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Dimanche XVI du Temps Ordinaire -‐ Année A hj
À l’écoute de la Parole
Une nouvelle parabole pour ce dimanche : celle de l’ivraie mêlée au bon grain (Mt 13). Jésus nous y explique la présence du mal dans le monde, dans l’histoire, dans l’Église… en attendant le Jugement final. Il dépasse ainsi les réflexions déjà profondes du livre de la Sagesse de Salomon (Sg 12, première lecture) : le Seigneur se comporte avec modération et justice vis-‐à-‐vis de tous les peuples de la terre.
Voir l’explication détaillée
Méditation : du mal individuel à la Rédemption universelle et à la conversion
Le mal dans notre cœur pourrait nous décourager ; le mal dans l’Église nous scandalise ; le mal dans le monde semble invincible… Jésus ne rejette pas ces constatations lucides, mais Il les inscrit dans une perspective plus ample : entre la patience divine envers ce temps, et le jugement qui viendra à la fin. Nous demanderons à saint Jean-‐Paul II de nous éclairer sur ce chemin, lui qui a vécu personnel-‐lement l’irruption inouïe du mal en Europe, et a proposé en retour la dévotion à la divine Miséri-‐corde.
Voir la meditation complète
Bonne lecture, bonne prière ! P. Nicolas Bossu LC
Pour aller plus loin
On pourra redécouvrir les intuitions géniales de saint Augustin en lisant un de ses sermons sur la Sa-‐maritaine. L’abbaye bénédictine de Saint Benoît de Port Valais nous ouvre sa bibliothèque (www.abbaye-‐saint-‐benoit.ch/bibliotheque.htm), et cela nous offre l’occasion de remercier les moines pour tout leur travail de mise en ligne de ces textes de notre patrimoine chrétien. Nous y trouvons ces réflexions de l’évêque d’Hippone :
« C'est donc à la sixième heure que Notre-‐Seigneur vint au puits. Ce puits me représente une téné-‐breuse profondeur et j'y vois la partie inférieure de ce monde, c'est-‐à-‐dire la terre où le Seigneur Jésus est venu à la sixième heure, c’est-‐à-‐dire au sixième âge du genre humain, celui du vieil homme dont on nous ordonne de nous dépouiller, afin de revêtir le nouveau qui a été créé selon Dieu. »
http://www.abbaye-‐saint-‐benoit.ch/saints/augustin/comecr2/83questions.htm#_Toc38269337
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À l’écoute de la Parole
Lorsque l’homme croyant s’aventure à contempler l’histoire humaine, bien des perplexités peuvent surgir : la présence du mal qui paraît tout contaminer, tant d’événements qui ne semblent pas avoir de relation avec l’histoire du Salut, et le Peuple de Dieu dont le rôle est toujours à redécouvrir… Les lectures de ce dimanche viennent répondre à ces interrogations. L’auteur de la Sagesse de Salomon réfléchit sur l’histoire d’Israël, pour y découvrir la grandeur du Seigneur et le louer (Sg 12). Jésus nous offre la parabole du bon grain et de l’ivraie (Mt 13), pour expliquer la présence simultanée du bien et du mal dans l’histoire, qui n’échappe pas pour autant à la Providence divine. Si nous entrons dans cette profonde vision de foi, notre âme reprendra le chant de louange du Psaume : « Tu es grand et tu fais des merveilles, toi, Dieu, le seul » (Ps 86,10).
Quelques décennies avant l’avènement du christianisme, un auteur de grande formation humaniste, pétri de culture grecque, mais aussi habité par une profonde foi juive, écrit le livre de la Sagesse de Salomon. À partir du chapitre 10, il contemple toute l’histoire du Peuple de Dieu et en tire d’admirables leçons spirituelles et théologiques. Il constate que le Seigneur ménage son propre peuple – « tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement » et remarque qu’il s’est aussi com-‐porté avec une certaine modération vis-‐à-‐vis de ses ennemis, les Égyptiens et les Cananéens : que ce soit au moment de la sortie d’Égypte ou lors de l’entrée en Terre promise, Dieu aurait pu anéantir totalement ces peuples. Conclusion : « ta domination sur toute chose te rend patient envers toute chose ». Selon ce Juif fervent, ils méritaient un tel châtiment ; mais Dieu a agi autrement, comme le montre cette description haute en couleurs, qui précède immédiatement le passage lu aujourd’hui :
« Les anciens habitants de ta terre sainte, tu les avais pris en haine pour leurs détestables pratiques, actes de sorcellerie, rites impies […] Ces parents meurtriers d'êtres sans défense, tu avais voulu les faire périr par les mains de nos pères, pour que cette terre, qui de toutes t'est la plus chère, reçût une digne colonie d'enfants de Dieu. Eh bien ! même ceux-‐là, parce que c'étaient des hommes, tu les as ménagés […] ; en exerçant tes jugements peu à peu, tu laissais place au repentir. » (Sg 12,3-‐10)
Lorsqu’Israël avait conquis la Palestine, comme le décrit le livre de Josué, ces peuples étaient voués à l’anathème (cf. Ex 23), mais l’extermination n’avait pas été totale… Le livre de la Sagesse de Salomon réfléchit sur ce fait et en tire un enseignement nouveau, qui marque une progression théologique par rapport au Pentateuque : le Seigneur a aussi pitié des peuples païens, malgré toutes leurs dé-‐viances. D’où la leçon du passage : « Par ton exemple, tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être humain » (Sg 12,19). C’est une autre version de la règle d’or de ne pas faire à autrui ce que l’on redoute pour soi-‐même…
Dieu a surtout manifesté son indulgence, tant envers Israël en lui pardonnant ses transgressions, que vis-‐à-‐vis des païens qu’Il a « tolérés » pour leur révéler sa grandeur. Un verset tire toute l’enseignement de cette pédagogie divine : « Ainsi, tu nous instruis, quand tu châties nos ennemis avec mesure, pour que nous songions à ta bonté quand nous jugeons, et, quand nous sommes jugés, nous comptions sur la miséricorde » (Sg 12,22). Justice et miséricorde se complètent dans le Cœur de Dieu, qui est au-‐delà de nos catégories étroitement humaines…
Le psalmiste a lui aussi appris à connaître le Seigneur, et en tire tout le fruit spirituel nécessaire pour sa situation de détresse (Ps 86). Il répète les attributs divins que le Seigneur a lui-‐même manifestés dans l’histoire, et qui lui donnent l’espoir d’être écouté : « Toi qui es bon et qui pardonnes, plein d’amour pour tous ceux qui t’appellent… » (v.5) Sa prière nous rappelle la révélation faite à Moïse sur le Sinaï, dont il reprend littéralement les expressions : « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d’amour et de vérité ! » (Ex 34,6). Faire mémoire de tout cela dans la prière permet autant de grandir dans la confiance que de « provoquer » la miséricorde effective du Seigneur. Enfin, le psal-‐
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miste étend son regard au monde entier, comme dans le livre de la Sagesse, pour espérer la conver-‐sion de tous les peuples : « Toutes les nations, que tu as faites, viendront se prosterner devant Toi » (v.9).
Cette même espérance habitait les apôtres lorsqu’ils entouraient le Christ pendant sa vie publique ; elle habite aussi l’Église dans son chemin à travers les siècles : Il est le Maître de l’histoire, le monde va donc se convertir, le mal va enfin disparaître… Mais l’histoire réelle paraît bien rebelle à ce des-‐sein, elle frustre constamment, par sa violence et sa résistance, nos attentes de disciples. C’est pour-‐quoi Jésus nous offre la parabole de l’ivraie semée au milieu du blé (Mt 13), qui approfondit ce que le livre de la Sagesse avait déjà perçu de la bonté et de la patience divines (première lecture).
Pourquoi cette parabole se situe-‐t-‐elle au milieu du chapitre 13 de Matthieu ? L’évangéliste a re-‐groupé dans ce chapitre les principales paraboles qui expliquent aux disciples le mystère du Royaume, cette réalité si déconcertante parce qu’elle ne fonctionne pas comme un royaume humain, visible et violent ; mais ce n’est pas non plus un royaume désincarné et purement spirituel : les para-‐boles se réfèrent à des personnes et des situations très concrètes, qui constituent la vie des com-‐munautés chrétiennes, comme celle où Matthieu vivait. Logiquement, Jésus a commencé par l’appel à ce Royaume, au moyen de la Parole qui est proclamée, c’est-‐à-‐dire « jetée » dans les âmes comme une semence (le semeur est sorti pour semer, la semaine dernière). Il terminera par la pers-‐pective du jugement final (la séparation des poissons, la semaine prochaine). Entre ces deux « mo-‐ments » se déroule l’histoire de l’Église, avec deux aspects : la croissance lente mais certaine du Royaume (la graine de moutarde et le levain dans la pâte), et la coexistence des méchants avec les bons (l’ivraie mêlée au blé).
Le sens de ces paraboles est assez clair, grâce surtout à la clef de lecture que Jésus lui-‐même offre à ses disciples perplexes (vv.36-‐43) ; nous y reviendrons dans la méditation. Mais notons que ces para-‐boles peuvent s’appliquer à trois niveaux différents : le chrétien individuel, la communauté chré-‐tienne et le monde entier.
La première perspective vient corriger la parabole précédente du semeur, qui pourrait laisser en-‐tendre à des disciples enthousiastes qu’ils sont le « bon terrain », sans nécessité de conversion. Or le mal cohabite avec le bien dans notre cœur, jusqu’à la fin, et c’est dans ce sens que le Catéchisme cite notre passage :
« Tandis que le Christ saint, innocent, sans tache, venu uniquement pour expier les péchés du peuple, n’a pas connu le péché, l’Église, elle, qui renferme des pécheurs dans son propre sein, est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvel-‐lement (LG 8). Tous les membres de l’Église, ses ministres y compris, doivent se reconnaître pécheurs (cf. 1 Jn 1, 8-‐10). En tous, l’ivraie du péché se trouve encore mêlée au bon grain de l’Évangile jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 13, 24-‐30). L’Église rassemble donc des pécheurs saisis par le salut du Christ mais toujours en voie de sanctification. »1
La deuxième perspective, communautaire, est la plus naturelle sous la plume de Matthieu : il écrit pour une communauté de judéo-‐chrétiens, qui pourrait s’étonner ou s’inquiéter de sa petite taille. La parabole du semeur expliquait pourquoi les hommes résistent au Royaume, celle de la graine de moutarde la complète en inscrivant ce Royaume dans le temps : sa croissance est irrésistible et bien-‐faisante, et un peu de levain suffit à faire lever toute la pâte. Alors qu’ils étaient rejetés des syna-‐gogues et immergés dans l’immense Empire romain, les auditeurs de Matthieu avaient besoin de cette explication… tout comme nos communautés modernes, que le Seigneur maintient dans de mo-‐destes proportions, alors qu’Il leur confie l’évangélisation du monde entier !
1 Catéchisme, nº827, http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P23.HTM
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Après vingt siècles de christianisme, nous pouvons saisir la grandeur de ces paraboles : le Christ a dé-‐crit par avance la vie de son Église au sein du monde, Il l’a contemplée dans sa croissance impres-‐sionnante, qu’accompagnent des difficultés sans nombre. À ceux que l’Église déçoit par les scan-‐dales de ses fils, le Christ propose la parabole de l’ivraie. Il faut certes désirer ou rêver d’une commu-‐nauté de chrétiens les plus purs et parfaits possible, et s’efforcer de réformer les structures et les mentalités, mais un simple regard sur l’histoire de l’Église vient vite tempérer nos attentes. La purifi-‐cation complète et définitive n’aura lieu qu’à la fin des temps… Patience, donc : le maître de la mois-‐son veille.
Aujourd’hui, nous pouvons constater que toutes les cultures de la planète sont touchées par le mes-‐sage du Christ. Elles ne sont certes pas encore vraiment converties ou évangélisées, mais elles ne lui sont déjà plus complètement étrangères, par la présence un peu partout des chrétiens comme un le-‐vain qui pénètre toute la pâte. Et cette rencontre entre le Christ et les cultures a déjà produit des fruits grandioses. Prenons l’exemple de l’Europe : les peuples barbares, ces oiseaux du ciel qui er-‐raient dans leurs croyances païennes, sont venus faire leurs nids dans les branches de l’Église, qui les a convertis et fécondés. Nos cathédrales en sont une illustration merveilleuse… ainsi que l’invention des écoles, des hôpitaux, et les progrès en matière de droits de l’homme, de droit international et de défense des plus faibles. Tout cela provient de l’humanisme chrétien. Nous voyons peu à peu ces ac-‐quis s’étendre au monde entier, même si de nouveaux défis naissent.
Immergés dans ce mystère de l’histoire, nous grandissons comme de bons épis de blé, dans la me-‐sure où la grâce se déploie dans notre vie et celle de nos communautés. D’où la prière collecte de ce dimanche :
« Sois favorable à tes fidèles, Seigneur, et multiplie les dons de ta grâce : entretiens en eux la foi, l’espérance et la charité, pour qu’ils soient attentifs à garder tes commandements. Par Jésus-‐Christ… »2
2 Collecte de la messe du jour.
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Méditation : du mal à la Rédemption universelle et à la conversion
La réalité dramatique de notre histoire collective est un perpétuel affrontement entre le bien et le mal. La parabole de « l’ivraie mêlée au bon grain » (Mt 13), que nous méditons ce dimanche, vient nous aider à pénétrer ce mystère. Nous pouvons le faire en compagnie de saint Jean-‐Paul II, qui a vécu de l’intérieur le déchaînement du mal en Europe : confronté au nazisme puis au communisme, il a découvert de profonds liens entre la Rédemption et le tragique de notre histoire, qu’il explique dans son livre-‐testament « Mémoire et Identité » . Dès le premier chapitre, il s’appuie sur la parabole du bon grain et de l’ivraie :
« Le XX e siècle a été, pour ainsi dire, le « théâtre » dans lequel sont entrés en scène des processus his-‐toriques déterminés et idéologiques, qui sont allés dans le sens d’une grande « éruption » du mal, mais cela a été aussi le cadre de leur dépassement. […] Le rappel de la parabole évangélique du bon grain et de l’ivraie vient immédiatement à l’esprit. […] Cette parabole peut être comprise comme clé de lecture de toute l’histoire de l’homme. Dans les diverses époques et avec des significations variées, le « blé » croît avec l’« ivraie », et l’« ivraie » avec le blé. L’histoire de l’humanité est le théâtre de la coexistence du bien et du mal. Cela veut dire que, si le mal existe à côté du bien, le bien persévère donc à côté du mal et croît, pour ainsi dire, sur le même terrain, qui est la nature humaine. »3
Mais le déchaînement des forces du mal est aussi visible dans l’Église elle-‐même, et cela peut pro-‐voquer en nous encore plus de douleur. Rappelons-‐nous le Via Crucis du vendredi saint 2005, au Coli-‐sée, lorsque saint Jean-‐Paul II serrait la Croix et que le cardinal Ratzinger, contemplant le Christ dans sa troisième chute, exprimait ainsi son indignation :
« Combien de fois abusons-‐nous du Saint-‐Sacrement de sa présence, dans quel cœur vide et mauvais entre-‐t-‐il souvent ! Combien de fois ne célébrons-‐nous que nous-‐mêmes, et ne prenons-‐nous même pas conscience de sa présence ! Combien de fois sa Parole est-‐elle déformée et galvaudée ! Quel manque de foi dans de très nombreuses théories, combien de paroles creuses ! Que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! Combien d’orgueil et d’autosuffisance ! Que de manques d’attention au sacrement de la réconcilia-‐tion, où le Christ nous attend pour nous relever de nos chutes ! »4
C’est à cette saine indignation que la parabole du Christ s’adresse. Il ne rappelle pas seulement que le jugement viendra – ce qui est déjà beaucoup – Il invite surtout à la patience et à l’espérance. De-‐vrions-‐nous alors « tolérer le mal » ? Le pape François nous aide à trouver la bonne posture dans cette situation délicate :
« L’attitude du propriétaire est celle de l’espérance fondée sur la certitude que le mal n’a ni le premier ni le dernier mot. Et c’est grâce à cette espérance patiente de Dieu que l’ivraie elle-‐même, c’est-‐à-‐dire le cœur méchant avec de nombreux péchés, peut, à la fin, devenir du bon grain. Mais attention : la patience évangélique n’est pas de l’indifférence à l’égard du mal ; on ne peut pas confondre le bien et le mal ! Face à l’ivraie présente dans le monde, le disciple du Seigneur est appelé à imiter la patience de Dieu, à nourrir l’espérance avec le soutien d’une confiance inébranlable dans la victoire finale du bien, c’est-‐à-‐dire de Dieu. »5
3 Jean-Paul II, Mémoire et identité (Flammarion), p. 13-14. 4 Cardinal Ratzinger, Chemin de Croix 2005, prière pour la neuvième station,
http://www.vatican.va/news_services/liturgy/2005/via_crucis/fr/station_09.html 5 Pape François, Angelus du 20 juillet 2014, https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/angelus/2014/documents/papa-
francesco_angelus_20140720.html. Il terminait par une belle interprétation christologique de la parabole : « À la fin, en effet, le mal sera enlevé et éliminé : au moment de
la moisson, c’est-à-dire du jugement, les moissonneurs exécuteront l’ordre du propriétaire séparant l’ivraie pour la brûler (cf. Mt 13, 30).
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Notre prière peut alors s’inspirer de celle du cardinal Ratzinger, lors du chemin de croix précédent. Son âme ne s’était pas arrêtée aux scandales de l’Église – qu’il connaissait de près – mais elle avait su s’élever à l’espérance théologale :
« Souvent, Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toute part. Et dans ton champ, nous voyons plus d’ivraie que de bon grain. Les vêtements et le visage si sales de ton Église nous effraient. Mais c’est nous-‐mêmes qui les salissons ! C’est nous-‐mêmes qui te trahissons chaque fois, après toutes nos belles paroles et nos beaux gestes. Prends pitié de ton Église : en elle aussi, Adam chute toujours de nouveau. Par notre chute, nous te traînons à terre, et Satan s’en réjouit, parce qu’il espère que tu ne pourras plus te relever de cette chute ; il espère que toi, ayant été entraîné dans la chute de ton Église, tu resteras à terre, vaincu. Mais toi, tu te relèveras. Tu t’es relevé, tu es ressuscité et tu peux aussi nous relever. Sauve ton Église et sanctifie-‐la. Sauve-‐nous tous et sanctifie-‐nous. »6
D’autre part, saint Jean-‐Paul II approfondissait sa réflexion sur l’histoire humaine en y introduisant la Rédemption : le Maître de la moisson ne se borne pas à contempler la croissance simultanée de l’ivraie et du bon grain, Il se fait lui-‐même grain de blé pour tomber en terre et mourir (cf. Jn 12,24). C’est un des aspects de la divine Miséricorde : « comme si le Christ avait voulu révéler que la limite imposée au mal, dont l’homme est l’auteur et la victime, est en définitive la Divine Miséricorde. »7 Nous pourrions considérer cette réflexion comme une « belle parole » sans plus de conséquences, ou un doux idéal spirituel sans conséquences pratiques ; il suffit d’en voir la description historique pour en saisir la portée :
« Il pourrait sembler que le mal des camps de concentration, des chambres à gaz, de la cruauté de certaines interventions policières, finalement de la guerre totale et des systèmes basés sur le désir de puissance – un mal qui, entre autres, effaçait de façon programmée la présence de la croix –, il pour-‐rait sembler, dis-‐je, que ce mal fût plus puissant que tout bien. Si toutefois nous regardons d’un œil plus pénétrant l’histoire des peuples et des nations qui ont traversé l’épreuve des systèmes totali-‐taires et des persécutions à cause de la foi, nous découvrirons que c’est précisément là que s’est révé-‐lée avec clarté la présence victorieuse de la croix du Christ. Et cette présence nous apparaîtra peut-‐être, sur ce fond dramatique, encore plus impressionnante. À ceux qui sont soumis à l’action pro-‐grammée du mal, il ne reste que le Christ et sa croix comme source d’autodéfense spirituelle, comme promesse de victoire. Le sacrifice de Maximilien Kolbe dans le camp d’extermination d’Auschwitz n’est-‐il pas un signe de la victoire sur le mal ? »8
Enfin, l’évangile de ce jour nous appelle à la conversion. En écoutant la parabole du « semeur sorti pour semer » de dimanche dernier (Mt 13), nous nous sommes peut-‐être demandé dans quel type de terrain se situait notre vie personnelle. Nous offrons des fruits au Seigneur, certes, mais l’étouffement des ronces est toujours possible, et nous oscillons perpétuellement entre les diffé-‐rentes possibilités décrites par Jésus…
Le mal est présent en nous, il le sera jusqu’à la fin, malgré nos efforts et l’action de la grâce : « le juste tombe sept fois et se relève, mais les méchants trébuchent dans l'adversité », dit le Sage (Pr 24,16). En regardant notre passé, nous pouvons faire le même constat que Baudelaire :
En ce jour de la moisson finale, le juge sera Jésus, Celui qui a semé le bon grain dans le monde et qui est devenu Lui-même le «grain de blé», est mort et est ressuscité. A la fin, nous serons tous jugés de la même manière que celle avec laquelle nous aurons jugé: la miséricorde dont nous aurons fait preuve envers les autres sera aussi utilisée pour nous. Demandons à la Vierge Marie, notre mère, de nous aider à grandir en patience, en espérance et en miséricorde à l’égard de tous nos frères. »
6 Cardinal Ratzinger, Chemin de Croix 2005, prière pour la neuvième station, http://www.vatican.va/news_services/liturgy/2005/via_crucis/fr/station_09.html
7 Jean-Paul II, Mémoire et identité (Flammarion), p. 71. 8 Idem, p. 33.
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Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils ; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.9
On sait quelles conséquences le poète a tirées pour sa vie personnelle, dans sa recherche des fleurs du mal ; pour notre part, nous préférons la lucidité du Concile Vatican II, qui décrit ainsi le mystère de notre humanité :
« Car l’homme, s’il regarde au-‐dedans de son cœur, se découvre enclin aussi au mal, submergé de multiples maux qui ne peuvent provenir de son Créateur, qui est bon. Refusant souvent de reconnaître Dieu comme son principe, l’homme a, par le fait même, brisé l’ordre qui l’orientait à sa fin dernière, et, en même temps, il a rompu toute harmonie, soit par rapport à lui-‐même, soit par rapport aux autres hommes et à toute la création. C’est donc en lui-‐même que l’homme est divisé. Voici que toute la vie des hommes, individuelle et collective, se manifeste comme une lutte, combien dramatique, entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres. »10
On connaît l’anecdote : interrogée par un journaliste sur ce qui n’allait pas dans l’Église, et par où commencer les réformes, Mère Teresa répondit : « mais par vous et moi, cher ami ! ».
L’homme a besoin de la miséricorde de Dieu : non pas pour se complaire dans son péché et sa fai-‐blesse, mais pour devenir meilleur. Le Seigneur sait que nous sommes faibles et prend patience mais, nous, que faisons-‐nous pour faire honneur à cet amour et pour arracher l’ivraie plantée dans notre cœur ? La miséricorde appelle la conversion et non la résignation.
Qu’en est-‐il de ces habitudes et tendances mauvaises que nous connaissons bien mais dont nous di-‐sons un peu vite : « je n’y peux rien, je suis comme ça… » ? Avons-‐nous le désir de changer pour que le monde, au moins tout près de nous, change ? Si je me convertis de mon égoïsme, de mon impure-‐té, de ma malveillance, de mon goût de l’argent et de toutes sortes d’idoles, le monde autour de moi changera aussi. En ai-‐je conscience ? Quelle décision puis-‐je prendre aujourd’hui en ce sens ?
Mal dans le monde, croissance du Royaume, conversion nécessaire : le Christ illumine ces mystères et surtout nous invite à la confiance. Nous pouvons l’écouter à travers les écrits de sainte Faustine :
« Sache, ma fille, qu’entre moi et toi, il y a l’abîme infini qui sépare le Créateur de la créature, mais ma miséricorde comble cet abîme. Je t’élève jusqu’à moi, non par besoin de toi, mais je te fais don de la grâce de l’union avec moi uniquement par miséricorde. Dis aux âmes qu’elles ne fassent pas obs-‐tacle en leur propre cœur à ma miséricorde, qui désire tant agir en elles. Ma miséricorde est à l’œuvre dans tous les cœurs qui lui ouvrent la porte ; le pécheur comme le juste ont besoin de ma miséricorde.
9 Charles Baudelaire, L’ennemi, dans Les fleurs du mal. Voici la suite du poème : Voilà que j'ai touché l'automne des idées, Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées, Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux. Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? O douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie, Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur Du sang que nous perdons croît et se fortifie! 10 Concile Vatican II, constitution Gaudium et Spes, nº13,
http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19651207_gaudium-et-spes_fr.html
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La conversion comme la persévérance est une grâce de ma miséricorde. Que les âmes qui tendent à la perfection adorent particulièrement ma miséricorde, car l’abondance des grâces que je leur accorde découle de ma miséricorde. Je désire que ces âmes se distinguent par une confiance illimitée en ma miséricorde. Je m’occupe moi-‐même de la sanctification de ces âmes, je leur procure tout ce qui peut être nécessaire à leur sainteté. Les grâces de ma miséricorde se puisent à l’aide d’un unique moyen – et c’est la confiance. Plus sa confiance est grande, plus l’âme reçoit. Les âmes d’une confiance sans borne me font une grande joie, car je verse en elles le trésor entier de mes grâces. Je me réjouis qu’elles demandent beaucoup, car mon désir est de donner beaucoup et de donner abondamment. Par contre, je m’attriste si les âmes demandent peu, si elles resserrent leur cœur. »11
11 Sainte Faustine (Héléna Kowalska), Petit Journal, disponible ici, nº1575-7.
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