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Annette LEVILLAIN-DANJOU Psychiatre Deuils et Paroles. CH Bayeux Octobre 2015
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Deuils compliqués, deuils pathologiques chez les adultes
(Partie I) -----------------------------------------------------------------------
« Pour bien mourir, il faut bien aimer la vie. Ceux qui se suicident, ceux qui
meurent tristement, ce sont des gens qui n’aimaient la vie. »
PH Druet
« Lorsqu’on ne parle plus d’un mort, c’est alors qu’il a vraiment disparu.
Lorsqu’on ne parle plus de la mort, c’est alors que la vie a disparu. En voulant faire disparaître le risque - fusse celui de la tristesse du deuil –
c’est « le sel de la vie » elle-même que l’on fait disparaître. »1
J’entends par deuil, d’une part, la réaction émotionnelle et affective douloureuse
consécutive à la perte mortelle d’un objet d’attachement et, d’autre part, le processus
intrapsychique de détachement et de renoncement de l’objet perdu pour permettre de
futurs investissements. L’objet d’attachement est une personne significative dans la vie
de l’endeuillé. Et, s’il existe un processus de deuil commun à tous les deuils, chaque deuil
est singulier, unique, car étroitement dépendant des relations préexistantes entre la
personne décédée et l’endeuillé, et, c’est justement la nature des liens d’attachement
qui font ou non du mort une personne significative pour l’endeuillé. Plus l’attachement
était grand, plus la séparation sera difficile. Le deuil mobilise activement toutes les
énergies de l’endeuillé et c’est ainsi que l’on parle de « travail de deuil ».
Les circonstances du décès peuvent influer sur le processus de deuil, en
particulier au début, en retardant le déclenchement mais aussi la durée. Si les causes de
décès sont dramatiques elles entraineront un traumatisme psychologique qu’il conviendra
de traiter avant même que s’enclenche le processus de deuil.
Il ne faut pas oublier que le deuil est obligatoire, incontournable, il ne peut-être
fait que par l’endeuillé. « Un deuil n’est faisable que s’il est à soi. »2 , il n’est pas possible
de le faire à la place de ou pour quelqu’un d’autre. Tous les deuils non faits vont se
manifester à l’occasion d’une période de vie difficile (une rupture affective, un
licenciement par exemple), ils peuvent tardivement s’enclencher à la faveur d’un deuil
récent jusqu’à masquer ce dernier.
La grande majorité des deuils évoluent vers une fin qui n’est jamais l’oubli, avec
reprise des activités professionnelles et de loisirs mais il reste une cicatrice indélébile
avec des bouffées de chagrin et d’anxiété (bouffées de deuil) survenant aux dates
1 Roland Gori Préface du livre de Nadia Veyrié, Deuils et héritages, p.16
2 Paul – Claude Racamier Le génie des origines, 1992, pp : 49
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anniversaires de la naissance, de la maladie, de la mort… « La tristesse après une perte nous accompagne la vie durant comme notre ombre. »3
Dans environ 5% le deuil se complique ou devient pathologique.
Rappelons que le deuil n’est pas une maladie mais il peut le devenir.
I. LE DEUIL COMPLIQUE
Un deuil « compliqué » peut se définir comme un deuil dont le processus évolutif
(dans la forme et la durée) se différencie de celui d’un deuil dit «normal» ou
« ordinaire ». C’est un deuil dont les difficultés sont liées à la complexité des différents
facteurs qui, interférant les uns avec les autres ou entre eux, vont entraîner des
modifications en excès ou en défaut des différents temps ou étapes du processus de
deuil habituellement reconnus. Ce n’est que lorsque certaines manifestations ou certains
symptômes, physiques et psychiques, persistent au-delà d’un an ou deux que l’on
évoquera la possibilité d’un deuil compliqué. Les complications ont valeur d’aggravation du
processus de deuil.
Ainsi selon une étude faite en 1995 (Prigerson et al), la persistance, 6 mois après
la perte, de signes suivants :
• Refus d’accepter la mort
• Comportements de recherche active du disparu
• Se languir, désirer ardemment l’autre
• Préoccupations constantes au sujet du disparu
• Incapacité de croire vraiment à la disparition
• Se sentir toujours assommé, frappé de stupeur par la mort
• Pleurs incoercibles
Peut prévenir un deuil qui va se compliquer ou qui est déjà compliqué.
L’impossibilité de faire le deuil, le deuil non résolu ou non-fait reste la plus grave
des complications autant pour l’endeuillé lui-même que pour son entourage voire sa
descendance (deuil transgénérationnel) :« Sans deuil toléré et accompli, il n’est pas d’autonomie ni d’épanouissement pour le sujet, voire pour son entourage et même pour sa descendance. »4 Un deuil-non-fait peut rester gelé pendant des années entraînant des
troubles psychiques et somatiques souvent chroniques qui alors justifient une
consultation médicale spécialisée. C’est d’ailleurs parfois à l’occasion d’une consultation
médicale qu’est mis en lumière un deuil non-fait, sans doute parce que : « rien dans la vie psychique ne peut se perdre, rien ne disparaît de ce qui est formé, tout est conservé…et peut apparaître dans la vie des générations successives »5 et être mis à jour pour peu,
devrait-on ajouter, que le médecin sache élaborer au-delà des maux et susciter les mots
de son consultant. Ainsi un deuil peut s’enclencher ou se dégeler des années plus tard
avec même, « une surprenante facilité », pourvu que le deuil soit entendu. La
3 Christophe Fauré, Vivre le deuil au jour le jour, Ed. Maloine. 20O4 4 Paul – Claude Racamier, Ibid. p 62
5 S. Freud, Malaise dans la Civilisation, 1929
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réactualisation du deuil permettra à l’endeuillé de retrouver son épanouissement et sa
créativité psychique.
« La douleur du deuil c’est ce qui, au-delà de la perte en soi, réveille toutes sortes de sentiments passés et présents, liés directement – ou non- à la perte présente. […] Dans la douleur du deuil, d’un deuil récent, entrent toutes les douleurs des deuils passés, les douleurs refoulées, non dites, cachées ou que l’on croit avoir dépassé parce qu’elles ont été occultées par l’urgence de continuer à vivre. C’est ainsi que les deuils non faits s’additionnent et qu’à un moment donné l’addition se fait trop lourde. Il en résulte la déprime jusqu’à la dépression voire l’écroulement de soi ou encore des effondrements sans proportion avec la cause immédiate de l’effondrement. » (C. Kebers)
Les endeuillés présentent et vivent indépendamment de ce qu’ils étaient avant la
perte, une vulnérabilité psychologique ou une moindre capacité de résistance à tout
nouvel évènement et, une sensibilité qui peut être exacerbée. Cette vulnérabilité est
source d’un déséquilibre à la fois intellectuel, affectif et relationnel.
Les personnes en deuil sont particulièrement fragiles au niveau psychologique,
somatique et social (englobant le versant professionnel et matériel.)
A. Les complications somatiques corporelles, neurobiologiques
1. Quels sont les facteurs qui entravent l’évolution du processus de deuil ?
Concernant la personne décédée :
Son âge
Les circonstances de sa mort : suicide, mort violente, mort subite, mort solitaire,
évolution rapide de la maladie (moins de 3 mois)
Le caractère individuel ou collectif du décès
Qualité de l’accompagnement de fin de vie. Pré-deuil et deuil anticipé
Respect des volontés du mourant
Les promesses de fin de vie
Les caractéristiques de la pathologie du défunt
Concernant la personne endeuillée :
l’âge au moment du décès
le caractère individuel ou collectif du décès
Répétition des deuils et séparation, cumul avec d’autres pertes
Attitude de déni durable tout au long de la maladie. Savoir mais ne pas croire.
Responsabilité directe (objective ou imaginaire)
Solitude et isolement
Importance de la relation préexistante en particulier quand elle a été marquée
par la dépendance et l’ambivalence.
Relation secrète avec le défunt.
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Un passé conflictuel avec le défunt
Changements économiques et culturels
Certains traits de personnalité de l’endeuillé
Pathologie somatique chronique chez l’endeuillé.
2. A propos de l’âge, du sexe
La méthodologie statistique est difficile. On a peu de statistiques fiables sur les
évolutions des deuils. Normalement l’espérance de vie augmente comme dans la
population en générale, on a cependant relevé que les personnes en couple avaient une
espérance de vie plus grande que les célibataires et les veufs.
Les veuves se plaignent davantage, elles sont plus déprimées que les veufs. La
consommation médicamenteuse est plus importante chez les femmes que chez les
hommes. Les femmes ont une activité variée et auront plus de facilités à parler de leur
deuil, à créer des liens. Les hommes endeuillés sont plus isolés, résistants aux émotions
(modèle social). Les hommes ont une tendance plutôt hypomaniaque, comportemental.
Importance des lieux conviviaux comme les bars et cafés. On observera plus souvent des
complications et aggravations de maladie préexistantes d’où une surmortalité
importante chez les veufs âgés. Chez les femmes les complications sont plus souvent
d’ordre dépressif (dépression chronique).
La dépression du deuil diminue l’attention que l’endeuillé a sur sa propre santé et
ils vont tarder à consulter. Les veuves sont globalement moins à risque que les veufs,
d’abord parce qu’elles consultent plus rapidement et plus souvent.
Le deuil vient bousculer les liens du couple avec le risque d’incompréhension
mutuelle pouvant entrainer une rupture (en particulier dans la perte d’un enfant).
Le manque d’expression verbale concerne également les enfants et adolescents
garçons qui sont plus dans un comportementalisme éducatif que les filles qui, elles, ont
une mentalisation plus développée.
Les relations entre l’âge de l’endeuillé et l’évolution du deuil sont difficiles à
établir. Chez les personnes âgées, de plus de 80 ans, les pertes de deuil vont
s’additionner aux pertes narcissiques. Pour reprendre Michel Hanus6 « pertes narcissiques et pertes de deuil s’additionnent et se multiplient au cours du processus de vieillissement. Les unes sont habituelles, générales, universelles et obligatoires ; sur le plan narcissique, il s’agit de la diminution progressive du plus grand nombre de capacités physiques au niveau des deuils, la disparition des personnes de la même génération et donc de son conjoint. Il en résulte une diminution de l’autonomie et un rétrécissement des relations. »
Si le vieillissement est un processus de développement qui échappe à notre
contrôle, « la perte d’un proche, fût-il âgé, fût-il gravement malade depuis des mois, nous parait toujours hors temps, à contre temps sans doute parce que cette perte ne vient pas de nous mais nous est imposée. »7
6 Etre en deuil au grand âge. Etudes sur la mort. Bulletin de thanatologie n°109/110. 1997. Pp : 31-42
7 Ibid. p : 39
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« Le deuil du grand âge a ses particularités, il peut aussi se compliquer au point de pouvoir faire mourir. »8
Il importe, toujours, d’apprécier les facteurs de risque de complication et en
particulier les deuils antérieurs qui vont venir s’ajouter aux pertes cognitives et/ou
physiques et motrices souvent mal tolérées.
L’âge du décédé est par contre souvent source d’un sentiment d’injustice et de
culpabilité selon le rôle que s’assigne ou s’est assigné l’endeuillé vis-à-vis du défunt. Par
ailleurs, dans les milieux ruraux, notion de fatalisme, alors que dans les milieux urbains il
s’agit plus d’une notion d’inacceptation.
Sur la perte du conjoint : les travaux de Sanders « Omega », 2 mois après le
décès :
Les - 65 ans présentent des symptômes spectaculaires, 18 mois après les
symptômes sont atténués.
Les + 65 ans : le déni domine (non expression des émotions et
sentiments) ; l’inhibition entraîne un isolement avec renoncement des
activités sociales. Les réactions aigues seront tardives, 18 à 24 mois après
le décès.
Ainsi l’idée d’un bon ajustement au deuil chez les vieux est une illusion. Au début,
symptômes discrets mais graves ensuite. D’où l’importance d’être attentif sur
l’impression première donnée au médecin.
Le deuil n’est jamais totalement résolu. Des résurgences, des réactivations
ultérieures sont possibles sans pour autant parler de complications réelles. Comme dit
précédemment, à l’occasion des dates anniversaire (et elles sont nombreuses) on peut
observer des manifestations correspondant à des bouffées de deuil, les endeuillés
craignent de revivre ce qu’ils ont vécu de souffrance.
On peut observer chez la personne endeuillée âgée un syndrome confusionnel
transitoire qui peut passer pour un syndrome démentiel d’autant que dans le processus
de deuil s’opère une régression.
3. Les effets secondaires du deuil sur la santé. Les complications somatiques.
a) Les maladies cardiovasculaires, coronariennes notamment :
The « broken heart syndrome » : syndrome du cœur brisé. A l’annonce de la mort
ou quelques mois après (surtout les 6 premiers mois) ; accroissement des maladies
circulatoires. Importance de la prévention.
Un jeune homme d’une trentaine d’années apprend en arrivant à son travail par la secrétaire « Ah ben
dis donc tu vas rouler seul parce que Antoine s’est pendu la nuit dernière ! » Antoine était le collègue avec lequel il faisait tous les dépannages à domicile. A l’annonce le jeune homme a blanchi et s’est écroulé, mort.
Mme X, 75 ans est veuve depuis quelques mois. Elle se plaint de serrement dans la poitrine qu’elle attribue à de l’angoisse. Elle pleure beaucoup et se dit très fatiguée. Elle consulte son médecin qui demandera des examens complémentaires et en particulier cardiovasculaires : elle bénéficiera d’un pontage coronarien.
8 Ibid. p : 41
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b) L’alcoolisme :
Les veufs en particulier, les veuves moins souvent, vont s’alcooliser (aspect
d’automédication) avec le risque d’une dépendance ultérieure à l’alcool.
L’alcool est le 1er anxiolytique naturel et favorise la convivialité. La consommation
est plus importante les 6 mois après le décès. Le risque en est la dépendance. De plus
l’alcool entraine une désinhibition avec risque de passage à l’acte notamment suicidaire.
Rappelons le taux élevé de suicide chez les plus de 65 ans. Parfois ce sont des passages
à l’acte accidentels avec une prise de risque excessive. Chez les veuves, l’alcoolisation
favorise des hallucinations et des illusions.
c) La carcinogénèse :
Certains cancers surviennent quelques années après un deuil. On ne peut pas
imputer au deuil l’origine du cancer. Ce qui a été observé et reconnu dans les examens c’est la baisse significative du potentiel immunitaire, la chute temporaire des
lymphocytes. Est-ce le stress ?
d) Autres pathologies de complications du deuil :
- Hyperthyroïdie,
- Arthrite rhumatoïde
- Poussée évolutive d’une maladie chronique
- Déséquilibre d’un diabète
e) Deuil et douleur chronique
Tout traumatisme, récent et/ou ancien (en particulier pendant l’enfance) peut être à
l’origine d’une chronicisation de la douleur avec l’inefficacité des traitements
antalgiques.
Nous savons que la douleur chronique est à l’origine d’anxiété et de dépression mais
également la dépression comme l’anxiété participent à la chronicisation de la douleur.
Pour le patient, l’évocation de ses traumatismes implique que s’établisse entre lui et
le médecin un climat de confiance.
Il est parfois surprenant d’assister à une amélioration dès lors que l’on invite le
patient à parler de ses douleurs traumatiques, à trouver les mots des maux. La douleur
peut aussi être une identification négative dans le cadre d’un deuil compliqué.
4. Est-ce qu’une mauvaise santé prédispose à un deuil compliqué ?
D’un point de vue statistique il existe une fragilisation mentale nette, en
particulier chez les jeunes enfants (de moins de 7 ans) ; au niveau somatique rien n’est
clair sinon que l’endeuillé peut négliger sa santé ce qui favorise des rechutes jusqu’à
mettre en danger de vie l’endeuillé. Le médecin doit là-aussi être attentif et ne pas
hésiter à revoir la personne endeuillée sans attendre la demande de rendez-vous qui
tardera en raison de la dépression de l’endeuillé.
Le fait de faire le deuil d’un malade dont on s’est occupé ou qui a été hospitalisé,
qui était psychiatrique chronique (schizophrène par exemple mais aussi bipolaire),
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dément : ce deuil peut se compliquer du fait de l’investissement majoré, l’ambivalence, la
non-reconnaissance du malade dément et ses difficultés de communication.
5. Peut-on donner des médicaments dans le deuil ? « […] Il est aussi très remarquable qu’il ne nous vienne jamais à l’idée de considérer le
deuil comme un état pathologique et d’en confier le traitement à un médecin bien qu’il s’écarte sérieusement du comportement normal. Nous comptons bien qu’il sera surmonté après un certain laps de temps et nous considérons qu’il serait inopportun et même nuisible de le perturber. »9
Tous les auteurs s’accordent à proposer de calmer l’anxiété et les troubles du
sommeil souvent invalidant. Quant aux antidépresseurs : leur action est souvent au-delà
de 2 à 3 semaines, ils gèleront le deuil qui redémarrera à l’arrêt du traitement. Les
antidépresseurs n’ont aucune action sur le deuil. Dans les dépressions graves 10 le
traitement antidépresseur et anxiolytique est indiqué avec la nécessité d’une
surveillance médicale et une écoute suivie en raison du risque de passage à l’acte
suicidaire en particulier chez les personnes âgées. Il est indispensable de s’attarder sur
l’anamnèse et l’histoire personnelle et familiale du « patient endeuillé. »
La douleur de la perte, le chagrin épuisent. La fatigue dont les endeuillés se
plaignent car elle peut être invalidante est longue à disparaitre. Cette fatigue n’est pas
symptomatique d’une dépression seule, mais aussi consécutive à la souffrance avec l’idée
d’être inutile, tout autour de l’endeuillé est devenu si vide... L’endeuillé a de plus des
tâches à accomplir et que lui seul peut accomplir. Pour C. Fauré11, elles sont au nombre de
4 :
1. Reconnaitre la réalité de la mort, du plus jamais,
Comprendre ce qui s’est passé,
2. Connaitre la douleur de la perte,
3. S’adapter à son environnement, sans le défunt. Accepter de vivre
dans le présent de l’absence,
4. Donner une nouvelle place au défunt et réapprendre à aimer la vie.
J’ajouterai comme autres tâches associées et complémentaires:
Accepter les questions sans réponse (comme dans la mort par suicide par
exemple)
9 S. Freud, deuil et mélancolie, Métapsychologie. 1915, Ed Folio, p. 146 10 La dépression sévère : en référence au DSM IV, 4ème édition, « La présence de certains symptômes non
caractéristiques d’une réaction « normale » de chagrin peut aider à différencier le deuil d’un épisode
dépressif sévère. Ceux-ci comprennent :
1. La culpabilité à propose de choses autres que les actes entrepris ou non entrepris par le survivant à
l’époque du décès
2. Idées de mort chez le survivant ne correspondant pas au souhait d’être mort avec la personne décédée
3. Sentiment morbide de dévalorisation
4. Ralentissement psychomoteur marqué
5. Altération profonde et prolongée du fonctionnement
6. Hallucinations autres que celles d’entendre la voix ou de voir transitoirement l’image du défunt. » 11
Christophe Fauré, Vivre son deuil au jour le jour, Ed. Albin Michel, 2004
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Accepter la dépression, l’expression de ses émotions, la fatigue souvent
importante et durable. Retrouver l’estime de soi, la confiance en soi.
Lutter contre la canonisation et l’idéalisation du mort. Le mort doit
retrouver ses qualités et défauts.
Lâcher prise, laisser partir le mort,
Surmonter les bouffées de deuil (les rites d’anniversaires et de fêtes
familiales)
Retrouver une vie sociale, s’autoriser à rire, être heureux.
Pour reprendre la question du traitement, toute prescription doit être adaptée à
la symptomatologie présente et non celle supposer venir. Je ne crois pas que prescrire
des antidépresseurs dès les 8jours qui suivent le décès empêchera la dépression, mais
par contre des anxiolytiques apaiseront les angoisses liées à la perte. Les personnes en
deuil ne sont pas toujours favorables à des « médicaments » par crainte des effets
secondaires et surtout d’entrer dans une spirale chimique psychiatrique d’autant que
parfois les endeuillés s’interrogent sur l’apparition de symptômes (comme les
hallucinations) leur faisant craindre un déséquilibre psychique… La prescription peut
provoquer une mise de côté de la douleur mais celle-ci va se raviver en particulier lors
de la diminution voire de l’arrêt des antidépresseurs qui doit se faire très
progressivement. Si l’arrêt est indiqué, il doit être le plus lent possible. Il convient
toutefois de ne pas être dogmatique en matière de prescription.
L’attitude médicale (qui concerne également l’endeuillé) est paradoxale. En effet,
si le deuil n’est pas une maladie, il est très fréquent que les endeuillés soient en arrêt de
travail, plus ou moins long, en raison de leur deuil. Certes, la reprise de travail est
toujours difficile pour les personnes en deuil. Elles allèguent leurs difficultés cognitives
(attention, concentration, mémoire), leur anxiété face à leurs collègues de travail, leur
peur de s’effondrer. Il faut noter qu’effectivement les accidents du travail sont plus
fréquents chez les endeuillés. Les hommes, par contre, retournent plus rapidement au
travail. Il y a l’idée à la fois de continuer à subvenir aux besoins de sa famille et
d’occuper son esprit pour neutraliser la tristesse et le chagrin.
Le médecin référent de la famille et/ou le médecin qui a été le coordinateur des
soins, le chirurgien, ont un rôle d’accompagnement dans l’écoute, l’empathie, la
compassion. Cette écoute est souvent chronophage mais indispensable aussi bien pour les
endeuillés que pour le médecin d’autant que les endeuillés ont besoin de comprendre ce
qui s’est passé. De plus le médecin peut être confronté à l’arrêt de l’acharnement
thérapeutique ou à la sédation profonde. Les soignants ont aussi un deuil à vivre.
Il y a un savoir-faire et un savoir être qui renvoient à la dimension éthique.
« On aide quelqu’un dans la tristesse en écoutant ce qu’il ressent,
pas en lui expliquant ce qui serait bon qu’il ressente. »12
« Donnez au malheur des mots : le chagrin qui ne parle pas
12
Ibid. p.32
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s’insinue au cœur surchargé et fait qu’il se brise. »13
6. Comment prévenir les complications du deuil ?
Le travail de prévention est essentiel. Il existe des populations à risque (les
enfants, les personnes âgées), des facteurs préexistants et surtout la reconnaissance de la réalité psychique de la mort source de souffrance. La relation préexistante au
défunt détermine la singularité du deuil, son évolution et éventuellement des
complications. Il faut rechercher s’il existait une relation de dépendance ou d’insécurité
ou conflictuelle avec le mort.
7. Qu’en est-il de l’impact de la brutalité du décès ?
Bien évidemment les morts subites peuvent influer le processus de deuil et
exposer les endeuillés à des complications. Les circonstances dramatiques peuvent être
à l’origine d’un stress post traumatique qu’il conviendra de traiter avant
l’accompagnement du deuil.
Dans la mort par maladie : en référence aux travaux de C. Sanders14 :
Mort subite (liée à une maladie)
Mort moins de 6 mois après le début de la maladie
Mort plus de 6 mois, voire des années,
C’est le groupe media qui se porte le mieux.
Lorsqu’un le malade meurt on constate un deuil « en deux temps » : à la mort du
malade tout le monde s’accorde à penser qu’il ne souffre plus, qu’il ne fait plus souffrir
et dès lors la mort soulage. Mais quelques mois plus tard on voit ces mêmes endeuillés
effondrés, dans le chagrin, le manque, la culpabilité exacerbée : ce 2ème temps signifie
que ce n’est plus le « malade » qui est mort mais la personne qu’il était (parent, proche)
souvent même la personne qu’il était quand il n’était ni malade ni handicapé ni dément.
Lorsque la maladie a été longue (plus de 6 mois après le diagnostic) l’endeuillé est épuisé
et a pu avoir l’envie inavouable que la mort survienne pour mettre fin aux souffrances en
particulier quand la maladie est létale. L’ambivalence est au premier plan source d’un
fort sentiment de culpabilité inconsciente. Ce deuil en « deux temps » n’est pas un deuil
compliqué mais peut le devenir. L’entourage comme les soignants doivent éviter sans
doute de partager trop rapidement le soulagement des proches autour de la mort du
malade. Du côté des soignants aussi la relation préexistante au malade défunt est
significative. Il peut être proposé à la famille de revenir à l’hôpital pour parler, poser
des questions, exprimer des émotions.
Lorsque le décès a lieu à domicile, l’accompagnement de la famille est
indispensable.
Dans toutes les situations, l’endeuillé comme le malade doivent être et se sentir
entourés, ce qui ne peut que favoriser un bon déroulement du deuil.
Les circonstances de la mort comme la cérémonie des funérailles restent
inscrites et figées dans la mémoire des endeuillés. Tout ce qui a pu être dit ou fait au
13 Shakespeare, Macbeth, Acte IV, scène 3 14 Cité par MF Bacqué. Séminaire Paris 1997
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moment du mourir reste aussi dans la mémoire comme au moment de la naissance d’un
enfant la mère gardera en mémoire tout ce qui sera dit et fait au moment de
l’accouchement et du 1er examen postnatal15 .
Il faut améliorer la fin de vie, le deuil en sera moins difficile. Les soins palliatifs
permettent de reconsidérer la vérité que l’on doit au malade et à sa famille proche. Le
mensonge sur la mort permettra difficilement un deuil.
Le deuil sera plus facile lorsque le survivant a vécu un pré-deuil 16: il s’agit de
renoncer aux projets communs et à la relation avec l’autre. L’un doit vivre et l’autre
mourir. Par contre on parlera de deuil anticipé lorsque la famille, sachant le pronostic
grave, déserte la chambre du malade ; ce dernier ne va pas mourir, il est considéré
comme mort.
Dans les morts « traumatiques »17, soudaines, le choc est majoré par la brutalité
extrême du changement et l’événement provoque une cassure générant la panique, la
terreur (dans le sens d’une peur sans nom). La fixation adhésive sur les souvenirs va
tenter d’anéantir l’angoisse de cette cassure. Les traces mnésiques (la vue du cadavre et
de tout ce qui entoure la fin de vie) vont rester intouchables, identiques à elles-mêmes
au cours du temps, pour ne pas rendre signifiante la scène qui a été vécue, ainsi « la défense la plus appropriée pour arrêter cette cassure consiste pour le Moi à se coller contre la perception terrifiante et à la fixer en lui comme une trace mnésique inamovible dont le but est de supprimer l’existence d’une signification à la scène vécue »18.
Les traces mnésiques vont progressivement se transformer en souvenirs, parfois
intrusifs mais moins chargés d’angoisse. Par contre ces traces peuvent persister,
obsédantes, réactivant les sentiments d’injustice. Elles envahissent toute la vie
affective et psychique de l'endeuillé en quête d’une reconnaissance du malheur subi dont
il demande réparation. La transformation en souvenirs pourrait être un possible pardon
spirituel, mais non l’oubli.
8. Les facteurs socio-culturels et religieux.
Outre l’âge, le sexe, il faut s’attacher aux facteurs :
a). socioculturels:
La pauvreté accroit les difficultés du deuil. Les endeuillés ont tendance à s’isoler
par pudeur, parfois par sentiment de honte. Ce n’est pas l’endeuillé qui va rechercher
d’emblée le contact et le soutien social d’où l’importance d’aller vers les endeuillés.
Ce n’est pas « venez quand vous voulez, si vous avez besoin, je reste à votre
disposition » mais plutôt « venez lundi prochain à 10h, l’heure convient-il ? »
Les rites funéraires ont un rôle protecteur et peuvent rompre l’isolement.
Socialement la mort crée du désordre, le mort est dit-on semeur de troubles ainsi dans
15 Disant cela, dans les petits villages, autrefois, c’étaient les « matrones » c’est-à-dire les sages-femmes
qui procédaient aux accouchements ainsi qu’à la toilette des morts. 16 Equivalence du deuil anticipé dans les travaux d’Elisabeth Kübler Ross. 5 étapes : le déni, la colère, le
marchandage, la dépression et l’acceptation. 17
Suicide, assassinat, noyade, accident de la voie publique par exemple 18
C. Athanassiou. Ibid.
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les sociétés traditionnelles les rites vont aller à l’encontre de ce bouleversement social.
Ainsi le rituel national (11 Novembre et 8 Mai) et les rituels de commémoration de
personnes victimes d’attentats ou d’accidents d’avion, ont en objectif de réunir la
communauté des personnes concernées.
Le soutien social est un concept sociologique que les Anglo-Saxons définissent
comme « un échange interpersonnel qui repose sur un intérêt affectif (amitié, sympathie, amour) une aide matérielle et l’apport d’information et de conseils sur l’environnement. »19
b). religieux et spirituels
Si l’on assiste à une perte de religiosité, le défunt, son corps et ses funérailles
restent sacrés comme l’est aussi sa tombe.
Certaines religions, certains peuples ont gardé des rites funéraires qui ont la
particularité non seulement de régler le devenir du défunt mais aussi d’accompagner la
famille proche ainsi que l’entourage social. Le deuil est alors un processus évoluant à un
rythme et sur une durée codifiés ou coutumiers. Les endeuillés sont très entourés et
soutenus par la communauté à laquelle ils appartiennent. Dans mon expérience
d’accompagnatrice du deuil, c’est exceptionnellement que j’ai reçu des musulmans (un
père qui ne pouvait pas supporter le suicide (interdit) de son fils) et des juifs (des
enfants, dont le père juif est décédé de maladie mais dont la mère n’était pas juive)
B. Complications psychologiques et psychiques.
Elles sont étroitement liées aux traits de personnalité de l’endeuillé, avant la
mort.
Elles peuvent se comprendre à partir des processus évolutifs du deuil :
Douleur, souffrance, régression
Reconnaissance de la réalité
Intériorisation de la relation préexistante au défunt, remémoration
Identifications
Culpabilité
a). La douleur :
Il n’y a pas de deuil sans douleur.
La souffrance du deuil a un sens bien que Freud ait pu dire que si on comprenait
la douleur de la dépression, nous ne savions rien sur celle du deuil. Pourquoi une telle
souffrance ?
La souffrance20 est incontournable. Elle doit être acceptée, accompagnée afin
d’aider l’endeuillé dans sa lutte contre le désespoir ou l’intensité de la douleur est telle
qu’elle empêche même de souffrir puis d’exister puis de vivre.
19
M.F. Bacqué, Séminaire d’étude, 1997, Paris 20
Les personnes en deuil parlent plus souvent de souffrance que de douleur. La souffrance étant synonyme
de douleur intense qui dure.
Annette LEVILLAIN-DANJOU Psychiatre Deuils et Paroles. CH Bayeux Octobre 2015
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La douleur est individuelle, propre et singulière et, sans nier les circonstances
dramatiques voire tragiques de certaines morts, la durée et l’intensité de la douleur
dépendront de l’investissement de la personne décédée et des liens préexistants entre
l’endeuillé et le défunt.
La complication sera non pas dans l’intensité de la douleur mais dans sa durée.
L’endeuillé n’en finit pas de sortir de sa douleur, il semble bloqué dans sa souffrance et
la douleur peut durer des années jusqu’à victimiser la personne avec parfois des
bénéfices secondaires mais plus souvent une incompréhension de l’entourage qui va
prendre de la distance avec l’endeuillé alors isolé et encore plus douloureux.
Lorsque la souffrance dure des mois voire des années et qu’aucun apaisement
n’est possible, la dépression devient pathologique. Il faut toujours s’interroger sur cette
dépression chronique, l’endeuillé pleure-t-il encore et toujours la personne décédée ?
Existe-t-il d’autres motifs de dépression qui viendraient s’immiscer dans le processus de
deuil actuel et se manifester en lieu et place de ce deuil ? Un deuil peut en cacher un
autre ; un deuil peut alourdir une situation affectivo – sociale précaire ; un deuil peut
ouvrir des blessures anciennes non cicatrisées d’autant que « rien dans la vie psychique ne peut se perdre, rien ne disparaît de ce qui est formé, tout est conservé. »21
Lorsque des années et des années se passent sans que le chagrin s’apaise « nous pouvons être certains que l’endeuillé ne pleure pas seulement la personne et le souvenir dont il a conscience mais que, du fond de l’inconscient, d’autres motifs de dépression viennent profiter du deuil actuel pour se manifester »22 et « ce n’est pas au compte de l’amour qu’il faut mettre cette perte inconsolable, mais au contraire d’un ressentiment né de l’abandon de l’objet qui ne dit pas son nom. »23
Nicole
24 a 55 ans. Elle vient en consultation parce qu’elle ne comprend pas pourquoi elle est encore
déprimée alors que son mari est décédé il y 8 ans. Cette dépression l’empêche de bien vivre. Elle a 3 filles dont l’une est enceinte. La fille aînée ne souhaite pas d’enfant. La plus jeune ne donne plus de nouvelles depuis environ 1 an. Après avoir parlé du mari et de sa maladie, de son deuil, peu à peu nous abordons l’histoire familiale. Madame évoque alors avec une intense émotion l’avortement qu’elle a subi à l’âge de 14 ans. « Quand ma mère a su que j’étais enceinte elle m’a dit que je ne pouvais pas avoir un enfant alors elle a fait venir une femme qui m’a avortée sur la table de la cuisine. J’ai vu le bébé, c’était un garçon. Je ne sais plus ce que ma mère en a fait. Après, ma mère m’a dit que c’était fini il ne fallait en parler à personne car nous aurions des ennuis, nous pourrions aller en prison. La loi sur l’avortement n’existait pas encore. Je n’en ai jamais parlé sauf à mon mari. C’était mon confident et c’était important que je lui dise. Je n’en ai jamais parlé à mes filles. » La dépression a commencé à se mobiliser, Madame pensant à ce bébé qu’elle avait eu (et que fort heureusement elle avait vu), elle craignait pour le bébé à venir, « si c’était un garçon, comment vais- je réagir ? »
Le secret mis à jour, le deuil pouvait s’achever, le mari n’étant plus le gardien de ce secret, il pouvait quitter le monde des vivants. Un deuil restait à faire, celui de bébé.
** Stéphane a 60 ans. Son fils aîné est décédé dans un accident de voiture, il avait 25 ans. Je le recevrai
régulièrement tous les 15 jours en entretien, accompagné de son épouse.
21
S. Freud, Malaise dans la civilisation, Payot 1929 22
S. Freud, Cinq psychanalyses, Puf 1954, pp. 325-326 23
A. Green, Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Ed. De Minuit, 1983, pp. 275 -280 24 Les prénoms de toutes les situations cliniques de deuil ont été changés.
Annette LEVILLAIN-DANJOU Psychiatre Deuils et Paroles. CH Bayeux Octobre 2015
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Observant qu’au cours du temps, autant sa femme retrouvait l’apaisement autant lui restait déprimé. Je lui demande comment était-il et comment son humeur avant le décès de son fils. Il a du mal à répondre mais sa femme intervient : « tu étais plus tôt dépressif, tu prends encore des antidépresseurs, tu n’as jamais été très gai, mais ça se comprend avec ton histoire… »
Bien évidemment je voulais en savoir plus, une porte s’ouvrait. Stéphane raconte alors : « enfant je suis allé très souvent avec ma mère sur une tombe dont j’ignorais
tout de la personne enterrée là. C’est beaucoup plus tard que j’ai su que j’étais un enfant de remplacement. 1 an avant moi était né un garçon qui est mort peu après sa naissance et j’ai été conçu pour le remplacer. Je n’en ai jamais parlé avec ma mère après. »
Je demande à Stéphane s’il souhaiterait en parler avec elle ? « Non, répond Stéphane, je pense surtout à l’immense chagrin qu’elle a dû avoir. Je crois que je vais retourner sur la tombe de mon frère pour me réconcilier avec lui. Ma mère était certainement encore très triste quand je suis né »
La mère de Stéphane devait être déprimée. Et, la dépression de Stéphane n’était pas seulement consécutive à la perte de son fils mais aussi à la dépression maternelle. La dépression du deuil de Stéphane venait répéter la dépression infantile.
b). La régression :
Elle existe dès le début du deuil, c’est le retour en arrière. Elle est rapide et
profonde. Elle amène l’endeuillé à se poser la question de vivre ou de mourir pour
rejoindre le défunt surtout lorsqu’il existait une dépendance narcissique avec le défunt.
La régression conduit aussi à revisiter son enfance et en particulier ses premiers
liens d’attachement principalement maternels.
La régression devient complication lorsque l’endeuillé n’est plus dans la capacité
de s’occuper de lui, de gérer ses affaires.
c.) La reconnaissance de la réalité (matérielle et surtout psychique):
« Pour que le deuil se fasse il faut que mort il y ait ! »25
La reconnaissance psychique de la mort est indispensable. Elle suit le refus du
début puis peu à peu, au jour le jour, la réalité avec le plus jamais s’impose. Elle sera
reconnue en termes de Vérité c’est-à-dire comme l’expression de la réalité de ce que
l’endeuillé est - mortel mais vivant – et de la condition dans laquelle il se trouve –
définitivement sans l’autre.
Le déni conscient ou inconscient de la réalité de la mort est un mécanisme de
défense pour ne pas faire l’élaboration de la perte. Dans la mort, nous savons qui nous
perdons mais qu’en est-il de ce que nous perdons ?
La complication est dans la non-reconnaissance intérieure de la réalité. Il faut
être attentif devant des endeuillés qui ne manifestent aucune émotion. L’absence
d’émotions, la fausse indifférence, la souffrance silencieuse, ce « rester de marbre » le
« comme si de rien n’était » interprété par l’entourage comme une attitude courageuse
source de respect doit au contraire inquiéter car ce peut-être l’expression d’une non-
reconnaissance de la réalité psychique de la mort, d’une annulation rétroactive, d’une
impossibilité de reconnaitre la vérité parce que ce qui est su – la perte - n’est pas
forcément cru et l’endeuillé peut cohabiter psychiquement avec ce savoir impossible à
croire pour garder avec soi le disparu. C’est le risque d’une impossibilité du deuil.
25
P.C Racamier. Ibid.
Annette LEVILLAIN-DANJOU Psychiatre Deuils et Paroles. CH Bayeux Octobre 2015
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Que penser de ces faires parts de décès (vus dans le journal Ouest France) où un
ou plusieurs morts (indiqués par une croix entre parenthèses) annoncent le décès d’un
membre de la famille ? Les morts seraient-ils dans le monde des vivants ?
Deux autres complications consécutives à la non reconnaissance psychique de la
mort :
1) Le culte de la personne défunte
La présence spirituelle, la quête du retour, la « construction » d’un mausolée, le
sanctuaire, les hallucinations… Tout est mis en place pour maintenir le mort dans le
monde des vivants, pour le vénérer. Le lâcher-prise prend ici toute son importance.
2) La nostalgie
Le défunt se trouve dans la double polarité de l’objet nostalgique : à la fois mort et
vivant.
La nostalgie26 est un sentiment lié non seulement au souvenir du disparu et à tout
ce qui se rattachait à lui, mais elle implique aussi le désir d’un retour de ce qui a été
perdu de ces liens affectifs créant des regrets obsédants de ce qui a été vécu avec la
personne défunte. Les souvenirs des objets, des lieux, des évènements vont conduire à
maintenir le défunt en vie dans la lutte contre le manque et l’absence avec
cette mémoire « qui garde vivant et sert de tombeau » (JB. Pontalis) ; la nostalgie va
permettre non seulement de ne pas admettre la perte, mais, de la contourner et, ainsi,
de maintenir fantasmatiquement l’objet disparu auréolé de l’idéal du moi alors confondu
avec lui (l’objet). Nier la perte assure la possession de l’objet : « Le nostalgique reste fidèle à l’objet qu’il nie avoir perdu et sa fidélité est le moyen même de sa négation »
d’où une impossibilité d’investissement d’un nouvel d’objet et l’hyper idéalisation de
l’objet disparu. L’endeuillé parlera du défunt en l’animant et en le parant de qualités lui
donnant l’éclat et la satisfaction. C’est une véritable relation d’emprise sur le défunt,
soulignée par des sentiments ambivalents qui ne peuvent pas s’exprimer car le risque
serait un retour de l’agressivité envers l’endeuillé. Ne plus parler de lui ni avec lui, ne
plus penser à lui, ce serait le faire mourir une deuxième fois.
d.) Les complications au niveau de la remémoration
« Les souvenirs défient la mémoire »27
Tout au long du processus de deuil s’opère un véritable travail de remémoration
c’est à dire un rappel volontaire des souvenirs, bons et mauvais, anciens et récents, qui,
souvent, seront arrangés, modifiés, retouchés en fonction de l’épaisseur de temps qui
les sépare du présent. Ils seront ainsi « remaniés »28
26 P Denis Nostalgie : entre deuil et dépression, Monographie de la Revue Française de Psychanalyse, Ed. Puf, 1994, pp.143-149 27
P. Fedida, Le rêve et l’œuvre de sépulture, Actes du colloque Psychanalyse et fin de vie, Paris, novembre
1998, pp : 39-47 et 49-51 28
C. Athanassiou le remaniement des souvenirs, Revue française de Psychanalyse, 1/1998, pp : 67-90 :
« remanier un souvenir c’est rattacher celui-ci au présent et percevoir ainsi l’écart qui nous sépare de l’origine temporelle de ce souvenir. »
Annette LEVILLAIN-DANJOU Psychiatre Deuils et Paroles. CH Bayeux Octobre 2015
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Les images récurrentes, ainsi que les photographies, soulignent la difficulté à voir
celui ou celle que l’on a quitté par la prise de conscience que non seulement la personne
nous a quittés, mais, que nous aussi, nous l’avons quittée. La conservation en soi d’une
image échappant à la réalité du temps est une lutte contre l’oubli, contre la peur de
perdre la mémoire, et, le souvenir peut prendre la valeur d’une présence concrète à
laquelle le Moi va se coller et ainsi, avoir l’illusion que la personne n’a jamais disparu.
Personnage devenu imaginaire avec lequel l’endeuillé va continuer à vivre comme si ce
personnage était toujours vivant. Cette relation virtuelle conjure l’absence
insupportable génératrice d’angoisse, l’absence non seulement actuelle mais plus encore
future de l’impossible destin sans l’autre. Si la position dépressive ne survient pas
comme moment de créativité de cette absence temporelle, le Moi s’effondre avec le
risque suicidaire, la mort n’étant plus que le seul chemin pour rejoindre l’autre.
La remémoration constante des souvenirs souvent associée à la recherche de la
personne disparue, est une des étapes du processus de deuil. Quand elle devient
obsédante, le passé prend le pas sur le présent et empêche toute projection dans le
futur, la détresse isole l’endeuillé. Comme le souligne S. Freud29, « c’est l’abandon de toute activité qui n’est pas en relation avec le souvenir du défunt, la perte d’intérêt pour le monde extérieur dans la mesure où il ne rappelle pas le défunt, la peur de s’attacher à tout nouvel objet ce qui voudrait dire qu’on remplace celui dont on est en deuil ». La
dépression devient pathologique, le Moi, mélancolique. L’endeuillé ne peut que retourner
en arrière pour rejoindre le défunt. Le risque suicidaire est alors patent. Il s’agit là
d’une
complication fréquente chez les personnes âgées endeuillées de la perte d’un conjoint.
Lorsque les souvenirs mobilisent toute l’énergie psychique, il reste peu de place pour la
mémorisation des faits récents. Les endeuillés se plaignent volontiers de troubles de la
mémoire associés à une perte des repères temporels, et, craignent pour leur intégrité
psychique, surtout s’ils sont âgés.
L’incapacité à se remémorer qui rejoint l’incapacité à rêver de la personne
disparue, crée un vide redouté. Ce vide accroît l’angoisse du manque et de l’absence et
engendre la dépression. Il peut renvoyer à l’amnésie d’une perte précédente et suscite
des interrogations qui amèneront l’endeuillé sur le chemin d’une reconstruction de ses
premiers liens.
La répression des souvenirs, l’empêchement de rêver de la personne (souvent il
s’agira de cauchemars) créent aussi un vide mais qui paraît alors compulsivement
recherché. S’agit-il d’un moyen de défense pour ne pas laisser surgir tous les affects
positifs et surtout négatifs ainsi que les représentations concernant la personne
disparue ? Réprimer ses souvenirs, c’est s’empêcher de parler de la personne et de ce
fait, s’empêcher d’y penser. La qualité des liens préexistant avec la personne disparue
est de toute évidence essentielle.
29
S. Freud, Deuil et mélancolie, Métapsychologie, Ed. Payot, 1968, pp : 145-171
Annette LEVILLAIN-DANJOU Psychiatre Deuils et Paroles. CH Bayeux Octobre 2015
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Dans ce va et vient mnésique entre le passé et le présent, les liens avec le défunt
seront remaniés permettant une restauration et une permanence de l’image du défunt
avec tous les attributs qui lui étaient reconnus avant son décès. La perte n’est pas
l’effacement. Les photos vont également figer la personne décédée, immobiliser celle-ci
dans le temps et, peu à peu, l’écart temporel entre l’image du passé et l’image du présent
(de ce qu’elle serait devenue) va faire craindre l’oubli.
Le regard qui appréhende les souvenirs change avec le temps et la souffrance
peut naître de la confrontation entre ce regard nouveau et celui du passé. Il n’y a plus
les mêmes affects, les mêmes représentations. Les liens préexistants vont être revisités avec ambivalence et culpabilité. Les ressouvenir vont porter en eux, comme les
rêves, une forme de survivance du défunt à travers les gestes, la voix, le visage, les
habitudes et manies…
Ce long et douloureux travail de mémoire doit permettre à terme d’affilier le
défunt à l’arbre généalogique familial et les souvenirs seront « enterrés ».
Persisteront des « dates particulières » comme celles des anniversaires
(naissance, mort, mariage par exemple), des « fêtes particulières » comme Noël… Les
émotions sont réactivées. On parle alors de bouffées de deuil. Elles peuvent survenir
sans être pour autant qualifiées de complications, néanmoins, l’endeuillé fragilisé craint
le retour de la souffrance.
« La mort des personnes investies par la libido et intériorisées dans le Moi ne supprime nullement leur existence en nous. Non seulement les traces laissées par le souvenir les maintiennent en vie dans notre psychisme mais ils (les défunts)
réapparaissent dans notre sommeil sous la forme qu’ils avaient bien des années avant d’avoir quitté le monde. Leur corps disparu, leur âme survit en nous dans l’inconscient. Si leur âme est immortelle, la nôtre l’est aussi. Les ombres hantent le sommeil des vivants, elles les endeuillent même à leur insu. »30
Il y a un avant et un après. Comme l’expriment les endeuillés rien ne sera plus
comme avant d’autant que si, «chacun des souvenirs et chacun des espoirs avec le disparu doit revenir à la conscience et être frappé du décret de la réalité »31 c’est une
image réaliste du défunt, telle qu’elle était avant sa mort, avec ses qualités et ses
défauts, qui doit être rétablie.
La « canonisation » du défunt, image d’une hyper idéalisation, va empêcher le
nécessaire détachement de la personne pour permettre de nouveaux investissements
affectifs. Le défunt est devenu irremplaçable et celle ou celui qui le pleure s’isole
progressivement rétrécissant sa vie psychique.
e.) Les identifications
Les processus d’identification et d’intériorisation sont toujours repris et
réactivés dans le deuil. C’est, pour l’endeuillé, se rendre semblable ou reprendre certains
« aspects » du défunt, moyen de le garder, de rester avec lui, de le sauvegarder, d’en
avoir l’héritage. C’est aussi assurer sa survie : devenant une partie de lui-même, il n’est
30
A. Green, Narcissisme de vie, Narcissisme de mort, Ed. de Minuit, 1983, pp : 275-280 31
S. Freud, Métapsychologie. Ibid. pp : 145-171
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pas totalement disparu. On retrouve ainsi certains adolescents reprenant les vêtements,
le parfum… du défunt. L’objet externe est perdu mais l’objet interne comme l’image du
défunt sont intériorisés. Il s’agit d’une incorporation narcissique c’est à dire dans le Moi
qui va s’identifier partiellement à l’objet incorporé, ce qui permet une certaine
temporisation en attendant un remaniement des investissements et un retour à
l’équilibre psychique.
Mais s’il existe des identifications positives, d’autres sont négatives et sources
de complications : somatiques (reprendre les symptômes de la maladie cause de la mort
par exemple, avec la peur d’un destin identique), psychologiques (traits névrotiques en
particulier obsessionnels : collection, habitudes, conscience morale…)
Si l’ambivalence était importante, la culpabilité également importante va se
retourner contre l’endeuillé entrainant des complications dont il faut savoir si elles
figées.
« […] L’identification au mort est une tentative pour apaiser la culpabilité de vivre et maintenir la relation avec le mort, sous une forme masochique, sinon en mourant, du moins en installant la mort dans la vie et en s’imposant toutes sortes de restrictions vitales. La conscience ainsi déchirée entre le devoir envers le mort, qui prescrit de mourir, et le désir de vivre. Le sens du travail du deuil n’est pas seulement ni essentiellement de se détacher d’un objet d’amour sur lequel les actes d’amour ne peuvent plus s’effectuer, c’est la destruction d’une autorité morale qui ne permet pas de vivre. […] Le travail de deuil est un travail de dégagement: il est accompli lorsqu’il n’y a plus de confusion entre le mort et le survivant. » 32
f.) Deuil et culpabilité
Il n’y a pas deuil sans culpabilité.
La culpabilité consciente est en relation avec un sentiment d’impuissance.
Après la mort d’une personne significative, l’endeuillé exprime de façon répétitive ses
doutes pénibles d’avoir été négligent ou d’avoir fait preuve d’imprudence, de ne pas
avoir été plus attentif à son existence. Cet état de mauvaise conscience, qui s’atténuera
avec le temps, est générateur d’angoisse. Coupable de n’avoir rien vu, de n’avoir rien ou
pas bien fait, des mots que l’on n’a pas su dire, des comptes non réglés et surtout
culpabilité de survivre.
La culpabilité peut être directe : l’endeuillé est responsable du décès. Le
deuil sera difficile et long, avec une souffrance de nature expiatoire. L’accompagnement
est nécessaire.
Le sentiment inconscient de culpabilité naît d’un conflit entre le Moi, l’idéal du
Moi et le Surmoi Il est toujours exprimé. C’est une force de lutte face à l’impuissance
dans laquelle s’est trouvé l’endeuillé, mieux vaut être coupable qu’impuissant !
La culpabilité est accentuée dans les décès par suicide, de plus elle est associée
à la honte.
Le sentiment inconscient de culpabilité est en lien avec l’ambivalence affective.
Dans le processus de deuil il y a une désintrication de l’amour et de la haine.
32 C. Nachin, Le deuil d’amour, Ed. Universitaires, Paris, 1989 ? pp : 79-128
Annette LEVILLAIN-DANJOU Psychiatre Deuils et Paroles. CH Bayeux Octobre 2015
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« La perte de l’objet d’amour est une occasion privilégiée de faire valoir et apparaître l’ambivalence des relations d’amour. Là où la prédisposition à la névrose obsessionnelle est présente, le conflit ambivalentiel confère de ce fait au deuil une forme pathologique et le force à s’exprimer sous la forme d’auto reproches selon lesquels on est soi-même responsable de la perte d’objet d’amour, autrement dit qu’on l’a voulue. » 33
L’ambivalence se manifeste de manière plus intense que l’être perdu était plus
cher et plus aimé et dans les circonstances où on s’y attend le moins. Le sentiment
d’hostilité inconsciente pénible est extériorisé et attribué au mort lui-même par
mécanisme de défense projectif: c’est le disparu et non le survivant qui éprouve le
sentiment d’hostilité (« ce n‘est pas moi qui l‘a quitté, c‘est lui qui m‘a abandonné… c’est
lui qui a pris les risques et ne m’a pas écouté… ») Mais il y a la crainte de rétaliation. Le
mort peut se venger et persécuter le survivant et peuvent se mettre en place des
superstitions pour se protéger.
La culpabilité peut se projeter sur autrui (sous forme d’hostilité, de haine, de
recherche d’un coupable, de procédures judiciaires, de demandes de réparations) ou se
retourner contre l’endeuillé lui-même (douleur persécutrice, victimisation,
autoaccusations) avec le besoin obstiné et répétitif d’une punition. De même, culpabilité
de sortir, de rire, de s’amuser… car c’est trahir le défunt. On retrouve ici les interdits
sociaux d’autrefois intériorisés.
Il faut rester attentif, surtout lorsque l’endeuillé est dans l’interrogation de sa
survie et s’accable de reproches. La culpabilité démesurée comporte le risque suicidaire,
en particulier altruiste.
g.) La relation préexistante au défunt :
S’il y a de nombreux conflits, le deuil sera plus difficile avec un retour vers soi
de l’agressivité et on va être amené à se faire souffrir : maladie, prise de risque, mise
en danger. Si l’ambivalence ne peut pas s’exprimer, l’agressivité va être projetée sur le
mort avec l’idée de persécution de la part du mort. Cette persécution est une
complication.
Le deuil est plus difficile dans la situation de divorce. En cas de violence
intrafamiliale et conjugale… L’endeuillé peut ressentir une joie inavouable quand la
violence cesse avec le décès de l’autre dont on a subi les coups et les humiliations.
Geneviève 50 ans vient en entretien sur les conseils de son médecin. Son mari est mort subitement
un matin au pied du lit en se levant. Sa belle-mère est morte 8 jours après. Geneviève a un fils de 25 ans, étudiant.
Me faisant le récit depuis l’annonce de la mort jusqu’à la fin des funérailles, elle me parle avec une certaine insistance de l’enterrement : pompeux, solennel, « c’est trop » lui disait son entourage. Ce fut un enterrement en « grandes pompes » aurait-on dit autrefois. Elle insiste beaucoup sur cet enterrement.
Lors de l’entretien suivant, elle me dit : « je suis désolée, je vous ai menti. » Elle raconte la violence de son mari la menaçant de la tuer, jaloux maladif elle ne pouvait pas sortir seule et devait rentrer du travail à une heure précise. Une vie d’enfer. Aujourd’hui « je suis libre, je peux faire ce que je veux, je peux sortir avec mes amis, aller au cinéma. Je suis joyeuse mais je n’ose pas le dire, que penseraient les gens. Ils ne savaient
33
S. Freud, Métapsychologie. Ibid.
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pas, tous, ce que je vivais. » Heureuse finalement que son mari ne soit plus là. Même sentiment envers sa belle-mère qui soutenait son fils, surveillant sa belle-fille quand il n’était pas là.
L’état d’agitation euphorique, dont il lui est difficile de parler car générateur de honte et de culpabilité ; c’est aussi l’expression de la « satisfaction triomphante du Moi d’être resté en vie
34» : ce n’est pas
moi qui suis morte, c’est l’autre.
Les morts n’ont pas tous été des vivants honorables.
h.) L’absence de deuil, le deuil non fait (Développée dans la seconde
partie)
Le deuil non fait est la plus grave des complications du deuil.
II. LE DEUIL PATHOLOGIQUE
Si dans le deuil compliqué on observe une exagération des différents temps et
étapes du deuil avec une aggravation des symptômes d’avant le deuil, dans le deuil
pathologique, l’endeuillé devient malade alors qu’il ne l’était pas avant le deuil.
Les pathologies peuvent être : somatiques, mentales.
A. Pathologies somatiques
On ignore combien le deuil peut être un facteur de pathologie somatique. Celle-ci
est vraie à n’importe quel âge, de plus en plus fréquente avec l’âge.
Le deuil peut faire mourir de suicides et de maladies.
Il est difficile de répertorier les atteintes dont le deuil serait la cause directe.
Il s’agit plus souvent de complications.
Les pathologies auto-immunes comme la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de
Crohn, la spondylarthrite … Peuvent se déclencher au-décours d’un deuil. On peut penser
que la maladie était déjà présente mais encore asymptomatique. De même que pour les
cancers se déclarant au décours ou pendant un deuil.
Il peut s’agir de migraines, de maladies psychosomatiques diverses.
Affections dermatologiques (pelade, sporiasis)
La question se pose concernant cette nouvelle maladie encore mal connue : la
fibromyalgie, syndrome douloureux diffus (musculaire et articulaire) associé à une
fatigue intense et des troubles du sommeil.
Le deuil favorise une vulnérabilité somatique qui augmente avec l’âge, dont il
importe de tenir compte.
B. Pathologies mentales
Les antécédents psychiatriques de l’endeuillé sont toujours des facteurs
d’aggravation d’un processus de deuil.
On retient :
- L’hystérie de deuil : d’abord c’est une dépression chronique puis au bout de
quelques années on prescrit des antidépresseurs, et quand ça va mieux, voilà que le corps
34
N. Abraham et M. Torök, L’écorce et le noyau, Ed. Flammarion, 1987, pp. : 229-275
Annette LEVILLAIN-DANJOU Psychiatre Deuils et Paroles. CH Bayeux Octobre 2015
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présente des symptômes de conversion. Il n’est pas rare d’assister à une identification
majeure au mort.
- La névrose obsessionnelle : maladie « morale », aspect « de mort-vivant et
certains auteurs parlent de « momification de l’endeuillé. » Le champ relationnel et le
champ d’intérêts diminuent, les personnes restent confinées dans leur douleur. Il n’est
pas rare que l’agressivité de l’endeuillé soit dirigée vers les soignants.
- Chez les patients bipolaires le risque suicidaire est majeur.
- La dépression chronique, abordée dans un chapitre antérieur.
- Chez le patient psychotique peuvent survenir une reprise des bouffées
délirantes.
FIN PARTIE I
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