l’afrique face au dÉveloppement et À la mondialisation · 3 i/ l’etat: un acteur...
Post on 18-Aug-2020
4 Views
Preview:
TRANSCRIPT
1
L’AFRIQUE FACE AU DÉVELOPPEMENT ET À LA MONDIALISATION
Introduction
I/ L’Etat : un acteur incontournable du développement de l’Afrique
handicapé par sa « malformation congénitale » (C. Bouquet).
A/ Les entraves au développement générées par la colonisation. 1/ Mosaïque d’Etats et multiplicité des frontières : des freins au développement actuel.
2/ Le mirage de l’Etat-nation : une notion mal adaptée aux nouveaux Etats indépendants.
B/ De l’Etat omnipotent à l’Etat déliquescent : Autoritarisme et crise de la dette. 1/ Une absence de démocratie : Partis uniques et gouvernements autoritaires.
2/ Economies de rente et coopérations : l’illusion d’un développement.
3/ La crise de la dette : Ouverture des marchés et faillite de l’Etat.
II/ Une Afrique « mal partie » (R. Dumont) :
1991-2001, une « décennie du chaos » en Afrique.
A/ Une balkanisation des Etats et de l’Afrique... 1/ Un processus démocratique inabouti.
2/ Balkanisation, « retour du refoulé » et déstructuration des Etats : des entraves au développement.
B/ … à l’origine d’un sous-développement. 1/ La famine : un marqueur de sous-développement utilisé comme une arme géopolitique.
2/ Des flux migratoires révélateurs d’un mal développement.
III/ Nouvel enjeu stratégique dans le cadre de la mondialisation,
« l’Afrique est-elle bien partie ? » (S. Brunel)
A/ Secrété par la mondialisation, l’Afrique abrite un « anti-monde » propice à son développement. 1/ Cultures illicites et criminalisation des échanges, comme sources de revenus.
2/ La contrefaçon, une source de revenu pour les citadins.
B/ Des potentialités touristiques à exploiter dans le cadre de la mondialisation. 1/ La nature spectacle en Afrique australe et orientale.
2/ En Afrique du Nord : le tourisme de masse, un agent de développement économique.
C/ La ville, pivot de la croissance de l’Afrique et des mutations des sociétés. 1/ Les aspects négatifs de la croissance urbaine.
2/ La mégapole, vitrine de la mondialisation en Afrique
D/ L’Afrique, un nouvel enjeu géostratégique. 1/ La Chine investit l’Afrique et investit en Afrique.
2/ L’Afrique, un espace géographique objet de nombreux investissements et théâtre de l’affrontement
économique entre les grandes puissances.
IV/ Typologie des Etats africains en fonction de leur intégration à la mondialisation et de leur
développement
A/ L’Afrique du Sud : puissance mondiale « émergente » et centre d’impulsion du continent africain.
B/ L’Afrique du Nord, le Nigeria et l’Afrique Orientale : puissances régionales et périphéries intégrées à
la mondialisation.
C/ Des périphéries annexées ou en marge de la mondialisation : les PMA (Pays les Moins avancés).
2
L’AFRIQUE FACE AU DÉVELOPPEMENT ET À LA
MONDIALISATION
- Toutes les pistes d’analyse de la crise africaine se croisent d’une façon ou d’une autre au carrefour de la démographie.
Le continent est actuellement le dernier grand bastion mondial de l’explosion démographique. Avec un taux
d’accroissement moyen proche de 3% par an, sa population a doublé en l’espace d’une génération et l’Afrique est le
continent qui a la plus forte croissance démographique du monde : « elle a dépassé 1 milliard d’habitants en 2009, une
certitude malgré le manque de précision statistique » (R. Pourtier1), bien que plus raisonnablement on estime à 870
millions le nombre d’habitants actuel. Par exemple, le Niger détient le record mondial de l’ISF (Indice Synthétique de
Fécondité) avec 7 enfants par femme contre 5,1 en moyenne en Afrique, tandis que la mortalité baisse même si elle reste
forte ce qui explique que la population croît rapidement. On estime donc qu’en 2050 la population africaine atteindra 1,7
à 1,8 milliard d’hommes ; un dynamisme démographique qui induit une extraordinaire jeunesse de la population (c’est
la plus jeune du monde avec 40% de moins de 15 ans en moyenne, voire 50% dans certains Etats, notamment car la
mortalité infantile même si elle reste plus élevée qu’ailleurs est en baisse).
- Les conséquences d’une multiplication aussi rapide du nombre des hommes se sont déjà fait tragiquement sentir dans les
espaces saturés de crêt Congo-Nil : ce n’est sans doute pas un hasard si le Rwanda a été le théâtre des pires excès de
violence que le continent ait connus. Mais, au-delà de ces situations extrêmes, la charge démographique change d’une
façon ou d’une autre les rapports entre les hommes et leur espace de vie : c’est un des fondements des mutations en cours.
Ainsi, la jeunesse de la population est un atout pour l’Afrique car elle lui offre un véritable dividende démographique.
De fait, elle va profiter d’une conjoncture la mettant en position de force par rapport aux PDEM (Pays Développés à
l’Economie de Marché) et aux pays émergents. Elle aura peu de population âgée à prendre en charge (problème du
financement des retraites, coûts médicaux prohibitifs liés par exemple à la dépendance), une proportion d’adultes élevée
pendant plusieurs décennies assurant un volant de main-d’œuvre et des possibilités de développement économique à
condition bien sûr que les jeunes soient formés et trouvent du travail. Un des plus grands enjeux de l’Afrique à venir et
qui lui permettra de gagner son pari sera la formation des jeunes. D’autre part, la mondialisation par l’accroissement et la
généralisation des mobilités qu’elle sous-tend, par les opportunités économiques et sociales qu’elles génèrent, peut-être
un facteur de changements supplémentaire…
Dividende démographique = Période où le pourcentage de la population active est le plus élevé dans la population
globale. On parle aussi de « bonus démographique ».
Problématique :
Sachant que le concept d’Etat-nation est remis en question, le continent africain arrive-t-il à répondre au double défi
du développement et de la mondialisation ?
1 Café de géographie de Mulhouse, Quand l’Afrique s’éveillera !, R. Pourtier, 2013
3
I/ L’Etat : un acteur incontournable du développement de l’Afrique handicapé
par sa « malformation congénitale » (C. Bouquet).
Développement = Amélioration globale du niveau et des conditions de vie d’une société permise par la croissance
économique, un partage plus ou moins équitable de la richesse, l’élévation du niveau d’éducation et la sécurité face aux
risques sociaux et politiques. Le développement n’est donc pas synonyme de croissance, celle-ci prenant en compte que
l’augmentation des indices économiques (PIB…).
- A l’échelle continentale, produit de la colonisation et de ses avatars, remis en cause, l’Etat africain présente deux
caractéristiques principales : 1/ sa profusion, avec 53 pays, et donc une forme de balkanisation du continent ; 2/ son
instabilité chronique, avec des crises multiples2 (guerres civiles, coups d’Etats) qui questionnent sur sa capacité à
imposer une « violence symbolique et légitime » (M. Weber) et à maintenir ses frontières actuelles.
« Balkanisation » = Eclatement en plusieurs petits Etats d’un territoire jusqu’alors uni.
- De façon incontestable la colonisation a lourdement grevé le continent (frontières arbitraires, territoires créés ex-nihilo
englobant des groupes humains diversifiés et historiquement antagonistes) mais, quarante ans après les indépendances, cet
héritage est-il l’unique raison de la situation difficile, voire de la « crise » (R. Pourtier3), que traversent l’Etat africain et
une partie du continent ? Pourquoi les objectifs poursuivis par les Etats après leur indépendance ont-ils été rarement
atteints ? Pivot de toutes politiques africaines, pourquoi l’Etat se trouve-t-il parfois en faillite et sa légitimité contestée ?
A/ Les entraves au développement générées par la colonisation.
1/ Mosaïque d’Etats et multiplicité des frontières : des freins au développement actuel.
- Le « scandale géologique », expression imagée utilisée par le géologue Cornet pour décrire la quantité colossale de
minerais disponible, se révèle être un fardeau pour l’Afrique entraînant sa mise sous tutelle.
1/ Depuis le XVème
siècle, les côtes africaines sont connues des Européens qui y installent des comptoirs servant à
alimenter le commerce triangulaire. Mais, c’est au XIXème
siècle, avec la Révolution industrielle, que les pays européens
engageaient dans une âpre rivalité commerciale pénètrent le continent à la recherche de sources d’approvisionnements
sûres en matières premières.
2/ La conquête de l’Algérie entre 1830 et 1847 stimule les convoitises et une réglementation de l’occupation du continent
doit être mise au point. Les principaux gouvernements européens se réunissent alors à Berlin en 1885 afin de prévenir
toute contestation et affrontement4.
- C’est de cette époque que datent les frontières actuelles, qui n’ont pas beaucoup été modifiées mais qui ne tiennent
guère compte des particularités locales.
1/ Les limites sont fixées en fonction des méridiens et parallèles, parfois selon des critères naturels (cours d’eau, lacs…),
mais surtout en fonction des ambitions des métropoles coloniales. Le Royaume Uni et la France se taillent la « part du
lion » au grand damne des Allemands, tandis que l’obstination du roi Léopold II de Belgique lui permet de posséder tout
le bassin du Congo.
2/ Face à la création de ce que l’on peut considérer comme des Etats-continent (Congo, Liberia, Algérie, etc.), des Etats
plus petits, voire minuscules, voient le jour comme le Rwanda et le Burundi qui correspondent à des réalités politiques
précoloniales, ou encore la Guinée équatoriale et le Togo en raison respectivement du retard de « colonisation » de
l’Espagne et de l’Allemagne. Parfois même, le tracé des frontières est franchement absurde comme la bande de Caprivi
2 En 2004, une vingtaine de pays était impliqués dans des affrontements armés ou des situations de crise (RDC, Libéria, Côte d’Ivoire,
Burundi, Rwanda, Angola, Soudan, Somalie, Congo Brazzaville, Ouganda, Tchad, Sénégal…). 3 R. Pourtier, Afriques noires, Hachette, coll. Carré géographie, 2001.
4 Néanmoins, malgré ces précautions, quelques crises faillirent conduire à la guerre, comme à Fachoda entre la France et l’Angleterre
au Soudan en 1898 ou à Agadir en 1911 entre la France et l’Allemagne à propos du Maroc.
4
(en Namibie actuelle) ou la partie nord du Cameroun, frontières fixées sous la pression allemande qui tient absolument à
atteindre la vallée du Zambèze et le bassin du lac Tchad.
Au total, les frontières actuelles des Etats africains sont le plus souvent le produit de la colonisation et non le
résultat d’une histoire propre des populations africaines. On trouve ainsi des Etats qui regroupent plusieurs
ethnies ou encore des ethnies partagées entre plusieurs pays, ce qui ne facilite pas la tâche des gouvernements et
engendrera de nombreux conflits après les indépendances.
- Il en résulte une hétérogénéité spatiale des Etats qui fait parler de balkanisation à propos de l’Afrique, phénomène
qui est un handicap pour le développement.
1/ Des tentatives de fédérations ont bien été réalisées afin de former des ensembles plus vastes comme l’Afrique
occidentale française (AOF), l’Afrique équatoriale française (AEF), l’Afrique orientale anglaise (Kenya, Ouganda,
Tanganyika), la Fédération de Rhodésie et du Nyassaland (actuels Zambie, Malawi et Zimbabwe). Des leaders
panafricanistes comme Senghor (président du Sénégal) ont demandé que l’indépendance soit accordée aux fédérations et
non aux Etats, dont la viabilité économique était peu évidente.
2/ Mais les puissances coloniales, comme la France à travers la loi-cadre de Gaston Defferre de 1956 qui dissout les
fédérations et accorde l’autodétermination aux territoires, et certains Etats économiquement mieux lotis comme le
Gabon ou la Côte d’Ivoire de Houphouët Boigny ont refusé ce regroupement et tranché en faveur d’une logique étatique.
- Au total, la colonisation a conduit à une multiplicité des frontières et à une mosaïque d’Etats qui constituent des
freins au développement actuel de l’Afrique. Du fait d’un découpage qui répond aux exigences des métropoles, les
particularités locales n’ont pas été prises en compte et les Etats sont constamment menacés par le risque
d’éclatement. De plus, le fractionnement de l’espace africain est un obstacle aux échanges et mobilités, car le
réseau est interrompu par des logiques frontalières. De cette période, bien qu’ayant un peu évolué, il reste un
réseau de transport colonial qui va des zones de production de ressources aux ports d’exportation, mais limité en
raison des stratégies coloniales de l’époque (par exemple, il existe des différences d’écartement entre les rails selon
les pays).
- Il en ressort aujourd’hui encore une organisation des Etats fondé sur un système centre/périphérie, qui privilégie
toujours les régions développées par les Européens dans le cadre d’une économie de rente. Les autres parties du
territoire, en raison de l’absence d’axes de pénétration, sont souvent des périphéries délaissées, abandonnées, par
les pouvoirs publics. L’héritage colonial sur le plan du maillage de l’espace est donc important, car l’organisation
des réseaux de communication s’oppose à l’unification des Etats, ces derniers se comportant souvent comme des
prédateurs et non des aménageurs ; le développement actuel de l’Afrique en pâtit.
2/ Le mirage de l’Etat-nation : une notion mal adaptée aux nouveaux Etats indépendants.
- La vertu « nationalisante » de l’espace (R. Pourtier) : utopie ou réalité ?
1/ Devenus indépendants les nouveaux Etats africains élaborent des constitutions proches des anciennes puissances.
Elles imposent une loi censée être la même pour tout le territoire national, quelques que soient les particularités des
différents groupes sociaux. Choix lourd de conséquences pour le devenir des Etats africains puisqu’il aboutit à une loi
liée au territoire (vertu « nationalisante » de l’espace) et non à l’appartenance à une communauté (le propre d’une
nation).
2/ Or c’est cette décision qui, en grande partie, limita (et limite toujours) l’action des gouvernements des nouveaux Etats
car, fruits d’une tradition extérieure – coloniale – et non des rapports sociaux propres à chaque territoire/pays, une
majorité de la population ne se reconnaît pas en eux.
3/ Face à ce désaveu, et alors qu’ils sont censés représenter leurs intérêts, les chefs d’Etats africains vont juste se
cantonner à défendre les intérêts de leur clientèle vivant souvent en ville (en particulier les fonctionnaires et employés
des secteurs modernes) et marginaliser le monde rural et une partie de la population à la périphérie des agglomérations ;
lesquels s’adaptent en développant une économie de subsistance (un secteur informel souvent).
En définitive, les Etats africains sont fragiles, sans base populaire, sans tradition en tant que nation et trop inspirés
par les modèles européens, d’où leur nécessité de s’africaniser pour proposer aux populations des projets de
société qui correspondent à leurs attentes.
5
- Cette africanisation qui doit renforcer la « nationalisation » de l’espace et permettre le développement des Etats
s’appuie sur le secteur agricole.
1/ Les Etats initient sa modernisation par un encadrement (de la partie amont à la partie avale de la filière) et des
subventions qui accroissent la production. L’Etat renforce sa légitimité auprès de la population en répondant à
l’approvisionnement vivrier et en développant des cultures d’exportation source de revenus. Ainsi, au travers de
pratiques communes et de structures socio-spatiales types top down, il arrive à intégrer différents territoires aux logiques
nationales et à donner du crédit à son action.
2/ Dans une logique productiviste, des projets de développement agricoles sont élaborés et concentrent l’essentiel des
investissements. Il s’agit : 1/ De grands aménagements hydrauliques, localisés et surencadrés, comme le projet de mise
en valeur du fleuve Sénégal ou le barrage d’Assouan sur le Nil ; 2/ De la récupération de terres colonisées (comme au
Kenya) qui peuvent être intégrées dans des organisations coopératives composées de petites et moyennes exploitations
(Tunisie) ; 3/ De la collectivisation des terres ou de la création de fermes d’Etat (Algérie, Maroc).
- Quant aux exclus du système socio-politique, pour s’en sortir ils pratiquent la transgression et développent une
économie de subsistance, dite informelle.
Secteur informel = Concept qui renvoie à ce qui est formalisé par des normes, à ce qui obéit à des lois, à ce qui est
contrôlé par l’Etat. L’informel se situe donc dans des niches, des marges, des interstices de non-droit où l’on ne paie pas
l’impôt, où l’on respecte ni le code du travail ni les règles de sécurité, où l’on peut concurrencer de manière déloyale les
entreprises du secteur formel.
1/ En Afrique, l’informel ne se cache pas car il existe une véritable culture de l’impunité des autorités à ce sujet. Ainsi,
en raison de la faillite des Etats, actuellement ce sont des centaines de milliers d’individus qui vivent de ce commerce
informel en vendant des cigarettes de contrebande à l’unité, du sucre volé au « carreau », de l’essence détournée à la
bouteille, des fripes d’origines douteuses.
2/ La photographie des toits de
Lagos, métropole tentaculaire du
Nigeria, illustre la dimension
considérable pris par le secteur
informel et, au-delà, l’impact de la
mondialisation avec la localisation
d’activités en provenance des pays
du Nord dans une ville du Sud. Par
exemple Alaba est un des marchés
internationaux de l’Afrique de
l’Ouest les plus réputés pour ces
produits où la transgression règne
en maître. Ici on constate que
plusieurs rues de la ville (premier
plan) sont concernées – et cela sur
plusieurs étages (en haut des
escaliers, tout comme sur les toits/
centre de la photographie et
deuxième plan) – par le stockage et
la vente des déchets industriels de
matériel informatique et
électronique en provenance des
Etats-Unis ou d’Europe ; une
partie est issue de la contrebande.
- Au total, dans les villes comme dans les campagnes, la majorité de la population cherche à contourner les circuits
économiques défavorables et à survivre grâce au secteur informel qui échappe au contrôle de l’Etat, tout en
multipliant les mobilités vers les marchés interlopes qui se tiennent aux frontières ou aux marges des villes et
mégapoles. Il est évidemment très difficile de mesurer le poids de cette économie souterraine mais, par exemple, le
dernier recensement général de la population de Côte d’Ivoire, auquel les spécialistes accordent confiance, estime à
12% de la population active la part de ceux qui « vivent exclusivement de petits métiers non sédentaires exercés
Le marché d’Alaba, Lagos, Nigeria, La documentation Photographique, 2011
6
dans la rue » (Bouquet, 2003). Si l’on y ajoute ceux pour qui l’informel (la petite corruption, la débrouille, la
« gratte ») est une activité de complément (fonctionnaires mal ou plus payés depuis la crise des Etats, employés du
secteur privé), on atteint facilement le chiffre d’un tiers de la population vivant de et dans la transgression ; chiffre
qui toute proportion gardée peut expliquer les faibles niveaux de développement des Etats (cf. IDH).
- Ce processus est renforcé par l’obstination des Etats qui, après les indépendances, ont poursuivi le modèle
colonial de développement basé sur la production extensive de biens primaires pour l’exportation (une économie
de rente), mais qui n’ont pas améliorés la productivité au fur et à mesure que les rendements diminués ; d’autant
que concomitamment les marchés se sont ouverts et les protections ont été démantelées. Résultats : les recettes de
la rente se sont effondrées, le niveau de vie en a été affecté, et la légitimité des pouvoirs publics pour conduire le
développement a été remise en cause… L’Afrique a alors basculé dans la spirale du mal, voire sous-développement
jusqu’à la fin de la Guerre froide et, pire encore, entre 1991 et 2001, dans une « décennie du chaos » (S. Brunel).
B/ De l’Etat omnipotent à l’Etat déliquescent : Autoritarisme et crise de la dette.
1/ Une absence de démocratie : Partis uniques et gouvernements autoritaires.
- Dans le contexte de la Guerre froide et des « Trente glorieuses », les Etats africains connaissent une dérive
autoritaire.
1/ Les deux blocs (Etats-Unis et URSS et leurs alliés) dominent un monde bipolaire, en compétition, et ils investissent
massivement dans le monde pour s’assurer des soutiens. L’Afrique, entre autres, est destinataire, et en échange de son
allégeance les jeunes gouvernements reçoivent une aide financière et militaire. De plus, le monde connaît une période
de développement lors des « Trente glorieuses », dont bénéficient également l’Afrique. D’ambitieux programmes de
développement sont alors lancés : on construit des routes, des écoles, des hôpitaux, des aéroports, usines, palais pour les
dirigeants aussi. Les taux d’intérêts réels sont négatifs ce qui garantit un endettement indolore. Enfin, les banques
internationales soucieuses de recycler l’argent du pétrole, sont prêtes à financer n’importe quel programme pourvu qu’ils
procurent de gros contrats aux entreprises occidentales, confrontées à la montée du chômage.
2/ Dans ce contexte géopolitique et économique, les nouveaux Etats africains se fixent des objectifs5 mais, en accord
avec des conseillers issus des anciennes métropoles, ils estiment que le modèle de la démocratie occidentale basé sur le
pluralisme politique est mal adapté car générateur de forces centrifuges préjudiciables et objets de contestation. Aussi,
tout un discours sur les bienfaits du parti unique est-il développé, présentant cette adaptation comme une nécessité
incontournable pour construire une nation unie face aux transformations sociales rapides et aux rivalités ethniques,
tribales, religieuses et régionales.
3/ Concomitamment, une bureaucratie très lourde, avec une nomenklatura6 prédatrice, et négligeant les tâches de
développement et de modernisation, est mise en place. Les Etats africains deviennent donc des régimes autoritaires
dirigés par des civils mais qui, suite à des coups d’Etat et des bains de sang nombreux, sont remplacés par des militaires.
Au départ ceux-ci légitiment leurs actions par une volonté de lutter contre des régimes civils corrompus, incapables de
construire l’unité de la nation. Aussi, soutenus par les grandes puissances, mettent-ils en place des « projets de société »
souvent imprégnés de nationalisme et de socialisme, même parfois d’un marxisme-léninisme mal compris. Mais menés
par d’anciens caporaux ou des soldats de l’armée coloniale, ces régimes se révèlent assez vite aussi corrompus que leurs
prédécesseurs. Toutefois, ils obtiennent le soutien des puissances occidentales qui les considèrent comme des garants
de l’ordre social.
- Profitant du contexte socio-politique favorable de la Guerre froide et des « Trente glorieuses », le parti unique est
considéré comme l’instrument par excellence de l’intégration politique et du développement économique, capable
de transcender les multiples clivages qui affaiblissent les nouveaux Etats.
- Ainsi, au cours des années 1970, ces partis uniques sont légitimés par des constitutions qui consacrent
l’intégration du parti à l’Etat. Par exemple, pour le président Mobutu, tout Zaïrois naissait, vivait et mourait
5 Construire un Etat-nation à partir de la mosaïque de groupes sociaux qui ont jusque-là vécu ensemble à l’intérieur des frontières
coloniales, développer la nation en la dotant d’une administration, d’infrastructures de transport, de services sociaux, moderniser la
production. 6 Classe sociale liée à l’Etat et bénéficiant d’importants privilèges, ensemble des dignitaires d’un régime.
7
membre du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), un parti qui conduisit le Zaïre à sa ruine. Le chef du
parti est donc chef de l’Etat et chef du gouvernement et il est investi de tous les pouvoirs.
- En définitive, les régimes politiques africains, qu’ils soient ou non issus des coups d’Etat militaires, sont devenus
des dictatures personnelles reposant sur la crainte que le chef inspire ou sur son charisme. L’exercice du pouvoir
se réduit alors à la dictature d’une minorité se partageant les richesses du pays tout en marginalisant les autres
catégories sociales.
2/ Economies de rente et coopérations : l’illusion d’un développement.
- Les débuts d’une coopération et d’une aide au développement qui déstabilisent l’économie et les sociétés
africaines.
1/ Affaiblies et remises en cause par le second conflit mondial, désireuses de mieux faire accepter leur présence à des
populations africaines de plus en plus revendicatrices, les puissances coloniales organisent un « nouveau pacte
colonial ». L’objectif est de développer la production et les infrastructures pour fournir des matières premières et,
parallèlement, élargir les débouchés des industries africaines. Le financement provient des revenus tirés de la vente de
matières premières agricoles et minières mais aussi d’une aide financière importante fournie par le trésor public de la
métropole ; l’aide publique au développement allait ainsi être augmentée pour renforcer l’investissement privé.
2/ Cependant, cette situation renforce un dualisme socio-économique avec, d’un côté, des économies traditionnelles
progressivement marginalisées et, de l’autre, un secteur moderne qui monopolise l’investissement. Cette dernière
composante, contrôlée par l’Etat et tournée vers l’extérieur, profite à la nouvelle bourgeoisie, la fonction publique. On
assiste donc à une extraversion de toute l’économie et des groupes sociaux dominants.
3/ Des structures protectionnistes sont mises en place pour atténuer certains effets négatifs de cette extraversion, comme
la fluctuation des prix sur le marché mondial. Par exemple, des dispositifs tarifaires sont censés assurer aux produits
coloniaux un débouché avec des prix préférentiels dans la métropole (comme l’arachide du Sénégal en France), un espace
monétaire ou politico-économique est élaboré après 1945 (comme la zone franc ou le Commonwealth) et survit même à la
décolonisation.
- Au total, les opérations de développement sont animées par l’Etat, d’abord colonial puis indépendant, épaulé par
l’ancienne métropole. La puissance publique finance les opérations de développement par des revenus externes
(aide et rente) tandis qu’un Etat fort et une classe dirigeante se développent au détriment d’une paysannerie à
laquelle on confisque les revenus du travail.
- C’est la période dite de l’Etat développeur et le début d’une intégration des pays africains dans les relations
économiques internationales, l’écueil étant l’absence de réelles valeurs ajoutées sur les ventes à l’extérieur.
- D’ailleurs, la typologie dessinée par les types de rentes mobilisés à l’époque est révélatrice des faibles plus values et
de leurs impacts limités sur le développement des Etats :
1/ Beaucoup de pays, faiblement dotés en ressources minières, ont investi l’espace agricole pour essayer de devenir
agro-exportateurs. Ainsi, les pays du Sahel tirent l’essentiel de leur rente de l’exportation du coton, alors que l’Afrique
forestière exporte surtout du café et du cacao (Côte d’Ivoire, Cameroun). En Afrique de l’Est (Kenya, Ouganda, Ethiopie,
Tanzanie, Rwanda, Burundi…), on compte sur le café ou le thé.
2/ D’autres Etats exportent des produits miniers (Guinée, RDC, Zambie, Mauritanie, Botswana…) ou pétroliers
(Nigéria, Libye, Algérie, Gabon, Angola, Congo…).
3/ Peu de pays atteignent un degré d’accumulation de type capitaliste qui leur permettrait de développer une industrie
compétitive. Il y a l’île Maurice qui réussit à investir les revenus du tourisme et de la production sucrière dans des
manufactures prospères. Le Zimbabwe, avec les débordements démagogiques du prédisent Mugabe, qui bâtit des
complexes agro-industriels tournés vers l’exportation. Seule l’Afrique du Sud fait figure d’exception car son assise
industrielle est comparable à celle que l’on trouve en Occident. Notons que dans ces pays, le rôle de l’Etat dans la
conduite des opérations de développement avait été réduit.
4/ En Afrique du Nord, l’Egypte et l’Algérie constituent des exemples-types de dirigisme étatique. Par exemple, en
Egypte, après la révolution de 1952, l’idéologie du tout Etat s’impose avec une réforme agraire musclée qui dépouille les
grands propriétaires mais permet l’accès à la terre à un plus grand nombre de paysans pauvres. La crise de Suez (1956)
renforce le dirigisme de l’Etat qui nationalise les transports, banques, assurances, ainsi que la plupart des mines et
industries ; seule l’industrie pétrolière n’est que partiellement nationalisée. Désormais, l’Etat a la mainmise sur tout
l’appareil de production.
8
- Au total, ces politiques types top down semblaient porter leurs fruits et améliorer la situation des Africains, mais
on se rendit vite compte que la situation était artificielle. En effet, entre 1974 et 1978, les prix des matières
premières connaissent une flambée qui procure aux Etats africains des revenus substantiels. Les cours du café
augmentent de 400%, ceux de l’arachide et des bananes doublent, tandis que les cours du pétrole s’envolent dans
les années 1970. Dans ce contexte, les classes dirigeantes redistribuent une partie de la rente aux populations, d’où
un calme social apparent. Une fonction publique pléthorique, très bien payée, trop favorisée par rapport à la
paysannerie, se développe, ce qui a pour effet la désaffection des jeunes pour les travaux moins faciles du secteur
productif, l’agriculture par exemple.
- Ainsi les responsables politiques pensaient ce modèle de l’Etat patrimonial durable, mais la période d’euphorie a
été de courte durée même si l’Etat a prolongé artificiellement celle-ci grâce à l’endettement et à une aide publique
au développement qui, néanmoins, a nettement diminuée depuis les années 1990 (c’est la période des « éléphants
blancs » qui traduisent souvent des mauvais choix d’investissements et des projets surdimensionnés). Ce recul
s’explique par : 1/ La substitution des organisations internationales (Cnuced – Conférence des Nations unies sur le
commerce et le développement, FAO, etc.) aux anciennes métropoles coloniales7, les premières ayant revu à la
baisse les donations et investissements8. 2/ Les « conditionnalités » exigées par ces bailleurs internationaux, qui
conditionnent l’aide attribuée à différents critères comme la démocratisation de la vie politique (Association
internationale de développement du groupe Banque mondiale, Commission européenne). 3/ Par ailleurs, les
résultats de l’aide publique, sous forme de dons et d’assistance technique notamment, n’ayant pas été,
globalement, à la hauteur des attentes, les donateurs finissent pas se lasser de financer le puits sans fond d’un
développement dévoyé : détournement des fonds au profit de la classe dirigeante, de sa clientèle, de fonctionnaires
corrompus et de groupes paramilitaires. 4/ Cette critique à propos du manque de contrôle des aides est un
argument largement développé par un nouvel acteur, les ONG internationales (Action contre la Faim, Médecins
sans Frontière…), qui se sont installées à demeure dans le continent.
3/ La crise de la dette : Ouverture des marchés et faillite de l’Etat.
- « L’Afrique vit au dessus de ses moyens avec la bénédiction internationale » (S. Brunel) et dès 1962 des
géographes, comme René Dumont, avaient tiré la sonnette d’alarme.
1/ Dés les années 1960, la production des ressources exploitables marque le pas, à l’exception des pays pétroliers. Les
politiques de développement conçues dans le cadre de grands projets (« éléphants blancs ») ne parviennent pas à faire
progresser les productions et elles sont de plus en plus exposées aux variations des prix. La base agricole et minière
fluctuante ne permet pas la mise en place d’une réelle industrie tandis que le secteur moderne largement extraverti ne
profite pas aux populations autochtones. On assiste donc à l’échec des modèles économiques préconisés et l’Afrique se
révèle incapable de sortir de l’économie coloniale. Elle se marginalise sur le plan économique, sa part dans le
commerce mondial diminuant de moitié entre 1970 et 1990 tandis que ses exportations chutent de 10% à 2,7% du total
mondial sur la même période.
2/ Face à la crise des matières premières, les Etats rentiers réagissent d’abord par une diminution des dépenses
d’investissements et des services sociaux tout en maintenant, voire augmentant, les effectifs de la fonction publique
pour s’assurer des appuis de la population urbaine. La crise se maintenant, les Etats sont pris à leur propre piège : il est de
plus en plus difficile de payer les fonctionnaires, les déficits deviennent colossaux et un endettement démesuré
s’installe pour longtemps. Au Congo-Brazzaville revient le record peu enviable d’être le pays proportionnellement le plus
endetté du monde : 247% de la valeur de son PNB en 1997.
3/ Face à cette impasse, des critiques émanent des ONG et l’Etat apparaît de plus en plus comme un prédateur qui
accapare les biens produits. Les captations et les ponctions de l’Etat et de ses agents sur les ressources productives,
surtout paysannes, la bureaucratie, la constitution d’une nomenklatura corrompue… tous ces facteurs combinés achèvent
de dévaloriser la vision étatiste de développement qui sombre avec le triomphe du libre-échange dans les années
1990. Dans ces conditions de nombreux Etats africains, sous la férule de la Banque mondiale et du FMI, sont obligés
d’appliquer des programmes d’ajustement structurel (cf. cours sur la gouvernance économique mondiale depuis 1944)
7 Cette aide dite bilatérale continue d’exister et constitue un outil d’influence, la France venant en tête des donateurs en faveur des
pays d’Afrique subsaharienne. 8 Comme le souligne R. Pourtier à propos de l’Afrique subsaharienne, tout en restant un important destinataire de l’aide publique au
développement (APD), cet espace a vu son montant diminuer d’année en année : 10 milliards en 2010 contre le double en 1994, selon
l’OCDE.
9
qui imposent la rationalisation économique et la suprématie du marché ; les normes sociales ou les particularités locales
étant considérées comme des distorsions entravant le marché et il faut donc les supprimer. Par exemple, les plans
d’ajustement structurel remettent radicalement en cause les politiques agro-alimentaires qui avaient été pratiquées
jusque-là en Afrique subsaharienne avec : 1/ l’abandon des politiques d’approvisionnement alimentaire à bon
marché et des différentes subventions de l’Etat à l’agriculture, qui avaient pour objectif d’abaisser le coût de la vie des
citadins (Haubert, 1985) ; 2/ le retrait de l’Etat des filières agroalimentaires avec la privatisation de tous les
établissements publics qui interviennent dans l’agriculture tant en amont qu’en aval.
- On assiste donc à une crise des logiques étatiques de développement et à une modification des systèmes politiques
et des pratiques populaires. Toutes ces démarches débouchent parfois sur la reconstitution des identités, ethniques,
tribales, religieuses… avec risque de guerre civile.
1/ C’est au Rwanda que cette déchéance de l’Etat a conduit aux débordements les plus dramatiques. Ce pays tiré en
effet l’essentiel de ses revenus de l’exportation du café, du thé et du minerai d’étain, la cassitérite. Dans la plupart des cas
néanmoins la restructuration débouche sur de nouvelles formes d’organisation socio-économiques développées en
l’absence de l’Etat, comme l’extension du secteur informel dans les villes, la généralisation du phénomène
d’exurbanisation et de retour à la terre, la multiplication d’organismes de crédits informels à l’écart des circuits officiels
(tontines9)…
2/ Les relais de l’Etat sont réduits en nombre à tous les niveaux et comme les agents ne sont plus régulièrement
rémunérés ; ils sont démotivés, ne se préoccupant plus que de leur propre survie. Ainsi, militaires et policiers qui ont
longtemps fait figure de privilégiés sont laissés à eux-mêmes, rançonnent la population ou se transforment en milices
privées défendant des intérêts souvent partisans. Les infrastructures publiques comme les routes, écoles, hôpitaux sont
en plein délabrement, les plans d’ajustement structurel ayant imposé des coupes sombres dans les dépenses sociales.
Devant cette quasi-disparition de l’Etat, les sociétés se recomposent. On a donc affaire à une société en pleine
effervescence et l’Etat joue un rôle de spectateur effacé face à ces mutations sociales et territoriales.
- En basant leurs politiques de développement sur un modèle colonial rentier et patrimonial, les Etats africains ont
sans nul doute réussi à construire une identité nationale territorialisée, mais leur action en même temps a conduit à
une impasse, car beaucoup de projets de développement ont échoué. Cet endettement d’Etats qui avaient donné
l’illusion du développement montre, s’il en était besoin, combien la richesse « rentière » fondée sur la seule
exportation de produits bruts est factice.
- Leur légitimité est profondément contestée, d’autant plus que les institutions de Bretton Woods se sont
substituées à eux dans la conduite d’opérations de développement aux conséquences néfastes pour les populations.
Le triomphe de l’économie de marché a ruiné la légitimité d’appareils étatiques gangrénés par le clientélisme et le
népotisme, et l’Etat et ses symboles apparaissent en pleine déliquescence. Pourtant sa mission de régulation sociale
et de construction territoriale est plus que jamais nécessaire car, plongeant dans la « décennie du chaos », son
territoire apparaît en pleine déconstruction-reconstruction...
9 Tontine = Une dizaine ou une vingtaine de personnes, voire davantage à condition qu’elles se connaissent suffisamment, s’associent
en mettant leur capital en commun ; elles s’accordent sur le montant et la périodicité des « cotisations », de même que sur les
conditions d’attribution de la « cagnotte ». A tour de rôle, chacun des participants dispose de la totalité de la somme réunie, ce qui leur
permet de réaliser un investissement économique, ou de faire face à une dépense exceptionnelle. La confiance entre les participants
est la condition première de la réussite d’une tontine.
10
II/ Une Afrique « mal partie » (R. Dumont) :
1991-2001, une « décennie du chaos » en Afrique.
A/ Une balkanisation des Etats et de l’Afrique...
- Suite à la crise de la dette la plupart des corps censés faire respecter l’Etat de droit (police, justice) ont été gangrénés
par la corruption, assimilable à une juste compensation salariale, et peu à peu nombre de nouveaux Etats se sont
privatisés, devenant des entreprises au service de pouvoir politique (Sani Abacha au Nigeria, Charles Taylor au
Liberia…) ; la fin de la Guerre froide accélérant ces processus.
- Globalement, les conflits africains dits « déstructurés » ont coûté la vie à plus de 3 millions de civils en RDC, à plus de
300 000 personnes au Burundi, à 200 000 en Sierra Leone, autant au Liberia, sans parler de la Côte d’Ivoire, de la
Casamance, du nord de l’Ouganda, de la Somalie, de la fin de la guerre civile en Angola (au moins 500 000 morts) ou du
conflit qui perdure entre le nord et le sud Soudan (2 millions de morts). Bien que difracté, le bilan est proche des 8
millions de victimes de la Première Guerre mondiale ! - Or, face à ces évolutions chaotiques deux évolutions s’offrent aux Etats africains : 1/ un sursaut vertueux, avec
comme voie la démocratisation du pays ; 2/ un « retour du refoulé », avec un repli identitaire sur l’ethnie et la religion
facteur d’une déstructuration des Etats.
1/ Un processus démocratique inabouti.
- Pour mettre fin aux régimes autoritaires mis en place à la suite des indépendances, le mode de transition politique
privilégié a été celui du multipartisme et l’organisation d’élections pluralistes.
1/ Dans les Etats d’Afrique francophone, le modèle de transition politique est celui d’une Conférence nationale
souveraine, soit une vaste assemblée réunissant toutes les sensibilités du pays et qui prend l’aspect d’un tribunal jugeant
les anciens dirigeants et permettant aux nouveaux leaders de se faire connaître. Cette formule aboutit à des résultats
appréciables dans certains pays comme au Bénin ou au Niger, mais elle montre ses limites au Gabon, Togo, Zaïre où les
régimes en place la sabotent.
2/ Dans les pays d’Afrique anglophone, le mode de transition privilégié est différent, on opte pour un remaniement
constitutionnel qui légalise le multipartisme avec des élections pluralistes comme en Zambie où un nouveau parti
supplante l’ancien. Ce système apparaît plus efficace dans la mesure où il fait l’économie des frais énormes occasionnés
par la tenue d’une Conférence nationale souveraine, et des débordements engendrés par ses débats houleux.
3/ Enfin, d’autres pays accèdent au multipartisme avec l’assistance de l’ONU, comme la Namibie qui devient
indépendante en mars 1990 après la tenue d’élections libres et pluralistes. Le même scénario se répète au Mozambique à
la fin de 1994, mais il échoue en Angola qui ne retrouve un semblant de paix qu’après la mort de Jonas Savimbi en 2001.
Au total, l’ingérence politique de certains pays comme la France, à travers François Mitterrand, participe à la
démocratisation des Etats ; par exemple, lors du sommet de La Baule en juin 1990, ce dernier avertit les chefs
d’Etat africains que sans démocratie, sans bonne gouvernance, conditionnée à un accord avec le FMI, il n’y aura
plus d’aide. Cependant, les transformations politiques ne suivent pas un modèle uniforme et la lutte pour la
démocratie s’inscrit dans des contextes historiques locaux différents en grande partie hérités de la période
coloniale.
- En effet, même si le multipartisme est légalisé dans la plupart des Etats africains, les risques de crise sont toujours
présents en raison de l’absence de réels contre-pouvoirs qui permettraient au système démocratique de fonctionner
décemment. Ces manques débouchent sur des tensions, voire des conflits, et souvent l’intervention de l’armée.
1/ Ainsi, à plusieurs reprises, le recours à la force est le moyen utilisé par d’anciens dirigeants ou de nouveaux
démocrates pour maintenir les régimes en place. C’est le cas au Cameroun et au Togo, où l’armée est utilisée pour
assurer le maintien de l’ordre. Idem au Congo où les litiges électoraux, surtout après les élections législatives de juin
1993, conduisent à une guerre civile qui se termine par le retour de l’ex-président Sassou Nguesso ; au Zaïre (actuelle
RDC), il aura fallu une guerre civile soutenue par le Rwanda et l’Ouganda pour mettre un terme au régime de Mobutu en
1997.
11
- Au total, le rôle des forces armées reste prépondérant. Elles soutiennent souvent des régimes autocratiques qui
entretiennent avec elles des liens de clientélisme. La crise politique de la Côte d’Ivoire en 2003 ou la guerre civile
en Algérie illustrent bien la fragilité du processus démocratique.
- Ainsi, malgré la progression du pluralisme politique, il est évident que multipartisme n’est pas synonyme de
démocratie ; et la prolifération de partis politiques n’a pas encore empêché la confiscation du pouvoir par une
oligarchie prédatrice, comme si tout changeait pour rester pareil...
- De plus, le pluralisme politique ne résoudra pas les problèmes économiques des Etats africains, et leur
persistance risque de dévaloriser les progrès en matière de libertés publiques aux yeux des opinions africaines. La
démocratisation des régimes politiques n’est donc pas une fin en soi, elle devra s’accompagner d’une amélioration
des conditions de vie des populations.
- Une autre difficulté est d’instaurer une démocratie multipartite dans des Etats pluriethniques avec risque de voir
le multipartisme refléter plutôt les clivages régionaux, ethniques ou culturels que des idées politiques.
2/ Balkanisation, « retour du refoulé » et déstructuration des Etats : des entraves au développement.
- Une (re)territorialisation liée au retour des logiques identitaires et de la religiosité.
1/ Au sein du continent on observe la montée progressive du religieux, celui qui relève des sectes chrétiennes
d’obédience étasunienne, mais aussi et surtout la formidable progression de l’islam qui a depuis longtemps quitté les
« rivages » du Sahel et du Maghreb pour pénétrer assez profondément dans les forêts de l’Afrique équatoriale et australe,
pour noyauter les quartiers défavorisés des agglomérations, et qui développe désormais au grand jour des applications
intégristes comme la législation de la charia (Last, 2000), voire des réseaux terroristes comme AQMI (cf. étude de cas sur
la Sahara).
2/ L’ethnie et la religion sont des refuges identitaires, car elles portent en elles les germes du rejet, radicalisent les
individus et groupes sociaux, déstabilisent les constructions étatiques et « nationales » existantes. Le terrain le plus
favorable à cette fermentation se trouve dans les couches de la population la plus déstabilisée : à savoir les jeunes
déscolarisés, chômeurs… qui projettent sur l’espace leurs représentations, construisent des talus économiques, barrières
mentales et culturelles, à la base de fragmentations socio-spatiales. Et en Afrique cette territorialisation prend des
dimensions importantes...
- A l’échelle locale, dans les mégapoles, cette territorialisation prend l’aspect d’une fragmentation ethnique et de
« guérillas urbaines ».
Mégapole = Ville grande par sa superficie et son nombre d’habitants.
1/ Ainsi la division ethnique de l’espace urbain peut entraver le fonctionnement du « creuset urbain » et, dans les cas
extrêmes de tensions politiques, favoriser les explosions de violences : les guerres dont Brazzaville a été le théâtre et
l’enjeu, en 1993-1994 puis en 1997, en apportent une dramatique illustration. Capitale du Congo, « l’explosion
démographique » et l’exode rural en ont fait une mégapole de 800 000 habitants qui bénéficie d’une relative prospérité
économique en raison des retombées du pétrole.
2/ Dans les années 1910, l’administration coloniale avait créé deux lotissements indigènes, situés de part et d’autre de la
« ville », centre des pouvoirs politique, militaire, religieux, économique. Bacongo, au sud-ouest, fut le quartier d’accueil
des populations Kongo dont les différents rameaux peuplent le Congo méridional ; parmi eux, l’ethnonyme Lari distingua
les originaires de la région du Pool. Au fil des ans, Bacongo devint un quartier à forte homogénéité lari. Poto Poto, au
nord-est de la ville, fut au contraire peuplé par des migrants venus du nord du pays, depuis les plateaux Batéké jusqu’aux
lointaines forêts de la Sangha. La marqueterie ethnique congolaise se projeta ainsi dans la géographie de la capitale,
préparant le terrain à des affrontements violents suscités par la compétition politique.
3/ Les élections de 1959 furent le premier déclencheur des troubles politico-ethniques qui opposèrent Bacongo et Poto
Poto. Les violences qui se sont succédées depuis 1993 ont pris une toute autre ampleur ; à l’instar de l’ex-Yougoslavie,
« l’épuration ethnique » a semé la désolation dans toute la ville, et renforcé une forte ethnicisation du territoire
urbain. Les exactions commises par les milices de tous bords, le chassé-croisé de populations contraintes de se replier sur
les territoires de sécurité de leur groupe ethnique, ont radicalisé l’opposition entre les quartiers.
4/ On assiste donc à une véritable « ethno genèse urbaine » (E. Dorier-Appril), des groupes de jeunes se formant autour
de la défense des intérêts du quartier, à l’image des « Ninjas » du quartier de Bacongo. De 1993 à 1994, à la suite de la
première guérilla, 13 000 logements sont détruits et 100 000 personnes expulsées de la ville. Puis, en 1997, la guerre entre
Denis Sassou Nguesso, l’ancien président du Congo, et le gouvernement élu, entraîne des violences dans toute la ville :
12
les « Cobras », milices de l’ancien président basées dans le nord-est de la ville (Poto Poto), se heurtèrent à l’armée et aux
« Zoulous » tandis que la population fuit en masse vers Bacongo. La victoire définitive de Denis Sassou Nguesso et des
« Cobras » entraîne le pillage des quartiers et Bacongo est vidé de ses 200 000 habitants. Au total, comme le confie E.
Dorier-Apprill, 10 000 jeunes ont participé aux milices et les conflits à répétition ont engendré un repli identitaire de la
population sur des fragments urbains, jugé dangereux le centre ville est dépeuplé.
- Au total, les déchirures urbaines résultent d’une forme exacerbée de ségrégation fondée sur les origines ethno-
régionales des citadins et exploitée par les chefs politiques. Les replis identitaires sur des fragments de territoires
urbains entretiennent une géographie de la haine et des peurs, terrain idéal pour le déchaînement de la violence.
- Une des particularités des guerres urbaines tient dans le fait que les chefs politiques fondent leur stratégie sur le
contrôle de territoires urbains, et leur tactique sur l’utilisation de miliciens. Par exemple, à Brazzaville, les jeunes
Congolais ont trouvé dans ces milices une occasion de ramasser un butin dans les pillages des maisons et des
commerces du centre-ville. Ils y ont trouvé aussi un semblant de statut, rompant avec le désœuvrement et
l’exclusion. Le souhait de la plupart d’entre eux est d’ailleurs d’intégrer l’armée afin de conforter ce statut.
- En définitive, l’engagement au combat des « Ninjas », « Zoulous », « Cocoyes », et autres « Cobras », jeunes
garçons sans avenir, est l’expression exacerbée de la crise de l’Etat et, au-delà des rivalités entre chefs politiques,
elle renvoie aux restrictions des capacités redistributives de l’Etat et donc aux limites d’un système rentier
profondément perturbé depuis le contre-choc pétrolier de 1986 et incapable de maintenir le niveau de vie de la
population.
- Aux échelles régionale et nationale, le vent de liberté qui, avec la chute du communisme, a soufflé sur l’Afrique, a
ébranlé les dictatures et réveillé des tensions latentes que les chefs politiques n’ont pas eu de mal à exploiter dans un
contexte de crise économique et de désarroi de la jeunesse urbaine. Les pogroms dont furent victimes les Kasaïens du
Katanga en 1993-1994 comme toutes les guerres en cours soulignent la facilité avec laquelle les rivalités de pouvoirs
exploitent les failles interethniques des Etats pour des desseins souvent mercantiles. A ces échelles d’analyse, on peut
parler de guerres ethniques, mais aussi de guerres de ressources et/ou de pillages.
Premier exemple : Les « diamants du sang » en Sierra Leone
1/ La Sierra Leone offre ce mélange de rivalités ethniques et de luttes pour le contrôle de ressources naturelles avec
une opposition entre les populations côtières, les créoles de l’ancienne colonie britannique de Freetown, et les natifs de
l’intérieur notamment les Mende et les Temne.
2/ La guerre civile a éclaté pour le contrôle de la principale ressource du pays le diamant. Charles Taylor a soutenu le
RUF (Revolutionary United Front) en lui offrant des bases arrière en échange des diamants qui lui permettaient d’acheter
des armes. L’alliance entre Foday Sankoh leader du RUF et Charles Taylor, dépourvue de tout aspect idéologique, montre
le processus de diffusion et de synergie entre des conflits différents (ethnique pour le RUF, prédateur pour Charles
Taylor). Au cours du conflit, le RUF s’est signalé par sa cruauté, ses victimes se voyaient couper la main ou le bras à la
machette.
3/ Face à la rébellion, les autorités de Freetown ont fait appel à des mercenaires Sud-africains ainsi que des chasseurs
locaux, les Kamajors, formés en milice. Dans tous les cas, les « diamants du sang » de la Sierra Leone ont généré de
nombreux trafics et servis de financement à la guerre. L’ECOMOG10
et l’ONU se sont révélés impuissants et c’est
finalement l’intervention des troupes britanniques, l’ancienne puissance coloniale, qui a permis la conclusion d’un
cessez-le-feu en 2000.
Au total, ce conflit est tout à fait représentatif de l’émergence de véritables seigneurs de la guerre qui manipulent
les identités afin de satisfaire leur goût du pouvoir et de richesse, et qui n’hésitent pas à s’appuyer sur des enfants
soldats. La raison principale de ce chaos se situe tout à la fois dans la crise économique et la déstructuration de
l’appareil étatique ; l’incapacité de ce dernier à clôturer ce conflit est illustrative.
10
ECOMOG = Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de
l’Ouest).
13
Deuxième exemple : La Côte d’Ivoire (2002-2010)
1/ La Côte d’Ivoire, en mettant en exergue une « ivoirité » contraire aux pratiques de plusieurs décennies
d’assimilation, s’est engagée dans une voie dangereuse. La fin du miracle ivoirien, la disparition d’Houphouët-Boigny
en 1993, l’exaltation de ce concept « d’ivoirité » par des hommes politiques irresponsables ont entraîné la Côte d’Ivoire
dans la guerre. Le coup d’Etat du général Gueï en 1999, l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo en octobre 2000, ont
accentué les tensions entre le nord et le sud du pays. Celles-ci se fondent sur la peur des sudistes (population chrétienne
et animiste de la zone forestière) face à la venue de migrants musulmans originaires du nord ou du Burkina Faso. Les
questions foncières, les tensions ethniques et religieuses, les ambitions politiques vont alors constituer un cocktail
d’étonnant.
2/ Ce repli sur « l’ivoirité » et la volonté des hommes politiques du Sud (le Baoulé, Konan Bédié ; le Bété, Laurent
Gbagbo) d’empêcher Alassane Ouattara, homme politique du Nord, considéré comme de nationalité douteuse, de se
présenter aux élections ont débouché sur un conflit. De jeunes militaires originaires du Nord ont déclenché celui-ci en
septembre 2002, le Burkina Faso servant de base arrière à la rébellion. Ils ont conquis rapidement le nord du pays sous la
bannière du MPCI (Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire). Seule l’intervention française a donné un coup d’arrêt
à cette progression vers le sud en figeant la ligne de front, et en contraignant les belligérants à signer les accords de
Marcoussis en janvier 2003.
3/ Cependant ces derniers n’ont pas été acceptés par le pouvoir et les sudistes d’où leur tentative avortée, à l’automne
2004, de résoudre le conflit par la force. Il faut souligner que le conflit ne s’est pas arrêté aux frontières de la Côte
d’Ivoire, dans l’ouest ivoirien les rebelles du mouvement populaire du grand ouest ont reçu le soutien de Charles Taylor
alors que de son côté, Laurent Gbagbo recrutait parmi les opposants au président du Liberia.
4/ En définitive, Laurent Gbagbo de l’ethnie Bété a été battu aux élections présidentielles de novembre 2010 par
Alassane Ouattara homme du Nord. En dépit de sa défaite, il a contesté le résultat des élections et a voulu se maintenir au
pouvoir malgré les pressions de l’ONU et de l’Union africaine. Il a fallu à nouveau l’intervention des troupes françaises
pour permettre son arrestation le 11 avril 2011.
Au total, ce conflit ivoirien apparaît encore plus grave et plus lourds de dangers que celui de la Sierra Leone. Il est
révélateur de la tentation actuelle au repli identitaire de certains Etats, ceci au nom d’une certaine autochtonie.
- Au total, la dernière décennie du XXème
siècle montre que les arbitrages électoraux sur le modèle des démocraties
occidentales font difficilement bon ménage avec l’exercice patrimonial du pouvoir. De fait, il a été plus facile de
créer des territoires d’Etat que les conditions d’une démocratie politique.
- A ce titre, les hommes politiques portent une lourde responsabilité en manipulant le fait ethnique dans le souci de
leurs propres intérêts plutôt que de celui de la nation. Ils jouent sur les tensions ethniques ou régionales pour se
maintenir au pouvoir et, faute d’une tradition démocratique, leur valeur ne dépend pas de leur projet de société
mais plutôt et surtout de leur appartenance ethnique, régionale ou religieuse ; la crise ivoirienne est illustrative.
- Aussi, dans un contexte de pauvreté, la cristallisation ethnique des violences collectives peut-elle s’interpréter
comme un instrument politique ; les politiciens jouant à la fois sur la fragilité des structures étatiques, une
concurrence prédatrice corollaire d’un sous-développement, le tout aboutissant à une (re)territorialisation des
Etats et expliquant le « state collapse » des pays africains au cours de la dernière décennie (Clapham, 2001).
B/ … à l’origine d’un sous-développement.
- Au cours des années 1990, pour beaucoup de personnes, la guerre devient plus intéressante que la paix car elle offre
plus rapidement des richesses et favorise une ethnie et/ou clientèle. De fait les guerres civiles se multiplient, et durant la
« décennie du chaos » 35 pays africains sur 53 connaissent des affrontements internes qui plongent l’Afrique dans la
spirale du sous-développement. Ainsi, 25 millions de personnes sont chassées de leurs foyers et dépendent d’une
assistance extérieure pour leur survie.
- La malnutrition et la sous-alimentation apparaissent comme les symptômes les plus frappants de ce sous-
développement. Seuls 13 pays sur 53 sont capables d’offrir à leur population une alimentation caloriquement suffisante :
il s’agit de l’Afrique du Sud, des pays d’Afrique du Nord, et de quelques Etats bordant le golfe de Guinée. Pour les autres
représentant 450 millions de personnes, soit 55% de la population continentale, ils vivent avec moins de 2 300 calories
par jour (et souvent moins de 1 800 calories), souffrent d’une situation de malnutrition endémique, tandis que les taux
14
de mortalité explosent. Concomitamment le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté augmente de 150 millions
d’individus entre 1981 et 2001, bien qu’il régresse partout ailleurs dans le monde : en 1980, 1 pauvre sur 10 était Africain,
en 2000 c’est 1 pauvre sur 3. Parallèlement, dans les mégapoles, le taux de chômage passe selon le BIT, de 10% de la
population en 1970 à 18% en 1990, 30% en 2000.
Malnutrition = Alimentation insuffisante en qualité, apport calorique déséquilibré. Les carences peuvent provoquer un
retard de croissance chez les enfants (protéines), la cécité ou l’affaiblissement des défenses immunitaires (Vitamine A).
Sous-alimentation = Alimentation insuffisante en quantité. Apport calorique journalier insuffisant, ne provoquant pas
directement la mort mais diminuant la résistance face aux maladies.
Seuil de pauvreté = Revenu journalier ne dépassant pas un dollar par jour.
- Au final, on constate que le passage brutal à la démocratie et au multipartisme n’a pas permis d’élever de nouveaux
gouvernements stables, capables de redresser l’économie, de résister aux partis opposants déchaînés, à la presse toute
nouvellement libérée qui rattrape le temps perdu et, enfin, de redonner espoir aux jeunes générations sans perspective. Le
paradoxe reste que via les supports médiatiques qui ont réussi à sensibiliser les populations occidentales aux famines
africaines, la faim et la pauvreté n’ont pas disparues ni même reculées, elles ont été instrumentalisées et sont
considérées par certains politiciens ou groupes sociaux comme une arme géopolitique.
1/ La famine : un marqueur de sous-développement utilisé comme une arme géopolitique.
- On est tenté, quand surgit le spectre de la famine, d’incriminer la nature, d’établir une causalité simple entre les drames
de la faim et la sécheresse.
Famine = Rupture absolue de l’approvisionnement alimentaire entraînant la mort à brève échéance.
1/ Les famines ne résultent pourtant pas seulement des calamités naturelles. Seuls les milieux sahéliens sont exposés à
des aléas climatiques aux conséquences graves : des sécheresses sévères, plus ou moins cycliques, y menacent les
troupeaux et les hommes. A cela s’ajoutent les ravages des acridiens : les hommes restent démunis contre les invasions
périodiques de criquets dont les nuées, grosses de milliards d’insectes, réduisent à néant les cultures sur leur passage.
Mais si les caprices de la nature ont leur part de responsabilité, la plupart des famines contemporaines sont les
conséquences d’une organisation territoriale déficiente et de dysfonctionnements politiques.
2/ Les famines les plus terribles sont en effet les conséquences des guerres, soit directement comme au Biafra, soit de
façon indirecte lorsqu’elles ont désorganisé encadrements sociaux, administrations et circuits d’échange, comme au
Mozambique ou en Ouganda. La famine qui a frappé à nouveau le Soudan en 1998, et celle qui a touché l’Ogaden en
2000 démontrent, une fois encore, qu’il s’agit d’une calamité dont les hommes portent une large part de
responsabilité.
3/ Aussi, les famines africaines d’aujourd’hui sont-elles très largement de nature géopolitique. Elles le sont d’autant
plus que les groupes dominants des pays menacés par la famine ont appris à tirer parti de la charité internationale :
« la faim est une arme » (R. Pourtier). A l’ère des médias, la compassion est sollicitée par des ONG de plus en plus
nombreuses à venir au secours des populations en détresse d’un continent qui est devenu la terre d’élection de l’action
humanitaire dans sa version moderne. La médiatisation de leurs interventions, au Sahel, en Ethiopie ou en Somalie a
beaucoup contribué à diffuser l’image d’un continent accumulant les malheurs. Cependant, l’aide fournie par les
donateurs des pays du Nord a des effets pervers : elle n’est pas toujours utilisée pour sauver de la mort des personnes
affamées. Les victimes de la faim le sont souvent moins pour cause de sécheresse que par suite de violences
politiques et de détournement des aides.
- Au total, les grandes crises climatiques et les invasions de criquets continuent à faire peser sur la nature la
responsabilité des catastrophes, mais l’homme est en réalité largement coupable en pratiquant une gestion des
risques souvent à l’origine de son malheur, par l’ignorance ou de manière délibérée : les dérives des ONG en sont
une tragique illustration (J-C. Rufin, S. Brunel).
- Ainsi, la faim et sa manifestation paroxysmique que sont les famines constituent l’expression la plus
douloureusement tangible de la crise des Etats africains. La géographie mondiale des famines contemporaines
montre un glissement de l’Asie, où elles furent fréquentes et très meurtrières durant la première moitié du XXème
siècle, à l’Afrique.
- Pour lutter contre les famines il faudrait des systèmes de transports plus efficaces pour réduire le cloisonnement
et faciliter les échanges de nourriture. Et surtout davantage de sécurité, car ce sont surtout les troubles politiques
et les guerres civiles qui traînent la famine à leur trousse.
15
2/ Des flux migratoires révélateurs d’un mal développement.
- A l’échelle régionale : Les flux de réfugiés, un exode massif et contraint des populations.
1/ Les réfugiés apparaissent comme une population flottante. Ils constituent un groupe spécifique de population au statut
théoriquement provisoire, mais dont l’histoire des dernières décennies indique qu’il peut se pérenniser. En Afrique, la
question des réfugiés a pris au fil des ans et de la cadence des conflits une importance considérable : le continent détient
le record peu enviable des déplacements forcés. L’évolution récente montre cependant un reflux après le pic de 1994 lié à
la crise rwandaise.
2/ Le statut de réfugié, défini par le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés) de l’ONU, concerne les seules personnes
ayant franchi les frontières nationales pour fuir des violences constituant une menace pour leur vie. L’ONU a
longtemps ignoré les « personnes déplacées » à l’intérieur d’un Etat, par exemple les victimes des violences politico-
ethniques de 1992-1994 au Zaïre, qui chassèrent du Shaba (Katanga) quelque 600 000 à 800 000 originaires de Kasaï. On
les qualifia localement de « refoulés ». L’importance de tels déplacements sous contrainte a conduit le HCR à élargir ses
compétences en distinguant les réfugiés proprement dits, les déplacés internes, les rapatriés. Au final, 22 300 000
personnes relevaient du HCR au 31 décembre 1999, dont plus d’un tiers vivaient en Afrique.
L’exemple des réfugiés rwandais.
1/ C’est le Zaïre qui, avec la déferlante de 1 300 000 Hutus en juillet 1994, a accueilli le plus grand nombre de réfugiés :
au total, 1 724 000 étaient officiellement enregistrés en 1995, en provenance du Rwanda, d’Angola, du Burundi, du
Soudan. La plupart des camps étaient implantés à proximité des frontières, spécialement ceux qui hébergèrent les
Rwandais : le camp de Kibumba, au nord de Goma, se trouvait à un jet de pierre de la frontière rwandaise. La Tanzanie
accueillait 883 000 réfugiés en 1995, dont 626 000 Rwandais ; le Burundi 300 000 dont 278 000 Rwandais. Plus de 2
millions de réfugiés étaient donc installés sur les périphéries du Rwanda avant le déclenchement de la guerre du
Zaïre à l’automne 1996.
2/ D’après le HCR, 1 300 000 auraient été rapatriés depuis lors. L’attaque des camps du Kivu par l’Alliance des forces
démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) poussa cependant quelques centaines de milliers de
réfugiés sur le chemin de l’exode, dans une fuite éperdue vers l’ouest. Ceux qui ne furent pas massacrés par les soldats
de l’AFDL et surmontèrent l’épreuve de la traversée du Zaïre ont trouvé leur salut en franchissant les frontières du Congo
Brazzaville, du Soudan, de la République centrafricaine ou de l’Angola. Le nombre de réfugiés dans l’ex-Zaïre a donc
retrouvé son étiage (285 000 en 1999) après deux années de perturbations profondes dont les conséquences n’ont pas fini
de se faire sentir : la nouvelle guerre du Congo qui a éclaté en août 1998 aggrave l’instabilité chronique du centre de
l’Afrique.
- Au total, les guerres entraînent des dommages collatéraux autres que les famines : les exodes massifs et les camps,
même gérés par le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), entretiennent des conditions de vie extrêmement
précaires, favorables aux épidémies mais aussi à la déstructuration sociale.
- De plus, à ces flux migratoires liés à des conditions géopolitiques chaotiques, et qui s’effectuent à une échelle
infra-continentale, s’ajoutent d’autres types de mobilités humaines.
- Aux échelles continentale et mondiale : Des flux migratoires intenses et massifs pour fuir les problèmes de
développement.
Les migrations intercontinentales : des flux Sud-Nord.
1/ La dialectique de la mobilité et de l’enracinement est au fondement de la structuration socio-spatiale de
l’Afrique. Elle s’organise autour de systèmes familiaux et résidentiels hérités et entretenus : les Maghrébins d’Europe
retournent régulièrement au bled ; les urbains de Dar es Salaam – particulièrement les Chagga du Kilimandjaro –
reviennent au village pour Noël, les vacances scolaires ou se faire enterrer.
2/ Les mobilités vers l’Occident, particulièrement l’Europe, sont l’une des caractéristiques communes des pays
africains en mal développement. Même si de plus en plus d’Africains s’installent en Amérique du Nord, le Vieux
Continent reste l’un des horizons privilégiés perçus comme un « eldorado ». Aussi, les cités des banlieues françaises
« blacks-blanches et beurres » sont-elles devenues, dans une large mesure, des cités africaines ; Lisbonne, Londres, Paris,
Bruxelles sont désormais des capitales où se jouent les politiques africaines. Dans ce cadre, le trait de côte continental
16
n’est plus la limite de l’Afrique, l’espace africain est bien plus vaste, il s’ouvre à l’Europe et au monde. Or, c’est là un
des effets essentiels de la mondialisation et des problèmes de développement que rencontrent les populations
africaines.
3/ Toutefois les caractéristiques de ces flux migratoires varient selon l’espace émetteur concerné. Ainsi, pour
l’Afrique subsaharienne, ils se dirigent en priorité vers les anciennes métropoles, la connaissance de la langue et les
connivences culturelles facilitant l’intégration (Grande-Bretagne, France, Belgique, Portugal), mais aussi vers des pays
que les offres d’emplois rendent attractifs (Allemagne). Loin d’égaler celle des pays du Maghreb, la migration en
provenance d’Afrique subsaharienne a pris de l’ampleur au cours des dernières décennies, d’autant plus qu’aux migrants
économiques se sont ajoutés les demandeurs d’asile politique fuyant les dictatures et les guerres.
4/ Une fraction notable de la migration emprunte des filières clandestines (cales de navires ou petites embarcations qui
franchissent nuitamment le détroit de Gibraltar), faisant les beaux jours de ces nouveaux négriers dont la cargaison n’est
plus constituée d’esclaves mais de volontaires qui payent cher leur ticket d’entrée en Europe. Il en résulte qu’un grand
nombre de migrants africains se retrouvent en situation irrégulière : ils viennent grossir, auprès d’autres naufragés de
l’exil, les effectifs des « sans papiers » que l’occupation, en 1997, de l’église Saint-Bernard à Paris a fait connaître. Au
total, selon les données recueillies par Eurostat, la population originaire d’Afrique subsaharienne résidant dans l’Union
européenne – la moitié provenant d’Afrique de l’Ouest – atteint 850 000 habitants contre 2 160 000 pour l’Afrique du
Nord.
A travers les remises,
ces migrants constituent un enjeu économique pour les Etats africains.
Remises = Partie du revenu des travailleurs immigrés envoyée à leur famille restée dans le pays d’origine.
1/ Les remises sont une ressource vitale pour certains pays, comme ceux du Maghreb et de l’Afrique sahélienne.
L’économie des îles du Cap-Vert s’effondrerait sans l’apport financier de la diaspora. La région de Kayes, à l’ouest du
Mali, vit au rythme d’une migration tournante vers la France et de l’arrivage régulier des « mandats » que les salariés en
migration expédient à leurs parents restés au village. Des réseaux très bien organisés fonctionnent ainsi entre les lieux
d’acquisition de l’argent et ceux dont la survie dépend des apports monétaires extérieurs.
2/ C’est pourquoi les autorités actuelles multiplient les signes de bonne volonté à l’égard de ces émigrés afin qu’ils
investissent au pays. Par exemple, les kyeko ougandais – les émigrés – dépensent 500 millions de dollars quand ils
reviennent fêter Noël au pays. 1,5 million de Marocains ou d’Européens d’origine marocaine – dont les épiciers ammeln
de Tafraout – retournent au Maroc l’été. De même, les 1,5 million de sièges mis sur le marché par Air Algérie entre juin
et septembre représentent 48% du marché annuel avec l’Europe, dont la moitié vers la France. Pendant les vacances ce
sont 172 vols hebdomadaires qui lient l’Algérie à la France, dont la moitié sur Paris. La diaspora ghanéenne (3 millions
de personnes soit un sixième de la population dont le plus éminent représentant est Koffi Annan) envoie l’équivalent des
deux tiers de l’aide publique au développement (350 millions de dollars) au Ghana.
3/ Cependant, il existe une grande différence d’intensité migratoire, et donc de retombées économiques, entre le
nord et le sud du Sahara. La proximité spatiale de l’Europe, la densité et l’ancienneté des liens jouent évidemment.
Mais, revers de la médaille, cette émigration pose de vrais problèmes de développement aux Etats africains qui,
comme au Ghana, n’arrivent pas à « retenir au pays les infirmières qualifiées » (Châtel, 2003). Pas un pays africain
n’échappe à ce phénomène de brain drain, d’expatriation de la main-d’œuvre qualifiée, or aucun d’entre-eux ne
pourra faire grimper son taux de croissance sans une main-d’œuvre formée et en bonne santé.
La « fuite des cerveaux » (brain drain),
un handicap majeur pour le développement de l’Afrique.
1/ Les étudiants en formation dans les universités du Nord constituent une cohorte particulière de migrants temporaires.
Aux flux traditionnellement orientés vers les anciennes métropoles, principalement l’Angleterre et la France, s’en sont
ajoutés d’autres, reflets d’une géopolitique mondiale très attentive à la formation des élites : les Etats-Unis mènent une
politique active d’attribution de bourses. Les pays de l’Est n’ont pas été en reste avant l’effondrement du communisme :
un grand nombre d’Africains sont passés par l’université Lumumba de Moscou. D’autres ont étudié dans les universités
roumaines. Certes, les pays africains se sont dotés d’universités qui assument désormais l’essentiel de l’enseignement
supérieur, au moins pour les premiers cycles. Mais la crise financière des Etats grippe le système universitaire,
encourageant les étudiants qui en ont la possibilité – généralement les plus favorisés par leur origine sociale – à
poursuivre leurs études en Europe et en Amérique du Nord.
2/ Pour les Africains ayant acquis à l’étranger un haut niveau de formation, la question du retour se pose avec de plus
en plus d’acuité. Les premières générations de diplômés après les indépendances étaient assurées d’obtenir un poste
17
rémunérateur et un statut gratifiant dans de jeunes Etats en construction qui manquaient de personnels nationaux
compétents. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, car partout les systèmes politico-administratifs sont saturés. Des
professions nécessitant des études longues sont dévalorisées, notamment dans les secteurs de l’enseignement et de la
santé. Des chercheurs de haut niveau trouvent difficilement des emplois correspondant à leur formation. La tentation est
donc grande de valoriser les acquis là où les structures économiques s’y prêtent : au Nord. Bien qu’elle soit difficile à
mesurer, la « fuite des cerveaux » existe bel et bien. Elle prive l’Afrique d’une partie du bénéfice de son
investissement dans la formation, et des compétences dont son développement a impérativement besoin. Briser le
cercle vicieux représente un des grands défis auxquels elle est confrontée, afin que l’accumulation du capital intellectuel –
la matière grise – ne suive pas le même chemin que les matières premières.
- Au total, l’année 1986 marque le retournement de situation après le second choc pétrolier. Le cours des matières
premières s’effondre. Un changement de politique monétaire aux Etats-Unis renchérit brutalement le coût du
crédit. La dette africaine devient insupportable d’autant que les caisses sont vides car l’argent gagné durant les
belles années a été largement dilapidé dans des dépenses de consommation, dans des projets pharaoniques ou
cachés à l’étranger par les dirigeants. L’Etat ne peut plus maintenir sa fonction redistributive. Les fonctionnaires
ne sont plus payés, les années « blanches » (sans cours et sans examen) se multiplient dans l’enseignement. Les uns
après les autres, les Etats se placent sous la tutelle des organisations financières internationales. Pour avoir accès
au crédit international, ils doivent se plier à des plans d’ajustement structurel.
- La faillite des Etats fait entrer l’Afrique dans la « décennie du chaos ». En quelques années ils perdent l’essentiel
de leurs moyens financiers dont les trois principales rentes dont ils bénéficiaient. A savoir la rente des matières
premières (le rapport entre le prix des produits exportés, matières premières avant tout, et le prix des produits
importés, manufacturés et alimentaires essentiellement, atteint 50% par rapport aux années 1960) ; la rente des
financements privés (plus personne ne veut prêter à l’Afrique discréditée. Désormais les capitaux privés se
raréfient en direction des pays en développement, l’Asie de l’Est étant la seule exception à la règle) et la rente
stratégique (l’Aide Publique au Développement, APD, autrefois délivrée les yeux fermés selon les calculs
géopolitiques des deux blocs, chute de plus du tiers entre 1991 et 2001 et se redéploie vers les Etats d’Europe
centrale et orientale). L’Etat africain s’effondre car obligé de « dégraisser la fonction publique », fermer ou
privatiser les entreprises publiques (ce qui entraîne un chômage de masse) et de supprimer bourses et subventions.
- Les famines et la sécheresse se multiplient car l’Afrique entre dans le cycle des mauvaises pluviosités entre 1970
et 1990. La pauvreté amène comme lors d’un cercle vicieux épidémies, guerres et le terrible génocide de 1994 du
Rwanda. Les ONG et grandes opérations d’assistance humanitaire enferment l’Afrique dans un statut de victime.
Certains représentants abusent de cette aide et exposent exprès leurs populations à la famine et aux déplacements
forcés pour intensifier cette aide. Celle-ci, détournée, devient un formidable rendement pour leurs guérillas. La
migration, à travers ses multiples réseaux – familiaux, d’originaires – se développe, prend la forme d’une nouvelle
diaspora par laquelle les liens de l’Afrique avec le monde s’étoffent et se diversifient. Le faisceau euro-africain
demeure prépondérant même si de nouveaux horizons s’offrent à la migration (par exemple, les Mourides du
Sénégal ont élargi leur réseau de commerçant au Nouveau Monde en implantant une active tête de pont à New
York). L’Afrique cherche un responsable à son malheur et accuse l’Occident de l’avoir pillée, abandonnée, et
celui-ci doit se repentir pour tous les maux historiques (traite des Noirs et esclavagisme, colonisation, injustices et
inégalités économiques). Par d’habiles campagnes de propagande, les gouvernements s’exonèrent de toutes
responsabilités auprès de leurs peuples en alimentant la rancœur contre l’Occident afin de ne pas devoir rendre
des comptes.
- Mais à la fin des années 1990 des changements surviennent. En août 1998, les attentats contre les ambassades
étatsuniennes de Nairobi, au Kenya, et de Dar es-Salaam, en Tanzanie, revendiqués par Al-Qaïda, précédent et
annoncent ceux du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis prennent conscience que ce continent désormais sans
frontières et sans Etats est devenu un terrain privilégié de la mondialisation illicite, celle des trafics en tous genres,
un terreau favorable à la criminalité, mais aussi à tous les mouvements interlopes qui recrutent une jeunesse
recrue de haine antioccidentale parce que privée d’avenir. Il est donc urgent de reprendre pied sur le continent,
d’autant que de nouveaux concurrents ont pris conscience des très diverses opportunités qu’il offrait.
18
III/ Nouvel enjeu stratégique dans le cadre de la mondialisation,
« l’Afrique est-elle bien partie ? » (S. Brunel)
A/ Secrété par la mondialisation, l’Afrique abrite un « anti-monde » propice à son
développement.
Anti-monde = Partie du Monde mal connue et qui tient à le rester, qui se présente à la fois comme le négatif du monde et
comme son double indispensable (R. Brunet, 1982).
1/ Cultures illicites et criminalisation des échanges, comme sources de revenus.
- Dans certains cas la culture illicite est ancienne, mais son importance a été démultipliée depuis les années 1980 : ainsi
au Maroc, on estime que la culture du cannabis couvre actuellement plus de 250 000 hectares pour une production
évaluée à 100 000 tonnes de kif11
brut. Elle rapporte entre 3 000 et 4 500 euros à l’hectare (contre 680 pour le blé ou 760
pour le maïs), et ferait vivre plus de 300 000 familles d’agriculteurs du nord du pays (Labrousse, 2003).
- La quasi-totalité des pays africains sont devenus producteurs de cannabis : le Nigeria, le Ghana, le Kenya, la bande
frontière entre le Zimbabwe et le Mozambique, et surtout l’Afrique du Sud (deuxième producteur mondial de dérivés de
cannabis, 80 000 hectares cultivés). En Guinée forestière, 17 pieds de cannabis permettent de faire vivre une famille de 8
personnes pendant un an.
- Mais l’Afrique sert surtout de relais pour la cocaïne sud-américaine et l’héroïne asiatique destinées aux marchés du
Nord, selon l’Observatoire géopolitique des drogues. S’ajoutant au trafic de diamants (Angola, ex-Zaïre, Sierra Leone),
celui des drogues dynamise des réseaux sans frontière qui s’affirment aussi partie prenante dans le commerce des armes.
Au total, lorsque l’agriculture traditionnelle, même renforcée par les cultures dites de rente, ne produit plus de
revenus suffisants, les paysans sont tentés de se tourner vers des cultures illicites. Il est naturellement impossible de
chiffrer l’ensemble de ces trafics ; leur nature criminelle et la protection des plus hautes autorités politiques les
rendent totalement hermétiques. Ce qui est certain, c’est qu’ils faussent les données du commerce extérieur de plus
d’un pays dont les déclarations officielles ne rendent que partiellement compte de la réalité de ces échanges et qu’il
permet à des franges entières de la population de survivre, voire de s’enrichir.
2/ La contrefaçon, une source de revenu pour les citadins.
- Vue du Nord, elle représenterait plus de 300 milliards d’euros de manque à gagner, et, pour la France, 38 000
emplois perdus. Alors que seules les organisations onusiennes et quelques ONG se mobilisent pour combattre les cultures
illicites, l’ensemble du monde industriel a engagé une lutte contre la contrefaçon même si ce sont parfois les mêmes
mafias qui instrumentalisent les deux types d’activités illégales.
- Vue sous l’angle des pays africains, l’imitation des produits protégés par des brevets est une véritable manne pour
l’artisanat souterrain d’une partie du continent : le Maroc, la Tunisie et l’île Maurice sont connus pour la production
frauduleuse de vêtements et de chaussures de marque, ainsi que d’objets de maroquinerie, ou le piratage audiovisuel.
Des milliers de travailleurs, souvent très jeunes et fortement exploités, vivent de ce travail. Ils volent le droit de propriété
intellectuelle, mais acquièrent en échange un savoir-faire professionnel que certains pays commencent à valoriser.
- Cependant, admissible sous cet angle, la contrefaçon peut malheureusement devenir dangereuse, comme au Nigeria où
tout semble pouvoir être imité notamment les médicaments, souvent reproduits à partir de substances toxiques, ou encore
les pièces détachées qui tuent (plaquettes de frein par exemple). Ainsi, même en ménageant une large zone de tolérance
dans l’illicite de cet informel, force est de reconnaître que des limites devront être posées à la transgression.
11
Drogue hallucinogène extraite des plants femelles ou des fleurs desséchées d’une variété de chanvre indien (poussant en Afrique du
Nord), qui est ajoutée au tabac à fumer.
19
B/ Des potentialités touristiques à exploiter dans le cadre de la mondialisation.
Vu du Nord, l’Afrique n’est pas seulement un fournisseur de produits primaires, un débouché pour ses productions, et un
réservoir de migrants, c’est aussi une immense réserve touristique encore en friche. Si l’Egypte et le Maghreb, riches en
monuments anciens et en patrimoine architectural urbain, attirent un tourisme de masse, l’Afrique subsaharienne fait
figure de parent pauvre à l’échelle du tourisme mondial.
1/ La nature spectacle en Afrique australe et orientale.
- Le « tourisme de vision » correspond à la plus grande part du potentiel touristique actuellement exploité,
principalement en Afrique orientale et australe. Le safari représente l’originalité de ce tourisme africain où, en dehors
des parcs réservés à la grande chasse, l’appareil photo et la caméra se sont substitués à la carabine. Car pour les non-
Africains, l’image positive de l’Afrique est d’abord celle d’un continent soumis au règne de la nature : troupeaux
sauvages de gnous parcourant d’immenses savanes, forêts mystérieuses hantées par le fantôme de Tarzan, gorilles de
montagne rendus célèbres par les articles de Diane Fossey dans National Geographic et le film « Gorilles dans la
brume ».
- D’ailleurs le Kenya en a fait une de ses principales ressources. La Tanzanie, dont le parc du Serengeti est
probablement le plus riche du continent, lui a emboîté le pas. Au Zimbabwe, la visite des Victoria Falls s’accompagne
généralement de celle d’un parc naturel. En Afrique du Sud, le parc Krüger attire autant par les paysages grandioses du
Drakensberg que par la faune, et, comme au Kenya, par la qualité des lodges, ces hôtels mariant le confort à une
immersion raffinée dans la nature. Là où la ressource animalière est moins spectaculaire, diverses formes d’écotourisme
tentent de valoriser l’environnement global, en associant à la découverte de la faune celle de la flore et de l’activité
paysanne, par exemple à Madagascar. Au Sénégal, des formules d’hébergement au village (la paillote étant érigée en gîte
rural) ont été expérimentées avec un certain succès.
- Cependant cette authenticité entraîne la mise sous cloche de l’Afrique, car il s’agit avant tout de la préserver ; « après
l’ingérence économique et politique, voici venu le temps de l’ingérence écologique » (Brunel). Aujourd’hui, 14% du
continent est classé en réserves ou parcs naturels, et bien plus encore dans certains pays d’Afrique australe et orientale, au
détriment des populations locales, privées de leurs terres de chasse, de cultures ou de transhumance pastorale. Ainsi, les
Masaïs du Kenya et de Tanzanie, les Iks de l’Ouganda, dont le sort tragique a été divulgué par l’ethnologue Colin
Turnbull, les populations enserrées dans le parc du W en Afrique de l’Ouest, ou encore les Sans (bushmen) du Kalahari
ont-ils perdu leurs terres coutumières au nom de la protection d’une nature dont ils étaient pourtant les gardiens
ancestraux. Des géographes tels Denis Chartier ou Philippe Pelletier12
évoquent cette alliance de fait entre les grandes
ONG environnementales (WWF, Greenpeace) et les élites politiques et économiques nationales, qui s’exerce au détriment
des populations locales.
Au total les mécanismes actuellement à l’étude sur le plan international au nom de la préservation de la
biodiversité et de la lutte contre le changement climatique (PSE – paiements pour services environnementaux ;
Reed – réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation…) risquent d’accentuer la
sanctuarisation du continent au détriment de ses habitants, surtout si ceux qui les mettent en œuvre ne sont pas
vigilants quant à la répartition de la manne et aux impacts territoriaux de la protection. Néanmoins, le « tourisme
de vision » est une opportunité économique pour des Etats et populations à la recherche de devises.
2/ En Afrique du Nord : le tourisme de masse, un agent de développement économique.
Pour R. Knafou13
, « les lieux touristiques dépendent de notre regard, ils n’ont pas de valeur en eux-mêmes, ce sont les
hommes qui leur donnent un sens en les exploitants ou pas ». Les Etats d’Afrique du Nord soumis aux difficultés de
l’économie de rente ont bien intégré cet axiome et cherché au cours des trente dernières années à développer une activité
touristique propice à une importante rentrée de devises sur le territoire. Pour ce faire, ils ont valorisé leurs localisations
géographiques, la proximité avec le premier bassin touristique mondial, la Méditerranée, qui accueille environ 360
12
P. Pelletier, L’imposture écologique, Reclus, géographiques, 1993. 13
R. Knafou, « Tourisme et mondialisation », Tourisme, Acteurs, lieux et enjeux, Belin Sup, coll. Géographie, coord. M. Stock, 2004.
20
millions de touristes par an, leurs atouts historiques (pyramides, sites antiques, médinas…) et climatiques (Sea and Sun),
et améliorés leurs connexions avec le système-monde. Marrakech en est une illustration…
Exemple : Marrakech au Maroc (A-C. Kurzac-Souali)
1/ Sa proximité géographique et historique avec l’Europe, qui constitue le premier vivier de touristes et de travailleurs
étrangers (les Occidentaux représentent 86% des entrées à l’aéroport), fait que Marrakech est devenue la première
destination touristique du Maroc (36% des nuitées) et un des principaux lieux touristiques d’Afrique.
2/ La mondialisation n’est pas étrangère à ce succès, puisque son rayonnement et sa visibilité à l’international ont été
renforcées par sa connexion à l’espace mondialisé avec un hub international, l’aéroport Marrakech-Ménara, et surtout
l’utilisation des nouveaux médias et moyens de communication (NTIC) à l’origine de l’engouement pour le « produit
médina » ; créneau porteur pour obtenir l’audience d’un large public en quête de dépaysement et d’altérité. Ainsi, au
travers des NTIC, la ville, et surtout la médina, sont désignées comme un eldorado à investir (Capital sur M6), comme un
ensemble d’espaces patrimoniaux « vierges » et encore vivants (Des Racines et des Ailes), un « espace people », la presse
valorisant le caractère festif de la ville moderne.
3/ Même si l’ensemble de ces vecteurs de diffusion « déréalisent » la ville en la réduisant à des paysages de loisirs et
d’agrément participant à un « enchantement du monde » (Winkin, 1998), il reste que les retombées économiques sont
manifestes avec : 1/ La multiplication d’hôtels-club, infrastructures les plus répandues dans la ville sous la forme de
complexe plus ou moins grands, source d’emplois dans le domaine du bâtiment et de l’hôtellerie. 2/ L’apport de capitaux
étrangers importants via les dépenses des touristes ou les investissements réalisés par les FMN (FRAM, Marmara), qui
dominent le marché des nuitées et continuent d’étendre leur capacité en lits à travers la réalisation d’équipements
touristiques.
- L’exemple de Marrakech, reproductible en Egypte ou en Tunisie, montre que le tourisme est un outil performant
d’intégration au système-monde et de développement économique, même si cet ancrage peut-être complexe et
source de tensions entre autochtones et touristes, de développement inégal et déséquilibré à différentes échelles, de
« muséification » du continent.
- A l’échelle continentale, l’Afrique septentrionale est la principale bénéficiaire de cette manne touristique : le
Maroc accueillent 4,1 millions de touristes, la Tunisie 5 millions, l’Egypte 5,1 millions. Ces Etats tirent profit de
leur proximité géographique et culturelle avec l’Europe, de leur position d’interface Nord-Sud, lesquelles
modifient leurs liens avec le monde et les orientations économiques préexistantes ; une économie de rente à faible
valeur ajoutée. Cependant, les troubles générés par les « printemps arabes » ou les attentats terroristes peuvent
avoir de lourdes conséquences sur ces fréquentations touristiques. Par essence, les flux touristiques s’adaptent aux
crises, avec des redéploiements vers des lieux plus stables, et la Tunisie et l’Egypte souffrent cette volatilité. Ainsi,
suite à l’attaque de Louqsor, où une soixantaine de touristes trouvèrent la mort, en novembre 1997, l’Egypte a
perdu 12.1% de ses visiteurs (en 1998).
- Enfin, à plus grande échelle, comme à Marrakech, cette manne touristique modifie le paysage urbain et traduit
une métropolisation rampante à travers l’intégration aux logiques du tourisme international, la mise en place de
réseaux de connexion au système-monde.
C/ La ville, pivot de la croissance de l’Afrique et des mutations des sociétés.
1/ Les aspects négatifs de la croissance urbaine.
- La transition urbaine et ses conséquences socio-spatiales.
Transition urbaine = Passage d’une phase où la population d’un pays est majoritairement rurale à une phase où elle est
majoritairement urbaine.
1/ Le taux d’urbanisation en Afrique est encore modeste (environ 35% de la population totale), mais il ne cesse de
croître, d’environ 5% par an. Alors que l’Afrique septentrionale est largement urbanisée (Le Caire, la plus grande ville
du monde arabe et de l’Afrique, est devenue une énorme mégapole de 12 millions d’habitants), certains Etats d’Afrique
subsaharienne ont des taux très faibles, comme le Rwanda et le Burundi (moins de 10%), mais d’autres ont dépassé les
50% comme le Gabon, le Congo, le Sénégal et bientôt l’essentiel des Etats du golfe de Guinée et de l’Afrique australe
(en Afrique du Sud, Johannesburg, Durban et Le Cap atteignent et dépassent 3 millions d’habitants).
21
2/ L’urbanisation est donc plus importante dans le Maghreb et les villes australes, mais l’ensemble des villes
africaines sont touchées du fait de la croissance urbaine par le développement des quartiers informels, irréguliers, non
planifiés. Selon ONU-HABITAT, l’Afrique subsaharienne compte aujourd’hui 304 millions d’urbains dont les deux-
tiers vivent dans des quartiers spontanés ou irréguliers, dans les bidonvilles. En termes de pourcentage, elle détient le
record du monde. Cette urbanisation de la pauvreté résulte de la conjugaison de trois facteurs : l’urbanisation rapide des
pays africains, le manque d’emplois urbains décents et les insuffisances de la planification et de la gestion des villes. Le
premier facteur, potentiellement positif car il contribue à réduire la surpopulation rurale, n’a malheureusement pas été
accompagné par un développement économique suffisant pour générer les emplois et les revenus espérés. Dans de
nombreux pays cette croissance urbaine a été mal gérée du fait l’absence de volonté politique et de mauvais choix
techniques.
3/ Cette pauvreté urbaine se définit de deux façons : 1/ D’une part, par la pauvreté monétaire. Les pauvres sont ceux
dont le revenu journalier ne dépasse pas un dollar (pauvreté dite absolue, notamment en milieu rural) ou deux dollars
(somme plus ou moins équivalente en milieu urbain à un dollar en milieu rural). 2/ D’autre part, la pauvreté humaine
(telle que définie par le PNUD) concerne les aspects non-monétaires de la pauvreté, c’est-à-dire essentiellement les
difficultés d’accès aux terrains, aux services essentiels et aux logements. Ce second aspect se reflète dans la
bidonvilisation d’un grand nombre d’agglomérations, de Lagos à Kinshasa et de Conakry à Niamey. Aussi, les
grandes villes africaines sont-elles touchées par un phénomène de ségrégation socio-spatiale, une fragmentation de
l’espace, qui atteignit son paroxysme avec l’apartheid en Afrique du Sud.
Exemple. Le « modèle » de la ville d’apartheid
et ses évolutions : Johannesburg, un symbole de ségrégation.
1/ Si la capitale administrative de l’Afrique du Sud est Pretoria, siège du gouvernement, Johannesburg est la capitale
économique disposant du premier aéroport d’Afrique australe. Son agglomération compte 4,4 millions d’habitants.
Construite à la fin du XIXème
siècle sur le plateau du Witwatersand autour des premières mines d’or, elle est aujourd’hui
le cœur de la province du Gauteng, véritable poumon économique du pays, qui concentre le tiers des emplois nationaux
et produit prés du quart du PIB sud-africain. Le slogan de la ville exprime bien sa double identité revendiquée : « a world
class African city » (une ville africaine de rang mondial). La population de la métropole reflète à peu près les équilibres
démographiques du pays (près de 80% de Noirs, 10% de Blancs et 10% de métis et asiatiques, selon des classifications
héritées du régime d’apartheid qui sont encore utilisées par l’administration contemporaine). La moitié de ses habitants
ont moins de 25 ans et 40% sont au chômage.
2/ Mais Johannesburg est la ville de tous les contrastes, où des mondes se frôlent et pourtant s’ignorent. Le grand
township d’Alexandra n’est qu’à 5 kilomètres du centre d’affaires luxueux de Sandtron. La ville connaît une
structure « à l’américaine » : un central business district (CBD), puis des banlieues de faible densité qui s’étalent jusqu’à
rejoindre la métropole de Pretoria au nord et le grand township de Soweto au sud-ouest (son nom vient de SOuth WEstern
TOwnship).
3/ L’empreinte de l’effort de séparation des populations commun aux régimes ségrégationnistes demeure. En effet,
au sud de la métropole, se trouvent des banlieues ouvrières et des zones industrielles, puis derrière les anciennes « zones
tampons », les quartiers d’assignation résidentielle des townships créés dans les années 1950 : pour les Coloured (Western
Native Township maintenant Westbury, Eldorado Park), pour les Noirs (Klipspruit dès 1905, puis Orlando et Soweto) et
pour les Indiens (Lenasia). Au nord se trouve le « deuxième » centre d’affaires de Sandton, construit ex-nihilo dans les
années 1979-1980 quand le centre-ville de Johannesburg s’est peu à peu vidé de sa population blanche européenne fuyant
l’insécurité croissante. Des milliers de familles, pour beaucoup immigrés des pays africains voisins, à la recherche d’un
travail, s’entassent encore aujourd’hui dans les tours délabrées des anciens quartiers huppés du centre (Yeoville,
Hillbrow), même si une partie de l’inner city est en voie de « réhabilitation ».
4/ Les paysages sont proches des banlieues étasuniennes avec des pavillons de plain-pied reproduits à l’infini autour des
grandes avenues et souvent entourés de hauts murs surplombés de clôtures électriques et de barbelés (gated
communities) ; la ségrégation socio-spatiale devient alors manifeste et construit des barrières matérielles selon la logique
du NIMBY (not in my back yard). De plus, la perte d’activité du centre-ville et la tendance à la tertiarisation de
l’économie renforcent la dimension professionnelle et économique de ces banlieues, comme Rosebank, siège de grands
cabinets d’avocats, d’assurance… tandis que les commerces et services sont concentrés dans des centres commerciaux. A
l’exception de rares reconstitutions de rues « à l’européenne » patrouillées par les gardes de sécurité, Johannesburg ne
connaît pas le commerce de rue typique de certains pays d’Afrique.
5/ Même le grand township de Soweto, connu autant pour sa taille que pour son rôle dans les insurrections de 1976 qui
ont commencé à faire vaciller le régime de l’apartheid, dont la population est estimée à 2 millions d’habitants, est soumis
au phénomène de ségrégation et de fragmentation de l’espace. Depuis 1994, les inégalités au sein de la population
22
noire se sont accrues : 1/ Une partie de l’élite noire, les Black Diamonds, quitte les townships tandis que d’autres
habitants préfèrent utiliser des services d’autres parties de la ville, notamment les écoles. 2/ A l’inverse, les ménages les
plus modestes et ceux de la petite classe moyenne sont logés dans des nouveaux projets pavillonnaires « abordables » en
périphérie, toujours plus éloignés du centre-ville et de ses commodités.
Au total, le quadrillage du territoire a laissé une « carte mentale » durable qui limite encore les mobilités au
quotidien et pérennise la ségrégation ethno-spatiale à l’œuvre sous l’apartheid. Le meilleur exemple est les
townhouses ou clusters qui regroupent quelques dizaines de logements dans des complexes fermés (gated
communities) ; gérés sur des bases de copropriété, ils offrent des services communs aux résidents, mais surtout la
sécurité, problème majeur des quartiers blancs qui prend parfois la dimension d’une psychose collective.
23
2/ La mégapole, vitrine de la mondialisation en Afrique
- C’est dans les mégapoles africaines que l’on trouve les activités économiques innovantes et l’ouverture à la
mondialisation.
1/ Les villes africaines se structurent autour des vieilles médinas (en Afrique du Nord) ou des villes coloniales dans
lesquelles se bâtissent des CBD. Elles polarisent les services publics, les sièges sociaux des entreprises et les
investissements, les équipements ainsi que les revenus des économies de rente. Le phénomène de littoralisation est
particulièrement présent en Afrique puisque le centre du continent se caractérise par l’absence de villes – en dehors des
grandes villes fluviales – tandis qu’on observe un alignement urbain tout au long du golfe de Guinée, de Luanda (Angola)
à Abidjan (Côte d’Ivoire), où un chapelet de mégapoles ouvre les pays de la région à la mondialisation et constituent des
moteurs de développement.
- Les échanges Nord-Sud peuvent s’avérer très efficaces dans certains domaines clés pour la croissance des villes
d’accueil, comme Accra, Casablanca, Le Caire et Johannesburg.
1/ La croissance du business process outsourcing a un impact majeur sur le développement urbain et le marché
immobilier des mégapoles africaines. En s’y implantant, les entreprises liées à des FMN apportent capital, technologie,
nouveau mode d’organisation et nouvelles pratiques de gestion. Dans la mesure où elles améliorent les technologies
utilisées et le niveau de qualification de la main-d’œuvre, les entreprises élargissent inévitablement la base de production
des villes d’accueil.
Business process outsourcing = Littéralement « externalisation des processus d’affaires », c’est-à-dire transfert d’une
partie de l’activité d’une entreprise (et des risques qui y sont associés) vers un sous-traitant.
2/ Ces dernières espèrent accroître leur compétitivité et bénéficier de transferts d’innovation et de technologies tout en
accédant à une meilleure formation de la main-d’œuvre. Pour les villes africaines, il s’agit d’une voie pour générer plus de
croissance par le biais des retombées induites : les spillovers.
3/ Ce type de développement, via la sous-traitance, a des implications significatives sur la croissance urbaine, en ce qu’il
favorise l’apparition d’une nouvelle classe de travailleurs très qualifiés, mais rend également nécessaire l’émergence
d’une offre foncière adaptée et d’infrastructures adéquates.
De manière générale, la ville africaine est un foyer de création, d’innovation et de dynamisme. Toutefois, les défis à
gérer face à une croissance urbaine non maîtrisée sont nombreux. Les villes africaines connaissent des problèmes
importants, que ce soit en Afrique du Nord, en Afrique subsaharienne ou en Afrique australe : bidonvilles,
violences, importances des inégalités socio-spatiales, etc. Mais partout, elles servent de relais à la mondialisation et
font preuve d’une grande vitalité.
D/ L’Afrique, un nouvel enjeu géostratégique.
1/ La Chine investit l’Afrique et investit en Afrique.
- La Chine est le premier acteur économique en Afrique. Elle n’a pas de modèle politique à imposer, mais revendique
la solidarité des Suds, apporte cet argent qui manque cruellement aux Etats africains et une coopération technique très
généreuse en échange des richesses dont elle est avide pour financer sa croissance record. Ainsi, la Chine troque du
pétrole et des minerais contre la création d’infrastructures et elle bâtit en Afrique des ports, des ponts, des routes, des
hôpitaux. Les Chinois raflent la plupart des marchés des travaux publics, même ceux qui sont financés par la France,
l’Union européenne ou la Banque mondiale.
- Il faut dire que le continent noir porte bien son nom : ce vieux socle géologique est une éponge à pétrole. 6% des
réserves mondiales, dit-on au début des années 2000, 10% puis 12% aujourd’hui : seuls 8 pays n’ont encore rien donné en
termes de prospection ! Un pétrole de bonne qualité, pauvre en soufre, d’autant plus facile à extraire qu’il est souvent
offshore, directement sur les grandes routes maritimes mondiales. Voici l’Afrique redevenue un enjeu stratégique.
- De plus, en Afrique tropicale humide où on trouve les plus importantes réserves foncières du monde se développe le
landgrabbing ; soit l’achat de terre par des étrangers (Chine, Qatar, Corée du Sud, Inde…). Par exemple, en Ethiopie, des
milliers d’hectares ont été accaparés par les Indiens qui ont développé des cultures florales, exportées ensuite vers
l’Europe. Ces velléités d’installation peuvent parfois conduire à des crises étatiques, comme à Madagascar lorsque les
24
Coréens ont voulu s’accaparer des terres, ce qui aboutit à de vives réactions à l’origine du renversement du président
Ravalomanana.
2/ L’Afrique, un espace géographique objet de nombreux investissements et théâtre de l’affrontement
économique entre les grandes puissances.
- Les affaires s’accommodent mal du chaos, il faut donc des régimes forts et amis. Aussi l’Occident éteint-il peu à peu
ses revendications démocratiques : il n’est plus seul maître à bord en Afrique, loin s’en faut. De nouveaux partenaires
flattent les nouveaux dirigeants africains. Le Brésil nourri par la traite se présente comme la première puissance africaine
hors berceau. L’Inde, la Russie, l’Iran, la Malaisie…, tous sont prêts à apporter leur concours. Sans compter l’Afrique du
Sud, débarrassée de l’apartheid, dont les banques, les compagnies de téléphonie, les chaînes de grande distribution
envahissent leur immense arrière-cour, en même temps qu’elle revendique au nom du continent un siège de membre
permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.
- Dès lors, tout change pour l’Afrique. Sécuriser leurs approvisionnements en énergie et en minerais stratégiques pousse
la Chine et les Etats-Unis à s’y affronter commercialement et diplomatiquement pour assurer leurs positions.
L’indulgence et la générosité des bailleurs de fonds internationaux mettent à l’œuvre un processus de désendettement
exemplaire. Pour celui que beaucoup appellent l’Obama français, Lionel Zinsou, président du fonds d’investissement PAI
et de la fondation Zinsou au Bénin, aucun continent n’a mené en si peu de temps une telle œuvre d’assainissement des
économies. Les IDE affluent14
. L’Afrique est donc devenue une priorité mondiale : il faut « lutter contre la pauvreté ».
- Les fondations privées dépensent des fortunes dans la lutte contre les endémies, permettant à la vaccination et à la
prise en charge des malades de progresser considérablement. L’Europe apporte une aide massive, essentiellement
humanitaire, sans mener la politique de ses moyens, faute d’unité politique. Elle est seule, désormais, à proclamer
vaillamment sa diplomatie des droits de l’Homme, quand le reste du monde (y compris, en coulisses, nombre de chefs
d’Etat européens, au nom de la Real politik) s’accommode parfaitement de ce que les Africains nomment la
« démocrature » : une dictature de fait, mais revêtue des habits d’une démocratie tronquée, moyens de communication
contrôlés, intimidation des opposants et suffrage universel en forme de plébiscite.
En définitive, peu à peu les restaurations autoritaires s’opèrent sans que la communauté internationale, naguère si
exigeante, ne dise mot. Le consensus de Pékin – mieux vaut la croissance que la démocratie – a supplanté le défunt
consensus de Washington, qui prétendait instaurer une conditionnalité rigoureuse au nom d’une idéologie libérale
que les pays du Nord sont les premiers à bafouer lorsque la crise financière frappe à son tour à leurs portes.
14
« En 2010, l’Afrique en a reçu autant que la Chine des années 2000, 50 milliards de dollars. S’y ajoutent 50 milliards d’aide
publique, plus 50 milliards envoyés par les migrants », Lionel Zinsou.
25
IV/ Typologie des Etats africains en fonction de leur intégration à la
mondialisation et de leur développement
A/ L’Afrique du Sud : puissance mondiale « émergente » et centre d’impulsion du
continent africain.
- Pilote de la mondialisation en Afrique, membre du G20 et des BRICS, l’Afrique du Sud est une puissance régionale
semi-industrialisée et à démocratie forte depuis la fin du régime de l’apartheid. Elle est le premier partenaire africain
de la Chine et de l’Inde et représente 25% du PIB continental.
- Elle possède une métropole influente, Johannesburg, seule agglomération intégrée au réseau de l’AMM (Archipel
métropolitain mondial), capitale économique du pays et comprend la première place boursière du continent. Les
activités économiques sont diversifiées. Elles reposent sur l’exploitation de richesses naturelles, une agriculture
productiviste (vin, fleur…), un tissu industriel qui héberge les seules entreprises multinationales africaines, tandis que
l’on assiste à une tertiarisation croissante de son économie.
- A l’échelle continentale, l’Afrique du Sud est le moteur du développement de l’Afrique australe et même dans une
large partie du continent. En tant que puissance continentale, elle revendique une place permanente au Conseil de
sécurité de l’ONU. Toutefois, elle conserve encore des caractéristiques d’un pays en développement : les produits
bruts représentent encore 40 % des exportations du pays, le taux de chômage est important et, surtout, le pays est traversé
par de très fortes inégalités socio-spatiales héritées de la période d’apartheid.
B/ L’Afrique du Nord, le Nigeria et l’Afrique Orientale : puissances régionales et
périphéries intégrées à la mondialisation.
- L’Afrique du Nord : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte.
1/ L’Égypte et les États du Maghreb peuvent être considérés comme des puissances régionales. Leur IDH est plus élevé
que la moyenne du continent africain, leur transition démographique est presque achevée. Leurs économies sont plus
diversifiées que celles des pays d’Afrique subsaharienne. Elles reposent sur des régimes d’accumulation ouverts en
raison de leur proximité et de leurs relations privilégiées avec l’Union européenne, de façades littorales ouvertes au
commerce mondial à travers des infrastructures portuaires et/ou touristiques.
2/ Ce sont donc des périphéries dynamiques qui s’intègrent progressivement au processus de la mondialisation. On
peut toutefois distinguer : un « Maghreb atelier » (Maroc, Tunisie, Egypte) qui accueille les IDE en provenance
d’Europe (tourisme, automobile, textile, agriculture…) ; un « Maghreb pétrolier/gazier » (Algérie, Libye) qui profite de
ses ressources en hydrocarbures.
3/ À l’échelle de l’Afrique, ils peuvent donc être considérés comme des « pays riches ». Toutefois, ils ont eux aussi
conservé des traits du mal-développement : déséquilibre des structures économiques, manque d’infrastructures, fortes
inégalités socio-spatiales, etc. Enfin, les incertitudes politiques liées au « printemps arabe » rend leur situation
incertaine et pèse sur certaines activités vitales, comme le tourisme en Tunisie ou en Égypte
- Le Nigeria.
1/ En Afrique occidentale, le Nigéria s’est affirmé comme seule puissance régionale, au détriment de la Côte d’Ivoire
qui revendiquait le leadership de la région. Première économie d’Afrique de l’Ouest et du Centre, le pays dispose de
grandes entreprises et de banques, grâce à la manne pétrolière notamment. C’est également le troisième producteur
de films au monde (« Nollywood ») et sa diaspora est bien implantée dans le continent africain.
2/ Le pays exerce une influence diplomatique et politique sur toute la région et il aspire à devenir une puissance
émergente : lorsqu’il a été question d’une ouverture du Conseil de sécurité des Nations-Unies, le Nigeria s’est
immédiatement positionné comme l’État africain le plus puissant. Mais cet immense pays de 170 millions d’habitants
souffre également des traits du mal-développement (IDH : 0,448, 142ème
rang mondial).
- L’Afrique orientale : Kenya, Mozambique, Ouganda, Tanzanie.
1/ Ces Etats ont des économies agro-industrielles à forte croissance (plus de 6% annuel durant la décennie 2000, P.
Hugon), ouvertes aux investissements étrangers et qui se diversifient, en particulier avec l’essor du tourisme balnéaire et
26
« de parcs ». L’apparition d’une classe moyenne offre un marché solvable et constitue un des piliers du développement
avec un modèle économique basé sur la consommation (Chaponnière et Jozan, 2008).
2/ Cette hausse du niveau de vie dope les relations commerciales avec l’Asie mais, tributaires d’un tissu industriel
composé de petites entreprises et d’une extraversion commerciale matérialisée par une importante activité portuaire
(Mombasa, 9 millions de tonnes, Dar es Salaam, 4 millions de tonnes, sont les principaux ports de la façade indienne
entre l’Egypte et l’Afrique du Sud), l’ensemble des Etats ont une balance commerciale déficitaire. L’ « effet porte »
instauré par la suprématie des ports explique que la Chine, premier partenaire commercial et premier bailleurs de fonds
de la région, et à un moindre degré l’Inde, concurrencent de nombreux segments productifs nationaux.
C/ Des périphéries annexées ou en marge de la mondialisation : les PMA (Pays les Moins
avancés).
- Sur les 50 pays les plus pauvres de la planète, 33 sont des PMA d’Afrique subsaharienne. Leur croissance moyenne
ces dernières années, située autour de 4% par an, a surtout été alimentée par les exportations de pétrole et de minerais et a
bénéficié à quelques pays comme l’Angola, le Tchad ou la Guinée. En effet, pour la plupart, il s’agit d’Etats aux
économies de rentes : pour le pétrole, Angola, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Soudan, etc. ; pour les minerais,
Guinée, Mauritanie, Namibie, Niger, RDC, Zambie, etc.
- Les bénéfices n’ont pas été réinvestis dans les infrastructures, le niveau de développement n’a donc pas augmenté et la
manne n’a profité qu’à une minorité (d’où un IDH assez faible). Dans ce cadre, la majorité des habitants survivent
grâce à l’agriculture alors que la population, sous l’effet de la transition démographique, croît rapidement. Dans les États
qui ne bénéficient pas de rente, la situation est plus inquiétante : le sous-développement s’aggrave, les investissements
diminuent. Résultat : plus du tiers des habitants de ces États vit avec moins de un dollar par jour ; la pauvreté
augmente en chiffres bruts, puisque plus de 200 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté absolu et que ce
nombre devrait augmenter dans les prochaines années du fait de la forte natalité. Or, à ce jour, aucun programme d’aide
international n’est parvenu à inverser cette tendance et on voit mal comment ces pays pourraient progresser alors qu’ils ne
parviennent pas à gérer l’augmentation de leur population.
- Un seul pays, le Botswana, a pu sortir de la liste des PMA africains en 1994. Cet État démocratique, dont la richesse
se fonde sur le pétrole, les diamants et quelques minerais, a su gérer cette rente et développer d’autres secteurs, comme le
tourisme. Alors qu’il était l’un des pays les plus pauvres au monde, le Botswana est devenu un État à revenus moyens,
avec un PIB par habitant de 16 800 dollars par an (75ème
rang mondial en 2012) et un IDH supérieur à 0,6 (0,4 en 1980).
Certes, le pays comprend encore 30 % de pauvres et l’épidémie de sida y fait des ravages, mais le Botswana représente
néanmoins un modèle de réussite qui pourrait inspirer d’autres PMA d’Afrique.
top related