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CARMEN ANDREI Littérature française du XVII e siècle: notes de cours EDITURA EUROPLUS GALAŢI 2007

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Littérature française du XVIIe siècle : notes de cours

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CARMEN ANDREI

Littérature française du XVIIe siècle: notes de cours

EDITURA EUROPLUS

GALAŢI 2007

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Littérature française du XVIIe siècle : notes de cours

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EDITURA EUROPLUS Galaţi: Str. Tecuci 235 Tel.-Fax: 0236-326.115 E-mail: office@europlusgalaţi.ro Web: http://www.europlus-sm.ro Copyright © 2007 – Toate drepturile asupra acestei ediţii sunt rezervate Editurii EUROPLUS Galaţi ISBN : 978-973-7845-75-7

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Table des matières

Avant-propos ............................................................................................... 5 Poétique du baroque .................................................................................... 7 1. Définition et caractéristiques du courant............................................... 7 2. Le baroque littéraire .............................................................................. 11 2.1. Le théâtre baroque......................................................................... 14 2.2. La poésie baroque ......................................................................... 16 2.3. La prose baroque........................................................................... 19 3. Documents critiques à commenter ....................................................... 21 4. Groupement de textes baroques ........................................................... 25

Agrippa d’Aubigné ............................................................................. 25 Mathurin Régnier................................................................................ 29 François de Malherbe ......................................................................... 31 Théophile de Viau .............................................................................. 34

Vers le classicisme (1630-1660) ................................................................. 37 1. Préciosité ................................................................................................. 38 1.1 Définition et caractéristiques du courant ....................................... 38 1.2 La poésie précieuse ........................................................................ 39 2. Le burlesque romanesque ..................................................................... 40 3. Document critique à commenter........................................................... 41 4. Groupement de textes précieux............................................................. 43

Saint-Amant........................................................................................ 43 Tristan L’Hermite ............................................................................... 46 Vincent Voiture .................................................................................. 48 Madeleine de Scudéry ........................................................................ 50

Idéologies du XVIIe siècle .......................................................................... 53 1. De Descartes à Pascal ............................................................................ 53 René Descartes .................................................................................. 53 Jésuites vs. Jansénistes ...................................................................... 56 Blaise Pascal ...................................................................................... 57 2. Le courant libertin ................................................................................. 61 Poétique du classicisme.............................................................................. 69 1. Définition et caractéristiques du courant............................................. 69 2. La poésie classique ................................................................................. 72

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3. Le théâtre classique................................................................................ 73 3.1. La règle de trois unités ................................................................. 74

3.2. Les bienséances ........................................................................... 75 3.3. La vraisemblance ......................................................................... 75 3.4. Le héros classique........................................................................ 76 3. 5. La tragédie .................................................................................. 77 3.6. La comédie .................................................................................. 78

4. Le genre romanesque classique ............................................................ 79 5. Documents critiques à commenter ....................................................... 80 6. Groupement de textes classiques .......................................................... 82 Pierre Corneille ................................................................................. 82

Molière.............................................................................................. 88 Jean Racine ....................................................................................... 94 Nicolas Boileau................................................................................. 98 La Fontaine ..................................................................................... 101 Madame de La Fayette ................................................................... 105 La Rochefoucauld .......................................................................... 107

Sujets de réflexion sur le XVIIe siècle..................................................... 109 Test sur le XVIIe siècle............................................................................. 111 Bibliographie ........................................................................................... 115

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Avant-propos Le présent travail s’adresse aux étudiants en philologie qui suivent des cours de français en présentiel ou en régime de fréquence réduite. Nous l’avons conçu comme des notes de cours à la discipline Littérature française – le XVIIe siècle. Nous ne nous proposons pas une étude exhaustive de tous les auteurs, ni un inventaire détaillé de toutes leurs œuvres. Notre objectif général vise la présentation des phénomènes littéraires significatifs du siècle de « Louis le Grand », des auteurs et des œuvres qui les illustrent. La tâche de compléter l’information et de la raffiner en revient aux étudiants.

Ces notes de cours se donnent donc pour une approche didactique préliminaire et globale de la littérature française du XVIIe siècle. Nous avons choisi d’organiser le contenu concerné en quatre grandes parties qui présentent comme suit : la poétique du baroque ; la période de transition vers le classicisme : la préciosité et le

burlesque ; la poétique du classicisme ; les idéologies de l’époque.

Les renvois historiques ponctuels sont nécessaires pour une

meilleure compréhension de l’évolution des idées littéraires. À la suite de l’initiation théorique qui comprend la définition des

doctrines et leurs caractéristiques, nous traitons leur manifestation dans le théâtre, la poésie et la prose. Nous présentons en bref les auteurs importants, leur biographie et leurs œuvres principales. Par la suite, les apprenants pourront approfondir l’étude de la littérature baroque, précieuse ou classique, individuellement ou en groupe, puisque nous ajoutons également des documents critiques censés être commentés, expliqués, illustrés par des exemples concrets et un choix de textes qui regroupent beaucoup d’extraits des œuvres importantes qui ont marqué l’esprit du siècle. Les documents critiques et les fragments de textes à analyser en question peuvent former la

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matière des séminaires de littérature qui, par définition, approfondissent les acquis théoriques.

Nous suggérons aux étudiants des repères de lecture qui les guident

dans l’analyse des extraits proposés. Nous considérons ces textes (poésies, fragments romanesques et théâtraux) comme des sujets possibles pour un examen oral ou écrit. Le test final est un rappel succinct des principaux faits littéraires de la période envisagée. Les sujets de réflexion proposés ouvrent le champ d’investigation et exigent une étude approfondie faite d’avance, ainsi qu’une rédaction écrite sous forme d’analyse, de commentaire, voire d’essai.

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Poétique du baroque

Définition et caractéristiques du courant ; Le baroque littéraire (le théâtre, la poésie, le roman) ; Documents critiques à commenter ; Groupement de textes baroques.

1. Définition et caractéristiques du courant

Le mot baroque vient en France en 1531 du portugais barocco, via

Espagne. Il est attesté dès le XVIe siècle et désignait, au sens propre, un terme technique de joaillerie. Baroque se disait d’une perle ou pierre précieuse irrégulièrement taillée. À l’origine, le mot avait une coloration péjorative. Au sens figuré, le baroque caractérise toute forme irrégulière, choquante, tortueuse, compliquée, disproportionnée, insolite, barbare. Le baroque est aussi une forme d’esprit caractérisant tout artiste, tout écrivain bizarre, non conformiste, donc original. Le critique d’art Eugénio d’Ors y Rovira voit dans le baroque un art dionysiaque qui libère la sensualité, l’imagination et le mouvement s’opposant en ce sens à l’art classique, apollinien, régulier, « calme ». Il fait du baroque un principe universel qui connaît des résurgences périodiques tout au long de l’histoire culturelle (c’est ce que les spécialistes appellent le baroquisme). Les caractéristiques de l’art baroque sont l’extase, le ravissement, l’envol, la passion, la fantaisie, l’individualisme. Jacob Bruckhardt, l’un des premiers analystes du baroque, y voit une forme de dégénérescence de la Renaissance. Cependant, le baroque est tout le contraire d’une dégénérescence : il est profondément dynamisé par une volonté de régénération sociale, politique, idéologique.

Dans le domaine esthétique (architecture, arts plastiques, littérature), le baroque se développe dans une période limitée, entre 1598 et 1630. La périodisation du courant diffère selon le pays, à travers toute l’Europe, de l’Italie à la Russie. Le baroque français anticipe le développement de l’art baroque européen du XVIIe et du XVIIIe siècles, mais subit à son tour des influences culturelles, italiennes et espagnoles surtout.

Historiquement, le baroque couvre en France les règnes d’Henri IV et de Louis XIII et comble la lacune typologique entre la Renaissance et le classicisme, entre Montaigne et Descartes. L’esthétique baroque est une réponse à la tourmente européenne de la seconde moitié du XVIe siècle : perte de repères politiques, scientifiques et religieux à la suite de la Contre-

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Réforme et des guerres civiles. Les années 1560 marquaient en France le début des conflits religieux qui se poursuivent jusqu’à l’Edit de Nantes (1598). La question huguenote et janséniste, ainsi que les troubles de la Fronde (1648-1652) bouclent la phase de la recherche de l’équilibre social entre la bourgeoisie ascendante, la noblesse d’épée, la noblesse de robe et le pouvoir royal. En 1661, avec le règne de Louis XIV s’instaure une période de paix intérieure.

Le sentiment d’instabilité et de dérèglement s’emparent de la conscience de l’être social qui erre dans un dédale entortillé. L’homme baroque garde la conscience de la fracture ou de l’écart entre le souhaitable et l’existant, ce qui aboutit à la prise de conscience d’un univers duel à tous les niveaux de perception. Le baroque, c’est la révolte de la conscience individuelle (le protestantisme et le libre arbitre) contre la raison universelle. De ce point de vue le romantisme est l’un des avatars du baroque.

Analysant en spécialiste ce courant, Jean Rousset en dégage les poncifs de l’informe et du pathologique, ces deux traits étant placés sous l’égide de Circé et le paon (voir La Littérature de l’âge baroque en France : Circé et le Paon, 19541 et l’Anthologie de la poésie baroque). Cela veut dire que tout est métamorphose, illusion, artifice et spontanéité naturelle.

Le baroque s’attache aussi à deux autres notions, le maniérisme et le rococo. La relation avec la première peut se traduire dans une autre opposition du type : baroque de conviction (exploitation de la fonction expressive du langage et jeu conscient de l’œuvre avec l’artifice) et baroque

1 Jean Rousset centre son étude autour de deux thèmes, le mouvement et l’apparence, comme marques distinctives de sensibilité. Le baroque est au centre d’un complexe dans lequel l’impossibilité d’atteindre à l’être est compensé par une immersion dans la fluidité de l’existence, où tout s’écoule et se métamorphose, et par les illusions spectaculaires de l’apparence, qui font de la vie une scène de théâtre. Le critique reviendra sur les bases à partir desquelles s’est constituée son étude, en particulier dans L’Intérieur et l’extérieur (1968). Ainsi s’amorce une récession dans l’utilisation de perspectives générales concernant le concept de baroque. Le livre de Pierre Charpentrat, Le Mirage baroque (1967), exprime un scepticisme ironique sur les vues synthétiques. La critique s’oriente vers des « micro-lectures », qui serrent de très près les textes, pour en faire ressortir des principes de fonctionnement, sans prétention à l’universalisation des principes. Cette critique prend le relais des méthodes élaborées en linguistique (Chomsky) et en informatique, et des modes d’investigation historique à partir du fait révélateur (Le Roy-Ladurie). L’investigation de Gérard Genette sur quelques documents de littérature baroque (voir Figures I et II, 1966 et 1969) prend appui sur l’approche technique pour la dépasser par une intégration dans une théorie générale de la production littéraire. Les thèmes de la fluidité et les détours du récit ne peuvent occulter une armature forte, et permettent de déceler « dans le vertige un principe de cohérence ».

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de déception (parole de Vérité destinée à convaincre). Si le maniérisme est une phase initiale du style (la période postmoderne de la Renaissance), le rococo est une survivance au XVIIIe siècle et pousse toute création vers l’outrance, vers l’excessif. Le maniérisme est l’art d’une période de crise, mais on ne peut parler ici de décadence – même si les auteurs cultivent la mélancolie, la lassitude et l’anxiété – car parallèlement on assiste à une hypertrophie de la curiosité, au goût du mystère, de la revendication de vivre dangereusement, d’exploiter toutes les ressources de la liberté et du plaisir.

Au XIXe siècle, Victor Hugo et Charles Baudelaire sont séduits par le baroque dans l’architecture découvert en Belgique. Hugo l’appelle art rococo et Baudelaire, art jésuite. L’esthétique baroque manifeste un goût particulier pour le faste, la pompe, le monumental, le collectif. Le baroque exhibe la puissance, la richesse décorative et ludique. Les fêtes princières de l’époque en témoignent. Les architectes français Le Vau et Mansart et le sculpteur P. Puget subissent l’influence de l’Italien Le Bernin.

L’homme baroque est un être protéiforme, ouvert à toute expérience, ouvert sur l’extérieur, un homme d’action, maître de son destin, mais inconstant dans l’amour. Il aime la dissimulation, il joue sur sa nature duplice. Son inconstance foncière est due au caractère dépourvu de consistance, d’essence propre. L’homme baroque accepte cependant une existence déterminée par le hasard, le milieu et les circonstances. Il préfère le paraître à l’être, ce qui se traduit dans l’art par la surenchère du décoratif, par la pratique de l’esthétique du trompe-l’œil. Il préfère aussi le pittoresque et l’anecdotique, les sensations fortes qui le font vivre toute expérience gnoséologique ou sensorielle au maximum. Il se trouve dans une crise ontologique permanente d’où le reniement fréquent du christianisme, suivi paradoxalement par l’extase mystique, d’où la croyance à la transcendance, à l’immortalité de l’âme et de l’esprit. Le baroque crée un champ de forces ouvert et conflictuel où tout est énergétique. La rupture des bases traditionnelles d’explication du monde et de l’homme fait que tout devient objet de questionnement, représentation énigmatique. La figure du labyrinthe, complaisamment développée, est l’emblème de la relation de l’homme au monde et de l’esprit au savoir. Il reste comme moyen de salut une attitude esthétisante, qui prend souvent un aspect provocant, excentrique ou désinvolte. L’angoisse, l’incertitude, le vertige existentiel, le doute sont les éléments essentiels de la sensibilité baroque. La raison est confrontée à ses limites d’où la thématique de la vérité et de l’apparence, celle du masque et de la réalité protéiforme, du renversement incessant du pour au contre.

À l’époque baroque, on vit d’excès et de surcharge, de masques posés sur des masques, de théâtres dans le théâtre. L’adage de Calderón La vie est un songe est doublé par le retour du thème ancien du theatrum mundi.

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Par ces qualités, son aspiration à l’unité et à l’absolu, le baroque peut apparaître comme une forme de classicisme. Mais il s’agit d’aspiration : en ce sens le baroque fonde une dynamique ouverte, en mouvement, tendue vers une fin qui n’est pas acquise, et qu’il met toute sa force à réaliser. Pour réaliser ce dessein, deux moyens sont à sa disposition : la force et la séduction. Le choix de ces moyens nous ramène aux caractéristiques formelles du baroque : venustà et terribilità. D’un côté, il y aura l’art de plaire, par l’exhibition de formes et de paroles aimables, par l’excitation du désir, et les voies contournées de la séduction (c’est la voie de Don Juan). Mais il s’agit là de moyens mis au service de l’esprit de conquête. D’un autre côté, il y aura l’art d’en imposer (depuis le vers célèbre d’Auguste dans Cinna : « Je suis maître de moi comme de l’univers », jusqu’au mot de Louis XIV : « L’État, c’est moi ! »). Il s’agit là de justes déductions d’une conquête effectuée, qui réalisent, sous forme conclusive, les grands rêves de pouvoir des paranoïaques du théâtre élisabéthain. En ce sens, baroque et classique peuvent se rejoindre : la grandeur du Roi Soleil est le résultat de fait du rêve de grandeur du héros baroque, l’unité du royaume est le résultat de l’effort vers l’unité des grands ministres baroques, le triomphe classique de la raison est le résultat de l’itinéraire volontariste tracé par Descartes. Le classicisme d’État et d’Église, celui des institutions, est une forme de baroque qui trouve son identité dans l’apparat, sa règle d’action dans la gloire, et son couronnement dans les fêtes. Rappel

L’esthétique baroque se caractérise, grosso modo par les traits suivants :

Non-conformisme : recherche de l’originalité qui va jusqu’à l’excentricité ; penchant pour les nouveautés, les innovations, les inventions, les trouvailles, les curiosités ;

Art anti-mimésis centré sur l’artificiel (dans le sens d’œuvre travaillée avec minutie et habileté artistique); esthétique de la dénaturalisation, de la déréalisation, exercice de style maniériste ;

Démesure : dans le domaine du littéraire, cela se traduit par l’excès d’ornements rhétoriques, de métaphores, de subtilités (dans la poésie), l’excès de personnages et d’aventures (dans le roman et le théâtre);

Surenchère de l’effet : le baroque a une conception moderne de la réception littéraire (il cherche à susciter l’admiration, la surprise, l’émerveillement, l’exaltation du spectateur ou du lecteur).

Cependant, le baroque manque d’unité idéologique et esthétique. Pourtant, ses traits reconnus à l’unanimité sont :

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l’instabilité et le mouvement ; le dynamisme des formes ; l’apparence et l’illusion ; la perspective théologique sur le monde ; la diversité et la luxuriance ; le goût pour le provisoire et les contrastes ; l’aspiration à la liberté absolue et le refus des règles de toutes sortes ; l’inspiration réaliste, burlesque ou satirique ; le sens aigu de la complexité de la vie.

2. Le baroque littéraire

On ne peut se contenter aujourd’hui de perspectives strictement

nationales : on a défini un « âge baroque » spécifiquement français, qui recouvrirait la première moitié du XVIIe siècle. Mais en Autriche, en Bavière, au Portugal, le baroque est à son apogée au XVIIIe siècle. Pour certains musicologues, la musique baroque commence avec Bach et s’achève avec Mozart. Le roman picaresque baroque naît dans l’Espagne du XVIe siècle, passe en France et en Allemagne au XVIIe siècle, puis en Angleterre dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Shakespeare, un auteur baroque purement anglais, devient un génie européen à la fin du XVIIIe siècle, et inspire le théâtre de toutes les nations.

La périodisation de la littérature baroque doit tenir compte de ces disparités et s’ouvrir au plus large éventail possible. Il convient également de prendre en considération le réseau des influences, le temps qu’elles mettent pour se manifester d’un pays à un autre, s’implanter ou créer des réactions. L’âge de la littérature baroque européenne, au sens le plus large, comprenant ce que les Français préfèrent appeler les siècles « classiques », de 1580 à 1790 environ, ne constitue pas une ère monolithique : il conviendra d’y distinguer des différences selon les temps et les régions. La littérature baroque européenne est, comme l’Europe, une mosaïque : une vision restrictive fait perdre les lignes générales d’orientation et de composition; une vision globale fait perdre de vue les particularités de la facture, faite d’un amoncellement de pièces détachables.

La littérature maniériste prend appui sur ces bases et se présente comme l’exploitation et la mise en valeur des modèles légués par la Renaissance. Mais le sentiment de venir trop tard fait délaisser à ses suiveurs et épigones (qui se présentent comme tels) les questions de contenu au profit des distorsions formelles, qui sont les bases de leur créativité. L’anamorphose, les parallèles et les antithèses (culminant dans l’oxymore), les effets additifs, accumulatifs et multiplicatifs, le géométrisme renforcé,

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engendrent un style tout à fait différent de celui dont ils s’inspirent (ainsi en va-t-il des pétrarquistes par rapport à Pétrarque). L’art et la littérature maniéristes se caractérisent par la parcellisation et la spécialisation autour d’une trouvaille particulière. Il s’ensuit une perte du sens global et un repli sur la virtuosité technique et formelle qui élève l’art au-dessus de la nature. La déroute des sens peut être mise en rapport avec la crise de scepticisme qui affecte la deuxième moitié du XVIe siècle.

Le baroque reprend à son compte l’interrogation maniériste généralisée sur les difficultés du vivre et du savoir. Mais la réutilisation de ces thèmes ne doit pas faire illusion : il n’y a point d’arrêt en cet état. Ils sont le point de départ et le tremplin d’une nouvelle construction épistémologique et morale. « N’espérons plus, mon âme, aux promesses du monde », dit Malherbe, mais c’est pour ajouter aussitôt : « N’espère que de Dieu ». Descartes part, avec l’hypothèse du « malin génie », du doute généralisé, mais c’est pour en déduire : « je doute, donc je pense », et de là « je pense, donc je suis ». Pascal reprend, derrière Montaigne, le thème de la misère de la raison, mais c’est pour y adjoindre aussitôt l’idée de sa grandeur et faire de ce complexe un argument démonstratif. Cette manière d’envisager l’exercice de la pensée comme activité volontariste, de conduire du questionnement à l’affirmation, met en valeur un sens unitaire et ascendant qui s’exprime dans la volonté de puissance, de science et de jouissance (comme chez Don Juan), et trouve son point maximal dans la « gloire », synthèse des deux mouvements vers l’unité (se faire un nom) et vers la hauteur. Mais à la différence du classicisme renaissant, l’unité n’est pas le résultat obtenu par l’harmonisation des contraires : elle est au début, point de départ et point ultime (on peut ainsi opposer le moi de Montaigne, résultat d’une quête tâtonnante et indécise, labyrinthe d’auto-analyse, et le moi du héros cornélien, qui s’affirme d’emblée). Pour atteindre cet état de perfection unitaire, le baroque procède par sélection et par rejet, dans un univers contrasté d’ombre et de lumières, qui est le pendant littéraire du caravagisme pictural : faire ressortir la lumière de l’ombre, faire émerger des vérités dans le chaos du savoir. Certitude et résolution : c’est le contraire du maniérisme, exploitant dans le doute les vertus des contradictoires.

Le baroque littéraire s’impose par la liberté et la variété des constructions, par le refus catégorique des règles de toutes sortes et de l’unité. Le foisonnement baroque signifie aussi abandon délibéré de l’articulation logique et l’accumulation des images qui se superposent.

Une première vague baroque constitue en deux temps : dans un premier temps on assiste à l’épanouissement de 4 genres : la poésie épique ou lyrique (d’Aubigné, Malherbe, Régnier), le roman, sous la forme

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d’itinéraire sentimental compliqué (L’Astrée d’Honoré d’Urfé), d’aventures hasardeuses (Don Quichotte de Cervantès), du théâtre (fortement marqué par Shakespeare) et les écrits moraux et spirituels (Charron et François de Sales). Cette phase atteint son sommet vers 1610. Une seconde phase prend un essor considérable vers 1630 lorsqu’on assiste à l’exploitation considérable du genre dramatique (Corneille et Rotrou en France, Calderón, Lope de Vega, Tirso de Molina en Espagne).

Dans un deuxième temps, dans le genre romanesque on pratique le roman précieux, dans le sillage de L’Astrée, et le roman picaresque ou burlesque (Sorel, Scarron). La poésie lyrique, cultivée par Théophile de Viau, Saint-Amant, Tristan l’Hermite, etc. connaît elle aussi un épanouissement important. Il convient aussi de rappeler le développement de l’essai philosophique, théologique, politique, scientifique comme reflet du penchant pour la méthode et la science (Descartes, Pascal, Bacon et Comenius), pour le mysticisme ésotérique et la rhétorique.

Entre 1660 et 1690 le baroque survit toujours dans la pratique d’une littérature de Cour, d’Etat, d’apparat avec ses genres spécifiques : opéras, ballets, pièces à machines, poésie de circonstances, historiographie officielle.

Une deuxième vague baroque touche la première moitié du XVIIIe siècle. Elle se manifeste particulièrement dans le domaine musical (Vivaldi, Rameau, Bach, Haendel) et dans les arts plastiques. En France, on appelle cette période rococo avec l’application exacte aux arts ornementaux. Sur le plan littéraire, c’est l’époque du conte (Perrault, Mme d’Aulnoy), de la fiction centrée sur le voyage imaginaire ayant un caractère symbolique (Voltaire, Swift, Defoe) et le roman libertin.

Il naît même un « roman de la compassion », de l’affectivité (Richardson en Angleterre, l’abbé Prévost en France). Le théâtre de Marivaux peut être analysé comme l’illustration d’un rococo littéraire en raison de la subtilité psychologique et la fantaisie légère. Les derniers échos baroques se font entendre jusqu’à la fin du XVIIIe siècle lorsque les écrivains retournent à l’esthétique gréco-latine (Delille, Chénier), à la pensée ordonnée en systèmes (Helvétius et d’Holbach) ou en catalogues raisonnés (dictionnaires, l’Encyclopédie). Ce néo-baroque se traduit dans un imaginaire, soit trop sensible (la comédie larmoyante), soit trop froid (le roman libertin). Le côté lumineux surgit des opéras de Mozart, celui ténébreux de l’œuvre sadienne.

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2.1. Le théâtre baroque À l’époque baroque, le théâtre était un genre de prédilection, influencé par ses modèles anglais, italiens et espagnols.

Représentants : Alexandre Hardy (La Force du sang, 1625 ; La Mort de Daire,

Scédase ou l’Hospitalité violée) ; Pierre Corneille (dans ses comédies de début : Mélite ou les fausses

lettres, 1629 ; Clitandre ou l’innocence délivrée, 1631 ; La Galerie du Palais ou l’amie rivale, 1632 ; La Veuve ou le traître trahi, 1633 ; La Suivante, 1634 ; La Place royale ou l’Amoureux extravagant, 1634 ; L’Illusion comique, 1636 ; Le Menteur, 1644 ; et même dans Le Cid, 1637) ;

Théophile de Viau (Les Amours tragiques de Pyrame te de Thisbé, 1621, 1626) ;

Jean Rotrou (L’Hypocondriaque, 1628 ; Le Véritable Saint Genest, 1645 ; Venceslas, 1647 ; Antigone, Cosroès, 1649)

Jean Mairet (Sylvie, 1626 ; Sylvanire ou la mort vive, 1630 ; Les Galanteries du duc d’Ossone, 1632 ; Virginie, 1633 ; Sophonisbe, 1634).

Au début du XVIIe siècle, les représentations se donnaient dans trois

grandes salles : à l’Hôtel de Bourgogne (le premier théâtre permanent de Paris) ; vers

1610 il est occupé par la meilleure troupe de l’époque qui prend les titre de Comédiens du roi ; elle fusionnera en 1680 avec la troupe de Molière ; acteurs célèbres : Bellerose, Montfleury, la Champmeslé, Gros-Guillaume, Gauthier-Gargouille, Turlupin. à l’Hôtel du Marais – installé dans un ancien jeu de paume au quartier

du marias en 1634 ; il était construit « à l’italienne » : avec des loges, des amphithéâtres en gradins et une veste scène. Richelieu et Corneille accordaient aux acteurs (Mondory, Floridor) de ce théâtre leur protection. au Petit Bourbon.

Plus tard, Molière inaugurera la salle du Palais Royal.

Genres cultivés :

la tragi-comédie. C’est un genre hybride, qui met en scène généralement le contraste entre le malheur et le bonheur, coups de théâtre, situations mélodramatiques, structure ouverte intrigue

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romanesque pleine de cruauté, multiplication des péripéties, éclatement de l’action, du lieu et du temps, fin heureuse pour les personnages « sympathiques ». le théoricien du genre est Vossius (Poétique, 1647)

Espèce : la tragi-comédie pastorale (cadre champêtre, bergers et bergères, amour baroque détourné, rebondissements et impromptus de l’intrigue, mais à la fin, constitution harmonieuse des couples, satyre mythologique parfois). Virgile et Théocrite, Tasso et Cervantes, ainsi que d’Urfé assurent la thématique du la pièce. Exemples : Jean Mairet, Sylvie (1626) et Sylvanire (1629), Montchrestien, Bergerie (1601), Racan, Les Bergeries (1620). le ballet (personnages fantasmagoriques et hétéroclites, habillés de

costumes étranges ; le livret est insignifiant) ; Exemples : Vincent Bonard, le Ballet de la puissance d’amour, dansé au petit Louvre en 1633 et Molière, Le Bourgeois gentilhomme, comédie-ballet, faite pour « le divertissement du roi ». l’opéra (danses et ballets somptueux à l’italienne, spectacle baroque

total par excellence) ; les pièces à machines (décors spectaculaires soumis aux changements

rapides et suggestion de la perspective ; plusieurs étages de machines au-dessous et au-dessus de la scène ; des nuages porteurs de personnes). Psyché de Molière est une tragédie-ballet à trois cents divinités qui sont suspendues dans les nuages flottants de l’Olympe.

Exemple : Corneille, Andromède (1650), une tragédie à machines les farces (au sens culinaire du terme : fouillis inextricable de tentations

sérieuses et d’expressions comiques). Exemple : Les Fourberies de Scapin de Molière illustrent les procédés comiques de la farce traditionnelle : poursuites, coups, chutes, etc.

Thèmes : le thème du fabuleux légendaire, le thème des passions noires (la vengeance, la haine) et de leurs chocs sanglants, le thème des péripéties amoureuses (inconstance ou imbroglio), le thème du changement d’identité (goût pour le déguisement volontaire ou involontaire du moi,

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apparition du sosie) ; le thème de l’héroïsme moral, de la conflictualité, de l’inconstance, etc.

Les procédés dramatiques visent la création de l’illusion théâtrale : tromper et détromper à la fois (plaisir de l’illusion et sagesse de la désillusion) le théâtre dans le théâtre (pièce-cadre et pièce intérieure) ; le quiproquo, le décor ostentatoire qui donne l’impression de la démesure. 2.2 La poésie baroque

Représentants majeurs : • Agrippa d’Aubigné ; • Mathurin Régnier ; • François de Malherbe ; • Théophile de Viau.

D’autres poètes baroques : Guillaume Salustre (Salluste) du Bartas (1544-1590), émule de

Ronsard : La Semaine ou la création du monde (1579) – vaste poème didactique, description encyclopédique du monde créé ; Uranie (1573) – poème allégorique orienté vers furor poeticus ; Judith (1574) – épopée biblique ; Triomphe de la foi (1574) – poème glorifiant la foi calviniste ; son œuvre est traduite en polonais, allemand et espagnol.

Jean de Sponde (1557-1595), grand intellectuel humaniste, renommé comme helléniste ; œuvre majeure : L’idée de la religion. Ses sonnets sont profondément marqués par la sensibilité baroque.

Jean-Baptiste Chassignet (1571-1635) – connu pour son recueil de 444 sonnets : Le Mépris de la vie et Consolation de la mort (1594)

Jean de la Ceppède (1550-1623) ; son œuvre se compose de méditations-visions : Les Théorèmes sur le sacré mystère de notre rédemption (1613) et La Seconde partie des Théorèmes (1621).

Philippe Desportes (1546-1606) – poète raffiné de la cour d’Henri III ; son œuvre reflète le clivage baroque entre le versant mondain et le sentiment religieux profond ; Amours de Diane, Amours d’Hippolyte, Elégies, Mélanges, Prières et méditations chrétiennes (1591).

La tradition inféodée de la Renaissance, pétrarquiste, ronsardienne

ou italianisante est remplacée par un souffle nouveau. La poésie baroque s’abandonne aux fastes de l’imaginaire, aux ivresses sensuelles, pieuses ou morbides, à la sensibilité. L’esthétique baroque se retrouve dans le choix des

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images étonnantes, des métaphores filées, la prédilection pour les déguisements rhétoriques, pour les énigmes, pour les arabesques et les compositions en vagues ou en spirales. Sur le plan de l’expression, l’écriture baroque est fragmentaire. Les antithèses et les oxymores trouvent leur pendant dans l’agencement rationnel (parallélismes et symétries) et musical. La recherche de la forme appropriée qui rende la complexité du contenu se matérialise dans la pratique des sonnets rapportés et des poèmes-images (carmina figurata).

Les monarques, en nouveaux mécènes, dispensent les charges et les pensions et s’assujettissent par voie de conséquence, la plume des poètes. Il naît une poésie pleine de louanges, de vers d’apparat. À la noble tradition s’ajoute la flatterie intéressée. Chez Malherbe, par exemple, le prince est l’élu de Dieu, le héros investi d’une mission sacrée, le sauveur et le protecteur. La poésie officielle est marquée par cette idéalisation systématique pleine d’excès et d’emphase. C’est un instrument de propagande et de soutien (v. Malherbe, Prière pour le roi allant en Limousin ou Théophile de Viau, Ode au roi). La poésie baroque a un caractère métaphysique : la fleur symbolise la condition humaine, l’ombre d’un château reflété dans l’eau fait penser au jeu de la vérité et de l’illusion, au clair-obscur, le miroir d’une eau renvoie au faux-semblant, etc. Dans une première phase (1560-1600), la poésie baroque est marquée par l’engagement dans les combats religieux, par l’appel à la foi, par la mystique.

Régnier proteste contre Malherbe (dans Satire IX), contre son école et contre son « esprit de chapelle ». Il réclame pour le poète la liberté totale : aucune contrainte ne doit gêner l’essor du génie poétique. La poésie est vue comme un « don divin » destiné à révéler les secrets et les arcanes du savoir (v. Agrippa d’Aubigné, Vengeances dans le vol. Les Tragiques). L’humanisme érudit de la Renaissance entre en conflit avec la dévotion baroque. Les poètes optent souvent pour le merveilleux chrétien. A la fin du XVIIe siècle, l’idéal poétique se fonde sur l’économie des moyens et une répulsion pour les extrêmes, y compris l’extraversion, sur le goût prononcé pour l’investigation de l’intériorité, de l’intimité. La conception du langage poétique est étroitement liée à la vision théologique. Les poètes baroques recherchent la lingua paradisiaca qui exprime directement la nature des choses. La recherche de ce langage mène à deux phénomènes liés au baroque : le purisme (illustré par la poétique de Malherbe) et la créativité (illustrée par le courant précieux). Par conséquent, l’éventail thématique et expressif s’élargit.

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Thèmes et motifs baroques : le thème religieux : motif de l’élévation extatique et de la chute

charnelle, le vécu religieux du combat et du déchirement, l’inspiration baroque donne une poésie de la foi et de la damnation, on y trouve l’aspiration au Bien, mais, paradoxalement, avec volupté et angoisse, une solidarité avec le Mal. L’amour divin remplace l’amour néoplatonicien (chez d’Aubigné, dans Les Tragiques). Exemple : Malherbe, Les Larmes de Saint-Pierre.

le thème de la mort : l’horreur de la mort, le salut en Dieu ; prédilection pour le morbide (le macabre) pour faire penser à la divinité, à la transcendance ; le motif de la fragilité de la vie (fortuna labilis) ; l’idée que « la vie est un éclair » ; le motif du rêve (songe et mensonge). Exemples de vers funèbres : Pierre Motin, Méditation sur « Memento homo » (1600), Pierre Matthieu, Tablettes de la vie et de la mort (1613).

le thème des riens (de petites choses) : les bulles d’eau, les nuages, la fuite des pensées, la neige, le poisson, l’oiseau, les papillons, l’arc-en-ciel, l’ombre. L’originalité consiste à l’élaboration subtile du texte, malgré l’insignifiance du sujet. Exemple : Saint-Amant, Le fromage, Le Melon.

le thème de l’amour. L’inconstance amoureuse est le trait dominant. Il y a un vécu des sentiments violents (par la surenchère de la poésie antérieure) : l’amour produit le ravage viscéral, l’ébullition du sang, la blessure de certaines fibres du cerveau et un vécu des sentiments légers, conventionnels : poésie de l’absence, du dédain, d’une petite crise de jalousie. La manière recherchée et le travail de la forme poétique l’emportent de nouveau sur le contenu. La poésie amoureuse est en vogue à l’époque chez d’autres poètes baroques. Exemples : Jean de Lingendes (Vers de ballet, 1609), Abraham de Vermeil (Œuvres, 1600-1622), Laugier de Porchères (Œuvres, 1597-1622), Jean-François Sarasin (Œuvres posthumes, 1656), François Maynard (Œuvres complètes, 1632-1646), Jean de Sponde (Stances) ou Jean de Chassignet.

le thème de la nature : les éléments primordiaux (l’air, l’eau, le feu, la terre) sont mobiles ; la métamorphose de l’esprit et de la matière ; le goût pour la nature changeante qui témoigne du provisoire ; l’image de l’eau qui coule éveille la méditation sur l’écoulement du temps (le motif fugit irreparabile tempus) ; le décor baroque par excellence, c’est le bord de l’eau ou un coin retiré où le poète verse des larmes sur un amour enfui ou impossible. Exemple : Théophile de Viau, La Solitude.

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Figures de style et figures rhétoriques : la métaphore (filée ou déterminée), l’oxymore, la pointe (le jeu de mots et le mot d’esprit), l’allégorie, l’antithèse (procédé favori), la comparaison, l’hyperbole, la personnification, la métonymie, le symbole, le parallélisme, la périphrase, les accumulations répétitives.

Formes poétiques cultivées : l’élégie, l’épître, l’hymne, le sonnet, les stances, l’ode, la chanson, l’épigramme, l’épitaphe, le quatrain, le madrigal.

2.3. La prose baroque

Il serait impossible de faire un inventaire exhaustif des fictions de l’époque. On compte plus de 1200 titres. La prose baroque évolue dans l’espace polarisé d’un côté par la présence de la prose précieuse, de l’autre côté, par le pôle réaliste, parodique et comique.

Premier aspect : l’idéalisme des romans-fleuves Types de romans : le roman héroïque (qui répond au goût des aristocrates) dominé par la

vie aventureuse d’un héros picaro (personnage-caméléon, un homme-cire qui n’a pas d’identité claire, qui vit à la merci de la fortune) ;

Exemple: l’aventurier militaire Cyrus (Le Grand Cyrus, 1649-1653), Aronce (Clélie, 1654-1660), les héros de Mlle de Scudéry.

Le roman héroïque est soit un roman d’aventures (Carithée, Polexandre de Marin le Roy de Gomberville), soit un roman historique (Cassandre, Cléopâtre, Faramond de La Calprenède). Par exemple, Polexandre, roi des Canaries, parcourt mer et terres à la recherche d’Alcidiane, reine de l « l’île inaccessible ». L’aventure est liée à l’exotisme. Ce type de roman déborde d’aventures enchevêtrées, compliquées, forcément invraisemblables. La mode du roman historique et héroïque tient au goût de l’aventure et à l’héroïsme baroque de la période de Louis XIII. Entre 1625 et 1640 une quarantaine de romans d’aventures paraissent.

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le roman pastoral plein d’amour éthéré (L’Astrée, écrit par Honoré d’Urfé, 1607-1627)

Le roman est inachevé. Il sera terminé par le secrétaire d’Urfé,

Balthazar Baro et publié en entier entre 1623-1633. il compte plus de 5.000 pages, est composé de 5 parties, chacune comportant douze livres. L’action de L’Astrée se déroule dans un cadre champêtre, plein de fantaisie, ce qui permet au lecteur de s’évader de la réalité dure du moment. C’est un ensemble vaste et complexe : une quarantaine d’histoires peuplées de deux centaines de personnages sont insérées dans l’intrigue principale par la technique narrative du récit à tiroir et de l’épître. L’auteur a su créer un monde bucolique à la jonction de l’historique et du mythique en situant l’histoire dans le cadre « réel » du Forez du Ve siècle, embelli par les caractéristiques de rêve de l’âge d’or, de la recherche de temps perdu. L’aventure amoureuse sentimentale est dramatisée, les sentiments sont soumis à une fine analyse psychologique.

Deuxième aspect : le réalisme Type de roman : le roman comique dans le sens littéral du terme, c’est-à-dire roman qui met en scène des comédiens. Exemples : Charles Sorel, Histoire comique de Francion (1623) et Le berger

extravagant (1627). Le Berger est la parodie du roman pastoral. A travers les aventures pittoresques et amusantes de Francion, personnage du gentilhomme pauvre, Sorel décrit la société du temps de Louis XIII des défavorisées et des marginaux, en éclairant d’une lumière cure le prosaïque dans la vie humaine. Le tableau critique vise l’éducation, l’école, les tribunaux de justice, les salons, etc.

Scarron, Le Roman comique (1651-1657). C’est un chef-d’œuvre de veine réaliste et comique, de l’intrigue amoureuse et héroïque, typique du baroque. C’est le récit des aventures d’une troupe de comédiens, peut-être celle de Molière, dans la province de Mans. Les caractères des personnages, Ragotin, La Rancune, La Rappinière, Roquebrune, sont fort naturels. Le style est rapide et piquant. Le titre a été ressenti à l’époque comme un oxymore.

Furetière, Le Roman bourgeois (1666). L’auteur, un grammairien renommé, membre de l’Académie française d’où il est expulsé pour ses

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idées et son attitude contre le courant du temps, écrit un roman qui est une polémique avec le genre même (voir son titre, sa thématique réaliste, sa construction libre qui parodie les procédés conventionnels du genre). Les amours « réalistes » sont situés dans un milieu bourgeois qui prêche le mariage de raison.

Troisième aspect : le fabuleux (le fantastique)

Exemple : Savinien de Cyrano de Bergerac, Les États et Empires de la Lune, Les États et Empires du Soleil. C’est le récit à la première personne d’un voyageur débarqué sur la Lune, puis sur le Soleil. L’intrigue est fantaisiste, mais par la charge des idées énoncées, ces proses anticipent le roman philosophique des Lumières. L’auteur expose sa conception libertine du monde reposant sur le matérialisme. Il est un disciple de Gassendi et s’inspire des écrits utopiques de la Renaissance et du baroque (Thomas More, Tommasso Campanella). 3. Documents critiques à commenter Exercice : Lisez les textes qui suivent et commentez-les.

Excès et paroxysme

L’art baroque était violemment pathétique. Il suscitait chez son destinataire un seul « mouvement » de l’âme, mais paroxystique, ou bien des mouvements de moindre intensité, mais nombreux. Tout était bon, pourvu qu’il y ait excès d’émotions à la place de la calme contemplation requise par les œuvres classiques.

Les effets pathétiques n’étaient pas les seuls recherchés. Il y avait une autre catégorie, moins évidente peut-être, mais toute aussi importante. Les effets produits non pas sur la sensibilité, mais sur l’esprit : en lui donnant des trouvailles à déchiffrer, on l’obligeait à s’activer, à devenir « sublime » comme celui de l’artiste ; en le faisant se tromper, par des illusions, en le trompant ensuite, on lui apprenait le doute et le relativisme.

(D. Toma, Du baroque au classicisme)

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La recherche du Grand Œuvre

Le Baroque nous offre l’exemple rare d’une poétique fondée sur une rhétorique. Certes, il n’est pas de poésie qui n’implique une confiance, et même un abandon aux pouvoirs du langage, tacitement chargé d’exorciser les difficultés de l’être ; mais ce recours magique exploite ordinairement des ressources d’un autre ordre. L’exemple du poème de Ronsard cité plus haut montre assez bien par quel moyen le poète s’efforce de congédier la mort : celui d’une Alchimie au sens propre du terme, c’est-à-dire d’un accès en profondeur à l’unité matérielle du monde, qui permet ensuite toutes les transmutations, et par exemple celle qui reconstitue une fleur à partir de ses cendres. Cette alchimie, comme le fera plus tard celle de la poésie symboliste, mobilise les correspondances verticales du Verbe, directement apparenté au « cœur des choses ». Ce qui distingue, au contraire, la poésie baroque, c’est le crédit qu’elle fait aux rapports latéraux qui unissent, c’est-à-dire opposent, en figures parallèles, les mots aux mots et à travers eux les choses aux choses, la relation des mots aux choses ne s’établissant ou du moins n’agissant que par homologie, de figure à figure : le mot saphir ne répond pas à l’objet saphir, non plus que le mot rose à l’objet rose, mais l’opposition des mots restitue le contrastes des choses, et l’antithèse verbale suggère une synthèse matérielle.

On sait qu’au XVIIe siècle certains alchimistes prétendirent réaliser le Grand Œuvre dix fois plus vite que leurs prédécesseurs, grâce à une nouvelle technique qu’ils appelèrent la « voie courte », ou (par opposition à la « voie humide » traditionnelle) « voie sèche ». Toutes choses égales d’ailleurs, et si toute poésie est au sens large une recherche du Grand Œuvre, la voie baroque est une voie sèche : si elle poursuit à sa manière l’unité du monde, ce n’est pas à travers le continu de la substance, mais par les brusques réductions d’une heureuse mise en forme. Il y aurait là quelque chose comme une poétique structurale, assez étrangère au vitalisme traditionnellement attribué à la plastique baroque, et effectivement peu conforme aux tendances apparentes d’une sensibilité tournée vers le fugace et le fluide, mais qui répondrait assez bien à ce dessein latent de la pensée baroque : maîtriser un univers démesurément élargi, décentré, et à la lettre désorienté en recourant aux mirages d’une symétrie rassurante qui fait de l’inconnu le reflet inversé du connu (« Du nouveau encore un coup, mais qui soit exactement semblable à l’ancien ! »). La poétique baroque se garde bien de combler les distances ou d’atténuer les contrastes par la magie unifiante d’une tendresse : elle préfère les accuser pour mieux les réduire à

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la faveur d’une dialectique foudroyante. Devant elle, toute différence porte opposition, toute opposition fait symétrie, toute symétrie vaut identité. L’or tombe sous le fer : l’antithèse spécieuse dispose et prépare les choses en vue d’une réconciliation factice, l’oxymore ou l’alliance des mots. Comme le paradoxe, chez un Sponde ou un Donne, surmonte les discordances de l’âme en en faisant des “contraires” secrètement unis par une attirance réciproque, l’antithèse matérielle introduit dans l’espace un jeu de miroirs capables, à chaque opération, de le réduire de moitié et de l’organiser en “partie double”. Le monde ainsi biseauté devient à la fois vertigineux et maniable, puisque l’homme y trouve dans son vertige même un principe de cohérence. Diviser (partager) pour unir c’est la formule de l’ordre baroque. N’est-ce pas celle du langage même ?

(Gérard Genette, Figures I)

Réalisme et mysticisme

Ce réalisme se fera sentir […] dans le domaine moral et sentimental. La préciosité peut apparaître comme une réaction contre la rudesse des mœurs et la trop verte galanterie des compagnons du Vert Galant ; mais c’est aussi une résurgence : elle contient en elle, en le portant en son point de plus difficile réalisation, le maniérisme qui caractérise les poètes de l’amour alangui au siècle précédent. D’un côté un courant languissant, épris de pureté complexe, qui multiplie les volutes sentimentales, les masques pudiques, les secrets savamment trahis autour d’un amour qu’on s’interdit de réaliser comme d’abandonner ; un langage qui cultive les caresses périphrastiques autour des mots, qui enrobe de secrets plus qu’il ne désigne, dans son refus de toucher et de nommer directement les objets, qui joue sur le miroitement et les scintillements du concetto et de l’antithèse inattendue ; un des avatars du maniérisme de l’amour pur. De l’autre côté, et par réaction contre les tendances précieuses, le paradis des goinfres, des débauchés, des libertins, où la chair est maîtresse, qui est l’aboutissement d’un autre courant, celui de la frénésie charnelle et de la fureur virile, autre incarnation du baroque. Ainsi le baroque se divise et se contredit, il change non seulement de nom, mais de nature, ne gardant de son caractère originel que le goût de porter au paroxysme des tendances opposées. Préciosité et vulgarité, mysticisme et sensualité, on retrouve son empreinte partout, mais ce n’est que son empreinte. Il ne laisse en chaque lieu qu’une partie de ce qu’il est.

(C.G. Dubois, Le Baroque, profondeurs de l’apparence)

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La signification de l’eau dans la poésie baroque

L’eau est une matière privilégiée ; elle est mobile et plastique, propre aux métamorphoses ; elle est le lieu des reflets, des miroitements, des figures renversées. Eaux en mouvement d’abord : mouvement simple de l’écoulement perpétuel ou de la vague qui pousse la vague, « onde dessus onde » (d’Urfé) ; mouvement double et contradictoire de la poursuite et de la fuite en un être qui ne se meut qu’en différant de lui-même : « Ruisseau qui cours après toi-même, / Et qui te fuis toi-même aussi. » (Saint-Amant) […]

En second lieu, les eaux miroitantes. La sensibilité baroque semble ici à vif, tant elle s’y montre heureuse et inventrice. La conjonction des motifs de l’eau et du miroir est en effet singulièrement fécondante pour une imagination portée à vibrer au contact de la mobilité, du reflet, de l’illusion et du mélange ; or, ce double motif lui offre tout cela à la fois : un « miroir flottant », un « miroir qui coule » (Saint-Amant), dans lequel le monde se renverse en une confusion qui séduit pour être née de l’incertitude éprouvée devant deux images dont on ne sait laquelle est le reflet ; plaisir pris à douter, à se tromper sur des identités changeantes, qui se prolonge en un plaisir supérieur, celui de prendre la figure pour la réalité, l’apparence pour l’être, le théâtre pour la vie ; ivresse toute proche de celle qu’on demandait alors aux voûtes peintes de Pierre de Cortone et du Père Pozzo, aux décors en trompe-l’œil, aux Sosies, à la pièce insérée dans la pièce : le vertige de l’illusion, la réussite de la belle tromperie, ou des « douces impostures » […]

Du déguisement à l’illusion, du paraître au songe, on passe aisément et sans rupture. L’homme « baroque » construit en soi ou autour de soi un monde imaginaire, dans lequel il s’installe comme en un monde plus réel, non sans garder par-devers soi une certaine conscience de vivre un mirage ; je viens précisément de définir le théâtre, au sens que lui donne généralement le XVIIe siècle ; qu’on veuille bien se rappeler les nombreuses pièces qui mettent un théâtre sur le théâtre et une ou plusieurs pièces dans la pièce. C’est en ce sens également qu’il faut entendre le thème de « la vie est un songe », tel qu’il est conçu à l’époque. On suppose un monde pour convaincre d’irréalité le monde réel aussi bien que celui qu’on lui substitue. On édifie pour dire la fragilité de l’édifice. Illusion et rupture de l’illusion…

(J. Rousset, Introduction à l’Anthologie de la poésie baroque)

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4. Groupement de textes baroques

Agrippa d’Aubigné (1552-1630) Courte biographie2. Il est un zélé calviniste. Il avait à peine dix ans lorsque son père, après la Conjuration d’Amboise, l’amenant en présence des têtes des protestants exposées, lui dit : « Mon fils, il ne faut point épargner ta tête, après la mienne pour venger ces chefs pleins d’honneur ; si tu t’épargnes, tu auras ma malédiction. » D’Aubigné n’a été que trop fidèle au serment que lui a fait alors jurer son père. Resté orphelin, il demeure à la garde d’un parent qui le retient dans une sorte de captivité, et lui enlève la nuit les

vêtements pour l’empêcher de se jeter dans la guerre civile. Vaine précaution ! D’Aubigné s’échappe en chemise, rejoint une compagnie de huguenots et part en croupe derrière le capitaine. Il reçoit une éducation exceptionnelle. Il est instruit par ses précepteurs en latin, grec et hébreu. A treize ans, il prend part au siège d’Orléans. Il devient écuyer d’Henri de Navarre ; rude soldat mais mauvais courtisan, il se brouille et se réconcilie vingt fois avec ce prince. Il s’oppose de tout son pouvoir à l’abjuration d’Henri IV. Il devient vice-amiral des Côtes d’Anjou et de Saintonge, et fait tout ce qu’il peut pour protéger la Rochelle. Il se retire à Saint-Jean d’Angély, lorsqu’il apprend que le troisième livre de son Histoire est condamné au feu. Il meurt en exilé à Genève, le 9 mai 1630. Œuvres. D’Aubigné a écrit en prose et en vers. Comme prosateur il a laissé des Mémoires, une Histoire universelle (qui renferme la seconde moitié du XVIe siècle, œuvre de sectaire mais pleine de détails piquants), etc. Le Printemps (1570-1573) et L’Hécatombe à Diane (sonnets et stances, 1587), écrits dans la lignée de Ronsard, sont dictés par l’amour qui lui a inspiré en 1570 Diane Salviati, la nièce de Cassandre de Ronsard. Dans un poème du recueil Hécatombe à Diane, il invite Diane à faire des bagues avec ses yeux, des perles avec ses dents, des gants avec sa peau, un instrument à cordes avec ses nerfs, une pelote à épingles avec son cœur, un lit avec ses cheveux

2Pour toutes les biographies, nous avons consulté l’abbé Blanlœil, Histoire de la littérature française, Nantes, Lanoë-Mazeau Editeurs, sine anno.

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et ses os et « […] le reste mis en cendre / Lui serve d’ambre gris, de baume précieux. »3 La poésie pétrarquisante explose sous la charge des images violentes d’un sentiment amoureux désespéré.

Les Tragiques (1616), poème écrit en sept livres sont son chef-d’œuvre. Ce poème, inspiré par sa « haine partisane », donne l’impression injuste qu’il est écrit sans suite et qu’il manque d’unité et de plan. Un lecteur plus averti aura, certes, une appréciation positive. En regardant cette œuvre de près, on a moins l’impression de désordre baroque, mais le ravissement qui suscite une œuvre superbe. Elle contient 9.000 vers. Sa rédaction commence en 1577 et se prolonge pendant plusieurs décennies. Il tire son origine d’une vision eschatologique survenue à la suite d’une blessure qui plonge le poète dans un état proche de la mort. Le poète trace le tableau des guerres civiles, des persécutions religieuses, de la corruption de la cour et des magistrats : il exalte les protestants et maudit les catholiques. Les tragiques comportent 7 chants : 1. Misères – fresque de la France meurtrie par les guerres civiles ; 2. Princes – accusation des responsables à la cour de France (princes,

flatteurs, courtisans, poètes de cour, conseillers, étrangers) ; 3. La Chambre dorée – siège de l’Injustice, l’Avarice, l’Ambition, vision

du retour des choses et de l’instauration de la justice divine ; 4. Les Feux – bûchers sur lesquels périssent les protestants ; 5. Les Fers – la justice quitte la terre, Dieu invite Satan à révéler ses forces

et à rassembler ses armées, évocation de la Saint-Barthélemy, tortures subies par les protestants martyrs ;

6. Vengeances – apparition de Dieu vengeur ; 7. Jugement – évocation eschatologique du Jugement dernier.

L’œuvre de D’Aubigné, un mélange d’épopée et de satire où se

trouvent tous les tons, est empreinte d’une sombre imagination, d’une indignation ardente qui se traduit dans un style animé, plein de couleur, de force et de relief. Parfois, le style devient tendu, heurté, emphatique, bizarre. « Ce Juvénal du XVIe siècle, dit Saint-Beuve, âpre, austère, inexorable, hérissé d’hyperboles, étincelant de beautés, rachète une rudesse grossière par une sublime énergie ».

Misères (premier chant des Tragiques) Je n’écris plus pour les feux d’un amour inconnu1,

Mais, par l’affliction plus sage devenu, J’entreprends bien plus haut, car j’apprends à ma plume

3Apud D. Toma, Du baroque au classicisme, Bucarest, Babel, 1998, p. 42.

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Un autre feu, auquel la France se consume. Ces ruisselets d’argent, que les Grecs nous feignaient2 Où leurs poètes vains3 buvaient et se baignaient, Ne courent plus ici : mais les ondes si claires Qui eurent les saphirs et les perles contraires4

Sont rouges de nos morts ; le doux bruit de leurs flots, Leur murmure plaisant heurte contre les os. Telle5 est en écrivant ma non commune image : Autre fureur qu’amour reluit en mon visage ; […]

Notes : 1abandon de la poésie amoureuse ; 2feindre signifie imaginer, représenter par l’art ;3 qui s’occupent de sujets sans consistance ; 4les ondes (les eaux) rivalisent avec les saphirs et les perles au sujet de la pureté ; 5annonce les deux points à la fin du vers : « voici quelle image inattendue je vais donner à mes vers » (non plus le visage de l’amour, mais celui de la guerre). Repères pour l’étude du texte

Remarquez le passage de l’inspiration poétique à l’inspiration tragique. Etudiez la surabondance des métaphores, procédé spécifiquement baroque. Analysez l’enchevêtrement des renvois historiques et mythologiques.

Misères (Tragiques)

L’homme est en proie à l’homme, un loup à son pareil ; Le père étrangle au lit le fils et le cercueil Préparé par le fils, sollicite le père ; Le frère avant le temps hérite de son frère. On trouve des moyens, des crimes tous nouveaux, Des poisons inconnus ; ou les sanglants couteaux Travaillent au midi1, et le furieux vice Et le meurtre public ont le nom de justice. Les bélîtres2 armés ont le gouvernement3, Le sac de nos cités : comme anciennement Une croix bourguignonne épouvantait nos pères, Le blanc les fait trembler, et les tremblantes mères Croulent4 à l’estomac leurs poupons éperdus Quand les grondants tambours sont battants entendus. Les places de repos sont places étrangères, Les villes du milieu sont villes frontières ; Le village se garde et nos propres maisons Nous sont le plus souvent garnisons et prisons. L’honorable bourgeois, l’exemple de sa ville

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Souffre devant ses yeux violer femme et fille Et tomber sans merci dans l’insolente main Qui s’entendait naguère à mendier du pain. Le sage justicier est traîné au supplice Le malfaiteur lui fait son procès ; l’injustice Est principe de droit ; comme au monde à l’envers Le viel5 père est fouetté de son enfant pervers.

Notes : 1 en plein jour ; 2 coquins ; 3 le sac ; 4 secouent, remuent ; 5 vieux. Repères pour l’étude du texte

Analysez les champs lexicaux du texte et dégagez-en le thème dominant. Les vers 7 et 8 présentent une situation paradoxale. Etayez-la. Repérez le vocabulaire de la guerre.

Jugement (dernier chant des Tragiques)

Mais quoi ! c’est trop chanté, il faut tourner les yeux Eblouis de rayons, dans le chemin des cieux. C’est fait, Dieux vient régner ; de toute prophétie Se voit la période1 à ce point2 accomplie. La terre ouvre son sein, du ventre des tombeaux Naissent des enterrés les visages nouveaux : Du pré, du bois, du champ, presque de toutes places Sortent les corps nouveaux et les nouvelles faces. Ici, les fondements des châteaux rehaussés Par les ressuscitants promptement sont percés ; Ici un arbre sent des bras de sa racine Grouiller un chef3 vivant, sortir une poitrine ; Là, l’eau trouble bouillonne, et puis s’éparpillant Sent en soi des cheveux et un chef s’éveillant. Comme un nageur venant du profond de son plonge, Tous sortent de la mort comme l’on sort d’un songe. Les corps par les tyrans autrefois déchirés Se sont en un moment en leurs corps asserrés4, Bien qu’un bras ait vogué par la mer écumeuse De l’Afrique brûlée en Thulé froiduleuse5. Les cendres des brûlés volent de toutes parts ; Les brins6 plus tôt unis qu’ils ne furent épars, Viennent à leur poteau, en cette heureuse place, Riant au ciel riant, d’une agréable audace.

Notes : 1 l’espace de temps ; 2 le moment ; 3 tête ; 4 assemblés ; 5 nom d’une île au nord de l’Europe (glacée) ; 6 éléments.

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Repères pour l’étude du texte

Repérez le vocabulaire de la résurrection et les renvois à l’Apocalypse. Analysez les figures de style et la signification symbolique des images

poétiques évoquées. Montrez quels éléments du texte appartiennent à l’esthétique baroque.

Mathurin Régnier (1573-1613)

Courte biographie. Il est neveu de Desportes. Il naît à Chartres où son père tient un jeu de pomme fort connu sous le nom de « Tripot Régnier ». Espérant qu’il pourrait un jour recueillir quelques-uns des riches bénéfices de son oncle, ses parents le font tonsurer dès l’âge de onze ans. Il demeure d’ailleurs simple clerc et n’entre point dans les ordres majeurs. Le cardinal de Joyeuse l’amène à l’âge de vingt ans à Rome. Il en revient après dix ans sans avoir beaucoup avancé sa fortune. Après un

second voyage à Rome, il obtient une pension de deux mille livres sur l’abbaye de Vaux-de-Cernay. Trois ans plus tard, il est pourvu d’un canonicat dans la cathédrale de Chartres. Dès lors, il peut se livrer à ses goûts pour la poésie. Ses débauches ruinent sa santé. Le repentir entre dans son âme et il se met à composer des poésies religieuses. Il meurt à 40 ans, à la suite d’une orgie – grand banquet. Œuvres : Satires (seize satires, la dix-septième, publiée posthumément, 1608-1613). Il y attaque, à la tour, les mauvais poètes, les ambitieux, les courtisans, les parasites, les hypocrites peints sous les traits de Macette. Il a laissé aussi des Épîtres, souvent licencieuses, des Épigrammes, des Sonnets, des Poésies spirituelles que les contemporains ont jugé peu sincères. Régnier est un poète satirique formé sur le modèle des Anciens (Boileau). C’est un moraliste, observateur sagace et spirituel. Il trace un caractère avec beaucoup de vérité et de verve (v. le célèbre Portrait du pédant). Son grand mérite est d’avoir naturalisé la satire régulière, telle que la traitera plus tard Boileau. Fin, spirituel, enjoué, cet aimable épicurien attaque moins les vices que les défauts. Les contemporains l’appelaient « le bon Régnier ». Il laisse à son génie sa libre allure et sème à pleines mains le sel gaulois. Son style est plein de verve, de couleur, de relief. Il est dégagé, vif, piquant. Ses mots font image, et une foule de ses expressions sont devenues proverbiales. On

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lui reproche certaine négligence l’irrégularité. Il est souvent diffus et obscur, voire grossier.

Satire XI – Devant moi justement on plante un grand potage

En forme d’échiquier les plats rangés sur table N’avaient ni le maintien ni la grâce accostable Et bien que nos dîneurs mangeassent en sergents, La viande pourtant ne priait point les gens1. Mon docteur de menestre2, en sa mine altérée, Avait deux fois autant de mains que Briarée3, Et n’était, quel qu’il fût, morceau dedans le plat Qui des yeux et des mains n’eût un échec et mat. D’où j’appris, en la cuite aussi bien qu’en la crue, Que l’âme se laissait piper4 comme une grue. Et qu’aux plats comme au lit avec lubricité Le péché de la chair tentait l’humanité. Devant moi justement on plante un grand potage, D’où les mouches à jeun se sauvaient à la nage ; Le brouet5 était maigre, et n’est Nostradamus6

Qui l’astrolabe7 en main ne demeurât camus8, Si par galanterie ou par sottise expresse Il y pensait trouver une étoile de graisse. Pour moi, si j’eusse été sur la mer du Levant, Où le vieux Louchali fendit si bien le vent, Quand Saint Marc s’habilla des enseignes de Thrace9, Je l’accomparerais10 au golfe de Patras, Pour ce qu’on y voyait en mille et mille parts Les mouches qui flottaient en guise de soldats, Qui, morts, semblaient encor dans les ondes salées Embrasser les charbons des galères brûlées.

Notes : 1les convives avaient un solide appétit, et pourtant ils ne voulaient pas commencer à manger la viande sans se faire prier ; 2soupe ; 3géant qui possédait cent bras ; 4tromper ; 5 le bouillon ; 6 il n’est pas jusqu’à Nostradamus; 7instrument servant à déterminer la hauteur des astres au-dessus de l’horizon ; 8embarrassé, interdit ; 9allusion à la bataille navale de Lépante (1571) qui opposa chrétiens et Turcs dans le golfe de Patras ;10je comparerais le brouet.

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Repères pour l’étude du texte Relevez les fautes enregistrées dans l’organisation de ce souper ridicule et manquant. Identifiez les procédés de l’exagération volontaire et leurs effets dans la réception littéraire. Justifiez l’importance des références historiques, mythologiques et religieuses.

François de Malherbe (1555-1628)

Courte biographie. Il naît à Caen, d’une famille noble. Son père le fait étudier dans cette ville, puis à Paris, à Bâle et à Heidelber. A la fin de ses études, il suit en Provence, en qualité de secrétaire, le Grand Prieur de France, Henri d’Angoulême. Il y demeure dix ans et s’y marie. Il gagne les bonnes grâces d’Henri IV. Il obtient une pension et est nommé gentilhomme ordinaire de la Chambre. Pendant près de vingt-cinq ans, Malherbe est poète officiel de la cour. Il entreprend d’épurer la langue, de la « dégasconner ». On appelait ce

vieux pédagogue de la cour, ce grammairien en lunettes et en cheveux gris le « regratteur de mots, tyran de syllabes ». Il a défendu jusque dans ses derniers moments « la pureté de la langue française ». Œuvres. Les Larmes de Saint Pierre (1587) ; Consolation à M. du Périer (1598-1599) ; Ode à Marie de Médicis (1600) ; Prière pour le roi allant au Limousin (1605) ; Ode à la reine sur les heureux succès de sa régence (1611) ; Sur la mort du fils de l’auteur (1627-1628) ; Chanson (1627). C’est un réformateur de la poésie. Il rejette les mots grecs et latins, espagnols et italiens, les patois surtout. Le peuple était pour lui le vrai maître de la langue. Il proscrivit l’hiatus, l’enjambement, les inversions forcées, les élisions. Il marqua à l’hémistiche une place fixe au milieu de l’alexandrin. Il bannit toute expression impropre ou vague et arriva à donner à ses vers une netteté, une précision et une harmonie particulières. Comme poète, il a plus de goût que de l’inspiration, il était plus judicieux que fécond. Il composait avec une lenteur extrême. Il a créé une langue poétique noble, soutenue, harmonieuse, élégante, précise. Il est le mois baroque de tous les baroques. Certains critiques le considèrent comme un vrai classique.

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Sur la mort du fils de l’auteur (Sur la mort du fils de l’auteur, 1627) Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle, Ce fils qui fut si brave et que j’aimai si fort, Je me l’impute point à l’injure du sort1 Puisque finir à l’homme est chose naturelle. Mais que de deux marauds2 la surprise infidèle3

Ait terminé ses jours d’une tragique mort, En cela ma douleur n’a point de réconfort, Et tous mes sentiments sont d’accord avec elle. O mon Dieu, mon Sauveur, puisque par la raison Le trouble de mon âme étant sans guérison, Le vœu de la vengeance est un vœu légitime. Fais que de ton appui je sois fortifié : Ta justice t’en prie, et les auteurs du crime Sont fils de ces bourreaux qui l’ont crucifié.

Notes : 1 à un sort injuste ; 2 êtres méprisables ; 3 attaque à l’improviste, déloyale. Repères pour l’étude du texte

Observez comment se construit la rhétorique de la douleur. Étudiez la versification (les rimes, le rythme) et le ton de ce sonnet. Relevez les termes qui composent le champ lexical de la mort et celui du

vécu religieux et analysez leur complémentarité.

Sa lumière pâlit, sa couronne se cache (Les Larmes de Saint-Pierre, 1587)

En ces propos1 mourants ses complaintes se meurent, Mais vivantes sans fin ses angoisses demeurent, Pour le faire en langueur à jamais consumer : Tandis que la nuit s’en va, ses chandelles s’éteignent Et déjà devant lui les campagnes se peignent Du safran2 que le jour apporte de la mer. L’Aurore d’une main en sortant de ses portes, Tient un vase de fleurs languissantes et mortes : Elle verse de l’autre une cruche de pleurs, Et d’un voile tissu de vapeurs et d’orages Couvrant ses cheveux d’or, découvre en son visage Tout ce qu’une âme sent de cruelles douleurs.

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Le soleil qui dédaigne une telle carrière3, Puisqu’il faut qu’il déloge, éloigne sa barrière, Mais comme un criminel qui chemine au trépas, Montrant que dans le cœur ce voyage le fâche, Il marche lentement, et désire qu’on sache Que si ce n’était pas force il ne le ferait pas. Ses yeux par un dépit en ce monde regardent : Ses chevaux tantôt vont, et tantôt se retardent, Eux-mêmes ignorants de la course qu’il font, Sa lumière pâlit, sa couronne se cache, Aussi n’en veut-il pas, cependant qu’on attache À celui qui l’a fait, des épines au front.4

Au point accoutumé les oiseaux qui sommeillent, Apprêtés à chanter, dans les bois se réveillent : Mais voyant ce matin des autres différent, Remplis d’étonnement5 ils ne daignent paraître, Et font à qui les voit ouvertement connaître, De leur peine secrète un regret apparent. Le jour est déjà grand, et la honte plus claire De l’Apôtre ennuyé6, l’avertit de se taire, Sa parole se lasse, et le quitte au besoin : Il voit de tous côtés qu’il n’est vu de personne, Toutefois le remords que son âme lui donne, Témoigne assez le mal qui n’a point de témoin. Aussi l’homme qui porte une âme belle et haute, Quand seul en une part il a fait une faute, S’il n’a de jugement son esprit dépourvu : Il rougit de lui-même, et combien qu’il ne sente Rien que le Ciel présent et la terre présente, Pense qu’en se voyant tout le monde l’a vu.

Notes : 1Saint Pierre vient de s’adresser à Jésus ; 2couleur jaune ; 3chemin ; 4allusion au supplice du Christ ; 5de stupeur ; 6plongé dans un chagrin, dans un tourment intense. Repères pour l’étude du texte

Analysez les tropes qui construisent les images de cette poésie religieuse. Commentez l’expression de la douleur et du remords de Saint Pierre et de la

nature et les analogies qui en découlent. Le poème finit par une constatation générale. Étayez-la.

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Théophile de Viau (1590-1626) Courte biographie. Il vient à Paris à vingt ans, et grâce à sa belle humeur et à son facile talent, il obtient les plus grands succès, surtout parmi les jeunes seigneurs. Sa seule tragédie, dans le genre sentimental, a beaucoup de vogue. Il mène une vie dévergondée, il écrit des poésies obscènes et impies, parues dans le recueil Le Parnasse satirique. Il est condamné à être brûlé vif. Après deux ans de détention, un arrêt du Parlement commue la peine de mort en celle d’exil à perpétuité. Il meurt l’année suivante, à l’âge de trente-six ans.

Œuvres. Pyrame et Thisbé (tragédie, 1621, 1626) ; Œuvres poétiques (1621-1624) dont Maison de Sylvie (odes). Ce jeune poète n’est pas de l’école classique. Il dédaigne l’imitation, et vise avant tout à être original. Son vers est facile, d’une allure libre et dégagée qui tourne parfois en prolixité, diffusion et manque de correction. Le sentiment de la nature est très original chez lui, peu commun à cette époque.

La Solitude (Œuvres poétiques, 1621)

… Approche, ma Driade, Ici murmureront les eaux, Ici les amoureux oiseaux Chanteront une sérénade. Presse moi ton sein pour y boire Des odeurs qui m’embasmeront Ainsi mes sens se pâmeront Dans les lacs1 de tes bras d’ivoire. Je baignerai mes mains folâtres Dans les ondes de tes cheveux Et ta beauté prendra les vœux2

De mes œillades idolâtres. Ne crains rien, Cupidon nous garde, Mon petit ange, n’es-tu pas mien? Ha! Je vois que tu m’aimes bien, Tu rougis quand je te regarde.

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Dieu que cette façon timide Est puissante sur mes esprits! Regnault ne fut pas mieux esprits Par les charmes de son Armide. Ma Corine que je t’embrasse Personne ne nous voit qu’Amour ; Voit que même les yeux du jour Ne trouve point ici de place. Les vents qui ne se peuvent taire, Ne peuvent écouter aussi, Et ce que nous ferons ici Leur est un inconnu mystère.

Notes : 1 piège, nœud ; 2 offrandes. Repères pour l’étude du texte

Relevez les métaphores aquatiques du texte et refaites les analogies entre l’eau, surface inconstante et miroitante, et la femme aimée.

Composez le décor de la mise en scène baroque : place de la nature, des saisons, des personnages, représentations plastiques des sentiments.

Expliquez le recours aux références mythologiques présentes dans la poésie.

Le Soleil est devenu noir (Ode, 1621)

Un corbeau devant moi croasse, Une ombre offusque1 mes regards ; Deux belettes et deux renards Traversent l’endroit où je passe ; Les pieds faillent2 à mon cheval, Mon laquais tombe du haut mal3 ; J’entends craqueter le tonnerre ; Un esprit se présente à moi ; J’ois Charon4 qui m’appelle à soi, Je vois le centre de la terre. Ce ruisseau remonte en sa source ; Un bœuf gravit sur un clocher ; Le sang coule de ce rocher ; Un aspic5 s’accouple d’une ourse ; Sur le haut d’une vieille tour Un serpent déchire un vautour ; Le feu brûle dedans la glace ;

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Le soleil est devenu noir ; Je vois la lune qui va choir ; Cet arbre est sorti de sa place.

Notes : 1arrête ; 2manquent ; 3l’épilepsie, considérée autrefois comme maladie diabolique ; 4j’entends le passeur qui conduit les âmes aux enfers ; 5serpent venimeux. Repères pour l’étude du texte

Identifiez les images macabres qui traversent cette poésie d’inspiration fantastique

Faites l’inventaire du bestiaire présent dans cette ode. Quelle conclusion pouvez-vous en dégagez ?

Etudiez la versification et les figures de style.

J’ai fait ce que j’ai pu (Œuvres poétiques, 1621)

J’ai fait ce que j’ai pu pour m’arracher de l’âme L’importune fureur1 de ma naissante flamme, J’ai lu toute la nuit, j’ai joué tout le jour, J’ai fait ce que j’ai pu pour me guérir d’Amour. J’ai lu deux ou trois fois tous les secrets d’Ovide2, Et d’un cruel dessein à mes amours perfide, Goûtant tous les plaisirs que peut donner Paris, J’ai tâché d’étouffer l’amitié de Cloris. J’ai vu cent fois le bal, cent fois la comédie3, J’ai des luths les plus doux goûté la mélodie Mais malgré ma raison encore, Dieu merci, Ces divertissements ne m’ont point réussi : L’image de Cloris tous mes desseins dissipe, Et si peu qu’autre part mon âme s’émancipe4, Un sacré souvenir de ses beaux yeux absents À leur premier objet fait revenir mes sens. Lorsque plus un désir de liberté me presse, Amour, ce confident rusé de ma maîtresse, Lui qui n’a point de foi, me fait ressouvenir Que j’ai donné la mienne et qu’il la faut tenir. Il me fait un serment qu’il a mis mon idée5

Dans le cœur de ma dame et qu’elle l’a gardée, Me fait imaginer, mais bien douteusement, Qu’elle aura soupiré de mon éloignement, Et que bientôt, si l’art peut suivre la nature, Sa beauté me doit faire un don de sa peinture. Cela me perce l’âme avec un trait si cher Qu’il me fait recevoir le feu sans me fâcher,

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Cela remet mon cœur sur ses premières traces, Me fait recevoir Cloris avecque tant de grâce, Me r’engage si bien que je me sens heureux, Quoiqu’avec tant de mal, d’être encore amoureux. Je sais bien qu’elle m’aime, et cet amour fidèle Demande avec raison que je dépende d’elle. Et si notre destin par de si fermes lois Prescrit aux plus heureux de mourir une fois, Qu’un autre, ambitieux, se consume à la guerre, Et meurt dans le soin de conquérir la terre, Pour moi, quand il faudra prendre congé du jour, Puisque Cloris le veut je veux mourir d’amour.

Notes : 1folie, emportement de la passion ; 2auteur d’un Art d’aimer ; 3les spectacles de théâtre ; 4s’affranchisse ; 5image. Repères pour l’étude du texte

Analysez les marques du discours amoureux présentes dans ce poème. Justifient-elles l’appellation donnée au poète par les critiques contemporains, celle de « romantique Louis XIII » ?

L’examen attentif des sentiments éprouvés, raffinés à l’italienne montre la continuation de la tradition pétrarquiste. En quoi consiste pourtant la nouveauté apportée par de Viau ?

Caractérisez cette élégie (thèmes, rythmes, construction, ton).

Vers le classicisme (1630-1660)

Préciosité - définition et caractéristiques du courant ; Préciosité littéraire ; Le burlesque romanesque ; Document critique à commenter ; Groupement de textes précieux.

Entre 1630 et 1660, la littérature française connaît une période de

transition d’un courant, « outrancier », le baroque à un courant opposé, cérébral, le classicisme. Les courants intermédiaires qui prolongent l’âge baroque sont : la préciosité et le burlesque.

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1. Préciosité

1.1. Définition et caractéristiques du courant

La préciosité s’affirme d’abord au début du siècle dans les mœurs. Elle passe ensuite dans la littérature, à partir de 1650. On applique à Paris le terme de « précieuse » pour désigner une femme de la bonne société qui veut imprimer aux mœurs une distinction éloignée du commun. La préciosité définit un ensemble d’attitudes morales et de formes d’expressions à la mode dans les élites parisiennes au lendemain de la Fronde. Le courant est une manifestation du pôle aristocratique de la culture française qui s’était déjà incarné dans l’idéal du parfait chevalier et de la Dame « sans merci » à l’époque de la culture courtoise, dans celui du parfait courtisan et de la femme divinisée à l’époque de la Renaissance, qui se poursuivra avec l’image du libertin au XVIIIe siècle et du dandy du XIXe siècle. La préciosité est le laboratoire de l’honnête homme et de la précieuse – homme et femme cultivés, raffinés, sociables. La particularité de ce modèle social découle d’un aspect de la culture baroque, à savoir la soif du monde idyllique, paradisiaque, de l’état d’idéal d’avant la création, qui se traduit par la délimitation d’un espace soustrait à la violence de l’époque, une sorte d’Arcadie. Les actes d’héroïsme et de prouesse n’y manquent pas, mais leur but est l’amour, la conquête de la femme aimée, la reconnaissance du mérite personnel.

Henri IV encourage les réunions dans les salons de l’aristocratie. Le phénomène de la préciosité est européen : en Angleterre il prend la forme d’euphuïsme ; en Italie, c’est le marinisme ; en Espagne, c’est le gongorisme, le cultisme ou le concettisme.

C’est un courant qui naît dans les salons mondains et littéraires. Le premier se trouvait tout près du Louvre, à l’Hôtel de Mlle de Rambouillet, très en vogue entre 1620 et 1648. Il est animé par Catherine de Vivonne devenue Mme d’Angennes. Dans la fameuse Chambre bleue, on raffolait de poésie et de romanesque. Le salon de Mlle de Scudéry (célèbre célibataire qui donne un bel exemple d’indépendance féminine), ouvert tous les samedis (de 1653 à 1661), était moins brillant, mais plus bourgeois d’esprit et plus intellectuel. Ici, on pratiquait des exercices de style plus savants, par le biais de la conversation et de l’écriture volontiers collective. La société galante précieuse est élitiste, promotrice de nouveau modes vestimentaires, comportementales, langagières. D’autres salons célèbres ont été : le salon de Ninon de Lenclos où se réunissaient les libertins, le salon

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de Françoise d’Aubigné, l’épouse de l’écrivain Scarron et future maîtresse de Louis XIV (Mme de Maintenon).

Les jeux de société qui pouvaient se dérouler en ville ou à la campagne occupaient une place privilégiée : le jeu du portrait (consistait à faire deviner l’identité d’un familier du salon) ou le jeu du corbillon (consistait à répondre à la question « Que met-on dans mon corbillon? » en nommant par un mot terminé par -on les traits, un défaut ou une qualité d’une personne à reconnaître). Les débats psychologiques étaient dans le vent : « La beauté est-elle nécessaire pour faire naître l’amour ? » ; « Le mariage est-il compatible avec l’amour ? », ainsi que les problèmes de casuistique amoureuse, basée sur le mérite et l’estime : « Quel est l’effet de l’absence en amour ? ». Dans Les Femmes savantes de Molière on retrouve les échos de ce féminisme avant la lettre.

La préciosité a deux dimensions importantes : la mondanité et la spécificité féminine. Elle hérite de l’amour courtois idéalisé appelé maintenant galanterie. Les traits communs avec l’honnêteté, qui représente l’idéal humain du siècle, seraient la recherche de la politesse excessive et le culte des bienséances et du décorum. Pour plaire aux femmes, le poète précieux doit répondre à leur délicatesse extrême, à leur goût pour la subtilité pédagogique. Un précieux doit parler comme Vaugelas (auteur des Remarques sur la langue française, 1647), écrire comme Guez de Balzac (auteur des Lettres, 1624) et vivre comme Faret (auteur de L’Honnête homme ou L’Art de plaire à la cour, 1630).

La grande affaire des cercles précieux était la relation amoureuse. L’amour précieux est obligatoirement platonique, purement spirituel, loin de l’instinct naturel, vulgaire et grossier. Il a ses règles et ses codes d’honneur tout à fait particuliers.

1.2. La poésie précieuse

Représentants : Saint-Amant ; Vincent Voiture ; Tristan L’Hermite ;

Dans le domaine du roman précieux, la femme écrivain la plus connue est Madeleine de Scudéry.

Le langage précieux Deux tendances se manifestent : le purisme et la créativité.

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Les précieux créent des mots et des locutions nouveaux, distingués (s’encanailler, incontestable, soupireur, donner le bal, accuser juste, féliciter, bravoure, enthousiasmer, incontestable, anonyme). Ils excluent les mots vulgaires et malsonnants, bas ou populaires (crottes, êtres en couches, rhume, vomir, cadavre, charogne, excrément, chemise, balai), techniques, archaïques et pédants. Ils préfèrent les termes superlatifs et hyperboliques (furieusement, terrible, horrible, ravissant, effroyablement). Leur style se caractérise par la préférence pour les substantifs abstraits et les descriptions détaillées, entortillées (dent = ameublement de la bouche ; lune = flambeau de la nuit ; musique = paradis des oreilles ; yeux = miroirs de l’âme ; pieds = chers souffrants ; miroir = conseiller des grâces ; fauteuil = commodités de la conversation), pour des métaphores recherchées (peigne = dédale; paravent = traître ; épingles = sangsues ; cheveux d’un blond hardi ; le masque de la générosité ; intelligence épaisse ; travestir sa pensée ; démêler le confus ; le haut du jour ; l’obscur de vallons, etc.)

Les genres précieux

Outre les formes poétiques déjà pratiquées par leurs prédécesseurs

(les stances, le sonnet, etc.), les précieux cultivent aussi le blason, le bout-rimé, l’énigme en vers, l’épigramme, l’impromptu, la lettre galante (genre favori), le madrigal, la métamorphose, le portrait, la stance, les rondeaux, la glose, la chanson-écho, la devinette, la maxime.

D’autres poètes précieux moins connus sont : Claude de Malleville, Charles de Montausier, Sarrazin, Ménage, Godeau, Billaut, Chapelle Gombaud, Isaac de Benserade, Somaise, L’Abbé Cotin. On reproche à l’écriture précieuse l’excès d’artifice et de raffinement dans le langage. Les précieux souffrent d’un certain pédantisme dans leur prétention de peindre le naturel. Le grand adversaire des précieux est l’Abbé de Pure dans son roman sarcastique La Précieuse. 2. Le burlesque romanesque

Le burlesque joue sur la hiérarchie des « styles » – haut, moyen et

bas. Il exploite d’une manière bouffonne les contradictions de l’être. Il s’agit d’une écriture en palimpseste(s), du traitement parodique d’un modèle consacré, dans le registre comique. Le sujet noble, sublime est tourné en dérision.

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Le modèle du genre est dû à Scarron : Recueil de quelques vers burlesques (1643), Le Typhon (1644) et Virgile travesti (poème, 1648-1653) et à D’Assoucy (qui s’est donné lui-même le titre L’Empereur du burlesque): Ovide en belle humeur (1650). Les romans parodiques de Paul Scarron et de Cyrano de Bergerac répondent au goût des bourgeois de l’époque. Ce genre conquiert une vogue immense et immédiate : il présente une histoire pleine d’aventures rocambolesques, mais sans action principale ni unité.

Histoire comique des États et Empires de la Lune est une œuvre originale. Ce « voyage imaginaire », inspiré de L’Utopie de Thomas More et de La Cité du Soleil de Campanella, transporte notre auteur, Cyrano, à la faveur d’une machine de son invention (des fioles remplies de rosée, attachées autour du corps et que la chaleur du soleil parvient à soulever), dans un monde qui ne peut s’apparenter qu'à celui de la Lune. Dans ce livre d’aventures, où se mêlent la philosophie et la satire, la poésie et la polémique, les scènes cocasses et piquantes (par exemple, celle des alouettes tombant toutes rôties grâce au «feu» d’une arquebuse spéciale), succèdent aux discussions sur l’origine du monde, l’immortalité de l’âme et l’éternelle folie de l’homme. Dans un second ouvrage, inachevé, Histoire comique des États et Empires du Soleil (1662), Cyrano gagne le Soleil, où les oiseaux vivent heureux grâce à leur parfaite organisation politique.

Visionnaire aux œuvres singulières, modernes, pleines d’aperçus de génie, de bizarreries et de pensées originales, il inspire les plus grands écrivains : Molière dans Les Fourberies de Scapin, Voltaire dans Micromégas, Swift dans Les Voyages de Gulliver, Fontenelle dans De la pluralité des mondes, et, au XIXe siècle, J. Rostand dans Cyrano de Bergerac.

3. Document critique à commenter Exercice : Lisez le texte qui suit et commentez-les.

La Préciosité, une aristocratie de l’esprit

Elle [la préciosité] met en jeu les plus grand noms, parmi les écrivains du règne d’Henri IV et de Louis XIII : il a fallu invoquer à son sujet Honoré d’Urfé, Guez de Balzac, Corneille et Voiture. Nulle part on n’a vu qu’elle ait dénaturé leur héritage, même si elle ne l’a pas recueilli tout entier. Après elle, elle a laissé des traces profondes chez Molière, quelques

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critiques qu’il en ait faites, La Fontaine et Racine. Elle nourrit les réflexions du chevalier de Méré, les remarques grammaticales de P. Bouhours, elle pénètre l’atmosphère romanesque et la psychologie amoureuse de la Princesse de Clèves et elle marque son empreinte sur les Maximes de La Rochefoucauld. Elle a inspiré toute une littérature psychologique et morale, surtout abondante dans la poésie et dans le roman, mais représentée aussi à l’occasion par la tragédie, dont les classiques se sont imprégnés ; elle n’est même pas étrangère à la naissance et au succès d’un genre nouveau comme l’opéra. Elle montre, en somme, par la quantité de ses implications et de ses résurgences, comme par celle de ses origines, sa propre richesse intérieure. Située au centre du siècle, elle en reflète de nombreux aspects, soit qu’elle résume ceux qui la précèdent, soit qu’elle prépare et annonce ceux qui relèveront d’elle.

En dépit des sacrifices qu’elle consent, de temps à autre, aux grâces de la légèreté et de l’amusement conduites par Voiture et quelques-uns de ses émules, Sarrasin notamment, elle a une prédilection toute particulière pour les occupations sérieuses. Elle a une haute idée d’elle même et des tâches qu’elle a à accomplir. Qu’il s’agisse de littérature, de poésie, de morale, d’instruction féminine, de mariage ou de questions de langue, elle aborde tous les sujets avec confiance, et même avec audace. Elle veut pousser plus avant la connaissance de l’homme intérieur ; elle désire explorer les zones inconnues de l’âme et apporter des nuances nouvelles, d’une délicatesse encore insoupçonnée, dans l’analyse des sentiments. Et conçoit la vie et l’amour, et l’anatomie des cœurs, comme un moyen de culture en soi. Aussi, quelle que soi l’importance qu’elle accorde aux belles passions, ne cesse-t-elle de donner la première place à l’intelligence et à la raison. Elle aime distinguer, opposer, disséquer, par un effort cérébral et lucide. Ainsi, elle se crée une image de l’homme toute de noblesse et de grandeur. Loin de tout ce qui est vulgaire, bas, terre à terre, ou tout simplement commun et bourgeois, elle est en quête de perfection, d’élégance, de finesse et de pureté. Alors elle peut satisfaire son penchant pour les examens, les comparaisons, les définitions. Ce faisant, elle espère atteindre à la nature profonde des choses, à leur essence, par une abstraction progressive, tout en établissant des hiérarchies ingénieuses, comme par exemple entre les diverses sortes d’amour, d’estime ou de reconnaissance.

(Roger Lathuillère, La Préciosité, étude historique et linguistique)

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Exercice de rédaction : Construisez une thèse argumentée pour illustrer la formule Aimer, c’est mourir en soi pour revivre en autrui (Honoré d’Urfé, L’Astrée). Rappel

La préciosité est un savoir-vivre mondain défini par :

la délicatesse des mœurs ; un idéal esthétique de distinction à tout prix ; le raffinement des relations amoureuses spiritualisées ; les revendications sur la place des femmes (refus de la dépendance

conjugale, accès des filles à la culture, le mariage comme alliance librement consentie et assurant l’égalité des partenaires) ;

un souci du langage châtié.

4. Groupement de textes précieux

Saint-Amant (1594-1661) Courte biographie. Il est fils d’un marin, il fait de nombreux voyages et mène joyeuse vie. Il est reçu à l’Académie et a des entrées libres à l’Hôtel de Rambouillet. Il parle italien et espagnol, il a une profonde connaissance de la culture classique. Ce fut un être truculent, haut en couleur, grand amateur de l’aventure, des honneurs, des plaisirs. Il naît protestant, se convertit au catholicisme, mène une vie influencée par l’athéisme et connaît une fin édifiante. Œuvres. Œuvres poétiques (1643). Il composa des pièces bachiques : les Cabarets, La Vigne, Le Fromage, etc., pleines de verves et de gaieté, et d’un style mi-réaliste, mi-léger, sensible au concret. Ses poèmes suivent quatre inspirations différentes. Poète baroque de la nature, il la décrit avec bonheur, lyrisme, il sait en saisir la richesse et la diversité. Poète de l’amour, il l’évoque avec une subtilité artificielle et précieuse. Poète burlesque, il manie l’humour et l’excès dans les peintures réalistes et prosaïques de la vie. Poète de la spiritualité, il chante l’âme humaine et la religion. Son Moïse sauvé est plutôt une idylle héroïque qu’un poème. Boileau se moquait de son manque de goût et de correction. Il est pourtant original et ne manque pas de naturel.

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Madrigal (Œuvres poétiques, 1643) Cette fière beauté que mon âme idôlatre A les bras et les mains et la gorge d’albâtre ; D’un cinabre1 vivant son teint est embelli ; Sa bouche est d’un corail où des perles éclatent ; Son visage et son corps, faits d’un marbre poli, Le prix de la blancheur à la neige débattent ; Et ses yeux si charmants, Aussi bien que son cœur, sont de vrais diamants ; Dois-je donc m’étonner de la trouver si dure Aux peines que j’endure, Puisque, pour mon malheur, le Ciel qui la forma La fit toute de pierre, et Roche la nomma?2

Notes : 1substance de couleur vermillon, qui servait aux dames à rehausser le teint de leur visage ; 2le blason joue sur le nom de Roche, nom de la femme décrite par le poète. Repères pour l’étude du texte

Étudiez les comparaisons successives et les hyperboles qui magnifient le corps féminin.

Commentez la pointe contenue dans le derniers vers. Analysez les marques de l’humour dans l’expression des sentiments.

Plainte sur la mort de Sylvie (Œuvres poétiques, 1629)

Ruisseau qui cours après toi-même, Et qui te fuis toi-même aussi, Arrête un peu ton onde ici Pour écouter mon deuil extrême ; Puis, quand tu l’auras su, va-t’en dire à la mer Qu’elle n’a rien de plus amer. Raconte-lui comme Sylvie, Qui seule gouvernait mon sort, A reçu le coup de la mort Au plus bel âge de la vie Et que cet accident triomphe en même jour De toutes les forces d’Amour.

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Las ! je ne puis dire autre chose, Mes soupirs tranchent mon discours. Adieu, ruisseau, reprends ton cours, Qui non plus que moi ne repose ; Que si par mes regrets j’ai bien pu t’arrêter, Voilà des pleurs pour te hâter.

Repères pour l’étude du texte Analysez le thème de l’amour et de la nature dans la vision d’un poète précieux. Relevez les caractéristiques de l’espèce poétique pratiquée par Saint-Amant. Étudiez la versification et les figures de style.

Le Fumeur (Poésies, 1629)

Assis sur un fagot, une pipe à la main, Tristement accoudé contre une cheminée, Les yeux figés vers terre, et l’âme mutinée,1

Je songe aux cruautés de mon sort inhumain. L’espoir qui me remet2 du jour au lendemain, Essaie à3 gagner temps sur ma peine obstinée, Et, me venant promettre une autre destinée, Me fait monter plus haut qu’un empereur romain. Mais à peine cette herbe4 est-elle mise en cendre, Qu’en mon premier état il me convient descendre Et passer mes ennuis à redire souvent : Non, je ne trouve point beaucoup de différence De prendre du tabac à vivre d’espérance, Car l’un n’est que fumée et l’autre n’est que vent.

Notes : 1révoltée ; 2renvoie ; 3essaie de ; 4le tabac.

Repères pour l’étude du texte Enregistrez les étapes de l’évolution de cette méditation. Expliquez le passage du pessimisme à l’optimisme et l’inverse. Le thème ancien fortuna labilis se construit sur un parallélisme. Relevez les deux champs lexicaux adjacents.

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François Tristan L’Hermite (1601-1655)

Courte biographie. Il naît dans le Calvados. Il connaît un début d’existence mouvementé. Il est page à la cour. Il tue un adversaire au duel et doit errer plusieurs années en France et peut-être à l’étranger. Ce fut un être instable. Il décourage tous ses protecteurs. Il est joueur, grand amateur de plaisirs. Il meurt à 54 ans, atteint de phtisie. Œuvres. Les Plaintes d’Acante (1633) ; Miriamne (tragédie, 1636) ; La Lyre (1641) ; Le Page disgracié (roman, 1643) ; Vers héroïques (1648). Il connaît le

succès littéraire avec son roman autobiographique et sa tragédie. C’est un poète de la nature aux accents romantiques dans l’évocation gaie et triste des paysages, comme les reflets de ses états d’âme. C’est aussi un poète sensualiste, ouvert à la richesse du monde. Il exprime également son mal de vivre et son angoisse devant la mort.

Le Dépit corrigé (Les Plaintes d’Acante, 1633) C’est trop longtemps combattre un orgueil invincible, Qui brave ma constance et ma fidélité ; Ne nous obstinons plus dans la témérité De vouloir aborder ce roc inaccessible.

Tournons ailleurs la voile et s’il nous est possible Oublions tout à fait cette ingrate beauté Ne pouvant concevoir qu’avecque lâcheté Tant de ressentiments pour une âme insensible.

Mais, que dis-tu, mon cœur ? Aurais-tu consenti Au perfide dessein de changer de parti, Servant, comme tu fais, un objet adorable ? Non, non, celle que j’aime est d’un trop digne prix, Et toute autre beauté n’est pas même capable De faire des faveurs qui vaillent ses mépris.

Repères pour l’étude du texte Expliquez l’évolution des sentiments amoureux contradictoires. Démontrez que la description de la femme aimée appartient à la préciosité. Étudiez l’effet provoqué par la pointe contenue dans le second tercet du sonnet.

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Le Navire (La Lyre, 1641) Je fus, Plante superbe, en Vaisseau transformée. Si je crus sur un Mont, je cours dessus les eaux : Et porte des Soldats une nombreuse armée, Après avoir logé des Escadrons d’Oiseaux. En rames, mes rameaux se trouvent convertis ; Et mes feuillages verts, en orgueilleuses voiles : J’ornai jadis Cybèle1, et j’honore Thétis2

Portant toujours le front jusqu’auprès des Étoiles. Mais l’aveugle Fortune a de bizarres lois : Je suis comme un jouet en ses volages doigts, Et les quatre Éléments me font toujours la guerre. Souvent, l’Air orageux traverse mon dessein, L’Onde s’enfle à tous coups pour me crever le sein ; Je dois craindre le Feu, mais beaucoup plus la Terre.

Notes : 1divinité de la Terre ; 2divinité marine (recherchez les légendes auxquelles sont associées les deux divinités). Repères pour l’étude du texte

Établissez le thème du sonnet à partir de l’étude des champs lexicaux dominants.

Quels sont les deux états de la transformation du moi poétique et quelles sont leurs étapes ?

Commentez la signification des termes qui sont écrits avec majuscules.

Sur un tombeau (Les Plaintes d’Acante, 1633)

Celle dont la dépouille en ce marbre est enclose Fut le digne sujet de mes saintes amours : Las ! depuis qu’elle y dort, jamais je ne repose, Et s’il faut1 en veillant que j’y songe toujours. Ce fut une si rare et si parfaite chose Qu’on ne peut la dépeindre avec l’humain discours ; Elle passa pourtant de même qu’une rose, Et sa beauté plus vive eut des termes plus courts.

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La mort qui par mes pleurs ne fut point divertie Enleva de mes bras cette chère partie D’un agréable tout qu’avait fait l’amitié2. Mais, ô divin esprit qui gouvernait mon âme, La Parque3 n’a coupé notre fil qu’à moitié, Car je meurs en ta cendre et tu vis dans ma flamme.

Notes : 1aussi faut-il ; 2l’amour ; 3déesse qui décidait de la mort des mortels en coupant la trame de leur vie. Repères pour l’étude du texte

Relevez le jeu d’oppositions et d’antithèses entre vie et mort et les champs lexicaux qui se rattachent à ces deux thèmes.

Remarquez l’expression de la fidélité inébranlable du poète et celle de la beauté féminine évoquée.

Analysez la versification et les figures de style.

Vincent Voiture (1597-1648) Courte biographie. Fils d’un fermier des vins qui suivait la cour, il naît à Amiens. Il fait ses études à Paris. Il est protégé par Gaston d’Orléans ce qui lui permet de fréquenter la haute société et l’Hôtel de Rambouillet dont il devient l’idole. Maître d’hôtel du roi, pensionné de la reine mère, il vit comme le roi des beaux esprits de son temps. Il est l’un des premiers membres de l’Académie française. Œuvres. Lettres et Poésies (1649-1658). Ses

lettres sont inspirées par les circonstances, par les petits événements de société de l’époque. Il compose aussi un grand nombre d’épîtres, de sonnets, d’épigrammes, de chansonnettes et de rondeaux. Son nom est étroitement lié à celui de Balzac, malgré la différence d’esprit et de manière qui les distingue. Voiture est spirituel, léger, il n’aime que les badinage et les jeux d’esprit. Il tombe dans l’affectation et dans le précieux, il donne de la souplesse et de la légèreté à la poésie et à la prose ultérieures.

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La Belle Matineuse1 (Poésies, 1649)

Des portes du matin l’amante de Céphale2

Ses roses épandait dans le milieu des airs, Et jetait sur les cieux nouvellement ouverts Ces traits d’or et d’azur qu’en naissant elle étale, Quand la nymphe divine, à mon repos fatale, Apparut et brilla de tant d’attraits divers Qu’il semblait qu’elle seule éclairait l’univers Et remplissait de feux la rive orientale. Le soleil se hâtant pour la gloire des cieux Vint opposer sa flamme à l’éclat de ses yeux Et prit tous les rayons dont l’Olympe3 se dore. L’onde, la terre et l’air s’allumaient à l’entour, Mais auprès de Philis4 on le prit pour l’aurore, Et l’on crut que Philis était l’astre du jour.

Notes : 1qui est matinale, qui se lève tôt ; 2l’Aurore ; 3montagne grecque où habitaient les dieux; 4nom que le poète donne à la femme aimée. Repères pour l’étude du texte

Analysez comment s’étaie la comparaison constante entre l’aurore et la femme aimée dans la tradition imitative des modèles italiens antérieurs (voir Du Bellay).

Relevez et discutez les effets de lumière (évocation des couleurs, modification progressive de l’éclairage, utilisation des adjectifs et des verbes), leur place te leur signification.

Dressez la liste des images poétiques qui traversent le sonnet.

Les Demoiselles de ce temps (1649) Les demoiselles de ce temps Ont depuis peu beaucoup d’amants; Ont dit qu’il n’en manque à personne,

L’année est bonne. Nous avons vu les ans passés Que les galants étaient glacés ;

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Mais maintenant tant en foisonne, L’année est bonne.

Le temps n’est pas bien encor Qu’ils se vendaient au poids de l’or, Et pour le présent on les donne, L’année est bonne. Le soleil de nous rapproché Rend le monde plus échauffé ; L’amour règne, le sang bouillonne, L’année est bonne.

Repères pour l’étude du texte Étudiez comment se manifeste dans cette poésie le refus des contraintes, la

revendication de la liberté et la sensualité. Montrez la manière dont le poète souligne la complexité de l’amour. Analysez l’expression de l’amertume qui se cache sous la légèreté de

l’inspiration.

Madeleine de Scudéry (1607-1701)

Courte biographie. Elle naît au Havre. Restée orpheline, elle est élevée par son oncle ecclésiastique, après la mort duquel elle vient à Paris, chez son frère, Georges de Scudéry, un dramaturge médiocre. Elle jouit à Paris d’une grande réputation de femme vertueuse et spirituelle. Son obsession de jeunesse est d’apprendre, toujours apprendre. Ce fut une militante féministe avant la lettre, luttant pour

l’égalité de la femme. On l’appelait l’Illustre Sapho, la dixième muse. Elle anime à partir de 1650 son propre cercle littéraire. Elle traverse tout le siècle et meurt à 91 ans. Œuvres. Artamène ou Le Grand Cyrus (roman, 1649-1653). Clélie (histoire romaine, 1654-1660, en dix volumes). Célamire (roman, 1669). L’écrivain essaie de simplifier l’intrigue (dans la trame romanesque « à tiroir »), de soigner la psychologie des personnages. Boileau est choqué par le désaccord entre les caractères historiques, les actes, le langage des personnages, et ceux qu’elle leur prête. La couleur locale manque complètement. Les mœurs contemporaines sont peintes sous des noms

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antiques perse (Cyrus, c’est Condé, Scaurus, c’est Scarron, Amilcar, c’est Sarrazin, Sapho, c’est Mlle de Rambouillet, etc.). Les personnages antiques habillés à la moderne ont un langage précieux, subtil et maniéré, font de la métaphysique sur l’amour, discutent sans fin des questions galantes. L’art du portrait, les analyses psychologiques, les débats entre les personnages lancent le roman français sur la voie « intellectualiste ». On lui reproche la prolixité et la monotonie d’une action qui se perd dans des détails inutiles et fastidieux et donne l’impression de ne jamais arriver au dénouement.

La Carte de Tendre (Clélie, partie I, livre I) Afin que vous compreniez mieux le dessein de Clélie, vous verrez qu’elle

a imaginé qu’on peut avoir de la tendresse par trois causes différentes : ou par une grande estime, ou par reconnaissance, ou par inclination ; et c’est ce qui l’a obligée d’établir ces trois villes de Tendre, sur trois rivières qui portent ces trois noms, et de faire aussi trois routes différentes pour y aller. Si bien que, comme on dit Cumes sur la mer d’Ionie et Cumes sur la Mer Tyrrhène, elle fait qu’on dit Tendre sur Inclination, Tendre sur Estime, et Tendre sur Reconnaissance. Cependant, comme elle a présumé que la tendresse qui naît par inclination n’a besoin de rien autre chose pour être ce qu’elle est, Clélie, comme vous le voyez, Madame, n’a mis nul village le long des bords de cette rivière, qui va si vite qu’on n’a que faire de logement le long de ses rives, pour aller de Nouvelle Amitié à Tendre. Mais pour aller à Tendre sur Estime, il n’est pas de même : car Clélie a ingénieusement mis autant de villages qu’il y a de petites et de grandes choses qui peuvent contribuer à faire naître, par estime, cette tendresse dont elle prétend parler.

En effet vous voyez que de Nouvelle Amitié on passe à un lieu qu’elle appelle Grand Esprit, parce que c’est ce qui commence ordinairement l’estime ; ensuite vous voyez ces agréables villages de Jolis Vers, de Billet Galant et de Billet Doux, qui sont les opérations les plus ordinaires du grand esprit dans les commencements d’une grande amitié. Ensuite, pour faire un plus grand progrès dans cette route, vous voyez Sincérité, Grand Cœur, Probité, Générosité, Respect, Exactitude et Bonté, qui est tout contre Tendre, pour faire connaître qu’il ne peut y avoir de véritable estime sans bonté, et qu’on ne peut arriver à Tendre de ce côté-là sans avoir cette précieuse qualité. Après cela, Madame, il faut, s’il vous plaît, retourner à Nouvelle Amitié, pour voir par quelle route on va de là à Tendre sur Reconnaissance. Voyez donc, je vous prie, comment il faut aller d’abord de

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Nouvelle Amitié à Complaisance, ensuite à ce petit village qui se nomme Soumission, et qui en touche un autre fort agréable, qui s’appelle Petits Soins. Voyez, dis-je, que de là il faut passer par Assiduité, pour faire entendre ce que n’est pas assez d’avoir durant quelques jours tous ces petits soins obligeants, qui donnent tant de reconnaissance, si on ne les a assidûment. Ensuite, vous voyez qu’il faut passer à un autre village qui s’appelle Empressement et ne faire pas, comme certaines gens tranquilles, qui ne se hâtent pas d’un moment, quelque prière qu’on leur fasse, et qui sont incapables d’avoir cet empressement qui oblige1 quelquefois si fort. Après cela, vous voyez qu’il faut passer à Grands Services, et que, pour marquer qu’il y a peu de gens qui en rendent de tels, ce village est plus petit que les autres. Ensuite, il faut passer à Sensibilité, pour faire connaître qu’il faut sentir jusqu’aux plus petites douleurs de ceux qu’on aime. Après, il faut, pour arriver à Tendre, passer par Tendresse, car l’amitié2 attire l’amitié. Ensuite, il faut aller à Obéissance, n’y ayant presque rien qui engage plus de cœur à qui on obéit que de le faire aveuglément ; et pour arriver enfin où l’on veut aller, il faut passer à Constante Amitié, qui est sans doute le chemin le plus sûr, pour arriver à Tendre sur Reconnaissance. Mais, Madame, comme il n’y a point de chemins où l’on ne se puisse égarer, Clélie a fait, comme vous le pouvez voir, que si ceux qui sont à Nouvelle Amitié prenaient un peu plus à droite ou un peu plus à gauche, ils s’égareraient aussi : car si au partir3 de Grand Esprit, on allait à Négligence, que vous voyez tout contre sur cette carte, qu’ensuite, continuant cet égarement, on allait à Inégalité, de là à Tiédeur, à Légèreté et à Oubli, au lieu de se trouver à Tendre sur Estime, on se trouverait au Lac d’Indifférence que vous voyez marqué sur cette carte, et qui, par ses eaux tranquilles, représente sans doute fort juste4 la chose dont il porte le nom en cet endroit. De l’autre côté, si, au partir de Nouvelle Amitié, on prenait un peu trop à gauche, et qu’on allât à Indiscrétion, à Perfidie, à Orgueil, à Médisance ou à Méchanceté, au lieu de se trouver à Tendre sur Reconnaissance, on se trouverait à la Mer d’Inimitié, où tous les vaisseaux font naufrage, et qui, par l’agitation de ses vagues, convient sans doute fort juste avec cette impétueuse passion que Clélie veut représenter. Notes : 1qui provoque la reconnaissance ; 2l’amour ; 3en partant ; 4fort justement.

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Repères pour l’étude du texte Relevez la signification symbolique de chaque lieu indiqué sur la Carte de

Tendre. En tenant compte de la rhétorique amoureuse précieuse, justifiez l’importance de

chaque village / ville visité(e), souligné(e) dans le fragment. Nommez encore trois villages que les amants devraient absolument parcourir ou

éviter pour accomplir parfaitement leur itinéraire.

Idéologies du XVIIe siècle

De Descartes à Pascal ; René Descartes ; Jésuites vs. Jansénistes ; Blaise Pascal ; Le courant libertin.

1. De Descartes à Pascal L’esprit scientifique se développement de plus en plus depuis la Renaissance. Le XVIIe siècle prolonge cette soif humaine de connaître l’univers et les lois qui le gouvernent, l’aspiration à la connaissance, le désir de déchiffrer le monde et la quête passionnée de la vérité. La méthode des sciences expérimentales se précise à cette époque. Elle repose sur l’observation, l’analyse et l’interprétation raisonnée des faits scientifiques. Francis Bacon en Angleterre, Galilée en Italie, René Descartes et Blaise Pascal en France s’engagent sur les multiples chemins de la vérité.

René Descartes (1596-1650) Courte biographie. Il naît à La Haye, en Touraine. Il fait ses études au Collège de La Flèche, chez les Jésuites. Il les termine seize ans. Il obtient une licence de droit à Poitiers. Il s’enroule en Allemagne et sert comme volontaire sous Maurice de Nassau, puis sous le duc de Bavière. Rentré en France, il assiste, en 1628, au siège de la Rochelle. A Paris il se mêle à la vie mondaine des salons, lit des romans, se bat en duel. Dans ces voyages, il est attentif à étudier le monde, à s’étudier lui-même et à chercher la solution

du grand problème qui le préoccupe, c’est-à-dire trouver une nouvelle

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méthode pour philosopher et une nouvelle base pour asseoir sa philosophie. Il méprise l’Antiquité. Il se retire en Hollande, pays de la liberté, mais ici est traqué par quelques théologiens protestants. Il les quitte après vingt ans et se retire en Suède où la reine Christine lui offre son hospitalité. Il meurt à Stockholm quelques mois plus tard, victime des rigueurs du climat. Œuvres. Discours de la méthode (1637), Méditations métaphysiques (1641), Principes de la philosophie (1644), La Passion de l’âme (1649).

La critique de la philosophie d’Aristote ainsi que de la nouvelle

méthodologie noétique bouleversent le principe d l’autorité et ouvre la voie aux méthodologies des sciences et à la philosophie modernes. Le système cartésien, le cartésianisme, marque toute la pensée occidentale. Descartes imagine la science comme un arbre (Principes de la philosophie). Les racines sont constituées par la métaphysique (toute la connaissance est subordonnée à Dieu), la physique (qui envisage les principes auxquels obéit l’univers) forme le tronc, les autres sciences sont les branches qui découlent des règles de la physique dont la plus importante est la morale. Sur le Discours de la méthode :

Le traité a pour objet d’indiquer la méthode et les règles suivies par Descartes pour arriver par la seule raison et en dehors de toute autorité, à mettre la philosophie sur une base incontestable. Cette base, ce sera la certitude. Descartes considérant qu’il n’est absolument certain d’aucune de ses connaissances, prend le parti de les rejeter toutes. Ce n’est pas qu’il veuille rester dans le doute, comme les sceptiques. Il prétend, au contraire, se servir de son doute raisonné, méthodique, pour arriver à la connaissance de la vérité. Après avoir rejeté toutes ses connaissances, il se trouve en présence de son doute. Mais douter, c’est penser (Dubito, ergo cogito. Je doute, donc je pense.). C’est le premier axiome de son système. Or, pour pouvoir penser, il faut exister, d’où il conclut : Cogito, ergo sum. Je pense, donc je suis. C’est le second axiome de son système. Le voilà en possession d’une première vérité, d’une première certitude, celle de son existence. Prenant comme point de départ la réalité de sa pensée, il arrive à connaître l’existence et la nature de son âme. Puisqu’il pense, il faut donc que l’âme soit immatérielle, spirituelle. Les imperfections qu’il remarque dans son âme l’amènent à reconnaître l’existence d’un Être souverainement parfait, c’est-à-dire Dieu. Il arrive à constater d’une manière certaine la réalité du monde physique. C’est ainsi qu’il reconstitue tout l’édifice de ses connaissances, sur une base désormais inébranlable : la certitude. Descartes fonde la philosophie basée sur la raison, sur l’évidence. Les grands écrivains

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qui le suivent apprennent à son école à être clairs, exacts, à rejeter les ornements étrangers et inutiles au sujet, à ne point céder aux caprices de l’imagination, à ne considérer que l’idée pour la rendre dans toute sa force. Son style conserve encore l’allure de la période latine : sa phrase est longue, traînante, surchargée à l’excès de propositions incidentes, mais toutes les parties s’enchaînent dans un ordre logique, les termes sont précis, exacts, il existe une convenance parfaite entre l’expression et la pensée. Il a créé la langue de la philosophie, il a renouvelé l’esprit et la méthode.

Discours de la méthode, quatrième partie (1637)

« Je ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que

j’y ai faites : car elles sont si métaphysiques et si peu communes, qu’elles ne seront peut-être pas au goût de tout le monde. Et toutefois, afin qu’on puisse juger si les fondements que j’ai pris sont assez fermes, je m’en trouve en quelque sorte contraint d’en parler. J’avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu’il a été dit ci-dessous; mais parce qu’alors je désirais seulement vaquer à la recherche de la vérité, je pensais que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce que en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir, s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer. Et parce qu’il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j’étais sujet à faillir, autant qu’aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillées, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. »

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Repères pour l’étude du texte Montrez qu’il s’agit à la fois d’un essai philosophique et de la vulgarisation

scientifique. Étudiez « le style cartésien », fait de confidences personnelles et de

réflexions philosophiques. Analysez le type de raisonnement et la manière dont il progresse dans le

texte. Jésuites vs. Jansénistes

La seconde partie du siècle est marquée par « un combat fratricide » qui oppose les Jésuites et les Jansénistes pour la domination idéologique de l’Eglise. Cette lutte est au centre de la vie et de l’œuvre de Blaise Pascal. La Compagnie de Jésus est fondée en 1540 par l’Espagnol Ignace de Loyola. C’est une organisation structurée, quasi-militaire qui dispose de collèges d’enseignement redoutables. Le jansénisme doit son nom au théologien belge, professeur de théologie à l’Université de Louvain, Jansénius (1585-1638) – Augustinus. L’abbé de Saint-Cyran le répand en France. Le siège du courant est à dix lieues de Paris, dans la vallée de Chevreuse, dans l’abbaye de femmes de Port-Royal. Les laïcs qui y viennent faire retraite s’appellent « les solitaires », « les messieurs ». Jésuites et Jansénistes se disputent au sujet de la grâce divine (l’homme, est-il maître de son destin ? ; contribue-t-il à son salut ou à sa damnation ?). Les Jésuites croient que c’est à chacun de construire sa vie, que Dieu a accordé à tous sa grâce, que l’homme est libre, qu’il bâtit lui-même son destin, et qu’il est jugé en fonction de ses actions. Les Jansénistes pensent que Dieu accorde sa grâce aux seuls méritants, que le libre arbitre est limité, que les « hantés » par les forces du mal ne peuvent pas être sauvés. Un autre problème épineux concerne le péché. Les Jésuites atténuent l’idée du péché, ils fondent une vraie casuistique de la faute : les actions sont à la fois positives et négatives. Les Jansénistes sont pessimistes, ils croient que le mal est redoutable face au bien.

Les deux conceptions s’opposent aussi sur le plan social. Les Jésuites sont adeptes de l’action. Les Jansénistes, de la contemplation. Les Jésuites influencent les classes sociales dynamiques, l’aristocratie et la bourgeoisie d’argent, tandis les Jansénistes séduisent la bourgeoisie parlementaire désenchantée, privée progressivement de son pouvoir.

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Blaise Pascal (1623-1662) Courte biographie. Il naît à Clermont, en Auvergne. Il perd sa mère dès l’âge de trois ans. Son père, qui était second président de la cour des aides, se fixe à Paris en 1631. Trois enfants sur dix lui en survivent. Le père est fort versé dans les sciences et veut faire lui-même l’éducation de son fils qui se montre d’une précocité étonnante. Un instinct extraordinaire porte l’enfant vers la géométrie. A seize ans, Pascal compose en latin le traité des Sections coniques. A dix-neuf ans, il invente la machine arithmétique pour aider dans ses calculs son père, devenu intendant à Rouen. Il fait

d’importantes expériences sur le vide, pose par son triangle arithmétique les fondements des calculs des probabilités, puis il passe de la théorie à la pratique et invente la presse hydraulique et le haquet. Il lisait pourtant bien mal. Il a ses premières relations avec les jansénistes. Sa piète devient austère, il reforme la maison paternelle et détermine sa sœur de devenir religieuse. Ensuite il mène pendant sept ans une vie dissipée, songe même à se marier. La seconde conversion remonte à l’année 1654 lors d’un grave accident de carrosse. Dès le lendemain il se retire dans la solitude. A partir de cet accident, « ce grand esprit croyait sans cesse voir un abîme à son côté gauche » (selon l’abbé Boileau). Il entre bientôt à Port-Royal. Il renonce à tout plaisir, il adopte de la simplicité dans les habits et les meubles. Il se passe de domestiques, pèse sa nourriture, macère sa chair et s’interdit jusqu’aux affections les plus légitimes. Il meurt à 39 ans après une longue agonie. Œuvres. Les Provinciales (1656-1657). Les Pensées (1670). Sur Les Provinciales :

Il s’agit de 18 lettres qui ont été imprimées successivement et clandestinement par trois libraires, en particulier par Pierre Le Petit, entre janvier 1656 et mars 1657, peu après la retraite de Pascal à l’abbaye de Port-Royal-des-Champs. On en a tiré un grand nombre d’exemplaires, on en a distribué la moitié gratuitement, l’autre moitié a été vendue pour couvrir les frais d’impression. Les Provinciales sont centrées sur la question de la foi baroque, celle de la grâce. Les lettres se divisent en deux classes : 1. celles qui se rapportent directement à la question de la grâce et aux

affaires de la Sorbonne (5 lettres, les trois premières et les deux dernières).

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2. celle qui attaquent la morale et la politique des Jésuites. Pascal change de tactique : il attaque Arnauld, grand janséniste, Jl

attaque la morale et la politique des Jésuites. Le « Bon Père », simple, naïf, lui expose toutes les subtilités, toutes les roueries des casuistes de son Ordre. Selon Pascal, grâce à leurs théories du probabilisme, de la direction d’intention, des restrictions mentales, de la distinction entre la spéculation et la pratique, les Jésuites ont complètement corrompu la morale.

La stratégie des pamphlets est basée sur le regard faussement naïf d’un provincial qui rapporte dans ses lettres les disputes théologiques de l’époque. La position du narrateur, en principe témoin impartial, comme devrait l’être le public, permet une attaque indirecte contre les adversaires qui se discréditent eux-mêmes par l’immoralité de leur casuistique ou par l’absurdité de leurs argumentations sur les subtiles distinctions entre la grâce efficace et la grâce suffisante. La feinte naïveté du provincial est une source d’ironie, qui anticipe par son efficacité celle de Voltaire polémiste. L’indignation s’en sort du sérieux des débats religieux et de la gravité existentielle de la problématique.

Beaucoup de lettres sont dialoguées, simples, naturelles, spirituelles, moqueuses, véhémentes, passionnées et amères. Le procédé majeur de Pascal est la réfutation. Le style de Pascal est unique : raillerie fine, naturelle, toujours de bon goût, souplesse et clarté admirables. Sur Les Pensées :

Ce sont des notes et des fragments d’une apologie du christianisme. Ces notes écrites sur un grand nombre de morceaux de papier, enfilés en liasses et sans ordre, ont été collées sur un grand registre qui est devenu le manuscrit original. Les intellectuels jansénistes de Port-Royal (Arnault, Nicole, Filleau de La Chaise) recueillent ces notes après sa mort. Au XIXe siècle, les exégètes (Chevalier, Massis) ont procédé par regroupements thématiques, par exemple : I. L’homme sans Dieu (L’homme entre les deux infinis ; Misère de l’homme ; Grandeur de l’homme) ; II. L’homme avec Dieu (Recherche de Dieu ; Preuves de Jésus-Christ ; Misère de l’amour divin, etc.).

Pascal reprend un certain nombre d’arguments de Montaigne, mais se désintéresse de l’exploration du moi et du monde. Pascal est un homme baroque qui questionne la réalité, exploite ses contradictions et ses limites pour ramener ses prochains dans le giron de Dieu. Il oriente l’argumentation rationnelle vers la preuve de la fragilité de la raison et de la condition humaine à laquelle seule la religion peut donner une justification et un appui solides.

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Le penseur se propose de démontrer que la religion chrétienne est nécessaire à l’homme (voir le célèbre pari sur l’existence de Dieu). Il croit que l’homme est misérable sans Dieu. Etudiant l’homme en lui-même, tant il l’exalte, tantôt il l’abaisse :

« L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire

l’ange, fait la bête » ; « L’homme n’est qu’un roseau pensant » ; « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable…

Toues ces misères-là prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d’un roi dépossédé ».

La mort vient mettre le comble aux maux de l’humanité. Pascal

abaisse trop la raison humaine. On l’a accusé de tomber dans un scepticisme universel. Il ne se complait pas dans le toute, il essaie de le combattre et de s’en sortir. Il ne faut pas rester indifférent, il faut parier sur l’existence divine. La foi n’est pas une certitude gratuite, mais un engagement. Le christianisme donne seul le bonheur à l’homme, en le mettant en possession de Dieu (voir l’idée de la chute originelle qui demandait un Réparateur). La vision pascalienne de l’homme est à la fois tragique et héroïque. Au sujet de ses principes littéraires, Pascal demande un style vrai, imagé, naturel, précis, sans ornements recherchés ni antithèses forcées. Le secret de son éloquence est la force de sa pensée, la froideur austère et originale. Elle n’émeut pas le cœur, mais frappe vivement l’esprit. Son style est nerveux, incisif, c’est le style d’un penseur-géomètre.

Imagination, fragment 41, in Pensées (1670)

« Imagination. C’est cette partie dominante dans l’homme, cette maîtresse d’erreur

et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours, car elle serait règle infaillible de vérité si elle l’était infaillible du mensonge. Mais étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du même caractère le vrai et le faux. Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages, et c’est parmi eux que l’imagination a le grand droit de persuader les hommes. La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses.

Cette superbe puissance ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l’homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres. Elle fait croire,

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douter, nier la raison. Elle suspend les sens, elle les fait sentir. Elle a ses fous et ses sages. Et rien ne nous dépite davantage que de voir qu’elle remplit ses hôtes d’une satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison. Les habiles par imagination se plaisent tout autrement à eux-mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire. Ils regardent les gens avec empire. Ils disputent avec hardiesse et confiance, les autres avec crainte et défiance, et cette gaîté de visage leur donne souvent l’avantage dans l’opinion des écoutant, tant que les sages imaginaires ont des faveurs auprès des juges de même nature. Elle ne peut rendre ses amis que misérables, l’une le couvrant de gloire, l’autre de honte. […]

Le plus grand philosophe du monde sur une planche plus large qu’il ne faut, s’il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n’en sauraient la pensée sans pâtir et suer. »

Repères pour l’étude du texte

Étudiez le fragment dans la liasse intitulée « vanité » par Montaigne, comprenant les « puissances trompeuses » (les sens, l’amour-propre, les coutumes, l’opinion, etc.)

Comment s’organise la démonstration de l’auteur? Montrez quelles sont les formes de la profonde « misère » de la condition

humaine selon Pascal.

Misère et grandeur humaines, in Pensées (1670) « 255. La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. C’est donc être misérable que de [se] connaître misérable; mais c’est grand que de se connaître qu’on est misérable. 256. On n’est pas misérable sans sentiment : une maison ruinée ne l’est pas. Il n’y a que l’homme de misérable. Ego vir videns [lat. Moi, homme, voyant ma pauvreté]. 257. Pensée fait la grandeur de l’homme. 258. Je puis bien concevoir un home sans main, pieds, tête (car ce n’est que l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute. […] 263. Pensée. – Toute la dignité de l’homme est en la pensée. Mais qu’est-ce que cette pensée? Qu’elle est sotte ! La pensée est donc une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait qu’elle eût d’étranges

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défauts pour être méprisable; mais elle en a de tels que rien n’est plus ridicule. Qu’elle est grande par sa nature ! qu’elle est basse par ses défauts !

264. H. L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage est que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne serions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.

265. Roseau pensant. – Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurais pas davantage en possédant des terres. Par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends.

266. la Raison nous commande bien plus impétueusement qu’un maître; car, en désobéissant à l’un on est malheureux, et en désobéissant à l’autre on est un sot.

267. L’éternuement absorbe toutes les fonctions de l’âme, aussi bien que la besogne; mais on n’en tire pas les mêmes conséquences contre la grandeur de l’homme, parce que c’est contre son gré. Et, quoiqu’on se les procure; ce n’est pas en vue de la chose même, c’est pour une autre fin : et ainsi ce n’est pas une marque de la faiblesse de l’homme, et de sa servitude sous cette action. » Repères pour l’étude du texte

Analysez l’organisation logique de l’argumentation pascalienne et insistez sur les figures de l’antithèse et du paradoxe.

Relevez les aspects d’une poétique du fragmentaire. Montrez qu’il s’agit d’un essai philosophique.

2. Le courant libertin

Le courant libertin, appelée aussi le libertinage, qui naît en France au début du XVIIe siècle s’explique par une crise de conscience généralisée. La liberté de mœurs et de pensée, l’impiété et l’incrédulité mènent par voie de conséquence logique à l’anticonformisme moral et religieux, apanage exclusif de l’élite aristocratique4. Dans le premier quart du siècle, les écrivains libertins se font remarquer par les imprécations et les blasphèmes contre les mythes antiques et les histoires bibliques. À l’époque de la Fronde s’esquisse un 4 Voir R. Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Genève, Slatkine, 1983.

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libertinage extravagant, injurieux et blasphématoire. La révolte contre la religion et la pratique volontaire de mœurs dissolues sont les constantes du comportement libertaire de cette génération. La liberté se veut totale : spirituelle, morale et sensuelle. Les libertins se groupent au début autour de Gaston d’Orléans.

En 1618, François Maynard publie le Cabinet satyrique ou Recueil parfaict de vers piquants et gaillards de ce temps, suivi de Quintessence satyrique et de La Muse folâtre. En 1622 (1623), la publication du recueil licencieux Parnasse des poètes satyriques, contenant 125 pièces érotiques, provoque l’emprisonnement de Théophile de Viau (1590-1626), l’initiateur de ce projet scandaleux. La littérature érotique est réprimée à cause de la virulence de ses attaques antireligieuses. Les libertins se réunissaient dans un groupe secret sous le nom de la Confrérie de la Bouteille, groupe qui fait l’apologie d’Épicure, de Démocrite et de Lucrèce, qui chante des couplets orduriers sur l’Église, parodie la messe, baptise et marie les chiens ou dédaigne le jeûne et l’abstinence. L’amitié cultivée dans ce milieu est passionnée et ambiguë, la ressemblance avec les convives du Banquet de Platon étant évidente. On cite quelques ouvrages importants qui paraissent à cette époque et qui dénoncent les pratiques des «déniaisés », comme les appelle le clerc : La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps ou prétendus tels (1622) du Père Garasse5 et L’Impiété des déistes, athées et libertins de ce temps combattue et renversée de point en point par des raisons tirées de la philosophie et de la théologie (1624) du Père Mersenne. Ceux-ci s’érigent hypocritement contre des mœurs impies, ayant la tutelle des milieux ecclésiastiques. Les détracteurs des libertins, réduisent le libertinage à un comportement moral dépravé, en attribuant au mot libertinage une connotation résolument péjorative.

C’est l’époque du libertinage flamboyant qui fait naître une littérature gaillarde, « satyrique ». Éteint rapidement, le libertinage va connaître un renouveau éclatant sous la seconde Régence, mais sous une forme différente, érudite, influencée à ses débuts par les philosophies païennes. La tradition libertine du XVIIe siècle (ésotérique, selon Voltaire) s’affirme premièrement par le mépris du vulgaire et de la « populace ». Le libertinage érudit naît avec plus de force dans les cercles restreints et discrets où se réunissent les esprits

5 On remarque dans ce titre la beauté de l’analogie entre débauchés et beaux esprits. Le Père Garasse s’explique : « Par le mot libertin, je n’entends ni un huguenot ni un athée ni un déiste ni un hérétique ni un politique, mais un certain composé de toutes ces qualités », cité par Fr. Charles-Daubert, Les libertins érudits en France au XVIIe siècle, Paris, PUF, coll. « Philosophies », 1998, p. 15. Voir aussi Id., « Le libertinage et la recherche contemporaine », in : 17e siècle. Littérature, libertinage et philosophie au XVIIe siècle, no 149 / 1985, pp. 409-422

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éclairés du temps. Dans les cabarets, le salon des frères Dupuy, celui de Ninon de Lenclos ou celui de Marion Delorme, ils se mettent à l’abri des vexations officielles pour échanger des informations et des réflexions. On compte parmi eux des savants appartenant à la noblesse de robe (gens de barreau et de magistrature), à la haute bourgeoisie, des philosophes, des hommes de science, des médecins, des gens de l’Église même. Dans ces lieux de réunion, l’émulation s’avère productive.

L’un des penseurs qui a eu l’influence la plus profonde sur cette génération est Pierre Gassendi (1592-1657)6. Ce prêtre, devenu professeur de philosophie et de mathématiques au Collège royal de 1645 à 1648, a été un sage classique qui a fait des disciples (Cyrano de Bergerac et Saint-Évremond, deux fines lames de leur temps, atomistes et athéistes). Le courant qu’il développe à la suite de ses écrits, le gassendisme, propose une voie oblique entre le scepticisme obstiné, qui refusait à l’homme tout espoir d’atteindre le vrai, et les dogmatismes, qui croyaient à sa capacité de dégager la vérité universelle grâce à l’étude de systèmes abstraits (aristotélicien et cartésien). Les gassendistes se réunissaient au Collège de France ou dans le salon de Mme de la Sablière et publiaient dans le périodique Le Journal des savants.

Quatre grands penseurs forment la célèbre Tétrade du temps : Gassendi, François de La Motte Le Vayer (1588-1672), Gabriel Naudé (1600-1653) et E. Diodati. Ils choisissent des méthodes prudentes pour critiquer la pensée dominante, en donnant à leurs ouvrages des titres anodins : De vita et moribus Epicuri (1647) et Syntagma philosophiae Epicuri (1659) de Gassendi où l’auteur, posant le finalisme de l’Univers, invoque l’atomisme d’Epicure et de Lucrèce qu’il prétend compatible avec la doctrine chrétienne d’un monde créé par Dieu ; Quatre dialogues faits à l’imitation des Anciens (1631) de La Motte Le Vayer ; L’apologie pour les grands personnages soupçonnés de magie (1625) et Considérations politiques sur les coups d’État de Naudé, etc. Gabriel Naudé est l’un des critiques les plus radicaux de la religion positive. La Motte le Vayer, philosophe pyrrhonien et figure emblématique du scepticisme, qualifie sa plume de libertine dans le sens qu’elle n’accepte aucune règle venue 6 Le vrai nom de Gassendi était Gassend. Après un doctorat en théologie à Avignon (1614), il entre dans les ordres (1617) et devient prévôt à l’église de Digne. Même s’il est rationaliste comme Descartes, il affirme la possibilité d’une science des apparences, non démonstrative, qui s’appuie sur les mathématiques (voir les Objections aux médiations de Descartes, 1641). Pour une étude approfondie, voir Jean-Charles Darmon, Philosophie épicurienne et littérature du XVIIIe siècle. Études sur Gassendi, Cyrano de Bergerac, La Fontaine, Saint-Évremond, Paris, PUF, 1998 et Id., Variations épicuriennes. Une philosophie et ses marges. Études sur Gassendi, Cyrano de Bergerac, Bernier, Saint-Évremond, Paris, Champion, 2002 ; A. Del Prete, « Pierre Gassendi et l’univers infini », in : Libertinage et philosophie au XVIIe siècle, no 4 / 2000, pp. 57-68.

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de l’extérieur ni aucune censure7. Les érudits ne sont pas des marginaux : La Motte le Vayer est précepteur du jeune Louis XIV et conseiller d’État, Naudé est médecin, secrétaire du cardinal de Bagny et fondateur de la Bibliothèque Mazarine.

D’autres théoriciens du libertinage, tels que Nicolas Vauquelin des Yveteaux (1567-1649), appelé l’« Épicure de son temps », et Saint-Évremond8, adepte du plaisir maîtrisé, font l’apologie de la « volupté honnête » qui s’oppose au stoïcisme. Yveteaux, Saint-Amant, Tristan l’Hermite et Des Barreaux écrivent des sonnets libertins « sages », avec des accents délicats et paisibles. Vers 1650-1660, Saint-Évremond et Chaulieu ont une vision pessimiste de la condition humaine. Saint-Évremond et Bussy-Rabutin osent continuer une tradition littéraire contestataire et se voient condamnés à l’exil. Le thème de la mort comme terme naturel qui ne doit susciter aucune terreur revient comme un leitmotiv chez les poètes libertins. Cyrano de Bergerac (1619-1655), gassendiste déclaré, pratique une surenchère du burlesque comme arme de contestation de la littérature traditionnelle et se heurte au refus de se faire éditer9. Dans son Histoire comique des États et Empires de la Lune (1657-1662), il tourne en dérision l’idée d’une âme immortelle. Au XVIIe siècle, penser, être et vivre en libertin, c’est manifestement risquer de se faire arrêter, exiler ou même condamner à mort. Entre 1610 et 1698, cinq écrivains furent exécutés pour hérésie et libertinage10.

Les libertins érudits travaillent à l’avènement du règne d’une raison critique. L’obsession de la mort et la raison en proie aux ténèbres sont quelques thèmes récurrents de la poésie baroque de l’époque. Les libertins voient l’homme comme un simple animal mortel dont le seul but est la jouissance des sens. Les libertins se désignent eux-mêmes par l’expression esprits forts. Ils s’opposent ainsi aux esprits vulgaires, populaires, ignorants, superstitieux et crédules. Cela marque une attitude philosophique : ils se prennent pour des doctes. Les thèses de la littérature libertine sont évoquées dans un ouvrage clé, resté sous forme de manuscrit, Theophrastus redivivus. Les libertins sont 7 Fr. Charles-Daubert, op. cit., p. 5. Voir aussi K. Clark, « Réception critique des libertinages au XVIIe siècle », in : Œuvres et critiques, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1995. 8 Sceptique modéré, Saint-Evremond a un destin singulier. Un écrit hostile à Mazarin l’oblige de s’exiler en 1661 en Angleterre où il demeura le reste de sa vie. 9 A Paris, Cyrano de Bergerac a mené lui aussi une existence agitée, cédant à un libertinage effréné. Avec Chapelle et Molière il a fréquenté le cercle de Campanella et Michel de Marolles. Voir J. Denis, Sceptiques et libertins de la première moitié du XVIIe siècle. Gassendi, Gabriel Naudé, Guy Patin, La Mothe le Vayer, Cyrano de Bergerac, Mémoires de l’Académie de Caen, 1884 ; reprint Genève, Slatkine, 1970. 10 R. Horville (s.l.d.), XVIIe siècle, Paris, Hatier, coll. « Itinéraires littéraires », 1988, p. 102.

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individualistes, élitistes et cyniques, immoralistes déclarés et appartiennent aux groupes des poètes remuants, scandaleux notoires et provocateurs11. Parmi ceux-ci, Jacques Vallée des Barreaux, est une figure à part : homosexuel célèbre, surnommé « L’Illustre Débauché » et « Le Prince des Libertins », il ose même séduire la maîtresse de Richelieu.

Ainsi, le libertinage revêt-il un autre aspect, toujours lié à la lutte contre l’intolérance. La critique antithéologique du christianisme s’étend jusqu’à l’affirmation d’une nouvelle théorie du pouvoir. Les lectures de Machiavel, de Charron, de Pline, de Plutarque ou de Cicéron acquièrent des valeurs stratégiques. La remise en cause de l’organisation politique et sociale n’est pas gratuite. Elle s’accompagne de solutions pour obtenir l’entente sociale : remplacer les valeurs conventionnelles par de véritables valeurs reposant sur les lois naturelles et sur le consentement mutuel.

La bourgeoisie cultivée abrite donc un libertinage érudit, d’une érudition polémique, dont les thèmes principaux se transformaient en attitude intellectuelle (contre « la sotte multitude », les doctrines déistes) ou morale (contre l’anthropocentrisme, car la finalité de l’existence humaine se trouvait à leur avis dans la nature, et l’idéal de la vie innocente dans l’image des bêtes). Plus de croyance aux châtiments de l’Enfer, à l’immortalité de l’âme, à un Dieu rémunérateur ou vengeur. L’authenticité des prophéties et des miracles est remise en question. La négation du péché originel, et, par extension, de la religion vue comme instrument du pouvoir, l’idée du bonheur comme but de la sagesse et comme tranquillité de l’esprit, l’affirmation de la morale indépendante, toutes ces attitudes aboutissent à la seule conclusion que s’il existe Dieu, ce Dieu ne peut être que la Nature. La morale libertine anticipe la position de Nietzsche et de Dostoïevski de plus tard : « Dieu est mort, tout est permis ! ». Le refus de la religion catholique prend des accents fort virulents : le Christ est un imposteur, la Bible est une fable. L’apport important du libertinage érudit est la rupture définitive avec la conception théologique du monde et de Dieu. Dans son approche conceptuelle du mouvement libertin, Françoise Charles-Daubert relève trente et un thèmes dans « la structure thématique de la pensée libertine », thèmes regroupés sous trois chefs12 :

1. l’attitude intellectuelle des libertins (marquée par un sentiment de

supériorité à l’égard de la sotte multitude, déterminant le secret et des modes d’écriture spécifiques) ;

11 Voir O. Bloch, « L’héritage libertin dans le matérialisme des Lumières », in : 18e s., Paris, PUF, no. 24 / 1992, pp. 73-82. 12 Op. cit., pp. 133-144.

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2. la morale indépendante du sage (une sagesse toute humaine, réglée sur la nature, et rejetant la morale chrétienne) ;

3. critique antithéologique et critique des fondements du pouvoir. Ces conceptions ouvrent la voie à une philosophie et à une

métaphysique nouvelles. La dénonciation des dogmes et du fanatisme religieux, le scepticisme et le matérialisme souvent tâtonnant poussent les libertins à la recherche d’une morale patronnée exclusivement par la Nature. Cette désacralisation, cette négation même des valeurs religieuses représente l’aspect le plus choquant du libertinage du XVIIe siècle. L’intellectuel libertin, affranchi des conventions, des idées traditionnelles adhère au matérialisme. Il sait que l’avidité du savoir favorise le progrès et mène à l’extension de l’horizon culturel. Il croit que le monde fonctionne seulement selon les lois de la matière et que, pour comprendre l’univers, l’homme doit se servir exclusivement de la raison. Le libertinage érudit soutient que la prise de conscience excessive mène à l’égarement et à la souffrance. Un grand acquis du libertinage érudit est la découverte de l’altérité de l’individu et du relatif universel.

La défaite du libertinage érudit s’organise autour des frères Dupuy et de

l’Académie putéane en 1665. L’agressivité du libertinage de la première moitié du siècle se transforme en quiétisme pessimiste dans la seconde. René Pintard insiste sur le manque d’unité du libertinage érudit. Les rationalistes libertins n’osent pas trancher net, assumer jusqu’au bout leur doctrine, s’égarant dans « un cercle de contradictions »13. Le libertinage du XVIIe siècle a ses penseurs, ses poètes et ses romanciers, mais aussi ses « originaux » : Damien Miton (1618-1690) possédé par la passion du jeu ; Claude de Chouvigny, baron de Blot (1605-1655), auteur des chansons anticonformistes ; Claude Le Petit (1639-1662), poète athée, grand spécialiste des sujets scabreux (Bordel des Muses, 1663, Paris, Madrid ridicules), finit effectivement brûle sur la Place de Grève ; Colletet et Racan, d’autres poètes occasionnellement licencieux. Même si le libertinage érudit a revêtu plusieurs facettes (rationalisme critique chez Gassendi, épicurisme moral et érudit chez G. Naudé et E. Diodati, athéisme matérialiste et scepticisme radical chez La Motte Le Vayer), les réflexions constantes de ses penseurs ont porté sur la raison critique, la religion et la nature et l’effort constant de l’homme de rechercher toutes sortes de plaisirs pour son épanouissement sur terre. L’abbé de Chaulieu, le marquis de la Fare et Mme Deshoulières sont les derniers libertins du XVIIe siècle qui arrivent à un

13 Le libertinage érudit…, éd. citée, pp. 569-571.

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nouvel hédonisme chrétien dont le but est d’atteindre la volupté justement grâce au contrôle des désirs et des excès de toutes sortes14.

La pensée libertine du XVIIe siècle est transposée dans la littérature du siècle sous diverses formes. Elle fait sentir sa présence surtout dans le roman, mais on trouve aussi son expression dans les chansons érotiques et le théâtre. Le libertinage prend la forme d’un épicurisme mondain, raffiné dans la poésie galante et burlesque de Saint-Amant et d’Assoucy ou d’une alacrité provocatrice dans le roman satirique de Sorel (Francion, 1626) et dans le roman burlesque de Cyrano de Bergerac cité supra, dans la tradition des grivoiseries des fabliaux médiévaux. Écrire libertin n’est pas encore un exercice de style ou un pari avec le genre, mais une preuve de la libre-pensée philosophique, spécifique au libertinage érudit et critique. Bayle et Fontenelle (1657-1757) condamnent les libertins, mais leur critique est masquée, les auteurs glissant dans leurs ouvrages des développements subreptices et des passages clandestins du savoir15. La Fontaine aussi risque trop dans ses contes libertins. À l’opposé, Bossuet et Pascal sont deux adversaires redoutables de la pensée libertine matérialiste et déiste.

La littérature de cette période ne connaît pas trop de productions choquantes. La hardiesse de la pensée libertine se cache sous l’allusion, la citation d’autorité des humanistes, préfère le sous-entendu, la parabole, l’art du syllogisme détourné, l’usage de l’ironie et de la dérision. Elle se dissimule dans des écrits sur les procès des religions antiques, des sociétés révolues. Antoine Hamilton, écrivain irlandais d’expression française, concilie raison et libertinage. Il écrit en 1704, dans ses Mémoires du comte de Gramont que « pourvu que la raison conserve son empire, tout est permis » et que « c’est la manière d’user des plaisirs qui fait la liberté ou la débauche ».

Ce n’est que sous la Régence que les productions littéraires libertines commencent à proliférer de manière systématique. Dans la seconde moitié du siècle, aux antipodes du libertinage érudit, se développe une littérature plus érotique, plus crue : L’École des filles ou la Philosophie en chemise, 1655,

14 Voir W. Perkins, « Le libertinage de quelques poètes épicuriens à la fin du XVIIe siècle », in : Laclos et le libertinage, libertinage (1782-1982), actes du Colloque de Chantilly, Paris, Presses Universitaires de France, 1983, pp. 21-47. 15 Fontenelle est un déiste célèbre. Il récuse le Dieu de La Bible dont l’existence implique trop de contradictions comme l’existence du mal, le péché originel, l’imperfection des créatures, etc., mais il admet celle d’un Être suprême. Ses conceptions s’épanouiront au XVIIIe siècle : Robespierre et les révolutionnaires de 1789 voueront un culte à cet Être suprême.

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considérée comme « le premier roman d’apprentissage libertin »16) ; Vénus en rut ou la Religieuse en chemise, 1672 (anonyme) retrouvable aussi dans la variante publiée par Barrin, Vénus dans le cloître ou la Religieuse en chemise ou Le Rut ou la Pudeur éteinte, 1676, de P.C. de Blessebois, etc.

La critique littéraire s’accorde à identifier dans le théâtre de Molière le modèle du libertin du XVIIe siècle. Un an après l’interdiction de Tartuffe où Molière avait lancé le type du faux dévot, de l’hypocrite, en 1665, dans Dom Juan, l’auteur reprend une intrigue à la mode, l’histoire d’un débauché foudroyé par la colère divine, où le personnage central représente une alliance incroyable d’immoralité et d’incroyance17. Pour Paul Bénichou, Dom Juan est la figure type du libertin, « issu du divorce récent de la mentalité noble et de la religion ». Dans ce sens son émancipation morale, à une époque où les dogmes, les prescriptions et les interdits catholiques ostracisaient l’individualité, est exemplaire18.

Malgré sa plasticité, le mythe de Don Juan s’effondre à partir du XVIIIe siècle. Au cours de son évolution historique, Don Juan a tendance à se transformer en thème de héros. L’offenseur de Dieu se banalise et devient au 16 J-M. Goulemot, Ces livres qu’on ne lit que d’une main. Lecture et lecteurs de livres pornographiques au XVIIIe siècle, Aix-en-Provence, Alinéa, coll. « De la pensée », 1991, p. 24. 17 Même face à la mort imminente, Dom Juan refuse de se repentir, de croire au surnaturel, montre sa fermeté d’âme (voir acte V, scène 5). Le personnage est un modèle exemplaire de libertin de cour, de mœurs, d’esprit « grand seigneur, méchant homme » selon la caractérisation de son valet, Sganarelle. Le valet ignorant et superstitieux est scandalisé par son maître, railleur du ciel. Il fait même allusion aux sacrilèges du libertin qui, pour soutenir ses thèses au sujet de l’âme des bêtes, marierait les chats et les chiens. La fameuse tirade de l’acte Ier, scène II traduit brillamment la profession de foi d’un séducteur. De même, la scène suivante (scène III) présente une situation d’affrontement amoureux (entre Dom Juan et Done Elvire, son épouse qu’il a enlevée du couvent sans remords). Il l’abandonne après le mariage sous le prétexte qu’il craint la vengeance divine et lui trouve de nouveau du charme sous l’habit religieux. Cette impiété est selon le goût du temps, et démontre le rôle diabolique du tentateur. Molière s’attaque aux croyances et à la morale commune, mais choisit de se mettre à l’abri contre la censure des cabales, de la compagnie de Saint-Sacrement grâce à une fin moralisante : à la fin de l’acte V, l’athée est puni par le Spectre du Commandeur qu’il avait tué. Il est foudroyé par le Ciel. 18 La caractérisation que Sganarelle fait à Don Juan est illustrative : « Sganarelle : - […] tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d’Épicure, un vrai Sardanapale [roi légendaire d’Assyrie, type du prince débauché et corrompu] […] Tu me dis qu’il a épousé ta maîtresse : crois qu’il aurait plus fait pour sa passion, et qu’avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne sert point d’autres pièges pour attraper les belles, et c’est un épouseur à toutes mains (acte Ier, scène I, p. 29) »

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XIXe siècle homme à bonnes fortunes, hommes à femmes. Le thème de Don Juan survivra au XVIIIe siècle chez l’Anglais Samuel Richardson, Crébillon fils, Restif de la Bretonne, Laclos et subira « des métamorphoses latérales », des glissements d’un genre à l’autre19.

Poétique du classicisme

Définition et caractéristiques du courant ; Le théâtre classique (les grandes règles, le héros, la tragédie, la comédie) ; Documents critiques à commenter ; Groupement de textes classiques

1. Définition et caractéristiques du courant

Le classicisme désigne une catégorie esthétique et une période historique, assimilée en France sous le nom de « siècle de Louis XIV » (selon Voltaire). Le mot s’impose au XIXe siècle, vers 1825, lors de l’affrontement des néoclassiques avec les romantiques pour désigner l’esthétique à laquelle s’opposait le romantisme naissant. Le terme dérive du bas latin classicus et signifiait à l’origine l’appartenance à la classe supérieure des citoyens, et ensuite, par extension, à celle des meilleurs auteurs, qui méritent d’être imités, et qui sont dignes d’être enseignés en classe. Dans ce sens, les auteurs classiques génèrent une norme et des œuvres canoniques. L’étude du courant classique doit prendre en considération des faits situés en amonts des productions littéraires et rapportés obligatoirement au mouvement baroque : l’évolution de la société, des mentalités, de la langue, la reconsidération de l’échelle des valeurs et de la sensibilité humaine, etc.

Au XVIIe siècle, on étiquetait de classique(s) le groupe d’auteurs promouvant une esthétique destinée à plaire à un public d’honnêtes gens. Cette esthétique proclame l’ordre et l’harmonie, la grandeur et la pudeur, la raison et l’analyse. Le concept entre dans de fortes oppositions temporelles et esthétiques: classicisme /vs/ baroque; classicisme /vs/ romantisme;

19 Sur le mythe de Don Juan voir : R Trousson, Thèmes et motifs, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles, coll. « Arguments et documents », 1981 ; F. Monneyron, « L’imaginaire du séducteur », in : RTG – XVIIIe siècle, no 44 / 1993, pp. 147-161 ; J. Rousset, Le Mythe de Don Juan, Paris, A. Colin, 1978.

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classique /vs/ moderne; classicisme /vs/ atticisme; classicisme /vs/ académisme.

Aux notions d’ordre, d’unité et d’harmonie, d’équilibre entre raison critique et affects, de grandeur et de mesure, la vulgate scolaire a ajouté les règles d’unité, propres au théâtre sur lesquelles se greffent les notions de bienséance(s) et de vraisemblance. Parmi ces critères variés de cette esthétique, c’est la valeur accordée à l’imitation de l’Antiquité qui anime le parti des Anciens dans la controversée Querelle des Anciens et des Modernes (fin du XVIIe siècle), ou à nouveau, le mouvement « néoclassique » (fin du XVIIIe siècle). Dans l’acception de la philosophie esthétique, le classicisme renvoie à l’Antiquité grecque (selon Hegel), à une forme d’art fondé sur la mesure et la raison, tandis que l’histoirien littéraire G. Lanson voit dans le classicisme l’époque de maturité du génie français (le Moyen Âge étant l’enfance, la Renaissance l’adolescence, et le romantisme le temps de déclin).

Curtius explique les deux sens du canon classique : d’un côté une norme autoritaire associant étroitement l’absolutisme esthétique à l’absolutisme politique autour de la notion de grandeur (prolongée jusqu’au sublime) ; de l’autre, le canon comme mesure et proportion harmonieuse, relative à la manière d’un auteur. La logique de la réception littéraire, dépendante de l’histoire sociale et du goût commun, attribue a posteriori à un écrivain le qualificatif de classique. Dans le domaine artistique le style classique se distingue par la simplicité et l’élégance des formes, par l’équilibre et la mesure, par le caractère rationnel. L’art classique est apollinien par la sérénité, la maîtrise de soi et l’harmonie.

L’unité morale, sociale et politique assurée par le règne du Roi Soleil, demandait son pendant dans le domaine des arts. L’absolutisme et la centralisation s’exercent sur la vie et l’esprit. Le principe de l’Etat fort, au-dessus de la noblesse et de la bourgeoisie s’était déjà imposé sous Henri IV. La situation intérieure est calme sous Louis XIV, les désordres sont éliminés, les tensions diminuées. En matière de religion, l’autorité du pape, le gallicanisme conduit au phénomène de laïcisation relative. L’autorité royale catholique impose une sorte de « paix religieuse » qui tolère le protestantisme. A la fin du classicisme, cette situation culmine avec la révocation de l’Edit de Nantes. Il naît un humanisme chrétien qui se caractérise par une foi modérée, dont le représentant de marque est François de Sales (Introduction à la vie dévote, 1609), humanisme qui tempère à la fois la spiritualité optimiste des Jésuite et pessimiste des Jansénistes ou des Augustins. Ce courant est secondé par le néostoïcisme hérité de la Renaissance et le rationalisme moral cartésien. L’honnête homme manifeste

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un détachement cartésien, il ne se laisse pas envahir par l’émotion, il garde ses distances pour juger, apprécier, goûter tout fait.

Le mot d’ordre est l’étiquette. Le roi revendique le monopole du mécénat artistique. La fondation des Académies: française (1635), des sciences (1666), de peinture et de sculpture (1648), d’architecture et de musique (1671), des inscriptions et belles-lettres (1663), témoigne de l’esprit rigoureux d’hiérarchiser les arts. Les artistes officiels (Le Brun pour la peinture, Lully pour la musique, Le Nôtre pour l’art des jardins, Molière pour les représentations théâtrales royales) travaillent de concert pour augmenter la gloire de Versailles, modèle de majesté et d’équilibre. Ce dirigisme impose donc des règles et des modèles. La censure tranche nettement entre bon et mauvais.

On sent le besoin d’une doctrine solide, valable pour tous les genres et tous les tempéraments. L’influence de la Poétique d’Aristote est considérable : le but de l’art est d’imiter la nature (la mimésis l’emporte sur la poiésis). Ce principe se conjugue à celui de la raison. Le principe fondamental de la doctrine classique est donc l’imitation des Anciens qui, paradoxalement, n’est pas considérée comme une preuve de faiblesse ou de pauvreté de l’inspiration. La Fontaine imite Esope, Racine suit Euripide ou Sénèque. L’imitation fonctionne comme une garantie de perfection, le passeport pour l’éternel et l’universel. Les classiques s’inspirent, à part la pensée d’Aristote, de celle d’Horace et de celle de Cicéron.

La nature humaine en général prime sur l’individuel (Les Caractères de La Bruyère présentent des portraits précis, mais c’est le type humain qui s’en dégage). L’exemplaire est plus important que l’original. L’idéal humain est représenté par l’honnête homme, homme du monde (homo socius) extrêmement raffiné, homme de cour, de « bon commerce ». Il sait faire preuve de mesure et de retenue. Tolérant dans ses idées, ouvert, curieux d’esprit, savant, il est maître dans l’art de la conversation (voir le traité de Nicolas Faret, L’Honnête homme ou L’Art de plaire à la cour, 1630).

Il se pose alors la question du rapport entre génie (comme don naturel de l’artiste) et art (comme ensemble des règles). Les théoriciens exigent à part le génie et la technique, des connaissances de l’histoire, de la politique, des sciences naturelles. Le génie ne suffit pas, il faut encore la maîtrise des techniques et des règles, donc de l’érudition. Tous les classiques réclament la nécessité des règles précises qui donnent la forme à l’œuvre d’art. À l’imitation bien ordonnée, fardée de la nature, de ce qui est beau en elle (ce qui est en effet une sorte d’idéalisation) s’ajoutent l’axiologie de la régularité et de la mesure, la raison, le bon sens, le jugement qui s’opposent en ce sens à l’imagination, au pur jeu de l’inspiration.

Les théoriciens du classicisme littéraire français sont :

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François de Malherbe, un puriste intransigeant que Boileau salue respectueusement : « Enfin Malherbe vint et, le premier en France…»);

Guez de Balzac (Lettres, 1624 ; Observations sur Le Cid, 1637) ; Vaugelas (Remarques sur la langue française utiles à ceux qui veulent

bien parler et bien écrire, 1647) ; Pierre Corneille (dans ses Discours et Examens, 1660) ; Nicolas Boileau (Art poétique, 1674)

Occasionnellement, d’autres écrivains, tels que Jean de Chapelain, Sarrazin (Discours sur la tragédie, 1639), François Maynard, Honorat de Bueil, seigneur de Racan, La Ménardière (Poétique, 1640) Vossius, G. Ménage, l’Abbé d’Aubignac (Pratique du théâtre, 1657), André Dacier (qui traduit en français la Poétique d’Aristote) ou Furetière (dans son Dictionnaire), expriment et argumentent leur credo classique. A la différence de la Pléiade, la doctrine classique n’est pas élaborée par des écrivains érudits, par des poeta doctus. On remarque à ce titre un clivage significatif entre les théoriciens et les créateurs, entre le côté « raison » et le côté « cœur ».

Le classicisme marque donc le triomphe des normes. La devise du

siècle devient INSTRUIRE et PLAIRE. Instruire par la peinture des vices, des passions, des sentences morales – dans le théâtre cela se traduit par la récompense finale des bons et le châtiment des méchants. Plaire, c’est « la grande règle de toutes les règles » (Molière, Critique de l’École des femmes), c’est amuser, divertir le roi et son peuple. Selon Corneille, le seul but de la tragédie est de plaire (d’où la Querelle du Cid) auquel Racine ajoute une autre : celui de toucher (Bérénice).

2. La poésie classique

Un autre problème central du classicisme est la langue, considérée depuis la Pléiade comme un point névralgique de la création poétique. Le baroque, en voie vers le classicisme, inclut la problématique linguistique dans les considérations esthétiques et sociales. Le débat porte notamment sur le style à adopter : le modèle cicéronien de la phrase ornée ou la syntaxe dépouillée des atticistes ou de Sénèque. En poésie, c’est François de Malherbe, poète-grammairien qui, à côté de Guillaume Var, s’érige en partisan de la simplification de la langue française. Il formule les principes linguistiques du classicisme : élimination des archaïsmes, des termes techniques, néologismes ou

provincialismes, des mots « inutiles » au nom du mot « juste » (à chaque objet il fallait correspondre un seul mot) ;

syntaxe claire ;

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versification soignée et harmonieuse : sans licence poétique ; avec une rime exacte pour l’oreille et pour l’œil ; sans rimes faciles ni intérieures ; interdiction de l’hiatus et de l’enjambement, des séries de monosyllabes, coïncidence de la censure avec le sens, etc.

La poésie est vue comme une discipline intellectuelle et technique. La conception de furor poeticus et de poeta vates de la Renaissance est abandonnée. Il s’agit de l’affirmation du rationalisme même dans le domaine poétique : « Un bon poète n’est pas plus utile à l’Etat qu’un bon joueur de quilles ». La doctrine classique n’est pas propice à la poésie. Le plus grand poète de la période, La Fontaine, échappe à son carcan. On cultive ponctuellement : l’épopée, conformément à la tradition antique, en combinant les qualités

épiques et lyriques avec de vastes connaissances mythologiques et historiques ; le sujet est lui aussi tiré de l’histoire, les personnages sont illustres, le lieu et le temps sont éloignés, l’action, guerrière ; l’épopée est structurée en 4 parties : proposition, invocation (aux dieux et à Dieu), narration, dénouement.

l’ode exigeait la noblesse de ton ; elle était cependant ouverte à la diversité thématique ;

l’épître, caractérisée par ouverture et élégance ; l’idylle, l’élégie, la satire : genres mineurs où le sujet est déterminant ;

A côté de ces espèces, on cultive encore les genres précieux : le

rondeau, le madrigal, la ballade et l’épigramme, etc. Rappel

Le classicisme, c’est : l’ordre et l’harmonie ; l’équilibre et la mesure ; la grandeur et la pudeur ; la raison et l’analyse ; la simplicité et l’élégance ; l’unité et la maîtrise de soi ; l’éternel et l’universel ; le triomphe des normes ; le respect des règles immuables, des bienséances et de la vraisemblance; l’imitation de l’Antiquité latine et grecque ; la nature humaine exemplaire (l’honnête homme).

3. Le théâtre classique

Entre 1630 et 1660 se précisent les grandes règles du théâtre classique, théâtre de la mesure, brillamment illustré par les comédies de

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Molière, les tragédies de Racine et de Pierre Corneille, par le théâtre de Thomas Corneille et de Philippe Quinault.

3.1. La règle des trois unités L’unité d’action

Cette règle est énoncée par Aristote et raffinée par Corneille. Elle s’impose tard, vers 1650. Elle est la conséquence logique des conditions de la représentation théâtrale, demande la limitation du nombre des événements étant donné les limites temporelles de la pièce. À la concentration de l’action s’ajoute l’exigence de mettre en scène un sujet principal. A un héros doit correspondre une seule action. En même temps, le parallélisme entre l’action principale menée par le protagoniste et les intrigues secondaires centrées sur les confidents de celui-ci offre des potentialités dramatiques remarquables. Exemple : dans Polyeucte de Corneille dont le seul sujet est le conflit entre l’amour divin et l’amour humain. Racine représente dans ses pièces seulement la crise finale. Les sujets secondaires doivent être étroitement liés au sujet principal. Corneille ajoute l’unité d’obstacle dans la comédie et l’unité de péril dans la tragédie.

L’action doit être puisée dans l’histoire romaine ou dans la légende grecque. À l’action simple s’oppose l’action implexe (avec péripéties et reconnaissance).

L’unité de temps

À peu d’événements correspond logiquement peu de temps du déroulement de l’action. Il se pose alors le problème de la coïncidence entre le temps de l’action fictive et le temps réel vécu par le spectateur. La durée sera réduite au minimum possible, même à quelques heures. L’important est de saisir le moment du déclenchement de la crise tragique.

L’action ne doit pas excéder 12, 24 ou 36 heures. Exemple : Horace de Corneille. Les événements manquants (les voyages, les combats, les déplacements, les duels) seront relatés par le fameux récit de la tragédie classique.

L’unité de lieu

Cette règle demande une seule scène, un seul lieu, un seul décor. Elle entre en vigueur vers 1650 seulement. La tragédie recommande comme lieu une salle de palais indéterminée, la comédie, une pièce de maison bourgeoise ou un carrefour de rue pour suggérer le statique et l’abstrait. Aucun changement de décor n’est toléré. Contre-exemple : Le Cid de Corneille ne respecte pas cette unité, l’action se passe dans quatre lieux

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différents : dans le palais du roi, dans la maison de Chimène, dans la maison de Rodrigue et dans une place publique. Selon la conception de Corneille, il pouvait s’agir des lieux où les personnages étaient capables de se rendre en 24 heures. À ces trois unités s’ajoute une quatrième, la plus importante peut-être parce que les trois autres en découlent : l’unité de ton qui exclut le mélange des genres. L’unité de ton se réclame d’Horace (l’épître Ad Pisones). Le théâtre régulier rejette la tragi-comédie, ce genre intermédiaire qui présente une action tendue et une fin heureuse. 3.2. Les bienséances

Elles désignent la qualité de ce qui sied bien (quod decet). La

bienséance est une valeur sociale qui définit les limites à l’intérieur desquelles doit se tenir l’honnête homme. Celles-ci vont du vêtement ou du langage à l’agrément en société et à la moralité. Son équivalent aristotélicien est la convenance aux mœurs, ses équivalents latins sont l’aptum, le décorum et l’urbanitas.

Cette notion répond à l’exigence classique de la modération et du juste milieu. Les bienséances assurent l’harmonie entre l’œuvre et le public. Le théâtre doit exclure ce qui pourrait blesser les conceptions / les convenances morales du public, éliminer les spectacles sanglants, les duels, les scènes de torture, les propos indécents, les scènes de repas. Les bienséances imposent un voile pudique qui couvre les attitudes, les gestes et les paroles des acteurs sur la scène, des gens dans la société. La constance des caractères est aussi une exigence des bienséances. Elles servent de pierre de touche à la critique de l’esthétique classique. Au nom de la décence, le classicisme rejette l’excès, le monstrueux qui plaisait tellement au courant baroque.

3.3. La vraisemblance

Selon Aristote, le poète est censé raconter ce qui pourrait arriver,

c’est-à-dire les événements imaginaires, mais crédibles. Ce n’est pas le réel, non ce qui a pu se passer, mais ce qui pourrait se passer.

Ce concept peut être envisagé de deux points de vue : interne et externe. Du point de vue interne, une œuvre est vraisemblable lorsque son intrigue ne laisse pas une place abusive au hasard (dans ce sens la vraisemblance est liée à la prévisibilité du récit). Du point de vue externe, une œuvre est perçue comme vraisemblable quand les lieux, faits ou personnages « ressemblent » ou sont conformes à la réalité sociale et culturelle de l’époque. La vraisemblance est donc liée à l’idée de crédibilité. Elle fonde le

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« pacte de lecture », selon lequel un texte est jugé recevable, réaliste ou fantaisiste. Dans ses pièces, Corneille fait exception au sujet de cet impératif.

3.4. Le héros classique La tragédie classique ne met en scène que de hauts personnages en suivant la règle d’Aristote qui définit le héros comme une personne ni franchement vertueuse, ni totalement monstrueuse. Racine dit :

Il faut qui ce soit un homme qui soit entre les deux, c’est-à-dire qui ne soit point extrêmement juste et vertueux, et qui ne mérite point aussi son malheur par un exces de méchanceté et d’injustice; mais il faut que ce soit un homme qui par sa faute devienne malheureux et tombe d’une grande félicité et d’un rang très considérable dans une grande misère. »20

Le héros classique ne doit pas être criminel, disait Aristote dans sa Poétique : « ni trop vertueux, ni trop juste ». Corneille croit que le héros peut être un innocent qui tombe dans l’infortune ou un méchant malheureux.

Le héros tragique est glorieux par la naissance. Il est grandiloquent et pathétique. Héros mythologique, roi ou prince, sa haute condition est inséparable du genre. Il implique jusque dans ses passions les affaires de la Cité. La dignité l’affecte indubitablement. Soumis à la fatalité des dieux, le héros tragique fait cependant preuve d’une liberté d’intervention (ou volonté) qui met en cause le cours de son destin et fait apparaître à sa conscience la faute à châtier. Le héros cornélien suscite l’admiration. Chez Racine, Phèdre, incapable de dominer sa nature, s’inflige la mort pour avoir cédé aux tentations de Vénus, et Hippolyte paie de sa vie le crime d’aimer celle qui modifie l’ordre dynastique d’Athènes (la princesse Aricie). L’apport de Racine à la doctrine classique est justement cette peinture des passions qui se fait avec délicatesse et intensité sentimentale. Le héros racinien suscite l’émotion : il assiste impuissant à la défaite de sa volonté. Molière se présente comme un cas à part : il se moque des règles, mais il les respecte en général. Après 1660, c’est la notion de goût qui l’emporte sur les fameuses règles.

20 Œuvres complètes de Racine, Paris, Ed. R. Picard, Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, cité par Couprie, Alain, Lire la tragédie, Paris, Nathan, 2001, p.89.

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3.5. La tragédie

Aristote définissait la tragédie comme suit :

La tragédie est [...] l’imitation d’une action noble, conduite jusqu’à sa fin et ayant une certaine étendue, en un langage relevé d’assaisonnements dont chaque espèce est utilisé séparément selon les parties de l’œuvre; c’est une imitation faite par des personnages en action et non pas par le moyen d’une narration, et qui par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre21.

Les Doctes codifient strictement la tragédie à la suite de la Querelle du Cid. La tragédie doit avoir un caractère cérémonial : une action simple et noble, une langue poétique et majestueuse (donc un langage soutenu), elle sera écrite en vers (1500-2000) et comportera cinq actes séparés par des entractes et divisés en scènes (y compris des scènes secondaires ou de transitions vers les grandes scènes), toute la structure présentant une exposition, une progression de l’action dramatique et un dénouement obligatoirement malheureux (la mort des héros). Les sujets modernes sont exclus.

Le but de la tragédie est la catharsis (la purgation des passions). Ce but est donc purificateur et initiateur. L’admiration et l’amour sont des passions nobles. Des deux passions cathartiques d’Aristote (terreur et pitié), seule la pitié est acceptée comme bienséante. La terreur est exclue au XVIIe siècle, la pitié apparaît seulement chez Corneille. Les grands thèmes de la tragédie ancienne sont encore présents au XVIIe siècle : le thème de la révolte (Horace), de l’opposition à des forces adverses (Andromaque), de la fatalité (Phèdre). L’action dynamique évolue vers l’intériorisation psychologique et vers l’analyse lucide des sentiments. L’aventure exceptionnelle doit s’inscrire dans l’universel.

Les obstacles sont intérieurs et extérieurs ; il y a de vrais obstacles (les dilemmes) ou de faux obstacles (les quiproquos).

21 Aristote, Poétique, Paris, Ed. M. Magnien, collection « Livre de poche classique », 1990, p. 110.

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3.6. La comédie

La comédie n’est pas soumise à des règles strictes. Elle est influencée par la commedia dell’arte italienne (personnages typés par leur costume et leurs masques – Arlequin, Scaramouche, Polichinelle, Pierrot), pleine de bouffonneries improvisées et de jeux de mots, de jeux d’esprit, par la comédie des mœurs et d’intrigue de type espagnol. L’intrigue de la comédie profite de la farce qu’elle rend conforme à l’esprit classique, elle gagne en cohérence, se simplifie. La langue s’épure.

Sa structure est en général la suivante : acte I (l’exposition), acte II, III, IV (les péripéties), acte V (le dénouement heureux, optimiste ou ambigu parfois : les bons sont récompensés, les ridicules échouent, les amoureux se marient). La comédie n’exclut pas les interventions merveilleuses (deus ex machina). Du point de vue de l’action, le personnage est un acteur, un individu qui a un procès principal à résoudre. Les personnages sont des bourgeois banals, ordinaires se caractérisant par leur discours théâtral (dialogue, monologue, aparté).

La comédie tire ses sujets de la vie privée. Les ressorts de l’intrigue sont l’argent, la santé, le mariage, la peinture des réalités quotidiennes. La comédie fait rire du ridicule des hommes, de leurs défauts moraux à l’aide d’un comique de mots, de gestes, de situations, de mœurs, de caractères. Les procédés comiques sont : l’exagération, la répétition, les déformations, les inventions, les décalages (qui sont une source inépuisable d’ironie), le mélange de tons, les sous-entendus (les allusions).

La grande comédie est une espèce englobante à signification « sérieuse » : mélange de comédie d’intrigue (climat hilarant et fantaisiste), comédie de caractères (obsessions, manies humaines), comédie de mœurs (satire réaliste contemporaine). Son rôle est manifestement moral. L’adage latin Ridendo castigat mores est traduit en français par Corriger les vices des hommes par la vertu du rire, commenté et expliqué par Molière (Préface de Tartuffe).

La comédie classique coexiste avec ses pendants baroques : la comédie-ballet, les ballets de cour, les divertissements royaux, l’opéra. Molière donne dans Dom Juan l’exemple typique de mariage entre la thématique baroque et celle classique : farce autour du valet Sganarelle, parodie de la pastorale autour des paysans, comédie de mœurs, ton soutenu de la tragédie, emploi des machines destinées à créer le merveilleux chrétien.

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4. Le genre romanesque classique L’œuvre de Mme de La Fayette (La Princesse de Montpensier, 1662 ; La Princesse de Clèves, 1678) montre la continuité entre le nouveau roman classique et le roman précieux. Dans le roman classique l’intrigue amoureuse du roman précieux-héroïque en est toujours la base. Toutefois, l’action romanesque tend à la réduction et à la simplification autour d’une intrigue unique. D’amoureuse, elle devient psychologique. L’histoire n’est plus placée dans un ailleurs romanesque, mais dans un décor historique réel (v. La Princesse de Clèves). En 1669 paraissent anonymement les Lettres portugaises. L’auteur en est Guilleragues magistrat et diplomate français. C’est un premier roman épistolaire monodique, une mystification littéraire (l’auteur se donne pour un simple traducteur), qui se présente comme des lettres écrites par une religieuse de Béjà, Mariana da Costa Alcoforado au comte de Charmilly, un officier qui avait séjourné au Portugal entre 1661 et 668. 5 lettres d’amour orchestrées comme une pièce dramatique composent l’histoire d’un amour malheureux. L’introspection et l’analyse des passions apportent un nouveau souffle dans un domaine saturé de préciosité. C’est l’une des œuvres les plus modernes des lettres françaises du XVIIe siècle. Jean de la Bruyère rédige ses Caractères qui, publiés en 1668, font scandale mais suscite aussi l’intérêt du public. Les Caractères de Théophraste, traduits du grec, avec les Caractères ou les Mœurs de ce siècle se présentent modestement, en accord avec l’esthétique du classicisme, comme un complément et une imitation du philosophe grec. Cependant, l’entreprise de La Bruyère est originale : l’auteur renoue avec la tradition moraliste française (les maximes) et l’esprit cultivé des salons mondains (les portraits). Les Caractères sont une œuvre hétérogène : un mélange de maximes, réflexions, essais, portraits, scènes, dialogues, regroupés en 16 chapitres qui suivent la logique d’une progression thématique (« Du mérite personnel » ; « Des femmes » « Du Cœur » ; « De la Ville » « De la société et de la Conversation », etc.). Au centre de l’œuvre se trouvent les chapitres consacrés aux élites sociales, à la cour et au roi sur lesquels l’écrivain jette un regard critique. Fénelon, adepte du quiétisme, écrit des ouvrages littéraires à but pédagogique dont Télémaque (1699) est un grand roman révolutionnaire qui annonce les tendances de l’âge des Lumières. La pédagogie s’y mêle à la réflexion philosophique et politique. Louis XIV y voit la satire indirecte de son règne. A leur tour, d’autres écrivains classiques de fin de siècle réorientent la pensée française : Pierre Bayle (Pensées diverses sur la

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Comète, 1682), Fontenelle (L’Histoire des oracles, 1686 ; Entretien sur la pluralité des Mondes, 1686)) 5. Documents critiques à commenter Exercice : Lisez les textes suivants et commentez-les.

La modernité « classique »

De l’Antiquité, les théoriciens du classicisme veulent conserver les valeurs les plus précieuses. Ils gardent le culte des Anciens et s’opposent très vivement à ceux qui prétendent rompre avec le passé. Mais il s’agit d’un culte éclairé et qui se tient à l’essentiel. La fidélité des humanistes leur semble superstition […] Nos écrivains parlent avec mépris de ceux qu’ils appellent les philologues, ou plus brutalement, les pédants, et qui sont, en fait, les fidèles tenants de l’humanisme […]

Une interprétation des littératures antiques s’élaborait donc, et gagnait l’ensemble des esprits cultivés. L’Antiquité, ce n’était pas sans doute Pindare, dont les hardiesses rebutaient. Ce n’était pas non plus Eschyle, ni aucun des génies dont l’œuvre résistait décidément trop étrangère aux mœurs, aux croyances, aux goûts de la France moderne. Mais ce n’était pas non plus les auteurs de la décadence latine, où les baroques trouvaient leurs modèles. C’était Homère, c’étaient Virgile et Térence, c’était Horace. C’était, pour les esprits les plus libres et les plus délicats, l’auteur du Satiricon. Les formules employées alors par nos écrivains nous aident à comprendre l’idée qu’ils se font des littératures anciennes. Ils parlent de la « belle Antiquité » et de son parfum. Ils admirent son « élégante simplicité », son sens de la fine plaisanterie, la « naïveté » de son art […]

Ils sont donc nettement des « modernes ». Mais ils le sont à leur manière, qui n’est pas du tout celle des baroques. S’ils veulent que le poète écrive pour son temps, s’ils lui interdisent de s’enfermer dans l’aveugle adoration des anciens, ils n’en restent pas moins fermés aux extravagances. Ils n’ont que mépris pour les ingéniosités excessives, pour l’enflure, ils tiennent que le poète se tienne étroitement attaché à la raison, à la vérité, à la nature. Ils croient que l’œuvre d’art ne vaut rien que par son unité. Ils aiment, parmi les écrivains latins, ceux-là seuls qui ont pratiqué ces maximes […] (Antoine Adam, Littérature française. L’Âge classique, tome I, 1624-1660)

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Tragique et tragédie

L’unique sujet de la tragédie, c’est le dialogue de l’homme avec ce qui le passe – et parfois ce peut être avec lui-même. Car l’homme ne se satisfait pas de l’existence qui lui est donnée. Il lui faudrait, pour être soi-même, connaître le monde et se connaître, aimer le monde et s’aimer, et découvrir entre ce monde et lui une harmonie. Il ne trouve que vérités partielles, ou mensonge, ou illusion. Il est entouré d’un univers apparemment hostile. La laideur et la disconvenance lui paraissent triompher dans la nature, dans la société et dans son propre cœur. Aussi revendique-t-il. Aussi est-il, au sens le plus noble du mot, un révolté.

La tragédie, en effet, suppose l’acte. Le héros tragique entend s’affirmer dans le présent d’une action, fût-elle désespérée. Il n’existe que dans la mesure où il refuse d’être condamné seulement parce qu’il est homme, et veut mériter sa mort ou sa grâce par un acte libre. Il n’est jamais une victime, s’il consent parfois à être un vaincu […] De fait, le conflit tragique est toujours celui de l’humain et du divin, l’un tendant à rejoindre l’autre dans un dépassement héroïque qui lui permet de s’affirmer dans le refus, la soumission, ou l’adhésion enthousiaste. Crise décisive, au cours de laquelle le héros passe de l’existence à l’être, et se fixe à jamais dans une attitude exemplaire […]

(Jacques Morel, La Tragédie) Rappel

Les genres se définissent en fonction de cinq coordonnées : l’origine sociale des personnages, la possibilité d’exercer leur liberté (rôle de la fatalité, du hasard, force des obstacles), le ton général de la pièce, le ton du dénouement et les réactions des spectateurs. Le tableau qui suit présente les caractéristiques du chaque genre théâtral pratiqué à l’époque du classicisme.

Genres Origine des personnages

Exercice de la liberté

Ton de la pièce

Ton du dénouement

Réaction des spectateurs

Tragédie Haute noblesse

de gouvernement

Force de la fatalité Tendu

Malheureux, parfois heureux

Pitié et admiration

Tragi-comédie

Noblesse ou haute

bourgeoisie

Liberté et hasard Tendu Heureux

Sympathie

Comédie d’intrigue

Noblesse ou bourgeoisie

Obstacles individuels facilement

surmontables

Élevé, parfois tendu

Heureux

Curiosité, sympathie

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Comédie de mœurs

Bourgeoisie

Emprise de la société

Gai, parfois tendu

Heureux

Intérêt, moquerie envers les ridicules

Comédie de caractères

Bourgeoisie

Emprise du caractère

Gai, parfois tendu

Heureux

Intérêt, moquerie envers les ridicules

Farce Peuple Obstacles

insignifiants

Gros comique

(des gestes)

Heureux Gros rire

6. Groupement de textes classiques

Pierre Corneille (1606-1684) Courte biographie. Il naît à Rouen dans la rue de la Pie, le 6 juin 1606. Son père, maître particulier des eaux et forêts, est anobli en 1637, grâce à l’éclatant succès du Cid. Il est l’aîné de sept enfants. Il fait ses études au Collège des Jésuites où il tourne agréablement des vers latins. A la sortie du collège, il étudie le droit et se fait recevoir avocat (1624). Il ne plaide qu’une fois : son bredouillement naturel, ses manières embarrassées, son peu de

goût pour les affaires le font renoncer au barreau. Il avait le visage agréable, la physionomie vive, les yeux pleins de feu mais la conversation lourde. Il connaît quatre grandes périodes dans sa carrière dramatique :

1. celle des débuts (de Mélite jusqu’au Cid ; 1629-1636). Corneille, guidé par son bon sens, réagit contre la funeste influence de ses devanciers, essaie de simplifier l’intrigue et de rendre les événements plus naturels. Le style est souvent précieux, mais vif et ferme. Rien ne blesse la pudeur. Sa gloire naissante attire l’attention de Richelieu avec lequel il se brouille. L’Illusion comique, empruntée au théâtre espagnol, est un digne prélude du Cid. Le rôle du capitaine, matamore vantard et hyperbolique, est remarquable.

2. celle des chefs-d’œuvre, commencée par Le Cid : 1637-1652. Le grand poète éclipse tous ses rivaux. Ses critiques sont blessés dans leur amour-propre et l’attaquent avec violence. Il donne pourtant

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Horace et Cinna. Après Nicomède, mal reçu, il en est affligé vivement et renonce au théâtre.

3. celle de la retraite (1653-1659). A 46 ans, Corneille quitte la carrière dramatique, après être reçu, assez tard, à l’Académie française (1647). Il se retire à Rouen et ne compose plus aucune pièce de théâtre. Il se livre à la piété.

4. celle du déclin (1659-1684). À 53 ans, Corneille sent se réveiller sa verve et son génie et écrit Œdipe, Sertorius, Sophonisbe, Attila, Tite et Bérénice, Psyché, Suréna, etc. La critique croit que le grand Corneille a le malheur de survivre à son génie. Le public n’était plus pour lui. Racine avait conquis ses suffrages. Andromaque éclipse Attila et Corneille en est jaloux. Les échecs successifs l’humilient. Il meurt pauvre après avoir vendu tous ses biens.

Œuvres et système dramatique : Mélite (comédie, 1629) ; La Galerie du Palais (comédie, 1632) ; L’Illusion comique (comédie, 1636) ; Le Cid (tragi-comédie, 1637) ; Horace (tragédie, 1640) ; Cinna (tragédie, 1641) ; Polyeucte (tragédie, 1642) ; Rodogune (tragédie, 1645) ; Nicomède (tragédie, 1651) ; Œdipe (tragédie, 1659) ; Sertorius (tragédie, 1662) ; Suréna (tragédie, 1674).

Corneille a réellement contribué à la fondation de la tragédie française en donnant Le Cid et la comédie, en composant Le Menteur. Il suit deux modèles différents, les Anciens et les Espagnols. Les règles des Anciens le gênent, mais se soumet à leur poétique méticuleuse. Il compose des tragédies de caractères (qui dominent les événements : Le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte) et des tragédies d’intrigue (subordonnées aux situations). C’est un dramaturge fécond qui aborde une diversité de sujets, un poète tragique moral. L’héroïsme fait le fond du caractère de ses personnages qui ont à la bouche de grandes maximes. Ils argumentent et raisonnent avec subtilité. On lui a reproché que ses personnages sont trop parfaits pour être vraiment humains. Le style de Corneille est tour à tour sublime et familier, selon la condition et le caractère du personnage. Les tirades et les dialogues ont une vivacité et une énergie sans égales. Pour susciter l’admiration du spectateur, Corneille jette ses personnages au milieu des situations extrêmes d’où ils sortent vainqueurs. Chez lui, les situations font les caractères. Le registre stylistique de Corneille comprend l’ampleur de la grandiloquente phrase rhétorique, ainsi que le ton lyrique et la tendresse qui caractérisent la tragédie-ballet.

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Sur Le Cid : La pièce connaît un succès immense. Elle provoque une vraie

dispute à l’époque. Elle s’inspire pour l’action de l’Espagnol Castro, Les Enfances du Cid (La jeunesse du Cid). Le sujet est vraiment dramatique : Rodrigue et Chimène s’aiment d’un amour pur et fort, ils se trouvent divisés : l’un, pour venger l’honneur de son père, tue le père de son amante ; l’autre, pour venger la mort du sien, est obligée de poursuivre son amant. Tout en se combattant, ils ne peuvent s’empêcher de s’aimer. L’action est noble, simple, régulière. Les caractères sont élevés et vigoureusement tracés, les passions fortement exprimées. Le style est noble, vif, concis, énergique. Pas de bassesse et de trivialité du langage comme dans les pièces baroques. Toutes les péripéties naissent de la lutte entre le devoir (l’honneur) et la passion amoureuse. Rodrigue offre l’idéal d’un preux chevalier, jeune et impétueux, loyal et fier, vaillant et tendre. Chimène est tout aussi héroïque. Elle recourt à la subtilité et au sophisme pour s’encourager à accomplir son devoir, pour cacher sa passion (voir la fameuse litote : « Va, je ne te hais point ! »). C’est une tragi-comédie qui n’obéit pas à la fameuse règle des trois unités : il y a bien unité d’action, mais pas d’unité de lieu, ni unité de temps. C’est encore une pièce fort romanesque, pleine de drame pittoresque. Il y a beaucoup d’invraisemblances et de caractères superflus. Les stances lyriques traditionnelles alternent aux stichomythies.

La tirade de Don Rodrigue (Le Cid, acte I, scène 6)

Percé jusques au fond du cœur D’une atteinte imprévue, aussi bien que mortelle, Misérable vengeur d’une juste querelle, Et malheureux objet d’une injuste rigueur, Je demeure immobile, et mon âme abattue Cède au coup qui me tue. Si près de voir mon feu1 récompensé, Ô Dieu, l’étrange peine ! En cet affront mon père est offensé, Et l’offenseur le père de Chimène ! Que je sens de rudes combats ! Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse2. Il faut venger un père et perdre une maîtresse. L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras. Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme, Ou de vivre en infâme,

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Des deux côtés mon mal est infini. Ô Dieu, l’étrange peine ! Faut-il laisser un affront impuni ? Faut-il punir le père de Chimène ? Père, maîtresse, honneur, amour, Noble et dure contrainte, aimable tyrannie, Tous mes plaisirs son morts et ma gloire ternie. L’un me rend malheureux, l’autre indigne du jour. Cher et cruel espoir3 d’une âme généreuse, Mais ensemble4 amoureuse, Digne ennemi de mon plus grand bonheur, Fer qui cause ma peine, M’es-tu donné pour venger mon honneur ? M’es-tu donné pour perdre Chimène ? Il vaut mieux courir au trépas. Je dois à ma maîtresse aussi bien qu’à mon père : J’attire en me vengeant sa haine et sa colère ; J’attire ses mépris en ne me vengeant pas. À mon plus doux espoir l’un me rend infidèle, Et l’autre indigne d’elle. Mon mal augmente à le vouloir guérir ; Tout redouble ma peine. Allons, mon âme ; et puisqu’il faut mourir, Mourons du moins sans offenser Chimène. Mourir sans tirer ma raison5 ! Rechercher un trépas si mortel à ma gloire ! Endurer que l’Espagne impute à ma mémoire ! D’avoir mal soutenu l’honneur de ma maison ! Respecter un amour dont mon âme égarée Voit la perte assurée ! N’écoutons plus ce penser suborneur6, Qui ne sert qu’à ma peine. Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur, Puisqu’après tout il faut perdre Chimène. Oui, mon esprit s’était déçu. Je dois tout à mon père avant qu’à ma maîtresse : Que je meure au combat, ou meure de tristesse, Je rendrai mon sang pur comme je l’ai reçu. Je m’accuse déjà de trop de négligence : Courons à la vengeance ;

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Et tout honteux d’avoir tant balancé, Ne soyons plus en peine, Puisqu’aujourd’hui mon père est l’offensé, Si l’offenseur est père de Chimène.

Notes : 1le feu de l’amour (image précieuse) ; 2prend parti ; 3il s’adresse à son épée ; 4en même temps ; 5sans demander réparation ; 6cette pensée qui détourne du devoir. Repères pour l’étude du texte

Analysez les champs lexicaux dominants. Démontrez que cette tirade illustre le fameux dilemme cornélien.

Relevez les aspects baroques et classiques de ce monologue tragique et de la pièce tout entière.

Étudiez les étapes de la réflexion et la façon dont se dégage progressivement le choix final. Sur Horace :

Le sujet simple de cette tragédie est tiré du récit que fait Tite-Live du combat des Horaces et des Curiaces. La tragédie fut dédiée à Richelieu. Rome et Albe sont en guerre. Sabine est originaire d’Alba, mais elle est devenue romaine par son mariage avec Horace. Camille, sœur d’Horace, est fiancée avec Curiace. Une trêve vient d’être conclue : trois champions, choisis dans chacun des deux camps, combattront seuls. L’empire appartiendra aux vainqueurs. Horace tue Curiace. Rome triomphe d’Albe. Camille en est consternée. Lorsque son frère paraît chargé des dépouilles de son amant, elle l’accable de reproches et maudit Rome. Horace furieux, la frappe de son épée. Sabine lui reproche son fratricide, et s’offre elle-même à ses coups. Le vieil Horace (personnification vivante du patriotisme romain par sa grandeur d’âme et sa fermeté), dans un admirable plaidoyer, prend la défense de son fils et obtient la grâce du roi. La tragédie se remarque par la vérité des mœurs romaines, par l’héroïsme des caractères, la vigueur et l’éclat du style. Au moment où la scène s’ouvre, la situation est déjà dramatique. Sabine a ses frères dans une armée et son mari dans l’autre. Horace est un soldat farouche, dur, « sans entrailles ». Chez lui, le patriotisme étouffe tout sentiment d’humanité. Curiace est plus humain sans être ni moins bon citoyen, ni moins brave soldat. Sabine est tendre et mélancolique, prête à se sacrifier. Camille est plus passionnée, elle est violente, emportée et ce sont ces emportements qui causent sa mort. La pièce manque d’unité. L’unité d’intérêt est substituée à l’unité d’action,

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regardée comme suffisante par les romantiques modernes, mais rejetée par les classiques du XVIIe siècle.

La tirade de Sabine (Horace, acte III, scène I)

Prenons parti, mon âme, en de telles disgrâces1 : Soyons femme d’Horace, ou sœur des Curiaces ; Cessons de partager nos inutiles soins ; Souhaitons quelque chose, et craignons un peu moins. Mais las ! quel parti prendre en un sort si contraire ? Quel ennemi choisir, d’un époux ou d’un frère ? La nature ou l’amour parle pour chacun d’eux, Et la loi du devoir m’attache à tous les deux. Sur leurs hauts sentiments réglons plutôt les nôtres ; Soyons femme de l’un ensemble et sœur des autres : Regardons leur honneur comme un souverain bien ; Imitons leur constance, et ne craignons plus rien. La mort qui les menace est une mort si belle, Qu’il en faut sans frayeur attendre la nouvelle. N’appelons point alors les destins inhumains ; Songeons pour quelle cause, et non par quelles mains ; Revoyons les vainqueurs, sans penser qu’à leur gloire Que toute leur maison reçoit de leur victoire ; Et sans considérer aux dépens de quel sang Leur vertu les élève en cet illustre rang, Faisons nos intérêts de ceux de leur famille : En l’une je suis femme, en l’autre je suis fille, Et tiens à toutes deux par de si forts liens, Qu’on ne peut triompher que par les bras des miens. Fortune, quelques maux, que la rigueur m’envoie, J’ai trouvé les moyens d’en tirer de la joie, Et puis voir aujourd’hui le combat sans terreur, Les morts sans désespoir, les vainqueurs sans horreur. Flatteuse illusion, erreur douce et grossière, Vain effort de mon âme, impuissante lumière, De qui le faux brillant prend droit de m’éblouir, Que tu sais peu durer, et tôt t’évanouir ! Pareille à ces éclairs qui, dans le fort des ombres, Poussent un jour2 qui fuit, et rend les nuits plus sombres, Tu n’as frappé mes yeux d’un moment de clarté Que pour les abîmer3 dans plus d’obscurité. Tu charmais trop ma peine, et le ciel, qui s’en fâche, Me vend déjà bien cher ce moment de relâche. Je sens mon triste cœur percé de tous les coups

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Qui m’ôtent maintenant un frère ou mon époux. Quand je songe à leur mort, quoi que je me propose, Je songe par quels bras, et non pour quelle cause, Et ne voit les vainqueurs en leur illustre rang Que pour considérer aux dépens de quel sang La maison des vaincus touche seule mon âme ; En l’une je suis fille, en l’autre je suis femme, Et tiens à toutes deux par de si forts liens, Qu’on ne peut triompher que par la mort des miens. C’est là donc cette paix que j’ai tant souhaitée ! Trop favorables dieux, vous m’avez écoutée ! Quels foudres lancez-vous quand vous vous irritez, Si même vos faveurs ont tant de cruautés ? Et de quelle façon punissez-vous l’offense, Si vous traitez ainsi les vœux de l’innocence ?

Notes : 1malheur ; 2jettent un sort ; 3précipiter. Repères pour l’étude du texte

Analysez la progression de ce monologue à alternative et comparez-le à la tirade du Cid.

Sabine est un personnage « assez heureusement inventé » (Corneille, Examen). Identifiez les éléments du pathétique, de la rhétorique de la douleur et de l’émotion.

En quoi la pièce Horace est-elle conforme aux normes édictées à propos du genre par les Doctes du temps ?

Molière (1622-1673) Courte biographie. Jean-Baptiste Poquelin naît à Paris, rue Saint-Honoré. A dix ans, il perd sa mère. Son père devient en 1631 tapissier valet de chambre du roi. Il suit des cours chez les Jésuites au collège Clermont. Il lit Plaute, Térence et Lucrèce dans l’original. Avec Chapelle et Cyrano de Bergerac, il suit les cours de Gassendi, qui enseignait la philosophie d’Epicure modifiée dans le sens du christianisme. Après avoir terminé ses humanités, il se rend à Orléans pour y étudier le

droit. Il s’y fait recevoir licencié et même avocat. A l’âge de 21 ans, il se

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décide pour la carrière de comédien ayant l’accord et le soutien de son père. Un irrésistible attrait pour le théâtre le fait s’engager dans une troupe de comédiens avec Madeleine Béjart (L’Illustre Théâtre). Il ne tarde pas à en devenir le chef. La concurrence trop grande des troupes parisiennes déjà constituées (à l’Hôtel de Bourgogne et au Théâtre du Marais) mène l’Illustre Théâtre à la ruine. A cause des dettes, Molière est emprisonné. Il adopte désormais le nom de Molière pour ne pas déshonorer la famille. La troupe s’associe à celle de Du Fresne et se réfugie en province. Elle y reste pendant 12 ans. Elle joue dans les villes du sud de la France (Toulouse, Albi, Narbonne, Carcassonne). Molière est à la fois acteur et auteur. De 1653 à 1657, la troupe reçoit la pension du prince de Conti, ancien condisciple de Molière, jusqu’à sa conversion au jansénisme. Au retour à Paris, en 1658, la troupe joue devant le roi des farces, des comédies, des tragédies, et obtient le titre de troupe de Monsieur, frère du roi. Son succès est dû aussi aux accueils mitigés des tragédies (lorsque le publie repousse Nicomède de Corneille, le spectacle est sauvé par la farce Le Docteur amoureux.). En 1661, la troupe déménage au Palais-Royal et devient en 1665 la troupe du roi. Molière devient le grand protégé de Louis XIV. A 40 ans, Molière épouse Armande Béjart, qui n’en avait que dix-sept et était la sœur de son ancienne compagne. Les calomnies odieuses sont une source de chagrins domestiques, de ses déboires privés. Il mène une vie privée malheureuse qui accroît son penchant à la tristesse. Sa profession l’empêche d’être reçu à l’Académie. Il meurt, en 1673, pendant la 4e représentation du Malade imaginaire. Les ecclésiastiques lui refusent la sépulture chrétienne. Œuvres et système dramatique. La Jalousie du Barbouillé (farce, 1645) ; Le Dépit amoureux (1656) ; Les Précieuses ridicules (comédie de mœurs, 1659) ; Les Fâcheux (1661) ; L’École des femmes (comédie de mœurs, 1662) ; L’Impromptu de Versailles (1663) ; Tartuffe (comédie de caractères, 1664) ; Dom Juan (tragi-comédie, 1665) ; Le Misanthrope (comédie de caractères,1666) ; Amphitryon (comédie d’intrigue, 1668) ; L’Avare (comédie de caractères, 1668) ; Monsieur de Pourceaugnac (comédie-ballet, 1669) ; Le Bourgeois gentilhomme (comédie-ballet, 1670) ; Les Fourberies de Scapin (comédie d’intrigue, 1671) ; Les Femmes savantes (comédie de mœurs, 1672) ; Le Malade imaginaire (comédie-ballet, 1673).

L’expérience de la province et la pratique proprement dite du théâtre

sont des éléments indissociables de l’art de Molière. La vraie comédie commence par Molière, le grand comique de la France. Avant, les Italiens et les Espagnols avaient envahi la scène avec des pièces peu vraisemblables, des caractères médiocres et quelques traits de mœurs. Molière débute par

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des farces, il continue par des comédies d’intrigue dont tout intérêt consiste dans la surprise. Il s’inspire de Plaute et de Térence, mais il surpasse ses modèles. Sa bibliothèque contenait plus de 240 volumes de comédies de toutes sortes. Grâce à sa parfaite connaissance des travers humains, il crée, dans les comédies de caractères, des personnages ridicules, mais véritables, au lieu des êtres imaginaires et des types de conventions (v. les valets : Scapin, Sganarelle). Il tourne en ridicule la manie des bourgeois de singer la noblesse. Ses grandes comédies de mœurs conjuguent le don de l’observation des caractères humains avec la sensibilité sociale. Boileau l’appelait Le Contemplateur. On lui a reproché d’avoir, dans ses peintures, forcé et multiplié les traits, mais l’exagération est une exigence de la comédie. Quelques comédies de Molières sont précédées d’un prologue dans lequel le poète dramatique fait ordinairement l’éloge au roi Louis XIV. Chez lui, l’action est un état de crise qui exige un dénouement rapide. L’intrigue naît le plus souvent des caractères. Molière sait qu’il ne peut corriger que les défauts extérieurs, que « le théâtre corrige les manières et corrompt les mœurs », comme l’avait affirmé Bonald. Le rire côtoie le sublime de la solitude assumée dans Le Misanthrope, frôle la grandeur tragique dans Dom Juan, taille dans le mal social dans Le Tartuffe. Son style est plein de jargons et de barbarismes, Molière ne sait pas « parler Vaugelas ». Il emploie la langue populaire, surtout celle de la bourgeoisie parisienne. Le style incisif et vif est pittoresque, imagé, naturel, avec des incorrections et des négligences. La critique, par le rire, se fait au nom de la modération, du juste milieu de la nature des choses et des rapports humains. C’est dans ce sens que Molière est un classique (voir aussi les messages qu’il transmet dans L’Ecole des femmes et Les Femmes savantes).

Sur Dom Juan : Le sujet est tiré d’une pièce de Tirso de Molina, Le

Convive de Pierre. Dom Juan, scélérat endurci, fourbe, séducteur, hypocrite, bravant le Ciel et l’enfer, commet un crime monstrueux, assassine le Commandeur. Il épouse Done Elvire qu’il abandonne ensuite dans un couvent. La Statue de la victime, rencontrée dans les bois, l’invite à souper. Dom Juan accepte. Mais au moment où il donne la main au spectre, il se sent consumé par un feu invisible, il est foudroyé et disparaît dans les abîmes de la terre. Le fait que cette comédie est écrite en prose a été à l’époque une source d’insuccès. De plus, le caractère présenté a soulevé la réprobation du public. Le titre de tragi-comédie est discutable, vu le dénouement.

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La profession de foi d’un séducteur (Dom Juan, acte I er, scène II) – Quoi ? tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous

prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d’aimable ; et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en vais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait une honneur, et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu’on est maître une fois, il n’y a plus rien à dire, ni plus rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête à faire. Enfin, il n’est rien de si doux que de triompher de la résistance d’une belle personne, et j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.

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Repères pour l’étude du texte

En vous appuyant sur vos connaissances littéraires, montrez les constantes du mythe de Don Juan à travers les siècles.

Trouvez les justifications, devenues « maximes » classiques, de l’immoralité de Dom Juan.

Identifiez l’image qui anime à la fin du fragment la pensée du conquérant. Le goût de la conquête ne devrait-il pas, chez un noble, s’exercer d’autre façon ? Laquelle?

Sur L’Avare :

C’est une comédie en 5 actes, en prose (source d’insuccès, comme

dans le cas de Dom Juan). L’avare Harpagon, après avoir fouillé le valet La Flèche, le chasse. Il craint que ses enfants, Cléante et Elise, ne l’aient pas vu cacher dans le jardin une cassette avec dix mille écus en or. Il destine son fils à une veuve et sa fille au vieil Anselme pour ne pas lui donner de dot. Il a résolu d’épouser la jeune Marianne (aimée par son fils), qu’il invite à un souper assez pauvre. Il est ravi d’apprendre de Valère, le soupirant secret de sa fille cette maxime : il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger. Lorsque Harpagon apprend l’idylle de son fils, il le déshérite et le maudit. Sur ces entrefaites, le valet La Flèche enlève la cassette (v. le quiproquo entre Valère qui parle d’Elise et Harpagon qui parle de sa cassette). Valère et Marianne s’avèrent être les enfants d’Anselme (c’est un coup de théâtre). La pièce finit par le double mariage des enfants de Harpagon et retrouve heureusement sa chère cassette. Harpagon restera à jamais la personnification de l’avarice. La peinture de ce caractère est énergique, les traits et les situations les plus comiques. Le dénouement est fort romanesque, dû aux agents étrangers à l’action.

Harpagon ou comment l’avarice rend fou (L’Avare, acte IV, scène

VII) (Il crie au voleur dès le jardin, et vient sans chapeau) – Au voleur !

au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier ! Justice, juste ciel ! je suis perdu, je suis assassiné ! on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent ! Qui peut-ce être? Qu’est-il devenu ? où est-il ? où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver? Où courir ? où ne pas courir ? N’est-il point là ? n’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête ! (Il se prend lui-même de bras.) Rends-moi

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mon argent, coquin!… Ah ! c’est moi. Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas ! mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami, on m’a privé de toi ! Et puisque tout m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde ! Sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en est fait, je n’en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré ! N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter en me rendant mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris ? Euh! que dites-vous ? Ce n’est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu’avec beaucoup de soin qu’on ait épié l’heure ; et l’on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice et faire donner la question1 à toute ma maison : à servantes, à valets, à fils, à fille et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh ! de quoi est-ce qu’on parle là ? de celui qui m’a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l’on m’en dise. N’est-il point caché parmi vous ? Ils me regardent tous et se mettent à rire. Vous verrez qu’ils ont part, sans doute, au vol que l’on m’a fait. Allons, vite, des commissaires, des archets, des prévôts2, des juges, des gênes3, des potences et des bourreaux ! Je veux faire pendre tout le monde ; et, si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après4!

Notes : 1torture infligée à un accusé pendant l’interrogatoire pour tirer de lui des aveux ; 2officier de justice qui a les attributions judiciaires d’un bailli ; 3instruments de torture ; 4Molière a emprunté des structures du monologue de l’avare volé, de l’Aulularia de Plaute et des Esprits de Larivey. Repères pour l’étude du texte

Analysez en détail l’expression du trouble de l’avare. Quelles sont les idées récurrentes qui obsèdent son esprit incohérent?

Que prouvent en particulier les appels adressés au public et à soi-même ? Comparez cette scène aux textes de Plaute (L’Aulularia, acte IV, scène IX) et

de Larivey (Les Esprits, acte III, scène VI) pour dresser le portrait d’un type consacré.

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Jean Racine (1639-1699)

Courte biographie. Il naît à La Ferté-Milon où son père était contrôleur du grenier à sel. Sa famille est anoblie. Resté orphelin dès l’âge de trois ans, l’enfant est élevé par son grand-père. Il est mis à Port-Royal où sa tante était religieuse. Il s’y livre à l’étude du grec, se passionne pour Sophocle et Euripide, apprend le latin. A 19 ans, il suit un cours de logique au collège d’Harcourt. La famille le pousse vers le barreau ou les ordres. Il se sent attirer par la poésie et le théâtre. Il est d’une sensibilité exquise. Les amis l’appellent « le doux et tendre Racine ». Il commence

avec Boileau, Molière et La Fontaine des réunions intimes et joyeuses. Racine se brouille avec Molière au sujet d’une mauvaise représentation de ses tragédies de début (La Thébaïde ou les Frères ennemis, 1664 et Alexandre le Grand, 1665), avec sa famille et avec les Solitaires de Port-Royal (Nicole) qui condamnent le théâtre. Il prend comme amantes des actrices célèbres dont la Du Parc ou la Champmeslé. Il attire l’attention de la cour et du roi par ses poésies d’occasion : La Nymphe de la Seine (1660), Ode sur la convalescence du Roi (1663), La Renommée aux Muses (1663). En 1683 il est reçu à l’Académie grâce au succès de ses tragédies. Pour s’échapper à la cabale dirigée contre lui par les admirateurs de Corneille, il pense renoncer au théâtre. Il se marie avec Catherine de Romanet et vit en bon chrétien et en bon père de famille. Il s’occupe personnellement de l’éducation de ses 7 enfants. Il est nommé historiographe du roi. Il revient au théâtre et compose les tragédies bibliques Esther et Athalie pour les pupilles du pensionnat de Saint-Cyr de Mme de Maintenon. Puis, il rentre dans le silence et dans la disgrâce. Il meurt d’une fièvre qui se complique d’une maladie de foie. Avant de mourir, il exprime son désir d’être inhumé à Port-Royal. Œuvres et système dramatique (12 pièces). La Thébaïde (tragédie, 1664) ; Alexandre le Grand (tragédie, 1665) ; Andromaque (tragédie, 1667) ; Les Plaideurs (comédie, 1668) ; Britannicus (tragédie, 1669) ; Bérénice (tragédie, 1679) ; Bajazet (tragédie, 1672) ; Mithridate (tragédie, 1673) ; Iphigénie (tragédie, 1674) ; Phèdre (tragédie, 1677) ; Esther (tragédie, 1689) ; Athalie (tragédie, 1691).

Il débute par des odes qui touchent fortement le roi. Ses premières productions dramatiques sont mal reçues. Dans ses tragédies, Racine

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simplifie l’action. Ses tragédies commencent au moment où l’intrigue s’approche du dénouement, où tout est décidé, joué. L’action dramatique cède à l’émotion lyrique de la poésie, à l’analyse des sentiments. Racine applique mieux les règles classiques. Il insiste sur l’unité de temps, sur les caractères subjugués par leurs passions et toujours punis de leurs faiblesses. Chez Racine, les caractères font les situations. Il ne privilégie point la couleur locale. Ses personnages se créent à eux-mêmes leur sort et se laissent aller à leurs passions. Racine s’adresse plus au cœur, Corneille, plus à l’esprit. Racine évite toute violence, et préfère la force réelle du caractère et de la passion. L’amour fait le fond de toutes ses pièces. Il le peint sous toutes ses formes : l’amour sensuel et violent (Hermione, Phèdre), innocent (Iphigénie, Bérénice), maternel (Andromaque, Clytemnestre). Comme Virgile, Racine a atteint la perfection du style par la variété, la nuance, la noblesse, l’élégance, l’harmonie, l’éclat tempéré, par la douceur qui n’exclut ni la force ni l’énergie. On lui reproche le style trop solennel, mais, en général, les personnages ont un langage conforme à leur condition et à leur situation. Voltaire, à qui l’on proposait de faire un commentaire sur racine, répondit qu’il n’aurait qu’à écrire à chaque page : « beau ! harmonieux ! sublime ! ».

Sur Andromaque :

Racine a puisé le sujet dans l’Iliade d’Homère, d’Euripide et de Sénèque. Il la dédie à Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans. Pyrrhus, fils d’Achille et roi d’Epire, aime Andromaque, sa captive, et délaisse Hermione, sa fiancée. Oreste, ambassadeur des Grecs, vient réclamer Astyanax, le fils d’Andromaque. Pyrrhus demande à Andromaque d’accepter se marier avec lui pour sauver son fils. Elle le refuse au début, voulant rester fidèle à la mémoire de son mari, Hector, et y consent après. Hermione pousse Oreste à tuer tous les deux le jour de leur mariage. Oreste tue Pyrrhus par amour pour Hermione qui se poignarde sur le corps de son fiancé. Oreste sombre dans la folie. Andromaque opère une révolution dans l’art dramatique : la peinture émouvante des passions, l’homme est peint tel qu’il est. La pièce est originale, le plan est habile et la peinture des caractères est exceptionnelle. Andromaque n’est plus l’esclave antique humiliée sous le joug de son maître, mais une reine respectée jusque dans les fers, une mère d’une tendresse ineffable. Le caractère d’Hermione est éminemment tragique : elle passe de la haine et à l’amour. Pyrrhus est un caractère fort, fier, galant et cruel à la fois.

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Pyrrhus ou la force du refus (Andromaque, acte III, scène 7)

Madame, demeurez. O peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez. Oui, je sens à regret qu’en excitant vos larmes Je ne fais contre moi que vous donnez des armes. Je croyais apporter plus de haine en ces lieux. Mais, Madame, du moins tournez vers moi les yeux : Voyez si mes regards sont d’un juge sévère, S’ils sont d’un ennemi qui cherche à vous déplaire. Pourquoi me forcez-vous vous-même à vous trahir ? Au nom de votre fils, cessons de nous haïr. À le sauver enfin c’est moi qui vous convie. Faut-il que mes soupirs vous demandent sa vie ? Faut-il qu’en sa faveur j’embrasse vos genoux ? Pour le dernière fois, sauvez-le, sauvez-nous. Je sais de quels serments je romps pour vous les chaînes1, Combien je vais sur moi faire éclater les haines. Je renvoie Hermione, et je mets sur son front, Au lieu de ma couronne, un éternel affront. Je vous conduis au temple où son hymen2 s’apprête ; Je vous ceins du bandeau préparé pour sa tête. Mais, ce n’est plus, madame, une offre à dédaigner : Je vous le dis, il faut ou périr ou régner. Mon cœur, désespéré d’un an d’ingratitude, Ne peut plus de son sort souffrir l’incertitude. C’est craindre, menacer et gémir trop longtemps. Je meurs si je vous perds ; mais je meurs si j’attends. Songez-y : je vous laisse, et je reviendrai vous prendre Pour vous mener au temple où ce fils doit3 m’attendre ; Et là vous me verrez, soumis ou furieux, Vous couronner, Madame, ou le perdre à vos yeux.

Notes : 1les engagements, les liens ; 2le mariage ; 3le fils d’Hector, Astyanax. Repères pour l’étude du texte

Repérez les indices montrant que, dans cette tirade, Pyrrhus cherche à imposer son pouvoir.

Analysez les antithèses, les groupes binaires, les rythmes de l’alexandrin pour étayer l’alternative proposée à Andromaque.

Caractérisez le héros tragique racinien.

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Sur Phèdre : Le sujet est emprunté toujours à Euripide et à Sénèque. La pièce est

mal reçue à causes des détracteurs qui ont payé le public pour la siffler. Cela conduit Racine à renoncer à sa carrière dramatique lorsqu’il était au comble de la gloire. Hippolyte veut partir à la recherche de son père disparu, Thésée et pour fuir l’amour pour la princesse Aricie. De son côté, sa belle-mère se meurt consumée par la violente passion qu’elle a conçue pour lui. En croyant son mari mort, elle avoue à son fils son amour interdit. Celui-ci, saisit d’horreur, s’enfuit. A l’arrivée de Thésée, l’épouse coupable se dérobe et accuse Hyppolite de l’avoir séduite. Thésée le maudit et le dévoue à la colère de Neptune qui le punit injustement. Phèdre proclame l’innocence d’Hippolyte et meurt après s’être elle-même empoisonnée. Thésée adopte Aricie pour sa fille. Racine modifie le caractère de Phèdre, il lui donne des remords. Elle lutte sans cesse contre sa passion destructrice. La tragédie semble la mise en action de la doctrine janséniste sur la grâce et le libre arbitre. Phèdre est entraînée fatalement au mal.

L’aveu d’un amour interdit (Phèdre, acte II, scène V)

Ah ! cruel, tu m’as trop entendue. Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur. Hé bien ! connais donc Phèdre en toute sa fureur. J’aime. Ne pense pas qu’au moment que je t’aime, Innocente à mes yeux je m’approuve moi-même, Ni que du fol amour que trouble ma raison Ma lâche complaisance ait nourri le poison. Objet infortuné des vengeances célestes, Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes. Les Dieux m’en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc. Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ; Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle De séduire le cœur d’une faible mortelle. Toi-même en ton esprit rappelle le passé. C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé. J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine ; Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine. De quoi m’ont profité mes inutiles soins ? Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins. Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes. J’ai langui, j’ai séché dans les feux, dans les larmes. Il suffit de tes yeux pour t’en persuader, Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.

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Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire, Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? Tremblante pour un fils que je n’osais trahir1, Je te venais prier de ne le point haïr. Faibles projets d’un cœur trop plein de ce qu’il aime ! Hélas ! Je ne t’ai pu parler que de toi-même. Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour. Digne fils du héros qui t’a donné le jour, Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite. La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte ! Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper. Voilà mon cœur. C’est là que ta main doit frapper. Impatient déjà expier son offense, Au-devant de ton bras, je le sens qui s’avance. Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups, Si ta haine m’envie2 un supplice si doux, Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée, Au défaut de ton bras, prête-moi ton épée. Donne !

Notes : 1son fils aîné, héritier du trône d’Athènes ; 2refuse, prive de. Repères pour l’étude du texte

Étudiez la progression de la scène et de l’aveu (observez les changements de temps et de modes verbaux, des pronoms personnels, de l’énonciation et de la ponctuation)

Repérez les figures de style, le rythme, observez la fin de la tirade pour montrer l’expression de la violence des sentiments.

Définissez le héros tragique racinien à partir de l’étude des champs lexicaux de la fatalité et de la culpabilité.

Nicolas Boileau (1636-1711)

Courte biographie. N. B. Despréreaux naît à Paris, en 1636, près de la Sainte-Chapelle, le 15e des 16 enfants d’un greffier de la grande Chambre du Parlement. Orphelin de mère, il passe tristement son enfance, dans une maison de campagne, avec une domestique dure et ignorante. Il devient un caractère taciturne. A la fin de sa 4e, il subit l’opération de la taille. Il fait des études de droit, devient avocat, il suit

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des cours de théologie. Tonsuré depuis l’âge de 11 ans, il est pourvu d’un bénéfice. La mort de son père lui permet de se livrer tout entier à la poésie. Il est ami de Racine, Molière, La Fontaine, des solitaires de Port-Royal. Il devient avec Racine historiographe du roi. Il entra à l’Académie en 1684. Accablé d’infirmités, devenu sourd, affligé de la perte de ses amis, il passe ses dernières années au cloître Notre-Dame. Il meurt à 74 ans d’une fluxion de poitrine. Œuvres. 12 Satires (1666-1716) ; Art poétique (poème, 1674) ; 12 Épîtres (1670-1698) ; Le Lutrin (poème héroï-comique en six chants, véritable chef-d’œuvre d’esprit et de badinage, 1674-1683).

Il combat sans ses Satires le mauvais goût, fruit de l’influence

italienne et espagnole, fait le procès des écrivains médiocres. C’est la période militante de carrière. Il brille dans la satire littéraire. Dans ses Épîtres, il est moins passionné, plus rassis : de réformateur, il est devenu le législateur du goût et du Parnasse. C’est la période de maturité de l’âge et du talent. On admire la pureté de sa morale et l’élévation de ses pensées. Son style est élégant, correct, soutenu. Il varie selon les idées et joint l’exemple au précepte. Il possède toutes les qualités du critique: un jugement sain, un goût pur.

Sur L’Art poétique :

Il est divisé en 4 chants. Le premier renferme les préceptes généraux

sur l’art d’écrire : le poète doit avoir du génie, une vraie vocation, de bon sens, la sobriété, la variété, la noblesse, l’harmonie, la clarté, la pureté. Le deuxième présente les règles des genres secondaires : l’églogue, l’élégie, l’ode, le sonnet, l’épigramme, le rondeau, la ballade, le madrigal, la satire, la chanson, le vaudeville. Le troisième traite des règles des grands genres : la tragédie, l’épopée et la comédie. Le quatrième parle des préceptes moraux concernant la conduite du poète : Boileau conseille au poète d’éviter les flatteurs, la jalousie, d’être vertueux, d’un commerce agréable. L’Art poétique est un chef-d’œuvre de raison, de bon goût et de style, une poétique complète et méthodique.

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Art poétique, chant I er, (vers 45 à 68)

Tout doit tendre au bons sens : mais pour y parvenir Le chemin est glissant et pénible à tenir ; Pour peu qu’on s’en écarte, aussitôt on se noie. La raison pour marcher n’a souvent qu’une voie. Un auteur quelquefois trop plein de son objet Jamais sans l’épuiser n’abandonne un sujet. S’il rencontre un palais, il m’en dépeint la face1, Il me promène après de terrasse en terrasse ; Ici s’offre un perron ; là règne un corridor ; Là ce balcon s’enferme en un balustre2 d’or. Il compte des plafonds les ronds et les ovales ; « Ce ne sont que des festons, ce ne sont qu’astragales3. » Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin, Et je me sauve à peine au travers du jardin. Fuyez de ces auteurs l’abondance stérile, Et ne vous chargez point d’un détail inutile. Tout ce qu’on dit de trop est fade et reboutant ; L’esprit rassasié le rejette à l’instant. Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire. Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire : Un vers était trop faible, et vous le rendez dur ; J’évite d’être long, et je deviens obscur ; L’un n’est point trop farde4, mais sa muse est trop nue ; L’autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.

Notes : 1façade ; 2pilier façonné avec un renflement au centre ; 3moulures au sommet et à la base des colonnes (le vers appartient au poète Scudéry) ; 4chargé d’ornements. Repères pour l’étude du texte

Faites l’inventaire des règles que Boileau recommande pour écrire et plaire à un public lettré.

Analysez la versification et les figures de style. Démontrez que le texte appartient à la poétique du classicisme.

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La Fontaine (1621-1695)

Courte biographie. Il naît à Château-Thierry en Champagne. Son père était maître particulier des eaux et forêts. Ses premières études sont médiocres. A 20 ans, il entre chez les Oratoriens dans le but d’étudier la théologie, mais les quitte et se livre dès lors à une vie de dissipation et de plaisir. Il étudie le droit et reçoit le titre d’avocat au Parlement. Il hérite la charge de son père qu’il abandonne. Il quitte aussi sa jeune femme. Il est stimulé par le cercle littéraire des Chevaliers de la

Table Ronde où il entre en 1656. Il se consacrera à la lecture de Rabelais, Marot, Boccace, Horace, Virgile, Ovide. Il écrit ses premiers Contes pour la duchesse de Bouillon, nièce de Mazarin, qui l’emmène à Paris. Ici, il se lie avec les hommes de lettres les plus distingués et a des protecteurs nobles comme le surintendant Fouquet pour qui il compose, en poète courtisan, Adonis (1658) et Le Songe de Vaux (1658). Grâce à ce protecteur, il connaît Mme de Sévigné, Molière, Racine. Ce beau génie était un grand enfant pour les affaires pratiques de la vie. Entre 1664 et 1672, La Fontaine fréquente les salons les plus brillants : celui de Mme de La Fayette (où il connaît La Rochefoucauld), celui de Mme de Sévigné, de Mme de sablière, etc. En 1684, il est élu à l’Académie. Il devient « sage » deux ans avant sa mort, il brûle une comédie, il désavoue ses Contes et meurt en bon chrétien. Après sa mort, on trouve sur lui, en procédant à la toilette mortuaire, un cilice. Œuvres. Le Songe de Vaux (poème galant et élégiaque, 1658) ; Ode au Roi pour M. Fouquet (poème, 1663) ; La Captivité de Saint Malc (1673, poème janséniste) ; Les Amours de Psyché et de Cupidon (prose et vers, 1669) ; Contes et Nouvelles en vers (1665-1674) ; Fables (3 recueils, 12 livres, 1668-1696) ; Quinquina (poème didactique, 1682) ; Astrée (poésie dramatique, 1691) ; L’Eunuque (comédie) ; Rieurs du Beau-Richard (farce-ballet) ; Achille (tragédie inachevée), Daphné, Galatée (livrets d’opéra).

Pour ses Contes, il s’inspire de Boccace, de l’Arioste, de Machiavel et des fabliaux moyenâgeux. Le style en est simple, facile, inférieur à celui de ses Fables. Ils sont remplis de peintures voluptueuses et de scènes de débauche. Son style est naturel, gracieux, naïf parfois, brillant, incomparable. La Fontaine maîtrise tous les tons, de l’épopée, de l’églogue et de l’idylle. La Fontaine a, comme Molière, l’esprit gaulois.

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Sur les Fables : La Fontaine compose 242 Fables, divisées en 12 livres. Dans sa

modestie, il ne se donne que pour le simple traducteur d’Esope. L’auteur songe au récit, la morale ne vient qu’après et s’en dégage d’elle-même. Elle n’a pas de place fixe, se trouvant soit au début, soit à la fin. Parfois, il revient au lecteur la tâche de la tirer. La morale du fabuliste n’est ni sévère ni systématique. Chaque fable est un petit drame parfait où l’action est engagée. Les intérêts s’opposent aux caractères, ils en résulte des passions qui se traduisent dans un dialogue animé et plein de naturel. Les animaux, bien étudiés par La Fontaine, sont les acteurs de cette comédie. Le fabuliste est peintre de la société (il imagine la cour du lion et des autres bêtes vivant en monarchie). La fable est un spectacle de la vie humaine. La leçon à tirer est une vérité d’expérience, non un précepte.

Fable XVIII – « La Chatte métamorphosée en femme »

« Un Homme, chérissait éperdument sa Chatte ; Il la trouvait mignonne, et belle et délicate, Qui miaulait d’un ton fort doux : Il était plus fou que les fous. Cet homme donc, par prières, par larmes, Par sortilèges et par charmes. Fait tant qu’il obtient du Destin Que sa chatte en un beau matin, Devient femme ; et le matin même, Maître sot en fait sa moitié. Le voilà fou d’amour extrême, De fou qu’il était d’amitié. Jamais la dame la plus belle Ne charma tant son favori Que fait cette épouse nouvelle Son hypocondre de mari. Il l’amadoue1 ; elle le flatte : Il n’y trouve plus rien de chatte ; Et, poussant l’erreur jusqu’au bout, La croit femme en tout et partout : Lorsque quelques souris qui rongeaient de la natte Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés. Aussitôt la femme est sur pieds. Elle manqua son aventure. Souris de revenir, femme d’être en posture :

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Pour cette fois elle accourut à point ; Car ayant changé de figure, Les souris ne la craignaient point. Ce lui fut toujours une amorce, Tant le naturel a de force. Il se moque de tout, certain âge accompli. Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli. En vain de son train ordinaire On le veut désaccoutumer : Quelque chose qu’on puisse faire. On ne saurait le réformer. Coups de fourche, ni d’étrivières2

Ne lui font changer de manières ; Et fussiez-vous embâtonnés, Jamais vous n’en serez les maîtres. Qu’on lui ferme la porte au nez, Il reviendra par les fenêtres.

Notes ; 1 flatter de manière à apaiser, à obtenir ce qu’on désire ; 2courroie suspendant l’étrier à la scelle. Repères pour l’étude du texte

Étudiez la structure narrative du texte et réécrivez-le comme un petit récit. Identifiez tous les éléments caractéristiques du genre. Commentez la

morale. Rédigez un exposé d’une dizaine de lignes où vous allez commenter l’extrait

suivant : « Il se moque de tout, certain âge accompli./Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli. »

« La Mort et le Mourant », Fables, livre VIII, 1, 1678

« Un mourant, qui comptait plus de cent ans de vie, Se plaignait à la Mort que précipitamment Elle le contraignait de partir tout à l’heure,

Sans qu’il eût fait son testament, Sans l’avertir au moins : "Est-il juste qu’on meure Au pied levé ? dit-il : attendez quelque peu : Ma femme ne veut pas que je parte sans elle ; Il me reste à pourvoir un arrière-neveu ; Souffrez qu’à mon logis j’ajoute encore une aile.

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Que vous êtes pressante, ô déesse cruelle ! - Vieillard, lui dit la Mort, je ne t’ai point surpris ; Tu te plains sans raison de mon impatience : Eh ! n’as-tu pas cent ans ? Trouve-moi dans paris Deux mortels aussi vieux ; trouve-m-en dix en France. Je devais, ce dis-tu, te donner quelque avis Qui te disposât à la chose :

J’aurais trouvé ton testament tout fait, Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait. Ne te donna-t-on pas des avis, quand la cause Du marcher et du mouvement,

Quand les esprits, le sentiment, Quand tout faillit en toi ? Plus de goût, plus d’ouïe ; Toute chose pour toi semble être évanouie ; Pour toi l’astre du jour prend des soins superflus ; Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus. Je t’ai fait voir tes camarades,

Ou morts, ou mourants, ou malades : Qu’est-ce que tout cela, qu’un avertissement ?

Allons, vieillard, et sans réplique, Il importe à la République Que tu fasses ton testament."

La Mort avait raison. Je voudrais qu’à cet âge On sortît de la vie ainsi que d’un banquet, Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet ; Car de combien peut-on retarder le voyage ? Tu murmures, vieillard ! Vois ces jeunes mourir,

Vois-les marcher, vois-les courir À des morts, il est vrai, glorieuses et belles, Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles, J’ai beau te le crier ; mon zèle est indiscret. Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret. »

Repères pour l’étude du texte

Nommez les deux styles employés par La Fontaine pour rapporter les paroles du mourant.

Identifiez les arguments de la Mort et les arguments du mourant. Relevez, dans le discours du mourant, tous les termes qui appartiennent au

champ lexical de la hâte. Étudiez deux sortes de vers, nommez-les. Quel effet de sens tire l’auteur de

leur alternance?

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Madame de La Fayette (1634-1693) Courte biographie. Marie-Madeleine Pioche de la Vergne naît au Havre dont son père est gouverneur. Elle est attirée par la culture et l’écriture. Elle reçoit une éducation soignée, littéraire et mondaine. Elle est élève du grammairien Ménage. A 16 ans elle est nommée mademoiselle d’honneur de la reine Anne d’Autriche. Elle épouse, en 1655, le comte de la Fayette, un veuf plus âgée qu’elle, et vient habiter Paris. Elle fréquente l’Hôtel de Rambouillet, mais son esprit solide autant que fin la préserve du genre précieux. Elle a été intimement liée avec Mme de Sévigné et La

Rochefaucauld. Dès 1659 il tient un salon littéraire, rue de Vaugirard. Vers la fin de sa vie elle se réfugie dans la solitude, se consacrant à la carrière de ses deux fils. Elle mène jusqu’à sa fin une vie pieuse. Œuvres. La Princesse de Montpensier (nouvelle, 1662) ; Zaïde (roman, 1670-1671) ; La Princesse de Clèves (roman, 1678) ; La Comtesse de Tende (nouvelle, 1724).

Son œuvre est profondément marquée par l’histoire. Elle réforme le roman en substituant aux grandes catastrophes des moyens simples et vrais, des situations naturelles, un récit rapide et sobre, une peinture exacte des passions, un style clair et dégagé sans affectation ni recherche. Sur La Princesse de Clèves :

L’intrigue est placée dans une atmosphère historique récente, à la fin du règne d’Henri II, sur un fond de toile historique notoire (avant les terribles guerres de religion). Elle est simplifiée et concentrée en une seule action principale. Mlle de Chartres, après avoir épousé le prince de Clèves, tombe amoureuse du duc de Nemours, redoutable séducteur. Tandis qu’elle résiste à sa passion, son mari, rongé par la jalousie, languit et se meurt. Elle en est déchirée, se retire du monde et meurt peu après. Les intrigues annexes sont sentimentales et politiques, et illustrent, elles aussi, le conflit entre le désir et la raison, imposée par la morale, qui constitue, en fait, le grand thème du roman. l’histoire d’un amour malheureux importe moins que l’analyse psychologique, des sentiments et des mobiles qui poussent les personnages à agir.

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La scène de la première vue (La Princesse de Clèves, tome I, 1678)

Le lendemain qu’elle fut arrivée, elle alla pour assortir des pierreries chez un Italien qui en trafiquait par tout le monde […] Comme elle y était, le prince de Clèves y arriva. Il fut tellement surpris de sa beauté qu’il ne put cacher sa surprise ; et Mlle de Chartres ne put s’empêcher de rougir en voyant l’étonnement qu’elle lui avait donné. Elle se remit néanmoins, sans témoigner d’autre attention aux actions de ce prince que celle que la civilité lui avait donné pour un homme tel qu’il paraissait. M. de Clèves la regardait avec admiration, et il ne pouvait comprendre qui était cette belle personne qu’il ne connaissait point. Il voyait bien par son air, et par tout ce qui était à sa suite, qu’elle devait être d’une grande qualité. Sa jeunesse lui faisait croire que c’était une fille, mais, ne lui voyant point de mère, et l’Italien, qui ne la connaissait point l’appelant Madame, il ne savait que penser, et il la regardait toujours avec étonnement. Il s’aperçut que ses regards l’embarrassaient, contre l’ordinaire des jeunes personnes qui voient toujours avec plaisir l’effet de leur beauté ; il lui parut même qu’il était cause qu’elle avait de l’impatience de s’en allait, et qu’en effet, elle sortit assez promptement. M. de Clèves se consola de la perdre de vue dans l’espérance de savoir qui elle était ; mais il fut bien surpris quand il sut qu’on ne la connaissait point. Il demeura si touché de sa beauté et de l’air modeste qu’il avait remarqué dans ses actions qu’on ne peut dire qu’il conçut pour elle dès ce moment une passion et une estime extraordinaires.

Repères pour l’étude du texte

Faites le plan de ce passage pour montrer la progression de cette mise en scène d’une rencontre inattendue.

Dégagez le caractère romanesque de ce rendez-vous classique. Faites le portrait de la future princesse de Clèves.

Voir sans être vu (La Princesse de Clèves, tome I, 1678)

Les palissades étaient fort hautes, et il y en avait encore derrière, pour

empêcher qu’on ne pût entrer ; en sorte qu’il était assez difficile de se faire passage. M. de Nemours en vint à bout néanmoins ; sitôt qu’il fut dans le jardin, il n’eut pas de peine à démêler où était Mme de Clèves. Il vit beaucoup de lumière dans le cabinet ; toutes les fenêtres en étaient ouvertes et, en se glissant le long des palissades, il s’en approcha avec un trouble et une émotion qu’il est aisé de représenter. Il se rangea derrière une des fenêtres, qui servait de porte, pour voir ce que faisait Mme de Clèves. Il vit qu’elle était seule ; mais il la vit d’une si admirable beauté qu’à peine fut-il maître du transport que lui donna

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cette vue. Il faisait chaud, et elle n’avait rien, sur sa tête et sur sa gorge, que ses cheveux confusément rattachés. Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans ; elle en choisit quelques-uns, et M. de Nemours remarqua que c’étaient des mêmes couleurs que celles qu’il avait portées au tournoi. Il vit qu’elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu’il avait portée quelque temps et qu’il avait donnée à sa sœur, à qui Mme de Clèves l’avait prise sans faire semblant de la reconnaître pour avoir été à M. de Nemours. Après qu’elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son visage les sentiments qu’elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s’en alla, proche d’une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de M. de Nemours ; elle s’assit et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner.

On ne peut exprimer ce que sentit M. de Nemours dans ce moment. Voir au milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une personne qu’il adorait, la voir sans qu’elle sût qu’il la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion qu’elle lui cachait, c’est ce qui n’a jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant. Repères pour l’étude du texte

Analysez les sentiments qui animent les deux personnages. Etablissez l’importance des symboles dans le texte. Précisez le rôle du décor ;

François VI de La Rochefoucauld

(1613-1680) Courte biographie. Prince de Marcillac et pair de France, il descend d’une illustre famille alliée aux rois de France. Il renie ses origines et se dirige vers une carrière mondaine, ayant le goût de l’intrigue, de l’aventure romanesque. Il s’érige contre Richelieu et Mazarin, contre le jeune Louis XIV pendant la Fronde. Gravement blessée, déçu et amer, il se retire en 1652 sur ses terres. Il regagne la cour royale en 1659. Il fréquente le salon de Mlle de Scudéry, de Mlle de Montpensier, Mme de Sablé et de Mme de

Lafayette, son amie.

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Œuvres. Maximes et sentences morales (1664). Il les rédige probablement pendant sa retraite forcée. Cette œuvre

résume l’expérience sociale et culturelle des salons. Elle excelle dans l’art du portrait et de l’analyse psychologique, par l’art du mot d’esprit efficace. Une sensibilité baroque se reflète dans le jeu de l’apparence et de la réalité, démasqué par l’analyse psychologique. L’analyse morale s’apparente à la casuistique. Elle se manifeste dans la volonté de donner aux jugements fragmentés une portée générale, universelle. Par sa facture équilibrée, réduite à la sobriété et à l’essentiel, la maxime rochefoucauldienne touche à l’esthétique du classicisme.

Maximes, 583 (1664)

« L’amour-propre est l’amour de soi-même et de toutes les choses

pour soi; il rend les hommes idolâtres d’eux-mêmes, et les rendrait tyrans des autres si la fortune leur en donnait les moyens; il ne se repose jamais hors de soi, et ne s’arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Rien n’est si impétueux que ses désirs, rien de si caché que ses dessins, rien de si habile que ses conduites; ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphoses, et ses raffinements celles de la chimie. On ne peut sonder la profondeur ni percer les ténèbres de ses abîmes. Là il est couvert des yeux les plus pénétrants, il y fait mille insensibles tours et retours; là il est souvent invisible à lui-même, il y conçoit, il y nourrit et il y élève sans le savoir un grand nombre d’affections et de haines; il en forme de si monstrueuses que, lorsqu’il les a mises à jour, il les méconnaît, ou il ne peut se résoudre à les avouer. De cette nuit qui le couvre naissent les ridicules persuasions qu’il a de lui-même; de là vient ses erreurs, ses ignorances, ses grossièretés et ses niaiseries sur son sujet; de là vient qu’il croit que ses sentiments sont morts lorsqu’ils ne sont qu’endormis, qu’il s’imagine ne plus avoir envie de courir dès qu’il se repose, et qu’il pense avoir perdu tous les goût qu’il a rassasiés. Mais cette obscurité épaisse qui le cache à lui-même n’empêche pas qu’il ne voie parfaitement ce qu’il est hors de lui, en quoi il est semblable à nos yeux, qui découvrent tout, et sont aveugles seulement pour eux-mêmes. En effet, dans ses pus grands intérêts et dans ses plus importantes affaires, où la violence de ses souhaits appelle toute son attention, il voit, il sent, il entend, il imagine, il soupçonne, il pénètre, il devine tout; de sorte qu’on est tenté de croire que chacune de ses passions a une espèce de magie qui lui est propre. Rien n’est si intime et si fort que ses attachements, qu’il essaye de rompre inutilement à la vue des malheurs extrêmes qui le menacent. […] »

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Repères pour l’étude du texte Faites l’analyse stylistique du fragment pour mettre en évidence l’extrême

diversité des activités de l’amour-propre et ses effets « puissances trompeuses ». En quoi l’amour propre est « une puissance trompeuse », selon la formule

pascalienne, qui prive l’homme de sa liberté? Quels seraient les aspects positifs de l’amour-propre ?

Sujets de réflexion sur le XVIIe siècle - à préparer pour un examen écrit ou oral -

1. Le baroque. Définition et caractéristiques du courant. 2. Le théâtre baroque : représentants, genres cultivés, thèmes, procédés

dramatiques. 3. La poésie baroque : représentants, thèmes et motifs, formes poétiques,

figures de rhétorique. 4. Les trois aspects de la prose baroque. Exemplifiez. 5. Analysez une poésie au choix d’Aubigné / ou / Régnier / ou / Malherbe /

ou / Théophile de Viau. 6. La préciosité. Définition et caractéristiques du courant. 7. La poésie précieuse : représentants, langage, genres. 8. Présentation du burlesque romanesque. 9. Analysez une poésie au choix de Saint-Amant / ou / Tristan l’Hermite

/ou / V. Voiture, ou la Carte de Tendre de Mlle de Scudéry. 10. Descartes et le cartésianisme. 11. Jésuites / vs/ Jansénistes. 12. Pascal. Les Provinciales et Les Pensées. 13. Le courant libertin : représentants et doctrine. 14. Le classicisme. Définition et caractéristiques du courant. 15. Le théâtre classique : les règles des trois unités, les bienséances, la

vraisemblance, le héros, spécifique de la tragédie et de la comédie classique.

16. La poésie et le roman classiques. Caractéristiques. 17. Le théâtre de Corneille. Œuvres et système dramatique. Analysez

brièvement une pièce au choix. 18. Le théâtre de Molière. Œuvres et système dramatique. Analysez

brièvement une comédie au choix. 19. Le théâtre de Racine. Œuvres et système dramatique. Analysez

brièvement une tragédie au choix. 20. Présentation de L’Art poétique de Boileau. Exposez sa doctrine. 21. Présentation des Fables de La Fontaine. Analysez une fable au choix.

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Sujets de devoirs sur le XVIIe siècle

- à préparer à la maison - 1. Etablissez un parallèle entre Roland et le Cid. 2. Commentez cette pensée de Villemain : « Un bel ouvrage dramatique est

le plus noble plaisir des hommes assemblés ». 3. Expliquez ce mot de Voltaire : « La tragédie est une école de

bienséance, de raison et d’héroïsme ». 4. Mettez en parallèle le théâtre de Corneille et le théâtre de Racine, en les

caractérisant par leurs principaux traits. 5. Montrez que Le Cid a inauguré la tragédie classique. 6. Montrez comment les deux derniers vers du Cid répondent aux

objections faites à la pièce (« Pour vaincre un point d’honneur qui combat contre toi / Laisse faire le temps, ta vaillance, et ton roi. »).

7. Comparez le rôle du père dans Le Cid, Horace et Polyeucte. 8. Comparez les principaux rôles de femmes dans le théâtre de Corneille. 9. Corneille – peintre du caractère romain. 10. Quelle différence y a-t-il entre l’héroïsme du Cid, celui d’Horace et celui

de Polyeucte ? 11. Quel sens attachez-vous à cette critique : « Les personnages de Corneille

raisonnent trop » ? 12. Prouvez ce mot de Voltaire : « Le théâtre de Corneille est une école de

grandeur d’âme ». 13. Que doit Racine au théâtre grec ? Quelle est la pièce la plus « grecque »

de Racine ? 14. Andromaque dans Racine, dans Homère et dans Euripide. Différences et

ressemblances. 15. Prouvez que Britannicus est la pièce des connaisseurs. Analyse rapide

de la pièce, en appréciant les principaux caractères. 16. Traces de la dignité et de la noblesse d’attitude du XVIIe siècle dans les

pièces de Racine. 17. L’amour dans le théâtre de Racine. 18. Expliquez cette opinion de Voltaire : « La bonne comédie fut ignorée

jusqu’à Molière ». 19. Analysez Le Misanthrope. Dépeignez et jugez Philinte et Alceste.

Soulignez l’importance de cette comédie. 20. Montrez quels sont les vices, les travers, les classes de la société, les

professions, attaqués par Molière dans son théâtre. 21. Présentez les caractères principaux des Femmes savantes.

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22. De la vérité du comique dans le théâtre de Molière. 23. Molière est-il un moraliste ? 24. Divisions principales et préceptes généraux dans L’Art poétique de

Boileau. 25. Montrez que les Fables sont « une ample comédie en cent actes divers ». 26. Caractère du lion dans les Fables de La Fontaine. 27. Qu’entend-on par la règle de trois unités au théâtre ? 28. Tableau sommaire de la littérature française au XVIIe siècle. 29. Qu’appelez-vous un écrivain classique ? 30. Expliquez ce mot de Pascal : « Quand on voit le style naturel, on est tout

étonné et ravi, car on s’attendait de voir un auteur et on trouve un homme ! »

31. Expliquez ce vers : « Qui ne sut se borner, ne sut jamais écrire. » 32. Portrait de Blaise Pascal d’après ses écrits.

Test sur le XVIIe siècle Vérifiez vos connaissances générales : 1. Que se passe-t-il d’important au XVIIe siècle? A. l’assassinat d’Henri IV B. l’assassinat du duc de Guise C. l’assassinat d’Henri III D. la naissance de Louis XIII 2. L’une de ces composantes est extrêmement éloignée de la perspective baroque des poètes au début du XVIIe siècle : A. la fluidité, l’écoulement de toutes choses B. la fixation, la minéralisation du monde C. le mythe de Circé D. le vague des passions 3. L’introduction à la vie dévote est de : A. Montaigne B. Mlle de Scudéry C. Bossuet D. François de Sales 4. L’action de L’Astrée se passe : A. au IIe siècle après Jésus-Christ en Bretagne B. au Ve siècle après Jésus-Christ, dans le Forez C. au XVIIe siècle, à Paris D. au XIIe siècle, dans un pays inconnu

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5. Les pièces de théâtre qui mettent en scène des bergers de convention, des magiciens et des divinités s’appellent : A. des pastorales B. des comédies villageoises C. des farces champêtres D. des campagneries. 6. L’Académie Française a été créée en: A. 1612 B.1635-1637 C.1652-1653 D.1643 7. Richelieu meurt en : A. 1642 B. 1635 C. 1624 D. 1661 8. La représentation de la Carte de Tendre se trouve dans: A. L’Histoire comique de Francion de Ch. Sorel B. Clélie, histoire romaine de Mlle de Scudéry C. La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette D. L’Astrée d’Honoré d’Urfé. 9. La première pièce que Corneille fait jouer est : A. Mélite B. Horace C. Clitandre D. La Suivante. 10. Choisissez entre ces propositions celle qui vous paraît véritable : A. Corneille, dans Horace et Cinna, fait appel à l’histoire grecque B. Corneille se retire à Rouen, y traduit l’Imitation de Jésus-Christ et revient sur la scène parisienne avec Œdipe, en 1659. C. Corneille ne sera jamais reçu à L’Académie Française, Richelieu, puis Mazarin l’empêcheront. 11. Les Provinciales de Pascal sont : A. une défense du Roi contre les anciens frondeurs B. une défense des jésuites contre les écrits jansénistes C. un pamphlet contre les protestants. D. une analyse du problème de la Grâce et une attaque contre les jésuites 12. De ces auteurs, l’un est un mémorialiste qui a participé activement à la Fronde, lequel : A. Saint-Simon B. Le Cardinal de Retz

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C. Bossuet D. La Fontaine 13. Le règne de Louis XIV dure : A. 21 ans B. 54 ans C. 35 ans D. 65 ans 14. Dans La Princesse de Clèves, l’héroïne est amoureuse de M. de Nemours: A. et lui cède B. lui cède, puis se retire dans un couvent C. ne lui cède pas et se retire du monde D. lui cède et se suicide 15. La Fontaine, pour composer ses Fables s’inspire: A. d’Esope et de Phèdre B. de Sophocle et d’Euripide C. de Térence et de Tite-Live D. de Sénèque et d’Eschyle 16. Racine, déjà écrivain de renom devient, en 1677: A. Premier Poète de Sa Majesté B. bénéficiaire de bénéfices ecclésiastiques C. Comte d’Uzès D. historiographe du roi 17. D’où vient ce texte ? « En est-ce assez, ô, Ciel ! et le sort, pour me nuire, / A-t-il quelqu’un des miens qu’il veuille encor séduire ?/Qu’il joigne à ses efforts le secours des enfers. / Je suis maître de moi comme de l’univers ; / Je le suis, je le veux être. Ô siècles, ô mémoire, / Conservez à jamais ma dernière victoire ! » A. Britannicus de Racine B. Bajazet de Racine C. Horace de Corneille D. Cinna de Corneille. 18. D’où vient ce texte ? « Je voudrais bien savoir si la grande règle de toute les règles n’est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public s’abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n’y soit pas juge du plaisir qu’il y prend? » A. La Bruyère, Les Caractères B. Corneille, Discours sur la poésie dramatique C. Mme de Sévigné, Lettres D. Molière, La Critique de l’Ecole des Femmes.

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19. D’où vient ce texte ? « Mon mal vient de plus loin. A peine au fil d’Egée / Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée, / Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ; / Athènes me montra mon superbe ennemi ; / Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; / Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ; / Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ; / Je sentis tout mon corps et transir et brûler…» A. Athalie de Racine B. Phèdre de Racine C. Suréna de Corneille D. Polyeucte de Corneille 20. L’Histoire des Oracles de Fontenelle : A. met en doute les oracles comme annonces d’une quelconque vérité future B. est un roman dont l’histoire se passe dans l’Antiquité C. fait l’histoire des oracles antiques en relevant les vérités qui y ont été dites. Solutions : 1. A ; 2. B ; 3. D ; 4. B ; 5. A ; 6. B ; 7. A ; 8. B ; 9. A ; 10. B ; 11. D ; 12. B ; 13. C ; 14. B ; 15. A ; 16. D ; 17. D ; 18. D ; 19. B ; 20. A.

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