il le devienne par la conversion(a~cX {J-e't'O:'Joto:ç).

Le livre VIlle des mêmes Constitutions a aussi comme le Testamenttltlt Dominitoute une série de monitions placées entre le rite de la paix et l'anaphore, etnon pas avant le rite de la paix comme dans le livre Ile. Les voici:

AUClln catéchumène - aUClln auditeur - aUClln infidèle - aUClin bétérodoxe.Vous qui avez fait la première prière, avancez:Mères, prenez vos enfants.Que personne n'ait rien contre personne,que personne ne soit dans l'hypocrisie.Tenons-nous debout, bien droit, devant le Seigneur pouroffrir avec crainte et trépidation.

Le Sancta sanctis, comme nous avons déjà dit, sera prononcé immédiatementavant la communion.

Il fera double emploi avec la première partie des monitions du diacre quiécartaient les infidèles et les catéchumènes (auxquels on a ajouté les hétéro­doxes), qui ne peuvent pas être considérés comme "sai~ts", selon la D!dach~;

ceux par contre qui ont quelque chose contre le procha111, ne sont pas ecartesde l'eucharistie: il suffit qu'ils se réconcilient. C'est vrai, qu'en plaçant cettemonition après le baiser de paix, on rend la chose pratiquen:ent impo~sibl~:

le livre Ile était bien plus logique en y pensant avant le baiser de paiX IUl­même.

Ces invitations à la réconciliation se retrouvent sous une forme ou uneautre dans toutes les liturgies d'aujourd'hui; mais la réconciliation avec leprochain, par le simple fait qu'elle a lieu, et que le mal est par là enlevé estd'un tout autre ordre que le Tè< &YLCl 1"oZç œyloLç, qui lui, constitue une barrièreinfranchissable, comme nous pensons pouvoir le déduire des documents lit~r­

giques étudiés, pour ceux qui ne sont pas baptisés ou qui sont exclus de l'éghsepar la pénitence publique: ils ne sont pas "saints".

63 FUNK 412-414.

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62 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 63

C'était bien là la signification traditionelle du mot "saint", p. ex. chezTHÉODORE DE MOPSUESTE, dans le passage que nous avons cité au début decette étude. On ne pouvait pas facilement l'oublier lorsque le verset 10, duPs 33, chanté traditionnellement au moment de la communion, le disait ainsi:"Craignez le Seigneur vous, ses saints; qui le craint, ne manque de rien."

III. Les Pères

D'où venait-elle alors l'interprétation rigoriste de Saint JEAN CHRYSOSTOME,qui appliquait aux seuls parfaits le mot "saints"?

Saint BASILE n'a pas été moins sévère. Dans les Regulae Breviores64 en citant1 Cor 11,29 et avec le témoignage aussi de l'Ancien Testament (qu'il ne citepas), BASILE fait sien le rigorisme du Testamentunl Domini, pour ce qui est del'impureté physique. Il prévoit un jugement terrible pour celui qui s'approchedes choses saintes se trouvant en état d'impureté. Dans le De Baptismo,65 touten revenant sur l'impureté légale, il annonce un jugement encore plus sévèrepour celui qui s'approche des choses saintes en état de péché (tv &fLiXP't"tq. èJJv).

GRÉGOIRE DE NYSSE semble être plus indulgent. En commentant aussi,dans le De Pelfectione,66 le chapitre 11 de 1 Cor, en même temps que Mt 27,59,il applique le suaire tout neuf et tout propre de Joseph d'Arimathie à l'âme,qui doit recevoir le corps du Seigneur avec conscience pure; "si quelqu'un esten péché, qu'il se lave avec les larmes", dit GRÉGOIRE.

Pour ce qui est de Saint BASILE, il ne serait pas impossible que le contactavec les moines égyptiens ne soit à l'origine de son rigorisme, joint à son zèlede baptisé adulte et à sa spiritualité maximaliste de père du monachismecappadocien.

En Afrique, en effet, se profile une ligne de rigorisme quant à la commu­nion qui part d'ORIGÈNE et de TERTULLIEN et passe par DENYS D'ALEXANDRIEet par ATHANASE d'une part et par CYPRIEN de l'autre.

Nous n'avons pas la possibilité de faire ici une étude complète de la penséedes Pères au sujet du degré de sainteté requis pour s'approcher des saintsmystères. Nous avons parcouru l'ouvrage de J. SOLANO, Textos EucarfsticosPrimitivos,67 où l'auteur recueille tous les textes anciens se rapportant à l'eucha­ristie et à la communion. C'est sur la base de ces textes que nous avons constatéle caractère "africain" du rigorisme eucharistique. Le chef de file égyptien,nous l'avons déjà dit, est naturellement ORIGÈNE. Il se prononce assez souventsur la question, et presque toujours en partant du texte de 1 Cor 11,27-30.Voici ce texte selon la traduction de CRAMPON:

v. 27: C'est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira le calice dit Seigneur indignement (&vG(çlwc;),sera coltpable (~voxoc;) envers le corps et le sang dit Seigneur.

64 Quaestio 309 (PG 31, 1301 SS).65 L. 2 quo 3 (PG 31, 1584s).66 PG 46, 268.67 Collection BAC (Madrid 1952).

v. 28: Qtle chactln donc s'éprotlve (~ox~flG(~€'l"w) soi-même, et qtl'ainsi il mange de ce pain et boive dece calice;

v. 29: car celtli qui mange et boit, sans discerner (fl~ ~LG(xplvwv) le corps dll Seignetlr, mange et boitson propre jugement (xplflG( ÉG(U'l"w).

v. 30: C'est pOlir cela qu'il y a parmi vous beaucoup de gens débiles et de malades, et qu'llIl grandnombre sont morts (XOLflWV'l"G(~).

Ce texte naturellement inspirera les rigoristes.ORIGÈNE dans ln Psalttluttl 37,68 commentant ces vv. de 1 Cor, insiste

simplement sur lefait de ne pas discerner:

... ils ne se jugent pas eux-mêmes, ni ne s'examinent, ni ne savent qu'est ce que comJJlIInïer àl'église, ou qu'est ce que s'approcher de si grands et sublimes sacrements. Ils souffrent alors ce quesoltffrent les malades qui ayant la fièvre prétendent manger la nourritltre des bien portants sefaisant par là dit dommage. '

Commentant EZ 7,22: 69 "Des hommes de violence entreront et souillerontma chambre secrète" (1"~V tm(Jx.o7t~v fLOU, selon les LXX), ORIGÈNE appliquecela aux prêtres qui célèbrent après avoir accompli l'acte conjugal et qui ontacquis ainsi une impureté légale les rendant inaptes pour la célébration eucha­ristique. En commentant Mt 14,15,70 passage où Jésus guérit les malades avantla multiplication des pains, ORIGÈNE l'applique au besoin qu'on a de guérisonspirituelle avant la communion; cette guérison a lieu en s'éprouvant soi-même,selon 1 Cor 11,28.

La sévérité d'ORIGÈNE a trait plutôt à l'impureté physique; pour le reste,l'indignité qui empêche de recevoir la communion semble se placer plutôt dansl'ordre de la connaissance, de la discrétion, de la conscience, que dans celui dela perfection morale. Autrement dit, nous dirions que pour ORIGÈNE les péchésne font obstacle à la communion que si l'on néglige de faire son examen deconscience.

Pour DENYS D'ALEXANDRIE, 71 la communion portée par un enfant à unvieillard excommunié et sur le point de mourir, est elle-même une absolutiondu péché d'apostasie. Par contre, ce même DENYS ne permet même pas d'entrerà l'église et encore moins de communier à une femme pendant la période deses règles ;72 il est à peine plus tolérant pour d'autres cas d'impureté physique.

ATHANASE, commentant Mt 22,12: "Ami, comment es-tu entré ici, sansavoir l'habit de noces ?", 73 l'applique à l'eucharistie: "Car elle est pure etimmaculée, la cène des saints. " Et de citer la suite des noces royales en Mt 22,14:"Car il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus." Dans l'Apol. c. Ar.,74 il citeMt 7,6: "Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens", pour l'appliquer à ceuxqui célèbrent les mystères comme si c'était un spectacle ('t"piXYCPÔOUV't"EC; 't"0:

68 Hom. 2, 6 (PG 12, 1386ss).69 PG 13, 793ss.70 PG 13, 901 sS.71 Lettre à Fabius (PG 10, 1309ss).72 Lettre à Basilides (PG 10, 1281 ss).73 Lettre 7, 9 (PG 26, 1395ss).74 N. 11 (PG 25, 268).

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64 Miguel Arranz Le "Sancta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 65

[.LUcr"t"~p~iX), devant les catéchumènes et même devant les païens, avec les mo­queries de ceux-ci et au scandale des premiers.

TERTULLIEN dans son Adversus .Mareionem75 applique le Ps 40,10: "Mêmecelui qui avait ma confiance et qui mangeait mon pain, s'élève insidieusementcontre moi" et Jer 11,19 (LXX lat.) ; "Venez, mélangeons du bois dans sonpain", au pain de l'eucharistie mangé par Judas et par les hérétiques.

Bien plus terrible encore est CYPRIEN, qui, dans le De Lapsis,76 raconte avecforce détails le sacrilège d'une fillette, qui ayant mangé du pain des idoles,bien à son insu puisqu'elle n'avait pas encore l'âge de raison, au moment oùle diacre voulut la forcer à recevoir la communion, l'esprit de Dieu réagit avecviolence provoquant tous les symptômes d'une vraie possession diabolique.Ailleurs, CYPRIEN77 se plaint qu'on donne l'eucharistie aux lapsi avant qu'ilsaient reçu l'absolution. Si dans ce cas nous serions plus enclins à lui donnerraison, il faut aussi remarquer qu'il existait une autre praxis, qui consistaitprécisément à admettre à la communion les apostats par le simple fait de lesrecevoir à l'eucharistie. Dans une autre lettre, CYPRIEN78 touche la questiondes péchés mineurs, qui se pardonnent par la pénitence, la confession et l'ab­solution, conférant ainsi le droit à la communion. Nous connaissons bien parailleurs le rigorisme de l'archevêque de Carthage, dans sa polémique avec lepape de Rome, au sujet des lapsi.

Un autre auteur occidental, connu depuis ÉRASME sous le nom d'AMBRO­SIASTER,79 commentant 1 Cor 11 donne aux &'ViXÇ(WÇ de Saint Paul un sens biencurieux:

c'est "indigm" dit Seigneur de célébrer le mystère autrement qu'il ne l'a enseigné . .. Celui quiveut s'approcher pieusement de l'eucharistie doit le faire selon l'ordre transmis . .. Cellx qui ontreçu inconsidérément le corps du Seigneur . .. doivent savoir que recevoir négligemment le corps dllSeigneur ne restera pas une chose impunie.

Un bien étrange témoignage est celui du pape SIRICE, de la fin du IVesiècle, qui, dans sa Lettre à HiJJJerius,80 prévoyait le cas de certains pécheursqui ne pouvaient plus être admis à la pénitence, mais auxquels on pouvaitpermettre de se joindre à la prière des fidèles et à la célébration des saintsmystères, en leur interdisant toutefois l'accès au banquet de la table du Sei­gneur.

À tous ces témoignages, somme toute, pas tellement nombreux, et pour laplupart en provenance de l'Afrique, il faut ajouter l'apport massif de saintJEAN CHRYSOSTOME. Saint Jean Chrysostome va toucher l'argument de ladignité des communiants dans nombre de ses écrits. Les mêmes textes bibli-

75 L. 4 C. 40 N. 2s (CCh 1[1954] 656, 2,12s et 3,9s).76 C. 25 (CCh III 1 [1972] 234s).77 Lettre 10 (PL 4, 254ss).78 Lettre 9 (PL 4, 251 ss); Lettre 17 (270ss).79 PL 17, 243ss.80 C. 5 (PL 13,1137); cf. note 13: le texte de S. JEAN CHRYSOSTOME est interprété par

VAN DEN PAVERD dans le même sens, ainsi que les canons des Conciles d'Ancyre et de Nicée.

ques vont être interprétés avec des nuances différentes, parfois fort éloignéesles unes des autres et presque contradictoires, mais en général avec une vigueurlogique, qui ne pourra pas ne pas impressionner ses auditeurs et des générationsentières de lecteurs jusqu'à nos jours.

Dans le De COJJJpunetione,81 JEAN CHRYSOSTOME se plaint de la facilité aveclaquelle le clergé admet à la communion des hommes corrompus, incrédules etremplis de myriades de maux; il cite Mt7,6. Dans son commentaire de 1 TiJJJ,82il reconnaît qu'il n'est pas aisé au prêtre de connaître les pécheurs, pour pou­voir les écarter de la communion.

CHRYSOSTOME cependant a dû se résigner lui même à assister sans pouvoiry remédier à des communions en masse, où les communiants s'approchaientde l'autel dans le désordre et la confusion; il parle des cris, des injures, descoups même que se donnaient les communiants qui se précipitaient vers l'autel.En plusieurs sermons il revient sur cette situation incroyable: dans l'homélieln dieJJJ NataleJJJ,83 De BaptisJJJo,84 De CoeJJJeterio et de Cruee ;85 dans ce mêmeDe BaptisJJJo, ainsi que dans De beato Philogonio 86 et dans le commentaire à1 Cor,87 CHRYSOSTOME suppose que certains jours de fête la presque totalitéde l'assemblée communiait, par routine et comme par habitude.

Il insiste beaucoup sur la nécessité de la préparation à la communion par les40 jours de jeûne: Adversus Judaeos88 (quoiqu'il affirme que les purs célè­brent Pâques chaque fois qu'ils communient), ln IsaiaJJJ,89 ln 1 TiJJJ ;90 ailleurs,CHRYSOSTOME se contente d'une préparation de quelques jours: De beato Philo­gonio, quoique il ne voit pas d'inconvéniant à recevoir la communion plusfréquemment: 1 Tim, ou même tous les jours: ln 1 Cor, Adversus Judaeos, sion est disposé et repenti. La condition nécessaire pour communier est doncla purification des propres péchés par la [.LE"t"<XvmiX, par la prière et par l'aumône:De beato Philogonio, Adversus Jttdaeos, De BaptisJJJo, Sur la trahison de Judas, 91

ln IsaiaJJ1, ln 1 Cor. Les vices dont il faut être débarassé sont tout d'abord lahaine, la colère, la rancune, la méchanceté; c'est pourquoi la réconciliationavec le prochain revient assez souvent; mais il énumère aussi d'autres péchésque nous dirions "capitaux": hypocrisie, concupiscence de la chair, convoitisedes richesses, mépris du pauvre; il s'agit de péchés par pensée aussi bien quepar action. La disposition positive donc pour approcher de la communionc'est l'examen de soi-même, de sa propre conscience, pour en rétablir la pureté:"t"~v XiX&iXp6"t"'YJ"t"iX "t"~ç cruvE~M"t"oç: cf. par exemple 1 Cor, homo 28. Si on ajoute

81 L. 1 N. 6 (PG 47, 402s).82 Hom. 5 n. 2 (PG 62, 529).83 N. 7 (PG 49, 360s).84 N. 4 (PG 49, 369ss).85 N. 3 (PG 49, 397 ss).86 Hom. 6 (PG 48, 753ss).87 Hom. 28 (PG 61, 231 ss).88 Hom. 3 (PG 48, 866ss).89 Hom. 6 N. 3 (PG 56, 138ss).90 Hom. 5 N. 2 (PG 62, 528ss).91 Hom. 1 N. 5 (PG 49, 379ss).

Page 19: Arranz, Le Sancta Sanctis Dans La Tradition Liturgique Des Eglises

Miguel Arranz

Il ne nous reste qu'à considérer le Tœ &YLIX 'rote; &ylme; comme une formulecryptique, puisant ses racines dans l'antiquité comme en témoigne la Didachè,et servant au IVe siècle à prévenir les chrétiens que l'anaphore était finie etqu'il était temps de s'approcher de la communion; et cela aussi en vue d'uneprésence possible de non chrétiens: l'obscurité de la phrase aurait favoriséla discrétion de l'invitation.

Le fait que ce soit le célébrant et non le diacre à le prononcer est aussi untémoignage de son antiquité; comme le sursum corda et le gratias agamus, ils'agit d'une invitation archaïque, remontant à l'époque où les diacres avaientd'autres fonctions à assurer pendant la liturgie que celle de soutenir l'attentiondes fidèles par la rhétorique du dialogue rituel.

S'il nous fallait réduire encore nos conclusions, nous dirions tout simplementque notre formule est très ancienne et qu'elle est très simple; "t"œ &y~a veut direle pain et le vin de l'eucharistie, tandis que 'rote; &yloLe; se réfère aux baptisés,aux membres de l'église. Tœ &y~a 'ro'i:e; iXyloLe;: "Ce qui est saint est pour lepeuple saint", "La communion est réservée aux baptisés".

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encore quelque note sur le devoir de garder le secret.92 devant les no~-initiés,

nous pensons avoir fait un tour d'horizon sur l'enselgnement de Saint JEANCHRYSOS1'OME au sujet des conditions préalables pour recevoir l'eucharistie;nous pensons pouvoir les ramener à celles proposées déjà par Saint Paul dans la1Cor 11. CHRYSOS1'OME, se trouvant devant une situation d'abus dans la récep­tion de l'eucharistie a réagi exactement comme Saint Paul l'avait fait devant unesituation du même genre. Les limites sont celles là mêmes fixées par Saint. Paul:ne recevoir l'eucharistie qu'en connaissance de cause, en prenant celle-cl pource qu'elle est; c'est la seule condition que CHRYSOS1'OME pose, par exemple,dans le De Poenitentia: 93 ne pas oublier ce que sont les mystères qu'on reçoit.Les pécheurs qu'il fallait selon lui renvoyer, .et a~ssi dénon~er dans le c~s oùle célébrant ne les reconnaîtrait pas, ce deVaient etre des pecheurs publics etconnus en tout cas comme pécheurs.

Conclusion

Nous pensons avoir achevé ainsi notre enquête. Un regard rapide et hélaspas toujours approfondi sur les liturgies et sur les témoignages des Pères,nous permettra peut-être de faire quelques remar;Ic:es ,de caractère géné:al.

Le rigorisme d'ORIGÈNE et de ~ASILE, tout penet~e en~or: ~e la notlon ~e

pureté légale, ainsi que la conceptlon p.ar ,t~op ChO~lst~, Ju~tl~ee.p,ar l,a p,ole­mique, de CYPRIEN ne semblent pas aVOlr ete des theones generalisees a 1epo­que.

JEAN CHRYSOS1'OME, dans ses nombreuses interventions, semble vouloirs'opposer avec plus ou moins d'énergie à une praxis ecclésiastique très large,sombrant même dans l'abus.

Le Tœ &YLIY. 'ro'i:e; iXylme;, existant à cette époque, dans toutes les liturgies,comme un bloc erratique, sans liaison apparente avec aucune autre prière, n:semble pas avoir eu une signification bien précise. Si JEAN CHRYSOS1'OME IUldonne un sens qui allait dans la ligne de ses exhortations, d'autres, commeTHÉODORE DE MOPSUES1'E, lui donnent une interprétation bien différente.

Vu la praxis générale du moment, d'admettre à la communion tous ceux quin'étaient pas écartés par la pénitence publique, il ne nous semble pas que leTœ &YLIY. 'ro'i:e; iXylo~e; doit être considéré comme une formule proclamée pourécarter les pécheurs moyens, même ceux que nous considérerions aujourd'hui

en état de péché mortel", d'autant plus que nulle part on ne parle d'autrepénitence privée que celle de la conscience pure, ou de la "contrition", commenous dirions aujourd'hui.

Encore moins peut-on considérer le Tœ &y~a "t"ote; iXy[o~e; comme une déclara­tion de pardon, faisant suite aux absolutions syriennes ou alexandrines, quenous croyons être tout de même postérieures au IVe siècle et qui en tout cassont l'apanage des églises jacobites.

92 In Matth., homo 23 N. 3 ePG 57, 31055).93 Hom. 9 (PG 49, .34355).

Le "Saneta Sanctis" dans la tradition liturgique des églises 67