web viewword : des mots télescopés qui permettent d’exprimer plusieurs choses...
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Chapitre 3 – L’intertextualité
Dans les chapitres précédents, nous avons pu constater que l’intertextualité fait
partie intégrante de la littérature de jeunesse du XIXème siècle au XXIème siècle.
Toutefois, il y a quelques années encore, l’intertextualité n’était qu’un des phénomènes
du double lectorat parmi le carnavalesque et la métafiction. Le phénomène de
l’intertextualité dans la littérature générale a été théorisé il y a une quarantaine d’année
et plus tardivement dans l’album avec l’apparition de la notion d’intericonicité.
Cependant, les choses tendent à évoluer à mesure que la transmédiation se développe.
Dès la fin du XXème siècle, les frontières entre la littérature de jeunesse et la littérature
générale n’ont fait que s’amenuiser. A présent, l’intertextualité n’est plus seulement
transartistique mais également transmédiatique. De plus en plus d’albums contiennent
des caractéristiques du double lectorat et les auteurs et illustrateurs se servent de
l’intertextualité avec plus ou moins d’habilité et de talents.
L’intertextualité n’est permet plus seulement la transmission d’un patrimoine
culturel cher à l’auteur mais permet également de profondément s’ancrer dans le
quotidien de ceux qui lisent l’ouvrage – grâce à la transmédiation. Les enfants comme
les adultes vont se retrouver autour des mêmes livres, films et jeux. Cette communion
des âges a plusieurs avantages : la transmission du savoir, le rassemblement des adultes
et des enfants autour des mêmes univers. Comme nous l’avons vu dans le chapitre sur
la transmédiation, la face négative de ce double lectorat est l’infantilisation latente qui
peut ressembler à une uniformisation qui tend à nier les spécificités des différents
lectorats. C’est l’avènement du public familial, du tout public, du « all ».
I. LE DOUBLE LECTORAT
De manière générale, le phénomène du double lectorat n’est pas neuf, on peut
même dire qu’il est présent dans un grand nombre de classiques de la littérature de
jeunesse. Ces mêmes classiques qui pouvaient avoir été écrit pour un lectorat adulte à
l’origine, tel que Les Trois Mousquetaires. Pour Isabelle Jan : « de tout temps, dès qu’ils (les
enfants) ont su lire, ils se sont emparés de livres qui ne leur étaient pas destinés »1. Cependant cette
situation peut également être inversée, c’est ce que l’on a pu constater avec le
phénomène du cycle de J.K. Rowling, Harry Potter, originellement destiné à la
jeunesse, qui va par la suite être réédité dans des collections dites pour adultes. Pour de
nombreux critiques, les recherches concernant la nature du double lectorat débuteraient
avec les aventures du petit sorcier.
Comme nous l’avons vu précédemment, il est important de prendre en compte le
rôle prépondérant de l’adulte dans la création du double lectorat dont il est à la fois le
créateur, le prescripteur et le médiateur.
- Les créateurs
Le fait que l’adulte soit le créateur des œuvres de littérature de jeunesse n’est pas
sans conséquence comme nous avons pu le voir dans notre introduction. L’auteur va
vraisemblablement s’inspirer de sa propre enfance, ses souvenirs vivaces et de ses
passions de jeunesse, tout ce bagage va lui permettre de composer une sorte de langage
bilingue « mi-enfant, mi-adulte ». De nombreux créateurs ont rendu hommage à leur
enfance à travers des ouvrages comme c’est le cas d’Elzbieta dans L’enfance de l’art.
Nous avons vu que pour Boel Westin.2, il y a plusieurs cas de figure :
- L’auteur recréé une enfance rêvée et il écrit pour l’enfant qui est en lui
- L’auteur est indifférent à la question
- L’auteur prend l’enfant comme un récepteur idéal
Nous avons pu observer que pour un certain nombre de chercher, le style
d’écriture est identifiable grâce à quelques caractéristiques typiques : une écriture
simplifiée voir épuré, une narration répétitive, le tout enrobé bien souvent
d’intentions didactiques et pédagogiques. L’adulte créateur va en
1 JAN, Isabelle, « La littérature enfantine », Lectures, livres et bibliothèques pour enfants, C.-A. Parmegiani(dir.), Paris, Editions du cercle de la librairie, 1993, p.25.2 WESTIN, Boel, Vad är barnlitteraturforskning dans BERGSTEN, Staffan (dir.), Litteraturvetenskap – en inledning, Lund, deuxième édition de 2002, p. 129-142.
outre transmettre des valeurs, des idées et de la culture à travers son œuvre. Au final, il ne faut pas perdre de vue que si une culture de jeunesse voit le jour, elle est presque globalement inspirée par le monde adulte et ce dans tous les domaines et pas seulement celui du livre.
- Les éditeursCette problématique touche évidemment aussi aux politiques éditoriales : ce sont
bien souvent les éditeurs qui décident des catégories d’âges des livres qu’ils éditent et
non les auteurs (à leur grand dam). Imposées par les éditeurs, ces catégories d’âges sont
nées de la demande parentale et de l’analyse des différents publics, le tout dans le but de
rentabiliser les ventes. En effet, vu l’abondance de la production actuelle, le classement
par l’âge est le plus simple, suivie des systèmes de collection et de série.
- Les médiateurs
Par la force des choses, l’adulte est devenu l’objet éditorial de la littérature de
jeunesse puisque c’est lui qui achète le livre pour l’enfant. Il faut attirer le parent / le
professeur / le libraire ou tout autre adulte avant même de séduire l’enfant. Le livre de
jeunesse doit avant tout convaincre cet acheteur potentiel.
L’implication de l’adulte dans la transmission ne fait que commencer dès lors
que l’enfant tient le livre entre ses mains. Pour les plus jeunes, la lecture d’un album ne
peut se faire qu’en présence d’un médiateur capable de lire et de lui raconter l’histoire.
L’enfant lecteur ou l’adulte lit l’album à haute voix, le plus petit « lit par l’oreille », son
accès à l’histoire se fait grâce au narrateur iconique. Pour faciliter cette lecture orale, le
texte est souvent écrit au présent de l’énonciation.
- Les critiques
Les critiques permettent de cerner l’éventuelle fascination des lecteurs adultes
pour certains livres de jeunesses. Il suffit alors de se pencher sur les commentaires et
fiches de lectures, notamment sur internet pour apprécier l’amplitude de public de
certains auteurs et de leurs ouvrages. Dans nos analyses d’albums, nous accorderons
toujours une partie aux critiques qui nous permettront de voir ce que l’on dit sur ces
albums en dehors du domaine de la recherche.
A. Les catégories
Les premières études du double lectorat visaient à mettre en avant les
oppositions entre la littérature générale et la littérature de jeunesse, elles ont été
réalisées en Angleterre par des critiques, des journalistes et des chercheurs en 2003 lors
d’un colloque à Roehampton : Book and Boundaries : Writers and their Audiences3.
Pour Catherine Renaud Buscall, l’intérêt critique pour le double lectorat coïncide avec
le succès le cycle d’Harry Potter de J.K. Rowling et la trilogie A la croisée des mondes
de Philip Pullman.
Pionnière dans ce domaine, Sandra Beckett n’a pas attendu le succès de ces
livres pour diriger, en 1999, un des premiers recueils d’articles sur le sujet, il fait
aujourd’hui office de référence : Transcending boundaries: writing for a dual audience
of children and adults4. Dans le chapitre 2, « Crosswriting5 as a criterion for
canonicity », Bettina Kümmerling-Meibauer nous donne une première définition du
Crosswriting : elle met en avant quatre catégories qui mettent en avant les différentes
notions qu’englobe le double lectorat dans la littérature de jeunesse. Une œuvre
littéraire ne doit pas cumuler toutes les caractéristiques des catégories pour que son
contenu soit qualifié de « double lectorat », les œuvres réunissant toute ces
caractéristiques sont rares.
- La première catégorie « Authors write both for children and adults6 ».
Il s’agit d’une dissociation plus ou moins évidente chez les auteurs entre
l’écriture des romans pour adultes et celle des romans pour enfants. Cette catégorisation
peut être aussi le fait de l’éditeur, son influence est variable. Certains livres peuvent être
publiés aussi bien dans une maison d’édition pour adultes et dans une maison d’édition
pour enfants. Cette catégorie est incertaine puisqu’il est difficile de savoir qui de
l’auteur ou de l’éditeur a influencé la classification.
3 PINSENT, Pat (dir.), Book and Boundaries : Writers and their Audiences, Roehempton, Pied Pipper Publishing, 20044 BECKETT, Sandra (dir.), Transcending Boundaries, writing a dual audience of children and adults, New York et Londres, Garland Publishing, 19995 Crosswriting sera traduit, en France, par double lectorat. 6 BECKETT, Sandra (dir.), op. cit., p. 15.
- La deuxième catégorie « Many children’s books are directed at an implied audience that comprises children and
adults7». Cette catégorie est la plus représentative du double lectorat dans l’album pour
enfants, étant donné qu’ils sont écrits pour les enfants mais seront généralement lus avec
la collaboration d’un adulte. Par définition, l’album est un outil privilégié de partage et
de collaboration entre enfants et adultes comme le souligne Carole Scott:“Whereas many of the works that have drawn the attention of critics fascinated by the dual-
audiance or cross-audienced phenomenon offer opportunities for intricate analysis of narrative technique,
perspective, symbolism and characterization, I believe that picturebooks give a unique opportunity for
what I consider a collaborative relationship between children and adults, for picturebooks empower
children and adults much more equally8”.
- La troisième catégorie« The rewriting of a book for adults to turn it into a children’s book and the reverse»9.
Il s’agit plus ici d’une question de réécriture que de double lectorat. On parle
également de « transécriture »10 quand il s’agit d’une adaptation vers un autre support
telle que la bande dessinée. L’auteur peut réaliser lui-même l’adaptation, mais elle peut
également être effectuée par une autre personne, de ce fait, cette catégorie est jugée
moins convaincante par Catherine Renaud Buscall11.
- La quatrième catégorie« An author’s adult works and his children’s novels are complementary to each other, thus
building a cluster of intertextual references12 ». Selon Catherine Renaud Buscall, cette dernière
catégorie n’en est pas vraiment une : l’intertextualité dérive directement de la première
catégorie. Elle est une des incarnations majeures du double lectorat. On parle
d’intratextualité quand les références sont communes à toute l’œuvre d’un auteur.
L’intertextualité possède un caractère très subjectif et semble s’adresser plus
7 BECKETT, Sandra (dir.), op. cit., p. 15.8 BECKETT, Sandra (dir.), op. cit., p. 101.9 BECKETT, Sandra (dir.), op. cit., p. 15.10 La transécriture : pour une théorie de l’adaptation : littérature, cinéma, bande dessinée, théâtre, clip : Colloque de Cerisy-La-Salle, 14-21 août 1993, A.Gaudreault et T.Groensteen (dir.), Québec, Editions Nota Bene, 1998.11 RENAUD BUSCALL, Catherine, Les « incroyabilicieux » mondes de Ponti, Une étude du double lectorat dans l’œuvre de Claude Ponti, Uppsala, Universitetstryckeriet, 2005 12 BECKETT, Sandra (dir.), op. cit., p. 17.
particulièrement à un lectorat adulte, celle-ci dépendant des connaissances culturelles
et langagières du lecteur, ainsi que de sa progression en âge, en éducation, etc.
B. Les notions du double lectorat
Comme nous pouvons le voir, toutes ces catégories peuvent trouver une
résonance dans l’album de jeunesse. Cependant, deux s’appliquent plus particulièrement
à l’album et par conséquent, ce sont celles qui nous intéressent : la deuxième et la
quatrième.
La seconde catégorie permet d’identifier l’album comme un medium particulier
conçu, dès son origine, aussi bien pour les enfants que pour les adultes. A partir du
moment où celui-ci s’adresse au lecteur en devenir qu’est l’enfant, l’adulte y obtient le
rôle de médiateur.
La quatrième catégorie met en avant l’intertextualité qui semble être le premier
signe distinctif du double lectorat. En effet, elle est tellement répandue qu’on lui a
attribué une catégorie propre alors que d’autres notions permettent également
d’identifier du double lectorat : les jeux de langage, la métafiction et le carnavalesque.
La métafiction et le carnavalesque sont sans doute moins représentés de par leur
complexité évidente. Cependant, même si nous n’approfondirons pas ces autres
théories, il paraît essentiel d’en avoir un aperçu avant de nous consacrer à
l’intertextualité proprement dite. Par la suite, nous approfondirons la problématique de
l’intertextualité, ainsi que ses apports à la fiction et son rôle dans la transmission du
savoir.
1. Les jeux de langage
Les jeux de langage évoluent en fonction du niveau de compétence du lecteur et
ils se complexifient à mesure que celui-ci acquiert de nouvelles connaissances de part sa
progression en âge, son éducation, etc. Les niveaux de lecture sont multiples ainsi que
les interprétations que l’on peut donner aux différents jeux de langage.
Bien évidemment, les jeux de langage sont inaccessibles à l’enfant avec
l’acquisition de la lecture. L’enfant non-lecteur de moins de six, bien qu’ayant accès à
l’image, a besoin de la participation d’un adulte (ou d’un enfant plus âgé) afin de « lire
par l’oreille » pour reprendre les termes de Mathieu Letourneux13. Le jeune lecteur en
13 LETOURNEUX, Mathieu, Littérature de jeunesse et culture médiatique dans La littérature de jeunesse en question(s), Rennes, PUR, 2009
devenir a besoin de cette collaboration afin de découvrir et de parfaire son
apprentissage, l’adulte doit être là afin d’interpréter, de donner du sens et expliquer les
mots inconnus de l’enfant. Dans la littérature de jeunesse, il y a plusieurs types de jeux
de langage, ceux-ci s’entremêlent étroitement : les néologismes, le non-sens et l’humour
burlesque.
a. Le néologisme
Il s’agit de la création de nouveaux mots afin d’enrichir le langage commun ou
de jouer avec celui-ci. Il peut être totalement nouveau comme être composé de plusieurs
morceaux de mots du langage quotidien (il s’apparente alors aux mots valises qu’on
retrouve dans le nonsense) : la Findubou, l’Otrebou, etc. dans Ma vallée14 de Claude
Ponti. Le pays des Motordus de Pef reprend se principe également. Le néologisme a
pour but de provoquer la surprise et de déclencher la réflexion du lecteur sur le sens à
donner à ce nouveau mot. Dans l’iconotexte, l’image peut donner des informations sur
la signification, elle peut également le complexifier.
Certains néologismes peuvent s’apparenter aux créations verbales que font les
enfants lors de leur apprentissage de la langue. C’est le cas dans les œuvres de Claude
Ponti qui utilisent des termes et des expressions typiquement enfantines : pour de vrai,
un pestacle, plus bien que tout, très beaucoup de monde, le plus meilleur, etc. Toute une
série de superlatifs et de mots « mal prononcés » qui mettent en avant des particularités,
une syntaxe ainsi qu’un fonctionnement propre à l’enfance.
b. Le non-sens
« Il était reveneure ; les slictueux toves
Sur l’alloinde gyraient et vriblaient ;
Tout flivoreux étaient les borogoves
Les vergons fourgus bourniflaient.15 »
C’est l’humour absurde dont le plus brillant exemple dans la littérature de
jeunesse est Alice au Pays des Merveilles et De l’autre coté du miroir de Lewis Caroll.
Notamment avec son poème intitulé «Jabberwocky » (mot qui est devenu un synonyme
de nonsense), Lewis Caroll y triture la langue et créé des portmanteau word : des mots
14 PONTI, Claude, Ma vallée, Paris, L'Ecole des loisirs, 199815 Traduction français du poème Jabberwocky réalisée par Henri Parisot en 1946.
télescopés qui permettent d’exprimer plusieurs choses à la fois, cette expression est
traduite en français par le très utilisé « mot-valise ».
Le type de langage utilisé peut trouver une résonnance dans le type de dessins
choisi, c’est le cas dans l’album La magisorcière et le tamafumoir d’Hélène Kérillis16 et
Vanessa Hié. Les auteurs ont choisi un style graphique se rapprochant de celui de Joan
Miro, ils ont utilisé certains de ces codes graphiques qui ponctuent ses œuvres et plus
particulièrement l’une d’entre elles, Le carnaval d’Arlequin de 1925. Dans cet album,
un certain nombre de mot utilisé sont des néologismes : le chamatou et le chaminou, les
croque-miettes, le zieutatout, le canacri, la déglinguerie… Les images sont aussi
déstructurées que les mots, ce qui donne l’impression que le langage utilisé est en
adéquation totale avec ce qu’il désigne.
L’humour nonsense est subtil, à première vue il fait passer celui qui parle pour
un potentiel idiot. C’est la manière de parler que l’on attribue par exemple aux bouffons
et fous du roi, ce type de langage permet de raconter quelque chose et de passer un
message acéré, tout en donnant l’impression que le personnage a des propos
désordonnés.
c. Le comique burlesque de l’enfance
Il s’agit d’un comique basé sur des glissements de sens contenant des
calembours. Ceux-ci peuvent être porteur de plusieurs sens, ce permet de créer plusieurs
récits en un seul. L’exemple le plus connu est La Belle Lisse Poire du prince de
Motordu17 de Pef, au premier regard, le récit semble effronté et peu pédagogique.
Pourtant celui-ci permet à l’enfant de jouer avec le langage, ce faisant, il dédramatise les
situations de difficultés qu’il peut rencontrer dans l’apprentissage de la lecture et même
en acquérir une certaine maitrise de celui-ci.
Dans certains albums, les auteurs recourent à une déstructuration totale des mots
et des phrases, ce qui donne l’impression que ce qui est écrit n’a aucun sens. Philippe
Corentin par exemple utilisent des mots à l’orthographe anarchiques, des phrases
découpés dont le sens n’apparaît clairement qu’en recourant à la lecture orale (« Keskon
leurf é ? Fez onlé envie négrette »). Ce qui joue bien évidemment sur la collaboration
entre le parent raconteur de l’histoire et l’enfant. L’humour burlesque se rapproche
fortement du carnavalesque, l’adulte va être séduit par le caractère subversif de celui-ci
et par le défi à l’ordre établit du monde adulte.
16 KERILLIS, Hélène et HIE, Vanessa, La magisSorcière et le TamaFumoir (Miró), Paris, L’élan vert, 200717 PEF, La Belle Lisse Poire du prince de Motordu, Paris, Gallimard Jeunesse, 1980
d. Jeux de langage : pour une ouverture vers le monde adulte
A coté de ces catégories qui semblent pouvoir n’en former qu’une seule et
unique propre au domaine de l’enfance et compréhensible des jeunes lecteurs, on trouve
le même genre de jeux de mots (mots-valises, nonsens, paronymie, calembour,
néologisme, etc.) et de procédés (préfixation, suffixation, dérivation, composition par
juxtaposition, amalgame, onomatopée, conversion, métaphore, troncation et emprunt)
ayant pour destination l’adulte-lecteur, puisque faisant appel à des connaissances qui
sont supposées n’être accessibles qu’à un lecteur adulte cultivé. Ces jeux de mots sont
donc plus ou moins difficiles à comprendre selon le degré d’apprentissage et de culture
du lecteur. Il y a de nombreux exemples dans l’album Princesses oubliées ou inconnues
de Philippe Lechermeier et Rebecca Dautremer18 : qu’il s’agisse de mot-valises tel
qu’Archiboldéon (né de la fusion d’accordéon et du nom du peintre Arcimboldo et
désignant un instrument en fruits et légumes) ou de paronymies : Ephémère de Chine,
Ephémère rouge, Ephémère Baltique, la Princesse Fasola, musicienne… Ces jeux
d’esprits, de culture et de raisonnements peuvent aisément devenir obscurs pour
certaines personnes tant l’amplitude culturelle des références est grande. Tel que le Luth
gréco-romain, l’instrument à double prise…
L’ironie ainsi que la parodie du monde adulte peuvent également être utilisées
dans les albums, elles s’adressent essentiellement aux lecteurs confirmés, capables de
les percevoir. Le fait qu’elles offrent plusieurs niveaux narratifs, permet également
d’éveiller la curiosité des jeunes lecteurs et les inviter à la réflexion. La parodie est, en
outre, un des éléments clés du carnavalesque.
2. Le carnavalesque
Catherine Renaud Buscall19 met en relation le carnavalesque et la problématique
du double lectorat. Le carnavalesque est une théorie développée par Mikhaïl Bakhtine
18 DAUTREMER, R. et LECHERMEIER, Ph., Princesses oubliées ou inconnues..., Paris, Gautier Languereau, 200419 RENAUD BUSCALL, Catherine, Les « incroyabilicieux » mondes de Ponti, Une étude du double lectorat dans l’œuvre de Claude Ponti, Uppsala, Universitetstryckeriet, 2005
dans les années soixante. Dans son analyse de l’œuvre de François Rabelais20, il a mis
en avant la culture populaire et le comique qui s’y attache propre à l’Europe du Moyen
Âge et de la Renaissance. Cette culture populaire avait, selon Bakhtine, le rôle de
contrebalancer la culture officielle austère de l’état et de la religion. Selon lui, il y a trois
catégories d’expressions de cette culture : les rites et spectacles, le comique verbal et le
vocabulaire familier voir grossier.
Ces manifestations carnavalesques font appel au jeu et rappellent les spectacles
de théâtre à la seule différence qu’ici on ne peut pas distinguer les acteurs des
spectateurs. Les personnages emblématiques de cette culture populaire sont le fou et le
bouffon, ils portent le carnaval. Ils sont ceux qui disent les vérités aux grands de ce
monde mais que la folie excuse. Le carnaval est symbole de renouveau et de remise en
question momentanée de la hiérarchie.
Dans ce contexte, les paroles se font sarcastiques et parodiques, évoquant une
culture du rire universelle. La littérature carnavalesque se démarque à plusieurs
niveaux : sa vision carnavalesque du monde, l’utilisation d’un langage populaire voir
vulgaire. Au Moyen Âge, ce type littérature était principalement en langue vernaculaire
mais quelques ouvrages sont également en latin. Cette idée de parodie du monde féodal
et de sa culture se développe déjà à travers les médias disponibles de l’époque. Par
exemple, les poèmes de Buren du XIIIème siècle (mieux connu sous le nom de Carmina
Burana) dont quelques parchemins contiennent encore des neumes, preuve que ces
poèmes étaient déjà mis en musique à l’époque. La langue carnavalesque possède un
vocabulaire particulier à la fois grossier, familier, mais ambivalent, chose que l’on
perdu à notre époque comme le signale Mikhaïl Bakhtine, ce qu’il nomme « réalisme
grotesque 21».
Ce réalisme grotesque signifie plusieurs choses :
- La masse : l’utilisation du peuple comme porte parole, celui-ci est vu un
corps collectif renouvelé perpétuellement. Le groupe prime donc sur
l’individu.
- Le rabaissement : il s’agit de matérialiser les choses, de les rendre réelle
pour le commun des mortels, grâce notamment au rire. Cette opposition est
visible dans le vocabulaire utilisé, ciel et terre, haut et bas, esprit et corps,
tête et organes génitaux.
20 BAKHTINE, Mikhail, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, Paris, Tel, Gallimard, 197021 Idem., p. 28.
- Le temps cyclique : dans ce contexte ambivalent, il n’y a pas de valeur
négative. Il n’y a pas de fin, ou du moins, la fin est le passage obligé pour
arriver à la renaissance, au renouvellement symbolisé par le carnaval.
- Le corps grotesque : le corps est caricaturé, déformé :« Le réalisme grotesque dégrade, mais cette dégradation est ambivalente. Il rabaisse tout ce qui
est élevé, idéal, abstrait, non pour le rejeter dans le néant, mais pour le transférer à un niveau matériel, le
retremper dans les régions inférieures du corps et de la terre. Le Grotesque ne connaît pas d'autres régions
inférieures que la matrice et la terre fertiles22 ».
- Le carnavalesque dans l’album de jeunesse
Le carnavalesque existe donc dans l’album de jeunesse malgré des adaptations
évidentes à l’époque et à l’âge des lecteurs. Les relations entre le carnavalesque et le
monde de l’enfance débute dès les adaptations des contes populaires qui comme le
carnaval existaient d’abord pour les adultes et appartenaient à la culture folklorique. Les
images populaires, du type des images d’Epinal se sont aussi retrouvées associées au
monde de la littérature d’enfance, au point d’être pratiquement reléguées à l’album.
Tous ces éléments rappellent ainsi que la littérature d’enfance et de jeunesse est
l’héritière privilégie d’une culture populaire traditionnelle.
Le monde de l’enfance a cela de commun avec le carnavalesque qu’ils font tous
les deux appellent au monde du jeu et au monde du théâtre. Le carnaval populaire est
une soupape de sécurité, un moment de délivrance où les inhibitions, les frustrations et
la colère peuvent s’évacuer lors de cette fête qui met le monde à l’envers, en cela elle
touche aussi bien les adultes que les enfants. Cela passe notamment par les
déguisements et les parodies, où l’on peut devenir quelqu’un d’autre le temps d’un jeu,
à la fois acteur et spectateur. Le jeu offre cette possibilité magnifique de pouvoir dire
« On dirait que … », de faire semblant et de vivre intensément et de pouvoir néanmoins
revenir à la réalité une fois le jeu terminé. Dans le monde de l’enfance, le jeu peut être
vu comme un moment de répit par rapport au monde réel, celui des adultes et à
l’autorité parentale. C’est aussi ce que l’enfant pour retrouver dans certains albums tels
que Max et les Maximonstres de Maurice Sendak ou Le jour du Mange-poussin de
Claude Ponti.
22 SIMONSEN, Michèle, Mikhail Bakhtine - Revue Romane, Bind 8 (1973) [en ligne], tidsskrift, 2008 [réf. du 8 mars 2012] disponible sur http://tidsskrift.dk/visning.jsp?markup=&print=no&id=94408
Le langage polyphonique de l’album permet au carnavalesque de se retrouver
aussi bien au niveau du narrateur verbal qu’à celui du narrateur iconique. Le texte
évoque l’immatériel, le vocal, alors que l’image incarne parfaitement l’aspect matériel
et concret, elle abaisse le texte au niveau de l’enfant non lecteur. C’est l’image qui
permet d’évoquer le monde carnavalesque par de nombreux détails grotesques et qui
raconte souvent plus que le narrateur verbal, elle a la capacité de changer le sens, de
déformer la réalité évoquée. Le texte n’est pourtant pas exempt de carnavalesque, on y
trouve l’utilisation d’un vocabulaire propre à l’enfance fait de néologisme, de mots
populaires, de jeux de mots et de grossièretés.
C’est ainsi que le carnavalesque devient un vecteur de double lectorat : le lecteur
quel que soit son âge peut se prendre au jeu. Selon son degré de culture et de
connaissance, il peut trouver dans la lecture, les effets comiques et parodiques qui s’y
cachent, tournent en dérision et exagèrent des conventions et des règles auxquels
l’enfant comme l’adulte sont confrontés.
3. La métafiction
Cette notion a été développée par plusieurs chercheurs au fil des années, les
définitions qui lui sont données sont variables. En ce qui concerne la terminologie, les
chercheurs anglais tels que David Lewis en 1990 ou Maria Nikolajeva en 1996 utilise
volontiers le terme de metafiction ou de postmodernism, alors que les chercheurs
français utilise le terme de métatextualité. Cependant, le terme de métatextualité est
ambigu, celui-ci apparaît dans les cinq catégories23 de transtextualité24 développées par
Gérard Genette en 1982 et dont fait partie également l’intertextualité. Il est définit
comme tel : « Relation, dite “de commentaire”, qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans
nécessairement le citer ». Ce qui semble plus particulièrement définir une note ou un
commentaire d’un ouvrage critique et non une relation avec un texte littéraire. Dans un
ouvrage d’analyse paru en 2002, le Centre de Recherches Inter-Langues d’Angers a
affiné la définition de la métatextualité appliqué à une fiction : « […] sans le limiter à la
fiction post-moderne, on conviendra d’appeler « métafiction » tout texte de fiction comportant une
dimension métatextuelle importante25 ».
La notion de métafiction désigne donc concrètement un type d’écriture
autoréférentielle qui consiste à révéler ainsi qu’à commenter les mécanismes qui lui sont
23 Les catégories de Gérard Genette sont détaillées dans le chapitre sur l’intertextualité.24 GENETTE, G., Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Le Seuil, 198225 LEPALUDIER, L. (dir.), CRILA, Métatextualité et Métafiction. Théorie et analyses, Rennes, PUR, 2002
propres et cela grâce à des références explicites. Dans le cadre d’une fiction littéraire, la
métafiction permet aux auteurs de jouer avec les conventions, d’interroger de manière
consciente les codes propre à l’objet livre, mais également aux fonctionnements de la
fiction et à ses relations à la réalité.
Dans le cadre d’un album, les éléments métatextuels peuvent se retrouver aussi
bien dans le texte, dans l’image ou de l’iconotexte. Il ne faut pas sous-estimer la part
importante de sens apporter par le visuel, l’image offre de nombreuses possibilités grâce
aux différents narrateurs possible et aux jeux avec le support. La métafiction met le
lecteur devant la réalité livresque, il ne peut s’évader, il est bien en train de lire une
œuvre de fiction.
Une analyse de la métafiction porte sur le rôle du paratexte (éditorial, auctorial)
et du péritexte mais également sur la place du livre dans le livre, sur les niveaux de
narrations qui permettent les commentaires métatextuels.
Par exemple, l’album Le plus beau des cadeaux de Lionel Le Néouanic26
contient de nombreux jeux métatextuels. Dès la première page, le ton est donné : « Ali
s’est levé tôt aujourd’hui, car il a un long voyage à faire. Sa copine Illa, l’a invité à son anniversaire. Et
elle vient de déménager à l’autre bout du livre. C’est loin ! ». Le personnage fait un signe de la
main en direction du lecteur. Un peu plus loin, un policier poursuit Ali : « il se trouve mal
dessiné. Ça le rend furieux ». Ali court dans la page suivante : « le policier a disparu ! Il a dû se
tromper de page ». Ce jeu ce poursuit, Ali découvre un passage secret entre les pages du
livre qui n’est autre qu’un intertexte visuel faisant référence à un tableau de Lucio
Fontana, un « concept spatial ». Un personnage à tête de livre vient également au
secours d’Ali. Il est l’esprit du livre. Cet album contient beaucoup d’autres jeux
mélangeant aussi bien la métafiction, les jeux de langage, le carnavalesque et une
intertextualité foisonnante.
Un autre exemple, plus visuel cette fois est celui de l’album Parci et Parla27 de
Claude Ponti. L’auteur joue avec des nombreux cadres, il fait d’aborder ceux-ci, des
personnages y entrent et en sortent. Il y a l’histoire figurée dans le cadre et celle figurée
dans la partie blanche entourant ceux-ci qui est habituellement désémentisée : les
poussins de Ponti courent et cabriolent dans cet espace. Il représente également l’objet
livre en tant que tel, des personnages de contes y entrent. Ponti réalise ainsi dans son
album une mise en abyme de l’acte de lecture : les personnages ainsi que le lecteur
26 LE NEOUANIC, Lionel, Le plus beau des cadeaux, Paris, Editions des Grandes Personnes, 201027 PONTI, Claude, Parci et Parla, Paris, L’école des loisirs, 1994
même peut entrer physiquement dans l’histoire (ainsi il représente sa fille entrant dans
l’album qu’elle lit dans Adèle s’en mêle28).
On retrouve ce principe dans l’album Le tunnel d’Anthony Browne29 où
l’héroïne va littéralement entrer dans son livre de conte (et précisément dans sa diégèse)
par le biais de ce tunnel où elle part à la rescousse de son frère disparu.
4. « Tu comprendras quand tu seras grand… »
Au delà des jeux de mots et d’esprits, de l’intertextualité, de l’humour burlesque,
l’une des grandes forces de certains albums et iconotextes est la capacité à transmettre
des émotions et quelques parcelles de sagesse en quelques mots et quelques images. En
apparence simple, ces albums sont remplit de bon sens, ils s’adressent aussi bien aux
adultes qu’aux enfants, malgré leur évident manque d’expérience de la vie.
Il y a des albums pour tous les événements de la vie heureux ou malheureux
(naissance, mariage, divorce, décès, etc.), certains qui laissent la porte ouverte à une
interprétation libre du lecteur.
Parmi ceux-ci, certains ont la capacité d’offrir des réponses à des sujets
complexes et semblent capables de s’adresser directement à l’âme, ces albums parlent
alors de la dépression, de la perte de la pulsion de vie ou de la difficulté de trouver un
sens à sa vie et la perte de soi face au quotidien.
Parmi ces albums qui oscillent entre le monde de l’enfance et celui des adultes,
on trouve L’Auberge de Nulle Part de Roberto Innocenti et J. Patrick Lewis30. Cet
album est intéressant à plusieurs égards, mais au delà de sa grande intertextualité, de sa
mise en page particulière, c’est le message qui se cache derrière cette histoire qui est
particulier : le syndrome de la feuille blanche, la perte d’inspiration chez un artiste : « Mais avais-je réellement perdu l’imagination, ou l’avais-je simplement égarée en la laissant
vaguer à sa guise dans le monde ordinaire, le monde normal ? Qu’allais-je devenir, moi qui étais un
artiste ? Comment pourrais-je continuer à travailler, à peindre, à vivre ? ».
Cet album explique avec beaucoup de subtilité le fonctionnement de
l’imagination, ce qui la nourrit et la régénère : ce besoin de se retrouver seul face à soi-
même, de retourner les racines de son art : les prédécesseurs, ceux qui ont donné l’envie
première de créer. C’est du moins ce que fait cet artiste, il se raccroche « à quelques bribes
de souvenirs », en insistant sur le fait que l’imagination n’est jamais faite une fois pour 28 PONTI, Claude, Adèle s’en mêle, Paris, L’école des loisirs, 2004 29 BROWNE, Anthony, Le tunnel, Paris, Kaléidoscope, 198930 LEWIS, J. Patrick et INNOCENTI, Roberto, L’Auberge de Nulle Part, Paris, Gallimard jeunesse, 2002
toute, qu’il faut tous les jours la nourrir car « s’il est vrai que les souvenir sont de vieilles
dentelles, eh bien, mon ami, l’imagination est une paire de chaussures neuves ». Tout le long de
l’album, l’artiste qui n’est autre que l’illustrateur Roberto Innocenti échafaude des
hypothèses et peu à peu invente un récit mêlant des personnages de contes et de romans
jeunesses : la petite sirène, Huckleberry Finn de Mark Twain, l’île au trésor de
Stevenson, le petit Prince de Saint-Exupéry, etc.
Si le précédent est principalement basé sur le narrateur verbal, L’arbre rouge de
Shaun Tan31 est un album qui repose majoritairement sur le narrateur visuel, les images
en pleine page sont ponctuées de quelques phrases énigmatiques, la profondeur de
l’histoire et de l’abyssale dépression du personnage sont visibles à travers ses visions du
monde. Cet album repose sur des illustrations riches et complexes qui rappellent des
peintures surréalistes de par cette évocation constante de l’intériorité et du monde des
rêves, elles montrent poétiquement chaque élément du monde adulte, dans ses
faiblesses, ses fêlures et dans sa recherche d’un bonheur… qui semble pour l’auteur ne
se trouver qu’en soi, en « sa maison » au moment où s’y attend le moins.
Un dernier album semble quant à lui aborder la thématique de l’envolée
imaginaire et de l’échappée du quotidien : L’heure bleue de Massimo Scotti et Antonio
Marinoni32 évoque le mécanisme de la lecture, l’invocation de l’absent grâce à la lecture
et à l’imagination. Dès qu’il ouvre le journal d’Hortense, il se retrouve projeté dans
l’univers de la jeune femme et son quotidien en est profondément transformé.
Ainsi les créateurs évoque le livre en tant que diégèse33, l’homme ne pense pas
seulement à Hortense en tant que personne qui fut incarnée mais en tant que ce qu’elle
représente en matière d’art, de culture, d’époque, ce qui se matérialise dans l’album par
l’utilisation de gravure d’époque dans l’illustration. Ce journal devient une clé qui
permet à cet homme perdu dans son morne quotidien d’ouvrir de nombreuses portes.
Cet album est ainsi la mise en images de ce qui peut se produire lors d’une lecture
passionnée et passionnante : le lecteur crée des images mentales qui vont prendre place
dans un lieu réel et ainsi faire revivre l’espace d’un instant un personnage. L’œuvre
obtient une forme d’ubiquité, là où quelqu’un l’invoque par la lecture, dialogue avec
elle, elle se met à exister et à remplir le lieu où se trouve le lecteur qui voyage dès lors
entre deux mondes.
31 TAN, Shaun, L’arbre rouge, Paris, Gallimard Jeunesse, 201032 SCOTTI, Massimo et MARINONI, Antonio, L’heure bleue, Paris, Editions Naïve, 200933 Nous considérons ici le mot diégèse comme l’univers entourant la narration.
II. L’INTERTEXTUALITÉ
L’intertextualité fait donc partie intégrante du double lectorat, elle correspond
précisément à la 4ème catégorie de Sandra Beckett. L’intertextualité est ainsi une pratique
ancienne, apparue dès la création des codex du Moyen Age mais elle n’a été théorisée
que dans les années septante. Si la notion d’intertextualité est désormais admise parmi
les chercheurs34, il n’en reste pas moins qu’il persiste des divergences quant à sa
définition. La plus couramment admise est : « L’intertextualité est l’ensemble des relations qu’un
texte entretient avec un ou d’autre(s) texte(s) »35.
Dans les années septante, Julie Kristeva donne la définition
suivante : « L’intertextualité est la transposition d’un ou plusieurs systèmes de signe en un autre »36. La
relation est décrite comme polysémiotique, ce qui me permet d’inclure les hypotextes
potentiels artistiques comme peintures, sculptures ou musiques, de même que de
l’intericonicité pour parler d’intertexte visuel. Pour Michael Riffaterre, l’intertexte
existe dès lors que le lecteur perçoit un rapport entre une œuvre et d’autres qui l’ont
précédées ou suivies. Dix ans plus tard, Gérard Genette37 forge le terme transtextualité
ou transcendance textuelle qui va dès lors « englober tout ce qui met le texte en relation
manifeste ou secrète avec d’autres textes». Il distingue cinq relations possibles :
- L’intertextualité : « Relation de co-présence entre deux ou plusieurs textes (…), la présence
d’un texte dans un autre » Ce qui inclut la citation (un emprunt littéral et explicite), l’allusion (un
emprunt non littéral et non explicite), la référence (un emprunt non littéral et explicite) et le
plagiat (emprunt littéral et non explicite).
- La paratextualité : « Relation que le texte entretient, dans l'ensemble formé par une œuvre
littéraire, avec son paratexte : titre, sous-titre, intertitres; préfaces, postfaces, avertissements,
avant-propos, etc., notes marginales, infrapaginales ».
- La métatextualité : « Relation, dite “de commentaire”, qui unit un texte à un autre texte dont
il parle, sans nécessairement le citer ».
- L'architextualité : « Ensemble des catégories générales, ou transcendantes — types de
discours, modes d'énonciation, genres littéraires, etc. — dont relève chaque texte singulier ».
34 PIEGAY-GROS, N., Introduction à l’intertextualité, Paris, Dunod, 199635 BERGEZ, D., et al, Vocabulaire de l’analyse littéraire, Paris, Nathan Université, 200136 KRISTEVA, J., Sémiôtikè, pour une sémanalyse, Paris, Editions du Seuil, 196937 GENETTE, G., Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Le Seuil, 1982
- L'hypertextualité : « Relation unissant un texte B (hypertexte) à un texte antérieur A
(hypotexte) sur lequel il se greffe d'une manière qui n'est pas celle du commentaire. » Cela se
manifeste par une transformation simple ou par une imitation de l’hypotexte. On
peut notamment identifier cette relation dans : La parodie (transformation d’une
œuvre antérieure pour en obtenir des effets comiques). Le pastiche (imitation
d’une œuvre, conçue à la manière d’un exercice de style, c’est-à-dire une
imitation d’un auteur et de sa manière).
A. L’intertextualité enfantine
Quand on parle d’intertextualité, on désigne généralement les références faites à
la culture « adulte », mais il existe également une intertextualité propre au folklore de
l’enfance. Elle comporte des références au monde spécifique de la littérature
d’enfances, à ses grands auteurs et à ses livres fétiches. Mais également au monde du
jeu, des comptines, des « nursery rhymes » et des chansons qui égaillent les petits.
Certains albums sont d’ailleurs basés explicitement sur celles-ci.
Il y a aussi une forte intratextualité au sein de l’œuvre de certains auteurs, ce qui
offre la possibilité aux enfants de maitriser des références à leur niveau et de jouer à la
recherche des allusions sans que leurs parents n’interférent.
Cette intertextualité enfantine étant aussi complexe que l’intertextualité
transartistique, nous ne la développerons pas spécifiquement dans ce travail.
B. L’intertextualité dans l’album
L’intertextualité est donc en résumé la présence d’une œuvre dans une autre.
Dans l’album, à la manière des instances narratives, l’intertextualité se dédouble. Elle
devient textuelle et iconique. La plupart des théories ci-dessus ne font références qu’à
l’intertexte littéraire. L’adaptation tel quel à l’album et à l’iconotexte est fastidieuse car
autant il est possible d’identifier les différences entre allusion, référence, citation et
plagiat dans une œuvre littéraire ; autant visuellement, on ne peut les distinguer de
manière aussi nette : quelles seraient les différences objectives visuellement parlant
entre une citation, une allusion, une référence et un plagiat ? En outre, l’allusion à l’art
est, dans l’album, souvent détournée à des fins humoristiques et peut, dans certains cas,
se confondre à la catégorie de l’hypertexte. La théorie littéraire de Gérard Genette n’est
donc pas aisément adaptable à l’image et surtout cette conversion ne semble pas
pertinente.
Contrairement à celle Julia Kristeva38 qui comme nous l’avons mentionné plus
haut, nous permet une plus grande latitude : les albums peuvent nouer des relations
d’intertexte et/ou d’hypertexte avec les œuvres antérieures (les « hypotextes »).
1. L’évolution de la pratique de l’intertextualité entre 1970 et 2010
Au sein des albums, l’intertextualité devient majoritairement visuelle, elle est
ainsi nommée intericonicité par les chercheurs. Ce qui signifie, selon la théorie de
Kristeva que nous pourrions utiliser le terme d’intertextualité pour toutes les relations
possibles d’une œuvre avec une autre, quelque soit son format ou son support.
Au fil de notre recherche, nous avons pris connaissance de la théorie de la
transmédiation défendue par Mathieu Letourneux. Il nous est apparu que
l’intertextualité du XXIème siècle est en pleine mutation et qu’elle n’a jamais été aussi
prolifique et variée. Pour la définir, Mathieu Letourneux utilise les termes
d’intertextualité transartistique, une formulation qui convient parfaitement à ce sujet,
puisque nous nous sommes attachés à mettre en avant les intertextes issus de l’histoire
de l’art. Cette intertextualité du nouveau millénaire est également transmédiatique, elle
n’est plus seulement une caractéristique dominante du double lectorat mais également
de la transmédiation, comme nous avons pu le voir dans le point dédié à ce propos.
a. L’intertexte transartistique du XXème siècle
Dans l’album du XXème siècle, l’intertextualité est avant tout transartistique :
la démarche des auteurs est perceptible dans les entretiens ou dans les analyses de
plusieurs chercheurs. Les auteurs qui recourent à l’intertextualité et ce de manière
régulière et réfléchie se placent dans un rôle de passeur de mémoire, ils deviennent un
maillon entre les différentes générations. Ils souhaitent transmettre la culture et rendre
hommage aux grands hommes et artistes qui les ont précédés et qui les ont inspirés dans
leur enfance. Les nombreux albums officiellement ou officieusement autobiographiques
des auteurs permettent de se faire une idée de la manière dont l’homme se construit par
38 KRISTEVA, Julia, Séméiôtiké, Paris, Editions du Seuil, 1969
rapport à ses différents héritages culturels et artistiques39. Ce qui en ressort, c’est que les
héritages qui font un homme sont construit autant sur de l’imaginaire que sur la réalité.
b. Double lectorat et intertexte au XXIème siècle : la dissolution
Au XXIème siècle, l’intertexte est toujours transartistique et la démarche des
auteurs et illustrateurs est relativement semblable, ce qui change, c’est l’apport de la
transmédiation à l’album. Les auteurs ne placent plus seulement leur œuvre dans une
filiation artistique et culturelle, ils la contextualisent par rapport à la culture globale
émergente de masse dont nous avons parlé dans le chapitre de la transmédiation. Elle
n’est en rien comparable à l’intertextualité enfantine étant donné que cette nouvelle
intertextualité transmédiatique s’adresse à tous les âges, de part notamment une
infantilisation globale des thématiques privilégiées par la culture de masse.
Une certaine partie des auteurs continuent dans la même veine que ses illustres
prédécesseurs : ils réalisent des albums pour enfants ayant la capacité d’intéresser
également l’adulte et cela grâce aux mêmes éléments décrits au chapitre précédent.
C’est le cas notamment des albums de Max Ducos40 qui s’adresse spécifiquement à
l’enfance, tout en regorgeant d’intertextes transartistiques et transmédiatiques, offrant
ainsi un jeu d’allusions subtils aux parents et à leurs enfants.
Dans les années 2000 apparaissent également des albums « pour tous » et
comme le signale Mathieux Letourneux : une partie des créateurs d’albums tend à nier,
d’une certaine manière, les particularités de son lectorat enfantin et ne s’adresse plus
seulement à l’adulte en tant que médiateur de l’histoire mais en tant que lecteur
privilégié. Ces albums séduisant aussi bien les enfants que les adultes sont de plus en
plus fréquent : l’album de jeunesse devient un bel objet, un recueil d’images à rêves qui
joue sur l’aspect nostalgique et régressif de son support pour séduire l’adulte avide de
beauté et d’envolée imaginaire.
Le nombre important d’auteurs et illustrateurs réalisant des albums de double
lectorat à l’heure actuelle tend à confirmer la vivacité de cette pratique : Rebecca
Dautremer et Benjamin Lacombe pour ne citer qu’eux font la une des reposoirs des
librairies. Ces nouveaux auteurs / illustrateurs sont devenu de véritable star dans leur
domaine, avec leurs fans et leurs collectionneurs attitrés. Ils exposent leurs 39 L’enfance de l’art d’Elzebietha et L’Auberge de Nulle Part de Roberto Innocenti et J. Patrick Lewis pour ne citer qu’eux. 40 La trilogie de Max Ducos en matière d’art : Jeu de piste à Volubilis (art contemporain et architecture), L’ange disparu (Musée et histoire de l’art générale), Vert Secret (L’art des jardins).
« illustrations » hors contexte de l’album dans des galeries d’art41 accompagnées de
sculptures et de poupées à l’effigie de ces mêmes œuvres42. Ces amateurs, généralement
des adultes attendent avidement la sortie de chaque album en librairie. Bon gré mal gré,
ces albums ont franchit la limite entre la littérature de l’enfance et l’objet d’art de
l’adulte (ces albums peuvent être qualifié d’artbook).
Comme nous l’avions vu dans le chapitre sur la transmédiation, le marché de la
nostalgie est en pleine expansion ces dernières années et cet engouement pour les
albums de jeunesse de la part des adultes en est la preuve : ils n’achètent plus ces
albums pour un enfant mais pour eux-mêmes, ils n’ont plus besoin d’un prétexte.
Certains de ces albums qu’on pourrait maintenant qualifier d’artbooks
continuent d’être rangés (à tort) dans les rayons de l’enfance étant donné que ce format
de livre d’images reste profondément associé à l’enfant. Une consultation rapide aurait
pourtant mis en évidence qu’au delà d’un graphisme proche des livres d’enfant, ces
albums ne s’adressent pas à ces jeunes lecteurs. C’est le cas de l’album de Nicoletta
Ceccoli et ses Beautiful Nightmares, retrouvé personnellement dans le rayon pour
enfants d’une librairie alors que les thématiques sont souvent malsaines voir obscènes
malgré la beauté évidente des illustrations aux ravissantes petites filles de porcelaine ;
En matière de double lectorat, le traitement des sujets de cet album rappellent
clairement la thématique carnavalesque et l’illustratrice fait également de nombreuses
références à l’iconographie médiévale sacrée.
En conclusion, en ce début 2012, on trouve deux types d’albums à intertextes
transartistiques dans les librairies, ceux qui sont encore réalisés pour les enfants en tant
que lecteur privilégié, ceux-ci correspondent parfaitement aux théories du sujet vue
précédemment.
D’autres s’adressent à un public non défini, composé d’enfants et d’adultes
indifféremment, ouvrant la porte à un marché de la nostalgie et de la mélancolie de
l’enfance. Cette nouvelle attirance pour l’album va bien au delà du double lectorat et
n’est sans doute pas étrangère à ces quelques mots de la galerie L’art de rien lors d’une
précédente exposition de 2009 : « Mélancolie des vieux albums d’images, des vieux albums de
photos de famille. Mélancolie, nostalgie d’un monde moins aseptisé, où la beauté n’est pas synonyme de
perfection […] Mélancolie d’un temps révolu, mélancolie de l’enfance perdue, mélancolie d’un univers
41 Parmi les galeries d’art s’étant spécialisées dans les expositions d’illustrations et de bande-dessinées : la galerie de Daniel Maghen (http://www.danielmaghen.com), la galerie « L’art de rien » (http://www.art-de-rien.com/) et la galerie de Jeanne Robillard (http://www.jeannerobillard.com/). 42 Vernissage de l’exposition Memories de Benjamin Lacombe (en ligne), Blog de Benjamin Lacombe, 2011, [réf. du 28 mars 2012] disponible sur http://benjaminlacombe.hautetfort.com/archive/2012/01/04/memories-part-ii.html
merveilleux, de l’univers des contes qu’ils soient de Grimm ou de Perrault. Mais les contes ne sont pas
toujours des contes pour enfants, Univers merveilleux et pourtant monstrueux que celui où les enfants
sont dévorés par des ogres comme ils le furent et le sont encore à travers le monde par des machines 43».
2. Les incarnations de l’intertexte transartistique
Nous avons pu consulter une trentaine d’albums contenant de l’intertextualité
transartistique, nous avons ainsi pu mettre en avant quelques constantes dans la mise en
avant de l’histoire de l’art et de la culture en générale dans l’album de jeunesse.
euvent présenter les œuvres d’art de différentes manières. Ils vont fourmiller de
nombreuses allusions, références, citations. Les illustrations peuvent également parodier
ou pasticher un hypotexte visuel. L’album peut également s’inspirer d’une œuvre d’art,
de la vie d’un artiste pour créer quelque chose de nouveau.
1. Intertextualité transartistique : les précurseurs du XXème siècle
Nous avons choisi quelques uns des auteurs les plus étudiés du XXème siècle.
Ils ont été parmi les premiers à créer des œuvres de double lectorat, l’intertextualité fait
partie intégrante de leur univers. Ils ont fait rêver des générations d’enfants et ils font
partie de ces auteurs dont les livres continuent à être édités plusieurs décennies après
leur première sortie en librairie - ce qui somme toute, dans l’étourdissante production
actuelle est une véritable gageure. Ces livres ont traversés des époques bien différentes
et pourtant, ils arrivent encore à charmer les enfants d’aujourd’hui.
Il s’agit ici d’une présentation rapide de l’auteur et de son œuvre ainsi que d’un
album que nous avons jugé particulièrement représentatif de notre propos.
1. Mitsumasa Anno
43 Melancholia (en ligne), Galerie L’art de rien, 2009, [réf. du 29 janvier 2010] disponible sur http://www.art-de-rien.com/
Cet auteur et illustrateur japonais est né le 20 mars 1926. Une partie de son
œuvre fourmille d’intertextes transartistiques voir transmédiatiques. Fasciné par
l’Europe, il a fait plusieurs voyages, c’est à partir de ceux-ci qu’il a conçu ses différents
albums. Ces albums sans texte retracent le voyage d’un personnage bien souvent à
cheval à travers différents pays d’Europe… et ensuite du monde.
L’auteur semble faire la jonction entre sa culture et le monde occidentale.
Le format ainsi que les conventions visuelles rappelle fortement les emakimono, ces
rouleaux japonais apparu au XIIème siècle et associant textes et images. L’album sans
texte est présenté sous un format carré, ce qui permet à l’auteur d’utiliser la double-page
pour figurer ses grands panoramas de paysages que le héro traverse. Les paysages
donnent l’impression de se dérouler en continu, à l’image de la route que le voyageur
suit, ce qui rappelle une fois encore le rouleau japonais. Parmi d’autres conventions
visuelles de l’emakimono, on trouve la vue en contre-plongée, l’utilisation de
compositions dynamiques basées sur des lignes obliques ainsi que les nombreux hors
champs : les éléments du paysage débordent, évoquant une continuité en dehors de
l’album.
Dans ses albums, Anno a voulu donner l’impression du voyageur qui découvrent
pour la première fois les paysages et la culture d’un pays, juxtaposant de nombreux
éléments culturels d’époques diverses, qui lui apparaissent simultanément. Il ne fait pas
la distinction entre l’architecture, la peinture, les contes, le cinéma, la musique et
l’histoire villageoise d’une vieille Europe avec ses métiers, ses travaux, ses us et
coutumes, ses jeux d’enfants… Tout cela se mélange sous les yeux du lecteur dans des
décors extrêmement fouillés et détaillés. Ces albums appellent à la promenade
contemplative et à la découverte visuelle. Il faut prendre le temps et regarder, observer,
affiner son regard pour trouver de nouveaux détails.
Parmi ces ouvrages, le plus connu est Ce jour là44… paru en 1977, il s’agit d’une
ballade au cœur d’une Europe ancienne et disparue, mélange de France, d’Allemagne,
de Belgique… Ni tout à fait un pays, ni tout à fait l’autre. On retrouve aussi bien des
références à des peintures connues telles que l’Angelus de Millet, de nombreuses
œuvres de Bruegel, Un dimanche à la grande Jatte de Seurat, etc. ; des contes avec le
chat botté, les animaux de Brême, le petit chaperon rouge ; de la littérature avec Don
Quichote, Pinocchio, …
44 ANNO, Mitsumasa, Ce jour là …, L’école des loisirs, Paris, 1978
Il a réalisé plusieurs dizaines d’albums, de nombreux pays sont représentés :
l’Angleterre, les Etats Unis, la Chine, l’Espagne, l’Italie, le Danemark… Il n’a pas
réalisé que des albums de ce type mais ceux-ci sont particulièrement représentatifs de
son œuvre.
2. Maurice Sendak
Né en 1928, à New York dans le quartier populaire de Brooklyn, il est le
benjamin d'une famille de trois enfants. A l'âge de neuf ans il commence à créer et à
illustrer des livres pour enfants avec l’aide de son frère Jack. Sa carrière professionnelle
débute en 1951, il publiera plus de soixante ouvrages par la suite.
L’œuvre de Maurice Sendak a été mainte fois étudiée, elle fait partie de ces
œuvres polymorphes d’une richesse incroyable tant par la variété des thèmes exploités
que par la mise en œuvre de ceux-ci. Sendak fait partie de ces premiers auteurs qui ont
développé les relations iconotextuelles, ainsi dans ses albums rien n’est anodin ou
gratuit. En outre, ces livres regorgent de références culturelles et d’intertextes
transartistiques, c’est en cela qu’il fait partie des précurseurs de la pratique d’une
intertextualité riche et multimédiatique.
L’Angleterre, son art, sa culture, son humour nonsense sont très présents dans
les albums : l’influence du préraphaélisme est visible dans plusieurs albums avec des
allusions aux peintres Arthur Hughes et John Everett Millais dans l’album The Light
Princess. Le mouvement Art & Craft est également représenté dans ses motifs, son
interprétation de la nature et par l’œuvre de Walter Crane dans dans Sarah’s Room.
Sendak s’inspire également des illustrations de Randolph Caldecott, George MacDonald
ou de William Blake45. Dans certaines scènes torturées de l’album Outside over there on
peut reconnaître l’inspiration du romantisme allemand avec les œuvres de Caspar David
Friedrich ou Ludwig Adrian Richte. Les opéras de Wolfgang Amadeus Mozart font
également partie de la diégèse des albums de l’auteur et plus particulièrement, La flute
enchantée dans Outside over there. Dans The Night Kitchen, on peut trouver des
références au monde de la publicité et de l’art contemporain avec Andy Warhol ou à la
bande dessinée avec un hommage à Little Nemo in Slumberland de Winsor McCay.
45 DEFOURNY, Michel, Aux sources de l’art de Maurice Sendak dans Maurice Sendak et ses Maximonstres [en ligne], L’école des lettres n°3, 2010 [réf. du 8 mars 2012] disponible sur http://www.ecoledeslettres.fr/
Nous avons choisi d’analyser l’album Quand papa était loin en détail dans une
de nos analyses, il ne se trouve donc pas dans cette partie.
3. Anthony Browne
Anthony Browne est né en 1946 à Sheffield dans le nord de l’Angleterre. Il
étudie les arts graphiques au College of Arts de Leeds. Le fait qu’il a travaillé en tant
que dessinateur médical explique les dessins précis et réalistes de ses albums.
Les plus réussis sont ceux représentants des animaux ou des visages en gros
plan. Ses dessins sont remplis de petits détails que l’on ne remarque pas à la première
lecture. Il change, transforme, détourne tout ce qu’il peut : un interrupteur qui sourit, un
bouton à tête de cochon, des gorilles cachés entre les livres…Les dessins que l’on
retrouve le plus dans son œuvre sont les bananes et les gorilles, ils sont partout, même
dans ALICE AU PAYS DES MERVEILLES. En général, ses dessins présentent
beaucoup de trouvailles graphiques, de clins d’œil humoristiques, et de la tendresse, tout
ce qu’il veut exprimer passe par le dessin.
Nombre de ses dessins font référence aux œuvres d’art : la chambre de Van
Gogh dans Tout change, Magritte dans Alice…, La Joconde dans Une histoire à quatre
voix. Son dernier album présente les tableaux de quelques grands peintres, investis par
les gorilles. Browne fait aussi référence aux contes : dans Un conte de Petit Ours, au
fond entre les arbres, on aperçoit ici et là, la maison en bonbons de HANSEL ET
GRETEL, le Chaperon rouge, les trois petits cochons, le soulier de verre de
CENDRILLON, LE CHAT BOTTÉ, la pomme empoisonnée de Blanche-Neige.
4. Claude Ponti
Claude Ponti est né le 22 novembre 1948 à Lunéville en Lorraine, d'un père
chrono-analyseur et d'une mère institutrice. Il passe le bac en 1967. Il fréquente alors
l'École des Beaux-Arts d'Aix-en-Provence, puis suit des études de lettres et
d'archéologie à Strasbourg. Il devient ensuite dessinateur de presse à l'Express, de 1968
à 1984. Peintre, il expose ses dessins à Paris de 1972 à 1978. Il donne de nombreuses
illustrations pour les éditeurs et la presse enfantine. Au début des années 1980, il est
aussi directeur artistique à l'Imagerie d'Épinal.
C'est à la naissance de sa fille Adèle, en, 1985 que se déclenche en lui sa
vocation de créer des albums de littérature jeunesse. Ses premiers travaux sont
directement destinés à sa fille Adèle.
5. Béatrice Poncelet
Béatrice Poncelet est née en 1944 à Neuchâtel. Elle étudie aux Arts décoratifs et
obtient une bourse de la ville de Genève pour se former en gravure. Elle travaille ensuite
en Italie, à Londres et à Paris. Entre 1968 et 1972, elle fait de nombreuses expositions,
puis devient professeur de dessin en Suisse. Entre 1973 et 1977, elle est professeur de
cinéma d'animation à l'Institut national d'audio-visuel à Paris.
A partir de la fin des années 1970, elle dirige un atelier d'expression graphique
pour enfants et adolescents en Seine et marne. Béatrice Poncelet a obtenu de
nombreuses récompenses pour ses ouvrages.
III. TRANSMISSION ET LITTÉRATURE DE JEUNESSE
1. Transmettre valeurs et culture
2. Instruire et distraire
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