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22 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier-février 2016 CAS CLINIQUE Figure 1. Lésions anopérinéales de maladie de Crohn. Mots-clés Fistule anale – Maladie de Crohn – IRM Keywords Anal fistula – Crohn’s disease – MRI Une suppuration anopérineale complexe A complex anoperineal suppuration Agnès Sénéjoux 1 , Laurent Siproudhis 2 1 Cabinet rennais de proctologie ; centre hospitalier privé Rennes Saint-Grégoire. 2 Service des maladies de l’appareil digestif, CHU Pontchaillou, Rennes. Observation Monsieur B., âgé de 49 ans, marin pêcheur, a pour principal antécédent une maladie de Crohn. La maladie débute en janvier 1998 par une suppuration anopérinéale, associée à une atteinte colique gauche et rectale, nécessitant de multiples interventions chirurgicales de drainage. Le traitement initial comporte de l’azathioprine en monothérapie jusqu’en 2000, puis en association avec des perfusions d’infliximab, 5 mg/kg/perfusion de mars 2000 à août 2005, remplacées, du fait d’un échec thérapeutique, par des injections d’adalimumab, 40 mg toutes les 2 semaines, avec une bonne réponse clinique. Ce patient, chez lequel une mauvaise observance thérapeutique est suspectée, est perdu de vue pendant 13 mois. Il revient en consultation pour des douleurs anales intenses évoluant depuis 2 semaines associées à une fièvre à 39 °C, à des frissons, à des émissions purulentes et fécales périnéales et à une altération de l’état général avec un amaigrissement de 8 kg (12 % du poids corporel). L’examen clinique retrouve des lésions anopérinéales majeures (figure 1). Les lésions observées sont des ulcérations et des éléments suppuratifs. Il existe des ulcérations creusantes antérieures, postérieures et latérales, très destructrices qui s’accompagnent de marisques inflammatoires. Les berges sont parfois un peu bourgeonnantes avec un aspect en sucre mouillé. Il existe également une suppuration qui diffuse dans le fond des ulcérations et dans les tissus sous-cutanés. La peau périanale a un aspect cyanique avec des formations en pince de crabe qui pourraient faire évoquer une hidrosadénite suppurée. Devant la complexité de cette suppuration, une IRM est réalisée.

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22 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier-février 2016

CAS CLINIQUE

▲ Figure 1. Lésions anopérinéales de maladie de Crohn.

Mots-clésFistule anale – Maladie de Crohn – IRM

KeywordsAnal fistula – Crohn’s disease – MRI

Une suppuration anopérineale complexeA complex anoperineal suppuration

Agnès Sénéjoux1, Laurent Siproudhis2

1 Cabinet rennais de proctologie ; centre hospitalier privé Rennes Saint-Grégoire.2 Service des maladies de l’appareil digestif, CHU Pontchaillou, Rennes.

O b s e r v a t i o n

Monsieur B., âgé de 49 ans, marin pêcheur, a pour principal antécédent une maladie de Crohn. La maladie débute en janvier 1998 par une suppuration anopérinéale, associée à une atteinte colique gauche et rectale, nécessitant de multiples interventions chirurgicales de drainage. Le traitement initial comporte de l’azathioprine en monothérapie jusqu’en 2000, puis en association avec des perfusions d’infliximab, 5 mg/kg/perfusion de mars 2000 à août 2005, remplacées, du fait d’un échec thérapeutique, par des injections d’adalimumab, 40 mg toutes les 2 semaines, avec une bonne réponse clinique. Ce patient, chez lequel une mauvaise observance thérapeutique est suspectée, est perdu de vue pendant 13 mois.Il revient en consultation pour des douleurs anales intenses évoluant depuis 2 semaines associées à une fièvre à 39 °C, à des frissons, à des émissions purulentes et fécales périnéales et à une altération de l’état général avec un amaigrissement de 8 kg (12 % du poids corporel).L’examen clinique retrouve des lésions anopérinéales majeures (figure 1). Les lésions observées sont des ulcérations et des éléments suppuratifs. Il existe des ulcérations creusantes antérieures, postérieures et latérales, très destructrices qui s’accompagnent de marisques inflammatoires. Les berges sont parfois un peu bourgeonnantes avec un aspect en sucre mouillé. Il existe également une suppuration qui diffuse dans le fond des ulcérations et dans les tissus sous-cutanés. La peau périanale a un aspect cyanique avec des formations en pince de crabe qui pourraient faire évoquer une hidrosadénite suppurée. Devant la complexité de cette suppuration, une IRM est réalisée.

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CAS CLINIQUE

▲ Figure 3. Séquence pondérée T1 après injection de gadolinium (coupes transversales basses).

▲ Figure 2. Séquence IRM pondérée en T2.

La figure 2 est une séquence pondérée T2 avec saturation de la graisse représentant 2 coupes coronales. Ces séquences sont aisément recon-naissables, car les liquides sont souvent très blancs alors que la graisse est grise. Les collections suppurées apparaissent en hypersignal T2, comme on peut le constater au niveau de la graisse sous-cutanée de la fosse ischio-anale gauche. Le processus inflammatoire modifie la densité des structures cellulograisseuses qui deviennent anormalement visibles au niveau de la fosse controlatérale, mais aussi au niveau de la muqueuse et sur la partie haute et postérieure du canal anal et de part et d’autre de la sangle des muscles élévateurs. Cette séquence est assez sensible pour détecter une suppuration. La figure 3 correspond à des coupes pelviennes en séquence pondérée T1 après injection de gadolinium. Les vaisseaux sont rendus hyperin-tenses par l’injection du produit de contraste. En revanche, avec cette séquence, les liquides sont sombres. La résolution anatomique est particulièrement bonne et les zones inflammatoires présentent un

rehaussement. On peut donc observer un aspect dense de la zone inflammatoire de la fosse ischio-anale gauche, mais le centre occupé par le pus est sombre (figure 3A). On peut analyser beaucoup plus précisément qu’en séquence T2 les trajets empruntés par la suppuration au sein de l’appareil sphinctérien, en secteur antéro-droit mais aussi postérieur et en fer à cheval et dans l’espace interfessier. Cette séquence est donc très anatomique.La figure 4, p. 24 correspond également à une séquence pondérée en T1 après injection. On note que les liquides sont sombres (contenu de la vessie), que la vascularisation pelvienne et périrectale est très prononcée et qu’il existe également un épaississement pariétal du rectum aux dépens de la muqueuse, qui est très œdémateuse. Un examen sous anesthésie générale est réalisé confirmant une suppuration en fer à cheval. Un drainage des fistules est alors

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CAS CLINIQUE

▼ Figure 4. Séquence pondérée T1 après injection de gadolinium (coupes transversales hautes).

1. Beets-Tan RG, Beets GL, van der Hoop AG, Kessels AG, Vliegen RF, Baeten CG et al. Preoperative MR imaging of anal fistulas: does it really help the surgeon? Radiology 2001;218(1):75-84.

2. Schwartz DA, Loftus EV Jr, Tremaine WJ, Panaccione R, Harmsen WS, Zinsmeister AR et al. The natural history of fistulizing Crohn’s disease in Olmsted County, Minnesota. Gastroenterology 2002;122(4):875-80.

3. Van Assche G, Vanbeckevoort D, Bielen D, Coremans G, Aerden I, Noman M et al.

Magnetic resonance imaging of the effects of infliximab on perianal fistulizing Crohn’s disease. Am J Gastroenterol 2003;98(2):332-9.4. Karmiris K, Bielen D, Vanbeckevoort D, Vermeire S, Coremans G, Rutgeerts P et al. Long-term monitoring of infliximab therapy for perianal fistulizing Crohn’s disease by using magnetic resonance imaging. Clin Gastroenterol Hepatol 2011;9(2):130-6.5. Panes J, Bouhnik Y, Reinisch W, Stoker J, Taylor SA, Baumgart DC et al. Imaging tech-niques for assessment of inflammatory bowel disease: joint ECCO and ESGAR evidence-based consensus guidelines. J Crohns Colitis 2013;7(7):556-85.

Références bibliographiques

A. Sénéjoux déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

D i s c u s s i o n

L’exploration par IRM permet de compléter les données de l’examen clinique au cours des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn. Cet examen permet une bonne évaluation anatomique avec une excellente reproductibilité. Sa sensibilité et sa spécificité sont respectivement de 100 et 86 % pour le diagnostic des fistules, et de 96 et 97 % pour celui des abcès (1). L’association de l’IRM à l’examen sous anesthésie générale permettrait d’atteindre une sensibilité de 100 % (2). Cet examen a une meilleure résolution temporospatiale que l’échographie endo-anale, est moins dépendant de l’opérateur et permet d’apprécier le degré d’inflam-mation des lésions visualisées. L’IRM est également indiquée pour la surveillance des lésions traitées, le score de Van Assche permet d’évaluer l’activité des fistules traitées par anti-TNF en se fondant sur le nombre de trajets fistuleux, leur localisation, leur extension, la présence d’un hypersignal en T2, l’existence d’un abcès ou d’une atteinte rectale (3). Cet examen est plus performant que l’examen clinique pour apprécier la guérison des trajets fistuleux traités, la rémission radiologique paraît en effet retardée et plus rare que la rémission clinique (4). La persistance d’un trajet fistuleux actif en IRM en dépit d’une rémission clinique est un facteur prédictif de récidive (4).L’IRM est ainsi recommandée par le consensus ECCO (5) et les recommandations pour la pratique clinique de la Société nationale française de coloproctologie dans le bilan d’évaluation des lésions anopérinéales suppurées de la maladie de Crohn.

C o n c l u s i o n

La prise en charge des lésions anopérinéales au cours de la maladie de Crohn est souvent difficile tant les lésions peuvent être complexes associant fistules hautes et multiples, ulcéra-tions, voire sténose. L’examen clinique sous anesthésie générale, pratiqué par un opérateur expert, est utilement complété par la réalisation d’une IRM. L’imagerie, outre son rôle diagnostique initial, est également utile à la surveillance de ces lésions. ■

effectué, conduisant à la mise en place de 3 sétons. Compte tenu du caractère très délabrant de la suppuration avec passage de selles liquides par les trajets fistuleux du fait d’orifices internes larges, une iléostomie de décharge est mise en place et le traitement par adalimumab est repris, selon le schéma d’induction classique, en maintenant une antibiothérapie par ciprofloxacine au long cours.

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