apprentissage moteur la vitesse - cerimes

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APPRENTISSAGE MOTEUR LA VITESSE objet d'apprentissage, variable d'enseignement PAR O. JALABERT Le champ de l'EPS modifie fré- quemment les vocables relatifs à l'apprentissage moteur. Dans cet article, l'auteur propose un essai d'approche consensuelle des diffé- rents termes traitant de l'appren- tissage moteur autour de la notion de vitesse d'exécution. Des recherches effectuées en psychologie du travail (1) avancent que dans le domaine des savoirs pratiques (2). tout apprentissage moteur s'accompagne d'une augmentation de la vitesse de réalisation de l'opérateur pour la tâche considérée. Nous pensons en nous inspirant de P. Bourdieu (3) que les compétences à enseigner en EPS sont, de façon singulière à l'école, de véri- tables savoirs pratiques où le sujet tente avec son corps, à la fois sujet et objet de l'action (4). de modifier dans l'urgence ses actions motrices pour mieux s'adapter en se jouant du temps à un environnement contraint par les exigences des différentes APS de référence. Dès lors, nous allons essayer de montrer, sans alliance stakhanoviste particulière, dans quelles mesures un élève qui apprend en EPS sur le plan moteur, augmente sa vitesse de réa- lisation tout en restant au moins autant effi- cace, comment il s'adapte de mieux en mieux à un environnement circonscrit par des APS en gagnant de plus en plus de temps. Certains auteurs (5) autorisent notre hypo- thèse en affirmant après deux années de tests réalisés dans divers établissements, qu'au ten- nis de table : « cet indice (la vitesse) parallè- lement à celui de la montante-descendante », et « la vitesse de jeu est un indicateur de niveau de jeu » évolue. Les meilleurs jouent plus vite et plus efficacement. LA NOTION DE VITESSE DE RÉALISATION La vitesse de réalisation évolue donc inlassa- blement avec les savoirs pratiques. Elle demeure un analyseur pertinent du niveau des apprentissages moteurs, non pas des proces- sus cachés qui les conditionnent mais des effets ponctuels, perceptibles qu'ils produi- sent sur les performances des pratiquants. Nous définirons la vitesse de réalisation par le rapport de la distance parcourue par le(s) seg- mentas) mis en jeu dans une (des) action(s) motrice(s) sur le temps mis à effectuer cette (ces) même(s) action(s) motrice(s). Ce temps de réalisation comprend à la fois la partie invisible et la partie observable de l'ac- tion motrice. L. Meignan et M. Audiften (6) parlent de « temps de réaction » pour la première et de « temps de mouvement » pour la seconde. Le temps de réaction précède l'action. Il cor- respond au temps d'identification des infor- mations et de préparation de la décision ou réponse motrice. Ce temps est proportionnel à la complexité, à la nouveauté de la tâche, à la quantité et aux types d'informations qu'elle contient, au niveau de pratique du sujet et au temps dont il dispose pour donner sa réponse, etc. Le temps de mouvement résulte pour l'essen- tiel, des données physiologiques (niveau de contractibilité des fibres musculaires), bio mécaniques (intensité, orientation et transmis- sion des forces exercées par l'intermédiaire des appuis, rôle des segments libres), et per- ceptives (nature des capteurs sensoriels contrôlant le mouvement). Il est évident que la pratique réelle ne permet pas une telle discrimination. La vitesse de réa- lisation est en effet la résultante synerétique des divers éléments cités en amont. Nous avons choisi arbitrairement de spécifier les interactions entre la transformation du sys- tème perceptif et la vitesse de réalisation de l'élève, que J. Leplat regroupait dans les « modifications des méthodes de travail » (1). LA VITESSE POUR L'ELEVE Nous souhaiterions en préambule évoquer une distinction importante entre les notions de vitesse absolue et relative. La vitesse absolue est la vitesse maximale que peut maîtriser un sujet pour obtenir une efficacité maximale. Ce type de vitesse est effectif dans les activités physiques où le pratiquant a pour tâche exclu- sivement de résoudre des problèmes posés par le milieu naturel (sauts, lancers, escalade). La vitesse relative est la vitesse optimale qui per- met à un individu d'être efficient par rapport à celle d'un ou plusieurs tiers, partenaire(s) ou adversaire(s). Cette dernière intervient dans tous les affrontements duels ou collectifs. Cette distinction entre absolue et relative, entre maximale et optimale n'est pas sans retombées didactiques, notamment dans la prise en compte des choix stratégiques opérés par les élèves, selon que l'on fait une analyse des techniques (7) motrices formelle ou fonc- tionnelle. En effet, est-il judicieux de féliciter le passeur qui envoie la balle dans la course (réalité formelle du haut niveau) d'un parte- naire qui a déjà des difficultés pour l'attraper à l'arrêt (réalité fonctionnelle de certains joueurs) ? Doit-on interdire l'utilisation des passes en cloche en sports collectifs sous prétexte de ralentissements, de risques d'in- terceptions ou apprendre aux élèves dans quelles conditions de jeu cette forme d'échange lent devient fonctionnel pour gagner du temps sur l'adversaire (ex : lober une défense qui monte vite sur les attaquants) ? Les interactions unissant le système perceptif et la vitesse de réalisation s'organisent selon trois axes. La sélection des informations On constate chez le novice que tous les signaux ont une potentialité d'occurrence identique, chacun d'eux a le même pouvoir informationnel. Le joueur regarde tout mais ne voit rien (8). perçoit tout mais ne sent rien. Progressivement, le joueur éduqué élimine les 74 Revue EP.S n°271 Mai-Juin 1998 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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APPRENTISSAGE MOTEUR

LA VITESSE objet d'apprentissage, variable d'enseignement

PAR O. J A L A B E R T

Le champ de l'EPS modifie fré­quemment les vocables relatifs à l'apprentissage moteur. Dans cet article, l'auteur propose un essai d'approche consensuelle des diffé­rents termes traitant de l'appren­tissage moteur autour de la notion de vitesse d'exécution.

Des recherches effectuées en psychologie du travail (1) avancent que dans le domaine des savoirs pratiques (2). tout apprentissage moteur s'accompagne d'une augmentation de la vitesse de réalisation de l'opérateur pour la tâche considérée. Nous pensons en nous inspirant de P. Bourdieu (3) que les compétences à enseigner en EPS sont, de façon singulière à l'école, de véri­tables savoirs pratiques où le sujet tente avec son corps, à la fois sujet et objet de l'action (4). de modifier dans l'urgence ses actions motrices pour mieux s'adapter en se jouant du temps à un environnement contraint par les exigences des différentes APS de référence. Dès lors, nous allons essayer de montrer, sans alliance stakhanoviste particulière, dans quelles mesures un élève qui apprend en EPS sur le plan moteur, augmente sa vitesse de réa­lisation tout en restant au moins autant effi­cace, comment il s'adapte de mieux en mieux à un environnement circonscrit par des APS en gagnant de plus en plus de temps. Certains auteurs (5) autorisent notre hypo­thèse en affirmant après deux années de tests réalisés dans divers établissements, qu'au ten­nis de table : « cet indice (la vitesse) parallè­lement à celui de la montante-descendante », et « la vitesse de jeu est un indicateur de niveau de jeu » évolue. Les meilleurs jouent plus vite et plus efficacement.

LA NOTION DE VITESSE DE RÉALISATION

La vitesse de réalisation évolue donc inlassa­blement avec les savoirs pratiques. Elle demeure un analyseur pertinent du niveau des apprentissages moteurs, non pas des proces­sus cachés qui les conditionnent mais des effets ponctuels, perceptibles qu'ils produi­sent sur les performances des pratiquants. Nous définirons la vitesse de réalisation par le rapport de la distance parcourue par le(s) seg­mentas) mis en jeu dans une (des) action(s) motrice(s) sur le temps mis à effectuer cette (ces) même(s) action(s) motrice(s). Ce temps de réalisation comprend à la fois la partie invisible et la partie observable de l'ac­tion motrice. L. Meignan et M. Audiften (6) parlent de « temps de réaction » pour la première et de « temps de mouvement » pour la seconde. Le temps de réaction précède l'action. Il cor­respond au temps d'identification des infor­mations et de préparation de la décision ou réponse motrice. Ce temps est proportionnel à la complexité, à la nouveauté de la tâche, à la quantité et aux types d'informations qu'elle contient, au niveau de pratique du sujet et au temps dont il dispose pour donner sa réponse, etc.

Le temps de mouvement résulte pour l'essen­tiel, des données physiologiques (niveau de contractibilité des fibres musculaires), bio mécaniques (intensité, orientation et transmis­sion des forces exercées par l'intermédiaire des appuis, rôle des segments libres), et per­ceptives (nature des capteurs sensoriels contrôlant le mouvement). Il est évident que la pratique réelle ne permet pas une telle discrimination. La vitesse de réa­lisation est en effet la résultante synerétique des divers éléments cités en amont. Nous avons choisi arbitrairement de spécifier les interactions entre la transformation du sys­tème perceptif et la vitesse de réalisation de l'élève, que J. Leplat regroupait dans les « modifications des méthodes de travail » (1).

LA VITESSE POUR L'ELEVE Nous souhaiterions en préambule évoquer une distinction importante entre les notions de vitesse absolue et relative. La vitesse absolue est la vitesse maximale que peut maîtriser un sujet pour obtenir une efficacité maximale. Ce type de vitesse est effectif dans les activités physiques où le pratiquant a pour tâche exclu­sivement de résoudre des problèmes posés par le milieu naturel (sauts, lancers, escalade). La vitesse relative est la vitesse optimale qui per­met à un individu d'être efficient par rapport à celle d'un ou plusieurs tiers, partenaire(s) ou adversaire(s). Cette dernière intervient dans tous les affrontements duels ou collectifs. Cette distinction entre absolue et relative, entre maximale et optimale n'est pas sans retombées didactiques, notamment dans la prise en compte des choix stratégiques opérés par les élèves, selon que l'on fait une analyse des techniques (7) motrices formelle ou fonc­tionnelle. En effet, est-il judicieux de féliciter le passeur qui envoie la balle dans la course (réalité formelle du haut niveau) d'un parte­naire qui a déjà des difficultés pour l'attraper à l'arrêt (réalité fonctionnelle de certains joueurs) ? Doit-on interdire l'utilisation des passes en cloche en sports collectifs sous prétexte de ralentissements, de risques d'in­terceptions ou apprendre aux élèves dans quelles conditions de jeu cette forme d'échange lent devient fonctionnel pour gagner du temps sur l'adversaire (ex : lober une défense qui monte vite sur les attaquants) ? Les interactions unissant le système perceptif et la vitesse de réalisation s'organisent selon trois axes. La sélection des informations On constate chez le novice que tous les signaux ont une potentialité d'occurrence identique, chacun d'eux a le même pouvoir informationnel. Le joueur regarde tout mais ne voit rien (8). perçoit tout mais ne sent rien. Progressivement, le joueur éduqué élimine les

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redondances et concentre son attention sur les informations les plus précieuses, celles qui lui font gagner le plus de temps. En un contre un au rugby, le défenseur se polarise plus sur les pieds que sur le regard ou les gestes insidieux de l'adversaire. Il se centre au moment de l'impulsion en saut, plus sur la qualité de ses deux derniers appuis que sur la zone d'appel. Il gagne du temps en sélectionnant de plus en plus vite, dans un chaos d'informations, celles qui lui seront les plus utiles pour atteindre son but rapidement et efficacement...

La liaison entre les informations Au début de l'apprentissage, le pratiquant ne peut construire de relations dans le décours d'informations qui s'offrent à lui. D'éven­tuelles liaisons entre elles ne sont pas encore édifiées. Ainsi le débutant au tennis, au volley. n'établit pas de connexion entre l'orientation des appuis, les postures de l'adversaire et la direction ou la puissance que pourra avoir la balle. Il se prépare à renvoyer la balle quand elle est près de lui. Il dispose ainsi de peu de temps pour ajuster son coup et accroît ses pro­babilités d'échec. En sports duels ou collec­tifs, il envisage encore toutes ses possibilités de feinte, alors que tel adversaire fait systéma­tiquement la même. Il perd donc du temps en n'apparentant pas les actions passées, pré­sentes et futures. Il n'est pas capable d'antici­per, de mettre en mémoire pour « prédire les conséquences de l'action future en évoquant celles de l'action passée » (9).

La réorganisation sensorielle du contrôle du mouvement En dernier lieu, il ressort que tout gain de vitesse s'accompagne d'une réorganisation du mode de contrôle du mouvement. Prenons l'exemple du dribble au basket-ball. En début d'apprentissage, le joueur est obligé de regarder ce qu'il fait : ses yeux sont rivés sur le ballon (photo 1, p. 77). Le contrôle visuel est indispensable. Progressivement, il

est relayé, délesté par d'autres capteurs senso­riels extéroceptifs de type auditif (j'entends ce que je fais, le bruit peu intense ou fort, long ou bref de ma main sur le ballon selon que je le pousse ou le tape) puis tactile (je sens ce que je fais, (photo 2, p. 77), le temps de contact de la main avec le ballon, la vitesse du ballon après un rebond au sol grâce aux variations de pression qu'il exerce à ma main à différents moments de sa phase ascendante). Ces rensei­gnements sur le toucher concourent à l'identi­fication du point mort haut d'un rebond. Chez le joueur confirmé, les informations proprio-ceptives (niveau d'étirement, de force exercée par les muscles de la main, de l'avant-bras pour obtenir un relâchement optimal du poi­gnet) prévalent et rendent ainsi la vue encore plus disponible pour mesurer l'évolution du jeu. La proprioception. plus économique en temps grâce aux processus automatiques de gestion des informations, permet au cerveau, selon A. Berthoz (9), de se décharger partiel­lement du contrôle du mouvement et de libé­rer de fait le système cognitif du traitement informationnel. Le gardien de but expert en handball sent pour un tir venant de l'aile, sans regarder son bras, à partir d'informations purement propriocep-tives, quelle flexion du coude est nécessaire pour que le ballon ne passe pas entre lui et le poteau. Ce type de boucles informationnelles va lui donner plus de temps pour observer les actions du tireur et augmenter ainsi ses chances d'arrêter le ballon. G. Oleron (10) décrivait déjà en 1968 les possibilités d'inter­actions positives entre les différents systèmes sensoriels. Apprendre en EPS pourrait être « le fait que la prise d informations tend à devenir de plus en plus sommaire et précoce et le geste de plus en plus anticipateur et infléchi vers des actions prochaines » (11), ou le remaniement du « processus de gestion des informations qui nous traverse au fur et à mesure que nous exé­cutons une tâche »(12).

Le degré de crédit qu'accorde le professeur d'EPS aux précédentes assertions pénètre de fait son enseignement.

INCIDENCES DIDACTIQUES Rappelons trois principes théoriques qui gui­deront notre raisonnement : - la problématique du seuil de vitesse décrite par J. Leplat (1) ; - R.A. Schmidt. repris par A. Berthoz (9) pré­cise qu'un individu modifie ses actions motrices en comparant les effets qu'elles ont produits avec ceux qu'il attendait en fonction de ceux déjà perçues dans des actions semblables. - « En matière de traitement de l'information, c 'est moins la quantité ou la qualité des infor­mations ci traiter qui sont importantes, que le temps dont on dispose pour en opérer le trai­tement » (14). Nous pensons qu'apprendre aux élèves à gagner du temps en s'informant de plus en plus subtilement, de plus en plus rapidement, en éduquant leur dispositif perceptif de façon intelligente, demeure une des missions essen­tielles du professeur d'EPS. Dès lors, nous regrouperons en quatre points les principaux retentissements didactiques que nous semble imposer cette option éducative au regard des données théoriques exposées ci-dessus.

Stabiliser le contexte La stabilité du contexte dans lequel le prati­quant réalise ses expériences motrices favo­rise l'identification d'une régularité de cer­tains effets. L'élève débutant aura ainsi plus de chances de repérer la permanence de certains effets sur son disque (sens, vitesse de rotation) s'il ne lance pas à l'arrêt mais après une demi-volte, sur de l'herbe mouillée et du bitume sec, vent de face puis vent de dos). La constance de certains effets (le disque monte trop) aide l'élève et le professeur à sélectionner le problème essentiel à résoudre et à en inférer la cause majeure (par exemple le disque est lâché trop tôt, quand le centre de gravité est encore sur l'appui arrière).

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La stabilisation du contexte permet à élève et enseignant de mieux se centrer sur les varia­tions d'effets que peut impliquer la moindre modification comportementale des élèves. En outre, l'invariance du contexte permet à l'enseignant de maîtriser la variable didac­tique à greffer à cette stabilité, pour la pertur­ber et poser à l'élève un problème nouveau que ce dernier tentera de résoudre en compa­rant les effets produits par ses actions anté­rieures avec ceux consécutifs à son ultime action pour moduler son action future. L'en­seignant peut en fonction du niveau de ses élèves introduire une variable connue (lâche ton disque plus tard) ou inconnue (une nou­velle consigne de jeu donnée en sport collectif à l'insu d'une des deux équipes) dont ils apprécieront plus ou moins les effets. Elèves et professeurs évalueront des effets d'autant plus brefs et subtils qu'ils seront formés. Il est en effet plus aisé en lancer d'apprécier les dif­férences de trajectoire de l'engin que la posi­tion du bassin au moment de la pause des deux derniers appuis.

Pour les activités où le contexte est par essence mouvant (sports duels et collectifs), il conviendra pour accorder aux élèves le temps d'enregistrer les points forts et faibles des adversaires, de limiter la variabilité en gardant sur une partie de la séance, les mêmes équipes, la même aire de jeu et les mêmes cou­leurs de maillots. Si la stabilité du contexte n'est jamais totale (jour de vent, pression de l'évaluation...), le contrôle optimal de la struc­ture de la tâche par l'enseignant (but. condi­tion de départ, de fin. consignes) lui permet d'en maîtriser les moindres modifications et leurs conséquences comportementales tout en prédisposant les élèves à sélectionner, lier les effets, les informations tirées de leurs actions pour gagner du temps, augmenter leur vitesse de réalisation.

Gérer le couple vitesse-précision Il existe un seuil de vitesse en deçà et au-delà duquel j'apprends moins. La précision des

actions est trop rarement perturbée dans le premier cas. tandis qu'elle est quasiment inac­cessible dans le second. 11 importe alors d'op­timiser le rapport antinomique qui unit la vitesse de réalisation et la précision néces­saires pour apprendre. L'enseignant est confronté à la gestion de ce dilemme. En conséquence, dans les activités d'opposi­tion, l'équilibre du rapport de force interindi­viduel ou intercollectif mais aussi intracollec-tif est majeur pour homogénéiser la rapidité et la qualité perceptives de l'ensemble des joueurs. L'équilibre global du rapport de force entre deux équipes constituées d'éléments de niveaux hétérogènes nous semble insuffisant car la vitesse du jeu plus élevée des uns nuit à la précision des autres. Ces conditions de jeu génèrent souvent une baisse de motivation et l'on entend fréquemment : « Monsieur, on ne me fait pas de passes ! ». En sauts, lancers, une vitesse initiale trop importante gène la précision des deux derniers appuis. L'ensei­gnant peut alors diminuer la vitesse horizon­tale en raccourcissant l'élan (4 à 6 appuis en longueur). La prise en compte pertinente par l'enseignant de la vitesse de réalisation gratifie les élèves du temps optimal pour lier, sélectionner les informations judicieuses, s'équilibrer, se pla­cer pour créer les forces indispensables à toute efficacité motrice. Elle concourt à une aug­mentation de la vitesse de réalisation. Par ailleurs, nous estimons que la gestion de la vitesse de réalisation ou du temps que l'ensei­gnant laisse à l'élève pour atteindre son but constitue un élément basique de toute diffé­renciation pédagogique bien supérieur au but lui-même ou encore au seul souci de proposer des tâches différentes à des groupes de niveau différent.

Jouer sur les effets Toute procédure didactique visant à attribuer aux élèves le temps optimal pour s'informer, percevoir les effets positifs et négatifs de leurs

actions motrices, de celles de leurs partenaires et adversaires nous paraît souhaitable. Ainsi, monter au maximum le filet en volley, jouer avec des balles moins rapides au tennis, nous semble plus adapté aux possibilités des défen­seurs débutants. C. Sève et J.-J. Temprado illustrent comment l'enseignant peut essayer de moduler les incertitudes et la pression tem­porelle au tennis de table (15). En outre, il nous semble judicieux selon cette même logique de programmer en début d'apprentis­sage des APS où les effets des actions réali­sées sont visuels et durables, et/ou après l'ac­tion (javelot, plutôt que poids), des APS où les informations sont prioritairement visuelles (boxe plutôt que judo), des APS où le temps de contact avec la balle est long et facilitant (handball plutôt que volley-ball). Il faut cependant s'appliquer à solliciter quel que soit le pratiquant, des informations extéroceptives et proprioceptives de nature différente : visuel, auditif, tactile même si le canal tactile est moins aisément accessible aux débutants. Un des objectifs à terme étant l'automatisa­tion progressive d'une plus grande variété d'actions motrices, ou encore le passage d'un « processus actif d'adaptation dont l'intelli­gence active (modèle prédictif) n'est certaine­ment pas absente, à une habitude motrice sta­bilisée dont l'intelligence active s'est sans doute retirée (modèle réactif) » (14).

Donner une intention d'action fonctionnelle

M. Jeannerot (16) puis A. Berthoz nous ensei­gnent que le projet, l'intention d'action guide déjà l'action elle-même sur le plan perceptif. Ainsi, l'enseignant d'EPS peut soumettre au pratiquant en relation avec son problème actuel, un projet d'action dont ils évalueront les nouveaux effets. Si ces intentions d'action définies en terme de critères de réalisation (17) résultent d'une analyse fonctionnelle du mouvement adaptée aux compétences réelles (18) utilisées dans l'action par le pratiquant

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(19). elles favorisent alors la sélection, la liai­son des informations et contribuent à un gain de vitesse de réalisation. Plus concrètement, il s'agit par exemple de demander à l'élève au tennis de table de frap­per la balle devant soi quand elle monte, simu­ler de poser la face de la raquette qui tape la balle dans le camp adverse et d'évaluer les variations éventuelles d'effets pour établir à nouveau un projet d'action. Cette attitude (projet d'action, expérience motrice, bilan-remédiation). ne peut-elle être réinvestie quelle que soit l'activité physique considérée et favorable à une éducation, active, intelligente et autonome ? Ne peut-elle pas être fertile pour la gestion de la vie phy­sique à l'âge adulte ? Ces éléments de réflexion ne sont pas plus scientifiques, exhaustifs que descriptibles. Ils reposent sur nos expériences de terrain, sur quelques recherches scientifiques et plus lar­gement les cours écrits et non publiés de C. Pastor(20).

CONCLUSION

Si comme A. Berthoz le démontre dans son livre (9). toutes les espèces animales qui ont survécu sont celles qui ont su gagner quelques millièmes de secondes sur leurs prédateurs, si l'homme au cours de son évolution s'est ingé­nié pour mieux vivre à gagner du temps sur son environnement en développant son sens du mouvement, les acteurs d'une EP encore sportive peuvent s'enorgueillir de se trouver au cœur d'une telle problématique. Permettre alors aux élèves d'améliorer leur vitesse de réalisation, de se donner du temps, de se jouer du temps en adaptant leurs diffé­rents capteurs sensoriels (visuels, tactiles, pro-prioceptifs) aux contraintes imposées par les diverses APS. revêt alors un enjeu considé­rable. Le gain de temps comme meilleure adaptation corporelle au milieu physique n'offre-t-il pas à l'EPS la puissance d'un

objectif transversal et une enviable spécificité dans le concert des disciplines scolaires ? La complexité des variables qui composent un savoir pratique et une vitesse de réalisation, la difficulté de leur évaluation cartésienne et le caractère « idiosyncrasique » de chaque situa­tion dans laquelle ils influent, font qu'aucune formalisation écrite (21) ne parvient à les recouvrir totalement. A ce titre, la vitesse de réalisation malgré son importance dans la caractérisation du niveau d'habileté des élèves est exclue de nombre de projets ou pro­grammes d'EPS. Son estimation pertinente sur le terrain, fruit d'expérimentations, de confrontations, d'une « mémoire didactique »

(22), d'un œil aiguisé reste pourtant accessible et favorise chez les élèves l'universel plaisir de progresser. Ce haut niveau de compétence professionnelle est-il pour cela réellement développé en EPS ? Est-il vraiment valorisé dans les formations initiale et continue, les concours internes, les évaluations aux examens ? Ne renforcerait-il pas notre crédibilité au regard des autres dis­ciplines, des pratiquants de la rue et des clubs ?

Olivier Jalabert Professeur d'EPS agrégé,

Collège Le Crès 34.

Notes bibliographiques (1) J. Leplat : La formation par l'apprentissage. 1970. (2) J.-B. Grize distingue les savoirs théoriques qui visent la connaissance des choses pour elles-mêmes (savoirs sur les choses) des savoirs pratiques qui concourent à leurs modifications (savoirs par faction). J.-M. Barbier : Savoirs théoriques ett savoirs d'action. 1996. (3) P. Bourdieu dans « le sens pratique ». 1980. précise que la pratique à l'inverse de la science, se dérouie dans l'urgence, se joue dans le temps et se joue du temps. (4) C. Woesler de Panatîeu in Le sujet et l'objet : confron­tations. CNRS Besançon. 1984. (5) C. Sève et S. Testevuide in Revue Hyper 195. 2e tri­mestre 1996-97. (6) L. Meignan et M. Audit'ren : dossiers EPS. n° 35. 1997. (7) Au sens des moyens mis en œuvre par un individu pour atteindre son but. (8) R. Cornu : <• Voir et savoir » in Savoir-faite et pouvoir transmettre. 1991, différencie dans les domaines des savoirs pratiques le « regarder » utilisant le regard comme une simple acuité visuelle du « voir » qui en gage de mul­tiples capteurs sensoriels et la sélection d'informations pertinentes. (9) A. Berthoz : Le sens du mouvement. 1997. 110) In Traité de psychoiogie expérimentale. Fraisse -Piaget. 1968. (11) Ombredane et Favergé in J. Leplat (op. cité). (12) P. Mendelshon : Savoirs et savoir-faire. Entretiens Nathan. 1995. (13) A. Berthoz : Revue EP.S n° 268. Nov.-Décembre 1997. (14) J. Paillard : in Pratiques sportives et modélisation du geste. Blanchi. Nougier 1990.

(15) C. Sève et J.-J. Temprado : Dossiers n° 35. 1997. (16) M. Jeannerot : Le cerveau machine. 1983. (17) J.-J. Bonniol. M. Genthon : Repères 79. 1989. Les critères de réalisation concernent l'action dans sa phase de réalisation plutôt que sur ses résultats. Dans ce dernier cas. il convient mieux de parler de critères de réussite. Les critères de réalisation portent sur des démarches, des façons de faire, des procédures fonctionnelles, utilisables par l'élève pour atteindre son but. (18) Que J. Leplat définit comme l'activité réellement mise en jeu dans l'action par le pratiquant in Revue EPS. n° 267. Sept-ocl. 1997. ( 19) Nous croyons beaucoup à la piste ouverte par P. Vcr-merseh : L'entretien d'explicitation en formation initiale et continue. 1994, reprise en EP.S par C. Martinez à l'UFRSTAPS de Montpellier sur l'utilisation de l'entre­tien d'explicitation comme moyen pour faire revenir à la conscience du sujet une partie a priori non accessible des compétences qu'il utilise pendant l'action. (20) Professeur d'EPS à l'UEREPS de Montpellier, jus­qu'en 1981. (21) G. Klein dans les actes du colloque AEEPS de mars 1997 constate que l'ЕР pour pouvoir être scolarisée a besoin d'être écrite. Si la vitesse de réalisation, ne s'ac­corde pas d'une telle transposition scripturale, se pose alors une réelle tension entre la pérennisation scolaire de l'EPS au risque de la travestir en l'écrivant et l'accepta­tion de sa spécificité dans l'école au risque de l'évincer en ne pouvant pas l'écrire. (22) Définie par G. Brousseau in Recherches en didac­tique îles mathématiques, volume II. 1991. comme le souvenir des actions passées (échecs, réussites...), et de leur contexte d'occurrence permettant à l'élève et à l'en­seignant de comparer, confronter concomitamment les actions passées afin de réguler les actions futures.

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