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Sociologie de l’éducation Chapitre 2 : La notion de capital : de l’économie politique à la sociologie de l’éducation Sommaire Chapitre 2 : La notion de capital : de l’économie politique à la sociologie de l’éducation 1- Des catégories venant de l’économie politique et de sa critique : capital, capitalisme 2- La transposition métaphorique de la notion de capital par l’économiste néolibéral Gary Becker : le capital humain 3- Les transpositions métaphoriques de l’homo économicus dans la sociologie française par Raymond Boudon 4- Les transpositions métaphoriques de la notion de capital par le sociologue Pierre Bourdieu : capital culturel, capital scolaire, capital social… 5- Conclusion : une critique anti-utilitariste des sociologies économicistes (Alin Caillé) Quoi ? Qui ? Quand ? I - Des catégories venant de l’économie politique et de sa critique : capital, capitalisme A l’origine : une catégorie de l’économie politique Etymologie : du latin caput, tète. Cf. l’adj. capital : fondamental, essentiel… Le substantif date du XVIIe siècle : ressources, moyens permettant de produire, de faire fructifier des biens, des richesses… Dans les premières théories économiques : distinction entre capital financier (l’argent des banques), le capital foncier (les terres), le capital physique (terrains, bâtiments, machines…) et le travail. Le capital est donc une valeur source de valeur (autre catégorie économique). Axelle Chatelet – [email protected]

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Sociologie de l’éducation Chapitre 2 : La notion de capital : de l’économie

politique à la sociologie de l’éducation

Sommaire Chapitre 2 : La notion de capital : de l’économie politique à la sociologie de l’éducation

1- Des catégories venant de l’économie politique et de sa critique : capital, capitalisme2- La transposition métaphorique de la notion de capital par l’économiste néolibéral Gary

Becker : le capital humain3- Les transpositions métaphoriques de l’homo économicus dans la sociologie française

par Raymond Boudon 4- Les transpositions métaphoriques de la notion de capital par le sociologue Pierre

Bourdieu : capital culturel, capital scolaire, capital social…5- Conclusion : une critique anti-utilitariste des sociologies économicistes (Alin Caillé)

Quoi ?

Qui ?

Quand ?

I - Des catégories venant de l’économie politique et de sa critique : capital, capitalisme

A l’origine   : une catégorie de l’économie politique Etymologie : du latin caput, tète. Cf. l’adj. capital : fondamental, essentiel…Le substantif date du XVIIe siècle : ressources, moyens permettant de produire, de faire fructifier des biens, des richesses…Dans les premières théories économiques : distinction entre capital financier (l’argent des banques), le capital foncier (les terres), le capital physique (terrains, bâtiments, machines…) et le travail.Le capital est donc une valeur source de valeur (autre catégorie économique).

Quel est le capital le plus précieux   ? Aux XVIe-XVIIe-XVIIIe siècle, les mercantilistes répondaient :

L’or et l’argent (que les bateaux ramenaient des Indes occidentales et orientales). Source de développement des Etats royaux.

Au XVIIIe siècle les physiocrates (Quesnay, Turgot…) répondaient : Seule la terre crée de la valeur économique. Autrement dit, c’est l’exploitation du capital foncier, l’agriculture et l’élevage, qui est la source de l’enrichissement des nations.

Axelle Chatelet – [email protected]

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Sociologie de l’éducation - Introduction

François Quesnay (1694-1774)Les physiocrates, école économique du XVIIIe siècle (Quesnay, Turgot…) : seule la terre crée de la valeur économique.Autrement dit, c’est l’exploitation du capital foncier,

l’agriculture et l’élevage, qui est la source de l’enrichissement des nations.Cf. le ≪ tableau économique ≫ de Quesnay : les agriculteurs forment une ≪ classe productive ≫, compares aux artisans et commerçants (≪ classe stérile ≫) et aux propriétaires fonciers et collecteurs d’impôts (≪ classe des propriétaires ≫)…

Adam Smith (1723-1790) répondait : C’est le travail dans une économie de marche, reposant sur la libre concurrence et une division accrue du travail…

Pour Smith, la richesse d’une nation, ce n’est seulement ses terres (thèse des physiocrates), ni l’or et la monnaie (thèse des mercantilistes), c’est l’ensemble des produits qui agrémentent la vie de la nation tout entière, c’est-à-dire de toutes les classes et de toutes leurs consommations. L’or et la monnaie constitue un capital à condition qu’il serve a échanger des marchandises.L'origine de la richesse est le travail des hommes.Il pose ainsi les bases de la doctrine de la valeur travail, qui sera pleinement théorisée au siècle suivant par David Ricardo. Les trois grandes causes de l’enrichissement de la nation : la division du travail, l’accumulation du capital et la taille du marché…

David Ricardo (1772-1823)La loi de la valeur : toute marchandise présente deux faces :

Une valeur d’usage (son utilité) Une valeur d’échange (son cout sur le marché)

Selon sa théorie de la valeur, le prix d’une marchandise n’est pas déterminé par son utilité, mais par son cout de production. C’est le travail qui donne de la valeur aux marchandisesLa valeur des marchandises reproductibles par l’industrie, c’est la quantité de travail qui a été nécessaire pour les produire.Cette quantité de travail correspond à la quantité de travail immédiat des ouvriers mais aussi la quantité de travail qui a été nécessaire pour fabriquer les machines, installer les bâtiments (capital fixe) qui ont servi à produire les marchandises.

Karl Marx (1818-1883)Une démarche transdisciplinaire : critique sociologique, anthropologique, historique, politique, de l’économie politique.Plusieurs entrées :

Une entrée « sociale » : critique sociale du système d’exploitation économique et d’inégalité de classe que génère le mode de production capitaliste…

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Une entrée « sociétale » : critique de la ≪ religion quotidienne ≫ instaurée par le capitalisme, le ≪ fétichisme de la marchandise ≫

Une entrée épistémologique : la critique du fétichisme de la marchandise est aussi une critique des catégories d’analyse utilisées par les économistes

Une entrée politico-utopique : qu’est-ce qui rendrait possible le dépérissement du capitalisme ?

Critique de MarxLe capital n’est pas qu’un moyen de production (un phénomène purement économique). Il participe d’un processus sociohistorique :≪ Le capital n’est pas un objet, mais un rapport social de production détermine : ce

rapport est lié à une certaine structure sociale historiquement déterminée. […] . Le capital, ce n’est pas la somme des moyens de production matériels produits, ce sont les moyens de production convertis en capital, mais qui en soi, ne sont pas plus du capital que l’or ou l’argent – métal en soi – ne sont de l’argent au sens économique. Le capital, ce sont les moyens de production monopolises par une partie déterminée

de la société… ≫ (Le capital, Livre 3).Cette structure sociale historiquement déterminée, c’est le ≪ mode de production capitaliste ≫.

Le capitalisme marchand

C’est celui qui apparait au 15e siècle, à la fin du Moyen-Age.Les marchands achètent des produits au-dessous de leur valeur et les vendent au-dessus de leur valeur : A - M – A Plus précisément A – M – A’ (A’ supérieur a A)Les banquiers (usuriers) prêtent de l’argent avec intérêts. Ce qui augmente leur capital argent une fois les remboursements réalisés : A – A’ (A’ supérieur a A)

Le capitalisme industriel

Selon Marx, le capitalisme manufacturier et industriel repose sur un double processus :a) La formation de nouvelles classes sociales : les bourgeois deviennent des entrepreneurs capitalistes, propriétaires des grands moyens de production. Les paysans et artisans ruinés deviennent des travailleurs salariés, contraints économiquement de vendre leur force de travail aux capitalistes.b) Un nouveau mode de prélèvement de la plus-value du capital par le travail salarié : le salaire correspond à une partie de la valeur engendrée par le travail ouvrier ; il sert à reconstituer la force de travail. Le travail non payé (surtravail) engendre une survaleur (plus-value) qui est appropriée par les capitalistes en vue de nouveaux investissements…

Qu’est-ce qu’un mode de production   ? Définition générale (Weise der Produktion) : la façon dont les individus sociaux produisent des biens matériels et des instruments de production et engendrent par là même une société déterminée.Définition plus précise : l’unité dialectique des rapports sociaux de production (qui travaille pour qui) et de l’état des forces productives (qui travaille et comment).

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Le mode de production constitue la « base concrète » sur laquelle se développe les institutions (Etat, Eglise, Ecole…) et les représentations collectives (perceptions, idées, images communes…).

Rapports sociaux de production capitalistes et forces productives

Rapports sociaux de production capitalistes

Forces productives correspondantes

Qui produit pour qui   ?

Rapports sociaux entre une classe de travailleurs salariés économiquement contraints de vendre leur force de travail à une classe de capitalistes, propriétaires des grands moyens de production (capital argent, capital productif, capital commercial)

Rapport social capital/travail.

Ces rapports sociaux sont des rapports de domination d’une classe sur une autre, prenant une forme économique (exploitation du travail salarié), sociologique (aliénation), politique (État capitaliste), idéologique (fétichisme de la marchandise)

Ces rapports sociaux de production capitalistes peuvent susciter des formes de consentement, de résistance et d’émancipation

Qui produit et comment   ?

Les travailleurs, les machines, les activités technoscientifiques, les formes d’organisation du travail (« travailleur collectif », « coopération », « division manufacturière du travail » (= division technique du travail).

Les forces productives ne sont ni indépendantes ni neutres. Elles sont en interaction avec les rapports sociaux de production capitalistes.Ainsi la « modernisation » des sociétés (industrialisation, rationalisation…) est capitaliste.

Formule générale du capital

« La forme immédiate de la circulation des marchandises est M – A – M, transformation de la marchandise en argent et retransformation de l’argent en

marchandise, vendre pour acheter. Mais à côté de cette forme nous en trouvons une autre, tout à fait distincte, la forme A – M – A (argent – marchandise – argent),

transformation de l’argent en marchandise et retransformation de la marchandise en argent, acheter pour vendre. Tout argent qui dans son mouvement décrit ce dernier cercle, se transforme en capital, devient capital et est déjà par destination capital »

La rotation en 3 temps du capital

Premier temps : Réunir des capitaux pour produire et vendre des marchandises (capital-argent)

Deuxième temps : Utiliser ces capitaux pour produire des marchandises (capital productif)

Troisième temps : Vendre les marchandises afin d’obtenir une nouvelle quantité d’argent (capital marchandise)

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Finalité : Transformer le surplus d’argent (plus-value) en capital-argent pour de nouveaux investissements…

Ce circuit cyclique a nécessité au préalable une accumulation du capital et une reproduction élargie du capital à partir d’une région déterminée (Europe)

Le capital social total

Capital argent Capital productif Capital marchandise

Somme d’argent que l’on possède ou que l’on emprunte pour acheter des marchandises

Somme des marchandises achetées servant à produire de nouvelles marchandises. On parle ainsi de consommation productive (P). Le capital productif comprends les bâtiments, l’outillage et les équipements ; les matières premières et les matières auxiliaires ; la force de travail.

Nouvelles marchandises produites qui sont à vendre. Après la vente, l’argent obtenu forme de nouveau un capital-argent, à réinvestir.

Capital financier Capital industriel Capital commercial

Les banquiers gèrent le capital argent des capitalistes industriels et des capitalistes commerçants. C.f. crédit de circulation…

Particularité : leurs profits se réalisent par la formule classique A – A’

Les industriels s’occupent de la production directe de marchandisesParticularité : les profits industriels résultent de l’engendrement direct de plus-value

Les capitalistes commerçants achètent les marchandises aux capitalistes industriels qui les ont produites pour les vendre à des consommateurs.Particularité : Ils ne produisent pas comme les capitalistes industriels, des marchandises et donc ne prélèvent pas de la plus-value, du moins directement. Le commerçant est un maillon indispensable dans la formation du taux de profit des capitalistes industriels et son profit commercial vient d’une égalisation ou plutôt comme duit Marx d’une « péréquation ».

D’où vient le profit industriel ? Il vient de la plus-value (survaleur) obtenue par un travail non payé (surtravail)

1- Plus-value absolue : survaleur produite par la prolongation de la journée de travail 2- Plus-value relative : survaleur due à l’abréviation du temps de travail : abaissement

de la valeur de la force de travail et accroissement de la productivité du travail. 3- Plus-value extra : survaleur passagère obtenue du surtravail des ouvriers des

entreprises innovantes dans l’usage des nouvelles technologies (c.f. gains de productivité).

Avec la rééducation du temps de travail, c’est la plus-value relative qui est la source principale de profit.

La composition organique du capital et la baisse tendancielle du taux de profit ?

Capital constant C Capital Variable V

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Capital destiné à l’achat de machines, de bâtiments et de matières premièresSa valeur reste constante au cours de la productionTendance à la hausse (du machinisme à l’autonomisation)

Capital destiné à l’achat de la force de travail, au paiement des salaires.Sa valeur varie au cours de la productionParticularité fondamentale ; c’est lui seul qui est source de plus-valueTendance à la baisse (à cause de la hause du machinisme).

La limite structurelle et historique du capitalisme : la baisse tendancielle du taux de profit moyen

Avec le capital argent, les capitalistes se procurent deux sortes de capitaux : le capital constant (bâtiment, terrains, machines) et la capital variable (salaires rémunérant la force de travail des ouvriers). La recherche de plus-value relative entraine davantage de productivité du travail par le moyen de l’accroissement de la coopération, de la division technique du travail et du machinisme. Cela signifie que l’on utilise de plus en plus de capital constant et de moins en moins de capital variable : le rapporte C/V tend à s’accroitre. Plus de machine, moins de force de travail : baisse tendancielle du taux de profit moyen.

Comment contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit ? L’augmentation du degré d’exploitation du travail La réduction du salaire au-dessus de sa valeur La baisse de prix des éléments du capital constant Le commerce extérieur L’augmentation du capital par actions

Aujourd’hui : la financiarisation de l’économie. Le profit financier (A-A’) supplante le profit industriel (A-M-A’)

Une distinction qui mène à corréler éducation et économie capitaliste : travail simple / travail complexe

Travail simple Travail complexeLe travailleur dépense une force de travail simple que tout homme ordinaire, sans développement spécial, possède dans l’organisme de son corps.

Mène à la notion de travail non qualifié ou déqualifié (moins couteux pour les capitalistes)

Le travail complexe n’est que le travail simple multiplié : une quantité donnée de travail complexe correspond à une quantité plus grande de travail simple

Mène à la notion de travail qualifié (plus couteux pour les capitalistes)

Une distinction qui a nourri une socio-économie critique de l’éducation et de la formation

L’opposition entre travail simple et travail complexe permet de conceptualiser la différence entre un travail non qualifié ou spécialisé (OS) et un travail qualifié (OQ, le technicien). La force de travail complexe (qualifiée) coute plus chère aux capitalistes. Ceux-ci cherchent à la réduire à une force de travail simple (non qualifiée ou spécialisée) assujettie à la machine, laquelle donne son rythme à l’ouvrier. C’est la déqualification. Historiquement, cela explique comment le capitalisme, dans sa recherche de productivité (voir la théorie de la plus-value relative), remet en cause l’autonomie de l’ouvrier de métier en le transformant en ouvrier parcellaire dans la division technique du travail. Cela renvoie

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aussi à la question des qualifications dans la formation professionnelle.Le caractère fétiche de la marchandise

Etymologie du mot « fétiche »Fétiche : du portugais feitiço, « artificiel », adj., du latin facticius. Nom donné par les Blancs aux objets de culte des civilisations dites primitives.Objet auquel on attribue un pouvoir magique et bénéfique (cf. amulette, porte-bonheur).Fétichisme : Adoration d’un objet matériel, auquel on attribue des pouvoirs surnaturels.Admiration exagérée et sans réserve d’une personne ou d’une chose.

Une nouvelle religion1) Les marchandises vont devenir des objets de culte. On va leur prêter une toute puissance, un pouvoir magique, porte-bonheur…, comme dans les religions que l’Occident capitaliste et colonisateur a qualifié de fétichistes par mépris pour les « sauvages » jugés ignorant de la « véritable » divinité : le dieu des chrétiens.2) Le marché, loin d’être transparent, est comme un « bal masqué », une « fantasmagorie », c’est-à-dire un spectacle de fantômes dans une salle obscure (représentation théâtrale courante au XIXe siècle). Les marchandises vont apparaitre comme mues par elles-mêmes, sans causes. Elles apparaissent au contraire comme la cause de tout ce qui arrive dans le monde (cause de soi disaient les théologiens et les métaphysiciens à propos de Dieu).

Conséquences épistémologiquesLoin de dévoiler, de démasquer ce monde religieux, comme l’exige toute démarche scientifique, les économistes libéraux font de ces êtres surnaturels des faits naturels et en tirent des lois naturelles invariables. Le marché est pour eux une donnée objective, qui aurait existé de tout temps (déhistoricisation et naturalisation). Les individus sont considérés comme des propriétaires de marchandises, libres et égaux, alors que dans la réalité, le marché repose sur la division de la société en classes sociales…

D’où provient le caractère fétiche de la marchandise ?« D’où provient donc le caractère énigmatique du produit du travail, dès qu’il revêt la forme d’une marchandise ? Évidemment de cette forme elle-même » (Marx).Les rapports sociaux de production capitalistes font régner le : Travail égal et abstrait → forme valeur → forme marchandise ↓Il s’intercale un « voile » : la forme se détache de son contenu. Pas de transparence : on perçoit des choses qui circulent, qui semblent autonomes, mais pas les rapports sociaux qui sont derrière

Exemples : Dépersonnalisation des êtres humains, personnalisation des choses

La circulation des marchandises, de l’argent rend la vie sociale abstraite. Elle fait apparaître des rapports entre des choses au lieu de rapports entre des personnes (réification). Qui y-a-t-il derrière les jouets de Noël ? Derrière un I-pad ou un I-phone ? Derrière une entreprise que l’on décide de fermer parce qu’insuffisamment rentable pour les actionnaires?

Naturalisation de l’économie capitalisteChaque jour la météo annonce le temps qu’il fera demain. La météo présente des phénomènes naturels (en fait pas complètement naturels depuis l’anthropocène). Avant ou après, les JT présentent le cours de la bourse (cf. le CAC 40) comme un phénomène aussi naturel.

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Analyse des rapports sociaux comme des rapports économiques, marchands : cf. la théorie du capital humain

Les transpositions métaphoriques du capital chez Gary S. Becker : le capital humainGary Stanley Becker

Fait partie de l’école des économistes de Chicago avec Milton Friedmann. Théoricien de formation néoclassique. Prix Nobel d’économie en 1992Individualisme méthodologique: approche utilitariste et individualiste de la société. La science économique (classique et néoclassique) fournit une méthode d’analyse des phénomènes sociaux. L’homme est un homo economicus : la

société est une somme d’individus qui cherchent à maximiser ce qui leur est utile.Théorie du choix rationnel (Rational Act Theory) : les individus font des choix rationnels en mesurant les couts et les avantages des différentes options qui se présentent à eux.

Une économie comportementalePrincipe d’hédonisme :

Postulat d’une nature humaine : chacun cherche à accroitre sa richesse et son bien-être tout en essayant de fournir le moins d’effort possible ou d’y consacrer la part la plus faible possible de son revenu. Deux hypothèses fondamentales autour du paradoxe de Condorcet :

1ère hypothèse : Au niveau de chaque individu, les préférences sont transitives : si quelqu’un préfère

A et B et B à C, il préfère A à C. Au niveau collectif, cela change : un groupe peut préférer A à B, B à C et C à A.

(paradoxe de Condorcet) 2e hypothèse :

Les choix individuels restent stables dès lors qu’aucune information nouvelle n’est disponible.

Les trois âges de la science économique selon Becker 1er âge : étudie les mécanismes de la production et de la consommation des biens

matériels. 2e âge : étudie « l’ensemble des phénomènes marchands, c’est-à-dire donnant lieu à

rapport d’échange monétaire ». 3e âge : « Aujourd’hui, le champ de l’analyse économique s’étend à l’ensemble des

comportements humains et des décisions qui y sont associés. Ce qui définit l’économie, ce n’est pas le caractère marchand ou matériel du problème à traiter, mais la nature même de ce problème : toute question qui pose un problème d’allocation de ressources et de choix dans le cadre d’une situation de rareté caractérisée par l’affrontement de finalités concurrentes relève de l’économie et peut être traitée par l’analyse économique ». The Economic Approach to Human Behavior, Paris, 1977, communication CNRS, MSH.

Première Edition de Human capital : 1964 Avec un autre prix Nobel, Théodore Schultz (1902-1998), Becker introduit la

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notion de capital humain. Becker distingue du capital physique (terre, machines…) un autre type de capital : le capital humain. Il en donne la définition suivante :« Les activités qui influencent les revenus monétaires futurs, qu’ils soient de type monétaire ou de type non monétaire sont désignées par l’expression d’investissement en capital humain. Les nombreuses formes que peuvent revêtir ces investissements incluent : l’éducation scolaire, la formation professionnelle sur le tas, les soins médicaux, les migrations, la recherche d’informations sur les prix et les revenus ».

L’éducation   : un capital humain L’éducation est rentable pour l’individu : Pour un individu, la scolarisation est un investissement rentable : elle constitue le véritable capital. Elle est rentable parce qu’elle élève a productivité de l’individu qui en retire un bénéfice (salaire plus élevé). L’éducation est rentable pour le capitalisme : L’éducation et la recherche sont indispensables pour qu’il y ait de la croissance.

Justification de l’endettement des étudiants au nom de la science économique

Tout individu est détenteur d’un capital humain et il est libre d’en acquérir plus et de le gérer. Un étudiant va investir dans les études parce qu’en obtenant des diplômes il va augmenter son capital humain et faire croitre au bout du compte ses gains (meilleur poste, meilleur salaire). Légitime le système de prêt pour les étudiants. Aux USA et en GB, l’étudiant s’endette pour suivre de bonnes études et devra rembourser à la fin (financiarisation des études).

Le capital humain, arme pour faire reculer le chômage Avec les révolutions technologiques, il faut des ingénieurs et des techniciens pour faire tourner l’économie. Les entreprises doivent investir dans le capital humain puisqu’elles ont besoin d’une main-d’œuvre qualifiée. Pour réduire le chômage, il faut former le capital humain et en obtenir le meilleur usage possible. D’où le terme néolibéral « employabilité » un diplôme doit être professionnel. Il doit conduire directement à un emploi.

Les critiques économistes

Critique économique 1 : la théorie du capital humain n’explique pas le processus de déqualification :

Avec cette théorie, comment expliquer la déqualification des diplômes et le déclassement des diplômes ? (Ce que Bourdieu et Duru-Bellat appellent l’inflation scolaire à : inflation = hausse des prix ; ici : hausse du nombre de diplômes baisse de leur valeur à . Plus le nombre de diplômes augmentent, plus ils perdent de leur valeur sur le marché du travail. De nombreux diplômés, notamment dans les pays du Sud, exercent des emplois qui ne correspondent pas à leur qualification, ou pire, dont au chômage.

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Critique économique 2 : Les nouvelles technologies créent des emplois, mais pas den très grand nombre, et surtout pour les moins qualifiés :

L’économie capitaliste a besoin d’une main-d’œuvre diplômée parce qu’elle repose de plus en plus sur le machinisme, l’autonomisation (et maintenant l’ordinisation à et donc sur l’emploi d’ingénieurs et de techniciens… Les nouvelles technologies font disparaitre des professions intermédiaires qui sont remplacées par des robots et des algorithmes : c.f. dans l’éducation une partie des administratifs est en train de disparaitre. Mais les nouveaux emplois provoqués par ces nouvelles technologies sont surtout destinés à des moins qualifiés : « Le numérique, c’est 10% d’emplois qualifiés et 90% de gens qui font des cartons », dixit Jean Hervé Lorenzi.

Critique économique 3 : Endettement étudiant attention à la bulle !Aux Usa, l’endettement étudiant est la source d’une nouvelle bulle spéculative en formation.La dernière bulle qui a éclaté : le Krach de 2008 : c’est une crise de désintermédiation et de titrisation. Les banques ne sont plus des intermédiaires obligatoires. On a inventé d’autres moyens pour émettre des titres, autrement dit titriser. Des marchés dérivés de crédit surgissent. Des produits financiers hautement sophistiqués sont censés gérer les risques de manière très fine. Des capitaux sont fournis par des hypermarchés (ex : carrefour). La crise est alors le résultat d’une bulle financière et immobilière essentiellement aux USA, en RU et en Espagne. La bulle a été rendue possible par la transformation des crédits immobiliers en actifs financiers vendus sur les marchés (titrisation). Ces titres financiers (dont les fameuses subprimes) ont été achetés par beaucoup d’acteurs, mais surtout par les banques. Finalement, ce sont ces dernières qui ont pris possession des titres financiers et donc qui ont financé la bulle immobilière américaine. La nouveauté, c’est que le processus de titrisation a permis à beaucoup d’intermédiaires de se faire beaucoup d’argent en vendant très cher des titres de mauvaise qualité. Ces titres, appelés actifs toxiques s’élèveraient à plusieurs milliers de milliards de dollars.

Critique théorie et méthodologiqueCritique sociologique classique : impérialisme économique, économisme, utilitarisme…Ni le social (objet de la sociologie) ni le comportemental individuel (Objet de la psychologie) ne se réduisent à des phénomènes économiques de type marchand (cf. la notion d’échanges non marchands chez Marcel Mauss dans son Essai sur le don)La société est composée d’individus mais elle n’est pas réductible à une somme d’individus. Elle est un ensemble d’institutions (Durkheim) ou l’« ensemble des rapports sociaux » (Marx)…La théorie du capital humain est une nouvelle manifestation, chez ces économistes, du fétichisme de la marchandise, de la réification et de son expression philosophique : l’utilitarisme…

Qu’est-ce que l’utilitarisme   ? A l’origine, c’est le nom que prenait la doctrine philosophique, morale et politique, de Jeremy Bentham (1748-1832) et de John Stuart Mill (1806-1873). Leur système est fondé sur la notion d'utilité ou de « principe du plus grand bonheur ». Ce système individualiste permet de diviser les actions ou les choses en bonnes ou mauvaises selon qu'elles tendent à augmenter ou non le bonheur et à diminuer la souffrance. Bentham proposait un calcul des plaisirs et des peines… Marx voyait dans Bentham et sa philosophie « la personnification du capital » : le comportement utilitariste, c’est le propriétaire de marchandises qui fait des affaires…Par extension, on entend par utilitarisme, une approche en science sociale qui analyse le

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Sociologie de l’éducation - Introduction

mobile des actions et des pensées humaines en terme de calcul d’intérêt (coût et avantage). Toute manière de faire, de penser, d’agir serait commandée par le besoin de satisfaire des intérêts matériels (argent) ou symboliques (reconnaissance, pouvoir…) comme le banquier cherche à obtenir des intérêts en prêtant de l’argent.On a donc reproché aux démarches utilitaristes de réduire l’homme à un homo oeconomicus, (au sens marchand du terme), agissant comme s’il était en tout temps et en tout lieu un acteur économique soucieux de défendre ses intérêts et incapable d’entreprendre des actions désintéressées, gratuites…

Critique éthique et politiqueLa théorie du capital humain, arme des Etats néolibéraux et des écoles privées (commerciales) pour marchandise la culture et l’enseignement, (Mais aussi la santé et l’immigration…).Marx et Engels écrivaient en 1848 : « Là où elle est arrivée au pouvoir, la bourgeoisie a détruit tous les rapports féodaux, patriarcaux, idylliques. Elle a impitoyablement déchiré la variété bariolée des liens féodaux qui unissaient l’homme à ses supérieurs naturels et n’a laissé subsister d’autre lien entre l’homme et l’homme que l’intérêt tout nu, le dur “ paiement comptant ”. Elle a noyé dans les eaux glacées du calcul égoïste les frissons sacrés de l’exaltation religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la mélancolie sentimentale des petits bourgeois. Elle a résolu la dignité personnelle en la valeur d’échange et substitué aux innombrables libertés reconnues par lettres patentes et chèrement acquises la seule liberté sans scrupule du commerce. En un mot, elle a substitué à l’exploitation que voilaient les illusions religieuses et politiques l’exploitation ouverte, cynique, directe et toute crue. La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités tenues jusqu’ici pour vénérables et considérées avec une piété mêlée de crainte. Elle a transformé le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l’homme de science, en salariés à ses gages ». Marx et Engels, Manifeste du parti communiste, 1848.

Critique de la professionnalisation et de l’employabilité« La professionnalisation immédiate des étudiants est devenue l’instrument de mesure de la réussite économique des individus et de la réussite pédagogique et didactique des institutions, si ce n’est de leur réussite scientifique » Nicolas Oblin et Patrick Vassort, La crise de l’université française. Traité critique contre une politique de l’anéantissement, L’Harmattan, série Sociologie politique, 2005, p. 82.« Dès lors, pour l’étudiant, la qualité de l’enseignement qu’il reçoit (où subit, c’est selon) n’est plus liée au contenu objectif de cet enseignement, mais à la capacité de celui-ci de lui offrir un débouché. Les professeurs ne sont plus des savants mais des plombiers » (Claude Javeau, Masse et impuissance. Le désarroi des universités.

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Sociologie de l’éducation - Introduction

Les transpositions métaphoriques de l’homo oeconomicus dans la sociologie française de l’éducation par Raymond BoudonL’individualisme méthodologique appliqué à la sociologie de l’éducation

Raymond BoudonAncien élève de l’ENS, agrégé de philosophie, professeur de sociologie à l’université de Bordeaux puis à Paris IV-Sorbonne, Raymond Boudon a animé dans les années 1970-1990 une école sociologique rivale de celle de Pierre Bourdieu. Il importe des USA la RAT (Rational Action Theory) sous le nom d’individualisme méthodologique ou d’actionnisme.

L’inégalité des chances Effets pervers et ordre social La logique du social Dictionnaire critique de la sociologie L’idéologie ou l’origine des idées reçues Les méthodes en sociologie

L’individualisme méthodologique

« Un des problèmes les plus importants de la sociologie est celui de l’analyse de la relations entre institutions et comportements individuels. Les institutions ne

déterminent jamais les comportements. Mais elles affectent les champs d’action et de décision des individus. En corolaire, l’analyse des effets d’un changement

institutionnel se ramène toujours à étudier les modifications introduites par ce changement eu égard aux champs d’actions et de décision des individus »

Raymond Boudon, Effets pervers et ordre social

Contraire de l’Holisme méthodologique

Individualisme méthodologique (de type utilitariste) Holisme méthodologique

Il faut expliquer les faits sociaux par des comportements individuels qui s’agrègent,

se composent. Les individus sont des atomes logiques du sociologue.

La société est une somme d’acteurs individuels qui calculent les couts et les

avantages de leurs actions.

Il faut expliquer les faits sociaux par les faits sociaux (Durkheim)

La société ne se réduit pas à une somme d’individus : elle est composée d’institutions

qui structurent le champ des actions individuelles.

Homo oeconomicus et homo sociologicusL’homo sociologicus selon Boudon se différencie de l’homo oeconomicus (de Becker par exemple). A la différence des économistes, Boudon pense que les individus n’agissent pas par pur intérêt. Il est le lieu d’un intentionnalité, impliquant un certain type de rationalité. Pour interpréter des effets d’agrégation que révèlent les statistiques, il suffit de faire l’hypothèse d’un sujet animé de bonnes raisons.

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Un sujet qui, lorsqu’il est confronté à des choix, fait preuve d’une certaine logique. Il faut supposer que l’homo sociologicus est rationnel mais animé d’une rationalité limitée.

Effet émergent, d’agrégation ou de composition Les actions individuelles s’agrègent, se composent : plusieurs parents décident par exemple de partir en vacances le WE du 7 juillet parce qu’ils ont calculé que ‘était le plus logique pour ne pas perdre de temps puisque leurs enfants doivent aller à l’école jusqu’au vendredi. Toutefois, cette agrégation d’actions réfléchies produit un effet émergent » : quelques chose qui n’est pas conforme au souhait des individus engagés dans ces actions : des embouteillages qui peuvent ralentir ce début des vacances. Boudon nomme les effets émergents qui ne sont pas prévus ou qui aboutissent à des situations non désirées initialement des « effets pervers ».

Conséquences pour analyser et expliquer les inégalités scolaires (L’inégalité des chances, 1973)

Boudon constate, comme Bourdieu ou Baudelot et Establet à l’époque, que l’allongement de la durée de la scolarisation et la massification du système d’enseignement français dans les années 1960, ne signifie pas qu’il existe une égalité réelle des chances entre les élèves. « L’inégalité des chances scolaires est la différence de probabilité d’accès aux différents niveaux d’étude en fonction de l’origine sociale. Pour le dire très simplement : un enfant de cadre supérieur a une probabilité beaucoup plus forte de parvenir à l’université qu’un enfant d’ouvrier. » Boudon Comment expliquer ce phénomène du point de vue de l’individualisme méthodologique ?

Contre Bourdieu et PasseronBoudon refuse l’explication de Bourdieu et Passeron selon laquelle la reproduction des inégalités scolaires s’effectue par l’héritage culturel (cf théorie du capital culturel)Certes, un enfant issu de classes supérieures sera mieux armé, sur le plan culturel, pour réussir à l’école. Mais ce n’est pas la différence d’héritage culturel qui explique les inégalités scolaires et le système d’enseignement, c’est la stratégie des familles.Cette stratégie correspond à un calcul que font les parents et les enfants en fonction de leur situation sociale.

Un processus en 3 temps 1er temps : la réussite scolaire varie en fonction de la classe sociale d'origine : à chaque position sociale est attaché un "espace décisionnel" donné qui implique un calcul cout/risque/bénéfice.Exemple : les parents de classes populaires et les élèves eux-mêmes se diront que suivre une filière générale et longue implique un cout élevé en temps (sur le plan économique et culturel) et risqué (l'élève est loin d'être sûr de réussir compte tenu de sa situation matérielle et culturelle). L'élève va donc choisir une filière courte, professionnelle, parce qu'il aura plus de chances de réussir (bénéfice).2e temps : au cours de sa scolarité, l'élève répète ce raisonnement et renforce ce choix.Exemple : l'élève enfant d'ouvrier qui rentre dans le secondaire préfèrera préparer un CAP, au mieux un BEP et arrêtera les études à 16 ans.3e temps : comme à chaque niveau scolaire correspond une qualification, un emploi et finalement un statut social adéquat, l'élève occupera une position sociale conforme au niveau scolaire.Exemple : un enfant d'ouvrier titulaire d'un CAP sera à son tour ouvrier.

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Significations théoriques et méthodologiquesLa position sociale de la famille ne doit pas être comprise comme une structure sociale qui conditionne, via l’héritage culturel, le choix des filières (« effet de structure » dirait Bourdieu)Le parcours scolaire est tout simplement le résultat d’une « stratégie » librement réfléchie et adoptée par les parents et les élèves. Ces décisions individuelles, microsociales, s’agrègent et conduisent sur le plan macrosociologique à la formation des tendances lourdes, repérables dans les analyses statistiques : plus d’enfants de classe populaires dans les filières courtes et professionnelles ; plus d’enfants de classes supérieures dans les filières longues et générales.S’ajoutent un effet émergent, non prévu par le calcul des acteurs : le déplacement des inégalités scolaires.

L’effet pervers de l’augmentation de la demande d’éducationUn déplacement de la hiérarchie scolaire :Effet d’absorption : les élèves d’origine sociale modeste vont obtenir des diplômes plus importants que ceux de leurs parents, mais entre temps ces diplômes ont perdu de leur valeur. Il leur faudra obtenir plus de diplômes pour rester dans la même position socialeEffet de neutralisation : parce que le nombre de postes qualifiés est moins important que le nombre de diplômes qualifiés, il y a embouteillage sur le marché du travailLes enfants issus de classe moyennes ou modestes risquent d’être victimes d’une déqualification de leurs diplômesCe phénomène sera appelé par Pierre Bourdieu « inflation scolaire ». Pour Raymond Boudon, c’est un « effet pervers », non désiré par les acteurs, qui résulte de l’effet d’agrégation des choix d’orientation et de l’inadéquation entre la structure sociale et la structure scolaire.

Autres effets de compositions positifs ou négatifsL’allongement et la massification de la scolarisation commencés dans les années 1960 produisent des effets « multiples » et « multi directionnels »

Un effet positif : un effet de composition positif pour la collectivité : la démocratisation de l’éducation entraine des gains de productivité (théorie du capital humain). Cet effet n’a pas été voulu par chacun des individus mais il résulte de leurs décisions.

Des effets négatifs : Un plus grand investissement pour atteindre un niveau plus important dans

l’échelle des statuts Une augmentation du coût du système d’éducation pour la collectivité Une augmentation de l’inégalité des revenus (entre qualifiés et non qualifiés)

Conséquences politiquesPour Boudon, les politiques éducatives visant à rétablir plus d’égalité des chances scolaires grâce à des réformes pédagogiques sont vaines.

Parce que la cause de l’inégalité des chances devant l’école et l’université ne gît pas dans le système d’enseignement et ses méthodes pédagogiques mais dans le système social des sociétés industrielles qui repose sur une stratification socialeIl faudrait donc réduire les inégalités sociales pour obtenir plus d’égalité des chances.« Au total, on peut avancer que le seul facteur capable de réduire les inégalités devant l’enseignement dans une perspective non utopique réside dans la réduction des inégalités économiques et sociales. Quant aux réformes scolaires, même si elles sont excellentes par rapport à d’autres objectifs, il est peu vraisemblable qu’elles puissent avoir une incidence déterminante sur les inégalités devant l’école » (L’inégalité des chances, 1984)

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Critiques

Critique 1 : Cause ou effet ?On pourrait formuler le même type de critique que Durkheim adressait à Gabriel de Tarde : les actions individuelles, causes ou effets ?

Si Raymond Boudon a raison de souligner qu’une corrélation entre deux variables n’induit pas nécessairement un lien de causalité, prétendre expliquer les corrélations entre origine sociale et niveau d’études par des stratégies individuelles, est-ce vraiment une explication ? Dire que les parents poussent leurs enfants à choisir une filière parce qu’ils raisonnent en disant « tu as plus intérêt à suivre cette filière compte tenu de notre situation sociale et culturelle  », n’est-ce pas plutôt la description d’un processus psychologique qu’une explication sociologique ? Les stratégies individuelles ne sont-elles pas plutôt des effets de la division structurelle de la société en classes sociales ?

C’est ce que rétorqueront Baudelot et Establet ou Bourdieu et Passeron.

Critique 2 : UtilitarismeNos actions ne sont-elles mues que par des raisonnements du type calcule cout / avantage ?Raymond Boudon construit un « modèle logique » : les choix rationnels des acteurs. Il relègue les sentiments ambivalents, les émotions, les passions individuelles et sociales, les comportements irrationnels dans les oubliettes que Durkheim nommait « résidus » de la rechercheLa sociologie se réduit à des modélisations de comportements individuels inspirées par la théorie économique du calcul des couts / avantages et une psychologie comportementale des intérêts.Certes Boudon dit que la rationalité des acteurs est limitée et qu’elle n’est pas la rationalité pure des économistes classiques et néo classiques. Mais on reste très proche de la théorie du choix rationnel.

Critique 3 : Le sujet n’est-il qu’un atome logique ?Les modélisations de Boudon reposent sur une théorie utilitariste et une sociologie purement quantitative qui dédaignent les enquêtes ethnographiques de terrain.Si la démarche méthodologique est subjectiviste (on par des intentions et des actions individuelles), la conception d’ensemble de la sociologie est objectiviste : on postule que seul le niveau statistique « intéresse le sociologue ». Et il s’agit d’établir des modèles (de comportements) qui rendent objectivement compte de pratiques sociales réduites à des conduites individuelles logiques.Le sujet n’est-il qu’un « atome logique » ?

Les transpositions métaphoriques chez Pierre BourdieuQuand une catégorie économique devient une catégorie sociologique : capital culturel, capital scolaire, capital social, capital symbolique, sens de placement, inflation scolaire.

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Les héritiers (1964), écrit avec Jean-Claude Passeron Une critique sociologique de l’idéologie du don :

“La cécité aux inégalités sociales condamne et autorise à expliquer toutes les inégalités, particulièrement en matière de réussite scolaire, comme inégalités

naturelles, inégalités de dons”.L’enquête porte sur les étudiants en Lettres de la Sorbonne au début des années 1960 : trois groupes

Les 3 groupes d’étudiants face aux études

Etudiants issus des classes diplômées : L’acquisition de la culture scolaire se fait quasiment par dilettantisme. Ils lisent moins les livres mis au programme. Sont plus curieux, plus ouverts aux autres disciplines ; ont déjà une attitude d’intellectuel.Etudiants issus des classes moyennes : manifestent une « bonne volonté culturelle ». Assidus et appliqués. Ascèse laborieuse.Etudiants issus des classes populaires : peu nombreux (en 1964). Sont passifs, fatalistes. L’entrée à l’université demande une telle acculturation qu’ils sont largués.

Pertinences et limites des héritiers

Il ne s’agit pas de remettre en cause le fait que beaucoup d’élèves et d’étudiants qui réussissent à l’école et à l’université sont des héritiers. La critique de l’idéologie du don et du mérite reste très pertinente.Mais on peut nuancer en montrant :

Qu’il existe aussi des héritiers en échec scolaire : cf. Gaëlle Henri-Panabière, Des « héritiers » en échec scolaire, La Dispute, col.

L’enjeu scolaire, 2010. Qu’il existe aussi des étudiants issus des classes populaires qui réussissent à

l’Université : ceux qu’on nomme aujourd’hui les « transfuges de classe » ou les « transclasses »

cf. Chantal Jacquet et Gérard Bras [dir.], La fabrique des transclasses, PUF, 2018

La reproduction. Eléments pour une théorie du système d’enseignement (1970) écrit avec Jean-Claude Passeron

Thèse : La démocratisation de l’école reste formelle. Elle n’est pas réelle.« La reproduction des inégalités sociales par l’école vient de la mise en œuvre d’un

égalitarisme formel, à savoir que l’école traite comme “égaux en droits” des individus “inégaux en fait” c’est-à-dire inégalement préparés par leur culture familiale à

assimiler un message pédagogique »

Une formule à retenir : « L’indifférence aux différences » (de classes)

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L’école, lieu de violence symbolique

« Toute action pédagogique est objectivement une violence symbolique en tant qu’imposition, par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel ».

Exemple : L’instituteur de la IIIe République imposait l’apprentissage de la langue française à des élèves qui parlaient les langues locales (picard, normand, occitan, etc.). Quand il les frappait parce qu’ils n’avaient pas compris ou retenu la leçon, c’était une violence physique. Quand il faisait une leçon de français ou de calcul sans se préoccuper de ceux qui éprouvaient des difficultés de compréhension et quand ils qualifiaient ces derniers de non-doués ou pire de minus habens, c’était une violence symbolique.

Critique de La Reproduction

Personne ne conteste que le système scolaire contribue à reproduire les inégalités sociales.Ce qui a été reproché à ce livre, c’est la dimension statique (donc non dynamique) de ce type d’approche sociologique, liée à l’esprit structuralo-fonctionnaliste1 répandu à l’époque.

Pierre BOURDIEU, La distinction. Critique sociale du jugement, 1979

Après les inégalités devant l’école, les inégalités devant la culture…Sociologie du jugement ou du goût esthétique : ce que je trouve beau, ce que je trouve laid (dans la musique, la littérature, la peinture, etc.). Ce que je préfère écouter, lire…Sociologie des usages sociaux de la culture dans la France des années 1960-1970.Thèse : Dis-moi quelle musique tu préfères, je te dirai à quelle fraction de classe tu appartiens. Exemples : Prof. du sup, producteurs artistiques : Le clavecin bien tempéré de J-S BachTechniciens : Rhapsody in blue (George Gershwin)Ouvriers et employés : Beau Danube bleu (Franz de Suppé)

Pourquoi la distinction ?Parce que les différences objectives, structurelles, entre les classes se manifestent dans la subjectivité de chacun par un certain type de gout artistique, vestimentaire, alimentaire… qui se définit notamment par le rejet d’autres types de gout.

Exemple : Plus on possède de capitaux culturels, plus on tend à préférer la peinture abstraite et dédaigner la peinture figurative ; en revanche, moins on possède de capitaux culturels, plus on préfère la peinture figurative, qui décrit un monde jugé « réel » … Idem pour la photographie de famille/photographie d’art), les films d’art et essai/ films commerciaux…Les classes les plus diplômées défendent un « gout légitime », privilégiant l’esthétique pure ; 1 le fonctionnalisme (cf. Malinowski dans les années 1930) puis le structuralisme (cf. Lévi-Strauss dans les années 1950) sont des approches anthropologiques qui mettent entre parenthèses l’histoire, les évènements, les changements, pour découvrir des fonctions, des agencements, des combinaisons, des structures permanentes.

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les classes populaires manifestent un « gout populaire » enclin à préférer le contenu de la représentation plutôt que la forme de la représentation…

Les capitaux selon BourdieuCapital économique

Il ne correspond pas vraiment au capital de Marx puisqu’il s’agit chez Bourdieu des différentes sortes de revenus (salaires, rentes, actions, propriétés mobilières et immobilières…). L’adage dit : « l’argent va à l’argent ». Les capitaux économiques vont à ceux qui en ont : reproduction des inégalités de richesse…

Capital Culturel (et scolaire)Principale nouveauté. La notion résulte d’une transposition métaphorique : la « culture cultivée », la « culture savante », transmises par la famille et enseignées à l’école sont considérées comme une ressource aussi importante que les ressources financières. Surtout dans une société où le système scolaire et universitaire délivre des diplômes qui définissent les qualifications professionnelles. Le capital culturel existe aussi sous la forme du capital scolaire (Diplômes). Comme l’argent, la culture va à la culture. Le capital culturel s’hérite via l’éducation familiale.

Trois formes d’existence du capital culturel :Le capital culturel existe sous la forme de dispositions durables, dans l’habitus des individus : il est incorporé et intériorisé. Il est le résultat d’une socialisation, d’une acculturation dans un groupe social déterminé…Le capital culturel existe sous la forme de biens matériels accumulables (et héritables) : tableaux, livres…Le capital culturel existe sous une forme institutionnelle reconnue par l’Etat : le titre scolaire et universitaire. Il atteste la possession d’un niveau de connaissance et de culture. Il est alors un capital scolaire.

Rapport entre capital économique et capital culturelOn peut être doté de beaucoup de capital économique et de peu de capital culturel. Exemple: Le self made man devenu chef d’entreprise (le parvenu), l’artisan boucher à la tête de plusieurs magasins…Inversement on peut posséder beaucoup de capital culturel et peu de capital économique. Exemple : les enseignants.

Capital SocialC’est aussi une transposition métaphorique de la notion de capital (mais rien à voir avec le « capital social total » dans Le Capital), cette fois-ci appliquée aux relations d’influence, à l’entregent permettant d’utiliser avec efficience les capitaux économiques et culturels. Le capital social est aussi affaire d’héritage : les relations, cela s’hérite. Il permet un « sens du placement ».

Capital symboliquePour qu’un capital soit un capital, il faut que dominants et dominés lui accordent un crédit, une légitimité, un prestige… Tous les capitaux sont des capitaux symboliques, sinon ils n’auraient aucune valeur… Capital économique : L’or doit être considéré comme ayant une valeur économique (dans

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certaines sociétés, il n’en a pas). Un industriel est aussi un « chevalier de l’industrie » …, un héros…Capital culturel : un artiste est considéré comme « un maitre » … Capital social : être recommandé par un ami du président, un ancien condisciple d’Ulm... Par extension, tout ce qui a un prestige, une réputation, une notoriété permettant de valoriser les différents capitaux…

HabitusHabitus : du latin habere = avoir, vient du grec hexis. Terme utilisé par Aristote, Saint-Thomas, Durkheim, Mauss, Weber. Voisin de ethos : disposition, esprit »Chez Bourdieu : concept central à double entrée :

Ce qui a été acquis, déposé en nous, incorporé. Intériorisation des dispositions socialement acquises. Tendance à la reproduction.

Ce que nous faisons de ce que l’on a fait de nous : Extériorisation de l’intériorisation. Possibilité (faible) de déviation, d’infléchissement…

C’est un opérateur préréflexif qui configure nos postures intellectuelles, langagières et physiques ou encore ce que les interactionnistes appellent la « présentation de soi ».

Hystérésis et allodoxiaAvec ces deux concepts, Bourdieu reconsidère les notions marxistes de répétition et de retard de la conscience sur l’existence.

L’hystérésis [du grec husterein : être en retard] : en physique, effet qui se prolonge après que sa cause a cessé d’agir, retard de l’effet sur la cause dans les phénomènes élastiques, magnétiques… C’est le retour du refoulé, le naturel, en fait le social, revient au galop, comme chez le bourgeois gentilhomme : chez Bourdieu, c’est le retour intempestif des habitus dont on se croyait débarrassé. Un lapsus ou un tic de langage, un acte manqué ou « naturel » trahissent nos origines, révèlent comment notre passé nous rattrape à notre insu dans un jeu de positions déterminé.

L’allodoxia [du grec allo, autre et doxa, opinion]. C’est le fait de prendre une chose pour une autre. Une forme de méprise. Chez Bourdieu, c’est une perception anachronique du présent. Des objets nouveaux paraissent identiques à ceux d’hier. Ainsi dans le champ scolaire et universitaire, les élèves qui se tournent vers des formations récentes et plus professionnelles, ont tendance à les surestimer en les croyant de même valeur que les filières classiques et traditionnelles.

ChampsContre le schéma du matérialisme historique présentant une société comme des institutions et des idéologies exprimant une base réelle, le mode de production (infrastructure/superstructure), Bourdieu propose une autre « topique », issue du structuralisme : la notion d’espace et de champ sociaux.La société est un espace social divisé en autant de champs et de sous-champs que la construction de l’objet sociologique l’exige : champ économique, champ politique, champ familial, champ scolaire, champ universitaire, champ religieux…Chaque individu est un « agent social » qui, dans un champ social déterminé, agit en fonction de la position qu’il occupe par rapport à la position des autres. C’est un jeu par lequel on lutte pour conquérir une nouvelle position ou conserver l’ancienne.

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Autres transpositions métaphoriques du langage économique venant de la sociologie de BourdieuL’usage (utilitariste) de la notion de capital dans la sociologie critique de la culture et de l’éducation a entraîné chez Bourdieu d’autres transpositions métaphoriques comme :

Marchés : ici, la famille et l’école Prix : les compétences auraient un prix comme les marchandises. Sens du placement (des investissements culturels et scolaires): métaphore des

placements bancaires et boursiers. Profit : les familles tirent un profit de leurs placements scolaires et culturels Inflation scolaire : métaphore de la hausse des prix Cf. notamment La Distinction, p. 10-11 du recueil de textes TD

Critique des ambigüités bourdieusiennes La démarche de Bourdieu a cherché à se démarquer :

De l’économisme propre à un marxisme vulgaire (réduire les idées, la politique à des intérêts économiques de classe)

De l’utilitarisme d’un Gary Becker ou d’un Raymond Boudon et de son corolaire, l’individualisme méthodologique.

Le problème est qu’en voulant chasser par la porte ces formes d’économisme, il en réintroduit une par la fenêtre : les pratiques sociales, éducatives, culturelles sont réduites à une seule dimension, des effets de structure marchande.

La spécificité de l’utilitarisme bourdieusien : la sociologie devient une économie des biens symboliquesEn considérant la culture littéraire et savante comme un capital (culturel) ou encore les relations professionnelles et personnelles comme du capital social, il réduit, à sa façon, le culturel et le relationnel, à des intérêts au sens économique du terme (ce qui rapporte en terme de position sociale), caractéristique de toute démarche utilitariste : même dans les dimensions les plus éloignées de l’économie (culture, religion, valeurs politiques, sentiments, émotions…), tout fonctionnerait comme un marché. La sociologie devient une économie politique des biens symboliques.Comment expliquer alors les conduites désintéressées ? Les croyances éthiques, religieuses, politiques ne sont-elles que des croyances intéressées ?L’art ne serait qu’une affaire de distinction de classe ? Que devient le contenu esthétique de l’art et de la littérature ?L’école ne serait qu’un système » de reproduction des inégalités ? Les matières enseignées à l’école sont-elles réductibles à ce système ?

Ce type de critique a été formulé par les sociologues du MAUSS

La critique de l’utilitarisme chez Bourdieu a été menée par un collectif de sociologues qui publie depuis 1981 une revue de sciences sociale intitulée : MAUSS qui signifie

« Mouvement anti-utilitariste2 dans les sciences sociales ».

2 Le mot « utilitarisme » désigne une philosophie du bonheur initialement définie par Jeremy

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C’est un jeu de mots avec le nom de Marcel Mauss, neveu de Durkheim, auteur de l’Essai sur le don (1924) et l’un des fondateurs de l’anthropologie en France.Fondateur de la revue : Alain Caillé. Directeur actuel : Christian Laval.

Extrait d’un article d’Alain Caillé publié dans le MAUSS, 1987« L’affirmation de la causalité économique, aussi indirecte et médiatisée qu’on la

désire, est trop massive et fréquente dans son œuvre [celle de Bourdieu] pour qu’on puisse faire comme s’il s’agissait d’un simple rajout adventice dont on pourrait

aisément se séparer. Il s’agit bien, ici, non pas de dépasser l’économie politique, dans un marxo-structuralisme indéterminé, mais répétons-le de la généraliser. Ce que Bourdieu reproche à ce qu’il appelle l’économisme ce n’est pas d’hypostasier le

modèle de l’ homo oeconomicus et du calcul des intérêts, c’est de ne pas voir que sa portée et son champ sont universels. […] L’économie politique s’est effectivement

constituée sur la base d’une scission entre l’économique et le reste, abandonné à la sociologie ou à qui voulait bien s’occuper de ces choses vagues et sans importance. Or ce que propose Bourdieu ce n’est pas de penser l’économique comme un sous-

ensemble de la société, mais au contraire de conceptualiser le rapport social comme une modalité élargie du rapport économique. […] L’essentiel de la tradition

sociologique, et même Marx à sa manière, est toujours parti du postulat inverse en tentant de montrer, au minimum, que le tout du rapport social n’était pas résorbable, ni théoriquement, ni pratiquement, dans les relations de marché. A l’inverse, nombre

d’économistes modernes, dans le sillage de Milton Friedman et de Gary Becker élargissent, à l’instar de Bourdieu mais indépendamment de lui, l’analyse économique

à la totalité des sphères de la pratique sociale. La seule différence entre eux et Bourdieu est qu’ils sont d’inspiration néo-libérale là où Bourdieu s’inspire d’un néo-

marxisme. Différence non-négligeable, il est vrai, mais qui ne permet pas d’accréditer l’idée que l’universalisation du paradigme économique serait œuvre réservée au

sociologue ».

Alain Caillé, « Critique de P. Bourdieu : 1. Economisme, Bulletin du MAUSS, n° 22, juin 1987, pp. 138-139.

Conclusion   : Penser avec ou contre Bourdieu Une sociologie critique Mais réductrice

La sociologie de Bourdieu introduit une critique radicale des formes de domination de classe, notamment celle qui s’exerce dans le système scolaire et universitaire et dans les pratiques culturelles

C’est donc une approche « domino-centrée » qui laisse peu de place pour analyser les dynamiques sociales, les formes de résistance à la domination et d’émancipation qui existent pourtant.C’est une sociologie qui interprètent les relation sociales comme des relations économiques (utilitarisme). Ce qui constitue là aussi une réduction contestable

BENTHAM et John Stuart MILL (voir diapo sur Becker)